Introduction
La légitimité de l’analyse sérielle
p. 183-190
Texte intégral
1La question de la mise en série et celle du type d’analyse qui peut en découler nous place au cœur de l’objet même de notre ouvrage : que fait-on des données ? Dans la démarche scientifique, le passage des sources à la série est une étape indispensable. Il consiste en la transformation des informations brutes en informations exploitables et susceptibles d’être soumises à l’épreuve du calcul, c’est-à-dire en données. Après leur traitement, elles font finalement l’objet d’une explication ou d’une exploitation. La mise en forme des sources et le questionnement critique qu’il faut leur imposer passent par des manipulations diverses, plus ou moins complexes, qui vont de l’examen des conditions de leur production à la mise en tableaux ou à l’établissement de typologies. Cela correspond à une abstraction de la réalité observée qui doit permettre de construire des faits scientifiques. Ceux-ci, à leur tour permettent d’accéder à une explication. Ces faits se présentent sous la forme de tableaux de chiffres traduits en courbes dont la description conduit à l’explication des phénomènes.
2L’élaboration n’est pas un travail empirique mais suppose au contraire l’existence de théories préconçues, formalisées ou non, qui orientent le travail de mise en ordre et structure le questionnement. La mise en série s’insère par conséquent au début d’un groupe de transformations des informations recueillies et élaborées dans des documents-sources. Les procédures ainsi élaborées et suivies permettent le passage de l’observation de phénomènes à leur transformation en faits dénombrés et classés.
3Pour un historien, poser la question de la mise en série des données renvoie immanquablement à deux débats délicats. Le premier concerne la quantification, c’est-à-dire l’usage des nombres et celui des manipulations ou des expériences que le recours aux chiffres rend possible ou nécessaire pour décrire le réel. Le second, qui lui est lié, a trait à la place actuelle de l’histoire économique dans le champ de l’histoire et des modalités de son étude, ainsi que celle des rapports théoriques qu’elle entretient avec la science économique1. Par-derrière encore se trouve la question de la cliométrie, c’est-à-dire la déclinaison temporelle, sur la très longue durée, de données hétérogènes agrégées. La plupart des historiens présents à l’école d’été ont travaillé sur des séries temporelles brèves, contractées sur un laps de temps très court (huit années dans le cas de Pise abordé par Cédric Quertier), voire carrément synchrones. Tous, d’autre part, ont interrogé les documents en posant comme préalable à la quantification une réflexion sur les méthodes d’élaboration des données2. Celles de la vie économique sont aussi des données d’histoire sociale qu’il faut traiter de façon spécifique : même les chiffres mentent, ou plutôt doivent être critiqués. P. Gervais a montré plus haut que même les comptabilités à partie double, censées être la preuve de la présence d’une rationalité scientifique à l’intérieur de l’économie d’échanges doivent être critiquées. Elles sont, selon ses démonstrations, les instruments de la manipulation de réseaux d’amitiés, de dépendance qui créent des obligations réciproques, et non le signe de la recherche de la calculabilité à tout instant du profit et du risque, de la rentabilité et de la profitabilité3. La possibilité même de calculer et donc de décrire par des nombres mis en série ou en tableaux est souvent douteuse. Peut-on par exemple mesurer l’incidence du développement de la production textile dans les villes flamandes et italiennes au xiie siècle sur l’équilibre de la structure économique, qu’il s’agisse de celle de ces villes ou de celle de l’Europe occidentale ? La production d’objets nouveaux à l’intérieur de structures de production en mutation a comme corollaire le développement spectaculaire de la pauvreté dans les centres urbains et l’exclusion des bénéfices de l’enrichissement global de la société d’une masse considérable d’individus : cela peut-il se traduire en chiffres ? Assurément non tant que l’on ne dispose pas de séries permettant de mesurer les tendances, de préciser la chronologie des cycles et celle de la conjoncture et de traduire en indices ce que signifie être pauvre. Cela, qui se peut dans le cadre de la révolution industrielle de la fin de l’époque moderne qui a vu des phénomènes analogues se produire, mais sur une tout autre échelle, n’est guère possible avant le xviiie siècle4. Encore ces questions, centrales pour les économistes parce qu’elles recouvrent celle de la relation entre les prix et les revenus, ne peuvent-elles être abordées qu’au prix de précautions méthodologiques considérables.
4 Il faut replacer le débat sur le quantitatif en histoire dans son contexte et, pour cela, remonter un peu dans le temps. Les médiévistes connaissent tous l’appel de Robert Fossier dans son maître livre, Enfance de l’Europe : « Il faudrait compter. On peut compter5 », pour déplorer aussitôt le maigre succès des historiens médiévistes en la matière, du fait du caractère décevant des données chiffrées que l’on peut tirer de sources qui n’étaient pas faites pour satisfaire aux nécessités de comptabilités ou qui, lorsqu’elles le faisaient, demeuraient imprécises et incertaines. Par exemple si les inventaires d’hommes, de terres et de revenus de l’époque carolingienne, les polyptyques, donnent des renseignements sur le nombre des hommes et sur la composition de la famille nucléaire, ils ne permettent en aucune manière de reconstituer des indices aussi fondamentaux que la mortalité, la natalité, la fécondité et il est impossible d’aller au-delà d’une analyse descriptive donnant le nombre de présents par feu et, dans le meilleur des cas, celui d’enfants par couple6.
5Cette faiblesse est liée, selon l’opinion commune des historiens, exprimée pour la première fois par Marc Bloch dans une contribution critique à un article de Simiand, à l’insuffisance de la formation professionnelle des historiens qui néglige les statistiques7. On retrouve au demeurant le même constat dans les critiques acerbes mais déjà anciennes, de Jean Heffer, critiques qui restent dans l’ensemble valides, malgré les efforts déployés par beaucoup d’institutions d’enseignement qui rendent obligatoire une étude au moins superficielle de la statistique au niveau de la licence ou dont les cursus prévoient l’étude de l’histoire et de l’économie à l’intérieur d’un même diplôme.
6Cela dit, la question de la capacité des historiens ou, si l’on préfère, de leur incompétence, n’est pas seule en cause. De très nombreux documents chiffrés nous sont parvenus, datant de toutes les époques historiques. La numeracy, la culture du chiffre et de ses usages correspond cependant à des logiques particulières, que nous ne pouvons pas nécessairement comprendre de façon intuitive et que nous ne devons certainement pas utiliser comme nous le ferions de données statistiques contemporaines. Retrouver les invariants, c’est-à-dire les éléments qui ne changent pas et qui autorisent l’emploi d’un questionnaire commun à toutes les périodes comme à des disciplines distantes est ainsi devenu un enjeu méthodologique commun aux historiens et aux économistes qui est ici illustré par le papier de Camille Chaseran, Julie Claustre et Agnès Gramain et, d’une autre manière, par celui de Dominique Margairaz et Laurent Feller.
7L’homogénéisation des données qui rend possible et légitime la constitution de séries implique la préexistence de modèles explicatifs théoriques et que l’on soit économiste ou historien médiéviste ne change rien à l’affaire : on est contraint, pour comprendre les données que l’on désire agréger, de déduire la procédure employée du corpus finalement constitué.
8C’est ce que les médiévistes ont fait durant des années, sans se préoccuper le moins du monde des conditions de production des sources qu’ils étudiaient ni des finalités pour lesquelles elles avaient été établies. Dans ces conditions, les questionnements ne pouvaient que caricaturer ceux des économistes. Les historiens, à la recherche de tendances, de « trends », s’appliquaient à remplir des tableaux et à concevoir des courbes qui devaient permettre une mise en phase et à établir des périodisations de plus en plus fines, en construisant des indices de plus en plus sophistiqués permettant de donner un sens à leurs dépouillements.
9Les résultats furent parfois à la hauteur de la sagacité, de la finesse et de l’inventivité des auteurs. Ainsi, par exemple, pour donner un sens au prix des céréales qu’il relevait et pour traduire cela en éléments concrets, immédiatement compréhensibles, C. de La Roncière a, dans sa thèse, imaginé de convertir les salaires perçus en calories, c’est-à-dire en quantités de pain, de vin et de viande qu’une somme donnée permettait d’acquérir à Florence entre 1300 et 13808. Il en est ressorti une image saisissante de ce que représentait concrètement le pouvoir d’achat du salaire dans une ville du bas Moyen Âge qui résiste, jusqu’à présent, à la critique. La méthodologie et l’ampleur des dépouillements expliquent la robustesse de ce résultat qui fait que nous connaissons maintenant, et depuis les années 1980, la signification concrète d’une hausse des prix du grain dans une ville comme Florence en termes de quantités disponibles et donc en termes de disettes ou d’abondance. Les séries chiffrées qui ont permis ce résultat sont l’aboutissement de relevés multiples et de la construction de suites numériques qui ont rendu possible la comparaison de la variation des prix et des salaires et d’étudier leur incidence pour les différentes catégories socioprofessionnelles florentines.
10Il y avait des limites à la méthode de C. de La Roncière, bien entendu, et celles-ci se trouvaient au cœur du débat sur la quantification et, d’une certaine manière, s’y trouvent toujours. La question essentielle est posée par François Furet dès le début des années 1970 : une quantification totale et systématique est-elle envisageable et est-il possible, dans ces conditions, de construire une économie rétrospective9 ? C’est le souhait, à la fin des années 1960, de certains historiens économistes et qui s’est réalisé dans quelques secteurs de la discipline10. Furet voyait bien le risque : réaliser un projet de cette nature revenait à réduire l’histoire à l’économie, c’est-à-dire à appauvrir jusqu’à le faire disparaître le système descriptif et interprétatif caractéristique de l’histoire et à en faire disparaître l’étude de la société. L’histoire aurait dû aller chercher ses concepts ailleurs qu’en elle-même et serait devenue un sous-produit d’une description principale, invariable parce que recherchant les mêmes choses avec les mêmes méthodes quelles que soient les périodes. L’histoire serait ainsi simplement devenue ce que Furet appelle un « champ additionnel de données ». Or, accepter cette position revient à nier qu’il y ait une spécificité du fait historique ou plutôt, qu’il puisse y avoir des faits scientifiques en histoire. L’événement alors disparaît au profit des données construites et la série finit par se substituer à lui, au nom d’une rigueur et d’une efficacité qui seraient supérieures à l’analyse qualitative.
11Furet s’insurgeait contre cette vision qui, selon lui, privilégiait la stabilité et ne rendait pas compte de ce qui, précisément est historique, à savoir le changement, les mutations brusques. Cela met au premier plan la question de la chronologie. L’histoire quantitative a tendance en effet à privilégier les continuités : la croissance s’étudie ainsi sur le long terme, de 1270 à 1870 pour les historiens économistes d’Oxford et de Cambridge, en commençant, d’ailleurs par une longue phase dépressive. On peut le faire en reconstituant le produit intérieur brut d’une nation, accessible selon eux grâce aux données recueillies et agrégées par de nombreux dépouillements qui achèvent et portent à leur perfection les travaux de Thorold Rogers et de Beveridge11. L’inconvénient de la méthode est que l’on ne voit rien de ce qu’il y a à côté et qui pourrait avoir une valeur explicative. On fait comme si le produit intérieur brut était un objet astral que l’on peut observer parce que rien ne peut entraver son évolution : il a toujours existé et est toujours mesurable et est en lui-même un objet de science.
12Cela pose problème, parce que cette absence de contexte ou cette absence de la société autour de l’économie, signifie aussi l’absence d’auteurs ou d’acteurs de l’histoire qui, dans ses données les plus matérielles se ramène donc à un phénomène froidement inhumain, alors que, précisément, elle est, comme le disait Bloch, la science des hommes dans le temps.
13L’analyse des notions de source, de données, de faits et de séries, doit partir de ces constatations. La série et la donnée sont l’un et l’autre construits mais le fait scientifique est, dans la discipline historique, un phénomène que l’historien choisit de privilégier et qu’il met en avant un objet : elle ne devient donnée que parce qu’il est choisi à l’intérieur d’un ensemble. Le fait économique sera valorisé sans doute à cause de son caractère répétitif et non exceptionnel, par exemple le prix du blé au mois de juillet. Ou le montant du salaire versé le samedi aux ouvriers agricoles. Le fait se rattache au document où il a été « inventé » au sens où un archéologue invente un objet enfoui dans la terre parce qu’il le trouve (et qu’invenire signifie trouver, en latin). C’est dans le document-source que se trouve la donnée qui, en histoire et pas seulement en histoire économique, prend sens par rapport à la série d’événements ou de faits de même nature que l’on peut retrouver.
14L’histoire économique est un objet d’études privilégié, parce qu’elle s’attache à construire des indicateurs mesurables et parce qu’elle doit s’interroger sur des quantités et des valeurs qui appellent un traitement particulier. Elle cherche à décrire des structures, des conjonctures et des cycles dont elle met en regard les évolutions différenciées voire contradictoires selon les espaces et selon les moments. Elle ne peut cependant jamais faire abstraction d’un double contexte. Celui de la production des sources d’une part, celui de la société concernée par les processus de production, de consommation et d’échange étudiés, d’autre part.
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15Cette troisième partie comporte quatre textes écrits pour l’un d’entre eux en collaboration entre une historienne (Julie Claustre) et deux économistes (Camille Chaserant et Agnès Gramain). Les trois autres sont plus disciplinaires, l’un étant écrit en collaboration par deux économistes (Pierrick Dechaux et Robin Hege), le second par un historien médiéviste (Cédric Quertier) et le troisième par une moderniste et un médiéviste (Dominique Margairaz et Laurent Feller). Tous, d’une manière ou d’une autre, se sont interrogés sur les conditions de possibilité de la mise en série et ses finalités.
16Les premières s’interrogent sur la mesure de l’activité d’institutions judiciaires ou administratives, la description chiffrée des pratiques des acteurs et sur leur capacité à définir une norme de comportement. Trois pratiques différentes à l’intérieur de trois contextes sociaux et de trois systèmes institutionnels qui n’ont apparemment rien en commun. Le premier se situe dans le Paris du xve siècle et les deux autres dans la France contemporaine. Ces deux derniers, des juridictions spécialisées, abordent les questions de l’éthique professionnelle des avocats (CC) et celle des obligations alimentaires (AG). Les problèmes concrets traités par les institutions examinées sont à l’évidence très éloignés les uns des autres. Le tribunal du Châtelet du xve siècle, dont l’activité est variée et la compétence très étendue, traite aussi de la question de l’endettement et du crédit en enregistrant des grâces royales offrant ce que l’on appelle un répit aux débiteurs insolvables. Le Juge aux Affaires familiales français du xxie siècle traite pour sa part de questions ayant trait aux obligations des descendants envers les ascendants – encore une question de dette et de créance, mais d’un tout autre genre, la relation parents-enfants entraînant des obligations qui ont une traduction financière. La question est de comprendre quelles normes naissent de l’action des juges et quelle est la latitude d’action de ceux-ci face à la loi et à des procédures forcément contraignantes et limitant leurs possibilités d’action. Les trois auteures montrent que le traitement à apporter à leurs corpus pour répondre à la question passe par le recours à des méthodologies proches qui constatent les mêmes défauts et imperfections structurelles lesquelles aboutissent à appauvrir les données. Il faut savoir se contenter d’une information imparfaite et en tout cas non exhaustive, parce que les agents notent d’abord ce qu’il leur est utile de retenir. De ce fait, les protocoles de saisie sont hétérogènes et variables, parce qu’il ne s’agit pas de répondre aux mêmes questionnements. Homogénéiser les données est ici une nécessité afin de faire parler des sources.
17Le texte de Dominique Margairaz et Laurent Feller pose la question du changement de statut des documents lors de leur archivage et des manipulations auxquelles ils sont soumis afin d’être conservés. Classés, triés, ils sont aussi sélectionnés : on ne conserve pas tout et les archives sont d’abord le fruit d’un choix. De ce fait, la documentation accessible à l’historien est déjà une construction, en partie aléatoire, en partie pensée. Il y a des pertes accidentelles. Il y a aussi des décisions de garder ou ne pas garder tel ou tel objet écrit porteur de mémoire et de savoirs. De ce fait, la possibilité même de constituer des données chiffrées dépend de faits relevant de l’histoire institutionnelle et culturelle. Les acteurs retiennent nécessaires de passer par écrit et de garder mémoire de telle ou telle action, puis de conserver cette trace matérielle de ce qui a été fait ou dit et, pour cela, de prévoir des espaces de rangement, des procédures de tri et de classement qui permettent de remettre la main sur le document en cas de besoin, de le rendre physiquement présent parce que toujours accessible. Cela suppose naturellement la construction d’outils, listes et inventaires qui permettent de s’orienter dans les dépôts et de savoir ce qu’ils contiennent.
18Les processus de copie des documentations à l’intérieur des cartulaires médiévaux sont l’une des illustrations de ces processus de sélection opérés au moment où une institution ou un personnage décide d’écrire une histoire ou de choisir les matériaux qui permettent de le faire. Les fonds d’archives ne sont jamais constitués que des traces écrites conservées et non de toutes celles qui ont été produites. Les conditions mêmes de conservation d’un type documentaire, ici les privilèges économiques font que l’on n’a finalement accès qu’à des fragments d’énoncés, non à des ensembles.
19 Les relations économiques entre Pise et Florence (Cédric Quertier) offrent un bon exemple de ce que les destructions volontaires et, en l’occurrence ciblées ainsi que les évolutions ou les incertitudes des politiques économiques peuvent faire et des effets qu’elles peuvent produire sur nos informations. Reconstituer le trafic marchand des Florentins à Pise se heurte à des difficultés archivistiques anciennes et bien connues. Les Florentins, en mettant la main sur Pise en 1406, après un siège et de difficiles tractations de reddition, ont volontairement détruit tout ce qui aurait pu permettre à leur antique rivale de se relever12. Les archives de la commune et, en particulier ses archives politiques, ont donc été anéanties avec soin. En détruisant les archives de l’État pisan, les Florentins ôtaient l’instrument essentiel par lequel le gouvernement des choses aurait pu être repris en mains par une élite sociale elle aussi menacée dans son existence même.
20Il ne reste des registres de douane que des fragments et l’on n’a pas de renseignements directs sur les trafics. Il faut donc transformer des données fiscales incomplètes (le prélèvement opéré en douane) en informations sur des flux, tout en contrôlant à chaque instant la validité des multiples opérations alors effectuées. Les contrôles ne peuvent se faire que grâce à la mobilisation constante d’informations autres qu’économiques, concernant le contexte politique général de la Méditerranée occidentale au xive siècle. Ici, les séries sont évidemment construites, au prix d’un gros effort de reconstitution et de validation, parce que les sources ne fournissent pas immédiatement de données.
21L’article de Pierrick Dechaux et Robin Hège rapproche deux enquêtes distinctes, l’une portant sur une allocation spécifique pour les personnes âgées, l’autre sur les données psychologiques recueillies dans les enquêtes. L’un et l’autre se posent la question de l’utilisation des statistiques pour décrire et interpréter les choix individuels. Le fait que nombre d’ayants droit ne demandent pas l’APA trouve son explication dans la complexité du dossier à constituer : mais quelle information retirer d’une somme de choix individuels qui prenne un sens plus général ? Autrement dit, comme le suggère l’un des sous-titres, comment mesurer les décisions individuelles et les agréger pour décrire et comprendre des tendances et éclairer, éventuellement, des décisions ? C’est le sens des travaux menés aux États-Unis depuis les années 1940, afin d’analyser et de prévoir les comportements de consommation des ménages. Le comportement à l’égard de la demande d’APA, dans la mesure où il n’est pas marginal, est donc un cas de figure du problème plus général de l’analyse des comportements individuels, particulièrement bien documenté du fait de la précision des questionnaires qu’il faut remplir et qui rebutent. Le choix négatif final (ne pas constituer le dossier) comporte toute une série d’autres choix effectués en amont et dont la mise en série éclaire la rationalité.
Notes de bas de page
1 Voir les discussions du colloque de 2010 de l’Association française d’histoire économique : J.-C. Daumas (dir.), Faire de l’histoire économique aujourd’hui, Lyon, 2013.
2 Voir N. Coquery, F. Menant, F. Weber (dir.), Écrire, compter, mesurer. Vers une histoire des rationalités pratiques, Paris, 2006.
3 Cela va à l’encontre de la Vulgate entretenue par les historiens depuis les années 1930 et qui est encore assez couramment admise : R. De Roover, « Aux origines d’une technique intellectuelle : la formation et l’expansion de la comptabilité à partie double », Annales d’histoire économique et sociale, 9, 1937, p. 171-193 ; C. Herrenschmidt, Les trois écritures. Langue, nombre, code, Paris, Gallimard, 2007, p. 332-339.
4 K. Polanyi, La grande transformation, Paris, 1983 [éd. orig. The Great Transformation, New York, 1944].
5 R. Fossier, Enfance de l’Europe, Paris, 1982, p. 88.
6 J.-P. Devroey, « Les méthodes d’analyse démographique des polyptyques du haut Moyen Âge », Acta Historica Bruxelliensa, IV, Histoire et méthode, 1981, 71-88.
7 M. Bloch, « L’histoire des prix : quelques remarques critiques », Annales d’histoire sociale, 11, 1939, p. 141-151 [Mélanges historiques, Paris, 1963, t. 2, p. 878-889] ; J. Heffer, « Une histoire scientifique : la nouvelle histoire économique », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 32/4, 1977, p. 824-842 ; voir également A. Guerreau, « Raymond Aron et l’horreur des chiffres », Histoire et mesure, 1/1, 1986, p. 51-73.
8 C. de La Roncière, Prix et salaires à Florence au xive siècle, 1289-1380, Rome (Collection de l’École française de Rome, 59), 2015 [1982].
9 F. Furet, « Sur quelques problèmes posés par le développement de l’histoire quantitative », Social Science Information, 7/2, 1968,p. 71-82 ; Id., « Histoire quantitative et construction du faithistorique », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 26/1, 1971, p. 63-75.
10 S. Broadberry, B. M. S. Campbell, A. Klein, M. Overton,B. Van Leeuwen, « British Economic Growth : an Output-Based Approach », http://www.nuffield.ox.ac.uk/users/Broadberry/BritishGDPLongRun16a.pdf. Il est remarquable que le volume concernant l’histoire moderne de la New Cambridge Economic History ait été confié à S. Broadberry.
11 J. E. T. Rogers, A History of Agriculture and Prices in England, 1866-1902 ; W. Beveridge, Prices and Wages in England from the Twelfth to the Nineteenth Century, vol. 1, Price Tables : Mercantile Era, Londres, 1939 (réimpr. 1965) ; O. Dumoulin, « Aux originesde l’histoire des prix », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 34/2, 1990, p. 507-522.
12 S. Tognetti (dir.), Firenze e Pisa dopo il 1406. La creazione di un nuovo spazio regionale (Actes du colloque de septembre 2008), Florence, 2010.
Auteur
Lamop (UMR 8589 CNRS, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
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