Chapitre VI. Devenir sage-femme : entre soumission et autorité
p. 179-212
Texte intégral
1Une fois leur certificat en poche, les élèves sages-femmes quittent l’école pour devenir des praticiennes à part entière – mais, en tant que membres d’une profession médicale réglementée, elles restent sous la surveillance des autorités médicales durant toute leur vie professionnelle. Leur entrée dans la carrière est marquée par l’acquisition d’un sac de sage-femme, objet coûteux mais d’une grande importance à la fois concrète et symbolique, comme en témoignent aussi bien les archives que les souvenirs. Plusieurs des sages-femmes interviewées ont en effet mentionné d’elles-mêmes ce sac, avec un luxe de détails sur son contenu, sa forme et son prix. Les unes se rappellent l’avoir acheté « chez Kingsway1 » – chaîne britannique de pharmacies et de magasins généralistes –, les autres directement auprès des autorités médicales, qui font au passage un confortable profit sur cet article indispensable2. À l’occasion d’un entretien, Mrs. Busia a même pu produire le sien, miraculeusement retrouvé cinquante ans après sa dernière utilisation3, et dont l’ouverture, rendue difficile par la rouille des fermoirs, constitua un moment de suspense non dénué d’émotion. En dehors de l’uniforme déjà évoqué, la sage-femme se distingue donc par ce sac oblong, qui contient ses instruments : pince hémostatique, ciseaux, flacons de désinfectant4… Non seulement ces objets sont essentiels à sa pratique mais participent de son identité et de son identification, notamment en ce qu’ils la différencient des accoucheuses traditionnelles, dont le matériel spécifique, quand elles en disposent, est issu du répertoire local. D’ailleurs, au Soudan, dans l’entre-deux-guerres, on distinguait ainsi les accoucheuses des sages-femmes qualifiées : les premières étaient appelées « sages-femmes à la corde » en raison du mode d’accouchement (les femmes s’agrippaient à une corde suspendue) et les secondes, « sages-femmes au macintosh », puisqu’elles disposaient d’une toile cirée sur laquelle devaient s’allonger les parturientes5. C’est donc bien le matériel qui permettait de faire la différence entre les deux – distinction qui a perduré dans le temps, et qui existe ailleurs.
2Mais précisément, ces attributs et instruments qui désignent la sage-femme diplômée ne sont-ils pas susceptibles de faire d’elle une figure insolite, voire inquiétante ? Ils matérialisent son étrangeté, qui a des conséquences ambivalentes, suscitant à la fois attraction et répulsion. Une évolution chronologique est cependant perceptible : l’élément d’étrangeté s’estompe et en quelques décennies, les sages-femmes diplômées ont indéniablement su s’imposer. À la veille de l’indépendance, elles sont plusieurs centaines et sont devenues familières, en ville comme dans les villages – à l’exception des régions du Nord où elles demeurent rares.
3Ainsi, le pari des autorités médicales a été tenu, faisant de ce nouveau personnel féminin qualifié la cheville ouvrière de la réforme de la maternité. Rien de linéaire pourtant dans ce processus, plutôt chaotique. Comment les sages-femmes ont-elles réussi à devenir les instigatrices de nouvelles pratiques de la grossesse et de l’accouchement ? Comment, surtout, sont-elles devenues des personnages respectés, dont l’influence dépassait souvent les compétences professionnelles ? Comment enfin se sont-elles constituées – ou non – comme corps professionnel singulier, avec ses pratiques, son identité ?
4Il faut d’abord rappeler que le corps des sages-femmes diplômées est une création de l’administration coloniale, qui les contrôle et les surveille.
Réglementer, encadrer
5En 1931, année de la toute première promotion de sages-femmes diplômées, les autorités coloniales se dotent d’une arme réglementaire concernant leur statut ; et quelques mois plus tard, un second texte normalise leur pratique. Il s’agit de fixer un cadre strict à l’exercice de ce nouveau métier, d’en fixer les règles et usages, et d’en surveiller les praticiennes. Le premier document officiel, intitulé Midwives’ Ordinance (octobre 1931), définit qui est autorisé à se prévaloir du titre de « sage-femme ». Preuve de la circulation impériale des expériences et des législations, il s’inspire directement d’un texte publié précédemment en Ouganda, présenté comme modèle6. L’Ordonnance sur les sages-femmes de la Gold Coast indique que seules les praticiennes détentrices d’un diplôme local (ou d’un diplôme obtenu ailleurs mais reconnu localement) peuvent porter le titre de sage-femme qualifiée – et prévoit des peines en cas d’usage abusif de ce titre. Il institue également un organisme de contrôle, intitulé Midwives’ Board (Conseil des sages-femmes), composé de six personnes : le directeur des services sanitaires et médicaux, le directeur adjoint des services sanitaires, la directrice (ou le directeur) de la maternité, deux autres médecins nommés par le directeur, et une sage-femme, détentrice d’un certificat britannique. Ce Conseil a des compétences étendues sur toute la vie professionnelle d’une sage-femme. Il décide du contenu de la formation, des dates et modalités d’examen de fin d’études, de la délivrance des diplômes, de l’inscription sur une liste officielle des sages-femmes diplômées, de la définition des règles du métier, de l’inspection des sages-femmes et des sanctions contre les contrevenantes, qui peuvent aller jusqu’à la radiation définitive du corps des sages-femmes.
6Pour autant, l’ordonnance de 1931 n’interdit pas à d’autres personnes que les sages-femmes diplômées de porter assistance aux parturientes – une différence radicale avec le texte dont s’inspirait ouvertement l’ordonnance, puisqu’en Ouganda, les autorités avaient interdit à toute autre personne qu’une sage-femme qualifiée d’assister les femmes en couches. Il est infiniment probable que cette interdiction soit demeurée sans effet en Ouganda7 mais en Gold Coast, un réalisme préliminaire a prévalu parmi les législateurs :
This Ordinance is based upon the Uganda Midwives Ordinances which was regarded as a suitable model. There is, however, one fundamental difference in the scope of the Ordinance which should be mentioned here. It was considered impracticable to follow the Uganda precedent in generally restricting the practice of midwifery to properly qualified persons. There is not as yet so great a confidence in scientific methods of obstetrics as to warrant such a course and if there were such confidence there will not be for some time a sufficiently large number of properly trained midwives to meet the public needs8.
7L’ordonnance de la Gold Coast tranche donc sur celle de l’Ouganda par son sens des réalités locales : plutôt que de projeter l’irréalisable, elle se veut modeste et se contente de restreindre, sans l’interdire, l’exercice des accoucheuses. Celles-ci sont cependant encouragées à se faire connaître des autorités sanitaires afin de se faire inscrire sur une liste, dite « Registre des sages-femmes non qualifiées » (Roll of Unqualified Midwives). Cette inscription est censée obéir à des règles : avoir pratiqué l’obstétrique depuis au moins deux ans et faire preuve de « bonne conduite » générale. L’enjeu, à court et moyen terme, est donc non pas de supprimer les redoutées « matrones » mais de les identifier et de les enregistrer, en vue d’un contrôle ultérieur dont les modalités ne sont pas spécifiées9.
8La retranscription d’une partie des débats au Conseil législatif montre que la question des accoucheuses intéressait de très près les chefs et certains élus africains. Tout d’abord, dans une lettre adressée au gouverneur en septembre 1931, le chef de la province de Western Nzima (sud-ouest de la colonie), qui appartient à l’élite lettrée et n’hésite pas à invoquer Milton en signe d’érudition, évoque la mortalité infantile comme un fléau à éradiquer en priorité10. Selon lui, le projet d’ordonnance est trop timoré : à ses yeux, il conviendrait d’obliger (et non de simplement encourager) les accoucheuses à se faire enregistrer. Pour ce faire, elles devraient, au lieu de s’adresser directement aux services sanitaires, passer par le chef de leur circonscription, seul habilité à dire si elles sont dignes de confiance. Si cette lettre témoigne donc de l’intérêt porté à la lutte contre la mortalité infantile, il s’agit donc aussi à l’évidence d’accorder un pouvoir supplémentaire aux chefs. Mais étonnamment, lors du débat préalable au vote de l’Ordonnance, le même chef s’associe à Frederick Nanka-Bruce, qui a pris une position rigoureusement inverse : tout en se félicitant de l’existence de ce texte, il s’inquiète des résistances qu’il pourrait susciter et recommande au contraire un assouplissement de ses dispositions, plaidant pour la prudence.
9En réalité, comme le souligne d’ailleurs le directeur des services médicaux, l’Ordonnance est très prudente à la fois temporellement et géographiquement. Temporellement car, à part l’article portant sur la création du Midwives’ Board, elle n’est censée entrer en vigueur qu’à une date non précisée, lorsque l’exécutif l’aura décidé ; et géographiquement parce qu’il est prévu qu’elle ne s’applique qu’à certaines zones, en l’occurrence Accra, Sekondi, Cape Coast et Koforidua – une ordonnance similaire pour l’Ashanti sera cependant publiée quelques mois plus tard. C’est donc dans les villes les plus développées de la Gold Coast que l’Ordonnance est vouée à réguler la pratique des sages-femmes, ces mêmes villes qui sont dotées de centres de PMI ou d’équipes de la Gold Coast League for Maternal and Child Welfare. Le texte stipule que sa zone d’application sera amenée à s’étendre avec le temps, à l’initiative du gouvernement. Et de fait, les premières sages-femmes ne pratiquent que dans ces régions, mais dès les années 1940, elles commencent à gagner toute la moitié sud du pays.
10Quant au registre des sages-femmes non qualifiées, dont avaient débattu les membres du Conseil législatif, les archives n’en ont conservé aucune trace ultérieure : cette liste, bien que prévue par le texte réglementaire, n’est jamais évoquée, sinon pour dire, en 1951, que le Midwives Board en décide la fermeture11. Certes, une source officielle évoque les accoucheuses de Cape Coast, qui, en 1931, seraient une vingtaine. Ce chiffre, au demeurant considérable au regard de l’unique sage-femme fonctionnaire alors prévue par les autorités, est peut-être tiré de la liste prévue12. Mais si l’on ne trouve aucune autre trace ou mention d’une inscription des accoucheuses, c’est qu’à l’évidence, les autorités ont concentré leurs efforts sur la surveillance des sages-femmes diplômées et ont de facto abandonné toute velléité de contrôle (ou de formation) des femmes non diplômées. Ces dernières ont donc coexisté durant toute la période coloniale (et au-delà) avec les sages-femmes certifiées, sans être inquiétées, ni même approchées, par les services médicaux. Elles conservent cependant un rapport prudent, voire méfiant, à l’égard des autorités. Qu’elle ait eu vent du projet de constituer une liste ou qu’elle ait craint de se trouver sous le coup de la législation anti-sorcellerie (voir chapitre suivant), l’une des accoucheuses interviewées exprime la crainte d’une consœur à faire des accouchements sans certificat :
When anybody was in labour they would just fall on her. She said “You know I don’t have any paper permitting me to do it. So go to the Hospital so I wouldn’t have problem with”13…
11Le monde des accoucheuses est donc un monde parallèle, qui perdure, en dehors du regard des autorités, malgré leur désir initial de tenir un registre des accoucheuses pour les contrôler – la conséquence étant que les sources écrites n’ont pas conservé de trace de ces accoucheuses ni de leur façon d’évoluer dans le temps.
12En revanche, les sages-femmes diplômées sont strictement encadrées. Quelques mois après la publication de l’Ordonnance des sages-femmes, sort un nouveau texte réglementaire, intitulé Midwives’ Rules (Règlement des sages-femmes)14. Il contient des règles d’une grande précision concernant :
- les examens débouchant sur l’obtention du diplôme (dix-huit sujets en tout sont évoqués, allant de la physiologie de la grossesse à l’asepsie et l’antisepsie, en passant par les techniques à utiliser pour les nouveau-nés en situation de détresse, le traitement des hémorragies et la tenue des registres) ;
- le statut de la sage-femme (laquelle doit s’effacer le cas échéant devant le médecin), le vêtement et l’hygiène de la sage-femme (jusque dans les détails de la longueur des manches) ;
- le matériel de la sage-femme (de la brosse à ongles aux produits antiseptiques, en passant par le sac, divers instruments et tissus lavables) ;
- la tenue d’un registre de naissance (comprenant des détails sur l’amont et l’aval de la naissance ; registre à produire en cas d’inspection) ;
- ses devoirs envers la parturiente (les gestes obligatoires et ceux auxquels elle n’a pas droit) ;
- ses devoirs envers l’enfant (idem) ;
- les affections de la mère ou de l’enfant auxquelles la sage-femme doit être particulièrement attentive.
13Rien n’est donc laissé au hasard : le Règlement de 1932 fait de la profession de sage-femme en Gold Coast un métier parfaitement défini, tout autant qu’en métropole à la même époque. D’ailleurs, les autorités tentent même, en vain, d’en faire un diplôme équivalent à celui décerné en métropole et reconnu au Royaume-Uni.
À l’égale des Britanniques ?
14Cette volonté d’uniformiser les diplômes révèle le sérieux avec lequel les études de sage-femme sont conçues en Gold Coast. Loin d’être une formation au rabais sous prétexte de contexte colonial, elle est conçue comme au moins égale (voire supérieure, en matière de spécialisation en obstétrique) à la formation équivalente en Grande-Bretagne. De sorte qu’en 1929, le gouverneur demande au ministre des Colonies d’œuvrer pour une reconnaissance officielle du Board of Midwives local par son équivalent britannique. Selon lui, le niveau d’études est suffisant pour obtenir une telle reconnaissance, laquelle augmenterait encore le prestige – et donc l’influence – des sages-femmes ayant obtenu leur diplôme en Gold Coast15. Mais il essuie un refus catégorique du Central Midwives’ Board britannique, dont le secrétariat explique qu’il n’a pas vocation à superviser ni à reconnaître ses homologues aux colonies, totalement indépendants16. Pourtant, une note d’un fonctionnaire du Colonial Office, résumant l’affaire à la fin du dossier, laisse à voir une autre raison, bien moins administrative et beaucoup plus idéologique :
This is a curious example the Gold Coast mentality. There is no reason why they should not have their own regulations, and the idea that if women trained in the Gold Coast could only get recognition by the Central Midwives’Board would help is rather curious. Nobody could possibly expect the Central Midwives’ Board to recognise black ladies trained in Accra, however efficient their training might be. Is it just on a par with Sir Gordon Guggisberg’s idea that his proposed Medical School in the Gold Coast must be in a position to grant qualifications which would be accepted by the General Medical Council as suitable for registration in this country17.
15Cette note se conclut ensuite sur un argument bien connu : l’égalité n’est pas encore de mise, elle adviendra dans un futur aussi lointain qu’imprécis – antienne coloniale s’il en est… Les véritables raisons qui s’opposent à l’uniformisation des diplômes en métropole et aux colonies sont donc très claires : l’évocation des « dames noires formées à Accra », qui ne sauraient être reconnues en Grande-Bretagne – sans aucune justification à l’appui –, montre bien que l’enjeu relève de la « politique des races », déjà bien analysée pour les médecins de sexe masculin en contexte colonial18. Mettre sur un pied d’égalité une femme colonisée et une Britannique paraît inconcevable en Grande-Bretagne en 1929. Si la proposition du gouverneur est vue comme caractéristique d’une « mentalité de la Gold Coast », c’est que les quelques efforts locaux visant à placer sur le même plan les Britanniques et certaines catégories de colonisé·e·s sont perçus à Londres au mieux comme une étrange lubie, au pire comme une dangereuse manie. La « mentalité de la Gold Coast », expression réductrice désignant la politique du gouverneur Guggisberg, est donc fustigée à cause de son égalitarisme excessif, puisqu’elle contrevient au système racial de l’époque : quelles sont au juste ces tentatives, ainsi stigmatisées par un fonctionnaire du Colonial Office ?
16L’une d’entre elles a déjà été évoquée au chapitre 3 : la création de la Gold Coast League for Maternal and Child Welfare, dont l’un des objectifs était « d’abaisser les barrières raciales ». Mais il y avait eu des précédents : un événement antérieur avait à la fois révélé le racisme de la communauté blanche sur place et son désaveu par le gouverneur Guggisberg, entré en lice dans « l’affaire Tagoe », du nom d’un médecin africain du service public19. En 1926, des résidents européens de la ville de Dunkwa avaient écrit au gouverneur pour protester contre l’obligation de consulter, en cas de maladie, un praticien noir – le seul médecin fonctionnaire alors en poste. La réponse de Guggisberg est restée célèbre dans les annales de la Gold Coast pour sa prise de position très nette en faveur du Dr Tagoe et sa condamnation de l’attitude des Européens, qualifiée de « lamentable20 ». Enfin, en mentionnant le projet d’école de médecine du gouverneur Guggisberg, le document cité ci-dessus fait référence à un autre épisode : un projet qu’avait eu le gouverneur d’implanter en Gold Coast une institution capable de former des médecins venus de toute l’Afrique de l’Ouest mais dont le niveau serait équivalent aux diplômes délivrés par les universités britanniques (contrairement à ce qui se passait par exemple à Dakar, où n’étaient formés que des médecins-assistants). Le projet, à la fois très ambitieux et beaucoup trop progressiste pour l’époque, était resté lettre morte, faute du soutien de Londres.
17Ainsi, la Gold Coast des années 1920 apparaît comme une relative exception, se singularisant dans l’ensemble impérial par une politique progressiste tendant, du moins sur le plan des principes, vers une moins grande inégalité raciale21. La proposition d’égalité entre les sages-femmes de la Gold Coast et leurs consœurs britanniques n’était qu’un exemple de cet avant-gardisme, considéré à Londres comme mal venu. Devant le refus de Londres, les sages-femmes formées à Accra n’obtiennent donc pas l’équivalence de leur diplôme avec la métropole, où elles ne sont par conséquent pas reconnues comme professionnelles à part entière lorsqu’elles s’y rendent. Détentrices d’un diplôme local, c’est localement qu’elles sont homologuées et sont enregistrées, dans une liste officielle intitulée « Registre des sages-femmes qualifiées ».
Le Roll of Midwives
18Parmi les mesures évoquées à la fois par l’Ordonnance de 1931 et par le Règlement de 1932, figure en bonne place le Roll of Midwives, document administratif révisé annuellement (et plus ou moins scrupuleusement)22, comprenant le nom de toutes celles qui sont officiellement reconnues comme sages-femmes diplômées, et donc habilitées à pratiquer l’obstétrique sous le titre de sage-femme. Tout comme l’examen de fin d’études, l’inscription sur ce registre et son renouvellement sont payants (avec respectivement 5, 19 et 10 shillings à verser en 1936)23.
19Chaque sage-femme inscrite sur cette liste est dotée définitivement d’un numéro figurant dans la colonne de gauche, qui est le numéro de la licence (Certificate) l’autorisant à exercer sur place – à distinguer du diplôme lui-même, qui doit être produit pour obtenir cette autorisation. Sauf pour la première année, le Roll of Midwives comporte donc un nombre de noms inférieur au nombre de licences délivrées. Ainsi, pour l’année 1942, la dernière licence délivrée porte le chiffre 154 mais dans le Registre, on ne trouve pour cette année-là que cent-trente-trois noms : la différence s’explique soit par des départs (des licenciées ayant quitté la colonie), soit par des décès, soit encore par des radiations de ce Registre. Publiée tous les ans dans la Gazette (le journal officiel de la Gold Coast), cette liste évolue avec le temps, à la fois quantitativement et qualitativement, avec des rubriques changeantes, qui fournissent plus ou moins de détails intéressants pour l’historien·ne.
20Quantitativement, on passe d’une quarantaine de sages-femmes exerçant en 1931 à près de six-cents à la veille de l’indépendance (le nombre de licences délivrées est alors de plus de sept-cents) – toutes origines confondues24. La croissance est donc très visible, malgré un caractère discontinu, avec des phases d’augmentation plus ou moins marquée, surtout nettes dans les années 1950. Ceci s’explique essentiellement par le nombre de sages-femmes africaines diplômées, qui commencent à être nombreuses chaque année, depuis l’ouverture de l’école de Kumasi, doublant celle d’Accra. Au total, on constate que par rapport à d’autres colonies voisines, la Gold Coast se retrouve, assez précocement, plutôt bien dotée en sages-femmes25.
21La façon dont est tenu le registre à partir de 1934 permet de distinguer aisément l’origine des sages-femmes, et de noter que si les effectifs croissent, c’est à la fois grâce aux arrivées de Grande-Bretagne, dont le nombre ne cesse de grandir ; et aux sages-femmes formées sur place, également de plus en plus nombreuses. Les Africaines ne se substituent donc pas immédiatement aux Européennes : elles ne font que s’y ajouter. Les Blanches, qui dominent numériquement dans les premières années, passent sous la barre des 50 % dès 1937, pour ne plus représenter que 40 % environ en 1943. Ce n’est qu’à la fin de la période coloniale que les sages-femmes africaines dominent vraiment numériquement, représentant environ 80 % de la profession.
Un métier, différents statuts
22En réalité, la véritable différence entre sages-femmes européennes et sages-femmes africaines tient moins à leur proportion qu’à leur statut. En effet, contrairement au système en vigueur en AOF, où il n’existe que des sages-femmes de la fonction publique26, la Gold Coast connaît trois puis quatre catégories de sages-femmes :
- Les sages-femmes fonctionnaires : cette catégorie est composée à la fois d’Européennes et d’Africaines, la proportion de ces dernières augmentant avec le temps et le nombre de diplômées. La principale différence entre Blanches et Noires est salariale, les Africaines étant nettement moins bien payées puisqu’elles émargent au service public africain (African Personnel), distinct du service public européen (European Personnel).
- Les sages-femmes « libérales » : elles constituent la grande nouveauté des années 1930. Encouragées par les autorités à ouvrir (sous contrôle) leur propre maison d’accouchement (Maternity clinic), les sages-femmes africaines diplômées de la maternité d’Accra (puis également de Kumasi après 1949) sont censées essaimer dans toute la colonie mais restent largement cantonnées à Accra et aux principales villes du Sud, au moins jusqu’au milieu des années 1940.
- Les sages-femmes missionnaires : employées par diverses missions chrétiennes, elles sont généralement européennes, mais on compte quelques Africaines à partir des années 1940. Les sages-femmes missionnaires ne sont jamais très nombreuses, bien que leur nombre augmente jusqu’à l’indépendance. Comme les autres, elles doivent disposer d’un certificat leur permettant d’exercer, et d’autorisations des services médicaux pour ouvrir un établissement spécialisé.
- Les sages-femmes des Autorités locales : il s’agit là d’une forme de fonctionnariat territorial. En effet, les Local Authorities (connues jusque dans les années 1940 sous le nom de Native Authorities) sont des instances créées, y compris en milieu rural, par les autorités coloniales, et disposant d’une certaine autonomie financière et politique, mais sous contrôle du gouvernement. Ces instances, qui ont la main sur une partie des affaires sanitaires et médicales, sont habilitées à recruter du personnel paramédical : elles emploient donc des sages-femmes à partir des années 1940. Les Autorités locales sont responsables de la construction et de l’entretien des maternités, du logement et du salaire des sages-femmes, et enfin des tarifs pratiqués dans leur établissement27.
23Deux clichés montrent des sages-femmes de catégories différentes : l’une entourée de ses collègues et supérieurs hospitaliers, l’autre employée par une Local Authority. Tandis que la première est en uniforme, la seconde porte un casque colonial, signe à la fois de son appartenance au monde colonial et de ses fréquents déplacements.
24Avant les années 1950, il est hélas impossible de connaître la proportion respective des fonctionnaires et des sages-femmes libérales, faute de document les distinguant ; en outre, le passage de l’un à l’autre statut reste constamment possible. Cependant, à partir de 195330, le Roll of Midwives fait la distinction entre sages-femmes fonctionnaires et sages-femmes libérales – avec d’ailleurs une relative imprécision de ce dernier terme, sous lequel sont en fait regroupées les trois catégories qui ne sont pas fonctionnaires. Les archives restant muettes sur les raisons qui poussaient les sages-femmes à opter pour tel ou tel type de carrière, les interviews ont constitué une source complémentaire indispensable.
Fonction publique ou pratique libérale : les raisons d’un choix
25Dans les années 1950, le groupe des fonctionnaires est constitué à la fois de Britanniques et d’Africaines, tandis que les « libérales » ne sont que des Africaines. Sur la trentaine de sages-femmes ghanéennes interrogées (représentant environ 5 % des sages-femmes en activité lors de l’indépendance), la carrière libérale avait largement eu leur préférence, la plupart des informatrices ayant opté pour le travail à leur compte (souvent après quelques années au service du gouvernement). Seules Rhoda Buckle (d’ailleurs plutôt infirmière que sage-femme), Cynthia Blavo, Henrietta Owusu et Juliana Clegg ont fait toute leur carrière dans le service public. Mais il ne faudrait pas en conclure que toutes les sages-femmes africaines ont boudé le service public, car les sources administratives montrent qu’il est resté relativement attractif pour elles, sur l’ensemble de la période, même s’il est plus massivement investi par les Européennes.
26Cette relative prédilection des sages-femmes africaines pour la carrière libérale s’explique par plusieurs raisons, invoquées lors des entretiens. D’une part, elle correspond à une politique assumée par les autorités médicales, dont le but était littéralement de répandre les sages-femmes qualifiées dans la colonie mais à moindres frais. Cette volonté de faire des économies tout en distribuant géographiquement les professionnelles de l’obstétrique prend la forme de subventions (5 puis 3 £ mensuelles par sage-femme dans les années 1930). Ce système était d’ailleurs prévu pour être temporaire : il s’agissait d’aider financièrement les professionnelles jusqu’à ce que leur pratique soit suffisamment rémunératrice. En 1945, les autorités estiment qu’en ville, les sages-femmes ont atteint cette autonomie et la subvention leur est retirée, pour n’être plus attribuée qu’à leurs consœurs des petites localités et de la campagne31. Dans tous les cas, ces subventions cumulées grevaient moins le budget public que des salaires.
27Par ailleurs, ce système semble bien convenir aux nouvelles diplômées car le sort des fonctionnaires, mutées d’un bout à l’autre du pays, ne paraît ni très enviable ni compatible avec la vie conjugale ou familiale. Si Juliana Clegg a opté pour le service public, c’est notamment parce qu’elle n’avait aucune intention de se marier et n’a pas eu d’enfant, ce qui fait d’elle une exception32. À l’inverse, Rhoda Buckle reste amère à l’égard d’un principe d’affectations qui ignore le rapprochement de conjoints :
Our masters, colonial masters, they did very hard… You are not to go with your husband. Where your husband is, you are not to be there. Who are you who will tell the Matron or the Principal Sister “My husband is at Nsawam, so transfer me to go and join him!” Who are you? Eh?! […] In our time, if you stay long in a station, it’s four years. Four years, your husband is at Accra; you are at Nsawam; you are at Koforidua. You don’t stay close to your husband. You don’t stay close to your husband. We had a tough time. Only few nurses were lucky to have their husband by their side33.
28Outre les aléas familiaux dus aux affectations, il ne faut pas oublier que le déséquilibre de la colonie rend certains territoires particulièrement répulsifs : la quasi-totalité des sages-femmes, originaires du Sud, répugnent à aller s’installer dans les Territoires du Nord, l’Ashanti constituant pour elles la limite septentrionale des régions fréquentables. Comme le déplorait le rapport de la Maude Commission en 1952 dans son chapitre consacré aux sages-femmes :
We have heard from all sides the difficulty of persuading people in the Colony and Ashanti to take up work in the Northern Territories. Representatives of the officers of the Medical Department in Tamale complained to us bitterly of the disadvantages of having to work in this region—unknown languages, strange people, disagreeable food, expenses of journey home and so forth34.
29C’est enfin un désir d’autonomie qui pousse parfois les sages-femmes à ouvrir leur propre maternité plutôt qu’à poursuivre une carrière dans le service public. Le fait de pouvoir choisir leur lieu d’exercice (pour lequel elles doivent néanmoins obtenir l’aval des autorités médicales) ou encore de pouvoir combiner vie domestique et vie professionnelle dans un même lieu leur paraît très attractif. En effet, dans la plupart des cas, la maison d’accouchement jouxte immédiatement la résidence de la sage-femme, voire se confond avec elle. Dans un contexte africain où les aides à domicile sont quasi universelles, a fortiori dans des familles privilégiées, elles n’ont pas de mal à confier leurs propres enfants durant leurs horaires de consultation ou lorsqu’arrive une patiente pour un accouchement. Pour elles, cette souplesse l’emporte sur les avantages, pourtant soulignés par les quelques fonctionnaires interrogées, consistant à connaître à l’avance ses horaires ou à ne pas être dérangée à toute heure du jour ou de la nuit pour un accouchement35.
30Pourtant, il n’a pas été toujours facile pour les sages-femmes en libérale de concilier leur profession avec leur vie familiale : si Comfort Brenya a pu compter sur le soutien de son mari, entrepreneur en bâtiment, pour construire sa clinique, plusieurs autres ont évoqué des conflits conjugaux relatifs à leur pratique. Edith Mate a préféré se séparer de son époux plutôt que de renoncer à sa profession, ce qu’il lui demandait instamment ; quant à Ellen Ablorh, elle affirme que « même s’il lui avait demandé d’arrêter, elle ne l’aurait pas fait ! » Remarquons que le choix d’une carrière libérale correspond cependant bien aux nouvelles normes de la mère au foyer : comme les femmes ashanti interrogées par Allman et Tashjian qui ont opté pour la couture, elles pouvaient ainsi pratiquer une activité rémunératrice sans déroger à l’idéal domestique et maternel, promu par les missions et par l’idéologie coloniale36.
Sages-femmes des villes et des champs
31Dans les années 1930, la quasi-totalité des sages-femmes diplômées travaillent en ville – à l’exception de certaines employées des missions chrétiennes. Elles sont nombreuses, surtout à Accra, à y ouvrir leur propre établissement, de sorte que les Maternity Clinics font bientôt partie intégrante du paysage urbain. À leurs débuts, il s’agit de structures souvent modestes : comprenant en principe une salle de deux à trois lits pour les accouchées, une salle de travail et un lieu de consultation pré et postnatale, elles ne sont pas toujours indépendantes du domicile de la sage-femme. Ainsi, Clara Quarcoo, installée dans le quartier populaire de Jamestown, se rappelle-t-elle que son mari devait traverser sa maternité en rentrant chez lui… Mais certaines sages-femmes ont fait bâtir de véritables maternités, qui ne servent pas uniquement de maison d’accouchement ou de lieu de consultation : c’est aussi là que les élèves sages-femmes de la maternité d’Accra font leurs stages pratiques, destinés à les familiariser avec les accouchements eutociques (ou « normaux »), rares en milieu hospitalier. La clinique d’Elfrida Marbell37, à Accra, a notamment été mentionnée par de nombreuses sages-femmes, dont Docia Kisseih qui évoque une « grande maternité très prospère38 ».
32Cependant, l’équation sage-femme = citadine n’a qu’un temps. Dès les années 1940, on voit apparaître des sages-femmes en milieu rural, tendance qui s’affirme dans la décennie suivante. Ces sages-femmes « de village » sont dotées d’un nouveau statut : celui de sage-femme employée par une Autorité locale. Les archives témoignent en effet d’un véritable enthousiasme en milieu rural pour les sages-femmes – du moins dans le Sud du pays, le Nord restant longtemps à l’écart de cette tendance39. On ne compte plus les courriers émanant de ces Autorités et expédiées au Département médical pour obtenir qui une sage-femme, qui la formation d’une future sage-femme, qui encore une subvention visant à équiper une nouvelle maternité. En une décennie à peine, les nouvelles diplômées sont donc très recherchées, même « en brousse » : disposer d’une sage-femme certifiée devient un objectif dans maintes bourgades, prêtes à consentir des sacrifices financiers ou matériels pour attirer ces spécialistes de la grossesse et de l’accouchement. La lettre rédigée par un commissaire de district situé au sud-ouest de Kumasi en 1944 n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres :
The Wiawso State are anxious to have a midwife and since they know it is difficult to obtain one at present, they have selected a lady for whose training they are prepared to pay40.
33Et en effet, la plupart des nouvelles diplômées, formées à Accra, souhaitent s’installer en ville, comme le signale le chef d’Akyem Abuakwa en 1947 :
The Native Authority in Akim Abuakwa is in need of midwives. As you are aware, the midwives in Accra and other urban areas are not desirous to establish in the rural districts and we should endeavour to encourage those girls who are keen, to undertake midwifery41.
34Dans ce contexte de pénurie de volontaires pour une installation « en brousse », soulignée par maints documents42, le pré-recrutement apparaît comme le seul moyen de s’assurer la fidélité d’une future diplômée. Plusieurs administrations locales font même signer des engagements à de futures élèves sages-femmes dont elles promettent de financer la formation : en échange d’une allocation d’études de 2 £ mensuelles, une certaine Juliana Darkwah s’est ainsi engagée en 1947 à servir l’État d’Agona durant quatre ans à la sortie de l’école de sages-femmes43. Les Autorités locales des Territoires du Nord financent les études de sages-femmes à la nouvelle maternité de Kumasi au début des années 1950 : c’est ainsi que Fisata Kabachi a pu y être formée comme sage-femme et elle mentionne plusieurs cas similaires44. Il arrive que la pénurie de candidates soit telle que les administrations locales cherchent à obtenir des passe-droits ou des exceptions. Ainsi la bourgade d’Enchi demande-t-elle aux services médicaux d’autoriser l’une de ses ressortissantes à retenter l’examen d’entrée. Le refus des services médicaux, motivé par le fait qu’elle a déjà raté deux fois cet examen, montre l’inadéquation entre la formation scolaire des jeunes filles rurales et le niveau requis pour devenir élève sage-femme : la candidate parlait à peine l’anglais, comme la plupart des bush girls, précise l’auteur de la réponse45. Cette expression, qui n’est pas neutre, manifeste certes les préjugés des autorités à l’égard des populations rurales ; mais elle rappelle également le fossé qui demeure entre écoles rurales et écoles urbaines, seules les villes étant notamment dotées d’établissements secondaires.
35Les années 1940 représentent donc une période charnière dans les campagnes : l’engouement pour la modernisation de la maternité, incarnée par la sage-femme et matérialisée par une clinique, y est patent. Les Autorités locales les mieux intégrées au système de l’Indirect Rule en font un gage de leur aspiration au progrès. Mais les réalités sociologiques de la Colonie contrarient parfois cette ambition : les jeunes femmes rurales sont trop rares à avoir bénéficié d’une scolarisation digne de ce nom. Or, les autorités médicales se refusent à un système à deux vitesses qui consisterait à poster dans les villages des sages-femmes formées au rabais, solution pourtant suggérée à demi-mot par certaines Autorités locales. Le résultat est que durant les années 1940, il n’est pas rare que les Autorités locales voient déçu leur souhait de recruter une sage-femme.
36L’un des palliatifs mis en place consiste à établir des « cliniques mobiles », qui se développement justement dans la même décennie (voir chapitre 3) et doivent permettre de pallier le sous-encadrement obstétrique des campagnes. La sage-femme ne pouvant guère assister aux accouchements (tant il est rare que la visite coïncide avec le moment crucial), elle se concentre sur les visites prénatales, repère les risques de complication et encourage éventuellement les femmes enceintes à se rapprocher d’un hôpital au moment du terme. Le succès de ces sages-femmes en milieu rural est cependant mitigé : il arrive qu’elles se trouvent au chômage technique, faute de patientes. L’abondance des témoignages écrits de sages-femmes des années 1940 déplorant le manque de visites atteste un décalage manifeste entre les Autorités locales, souvent pressées d’obtenir les services d’une sage-femme, et les populations, qui les boudent46. Florence Ntim-Adu racontait ainsi avoir été soutenue, à son arrivée à Dodowa, « par les chefs, mais pas par les gens ». Mais cet évitement, imputé alternativement à l’ignorance des villageois·es, à la « concurrence » des cliniques mobiles ou encore aux tarifs trop élevés des sages-femmes, marque le pas dans les années 1950. Il faut dire que le « travail de propagande » s’est alors doublé d’efforts financiers consentis par certaines Autorités locales : ainsi, en Akyem Abuakwa, une subvention mensuelle de 5 £ est accordée en 1944 à la sage-femme de Kyebi, à condition qu’elle divise ses tarifs par deux, mesure destinée à encourager les femmes à se rendre à la maternité47.
37Dans les années 1950, les sages-femmes rurales finissent donc par être nombreuses, du moins dans les zones méridionales. Ainsi, en 1955, pour la seule région d’Ashanti (à l’exclusion de la ville de Kumasi, qui en compte vingt) on n’en trouve pas moins de vingt-cinq : quatorze employées par des Autorités locales, et onze installées en libérale48. Dans la région Est, ce sont vingt-neuf cliniques rurales – dont certaines en cours de construction – qui sont listées en 195649. L’État d’Akwapim (région Est) à lui seul en emploie au moins cinq dès 195450. Si la proportion de sages-femmes urbaines demeure forte, on ne peut plus dire, à la veille de l’indépendance, que les campagnes soient dépourvues de professionnelles de la naissance. Il s’agit là de zones rurales en pleine évolution, entrées dans l’économie du cacao et souvent constellées de bourgades d’une certaine importance, qui servent de centre à partie duquel rayonnent les praticiennes, grâce aux cliniques mobiles.
38Bien que les conditions d’exercice de leur métier puissent varier selon les lieux, les sages-femmes ont toutes un point commun : elles restent durant toute leur carrière – ce qui n’a rien d’original – sous l’étroite surveillance des autorités médicales, en l’occurrence du Board of Midwives.
Des professionnelles sous surveillance
39Cette surveillance diffère selon qu’elle s’applique aux sages-femmes installées en clinique (privée ou territoriale) ou aux fonctionnaires. Ces dernières travaillent en permanence sous l’œil des médecins hospitaliers qui sont leurs supérieurs hiérarchiques. En cas de manquements à leurs obligations, elles encourent tout d’abord des sanctions financières. Ainsi une diplômée de1934 voit-elle sont avancement suspendu en 1942 pour « négligence au travail51 » – incident qui ne se reproduira jamais jusqu’à sa retraite en 1959. Dans des cas plus graves, les sages-femmes hospitalières risquent un blâme52 ou même un renvoi : Clara Quarcoo, l’une des sages-femmes qui a le plus longuement pratiqué à son compte à Jamestown (Accra), s’était fait renvoyer en 1934 par le Dr Lawlor, qui la jugeait inefficace, indolente et peu fiable53 – ce qui pourrait expliquer les termes peu amènes employés des décennies plus tard par l’intéressée à l’égard de son ancienne supérieure hiérarchique54. De même, en 1942, la doctoresse du centre de PMI de Kumasi rédige un rapport sévère sur les capacités professionnelles de Hephzibah Quartey, qui amène le directeur adjoint des services sanitaires à conclure : « Je propose qu’elle soit rayée du service », décision néanmoins assortie de droits à la retraite et du droit de pratiquer en libérale55.
40Ainsi, il apparaît que seules les meilleures des sages-femmes – du moins selon les critères de leurs supérieurs hiérarchiques, aussi attentifs à leur attitude qu’à leur pratique – sont autorisées à demeurer dans le service public. On relève cependant des exceptions, comme Sara Thompson56, constamment réprimandée pour diverses fautes mais qui reste en poste de… 1931 à 1959 ! Mais la plupart de celles qui ne donnent pas satisfaction dans le service public sont priées de choisir la carrière libérale (ou encore le service local).
41Pour autant, leur marge de manœuvre n’est pas totale : pour s’installer en libérale, il faut demander une autorisation et aucune clinique privée ne peut ouvrir sans avoir été préalablement inspectée57. Par la suite, les sages-femmes restent sous une surveillance qui, pour n’être pas constante, n’en demeure pas moins étroite. Le principal mode de contrôle des sages-femmes en libérale ou employées des Autorités locales est la visite d’une Health Sister (infirmière en santé publique, elle-même fonctionnaire), qui inspecte les locaux, leurs alentours, le sac de la sage-femme, son matériel, sa tenue et ses registres. Elle rédige ensuite un rapport, parfois assorti de recommandations. Les autorités médicales assument et réitèrent une politique de visite-surprise. L’arrivée d’une inspectrice doit être imprévue : d’après le Département médical, c’est là le seul moyen d’être efficace, et tout le bénéfice de ces tournées serait perdu si les sages-femmes étaient prévenues à l’avance58. Celles-ci s’en souviennent d’ailleurs fort bien, puisqu’elles ont souligné dans les entretiens que ces visites se faisaient toujours à l’improviste59.
42Les rapports de visite donnent une idée des ambitions officielles quant à l’exercice de la profession de sage-femme. Premier point crucial, la sage-femme se doit d’être présente sur son lieu de travail ou à tout le moins localisable – en cas d’absence, celle-ci doit être justifiée pour raisons professionnelles (tournée, visite à domicile… )60. Mais les principales exigences tiennent à l’hygiène générale des locaux, avec une attention particulière portée à la propreté du matériel, médical ou non. Comme le matériel du sac de sage-femme, celui des cliniques est réglementé et les exigences en la matière s’accroissent avec les années. Si les premières cliniques privées étaient bien modestement fournies, à la veille de l’indépendance, les listes de fournitures obligatoires sont impressionnantes, comprenant mobilier, linge, produits pharmaceutiques et autres objets tels que bassines, filtres à eau, moustiquaires, etc61. Mais dans la réalité, ce matériel est rarement irréprochable, ce qui reflète entre autres de véritables difficultés à s’approvisionner, ou encore à maintenir un état de propreté adéquat des établissements souvent sans eau courante, et pourvus seulement de latrines extérieures. Quoi qu’il en soit, c’est la responsabilité des sages-femmes qui est généralement pointée du doigt – et parfois, en second lieu, celle des Autorités locales qui les emploient. Ainsi, en octobre 1952, la clinique d’Aburi fait-elle l’objet d’un rapport assez sévère : non seulement le bâtiment laisse à désirer mais encore le matériel est sale et les registres mal tenus. Le premier reproche est adressé par courrier au président du conseil local d’Akwapim, mais les autres sont destinés à Mrs. Yeboah, la sage-femme en poste – qui démissionne quelques mois plus tard, sans que l’on connaisse les raisons ni les modalités précises de cette démission. À la visite suivante, sa remplaçante donne entière satisfaction mais si l’état du bâtiment s’est amélioré, son équipement laisse encore à désirer62. Bien qu’on ne connaisse pas la fréquence de ces inspections – trop rares au goût des Services médicaux, qui déplorent le manque de personnel – elles servent néanmoins à garder un contrôle assez étroit sur les sages-femmes, qui peuvent, dans l’ordre de gravité, encourir un avertissement, une suspension, voire une radiation.
43De même, une enquête doit être menée auprès de toute sage-femme en cas de décès dans sa maternité. Il s’agit de cas rares, puisqu’en cas de complication, la sage-femme doit au plus vite envoyer la parturiente dans un service hospitalier – règle parfaitement intégrée par les professionnelles, si l’on en juge par la rapidité de leur réponse quand la question était abordée, au cours d’une interview. Et de fait, l’identité des sages-femmes repose si bien sur la conviction qu’elles servent directement à lutter contre la mortalité maternelle et infantile qu’elles parlent peu des accidents lors des entretiens. Certaines évoquent une collègue à qui cette malchance est arrivée mais apparemment, aucune des sages-femmes interrogées ne l’a vécue personnellement63. Mrs. Acquaye, interrogée sur les raisons qui poussaient les femmes enceintes à avoir recours à elle plutôt qu’à une accoucheuse, s’exclame en guise de réponse : « Qui a envie de mourir64 ? » Comme si le recours à une sage-femme qualifiée était une garantie absolue de survie – et à l’inverse, le recours à une accoucheuse, un risque mortel. Or, les archives montrent que ce n’est pas si simple : même chez une sage-femme diplômée, un accouchement peut se solder par un décès maternel ou infantile. L’enquête qui suit alors doit statuer sur la responsabilité de la professionnelle et si elle est considérée comme fautive, elle est généralement convoquée par le Board of Midwives, puis suspendue pour plusieurs mois, avec parfois obligation de suivre une formation de remise à niveau à la maternité d’Accra65.
44Si les sages-femmes sont soumises à des contrôles aussi serrés, c’est certes en raison des risques induits par la parturition, mais aussi et surtout parce qu’il s’agit d’une profession qui ne doit ni décevoir, ni manquer à son devoir. Pour Mrs. Baffour, toute mort maternelle ternit la réputation de la sage-femme : « Voyez comme elle tue nos gens », en conclurait d’après elle le voisinage66. Or c’est précisément pour lutter contre la mortalité maternelle et infantile que les sages-femmes ont été formées, avec de grandes ambitions et la volonté d’en faire une élite : le système de contrôles et d’inspections a pour but de vérifier qu’elles ne manquent pas à leur mission. Cette mission est d’ailleurs plus large que le seul encadrement des femmes enceintes ou l’assistance aux accouchements : elle implique bien des tâches, qui obligent à des déplacements nombreux et contreviennent à l’image d’une sage-femme sédentaire, attendant les parturientes dans sa clinique.
Les sages-femmes au travail, nomades ou sédentaires ?
45En milieu hospitalier comme en libérale, les sages-femmes ne se contentent pas d’être présentes et actives au moment d’une naissance : elles sont extrêmement polyvalentes. Leur travail commence bien avant la délivrance et se termine bien après. En outre, il arrive qu’il ne concerne pas uniquement les parturientes mais qu’il inclue des familles, des époux/pères, voire tout un quartier ou village.
46À l’hôpital, les sages-femmes sont, paradoxalement, peu présentes – ou du moins peu actives – en salle d’accouchement : en effet, une partie importante des cas étant dystociques, ce sont les médecins qui y règnent en maîtres. En revanche, ce sont elles qui conduisent les consultations prénatales et postnatales, présidant notamment à la pesée des bébés, comme le montre fort bien un film d’actualités britannique tourné en 1949 à la maternité d’Accra67. Elles s’occupent également des accouchées et des nouveau-nés avant la sortie de la maternité. Si les hospitalières font peu d’accouchements, on pourrait supposer que les sages-femmes à leur compte en pratiquent davantage, les cliniques privées ayant été conçues comme des maisons d’accouchement. Mais de nombreuses sources révèlent que tel n’est pas le cas, du moins à la campagne, où les sages-femmes se consacrent surtout aux consultations pré et postnatales. Ainsi, dans la région d’Akyem Abuakwa, les activités de la sage-femme en poste à Kibi se déclinent ainsi en 1944-194568 :
Fig. 33 – Activités de la sage-femme de Kibi, 1944-1945.
Consult. prénatales | Accouchements | Visites à domicile | |
Octobre 1944 | 8 | 0 | 100 |
Novembre 1944 | 20 | 2 | 98 |
Décembre 1944 | 30 | 2 | 126 |
Janvier 1945 | 78 | 3 | 137 |
Février 1945 | 109 | 3 | 151 |
47Ces chiffres attestent un réel problème – du moins pour les autorités médicales et la sage-femme : cinq mois après son arrivée, cette dernière effectue plus de cent cinquante visites à domicile par mois et reçoit plus de cent visites prénatales… pour trois accouchements effectués dans sa clinique ! Kibi est la capitale de l’Akyem Abuakwa, qui représente au plus haut point le succès de l’Indirect Rule, grâce à la bonne volonté du chef Nana Ofori Atta. La bourgade n’est pas grande mais la zone rurale alentour est dynamique et peuplée. Manifestement, les femmes ne se déplacent pas au moment du terme et privilégient l’accouchement chez elles. Leurs raisons ne sont pas très faciles à cerner car les sources sont peu disertes sur la question. Certes, on peut imputer cette sédentarité des parturientes aux difficultés matérielles à se rendre à la clinique au moment crucial : les villages ne sont pas tous en habitat groupé et le déplacement à pied lorsqu’approche le terme n’est pas idéal. En l’absence à la fois de transport public, de voitures privées et d’ambulances, seuls les cas d’urgence absolue justifient que l’on essaie de trouver un véhicule – généralement un camion, qui se rend à l’hôpital plutôt qu’à la clinique locale. Une bonne partie des cliniques des localités rurales, même de bonne taille, ne disposent pas du téléphone ou celui-ci est encore très rare – ainsi, en 1953, l’Akwapim Local Council demande l’installation d’une ligne téléphonique à la maternité d’Akropong, afin de pouvoir appeler une ambulance en cas d’urgence69. Enfin, l’accouchement en clinique est facturé à un coût supérieur aux visites prénatales, ce qui pourrait expliquer le choix des parturientes.
48Mais ces difficultés d’ordre matériel et économique n’expliquent sans doute pas tout ; et si les femmes préfèrent accoucher chez elles, c’est probablement aussi pour des raisons davantage liées à l’entourage. La naissance demeure un moment familial, collectif, un passage au cours duquel les proches doivent être présents. C’est particulièrement vrai en milieu rural, où la clinique met de ce fait longtemps à s’imposer comme lieu alternatif pour la mise au monde, même si la sage-femme est devenue légitime comme conseillère pré et post-natale. Formées essentiellement (quoique pas exclusivement) pour aider aux accouchements, les sages-femmes de campagne se retrouvent donc dans une situation paradoxale, puisqu’elles interviennent surtout en amont et en aval, mais rarement au moment de la parturition.
49Bien que leurs consœurs citadines effectuent davantage d’accouchements dans leurs cliniques, devenues dès les années 1940 un lieu classique pour la naissance, de nombreuses femmes de la ville continuent à enfanter chez elles. La solution idéale ne consisterait-elle donc pas à dépêcher une sage-femme chez les parturientes au moment du terme ? Ce système cumulerait les avantages d’une présence experte avec ceux d’un dépaysement moindre. De fait, un tel système a existé pendant quelques années, sous le nom de domiciliary midwifery (obstétrique à domicile) – pratique par laquelle les sages-femmes se rendaient elles-mêmes au domicile d’une femme en couches. Nombre d’entre elles ont des souvenirs précis – mais plutôt négatifs – de cette époque, située au début de leur carrière. Elles évoquent tour à tour les difficultés dues aux déplacements, souvent nocturnes ; la modicité de l’équipement dans les foyers ; l’entassement des membres de la famille ; l’impossibilité de respecter les règles d’asepsie ; et même parfois la présence de parentes qui peu ou prou contredisent leurs préceptes et leurs façons de faire. Frederica Addo résumait ainsi :
Because, you know the Ghanaian homes? Many people sleeping in the room. How can you go and deliver somebody? Then you have to ask all these people to stay outside, if it’s in the night, you see. And there are no proper beds or anything where you can take your delivery70.
50Ainsi, faute de conditions satisfaisantes pour des accouchements à la maison, « l’obstétrique à domicile » en ville n’a existé que durant les années 1930, avant d’être remplacée par une politique consistant à faire venir les femmes à la clinique. Pour autant, les sages-femmes ne se contentaient pas d’être sédentaires. Elles se devaient de faire des visites de quartier afin de repérer les femmes enceintes71 et les convaincre de fréquenter la clinique. Si l’accouchement n’y avait finalement pas lieu, les sages-femmes étaient chargées de vérifier à domicile l’état de la mère et du nourrisson. Cette pratique, à la fois nomade et sédentaire, portait le nom de district midwifery. L’« obstétrique de quartier » confie aux sages-femmes la responsabilité d’un secteur urbain. Le principe est d’attirer les femmes enceintes à la clinique mais sans que les sages-femmes y soient immobilisées : à pied ou à bicyclette, équipées de leur sac, elles continuent à arpenter leur district et à rendre visite aux futures mères et aux accouchées. La sage-femme est donc à la fois celle chez qui l’on se déplace et celle qui se déplace72 :
[District Midwifery] consists of visiting the patients in their home. Advising them to attend ante-natal clinics, guide them and everything. So they come to the clinics and have lectures, examinations, and so on. So when it’s time for delivery they come to the institution73.
51Cette mobilité a pour effet d’intégrer la sage-femme à sa localité : au lieu d’être isolée dans son établissement, elle est familière des maisonnées de son quartier. C’est indéniablement un atout pour des professionnelles qui, surtout au début de leur carrière, doivent surmonter les réticences des femmes ou des communautés africaines à leur égard74.
Obstacles et soutiens
52L’un des premiers obstacles est dû à l’âge des sages-femmes débutantes, souvent jeunes et nullipares. Or comme dans de nombreuses sociétés africaines, l’âge a une influence sur le sérieux avec lequel on est considéré. Les accoucheuses sont non seulement des femmes âgées, mais ayant expérimenté plusieurs grossesses et accouchements, et par conséquent détentrices d’un savoir empirique direct qui légitime leur pratique. Un savoir purement théorique en la matière, même appuyé sur des travaux pratiques en salle de naissance, paraît donc peu approprié. Les jeunes praticiennes ont ainsi pour objectif premier d’asseoir leur légitimité car on ne leur fait pas d’emblée confiance :
Yes, because at that time they thought I was too young. I was too young and they think: ‘How could I look after them, I am too young’75.
53Si elles doivent donc faire leurs preuves, encore faut-il qu’on leur en laisse l’opportunité en se confiant à leurs soins. Thelma Buckle, sage-femme qui a délivré des milliers de femmes à Kumasi, avait accouché la « reine-mère » ashanti, ce qui a grandement légitimé sa pratique76. C’est cependant un exemple unique de l’influence des femmes de lignages aristocratiques, sur lesquelles comptait pourtant l’anthropologue Rattray pour diffuser de nouvelles pratiques :
I believe if we were to recognize the queen-mothers, we could do much to combat infant mortality and the slow collapse of the former rigid moral standards. In the course of my investigations I have entered into details concerning child-bearing with these shrewd and lovable old women, and from what they tell me I am convinced we could, with their help and influence, introduce some of the more elementary methods of hygiene and thus inaugurate a campaign against dirt and tetanus, two factors which take a heavy annual tool of infant life. […] The queen-mother is to an Ashanti the personification of motherhood77.
54Pour la plupart des sages-femmes, la confiance du public s’est installée graduellement : voyant que les premières parturientes et leurs bébés semblaient sortir sains et saufs de la clinique, d’autres femmes ont été encouragées à s’y rendre. Plus rarement, une réputation se fait sur le mode du miracle. Ainsi, pour Mary Kani, dont le renom sort grandi après la délivrance sans encombre d’une femme sourde et muette, un cas réputé difficile – ce handicap étant perçu comme un signe néfaste, même s’il n’a pas d’incidence directe sur la parturition78.
55La tâche des sages-femmes débutantes est parfois facilitée par des membres de la communauté qui leur sont favorables : Mrs. Ayikpa se rappelle qu’à son arrivée dans le quartier neuf de Kaneshie dans les années 1950, les responsables de la communauté ont fait battre tambour pour annoncer l’arrivée d’une sage-femme diplômée dans les environs et encourager les femmes à y avoir recours. Sa consœur Mrs. Brenya explique que pour elle, ce sont les pasteurs qui ont informé leurs congrégations de son arrivée. Dans tous les cas, ajoute-t-elle, il y a un passage obligé par des conseils de chefs ou d’anciens – ce qui montre bien que la maternité n’est pas considérée comme concernant uniquement les femmes79.
56Parfois cependant, cette entrevue ne suffit pas. Ainsi, Mrs. Ayikpa se souvient d’avoir été mal reçue à son arrivée dans le quartier populaire d’Odorkor situé dans l’ouest d’Accra :
Even I remember going to Odorkor to see the chief there and he said “Why should I come, they have their own native midwives. And I’m coming to spoil their work”. So they didn’t give me the chance. I went to Odorkor, just to get patients, but they don’t allow me. Traditional midwives…
57Après cet échec, qu’elle impute en partie à la concurrence des accoucheuses, elle décide de déménager dans un nouveau quartier, à Kaneshie – avec succès. Interrogée sur les raisons qui, d’après elle, expliquent la différence d’accueil entre les deux quartiers, Mrs. Ayikpa fournit une explication qui n’aurait pas surpris sous la plume d’un fonctionnaire colonial : « Peut-être qu’ils étaient plus civilisés à Kaneshie. » Ainsi, elle a fait sienne la lecture qui oppose civilisation à obscurantisme, se plaçant résolument du côté de la première. Cette interprétation fait l’impasse sur les différences sociologiques qui distinguaient ces deux espaces : Odorkor était encore un quartier populaire dans les années 1950 alors que Kaneshie, construit après le tremblement de terre de 1939, concentre des catégories plus aisées qui s’y sont repliées80. Quoi qu’il en soit, toutes les sages-femmes s’accordent à dire qu’il leur a fallu beaucoup de patience avant d’être pleinement acceptées. Comfort Brenya se remémore en riant la façon dont, pendant le porte-à-porte, certaines femmes, manifestement enceintes, prétendaient ne pas l’être ou encore déclinaient ses services, expliquant qu’une parente âgée s’occupait d’elles. Pourtant, elle semble avoir fait preuve d’une diplomatie exemplaire : elle aurait réussi à gagner la confiance des accoucheuses durant des accouchements à domicile où elle se trouvait en leur compagnie81 – alors que plusieurs de ses consœurs affirment n’avoir jamais eu affaire à elles ou encore les avoir combattues82. Son récit montre à quel point la pratique des sages-femmes dépasse la seule expertise en matière de grossesse ou de parturition : conformément aux desseins des autorités médicales, les sages-femmes sont aussi devenues des propagandistes, des missionnaires de « nouvelles pratiques de santé83 », et également de véritables enseignantes à plein temps.
Les sages-femmes, missionnaires de la modernité ?
58Mrs. Brenya, pensant ne pas avoir la patience requise pour enseigner, avait préféré la carrière de sage-femme à celle d’institutrice : au début des années 2000, elle constatait avec humour qu’elle avait finalement passé sa vie à enseigner84. En 1933, le gouverneur exposait ainsi le rôle des sages-femmes : « [Le projet est qu’] elles retournent dans leurs villes d’origine, où nous espérons qu’elles convaincront les habitants des avantages de l’obstétrique qualifiée85 ». Convaincre constitue une partie non négligeable de la tâche des sages-femmes. Mais cette mission est difficile à mener puisqu’elle contrevient aux relations habituelles entre classes d’âge : non seulement il est inconvenant qu’une femme puisse en accoucher une autre qui pourrait être sa mère86 ; mais qu’elle prétende en outre enseigner à ses aîné·e·s les bons usages, voilà qui est choquant – les jeunes n’ayant pas vocation à former les anciens.
59Pourtant, une partie fondamentale de la pratique de sage-femme consiste à enseigner de nouveaux gestes, l’usage de nouveaux produits ou ustensiles, un nouveau rapport au corps et au nourrisson. Les sages-femmes sont par exemple habilitées à vendre à leurs patientes certains produits pharmaceutiques, généralement des compléments alimentaires : vitamines et fer, en particulier, sont couramment proposés aux femmes enceintes lors des consultations. Or l’absorption de substances spécifiques en cas de grossesse n’est pas contraire aux habitudes locales : les femmes enceintes consommaient couramment certaines herbes ou encore des plats réputés favorables au bon déroulement de la grossesse87. Cet usage prépare le terrain pour les sages-femmes, dont les patientes sont toutes prêtes à acheter des produits censés contribuer à leur bon état général de femme enceinte. Mais si les « médicaments » de la grossesse ont un certain succès, ils ne remplacent pas toujours la pharmacopée ou l’alimentation locales : souvent ils s’y ajoutent ; d’autres fois, ils n’ont aucun succès.
60C’est dire si les messages dont sont porteuses les sages-femmes sont adoptés sélectivement. Cette sélection opérée par leurs interlocutrices montre l’ambiguïté du statut de ces nouvelles diplômées : à la fois autochtones (par la naissance et la culture) et étrangères (par leur formation), elles sont perçues à l’aune de l’un ou l’autre de ces facteurs. En cela, elles sont bien des « figures de l’entre-deux », personnages charnières, toujours à la jonction du monde colonial et du monde colonisé. D’ailleurs, les entretiens prouvent bien que les sages-femmes s’identifient en grande partie au monde des colonisateurs qui a présidé à leur formation et à leur existence. Elles en reprennent le discours, dont les accents de classe et de race sont patents. Ainsi, elles fustigent l’ignorance et l’impéritie des Africain·e·s qui ne sont pas passé·e·s par l’école :
If you are not clean, you get infected. But some people, generally, they don’t know what is cleanliness. Even when their clothes are dirty, they don’t know it. Most of them, they are not educated, you know. I mean the patients, the patients are not educated88.
61Par voie de conséquence, l’imaginaire des sages-femmes les situe du côté des colonisateurs. Un épisode singulier d’un entretien le montre à merveille : Mrs. Mate, à qui était posée une question sur les sages-femmes « traditionnelles », répond en utilisant, comme synonyme, l’adjectif « indigène ». Ainsi, par l’équation « traditionnel = indigène », elle se place elle-même du côté étranger : par sa formation, elle s’est extraite de la « tradition » et se range donc du côté occidental.
62On comprend mieux dès lors que l’accueil qui leur était réservé ait parfois été circonspect, leur association avec le monde colonial pouvant jouer pour ou contre elles, selon le lieu (et l’époque) où pratiquaient les sages-femmes. Faute de pouvoir contraindre89 les femmes (et plus largement les communautés africaines) d’avoir recours à elles, elles ont cherché à convaincre, sans toujours y parvenir. En cas d’échec, il ne leur restait plus qu’à tenter leur chance ailleurs : ainsi, Mrs. Ntim-Adu ou Mrs. Ayikpa, qui, dans les années 1940, changent de quartier après avoir échoué à s’implanter respectivement à Dodowa et Odorkor.
63Pour autant, toutes les sages-femmes interrogées ont admis que la profession de sage-femme s’était révélée plutôt lucrative – en dépit de quelques aléas et de fortes disparités.
« Pertes et profits » : les revenus des sages-femmes
64Du strict point de vue mathématique, la rémunération des sages-femmes est d’autant plus difficile à évaluer qu’elle varie non seulement en fonction de l’époque mais encore du statut, de l’ancienneté, de l’employeur… Ainsi une sage-femme employée dans un centre de PMI et dépendant donc de la branche sanitaire du Département médical gagne-t-elle moins qu’une consœur affectée à la maternité, où elle dépend de la branche générale. De même, une employée des Autorités locales est-elle moins bien payée qu’une sage-femme de la fonction publique, qui, en 1937, gagne, au maximum, 208 £ annuelles90. Si une étude strictement arithmétique est donc peu éclairante, les entretiens menés avec d’anciennes sages-femmes ont en revanche bien montré qu’elles font partie de l’élite, non seulement par leur diplôme mais aussi par leur niveau de vie. Celui-ci est à l’évidence supérieur à celui des enseignantes, l’autre profession féminine qualifiée de l’époque – différence qui expliquerait d’ailleurs en partie la popularité de la carrière :
Then, teachers were paid five pounds three and four pence whereas [midwives] were paid seven pounds, seven pounds. So it was something higher. So most of them just left teaching91.
65Si le salaire dans la fonction publique est attractif, qu’en est-il des revenus de celles qui avaient embrassé la carrière en libérale ? Dans les entretiens, les sages-femmes ont presque toutes mentionné le « problème » du paiement – souvent avec philosophie, parfois avec humour. Ainsi, Mary Kani, qui s’étant installée dans sa région d’origine, voyait constamment évoquées ses supposées relations de parenté avec ses parturientes – relations qui la contraignaient à offrir ses services gratuitement. Hermina Ayikpa se rappelle avoir dû donner à certaines de ses accouchées indigentes du tissu pour leur bébé ; elle ajoute : « Certaines disent qu’elles reviendront payer, et elles ne reviennent jamais. » Quant à Frederica Addo, elle raconte que souvent, on lui payait l’accouchement précédent… au moment d’une nouvelle naissance ! D’ailleurs, des sages-femmes d’Accra écrivent au Département médical en 1935 pour savoir si elles ont un recours légal contre les mauvais payeurs92. Mais de façon générale, les sages-femmes interrogées se montraient plutôt résignées, voire amusées, par ce genre de situation : Mrs. Ayikpa affirme que « tout n’est pas une question d’argent, et qu’il faut savoir faire des sacrifices », tandis qu’Edith Mate conclut simplement que la pratique de sage-femme passe par « pertes et profits ». Elles soulignent ainsi les motivations non financières qui étaient les leurs, comme l’altruisme et le dévouement à la collectivité.
66Les sages-femmes se montrent sans doute d’autant plus philosophes sur les questions d’argent qu’elles ont dans l’ensemble fort bien réussi sur le plan financier, si l’on en croit à la fois les signes matériels de leur réussite (des maisons souvent cossues, des cliniques spacieuses) et une source du Département médical qui, en 1933, impute les difficultés à recruter des sages-femmes dans la fonction publique au fait que leurs consœurs en libérale gagnent mieux leur vie93. Ajoutons qu’en faisant payer leurs services, les sages-femmes certifiées s’inscrivaient certes dans une tradition consistant à « remercier » l’accoucheuse. Mais cet élément de continuité est compensé par une véritable nouveauté : ce n’est plus en nature qu’on les rétribue mais en numéraire – malgré d’éventuels cadeaux supplémentaires en nature. Alors que les accoucheuses recevaient en général des fruits, du savon, parfois du tissu, c’est en espèces que les sages-femmes sont payées94. À ce titre, elles s’inscrivent dans la monétarisation de l’économie, qu’elles contribuent à amplifier – d’autant qu’à Accra ou à Kumasi, le prix de l’accouchement dans les années 1950 est relativement élevé : une « guinée », c’est-à-dire 1,1 £95.
67Ainsi, les sages-femmes se sont fait reconnaître et ont su gagner la confiance des femmes et des communautés parmi lesquelles elles officient. Dès les années 1930 à Accra, et suivant une évolution chronologique variable selon les régions, la profession commence à apparaître comme source de prestige et souvent, de revenus confortables. Mais le plus surprenant est sans doute que leur renommée dépasse leur simple pratique professionnelle.
Les sages-femmes, figures d’autorité
68Ultime signe de leur réussite sociale, les sages-femmes ont en effet gagné une respectabilité et une notoriété qui vont au-delà de leurs seules compétences en obstétrique. La célébrité de chacune, persistant jusqu’aux années 2000, fut pour moi une découverte : combien de fois ne me suis-je trouvée dans des quartiers urbains, munie d’indications mal adaptées pour une néophyte, tentant de localiser la maison d’une informatrice putative ? Il me suffisait alors de demander autour de moi où vivait telle sage-femme retraitée pour qu’immédiatement, toutes générations confondues, on m’indique le chemin. Généralement à la retraite depuis longtemps, ces femmes faisaient toujours partie de la mémoire vive du quartier où elles avaient exercé et vivaient encore. À Nsawam comme à Cape Coast, à Bubiashie comme à Korle Gonno96, leurs noms étaient familiers. Certes, elles avaient aidé à la mise au monde de bien des habitants du quartier et détenaient encore, pour la plupart, les registres de naissance servant de preuve pour l’établissement de papiers d’état civil. Mais leur autorité tient moins à cela qu’à l’ascendant qu’elles ont sur les femmes qui viennent en consultation. Dans leur clinique, ce sont des maîtresses-femmes qui sont à l’œuvre : leur savoir, leur savoir-faire et la confiance qu’elles ont en elles-mêmes fondent une attitude dominatrice, plus ou moins masquée par l’empathie ou la bienveillance dont elles disent faire preuve. Toutes affirment en effet avoir traité avec douceur leurs patientes, y compris dans les moments les plus critiques de l’accouchement97. Pourtant, au détour d’un entretien, on apprend aussi que parfois, « il fallait crier sur les patientes », surtout quand ces dernières « n’étaient pas sages98 » – parfois au point d’être frappées par les sages-femmes. Ainsi Mrs. Addo raconte-t-elle (en riant) que non seulement l’épouse de Kwame Nkrumah s’est fait gifler durant son accouchement mais encore que « c’est normal : si elle ne pousse pas, il faut la gifler, ce n’est pas grave99 ». Patience et compassion ne sont donc que l’un des visages des sages-femmes en exercice, susceptibles aussi d’affirmer leur autorité par la violence : après tout, ce sont elles les expertes, qui savent ce qui est bon pour les parturientes100.
69Que les sages-femmes aient continué à jouir d’un crédit certain auprès des femmes, et même à conserver leur réputation de bienveillance, est peut-être dû au fait que le processus de l’accouchement compte moins, au final, que son résultat : pour les sages-femmes comme pour leurs patientes, l’important est que mère et enfant sortent vivants de cette épreuve. Cris et soufflets sont les moyens mis au service d’une juste cause, du moins aux yeux des professionnelles de l’obstétrique. En tant que maîtresses d’œuvre, elles peuvent se permettre une autorité absolue sur leurs patientes – quitte à en perdre quelques-unes peut-être en chemin. Ainsi les modalités de l’accouchement en clinique ne sont-elles pas négociables : Mrs. Addo interdisait à ses patientes d’accoucher accroupies, même lorsque c’était leur souhait. Et de conclure : « Une fois qu’elle est dans votre clinique, elle est obligée de tout accepter101. » Il faut dire qu’il y a quand même des avantages éventuels à l’enfantement en clinique, notamment celui de la confidentialité. Alors que l’accoucheuse, en tant que membre de la communauté, est susceptible de colporter des bruits sur l’attitude de la parturiente – en particulier si elle crie « trop », ce qui est considéré comme inconvenant –, la sage-femme garantit le secret et fonde une partie de sa réputation sur cette promesse.
70Son autorité s’étend finalement à d’autres domaines que celui de l’obstétrique. Comme dans le cas français, elle est donc sollicitée pour une expertise qui dépasse de beaucoup sa qualité d’experte en obstétrique. Figure d’autorité en salle de travail, elle le demeure en dehors de ce lieu et sert même parfois de médecin. Mary Kani raconte qu’on l’appelait Awurra Doctor (Madame Docteur) et son mari, pharmacien, Owurra Doctor (Monsieur Docteur)102. Elle ajoute n’avoir jamais répondu favorablement à ces sollicitations (contrairement à son mari, qui ne répugnait pas à outrepasser son rôle de pharmacien) et rappelle que l’exercice du métier de sage-femme est à la fois strictement réglementé et très restreint : dans les années 1930, une sage-femme n’était même pas autorisée à poser une perfusion ni à faire une injection, excepté pour l’ergométrine, produit utilisé pour prévenir les hémorragies post-partum et faciliter l’expulsion du placenta. Mais une consœur rapporte qu’on la consultait souvent pour diverses affections « mineures », ce qui s’explique par un contexte différent, à la fois géographique (elle se trouvait plus loin du regard des autorités médicales) et chronologique (elle renvoie à une période plus récente)103. Ainsi la pénurie de médecins, forte durant toute la période coloniale, est-elle en partie compensée par le fait qu’un personnel paramédical « rend service » en mettant à disposition de la communauté ses connaissances biomédicales, quitte à outrepasser la réglementation.
71Plus frappant encore, les sages-femmes deviennent des figures d’autorité dans des domaines qui n’ont rien à voir avec la médecine. Leur diplôme, leur proximité avec les autorités coloniales et plus généralement avec le monde colonial, font d’elles des conseillères polyvalentes auxquelles on s’adresse sur toutes sortes de sujets. Ainsi, parce qu’elles ont affaire à la reproduction, elles jouent un rôle particulier dans la vie des couples104 et tiennent parfois lieu de conseillères conjugales, en cas de querelles domestiques, d’infidélités, de problèmes de stérilité, de grossesses non désirées (que toutes les sages-femmes jurent n’avoir jamais aidé à interrompre). Évoquant les toutes premières sages-femmes diplômées, celles du début des années 1930, l’une de leurs successeuses raconte :
They gained the confidence of the people. So that they even became counsellors for the families. Even when they were choosing a school for their children… it reached that stage, they would go to the midwife and say “How can I get a good school for my daughter or my son?” […] So this is one thing I noticed about them; they were trusted people, by the community. They will tell them every secret even about the family105.
72Si Docia Kisseih est la seule, parmi mes informatrices, à être passée à la postérité sur le plan national (sous la forme de billets de banque à son effigie106), ses consœurs n’en sont pas moins, collectivement, devenues des personnages éminents de la société coloniale. Figures de référence, elles ont assis leur autorité sur un savoir théorique et une compétence technique mais cette autorité a rapidement dépassé la seule sphère professionnelle.
Une sociabilité de sages-femmes
73Par ailleurs, les sages-femmes de l’époque coloniale ont développé un véritable sens de la communauté professionnelle, qui les a amenées – en particulier à Accra, où elles étaient nombreuses dès les années 1950 – à se retrouver régulièrement entre elles. Elles organisaient des réunions sous des formes diverses, joignant généralement l’utile à l’agréable. Elles poursuivaient ainsi une sociabilité née pendant les années d’internat, et c’est précisément pour cette raison qu’elles décident, à la fin des années 1950, de se réunir sur une base régulière :
We used to go to parties, the midwives, without our husbands. Once a month, we contributed a pound each. We liked to go to Ambassador hotel. We all go. Putting on our best. [rires] […] For dinner. Once a month. […] Because we are staying in the house all the time, we feel we have to have some enjoyment107.
74Une photo, fournie par Mrs. Ayikpa, confirme les dires de sa consœur sur l’élégance qui était de mise pour ces soirées, dont certaines étaient des soirées dansantes, et d’autres de simples dîners dans de bons restaurants, comme celui du prestigieux hôtel Ambassador, inauguré en 1956 et fleuron de l’hôtellerie ghanéenne durant toutes les années 1960.
75Toutes les informatrices mentionnent le rôle clé de Laetitia Domingo, disparue dans les années 1980, dans l’organisation de ces soirées. Et toutes rivalisent d’enthousiasme pour célébrer sa mémoire. Unanimement décrite comme « joviale », elle aurait été à l’origine de ces dîners, ayant déclaré : « Le travail sans les loisirs, c’est une vie de chien109. » Pourtant, ces sorties, qui conservaient une base exclusivement professionnelle, étaient aussi l’occasion de parler de leur métier110, ou d’organiser des réunions informelles, comme le montre sur le cliché de Mrs. Ayikpa la présence de représentants (masculins et blancs) de la firme Nestlé.
76Cette habitude, qui a manifestement renforcé une solidarité déjà éprouvée durant les années d’internat, va donner lieu dans les années 1950 à la création d’un organisme plus formel : la Registered Midwives’ Association (RMA). Mrs. Addo, l’une des fondatrices, explique que c’est ce groupe informel d’amies et de collègues qui a été à l’origine de la RMA :
The Midwives’ Association, when I started practising in 46, they were having it just on voluntary basis. But when I came back from Britain I said that we have to put effort in it and have a sound association. […] That was in the early fifties. [Before] It was a friendly association, a friendly group. […] And there was no Constitution. It was just a group of midwives gathered together; they call parties, teas, parties and so on they discuss some issues, that’s all111.
77La création de la RMA, en 1952, est donc un moyen de fédérer plus efficacement les sages-femmes. Aux dîners informels succèdent les congrès, qui, dans les années 1960, réunissent des dizaines de participantes immortalisées sur de nombreuses photographies. On y discute des « progrès » de la profession, on y organise des ateliers et des conférences… et les anciennes de l’internat y jouent une pièce de théâtre, comme du temps de leur formation.
78Autant dire que les autorités coloniales, qui souhaitaient créer un « esprit de corps » parmi les sages-femmes, ont été assez vite dépassées par leur succès : la RMA fait bientôt quasiment figure de syndicat, se posant en interlocutrice obligée dans les négociations avec le gouvernement, colonial puis indépendant, dès qu’il s’agit de revoir le statut des sages-femmes. Interrogée sur les raisons de son adhésion à cette association, Mrs. Brenya soulignait l’importance du travail collectif, de la solidarité, de la cohésion de groupe :
Well, if you are working as a team, and you get together, you share ideas, and then you gather experience from your colleagues, as well as all around. So, with a team organised, we meet and then discuss and then advise ourselves with our experiences… I think it’s a good thing. And then when you want to present your views and to ask for something, you do it collectively113.
79L’expérience des années d’internat a donc fini par prendre une forme très concrète : celle d’un groupe professionnel dont le but est de protéger les intérêts collectifs des sages-femmes et d’offrir une représentation commune face aux pouvoirs publics. L’esprit de corps s’est peu à peu transformé en corporatisme, pour ces femmes de l’élite, dont le rôle transformateur allait se poursuivre après l’indépendance.
Conclusion
80Ainsi, conçues par les autorités comme un corps d’élite au féminin, les sages-femmes en ont en effet rapidement constitué un, reconnu comme tel par elles-mêmes et, très largement, par les communautés environnantes114. Pour autant, ce corps n’était pas exactement à l’image de ce qu’avaient prévu ses concepteurs : en particulier, les intéressées ont rapidement fait preuve d’un esprit d’indépendance et d’autonomie qui ne faisait pas partie du programme initial. Tout en participant activement à la mystique modernisatrice vantée par les autorités coloniales – y compris alors qu’il s’agissait plus d’un mythe que d’une réalité –, elles ont su se mobiliser, essentiellement pour défendre leurs propres intérêts. Cependant, plusieurs d’entre elles ont aussi rejoint la lutte pour l’indépendance : s’il n’y a pas d’équivalent ghanéen aux figures d’Aoua Kéita ou de Jeanne Martin-Cissé115, certaines sages-femmes ont, dans les années 1950, accompagné le combat autonomiste puis indépendantiste. Cet engagement se caractérise par son idéologie modernisatrice, à laquelle souscrivent les sages-femmes. L’un des reproches adressés aux colonisateurs est en effet de ne pas avoir tenu les promesses de la modernisation. L’arrivée de Mary Kani, Docia Kisseih, Henrietta Owusu ou Cynthia Blavo à des postes importants du ministère de la Santé après l’indépendance doit être lue comme le résultat de leur engagement en faveur de l’indépendance et pas seulement comme la reconnaissance de leur expertise en matière d’obstétrique. Elle constitue aussi la promesse renouvelée d’une amélioration des services sanitaires destinés aux femmes et aux enfants. La continuité de l’État colonial à l’État indépendant, dans le domaine de l’obstétrique, est incontestable, de sorte que le rôle assigné par les pouvoirs publics aux sages-femmes ne change guère avant les années 1970-1980, avec l’intervention croissante de l’OMS dans les politiques de santé et les politiques de formation des accoucheuses.
81Figure d’autorité et d’altruisme, la sage-femme, si nouvelle dans les années 1930, est devenue familière – mais pas encore banale – un quart de siècle plus tard. Ce succès, qui est autant social que médical, s’explique sans doute par le fait que, comme sa consœur française du xixe siècle, « elle règne sur l’intime et […] se situe à la frontière du savoir et de la croyance, du pouvoir et de la population, de la ville et de la campagne, du féminin et du masculin116 ». En l’occurrence, il faut y ajouter la frontière entre colonisateurs et colonisé·e·s, ce qui ne fait que renforcer sa position charnière. Quoi qu’il en soit, on note qu’au moment même où, en France par exemple, les sages-femmes perdent une partie de leur influence et de leur autorité au profit des médecins, en Gold Coast, elles gagnent indubitablement en respectabilité et en aura, comme dans d’autres contextes coloniaux117.
82Le fait que, depuis 1957, deux « premières dames » du Ghana aient été des sages-femmes formées à l’époque coloniale (Naa Morkor Busia, épouse du Premier ministre en poste de 1969 à 1972 ; et Theresa Kufuor, épouse du Président en fonction de 2001 à 2009) est à cet égard symptomatique : c’est toute une génération et toute une élite féminine qui a réussi, à travers ces deux parcours exceptionnels.
Notes de bas de page
1 Sur l’histoire de cette chaîne de supermarchés au Ghana, voir Murillo, 2012 et 2017.
2 En 1935, les services médicaux revendent un sac d’occasion au prix qu’il a coûté neuf – soit plus de deux fois sa valeur, de l’aveu même d’un fonctionnaire. CSO 11/1/43a.
3 Épouse de l’homme politique ghanéen Kofi Busia, Naa Morkor Busia l’a suivi dans ses différentes phases d’exil, dans les années 1960 et 1970.
4 Pour une liste complète du contenu réglementaire d’un sac au début des années 1950 (plus complet que dans les années 1930), voir ARG 13/4/13.
5 Boddy, 2007, p. 215.
6 Report on an Ordinance of the Gold Coast Colony shortly entitled “The Midwives’ Ordinance, 1931”. CSO 5/1/328.
7 Summers, 1991, p. 804. En 1926 au Buganda, 2000 naissances seulement auraient eu lieu en présence d’une sage-femme qualifiée (sur un total de 16000).
8 Report on an Ordinance of the Gold Coast Colony shortly entitled “The Midwives’ Ordinance, 1931”. CSO 5/1/328.
9 “[The midwives’ Ordinance] will do much good by enforcing registration of all midwives trained and untrained, and bring them under Government control.” Gold Coast Report for the Medical and Sanitary Department, 1930-31, p. 45.
10 Report on an Ordinance of the Gold Coast Colony shortly entitled “The Midwives’ Ordinance, 1931”. CSO 5/1/328.
11 Gold Coast Report for the Medical and Sanitary Departement for the year 1951, p. 20. Pascale Barthélémy relève une tendance comparable en AOF, où en 1939, les autorités ont décidé d’encourager les accoucheuses à suivre un stage, à l’issue duquel un permis d’exercer leur serait remis – mesure restée lettre morte (Barthélémy, 2010, p. 203). La thèse de Samuel Adu-Gyamfi annonce en introduction l’inscription d’accoucheuses de Kumasi sur une telle liste ; mais les développements ultérieurs n’évoquent en fait que l’aspect législatif et non la réalité pratique. Adu-Gyamfi, 2010, p. 3, p. 195.
12 “A Government midwife is to take up duty in April, when more complete and satisfactory treatment and it is also proposed to give practical and theoretical instruction to 20 African midwives now practising in the town”, Gold Coast Report for the Medical and Sanitary Department, 1939-1931, p. 188.
13 Entretien avec Nyameke Essumamua.
14 CSO 5/1/329.
15 Governor to Lord Passfield, 13 August 1929. CO 96/690/6.
16 Central Midwives Board to Secretary of State, 11 November 1929. CO 96/690/6.
17 Anonymous [illisible], 26 November1929. CO 96/690/6.
18 Patton, 1989 et 1996.
19 Wraith, 1967, p. 234-324 et 241-242.
20 Korle Bu Hospital, 1923-1973 : Golden Jubilee Souvenir, Accra, 1974, p. 28. Et Guggisberg, Gold Coast Review, 1927, p. 188.
21 La fin du xixe siècle avait au contraire vu, en Gold Coast, une aggravation de la ségrégation raciale pour les médecins. Voir Patton, 1996.
22 Voir CSO 5/1/341.
23 Voir CSO 5/1/340.
24 La première liste, parue en 1932, compte quarante-trois noms, dont huit originaires de la Gold Coast et neuf d’autres colonies (Sierra Leone, Gambie, Nigeria, mais aussi Dominique ou Congo belge) ; toutes les autres sont d’origine britannique. Bien que la colonne « date d’obtention du diplôme » indique la même date pour toutes (31 mai 1932), ceci ne signifie pas qu’elles aient passé l’examen en même temps en Gold Coast. En réalité, c’est la date à laquelle le Midwives Board les a enregistrées sur place, y compris lorsqu’elles avaient obtenu leur diplôme ailleurs et antérieurement (ce qui est le cas de toutes les Britanniques). Cette façon peu rigoureuse de procéder est corrigée dès l’année 1934, où figure la vraie date d’obtention du diplôme et son organisme de délivrance.
25 On ne compte en effet, au tout début des années 1960, que quarante et une sages-femmes au Togo sous mandat français pour un million et demi d’habitants, soit un taux d’encadrement quatre fois moindre environ qu’en Gold Coast. Alonou, Accoucheuses.
26 Barthélémy, 2010. C’est là l’une des principales différences entre l’AOF et la Gold Coast – les autres colonies britanniques s’illustrant plutôt en laissant le champ libre aux missionnaires. Notons que si le contrôle des sages-femmes fonctionnaires en AOF était facilité par leur statut, les autorités de la Gold Coast n’ont pas pour autant renoncé à un contrôle sur les sages-femmes libérales.
27 Sur le fonctionnement administratif et financier de ces maternités des Autorités locales : Chief Commissioner (Ashanti) to District Commissioners, 3 June 1948. ARG 6/14/15.
28 Papiers du Dr Goodman, Mss. Afr. s. 709.
29 Archives de la Royal Commonwealth Society, RCSPC-Y3011U-164. Consultable en ligne : http://www.lib.cam.ac.uk/rcs_photo_project/709.html. La légende indique : Miss Teresa Sumney is the state mid-wife paid by the Native Treasury.
30 Peut-être même dès 1951 ou 1952 mais le Roll of Midwives est absent des archives pour ces deux années-là.
31 Gold Coast Report for the Medical and Sanitary Department, 1945, p. 5.
32 “I don’t want any man to trouble me, I want to be independent.” Entretien avec Juliana Clegg.
33 Entretien avec Rhoda Buckle.
34 Report of the Maude Commission, 1952, p. 38 (§ 261). Comfort Brenya est une illustration de cette tendance générale : dans les années 1940, elle démissionne de la fonction publique après quatre années passées à Keta, au moment où on lui propose un poste à Tamale, qu’elle trouve trop éloigné. Entretien avec Comfort Brenya.
35 Ibid.
36 Allman & Tashjian, 2000, p. 199.
37 Diplômée en 1932, Elfrida Marbell (née Amamoo) a travaillé deux ans comme fonctionnaire avant de fonder sa clinique privée en 1934 et d’y accueillir de nombreuses stagiaires dans la deuxième partie des années 1930.
38 Voir entretien avec Docia Kisseih ; voir aussi les entretiens avec Cynthia Blavo, qui possédait des photos la montrant aux côtés des enfants d’Elfrida Marbell ; avec Frederica Addo, qui affirme que Mrs. Marbell a été la première à ouvrir sa propre clinique.
39 Cet « enthousiasme » s’est révélé tardivement dans le Nord du pays : ayant approché l’administration locale de Tamale pour s’y faire recruter en 1952, Deaha Mahama se voit opposer un refus. Elle n’y retournera que dans les années 1980. Entretien avec Deaha Mahama.
40 Acting District Commissioner to Commissionner Western Province, 20 July 1944. WRG 24/1/280.
41 Ofori Atta II, Okyenhene, to Director of Medical and Sanitary Services, 14 February 1947. AASA 10/245.
42 Voir par exemple WRG 24/1/280. Docia Kisseih confirmait que « de nombreuses sages-femmes ne voulaient pas travailler dans les zones rurales ». Entretien avec Docia Kisseih.
43 Ce type de situation est fréquent dans les années 1940. Cf. le volumineux dossier ARG 6/14/15, intitulé Midwives, et presque entièrement consacré aux sages-femmes recrutées par des Autorités locales. Voir aussi WRG 24/1/280.
44 “We were sent [to Kumasi Maternity School] if we were under the scholarship of Native Authority. I chose midwifery and they sponsored my training. I came back to work for Native Authority but I was attached to Yendi Hospital. […] We left standard seven in 1949 and we were sponsored by our various Native Authorities : Yendi, Bolga, Krachi and Yeji.” Entretien avec Fisata Nana Kabachi.
45 District Commissioner to Director of Medical Services, 14 April 1947. WRG 24/1/280.
46 Commissioner Central Province, 15 November 1939. ADM 23/1/976. L’auteur de la missive indique que les visites de la Health Sister de Cape Coast organisées à Mouree vont être suspendues, en l’absence de patientes. Voir aussi AASA 10/245 : la sage-femme recrutée à Kibi en octobre 1944 démissionne moins de six mois plus tard ; les statistiques de sa clinique montrent que trois naissances seulement y ont eu lieu.
47 Memorandum from Ofori Atta II, Omanhene, to Medical Officer, Kyebi, 22 April 1944. AASA 10/245.
48 Voir Listes des sages-femmes en fonction en Ashanti, Ministry of Health, ARG 13/4/15. Il faut ajouter à cette liste six maternités missionnaires et deux établissements attachés à des compagnies minières. Le nombre de sages-femmes continue à augmenter après l’indépendance, comme l’atteste un document du début des années 1960, signalant qu’en 1960 on compte trente-quatre sages-femmes libérales en Ashanti et en 1962, vingt-huit pour la seule ville de Kumasi. Private Midwives 1960-62. ARG 13/3/16.
49 ERG 1/8/5.
50 ADM/KD/33/6/490.
51 Lomotey, Personal File, no PB 7801. African Personnel.
52 Voir par exemple Thompson, Personal File, no 6489. African Personnel.
53 Robertson, Personal File, no Medical3 863. African Personnel.
54 Cf. entretien avec Clara Quarcoo. Et chapitre 5.
55 Quartey, Personal File, no A 6660. African Personnel. Elle est en effet inscrite comme sage-femme libérale dans les années 1950.
56 Sarah Thompson Personal File, no 6489. African Personnel.
57 Voir Entretien avec Comfort Brenya : “When you want to practice, you’ll not be given the permission to practice until you comply with the regulations.”
58 Regional Office, Kumasi, to Local Authorities, Ashanti, 25 March 1954. WRG 24/1/161.
59 Entretiens avec Janet Plange ; Comfort Brenya ; Deaha Mahama ; Evelyn Baffour.
60 Ainsi, lors d’une visite à Mampong en octobre 1954, les trois sages-femmes de la ville étaient absentes et introuvables. ADM/KD 33/6/490.
61 ERG 1/8/5.
62 ADM KD 33/6/490.
63 Voir entretiens avec Frederica Addo et Wilhelmina Ayikpa.
64 Entretien avec Rosina Acquaye.
65 Voir le cas de Harriet Bruce, dont une patiente a donné naissance à un enfant mort-né en 1937. Elle est suspendue trois mois pour avoir apparemment pris trop tard la décision d’un transfert à l’hôpital. Harriet Bruce, Personal File, no 5423. African Personnel.
66 “Because if there is a death in your place, they say ‘Oh, you see, how she is killing our people’ and so forth.” Entretien avec Evelyn Baffour.
67 Consultable en ligne : http://www.britishpathe.com/record.php?id=59540. Consulté le 23 avril 2016.
68 Agnes Aku Boadu to the State Treasurer, Kibi, 24 February 1945. AASA 10/245.
69 Akwapim Council, 1st July 1953. ADM/KD/33/6/490.
70 Sa consœur Hermina Ayikpa confirme : “You see, the homes are not up to… lighting, you know… There’s no space to move around. And many a time, there were children there. And you have to send the children out. Later on, they decided it wasn’t hygienic. So, we stopped doing it.”
71 Les sages-femmes de l’AOF interrogées par Pascale Barthélémy parlent de « dépistage ». Barthélémy, 2010, p. 213.
72 Leap & Hunter, 1993, font la distinction entre « la femme chez qui l’on va » et « la femme qu’on fait venir » mais ces expressions recouvrent encore d’autres réalités que celles décrites ici : the woman you go to est celle qui pratique des avortements et the woman you call for, celle qui vient à domicile pour un accouchement.
73 Entretien avec Frederica Addo.
74 Hugon, 2005a.
75 Entretien avec Comfort Brenya.
76 Entretien avec Thelma Buckle. Dans les entretiens menés par Jean Allman avec des femmes ashanti, elle entendait régulièrement parler d’« Auntie Tema », qui n’était autre que Thelma Buckle. Allman & Tashjian, 2000.
77 Rattray, 1923, p. 84.
78 Entretien avec Mary Kani.
79 Entretien avec Comfort Brenya.
80 Le contexte politique peut aussi expliquer des difficultés ponctuelles. Ainsi, au début de l’indépendance, Mrs. Appiah, installée depuis des années à Kumasi, a dû déménager car en raison de son origine fanti et dans un contexte de nationalisme ashanti exacerbé, elle était boycottée et même menacée. Elle s’est donc repliée vers 1960 à Cape Coast. Entretien avec Harriet Appiah.
81 Entretien avec Comfort Brenya. Voir Hugon, 2005a.
82 Entretien avec Ellen Ablorh.
83 Bourdelais et Faure, 2005.
84 “So as I said, you go on teaching, teaching, teaching. Teaching, teaching, teaching, all the time. […] That is why, when I said I didn’t want to do the teaching because I haven’t got the patience, I said after all, I went to the wrong camp !” Entretien avec Comfort Brenya.
85 Governor to Philip Cunliffe-Lister, 29 September 1933. CO 96/712/8.
86 Jaffré & Prual, 1993.
87 Sarpong, 1974, p. 85.
88 Entretien avec Wilhelmina Ayikpa.
89 Voir le titre d’un chapitre de Barthélémy (2010) : « Convaincre et contraindre », p. 191- 209. En matière de grossesse et d’accouchement, la contrainte à la médicalisation est presque impossible – sauf à littéralement capturer les femmes enceintes, comme dans cet épisode singulier (et unique ?) qui a consisté à amener de force à la maternité des femmes enceintes qui la boudaient – et qui s’en sont échappées peu après. Barthélémy, 2010, p. 200.
90 Duff, Director of Medical Services, 10 May 1937. CO 323/1418/10.
91 Entretien avec Mary Kani.
92 CSO 5/1/337. Leurs supérieurs répondent par la négative.
93 CSO 11/1/276.
94 Entretien avec Thelma Buckle.
95 Entretien avec Edith Mate ; entretien avec Harriet Appiah ; entretien avec Thelma Buckle.
96 Deux quartiers d’Accra, le second bien plus populaire que le premier.
97 Notamment entretiens avec Ellen Ablorh et avec Evelyn Baffour.
98 Entretien avec Ellen Ablorh.
99 Entretien avec Frederica Addo.
100 Jaffré & Prual, 1993.
101 Entretien avec Frederica Addo.
102 Hugon, 2005a.
103 Entretien avec Deaha Mahama.
104 “You are a midwife, so you are between the man and the woman [rires]. We solve so many problems !” Entretien avec Frederica Addo.
105 Entretien avec Henrietta Owusu.
106 La notoriété du Dr Docia Kisseih (qui détenait un doctorat de l’université de Boston en infirmerie) est due aux postes importants qu’elle a tenus dans le Ghana indépendant. Première Chief Nursing Officer (Responsable des infirmièr·e·s) au ministère de la Santé, elle a aussi été présidente du Ghana Registered Nurses and Midwives Council. Pour une courte biographie de Docia Kisseih, voir : http://www.modernghana.com/news/178733/1/university-of-ghana-honours-docia-kisseih.html. Consulté le 13 juillet 2014.
107 Entretien avec Hermina Ayikpa.
108 Archive privée, Mrs. Ayikpa.
109 “She said Ἁll work and no play, makes like a dog’s life’”. Entretien avec Frederica Addo.
110 “We interact with each other. When we meet, we talk nothing but midwifery. We talk and talk and talk.” Entretien avec Comfort Brenya.
111 Entretien avec Frederica Addo.
112 Archive privée Frederica Addo. Au premier rang, de gauche à droite : Clara Quarcoo, Laetitia Domingo, Harriet Bruce, Miss Belton, Frederica Addo, Elfrida Marbell, Joana Quartey. Au deuxième rang : Mrs. Allotey-Papoe, Mrs. Osei-Kofie, Mercy Golightly, Florence Akwamu, Ellen Ablorh, Rosina Acquaye, Juliana Clegg, Clara Korley, Mathilda Attafuah, Hermina Ayikpa, Edith Mate. Les deux sages-femmes un peu cachées du troisième rang n’ont pas été identifiées.
113 Entretien avec Comfort Brenya.
114 Sur la diversité historique de la place des sages-femmes diplômées dans différentes sociétés, voir Marland & Rafferty (dir.), 1997.
115 Kéita, 1975 ; Turritin, 2002 ; Barthélémy, 2010.
116 Faure, dans Bourdelais et Faure (dir.), 2005, p. 174.
117 Monnais, 2005, p. 238.
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