Chapitre III. La Protection maternelle et infantile, une affaire d’État ?
p. 79-112
Texte intégral
1Dans les années 1920, doublant les deux établissements hospitaliers que sont la maternité et l’hôpital pédiatrique, sont inaugurés plusieurs centres de Protection maternelle et infantile (PMI), situés dans différentes villes du sud de la Colonie1. L’histoire de ces institutions révèle que la PMI est un domaine en pleine croissance dans l’entre-deux-guerres, principalement sous l’égide du gouvernement, puis que l’État colonial finit par déléguer une partie de ce travail à d’autres acteurs, ce qui s’accompagne d’une certaine raréfaction des documents administratifs. En effet, à partir des années 1940, les agents de la PMI ne relèvent plus tous du Medical Department, qui devient de ce fait moins prolixe sur le sujet.
2En une vingtaine d’années, on passe d’une Protection maternelle et infantile considérée comme une « affaire d’État » – c’est-à-dire un domaine réservé des pouvoirs publics – à une entreprise mixte, impliquant des missionnaires et des institutions caritatives telles que la Croix Rouge. Cette évolution n’est pas sans répercussions sur le sens et le fonctionnement de la Protection maternelle et infantile, qui certes se développe mais en partie aux dépens de la qualité des services.
Protection maternelle et infantile ou Protection infantile ?
3L’expression « Protection maternelle et infantile » (en anglais « Maternal and Child Welfare ») ne rend qu’imparfaitement compte des préoccupations des autorités, qui s’intéressent en fait plus à la mortalité infantile qu’à la mortalité maternelle, du moins dans un premier temps. Certes, les deux questions sont assez inséparables et les documents témoignent souvent de cette ambivalence, à l’instar du fameux rapport d’enquête sur les causes de la mortalité infantile de 1917, qui, en dépit de son titre, évoquait aussi la morbidité et la mortalité des femmes en couches. On ne saurait cependant minorer le fait que, en Gold Coast comme ailleurs, c’est surtout de façon incidente que l’on s’attache à la réduction du taux de mortalité maternelle : s’il est évident pour les contemporains que la mortalité infantile fait peser une menace sur le développement démographique de la colonie, la mortalité maternelle pour sa part semble ne l’obérer qu’indirectement, ou seulement de façon différée. À ce titre, elle inquiète moins. Cette situation est loin d’être propre à la Gold Coast : non seulement elle a longtemps été la doctrine dominante dans les métropoles, mais elle demeure la philosophie générale dans la plupart des colonies, ainsi que le déplorait Mary Blacklock, conseillère auprès du ministère des Colonies dans les années 19302.
4En Gold Coast comme ailleurs, c’est donc graduellement que l’on consent des efforts pour réduire les décès post-partum afin de conserver les capacités reproductives des femmes et d’assurer ainsi la croissance de la population. Ainsi, ce n’est qu’à partir de 1932 que le Département médical, par la voix de son directeur, demande aux services de l’état civil de prévoir une rubrique spécifique pour les morts maternelles afin de pouvoir en suivre plus précisément l’évolution3. C’est tardivement qu’apparaît un intérêt pour la mortalité maternelle en soi ; et même au-delà des années 1930, celle-ci reste presque toujours liée à la mortalité infantile – l’inverse n’étant pas vrai. Il est d’ailleurs significatif que la maternité d’Accra ait été conçue à l’origine comme remède à la mortalité infantile.
5Relevons aussi l’ambiguïté qui règne durant toute la période sur la nomenclature à adopter pour désigner les établissements principalement destinés aux enfants mais parfois, secondairement, à leurs mères : tantôt évoqués comme Infant Welfare Centres (ou encore Clinics) et tantôt comme Maternal and Child Welfare Centres – et parfois tout simplement comme Welfare Centres – ces établissements sont à la jonction de ces deux domaines mais la santé des enfants demeure leur principal objectif affiché.
La PMI dans l’entre-deux-guerres : un secteur aux mains du gouvernement
6Comme souvent en Afrique subsaharienne, les premiers pas de la PMI ont été effectués en Gold Coast par des missionnaires. En l’occurrence, la pionnière était l’épouse d’un missionnaire de la Mission presbytérienne écossaise : Jessie Beveridge, médecin, avait installé en janvier 1921 une rudimentaire « clinique » à Osu, un quartier d’Accra, derrière l’école de la mission. Elle y examinait les écoliers mais ouvrait également sa consultation aux mères qui souhaitaient lui amener leurs enfants – lesquelles furent, semble-t-il, rapidement nombreuses. Cet effort, apprécié par le gouvernement, valut à la clinique du Dr Beveridge un soutien financier, sous forme de médicaments gratuits et d’une subvention couvrant le salaire d’un (ou d’une ?) interprète4. Cette coopération entre gouvernement et missions allait certes connaître quelques développements ultérieurs. Mais la principale caractéristique des établissements destinés à la santé des mères et des enfants qui fleurissent dans la prospère colonie de la seconde moitié des années 1920 est qu’après maints débats, et à une exception près, ils sont finalement tous publics et placés directement sous l’égide du Medical Department. En 1926 encore, les autorités envisageaient de laisser la PMI aux mains des missions chrétiennes, avec diverses réflexions sur un partage régional entre missions et sur la contribution financière du gouvernement5. Mais après le rapport d’un comité ad hoc, qui conseille au gouverneur de conserver le contrôle de ce secteur, Guggisberg décide en 1927 de faire de la PMI une chasse gardée du gouvernement, du moins dans toutes les zones où il existe des écoles publiques6. Non seulement c’est donc le Département médical qui devra définir les grandes lignes de la politique de PMI, mais encore, c’est le Trésor public qui prend en charge la construction des établissements, leur équipement et leur fonctionnement. Dans tout le Sud du pays, on assiste peu après 1920 au « boom » des services de PMI, matérialisés par des bâtiments expressément destinés à cette activité7. Ces centres exclusivement destinés à la PMI sont généralement construits en dur, contrairement à la toute première clinique en pisé de la Mission presbytérienne à Osu. Certes, les autorités optent parfois pour des solutions temporaires, louant des locaux plus ou moins bien adaptés, comme ceux dans deux quartiers d’Accra en 1923 et 1924, à Christiansborg et James Town8. Mais le principe, qui devient réalité dans un certain nombre de cas, est de faire construire par le Département des travaux publics, aux frais du gouvernement, des bâtiments spécifiques, conçus pour durer.
7Le coût de construction de ces bâtiments est loin d’être insignifiant, puisqu’il s’élève à plusieurs milliers de livres sterling (six mille à Accra, douze mille à Kumasi) et que les budgets initiaux sont régulièrement dépassés9. L’effort consenti est d’autant plus remarquable qu’en outre, le gouvernement recrute, emploie et rétribue le personnel qui y travaille. La médecine préventive destinée aux enfants (et éventuellement aux mères) est donc, du moins dans les années 1920, conçue et organisée comme la responsabilité directe du gouvernement, qui ne délègue ou ne sous-traite qu’exceptionnellement ce domaine d’intervention. Si les années 1920 voient perdurer quelques centres missionnaires qui fournissent des services de PMI, c’est surtout dans des zones indirectement contrôlées par le gouvernement, comme le Togoland. Le cas du centre de PMI de Kumasi est un peu particulier, en ce qu’il résulte, au début, d’un accord de coopération entre gouvernement et mission méthodiste, avant de devenir vraiment un établissement public10.
8On ne saurait insister trop sur le fait que par son caractère public, la PMI en Gold Coast est exceptionnelle et contraste avec la grande majorité des colonies britanniques en Afrique, s’écartant en particulier du « modèle ougandais ». En effet, dans ce dernier, la médecine préventive pour femmes et enfants, tout comme la formation des sages-femmes, sont entièrement dévolues aux missionnaires11. Les écoles de sages-femmes (Maternity Training Schools), gérées par la Church Missionary Society avec l’aval du gouvernement, y sont devenues un véritable exemple pour l’Empire britannique et ont inspiré d’autres colonies, telles que le Kenya ou le Tanganyika12. Rien de tel en Gold Coast, où, si les sources restent muettes sur les raisons de ce choix, elles indiquent cependant bien que la politique initiale consistait à laisser (presque) l’intégralité de la PMI entre les mains du secteur public. De ce fait, la situation en Gold Coast se distingue nettement des colonies britanniques (ou encore du Congo belge13). Elle évoque en revanche celle des territoires de la toute proche AOF, ce qui peut s’expliquer précisément par la proximité du « modèle » français, puisque les autorités médicales se sont en partie inspirées de l’École de sages-femmes de Dakar, rattachée à l’École de médecine, institution aussi publique que laïque14.
9Mais les raisons de ce choix sont sans doute aussi plus profondes : comme on l’a vu, dès l’origine, c’est le gouvernement qui s’est saisi – ou a été saisi – de la question de la mortalité infantile. L’enquête de 1917, mandatée par le gouverneur, est chapeautée puis conclue par les responsables du Medical Department. La réduction de la mortalité infantile (et maternelle) est alors affichée comme une priorité des autorités publiques. Dès lors, tout semble indiquer que le gouvernement s’est considéré comme seul apte à définir les grandes lignes de la politique ad hoc, mais également à prendre en charge la construction et le fonctionnement des établissements destinés à cet effet.
Les centres de PMI, première génération
10Les premiers centres publics de Protection infantile ouvrent dans les principales villes du Sud de la colonie dans la première moitié des années 1920. Il s’agit alors de petits établissements, généralement dépourvus de lits (à part à Kumasi) car conçus uniquement pour des consultations, qui sont le lot de la médecine préventive. Ils sont donc en principe destinés aux femmes enceintes (pour le suivi de grossesse) et aux enfants en bonne santé : ceux-ci sont auscultés par les médecins, qui suivent l’évolution de leur taille et de leur poids, ces centres servant par ailleurs pour la pesée des bébés jusqu’à l’âge d’un an au moins (weighing clinics, ouvertes une demi-journée par semaine). Au cas où une maladie serait diagnostiquée, le patient est censé être réorienté soit vers un établissement hospitalier soit vers un praticien libéral. Par ailleurs, les médecins de PMI donnent diverses recommandations aux mères en matière d’hygiène, d’alimentation, de soins aux nourrissons et aux jeunes enfants. Les centres de PMI sont donc la clé de voûte d’un dispositif destiné à dépister les grossesses à risque, à se faire une idée de l’état sanitaire des plus jeunes éléments de la population et à éduquer les mères15 – et non à soigner les affections infantiles.
11Les femmes qui fréquentent ces centres se voient distribuer une carte, avec un numéro correspondant à l’enfant qu’elles accompagnent16. Elles sont ainsi enrégimentées dans un monde où la surveillance médicale se double d’une certaine discipline : en cas de perte ou de détérioration de leur(s) carte(es), elles sont soumises à une amende.
12Ces centres sont l’une des grandes fiertés du Département médical, comme l’attestent deux photos publiées dans le rapport annuel de 1927-1928. Le premier cliché montre le tout nouveau centre de PMI de Sekondi, devant lequel pose un groupe de femmes et d’enfants, avec au centre deux femmes blanches coiffées du traditionnel casque colonial. La seconde image est assez semblable, à ceci près qu’on n’y voit pas clairement le bâtiment (il s’agit sans doute, à Shama, d’un édifice ayant d’autres usages mais abritant ponctuellement le centre de PMI), qu’on y distingue des écoliers reconnaissables à leur uniforme, et enfin une seule femme blanche chapeautée du casque colonial. Dans les deux cas, la mise en scène consiste à exposer le succès de ces centres auprès de la population féminine et le rôle central des femmes médecins qui se dévouent à cette cause. En effet, le personnel qui y est employé dans les années 1920 est largement féminin et blanc, comprenant une femme-médecin et une infirmière spécialisée en santé publique (Health Sister ou Health Nurse), néanmoins assistées d’un interprète africain. Dans les années 1930, le personnel auxiliaire devient racialement plus mixte mais exclusivement féminin, avec l’apparition des premières sages-femmes et infirmières africaines, qui font souvent office de traductrices et remplacent donc les interprètes de sexe masculin.
13L’année 1930 marque l’âge d’or de la PMI publique en Gold Coast, avec pas moins de neuf doctoresses travaillant dans différents centres17. La géographie de la PMI, lue à travers ces établissements, est éloquente : c’est toute la Colonie « utile », urbaine et bien intégrée à l’économie coloniale, qui en est équipée. En 1928, trois agglomérations sont dotées de centres gérés par le gouvernement : Accra (avec deux centres), Sekondi (avec en outre une annexe non loin, à Shama) et Kumasi. L’année suivante deux autres centres ouvrent, à Koforidua et Cape Coast.
14La concentration dans la zone méridionale du pays est donc extrême. La même année, le rapport indique que le nombre de centres a encore augmenté à Accra et que d’autres villes du Sud, comme Ho et Nsawam (bourgade pourtant modeste), ont également vu apparaître des activités de PMI – à défaut d’un centre en bonne et due forme. L’ouverture d’un centre dans une ville a une incidence immédiate sur la zone d’attractivité : ainsi le nouveau centre de Koforidua draine-t-il dès 1930 les villageoises des environs, qui délaissent ainsi les centres de la ville d’Accra18. Mais ce maillage assez dense des services pour mères et enfants dans les localités du sud contraste avec l’absence d’activité publique de PMI au nord de Kumasi jusqu’au milieu des années 1930 : ce n’est qu’en 1934 que l’on trouve mention de la PMI à Tamale – et encore, « sous une forme moins ambitieuse » que dans les autres villes, précise le rapport19. Le centre de gravité de la protection maternelle et infantile n’est donc pas fait pour remédier aux grands déséquilibres de la Colonie : au contraire, la politique des autorités a tendance à les renforcer.
15Mais au début des années 1930, la PMI connaît partout un tournant majeur, avec la crise économique mondiale qui frappe la Gold Coast dès 1930-1931. Apparaît alors sur la scène de la maternité coloniale un nouvel acteur : la Croix Rouge. Avant cette innovation, cependant, un débat a agité le petit monde médical colonial autour de deux questions : celle du genre de l’obstétrique et de la pédiatrie – dans leur version préventive ; et celle de la vocation préventive ou curative des centres de PMI.
La PMI, une spécialité médicale féminine ?
16Rappelons d’emblée que la médecine préventive est traditionnellement un volet moins noble, moins prestigieux et moins prisé que la médecine curative. En effet, quels que soient ses avantages pour la population, elle est moins valorisante pour le médecin, qui se « contente » de préserver la santé publique plutôt que de déployer son savoir et d’être dans l’action. Il n’est donc pas fortuit que la médecine préventive soit longtemps perçue comme « féminine », puisque relevant finalement plus du care que du cure – plus du soin que de la thérapeutique20. Ceci est encore plus vrai quand il s’agit de santé maternelle et infantile, deux domaines relevant des rôles féminins traditionnels que sont la reproduction et le soin des enfants. C’est donc à un double titre que la PMI serait « féminine » : parce que préventive d’une part et parce que tournée vers la santé reproductive et les plus jeunes d’autre part. Enfin, l’aspect éducatif de la PMI, dans le cadre de laquelle les médecins ont pour mission d’instruire les mères dans les règles d’hygiène, de puériculture et d’alimentation, ajoute encore au caractère « féminin » de cette branche médicale. En Grande-Bretagne, dans l’entre-deux-guerres, il était couramment admis que les femmes médecins devaient s’investir dans des programmes de réforme sociale, et pas uniquement dans l’aspect thérapeutique de leur profession, ce qui n’était pas le cas de leurs confrères21.
17Cette conviction est si forte que non seulement elle semble partagée par tous les responsables médicaux ou administratifs de la Gold Coast dans les années 1920 mais encore aucun document n’en donne les raisons : que la PMI soit un travail de femme semble relever de l’évidence, du sens commun. Comme tout ce qui paraît « naturel », cette certitude se passe d’explication : c’est en vain qu’on en cherche dans les sources, qui à ce titre n’ont d’ailleurs rien de spécifiquement colonial. En outre, cette conviction est puissamment relayée par l’influente Fédération des femmes médecins britanniques, qui fait alors figure de groupe de pression féministe dans la profession médicale22. Dans les années 1930, la Fédération, qui s’efforce de promouvoir les carrières coloniales de femmes médecins, s’empare de la question de la mortalité maternelle et infantile en Afrique, affirmant que les taux baisseraient si davantage de doctoresses y étaient envoyées23. Le consensus semble donc sans faille : qu’il s’agisse de l’administration médicale en Grande-Bretagne, en Gold Coast ou encore des associations de femmes médecins, tout le monde semble d’accord pour dire que les doctoresses sont plus qualifiées que les hommes pour la PMI.
18Le résultat en est qu’avant leur départ, la quasi-totalité des femmes médecins recrutées pour la Gold Coast ont signé un contrat stipulant que l’essentiel de leur travail relèverait de la protection maternelle et infantile24 et qu’à ce titre, elles dépendraient de la branche sanitaire du Département médical – ce qui n’était pas sans conséquences sur leurs revenus. Toutes ces doctoresses portent le titre de Woman Medical Officer (WMO) ou de Lady Medical Officer (LMO). Or une seule d’entre elles, le Dr Cicely Williams, avait expressément précisé sa préférence pour la pédiatrie et la protection infantile25, ce qui prouve que ses consœurs n’avaient sans doute pas d’attirance particulière pour ce domaine. Et de fait, sur le terrain, plusieurs indicateurs montrent que l’équation « PMI = femmes médecins » est loin de fonctionner parfaitement.
19Le premier accroc à cette logique survient de façon presque anecdotique en 1927. Sans protester officiellement contre le travail qu’on lui a confié, le Dr Kathleen O’Halloran, WMO au centre de PMI de Sekondi, fait preuve de si peu d’enthousiasme qu’elle ébranle la conviction de son supérieur sur l’inclination naturelle des femmes pour cette spécialité. Le Dr Quin prend note de son manque d’intérêt pour le travail au centre de PMI – où elle ne passerait que deux minutes en consultation avec chaque jeune patient – et ne cache pas sa contrariété quand, l’ayant encouragée à participer à des visites à domicile prénatales et postnatales, il se voit adresser un refus catégorique. Il finit par conclure (non sans ajouter qu’il en va de même pour la plupart de ses collègues masculins) :
[It] is no secret here, either among Dr O’Halloran’s professional colleagues or her wider circle of acquaintances, that the practice of obstetrics is acutely distasteful to her26.
20Cependant, le cas individuel de Kathleen O’Halloran était insuffisant pour remettre en cause la profonde conviction selon laquelle les doctoresses étaient naturellement prédisposées pour la PMI. Elle pouvait après tout constituer l’exception qui confirme la règle. Mais deux ans plus tard, l’une de ses collègues, Sybil Russell, allait bien plus loin, couchant par écrit un certain nombre de récriminations, et se plaignant en particulier de devoir, en tant que femme médecin, se restreindre à la protection maternelle et infantile, malgré son goût pour la médecine générale27 :
I have not found the conditions under which I was asked to work very satisfactory […]. Under present conditions the work of medical women employed by the Gold Coast Government is restricted to children and to antenatal work except in Accra, and the great mass of work among women in the Colony is hardly touched28.
21Elle souligne là une double limite de la politique coloniale : non seulement les femmes médecins sont limitées à une seule branche de la médecine29 mais encore la santé des femmes africaines n’est pas prise en compte en tant que telle – seules leurs capacités reproductives semblent préoccuper les autorités. De fait, le nombre de lits réservés aux femmes dans les hôpitaux africains est bien inférieur à celui des lits destinés aux hommes. Ainsi, à Cape Coast dans les années 1930, les femmes disposent de trente-deux lits dont dix-huit pour la maternité, contre quarante-deux lits pour les hommes30 ; aucun lit n’est spécifiquement réservé à la chirurgie pour les femmes, en dehors des césariennes, effectuées dans le cadre de la maternité.
22À la frustration professionnelle des doctoresses, relayée par la Medical Women’s Federation, s’ajoutait une véritable discrimination sur le plan du statut et du revenu. En effet, elles n’étaient pas éligibles comme membres du West African Medical Service, réservé aux hommes et leur garantissant un certain nombre de privilèges : pour ceux qui dépendaient de la branche médicale, le droit de pratiquer en libérale en dehors de leurs horaires dans le service public ; et pour leurs collègues de la branche sanitaire, dépourvus de ce droit, une indemnisation financière. Les femmes, elles, ne pouvaient ni pratiquer en libérale ni prétendre à une compensation, d’où des revenus nettement inférieurs.
La fronde des doctoresses et la réaction des autorités
23En 1930, le Dr Sybil Russell rédige une pétition pour protester contre cette discrimination et en profite pour rappeler, comme un an auparavant, sa préférence pour la médecine curative31. Sept de ses consœurs s’étant jointes à elle pour la signer – soit la quasi-totalité des doctoresses de PMI, alors au nombre de neuf –, le Département médical est contraint de se pencher sur cette épineuse question. Finalement, après maints débats, les autorités tranchent enfin en faveur d’une compensation financière32. La crise ayant entre-temps rendu cette mesure difficile à mettre en œuvre, ce n’est qu’en 1935 que les fonds sont enfin débloqués, après qu’une autre femme médecin, Cicely Williams, a de nouveau alerté les autorités.
24Quant à la théorie implicite sur l’inclination naturelle des WMO pour le travail préventif et à la PMI, elle continue à être débattue mais sans être jamais officiellement remise en cause par les autorités médicales. Symptomatique à cet égard était la réaction du supérieur de Kathleen O’Halloran. Loin de prendre au sérieux l’aversion de cette dernière pour l’obstétrique, il proposait pour tout remède… un séjour prolongé à la maternité d’Accra, afin de mettre à l’épreuve cette répugnance33. On ignore si ce traitement fut effectivement administré mais si oui, il a en tout état de cause été inopérant, comme le prouve le départ définitif du Dr Kathleen O’Halloran en 1928, après une brève carrière de quatre ans en Gold Coast.
25Une autre réaction des responsables du Département médical face aux doléances des femmes médecins de PMI consiste récuser leurs revendications en stigmatisant leurs auteures. Cette stigmatisation prend deux formes. La première consiste à minimiser les critiques des doctoresses en expliquant que ce sont elles qui ne sont pas à la hauteur. C’est l’attitude du directeur du Département médical, qui, ayant reçu la pétition lancée par Sybil Russell, en minore la portée, affirmant qu’elle n’est pas soutenue par les « meilleures femmes médecins34 » – alors même que toutes sauf deux l’ont signée. Cet avis est partagé, quelques années plus tard, par un fonctionnaire anonyme du Colonial Office, qui écrit :
My experience is that women doctors in the colonies often do not want to do the work for which they have been specially recruited (e.g. child welfare, etc.)35.
26Autrement dit, si les employées des services médicaux protestent, ce sont elles qui sont en cause et non le fonctionnement du Département médical, lequel n’a donc pas à se pencher sérieusement sur les raisons de leur mécontentement. Il faut dire que le responsable du Département a trouvé une seconde raison de stigmatiser ses employées : d’après lui, c’est le féminisme qui est à l’œuvre et pousse les doctoresses à la révolte. Après la pétition de 1930, il montre du doigt « les féministes locales » et les accuse d’avoir engagé « une action mal venue et prématurée »36. Cette accusation de féminisme, loin d’être anecdotique, est l’un des principaux arguments destinés à flétrir le mouvement de protestation en cours. On la voyait déjà poindre dans la façon dont était jugée Katherine O’Halloran par ses supérieurs. L’un des reproches que lui faisait le Dr Quin, à mille lieues d’une appréciation purement professionnelle, tenait à sa conduite. Il notait pourtant que « la popularité du centre de PMI [s’était] considérablement accrue37 » : c’était bien le signe que, quel que soit son manque d’enthousiasme, le Dr O’Halloran n’avait pas découragé les mères africaines de fréquenter le Centre. Mais loin de relever cet aspect, il consacrait tout un paragraphe à la personnalité et au comportement de sa subordonnée. Ce portrait est incontestablement celui d’une jeune femme émancipée des années 1920 – qui d’ailleurs, avant son arrivée, avait expressément demandé à être affectée à Accra plutôt que dans la petite ville de Sekondi38. Il souligne « son inclination pour ce qu’elle appelle “prendre du bon temps” » et finit par la qualifier de « flapper39 ». Ce n’est à l’évidence pas un compliment : bien qu’il impute cette attitude, « quasi universelle chez les femmes », à « une réaction aux difficiles années de la guerre », il la tient pour « peu compatible avec la vocation d’une femme médecin40 ». En d’autres termes, une bonne WMO ne devrait ni aspirer à l’émancipation ni s’afficher comme femme émancipée41. Cette conviction est alors partagée par bon nombre d’employés du Colonial Office, comme en témoignent plusieurs réactions à des lettres adressées par la Medical Women’s Federation, laquelle déplorait le trop faible nombre de doctoresses aux colonies. Tandis que l’un de ces fonctionnaires écrivait dédaigneusement en marge d’une de ces missives que c’était « bien le genre de lettres auquel on pouvait s’attendre de la part de la MWF42 », un autre ajoutait :
On paper they usually claim equal treatment with men and in practice want special privileges as women43.
27Ces remarques ne relèvent pas que d’une misogynie ordinaire : il s’agit plutôt d’un antiféminisme qui sert un objectif précis : délégitimer les revendications des femmes médecins – en poste en Gold Coast ou non – pour n’avoir pas à en tenir compte44. Pourtant, de façon surprenante, on assiste en Gold Coast à ce qui semble être une volte-face du directeur du Département médical, le Dr Duff : vers 1932, il commence à remettre en cause le dogme selon lequel la PMI serait une branche féminine de la médecine. Mais comme on va le voir, son propos est moins de donner raison aux doctoresses frondeuses que de remettre en cause l’ensemble du travail de PMI.
La controverse entre Lady Slater et le Dr Duff (1932)
28Bien que les femmes médecins de la Gold Coast n’aient pas réussi à ébranler la certitude selon laquelle elles étaient faites pour le travail de PMI – leurs remises en cause pourtant multiformes ayant eu pour effet principal de les discréditer –, elles finissent par trouver, semble-t-il, un interlocuteur compréhensif en leur supérieur hiérarchique, le Dr Duff. Tout en le regrettant, il reconnaissait en 1932 que les femmes « s’intéressaient à la médecine clinique générale, à l’obstétrique et à la pédiatrie mais pas vraiment au volet préventif » et que « les femmes qui convenaient [à ce travail] étaient exceptionnelles45 ». Il allait même plus loin, insistant sur l’absence de formation qui expliquerait ce manque d’intérêt – prenant donc quelque distance avec la conviction essentialiste latente selon laquelle les femmes seraient naturellement enclines à la PMI46.
29Le même Dr Duff avait également eu l’occasion de présenter un point de vue original sur une question connexe, dans la même année 1932. Cette année-là, dans un effort manifeste pour protéger le travail des femmes médecins de PMI en Gold Coast, l’épouse du gouverneur, qui patronnait la Gold Coast League for Maternal and Child Welfare (voir ci-après), avait affirmé que les Africaines préféraient avoir recours à des médecins de sexe féminin47. Le Dr Duff ayant réfuté cette allégation comme « grandement exagérée », le gouverneur Slater mandate une enquête à ce sujet dans l’ensemble des territoires de la colonie, y compris l’Ashanti et les Territoires du Nord48. Cette enquête donne lieu à des documents exceptionnels à la fois par leur nombre, leur variété et, surtout, leur sens de la nuance. Pour une fois, des commissaires de district, rarement sollicités dans ce but, sont tenus de se pencher sur des « affaires de femmes » ; et ils le font avec application.
30Le tableau qui ressort de cette enquête, assez contrasté, reflète à la fois la grande diversité des situations locales (sur un territoire grand comme presque la moitié de la France) et les difficultés rencontrées par les enquêteurs, dont certains avouent leur manque d’expérience ou l’accès malaisé à des informatrices féminines. Au total, on dispose de quinze témoignages de commissaires de district, synthétisés sous forme de tableau par région – tableau comprenant cinq colonnes : Province centrale, Province occidentale, Province orientale, Ashanti et Territoires du Nord49. Manifestement, l’enquête diligentée par le gouverneur a été prise au sérieux, plusieurs des réponses étant assez longues et argumentées. Si beaucoup de ces fonctionnaires donnent explicitement raison à Lady Slater et quelques rares autres à son détracteur, on trouve aussi des documents nuancés, soulignant le fait que le sexe du/de la thérapeute n’est qu’un des éléments – et pas toujours le principal – pris en compte par les patientes. Plusieurs rapports mettent en avant des motivations essentiellement culturelles. Ainsi, le commissaire de district de Kwahu affirme que les Africaines ont plus volontiers recours à une femme médecin, qu’elles croient plus patiente avec les enfants et par qui elles se laisseraient examiner sans réticence50. Son collègue de Koforidua assure que les femmes de la petite localité de Kibbi préfèrent aller jusqu’au centre de PMI de Koforidua avec leurs enfants plutôt que de les amener au généraliste (homme) en poste à Kibbi ; il ajoute que ceci ne peut être imputé au bas coût de la consultation de PMI, étant donné qu’elles doivent débourser le prix du trajet entre les deux villes51. Dans les Territoires du Nord, où la PMI est inexistante et où n’officie aucune WMO, les auteurs avancent néanmoins l’idée que les Africaines préféreraient généralement consulter une femme pour la gynécologie et la pédiatrie. Ils avancent des éléments religieux (prévalence de l’Islam) ou encore « ethniques », les deux se recoupant parfois52. Leur homologue d’Accra donne quant à lui une opinion plus circonspecte et moins culturaliste : d’après son expérience passée à Kumasi, il estime que si les femmes fréquentent plus volontiers le centre de PMI que l’hôpital, c’est moins en raison du sexe du médecin qu’à cause du type d’établissement : plus petit et plus spécialisé, le centre PMI serait plus attractif pour ces deux raisons. Il ajoute à son analyse un facteur de classe : d’après lui, les femmes « éduquées » d’Accra préfèrent en effet consulter une femme médecin car c’est ce qu’on leur a inculqué53. Le commissaire de district de Cape Coast prend lui aussi en compte des facteurs socioculturels pour étayer son avis : selon lui, les femmes des catégories supérieures privilégient la personnalité plutôt que le sexe du médecin ; mais en cas de popularité égale entre un homme et une femme, elles préféreront consulter une doctoresse54. Quant aux femmes des classes populaires, si elles consultent de préférence une femme, c’est pour des raisons économiques, les consultations coûtant moins cher en PMI. Le commissaire de district de Keta insiste à son tour sur cette dimension économique ; par ailleurs, il estime que le sexe du praticien n’est pas déterminant puisque le médecin serait considéré « comme un être à part, à peine humain55 ». Pour lui, c’est le sexe des auxiliaires qui serait une variable pertinente : c’est parce que les centres de PMI disposent d’une main-d’œuvre auxiliaire féminine africaine (sages-femmes, infirmières, traductrices…) qu’ils sont plus populaires que les hôpitaux, où œuvre surtout un petit personnel masculin.
31Enfin, quelques documents abondent plutôt dans le sens du Dr Duff : un commissaire de district des Territoires du Nord affirme que les femmes africaines, par conservatisme, croient dans la supériorité des hommes. Un autre affirme que même si les femmes sont plus enclines à consulter des doctoresses, il vaudrait mieux que les centres de PMI soient tenus par des hommes, qui pourraient être présents sur d’autres fronts médicaux56 – argument discutable, puisque leurs diplômes sont les mêmes et leurs compétences, comparables : seuls leurs contrats diffèrent.
32Avec les nuances relevées plus haut, on constate que l’opinion émise par Lady Slater est assez largement corroborée par les fonctionnaires de terrain. Ajoutons que dans un contexte où dominent généralement les analyses culturalistes, ces documents témoignent d’une remarquable attention à d’autres facteurs, notamment sociaux et économiques au sens large. Quoi qu’il en soit, le Dr Duff ne se laisse pas impressionner par les résultats de l’enquête et persiste à démonter les arguments qui lui sont présentés : ainsi, tel fonctionnaire expliquait que dans les accouchements non médicalisés, c’est à une femme (l’accoucheuse) que s’adresse la parturiente. Duff réfute dans la marge, indiquant que c’est faux et que dans l’accouchement « traditionnel », on fait aussi bien appel à un homme qu’à une femme. Or, volontairement ou non, le directeur du Département médical néglige un élément important : ce n’est qu’en cas de complication que l’on fait appel à un homme, généralement herboriste, dont la réputation prévaut alors sur le sexe. En cas d’accouchement « normal », aucun homme n’est généralement présent – et cela vaut pour toutes les régions de la colonie. Mais il faut dire que pour le Département médical et pour son directeur, l’enjeu de cette enquête était considérable car elle était menée dans un contexte de crise aiguë, où l’existence même des centres de PMI était menacée – ainsi que tous les postes de femmes médecins qui y travaillaient.
Menaces sur la PMI et divergences de conception du Welfare Work
33En effet, les effets de la Grande Dépression ayant atteint la Gold Coast dès 1930, les revenus de la colonie avaient drastiquement chuté en 193257. Dans ces circonstances, les pouvoirs publics cherchaient par tous les moyens à réaliser des économies. Les centres de PMI furent rapidement accusés, par le directeur du Département médical lui-même, de représenter un « luxe coûteux58 ». À vrai dire, les attaques du Dr Duff contre ces centres avaient précédé la récession : dès la pétition lancée par Sybil Russell en 1930 – et peut-être en rapport direct avec cette protestation – il semble avoir développé une opposition quasi systématique à cette branche de la médecine. Ses griefs étaient nombreux : non seulement il déplorait le manque d’enthousiasme des femmes médecins de PMI, estimait que les centres coûtaient trop cher, mais encore il désapprouvait l’usage qu’en faisaient les patientes.
34Pourtant, ces centres avaient rencontré un immense succès auprès des Africaines – succès auprès duquel même la popularité inattendue de la maternité d’Accra fait pâle figure. Tous les chiffres de fréquentation montrent que femmes et enfants venaient en très grand nombre à ces consultations. Le rapport du Département médical pour l’année 1930-1931 fait état de plus de 137000 consultations infantiles et de plus de23000 consultations maternelles pour dix-sept centres en fonctionnement (dont plusieurs sont en fait des centres annexes)59. Ils sont parfois littéralement pris d’assaut : en poste à Koforidua, le Dr Williams a dû appeler la police pour éviter des échauffourées dans la longue queue qui se formait aux abords du centre de PMI60. Il n’est pas rare qu’un centre soit fréquenté quotidiennement par une centaine de mères et d’enfants61 ; Cicely Williams évoque même le chiffre de deux cent cinquante enfants par jour au centre de Kumasi62 – chiffres absolument considérables, qui d’ailleurs épuisent les médecins et, assurément, le reste du personnel.
35Ces centres sont donc littéralement plébiscités par les mères auxquelles ils sont destinés. Un rapport résumant les activités du centre de Koforidua en 1930 affirme que les enfants viennent parfois de localités éloignées de soixante kilomètres ! Pourtant, ce succès, loin de satisfaire les responsables médicaux, en chagrine plus d’un. La pierre d’achoppement est la suivante : destinés à la médecine préventive, ils seraient rapidement devenus des hôpitaux pour enfants, certes généralement dépourvus de lits mais servant néanmoins à des fins curatives. Comme l’a bien démontré Jean Allman pour l’Ashanti63, c’est l’attitude des Africaines qui a été déterminante dans cette évolution, que le Département médical perçoit comme un véritable détournement. Il est vrai que si beaucoup de mères amènent leur enfant simplement pour le faire examiner64, d’autres ne voient pas l’intérêt d’amener en consultation un enfant bien portant :
The people attend the clinics from a wide radius—20-30 miles—and attend regularly, but they certainly expect a bottle of medicine and a visit to the doctor. Would they understand a weighing clinic when they are expected to pay some shillings for a lorry fare and to bring a perfectly well-grown infant to be told its weight65?
36Dans ce bras de fer entre femmes autochtones et autorités médicales, ce sont ces dernières qui l’ont emporté, du moins provisoirement : en effet, contournant comme elles le peuvent la rareté des structures médicales et du personnel66, elles ont transformé ces centres en hôpitaux pédiatriques de jour :
There can be no doubt that the natural tendency of the local clinics, two of which, at Accra and Kumasi, are rather children’s hospitals than welfare centres, if unchecked, would be towards curative activities, for the vast majority of those who attend them unquestionably come for the treatment of actual ailments67.
37Le succès de ces centres est dû à leur taille modeste, à l’accueil réservé aux patientes (plus amène qu’à l’hôpital) et au caractère spécialisé de l’établissement. Là où l’hôpital général s’avère plutôt répulsif, le centre de PMI est rapidement apprivoisé et les femmes ne redoutent pas d’y passer la journée entière à patienter, transformant même cette attente en moment de sociabilité68, ce que déplorait le Dr Goodman69. Or on peut supposer que c’est précisément cette occasion de sociabiliser entre mères, voisines, amies, connaissances, qui fait le succès de ces consultations. En effet, la médecine préventive n’a guère d’atouts pour attirer les patientes puisqu’il s’agit de se rendre à une consultation médicale alors qu’on est en bonne santé – démarche contraignante et d’utilité incertaine. C’est probablement en transformant ces visites en lieux de sociabilité que les mères trouvent un intérêt, ou du moins un intérêt supplémentaire, à les fréquenter. Ainsi les établissements de la PMI deviennent-ils non seulement d’importants éléments du paysage urbain mais aussi des lieux d’échanges, des endroits de rencontre, des sites de la vie urbaine moderne.
38La nature de l’établissement fréquenté est donc un facteur crucial dans ce choix, comme l’a souligné David Armstrong, en distinguant entre hôpital et dispensaire70. Pour lui, si la relation qui s’établit entre patient et médecin dans l’une et l’autre de ces institutions n’est pas de même type, c’est parce que ne s’y développent pas les mêmes rapports entre savoir et pouvoir. À l’hôpital, les corps sont l’objet du seul regard clinique, séparé du reste du corps social ; alors qu’au dispensaire, plus ouvert sur l’extérieur, les patients restent sous le regard de la communauté, et apportent avec eux, devant le médecin, des éléments du contexte social. À l’évidence, c’est bien de la deuxième catégorie que relèvent les centres de PMI, ce qui contribue à expliquer qu’ils aient été si bien apprivoisés par les Africaines.
39D’après l’un des responsables régionaux des services médicaux, cette évolution des centres de soins n’est d’ailleurs pas due aux seules Africaines, mais également à l’attitude des femmes médecins, qui affichent leur inclination pour la médecine curative. Placées à la tête d’un centre de médecine préventive, elles tendent elles aussi à le transformer graduellement en centre thérapeutique, plus conforme à leurs aspirations professionnelles. On aurait là un exemple, assez rare en contexte colonial, de complicité objective entre femmes africaines et femmes européennes, leurs intérêts respectifs se combinant, peut-être même à leur insu :
There is no doubt that the welfare centres have become virtually treatment centres and this evolution was inevitable when, for instance, the practice became established of the wives and families of officials having recourse normally and regularly to the Centres for treatment. That the man should go to the hospital and the women and children to the Clinic grew quickly in the public mind as a very natural arrangement, and the quite intelligible ambition of some of the women doctors to develop the therapeutic practice in relation to gynaecology and general maladies tended to obscure still more the preventive aspect71.
40Ce détournement n’est pas du goût de tous les responsables médicaux de la Gold Coast. Dès 1930, un débat oppose ceux pour qui médecine préventive et médecine curative représentent deux volets bien distincts, et ceux (et celles) pour qui l’une ne va pas sans l’autre. En réalité, cette querelle recoupait très largement la division des services médicaux en deux branches : la branche médicale stricto sensu et la branche sanitaire, placée sous la tutelle de la première. Tandis que la branche médicale a tendance à voir en sa subordonnée un luxe coûteux et peu utile, la branche sanitaire rappelle régulièrement qu’un système médical ne saurait fonctionner sans sa partie préventive. Certes, on ne s’étonne pas que les médecins des services sanitaires souhaitent défendre leur spécificité, leur spécialité et éventuellement leur poste. Mais par-delà le réflexe corporatiste, ce différend sérieux rappelle à quel point « les colonisateurs » ne constituent pas un groupe homogène, monolithique ou exempt de tensions. Car c’est dans le tout petit milieu du Département médical que se déploie, entre 1930 et 1932, une controverse qui a donné lieu à des échanges très vifs, dont l’enjeu était d’obtenir un arbitrage du gouverneur, à qui il revenait soit de liquider, soit de réformer, soit encore de maintenir à l’identique les institutions de PMI.
41Le principal adversaire déclaré des centres de PMI est le Dr Duff, directeur par intérim puis directeur du Département médical au tournant des années 1930. Il est soutenu un temps par l’un de ses collègues, le Dr O’Hara May, directeur intérimaire de la branche sanitaire du Département médical en 193272. Leur intention est de supprimer des centres qui ne répondraient plus à leur fonction initiale, feraient double emploi avec les autres établissements (dispensaires et hôpitaux) et se révéleraient, à l’usage, trop onéreux. Non sans une certaine mauvaise foi, le Dr Duff préconise ainsi que la PMI soit désormais transférée « aux maternités » – pluriel qu’il sait abusif, puisqu’il n’existe alors stricto sensu qu’une maternité pour toute la Gold Coast73. La dimension économique de cette attaque en règle contre les centres de PMI ne doit pas être négligée, même si elle est rarement évoquée directement. En effet, en amenant leurs enfants malades au centre de PMI, les femmes court-circuitaient de fait les médecins hommes du service public (Medical Officers), qui bien souvent complétaient leurs revenus avec des heures de consultation à leur compte. C’est en tout cas ce que souligne un commissaire de district de la région occidentale, fervent défenseur des centres de PMI, qui admet qu’il n’avait « pas pris en considération le fait que les Centres de PMI interféraient avec la pratique libérale des médecins74 ». Il est donc très possible que le directeur des services médicaux, en dénonçant les dérives des centres de PMI et en planifiant leur fermeture, ait en réalité été le lobbyiste des médecins pratiquant en partie à leur compte.
42Dans le camp adverse des défenseurs de la PMI, on trouve le Dr Selwyn-Clarke, directeur adjoint de la branche sanitaire, qui ne ménage pas ses efforts pour réhabiliter le travail de PMI auprès de ses supérieurs et du gouverneur. Ce faisant, il croise le fer avec son chef, le Dr Duff : l’intensité de leur désaccord est patent dans toute leur correspondance et laisse des traces jusqu’en 1936, lorsque le Dr Duff, rédigeant une lettre de recommandation pour son subordonné, parvient à en vanter l’action et les mérites dans la lutte contre la fièvre jaune, la peste ou la variole mais sans dire un seul mot de sa mobilisation en faveur de la PMI, ni de son rôle-clé dans la fondation de la Croix Rouge locale – ce qui d’ailleurs étonne l’administrateur par lequel transite la lettre75. Selwyn-Clarke n’est cependant pas seul à défendre la PMI et ses structures : il est rejoint par le Dr Mackay, directeur assistant des services sanitaires76 ; par le Dr Howells, Senior Health Officer77 ; par le Dr Cicely Williams, l’une des plus ferventes avocates de la PMI, qu’elle n’envisage que comme intimement liée à la médecine curative78 ; ou encore par la pionnière de la PMI, Jessie Beveridge79. À leurs yeux, la complémentarité entre les deux volets est indéniable et d’autant plus nécessaire que les conditions locales, bien différentes de celles qui prévalent en Grande-Bretagne (où les centres de PMI sont exclusivement préventifs), ne permettent pas de faire l’économie de l’une ou de l’autre. L’efficacité d’un traitement permet de susciter la confiance des patients dans la médecine occidentale en général, d’où la nécessité de ne pas se cantonner à des consultations préventives :
Anyone who has had any experience in Health propaganda in connection with welfare work will acknowledge that the only way to secure understanding and appreciation of preventive work, more particularly amongst a population mostly illiterate, is to show something tangible. […] Mothers will listen very much more attentively to advice with regard to their infants and with much more chance of such advice being acted upon if their confidence has been won by, for example, having seen their own or their neighbour’s child cured of high fever or of an attack of enteritis by a few doses of quinine and a purge – for which, by the way, they now have to pay80.
43Chaque camp fourbit donc ses arguments, dans l’espoir de convaincre le gouverneur, entre les mains duquel se trouve, en dernière instance, le sort de la PMI et de ses employées.
Mobilisations africaines en faveur de la PMI
44Dès 1931-1932, la PMI paie un lourd tribut à la récession qui affecte la colonie : en 1931, la clinique de Christiansborg (un quartier d’Accra) est fermée, le bâtiment loué à un médecin libéral et la WMO licenciée. L’année suivante, ce sont quatre femmes médecins de PMI qui sont à leur tour congédiées, réduisant les effectifs de moitié par rapport à l’année 1929. Le Dr Duff, dont l’objectif était la suppression totale de ce secteur d’activité, semblait avoir gain de cause. Mais c’était compter sans l’exceptionnelle mobilisation des Africain·e·s contre sa politique. En effet, les habitant·e·s de plusieurs villes ou bourgades concernées par le projet de fermeture des centres de PMI s’engagent dans une protestation collective, qui prend une forme écrite. À Kumasi, à Cape Coast, à Sekondi, des pétitions sont rédigées et signées par des dizaines de personnes, hommes et femmes, humbles et notables, alphabétisés ou illettrés, puis adressées au gouverneur81. Le texte de la pétition de Sekondi, au bas de laquelle figurent trente-deux signatures et deux cent quarante-huit croix, est destiné à émouvoir le gouverneur et à infléchir la politique du gouvernement. Il prend donc des accents pathétiques :
[The retrenchment of the nurse-midwife in Sekondi, Miss Maude Christian] would spell untold misery to expectant mothers and break the hearts of mothers and babies who have learnt to love the service she has given and in whose homes her very presence has dispelled sadness and gloom at critical periods82.
45La pétition de Cape Coast, elle, est signée de cent sept noms (et pas une seule croix), dont ceux de dix-neuf élèves d’écoles missionnaires ou publiques. De facture plus classique, elle emprunte au registre formalisé de la pétition adressée aux autorités publiques (tradition britannique depuis la lutte contre la traite des esclaves), mais n’en atteste pas moins la grande popularité de la PMI83. Le texte de la pétition de Kumasi, qui émane du palais du Kumasihene, est signé uniquement par des « chefs ». Assez comparable à celui de Cape Coast dans le ton général et les arguments avancés, il en diffère cependant sur certains points : on y lit que lorsqu’un navire coule, le capitaine doit s’occuper de sauver « les femmes et les enfants d’abord » ; que les Ashantis n’ont pas été consultés, sans quoi ils auraient exprimé leur opposition à la fermeture du centre de PMI ; que le but de tout gouvernement est la poursuite du bonheur de son peuple (argument directement puisé dans le registre politique du libéralisme britannique) ; et qu’à ce titre il est regrettable de sacrifier les enfants, qui représentent l’avenir84.
46Quelles que soient les différences de ton ou d’arguments exposés, ces textes témoignent tous d’un grand savoir-faire politique et d’une non moins remarquable capacité de mobilisation. On peut supposer qu’ils ont été rédigés par des hommes de loi, tant ils sont formalisés, correspondant aux canons britanniques de la pétition. Mais l’enjeu est bien de sauver la PMI, qui, en quelques années, s’est imposée comme un secteur indispensable non seulement auprès des femmes africaines mais dans l’ensemble de leurs communautés. Des journaux relaient cette mobilisation, notamment celui de Nanka-Bruce, dont on connaît à la fois l’engagement contre la mortalité infantile et maternelle et l’opposition à la politique du gouvernement. Le 26 mars 1932, le Gold Coast Independent publie un article sur le projet de fermeture des centres de PMI, protestant contre ce plan et proposant que le gouvernement revienne plutôt sur la gratuité des consultations. Trois semaines plus tard, un second article déplore le projet de fermeture de la clinique de Cape Coast et la menace de renvoi de la doctoresse. Il rappelle aussi la popularité de l’établissement et évoque la pétition rédigée par des habitants de Cape Coast, façon de rendre publique une initiative qui aurait pu rester confidentielle et locale.
47Cette protestation, alliée à l’effort déjà mentionné de Lady Slater et conjuguée à l’engagement du Dr Selwyn-Clarke, finit par porter ses fruits. Ce dernier, bien placé pour connaître les difficultés financières de la colonie et l’opposition de son supérieur au travail de PMI, imagine un plan qui permettrait de sauver l’essentiel des centres, tout en réalisant des économies. Il s’agit pour le gouvernement de renoncer à l’exclusivité sur la PMI pour la confier en partie à une institution caritative, la Croix Rouge.
Aux origines de la Croix Rouge : la Gold Coast League for Maternal and Child Welfare
48En Gold Coast, la Croix Rouge datait de la Première Guerre mondiale : la branche locale avait surtout servi à organiser des collectes liées au conflit. Lady Clifford, épouse du gouverneur, avait patronné un certain nombre de ces activités et publié en 1918, précisément aux éditions Red Cross, un livre de souvenirs intitulé Our Days on the Gold Coast. Jusqu’en 1932, la Croix Rouge n’est donc pas, sur place, particulièrement associée à la médecine préventive ni à la PMI. En revanche, il existe dans la colonie une association totalement vouée à cette tâche : la Gold Coast League for Maternal and Child Welfare (GCLMCW). Malgré le relatif silence des archives sur cette association, on peut en retracer la genèse, les buts et le fonctionnement. D’après le récit qu’en fait le Dr Selwyn-Clarke plusieurs années après, c’est lui qui serait à l’origine de sa création, en 192785. Composée de bénévoles féminines et systématiquement patronnée par l’épouse du gouverneur, l’association était consacrée à la réforme de la maternité, avec trois objectifs rappelés par le Dr Selwyn-Clarke : 1) combattre, parmi les classes populaires, la suspicion à l’égard des centres de PMI ; 2) populariser l’obstétrique moderne (y compris les visites prénatales) et la maternité d’Accra pour les mères présentant des complications durant la grossesse ; 3) répandre la doctrine d’un bonne hygiène personnelle et domestique86. Le modus operandi était le suivant : les principales villes du Sud du pays (Accra, Cape Coast, Sekondi et Kumasi) étaient divisées en secteurs ; un tandem constitué de deux volontaires – idéalement, une Africaine et une Européenne – prenait en charge l’un des secteurs et organisait des visites à domicile, destinées à promouvoir la maternité, les consultations pré et postnatales, les centres de PMI ou de pesée des bébés, à dispenser des notions d’hygiène ou de diététique et à donner aux mères (démonstrations à l’appui) des conseils sur les soins à apporter aux nourrissons et aux enfants87. À la fin des années 1930, plusieurs centaines de domiciles dans chaque grande ville avaient déjà reçu ces visiteuses. Pour intrusives qu’elles paraissent, ces visites dans les espaces privés, déjà analysées par Jean Allman pour l’Ashanti, n’étaient, semble-t-il, pas si mal vécues par les destinataires : les femmes des milieux populaires y voyaient l’occasion de sociabiliser, de recevoir gratuitement des objets manufacturés (bassine, savon, talc… )88. Il faut dire que bien que fortement paternaliste, cette entreprise cherche à se rendre populaire : à Kumasi, le Dr Chappell enjoint aux bénévoles de « gagner d’abord l’amitié des femmes89 ». Pour cela, il faut notamment marquer la différence avec les visites à domicile des inspecteurs sanitaires, redoutés, voire détestés, pour leur propension à infliger des amendes en cas de prolifération de larves de moustiques dans une concession90.
49Ce véritable travail de propagande (le terme est souvent utilisé par les services médicaux eux-mêmes) de la GCLMCW aurait en outre servi un autre dessein : « abaisser les barrières raciales entre Européens et Africains et éliminer les préjugés raciaux ». Cette affirmation de Selwyn-Clarke, datant d’après l’indépendance, pourrait paraître douteuse ou du moins anachronique. Mais il énonçait déjà cet argument en 193291 et d’autres documents contemporains corroborent l’idée d’une coopération relativement égalitaire, dans ce domaine, entre Noires et Blanches. Il semble en effet que dans les années 1920 en Gold Coast se soient développées des activités racialement « mixtes » – le facteur de classe prenant alors manifestement le pas sur l’élément chromatique. En témoignent deux étonnantes photographies représentant respectivement les participants et les participantes à la fête de départ du juge britannique Smyly en 192992.
50Sur les deux clichés, on est frappé par les similitudes entre Noirs/Noires et Blancs/Blanches. Par exemple, quelle que soit l’origine des protagonistes, ce sont les mêmes tenues qui sont de mise. Chez les messieurs, le costume-cravate (plus rarement nœud-papillon) est de rigueur. Pour les dames, Africaines et Européennes sont à la mode des années folles : chapeaux à bords ou chapeaux-cloches, robes droites assez courtes (parfois juste au-dessous du genou), bas clairs et colliers en sautoir. Leurs postures sont identiques et si les Européennes sont (à peine) plus nombreuses, elles se sont en partie mêlées aux Africaines, ce qui n’est pas le cas du groupe des hommes (tous les Blancs, minoritaires, étant assis au premier rang). Ce qui rassemble toutes ces femmes, c’est qu’à l’évidence elles appartiennent à la bonne société. La liste des noms qui sert de légende aux photos montre que les Africaines sont les dames les plus en vue d’Accra ; issues de familles influentes, elles ont épousé des notables : ainsi, Mrs. Ribeiro (épouse du Dr Ribeiro), Mrs. Dinah Quist, Mrs. Robert Bannerman, Mrs. Hutton-Mills… Or plusieurs de ces dames sont précisément investies dans la League créée par Selwyn-Clarke : c’est le cas de Mrs. Quist et de Mrs. Hutton-Mills (visibles sur la photo, à l’extrême-droite, respectivement au premier et au deuxième rang) ; de Mrs. Kojo Thompson, dont le mari, avocat influent, homme politique et panafricaniste de la première heure, figure sur la photo (deuxième rang, avant-dernier à droite) ; de Mrs. Nanka-Bruce, épouse du médecin pionnier dans la lutte contre la mortalité infantile ; de Miss Ruby Quartey-Papafio, fille de médecin, elle-même enseignante et engagée dans d’autres œuvres charitables comme un orphelinat94.
51À Accra comme dans toutes les villes où existe la League, les dames africaines qui la composent sont donc éduquées, anglophones, chrétiennes, et parentes (ou épouses, dans une union monogame) d’hommes occupant des positions importantes. Les Européennes, quant à elles, sont des femmes d’officiels et de fonctionnaires : sans emploi rémunéré, elles s’investissent dans ces activités caritatives et deviennent ainsi de puissants agents de propagande sanitaire ou morale. À Kumasi, la première équipe de volontaires de la League ne comprend pas moins de quarante femmes, dont, semble-t-il, un quart d’Européennes95. En juin 1932, le Medical Officer of Health de Cape Coast remet à plusieurs dames membres de la League, européennes ou africaines, une décoration pour services rendus96. Plusieurs de ces dames prêtent également une partie de leur demeure, pour la pesée hebdomadaire des bébés (weighing clinic) : souvent la véranda afin que l’événement soit public97. La League a donc représenté dans plusieurs villes méridionales de la Gold Coast un réseau féminin, racialement mixte et socialement élitiste, dont l’objectif était de modifier les habitudes des femmes des classes populaires. Quant à l’effectivité ou l’efficacité de leur rôle, elle est difficile à établir a posteriori mais elle semble avoir été importante dans la popularisation des établissements de PMI ou des nouveaux gestes et habitudes relatifs à la maternité. Malgré les réserves que l’on peut émettre sur « l’abaissement des barrières raciales » qu’aurait permis le travail des bénévoles de la League, il est certain que l’existence de cette association a pavé la voie pour le plan de sauvetage des centres de PMI concocté par Selwyn-Clarke. En effet, l’action caritative conjuguée au bénévolat était l’une des pierres angulaires de la Croix Rouge, appelée à devenir un partenaire majeur de la PMI à partir de 1932.
L’entrée en scène de la Croix Rouge
52C’est en juin 1932 que, à l’initiative du Dr Selwyn-Clarke, et après accord du directeur de la Croix Rouge britannique, est créée en Gold Coast une branche locale de la Croix Rouge (appelée British Red Cross, Gold Coast Branch)98. La réunion qui inaugure cette création se tient dans le bureau du directeur des Services médicaux et sanitaires à Accra99, choix qui indique que le gouvernement compte bien continuer à superviser les activités, médicales, paramédicales et sanitaires, de la Croix Rouge. Les statuts stipulent d’ailleurs que son président ne sera autre que le directeur des Services médicaux et sanitaires. Pour autant, les autorités tiennent à ce que ce rôle de directeur reste discret : sollicité pour devenir le président de la branche de l’Ashanti, le commissaire général de cette région décline, expliquant qu’il ne faudrait pas que les Africains aient l’impression qu’il s’agit d’une officine gouvernementale, car ils risqueraient alors de ne pas s’y impliquer suffisamment100.
53La nouvelle association est directement issue de la GCLMCW, qu’elle absorbe, sur proposition de Selwyn-Clarke. Les statuts stipulent d’ailleurs qu’elle est « formée en priorité pour accroître les efforts, gouvernementaux ou non, en direction de la protection des mères et des enfants101 ». Mais la Croix Rouge diffère de la League sur bien des points : d’abord, il ne s’agit plus d’une association (presque) exclusivement féminine102. Vouée à brasser des fonds issus de dons, elle est davantage structurée et est présidée par un comité central, composé de trente-six membres des deux sexes (on n’y compte plus qu’un quart de femmes), d’origines européenne et africaine. En dehors de membres de la League, le Comité comprend des représentants des missions chrétiennes, du Département de l’éducation, mais également des banques et des grandes compagnies commerciales103. Enfin, si la PMI demeure l’un de ses principaux fronts d’intervention, les compétences de la Croix Rouge sont plus larges : elle a également vocation à s’occuper des aveugles, des lépreux et des handicapés physiques ou mentaux. En outre, la Croix Rouge ne se contente pas d’envoyer ses membres faire de la propagande et du porte-à-porte. Elle devient à la fois gestionnaire de plusieurs centres de PMI et employeur du personnel qui y est affecté. Il s’agit donc d’un tournant capital puisqu’on revient sur le (quasi) monopole détenu jusque-là par la médecine publique en matière de PMI.
54La Croix Rouge a un comité central à Accra, et quatre divisions provinciales, relativement autonomes : Gold Coast Colony, Western Province, Central Province, Ashanti. Une fois encore, les Territoires du Nord restent marginalisés. Afin de motiver les jeunes générations, sont aussi créées quatre branches junior, qui rassemblent environ trois cent soixante-dix élèves de quatre établissements réputés : la Government Girls School d’Accra, la Presbyterian Girls School d’Aburi, l’Achimota College et le Presbyterian Training College d’Akropong. Deux de ces quatre établissements étant non mixtes, on voit bien que le bénévolat est considéré comme une activité préférentiellement destinée aux filles.
55À partir de 1932, une plus grande diversité règne donc dans la gestion des centres de PMI. Tandis que ceux d’Accra, Kumasi et Koforidua (jusqu’en 1936 pour cette localité) restent sous la tutelle et l’administration directe du gouvernement, fonctionnant avec une WMO comme avant la crise, d’autres, comme ceux de Cape Coast et Sekondi, passent aux mains de la Croix Rouge. Le personnel y est alors plus fluctuant : souvent gérés par des bénévoles104, ils sont parfois dotés d’une femme médecin rétribuée par la Croix Rouge mais avec un salaire bien inférieur aux doctoresses du gouvernement : 500 £ annuelles contre 840 £ pour les WMO105. En outre, la Croix Rouge se passe parfois tout à fait du recrutement d’une femme-médecin et engage à la place une infirmière (spécialisée en pédiatrie ou en médecine préventive, dite Health Sister) ou une sage-femme, encore bien moins payées106.
56Pour le gouvernement, la dévolution de la PMI à une association caritative a donc pour principal avantage de lui coûter moins cher. Un document de 1932 montre que les centres de Sekondi et de Cape Coast avant la crise coûtaient respectivement 1660 £ et 1680 £ par an (et rapportaient 240 £ et 350 £ de revenus tirés des consultations, devenues payantes une fois leur succès assuré). Gérés par la Red Cross, et dans le cas où celle-ci se passerait de médecins, ces centres ne devraient plus coûter que 410 £ à 450 £ par an, somme en principe couverte par des dons ou subventions (du gouvernement, de la municipalité et de la branche locale de la Croix Rouge) et par les frais de consultation107. Les médicaments sont fournis par le gouvernement et doivent lui être remboursés après utilisation – ce qui est tout à l’avantage de l’association108.
57Mais par-delà l’aspect financier, c’est aussi toute une idéologie qui se développe à l’occasion de la récession : l’idéologie du self-help, qui révèle que pour certains administrateurs, la crise a représenté une aubaine, en permettant de promouvoir un désengagement des pouvoirs publics. En effet, les sources font état de discours récurrents sur le fait que désormais, les Africain·e·s doivent se prendre en charge, se sentir davantage responsables de leur sort, sortir de leur position de « passivité »… L’ordonnance qui régit les droits et devoirs des autorités indigènes (Native Ordinance) est amendée en 1931 pour leur permettre de lever des fonds destinés à promouvoir la santé des populations qu’elles administrent109. Au début des années 1930, le gouverneur prononce plusieurs fois le même discours durant ses tournées régionales ; il use de la métaphore de la fourmilière, dont les ouvrières sont constamment au travail pour la collectivité, pour conclure généralement : « Aidez-vous et le gouvernement vous aidera110. » L’une des doctoresses constate aussi en 1932 que « le gouvernement ne cesse de recommander aux Africains de se prendre en charge111 ». Plus précisément encore, au détour d’un rapport du directeur intérimaire des Services médicaux et sanitaires en 1933, on apprend que « l’objectif de la Croix Rouge [est] de faire en sorte que les gens assument leurs propres institutions112 ». Quant au gouverneur, il affirme, parlant de la Croix Rouge et des fonds importants qu’elle a levés en dix-huit mois d’existence :
The Movement is one that deserves every encouragement and it indicates that the people are realising that they can, and ought to, do for themselves what the Government has hitherto done for them113.
58On ne saurait être plus clair : la création de la Croix Rouge et la dévolution partielle de la PMI sont le résultat d’une politique certes liée à la dépression, mais plus largement à un mouvement de retrait des autorités publiques, qui se dégagent d’un certain nombre de secteurs considérés comme secondaires. L’embryon d’État-Providence timidement apparu dans les années 1920 a vécu : l’appel au bénévolat et l’appui sur le secteur caritatif (on parlerait aujourd’hui d’« ONGisation ») constituent dès lors la justification politique et morale du désengagement des pouvoirs publics. En somme, la récession a du bon, puisqu’elle permet aux Africains de se « responsabiliser »… Rappelons que les signes d’autonomie manifestés auparavant n’avaient pas pour autant été bien vus de l’administration : ainsi, les mères transformant les centres de PMI en hôpitaux pédiatriques avaient-elles indéniablement fait la preuve qu’elles savaient se prendre en charge – mais ceci avait fortement déplu au Département médical. Pour les autorités, c’est donc moins la capacité d’initiative des Africains qui est valorisée que leur capacité de mobilisation financière : avec la Croix Rouge, le gouvernement garde la haute main sur la politique de PMI, tout en la faisant largement financer par l’appel aux dons et aux adhésions, au lieu de ne puiser que dans les fonds publics.
Grandeur et décadence de la Croix Rouge dans la Protection maternelle et infantile
59Si la Croix Rouge gère donc une partie des centres de PMI à partir de 1932, elle récolte aussi des fonds pour des opérations ponctuelles : construction d’un bâtiment pour les mères des enfants de l’hôpital Princess Marie Louise114, agrandissement des salles de la maternité d’Accra115, construction d’une toute nouvelle salle de vingt lits116, achat de matériel médical117… Quelques années plus tard, la Croix Rouge contribue également à la diversification des modes d’intervention. En effet, le différentiel d’infrastructures entre milieu urbain et milieu rural était flagrant, les villages représentant le parent pauvre de la PMI alors même qu’une grande majorité des habitants de la Gold Coast sont des ruraux. Dans un premier temps, les infirmières employées par la Croix Rouge sont censées se déplacer une fois par semaine pour tenir une consultation de PMI dans de petites localités, ce qui n’est pas une mince affaire. Il convient d’abord de trouver (ou de faire construire) un bâtiment adéquat – souvent très simple, en pisé, constitué d’une ou deux pièces ; puis de convaincre les habitants de fréquenter cette consultation, ce qui n’est pas toujours aisé. Les sources des années 1940 montrent parfois une grande tension entre des autorités villageoises ou médicales, soucieuses d’offrir cette opportunité aux habitants, et ces derniers, qui les boudent. Ainsi, en 1939, l’infirmière de Cape Coast au service de la Croix Rouge se plaint du mauvais accueil qu’elle reçoit à Jukwa et renonce à s’y rendre. De même, ayant essayé d’implanter une consultation à Mouree, elle renonce après n’avoir reçu aucune visite pendant plusieurs semaines consécutives118. Les années 1940 constituent donc une période charnière où se développent les services de PMI en milieu rural, mais sans aucune garantie de succès.
60Quoi qu’il en soit, afin de mieux couvrir le territoire, la Croix Rouge inaugure à la fin des années 1940 le système des « cliniques mobiles ». Il s’agit de camions équipés en eau et en électricité, et abritant un mini-dispensaire. Conduits par un chauffeur, qui accompagne une sage-femme, ils vont de village en village pour des consultations prénatales et postnatales119 et peuvent même servir d’ambulance le cas échéant120. Certaines localités sont desservies par la clinique mobile le jour du marché afin de profiter de l’afflux de population121. À la fin des années 1940, on place de grands espoirs dans ce mode itinérant de diffusion de la PMI : en 1948, Lady Creasy, épouse du gouverneur, lance un appel destiné à collecter des fonds pour financer l’achat de dix camions de ce type. L’appel est radiodiffusé et publié dans la presse locale122. En 1949, on en compte déjà six en fonctionnement, et les sommes reçues ont dépassé les espérances : au lieu des 20000 £ escomptées, ce sont 28000 £ qui ont été récoltées123. Il semble que ces cliniques mobiles aient rencontré un certain succès, si l’on en croit à la fois les chiffres publiés par la Croix Rouge (42000 consultations prénatales et 35000 consultations pédiatriques124) et d’autres documents, tels que ce témoignage d’un maître d’école, dont l’un des jumeaux aurait été sauvé grâce à ce dispositif :
Sir, I desire most respectfully to make on record my humble and personal appreciation of the medical services rendered by the Red Cross Mobile Clinic to me and to the Bokobi district in general. […] I believe I am one of many to whose homes the Red Cross Mobile Clinic has brought comfort and happiness, and I would be very ungrateful if I fail [sic] to bring this good work to notice of the authorities concerned125.
61Il faut dire qu’en 1949, les cliniques mobiles desservent une trentaine de localités126. Cependant, malgré le succès de ces cliniques qui permet un maillage du territoire par les services de PMI, en 1955, la politique de PMI s’infléchit de nouveau. Dans un contexte de marche vers l’indépendance, où les services publics accroissent leurs efforts en matière de protection sociale, il est question que l’ensemble des centres, fixes ou mobiles, reviennent aux autorités publiques. À l’occasion de ce possible transfert de compétences, un débat s’élève sur la qualité des services de PMI dans les centres de la Croix Rouge. Et là, surprise : au lieu de l’habituel concert de louanges et autres satisfecit, on trouve des rapports assez critiques sur les services de PMI dispensés par la Croix Rouge. Ainsi, l’une des responsables locales de l’association, ayant reçu le Dr Cicely Williams (laquelle avait quitté la Gold Coast en1936 et occupait alors un poste à l’OMS), écrivait :
Dr Cecily [sic] Williams came to see us this week and said she was very distressed at the low standard of work in the Red Cross Clinics due to the limited qualifications of the staff, and thought it quite wrong that the government should be content with this as their permanent Maternal & Child Welfare service. I gather she is writing a confidential note to Dr Eddey, at his request, to this effect127.
62Autre problème : la création de la Croix Rouge n’a en rien remédié au flagrant déséquilibre entre régions, inégales devant la PMI comme devant bien d’autres services. Les chiffres de l’année 1955 indiquent que pour l’ensemble des territoires de la Gold Coast, plus de 2200 £ ont été récoltées… sur lesquelles la moitié provient d’Accra, moins de 10 % des Territoires du Nord et moins de 2 % du Togoland sous administration britannique128. D’ailleurs, ces deux dernières régions n’ont même pas de comité local de la Croix Rouge : la logique territoriale déjà relevée pour la PMI publique de l’entre-deux-guerres n’a donc pas changé avec l’entrée en scène de l’organisation caritative – et ceci d’autant moins que les sommes ne sont pas redistribuées entre régions129.
63La même année, Lady Limerick, vice-présidente de la Croix Rouge britannique, en tournée en Afrique de l’Ouest, reconnaît elle-même que son organisation n’est plus tout à fait à la hauteur de la tâche : selon elle, il serait bon que le gouvernement reprenne la main sur les centres de PMI130. C’est là un tournant historique, qui doit être replacé dans le contexte de la marche vers l’indépendance, où les services publics s’étoffent et où la future construction nationale passe par la reprise en main d’un certain nombre de secteurs médicaux. Par ailleurs, s’il est certain que la dévolution de certains centres à la Croix Rouge en 1932 a sauvé la PMI, ce transfert de compétences n’a guère eu d’heureux effets qualitatifs. En acceptant de sous-traiter une partie de la PMI, le gouvernement, tout en restant nominalement maître d’œuvre, perdait de fait le contrôle d’une partie des activités. Or c’était probablement pour ne pas en arriver là qu’à l’origine, les services médicaux avaient résolu de ne pas confier la PMI à un autre partenaire, considéré ailleurs comme « naturel » dans ce domaine : les missions chrétiennes.
La PMI et les missionnaires, un partenariat ancien… et ambigu
64Comme on l’a vu, la Gold Coast avait pour particularité d’avoir développé des services publics de PMI, à l’inverse de situations courantes dans d’autres colonies où les missions, catholiques ou protestantes, en étaient les grandes pourvoyeuses. Ceci ne signifie pas pour autant que les missions en Gold Coast aient été totalement absentes de ce domaine : dans des régions considérées comme périphériques ou dans les territoires administrés indirectement, les missions chrétiennes offrent parfois des consultations prénatales, voire accueillent des parturientes, ou encore organisent des consultations pédiatriques, plus ou moins préventives. Parmi les missions qui, entre les années 1920 et l’indépendance, ont développé ces fonctions (souvent liées à un service de maternité), on peut citer : la mission presbytérienne à Aburi, Akropong et Agogo ; la mission méthodiste à Kumasi ; la mission de Brême à Amadjofe ; la mission anglicane à Mampong ; et diverses missions catholiques à Kpandu, Djodje, Ekwe, Jirapa, Navrongo, Lawra…
65Dès l’entre-deux-guerres, le gouvernement acceptait donc dans certains cas de déléguer la PMI, notamment là où les missions sont déjà bien implantées sur le plan scolaire131. Cependant, tout en versant des subventions aux missions engagées dans ce type de services, les autorités conservent un droit de regard sur ces activités. Ainsi, en 1926, le gouvernement prévoit-il de verser une contribution de 450 £ annuelles par médecin travaillant dans les centres missionnaires de PMI de Kumasi (mission méthodiste) et d’Aburi (mission presbytérienne écossaise). Dans les années 1950, qui correspondent à un accroissement de l’offre médicale en Gold Coast (à la fois publique, privée, caritative et missionnaire), le gouvernement consent même un effort financier particulier, en dotant très généreusement certains établissements qui ont fait leurs preuves, comme celui des sœurs franciscaines de Jirapa (Territoires du Nord), qui reçoivent près de 4000 £ annuelles, ou encore la maternité de Mampong qui perçoit 2000 £132. Mais la contrepartie de ces subventions est un contrôle exercé par le gouvernement : les établissements missionnaires sont soumis à des inspections de médecins de l’administration, dont les rapports ont une incidence directe sur les subventions versées : ainsi la mission des Assemblées de Dieu à Saboba se voit-elle retirer son allocation en 1951, après une visite d’un administrateur médical qui se rend compte que le dispensaire est fermé depuis plus de deux mois et que tout le travail relatif à la maternité est ajourné sine die133. Pourtant, en 1954, cette mission a rouvert une maternité et s’enorgueillit même de la possession d’un petit avion, qu’elle prévoit d’utiliser en cas d’urgence pour transférer les parturientes à Tamale.
66Outre que la médecine missionnaire, d’ailleurs variable d’une mission à l’autre, n’a pas exactement les mêmes buts ni les mêmes méthodes que la médecine publique coloniale134, les autorités gouvernementales reprochent souvent aux missions le caractère discontinu de leur investissement, dû aux fluctuations de la présence des médecins missionnaires. Mais les tensions sont parfois ouvertement idéologiques : à la veille de l’indépendance, deux médecins africains, fonctionnaires du ministère de la Santé, échangent des commentaires d’une ironie très anticléricale, après une correspondance avec l’évêque de Kumasi. Excédé par des réprimandes du Dr Djolito, Principal Medical Officer, qui reprochait à une religieuse d’avoir ouvert une maternité sans autorisation135, l’évêque contre-attaquait en dénonçant (sans les expliciter) des « pratiques illégales » qui auraient cours à la maternité publique de Kumasi. Les deux médecins qui annotent et commentent ce courrier ne ménagent pas leurs critiques à l’égard du ministère catholique. Le Dr Djolito écrit : « Si Monseigneur est tellement au fait de ces pratiques illégales, que ne les a-t-il dénoncées avant ? » ; et son confrère de répondre : « Il était trop occupé à cacher les méfaits de son propre troupeau. » En marge d’un passage où l’évêque proposait d’ouvrir d’autres établissements hospitaliers catholiques, le fonctionnaire ajoute : « Je croyais que leur travail était de prêcher la bonne parole. » Son collègue répond alors : « Ils essaient de te convertir mais sans succès ; je me demande s’il n’est pas trop tard pour ta rédemption136. » Le ton, sarcastique, atteste que les rapports ne sont pas toujours excellents entre missions et gouvernement, dans le domaine de la maternité ou de la PMI. Il faut dire que ce document s’inscrit dans le contexte de la marche vers l’indépendance, où « l’africanisation des cadres » se traduit aussi par l’arrivée aux postes de commande de fonctionnaires proches du CPP, le parti de masse de Nkrumah, marqué par un certain radicalisme, qui peut expliquer l’anticléricalisme des deux médecins cités. Quelques années auparavant, la confiance était en effet suffisante entre autorités administratives et mission anglicane pour que soit signé un accord prévoyant, à Mampong, non seulement la construction d’une maternité mais encore l’ouverture d’un centre de formation pour sages-femmes, qui serait le troisième du genre en Gold Coast (après Accra en 1928 et Kumasi en 1949). Le centre commence à fonctionner en 1956, avec des élèves sages-femmes issues de la région ashanti, dont la formation est conforme aux exigences du Midwives’ Board de 1931. Quant aux rapports d’inspection de la maternité, qui se veut un établissement de pointe, ils sont invariablement positifs137, ce qui montre que les missions chrétiennes peuvent être des auxiliaires appréciés dans la lutte contre la mortalité maternelle et infantile.
Conclusion
67Quoi qu’il en soit, la multiplication des accords passés avec certaines missions, qui accompagne la multiplication des lieux où se pratique la PMI, montre une incontestable diversification de l’offre, mais aussi des partenaires. À la veille de l’indépendance, il existe au moins trois types de centres offrant des services de PMI : les centres publics, les centres de la Croix Rouge et les centres missionnaires138. Au milieu des années 1940, les consultations en PMI se répartissent numériquement de la façon suivante : les centres missionnaires comptabilisent environ 97000 consultations infantiles, soit une grosse moitié du total ; les centres gouvernementaux, avec 52000 consultations, comptent pour un peu plus du quart et les centres de la Croix Rouge, avec 42000 consultations, un peu moins d’un quart139. Il existe certes une certaine perméabilité entre ces différents « prestataires », ne serait-ce que dans la mesure où c’est le gouvernement qui édicte les règles, délivre les autorisations, organise les inspections… Mais ces relations ne sont pas toujours d’une grande fluidité et parfois, la concurrence prend le pas sur la coopération. Ainsi telle femme médecin déplorait-elle qu’en Ashanti, le travail des cliniques mobiles de la Croix Rouge ait découragé les femmes de venir accoucher à Kumasi ; elle demandait même s’il n’était pas envisageable que les cliniques en question s’en tiennent à la protection infantile, plutôt que de s’occuper également de protection maternelle140. Ce cas, bien qu’anecdotique, montre qu’on est loin d’une complémentarité idéale et permanente entre différents prestataires de la PMI. En se diversifiant après la Seconde Guerre mondiale, le travail de PMI n’a pas forcément gagné en cohésion et en efficacité : tout au plus a-t-il gagné plus de régions, corrigeant très partiellement le déséquilibre Nord/Sud ou villes/campagnes qui avait caractérisé l’entre-deux-guerres. La dévolution par les pouvoirs publics de ce domaine médical, présenté en termes libéraux comme un moyen de mettre fin à l’assistanat des populations colonisées, a donc eu des effets contrastés, l’accroissement quantitatif étant en partie neutralisé par la dégradation de la qualité des services. Cependant, avec plusieurs centaines de milliers de consultations dans les années 1950, la PMI s’est indéniablement imposée comme une activité sanitaire dont les femmes usent très largement.
Notes de bas de page
1 L’usage de l’expression française Protection maternelle et infantile est, stricto sensu, anachronique si on l’applique à l’entre-deux-guerres. En effet, en France, c’est en 1945 qu’une ordonnance fonde officiellement cette politique publique, visant à assurer aux femmes enceintes et aux nourrissons un suivi susceptible de réduire la morbidité et la mortalité des mères et des enfants. Mais la politique de santé visant à la protection spécifique de ces catégories n’en était pas à ses débuts en 1945, d’où l’usage assumé de cette expression, qui est par ailleurs la traduction la plus fidèle de Maternal and Child Welfare.
2 Dr Mary Blacklock, Lecture given at Imperial Conference for Social Hygiene, 1931 ; citée par le Dr Duff, Director of Medical Services. CSO 11/5/1. Le Dr Blacklock avait rédigé un mémorandum intitulé “Certain Aspects of the welfare of women and children in the Colonies”. Women and welfare in the Colonies, 1937. CO 323/1418/10. Pour une brève notice biographique de Mary Blacklock, voir Nkwam, 1988, p. 444.
3 CSO 11/5/1.
4 Guggisberg, Gold Coast Review, 1927.
5 Maxwell, Officer Administering the Government, 1 May 1926. ADM 1/2/168/390.
6 Maxwell, Officer Administering the Government, 4 May 1927. ADM 1/2/174/342.
7 Pour la construction du centre d’Accra en 1925, voir par exemple ADM 1/2/164/646.
8 Guggisberg, Gold Coast Review, 1927, p. 189.
9 ADM 1/2/164/646; ADM 1/2/174/342; ADM/1/2/174/343.
10 Allman & Tashjian, 2000, p. 185. Et ADM 1/2/176/738.
11 Summers, 1991. Le cas congolais est assez comparable puisque Nancy Hunt a montré que les pouvoirs publics ont dévolu aux missionnaires, dans certaines régions, les fonctions médicales et sanitaires (Hunt 1999, p. 6).
12 Kanogo, 2001 ; Thomas, 2003 ; Jennings, 2006. Certes, le cas du Soudan sous domination britannique constitue une autre exception à ce modèle est-africain ; mais au Soudan, ce sont des considérations politico-religieuses qui ont poussé les autorités à éviter de confier la PMI aux missionnaires afin de ne pas heurter les sensibilités de la population musulmane. Bell, 1998.
13 Hunt, 1999.
14 Report of the Committee appointed by the Secretary of State for the colonies… 1928. ADM 5/3/26. Sur la formation des sages-femmes à l’école de Dakar, voir Barthélémy, 2010.
15 Allman & Tashjian, 2000, p. 191-193.
16 “My card was the same as that issued to African mothers and was headed ‘Do not spit’.” Gold Coast Wives, Mrs Mary David (résidente en Gold Coast de février 1955 à septembre 1956), File 10, Mss. Afr. s. 1985.
17 Patterson, 1981, p. 15.
18 Gold Coast Report of the Medical and Sanitary Department for the year 1930-1931, p. 176.
19 Gold Coast Report of the Medical and Sanitary Department for the year 1934, p. 27.
20 Molinier, Laugier & Paperman (dir.), 2009. Voir aussi l’éditorial (dû aux deux dernières auteures) de Hugon, Plumauzille & Rossigneux-Méheust, 2019.
21 Witz,2001.
22 Sur l’histoire de cette fédération, voir Hall, 1997. https://www.medicalwomensfederation.org.uk/about/our-history, consulté en juillet 2020. La Grande-Bretagne n’était d’ailleurs pas un cas à part. Au contraire, la situation était générale en Europe de l’Ouest et aux États-Unis : “The conviction that women doctors were good for women patients and their children was one of the strongest feminist arguments in favour of the admission of women to medical schools.” (Usborne dans Conrad & Hardy, 2001, 109-126). Voir aussi Witz, 2001, p. 40 : “One of the central arguments deployed to legitimate the admission of women into the medical profession in Britain and America was the claim of women to be medically attended by their own sex on the grounds that, […] « it is not a natural arrangement that in what so especially concerned themselves they should have recourse entirely to men ». Women’s claim to practice medicine was justified on the grounds of moral propriety. […] It was also argued that natural female modesty might prevent women from seeking expert medical help of they had recourse only to male doctors, with the consequence that women were suffering silently and unnecessarily because, if there were no female physicians, they could not consult them instead.” Voir enfin Bashford, 2004, p. 121-122.
23 The Secretary of the Medical Women’s Federation to the Secretary of State for the Colonies, Londres, 27 November 1936. CO 323/1374/13.
24 Voir les dossiers administratifs des femmes médecins : Personnel Files, National Archives of Ghana, Accra.
25 Cicely Williams, Personal File, E 4302. European Personnel.
26 Dr Quin, Medical Officer of Health, Sekondi, 14 June 1927 ; Kathleen O’Halloran, Confidential File, no 522. European Personnel.
27 Le Dr Sybil Russell vient d’une grande famille de médecins d’Édimbourg (sa sœur Helen a également été recrutée pour une courte période en Gold Coast). D’abord en poste au sein de la mission écossaise en Gold Coast (1924), elle entre au service du gouvernement au moment du développement de la PMI mais comme l’atteste sa thèse sur les problèmes d’anémie liés à la grossesse (1939), elle préfère l’obstétrique thérapeutique à la médecine préventive. Elle demeure cependant en Gold Coast jusqu’en 1950. Voir Jellinek, 2001. Résumant son courrier quelques années plus tard, son supérieur hiérarchique écrit : “On the 29th September, 1929, she wrote in stating that she was more interested in and would much prefer to do general medical or maternity work than child welfare.” Dr Duff to Colonial Secretary, 12 July 1932. CSO 11/6/5.
28 Sybil Russell to Under Secretary of State for the Colonies, 7 June, 1932, CSO 11/6/5.
29 Il faut croire que c’est là un cas répandu dans l’Empire car en 1936, une lettre rédigée par la secrétaire générale de la MWF récapitule les motifs de mécontentement des femmes médecins envoyées aux colonies. Parmi ceux-ci figure en première place le suivant : “When medical women have been appointed the scope of their work has sometimes been restricted as not only to prove irksome and unsatisfying to the medical women but also to lessen the value of their services to the community.” The Secretary of the Medical Women’s Federation to Secretary of State, 27 November 1936. CO 323/1374/13.
30 CO 96/732/10.
31 Sur les infirmières coloniales, mobilisées elles aussi pour leurs droits et conditions de travail, voir Birkett, 1992. Voir aussi Hugon, 2019.
32 Ceci en dépit d’arguments selon lesquels une telle compensation avantagerait en fait les femmes aux dépens de certains collègues masculins, travaillant dans de petites localités où aucune pratique libérale n’était envisageable mais ne recevant pas pour autant de dédommagement. CO 850/14/20.
33 Dr Quin, Medical Officer of Health, Sekondi, 14 June 1927 ; O’Halloran, Confidential file no 522. European Personnel.
34 Dr Duff, cité par Addae, 1997, p. 237.
35 Anonymous, Medical. Welfare Work amongst native women and children. Activities of Medical Women in the Colonies (1936). CO 323/1374/13.
36 Dr Duff, Director of Medical and Sanitary Services to Colonial Secretary, 30 July 1930. Cité dans Patterson, 1981, p. 15.
37 Dr Quin, Medical Officer of Health, Sekondi, 14 June 1927 ; O’Halloran, Confidential file no 522. European Personnel.
38 O’Halloran, Personal file. European Personnel.
39 Ce terme désigne les jeunes femmes émancipées, voire sulfureuses, des lendemains de la Première Guerre mondiale. L’équivalent français est le terme de « garçonne ». Mais les « garçonnes », avec un comportement plus transgressif que les flappers en termes d’allure, de coiffure et de vêtement, défient plus ouvertement les codes de la féminité d’avant-guerre. Bard, 1998.
40 Dr Quin, MOH, Sekondi, 14 June 1927 ; O’Halloran, Confidential file no 522. European Personnel.
41 Birkett, 1992, explique qu’au tournant du xxe siècle, les infirmières candidates à l’outre-mer dont les aspirations n’étaient pas exclusivement le dévouement et l’altruisme étaient systématiquement écartées – en particulier celles dont la motivation était de « voir du pays » ou de « prendre du bon temps ».
42 Anonyme, Medical. Welfare Work amongst native women and children. Activities of Medical Women in the Colonies (1936). CO 323/1374/13.
43 Anonyme, Medical. Welfare Work amongst native women and children. Activities of Medical Women in the Colonies (1936). CO 323/1374/13.
44 Selon Christine Bard, l’antiféminisme peut en effet être défini à la fois comme la lutte contre l’égalité des sexes, et comme la mise en œuvre et l’expression sociopolitiques de la misogynie, qu’il ne recouvre donc que partiellement. Voir Bard (dir.), 1999.
45 Memorandum by Dr Duff, DMSS, The Medical Department, Gold Coast, 1910-1932. A balanced service. CO 96/702/1.
46 Dr Duff, Infant Clinics, Appendix to Infant Welfare Centres. Principles. CSO 11/6/4.
47 En Inde, le fonds Dufferin, du nom de l’épouse d’un gouverneur, a été fondé dans les années 1880 pour promouvoir les carrières médicales féminines, dans un contexte où l’on estime que 2/3 des cent-dix-neuf millions de femmes indiennes refuseraient de se faire soigner par un homme. Jayawardena, 1995, p. 88-89, passim.
48 Governor Slater, 31 March 1932. CSO 11/6/4.
49 CSO 11/6/4.
50 District Commissioner, Kwahu District-Mpraeso, 10 May 1932. CSO 11/6/4.
51 District Commissioner, Koforidua, 25 April 1932. CSO 11/6/4.
52 Chief District Commissioner of the Northern Territories, 24 June 1932. CSO 11/6/4. Cet auteur conclut, contre tous les avis rendus par ses commissaires de district, que les Territoires du Nord n’ont pas besoin d’une femme médecin.
53 District Commissioner, Accra, 26 April 1932. CSO 11/6/4.
54 District Commissioner, Cape Coast, 27 April 1932 ; District Commissioner, Winneba, 22 April 1932. ADM 23/1/976.
55 District Commissioner, Keta, 4 May 1932. CSO 11/6/4.
56 Chief District Commissioner of the Northern Territories, 24 June 1932. CSO 11/6/4.
57 Le revenu de la colonie, largement dépendant des exportations de cacao, avait été presque divisé par 2 entre 1929 et 1930. Wraith, 1967, p. 258.
58 Dr Duff, Appendix A (non daté). CSO 11/6/4.
59 CO 323/1178/16.
60 Baumslag, 1986, p. 14.
61 Voir par exemple le centre de Koforidua, ouvert en 1929 et immédiatement pris d’assaut ; Annual report on the Eastern Province for the financial year 1929-30. ADM/KD 29/6/59.
62 Williams, 1956. Texte reproduit dans Baumslag, 1986, p. 45.
63 Allman & Tashjian, 2000, p. 191-193.
64 “It is gratifying to note that a considerable number of infants are brought to the Clinic for ‘inspection’ and a request for routine quinine administration.” Gold Coast Report for the Medical and Sanitary Department, 1930-1931, p. 190.
65 Dr Stewart, WMO au centre de PMI de Koforidua, non daté (1931). CO 96/702/1.
66 Un mémorandum de 1932 indique qu’en Grande-Bretagne, le nombre de médecins par habitant à la fin des années 1920 serait de 1 pour 800, contre 1 pour 400 000 en Gold Coast (chiffre probablement sous-estimé pour les besoins de la démonstration ; mais qui en tout état de cause reste très faible). Memorandum : Infant Welfare Centres, General Principles. Dr Selwyn-Clarke, 21 March 1932. CO 96/702/1.
67 Résumé anonyme, 1932. CO 96/702/1.
68 Baumslag, 1986, p. 14.
69 “The attendances have demonstrated the popularity of these [extramural] Clinics, although it is to be regretted that most of the patients who attend continue to regard them mainly as social gatherings with the opportunity of obtaining free or cheap medicaments.” Dr Goodman, 1951, Twenty third Annual Report of the Maternity Hospital, Accra. Mss. Afr. 709 (1), p. 2.
70 Armstrong, 1983, chapitre 2. Cité par Witz, 2001, p. 25.
71 Dr Quin, Sekondi, 8 October 1931. CO 96/702/1.
72 Dr O’Hara May, 13 January 1932. CSO 11/6/4. Mais sept mois plus tard, le Dr O’Hara May se déclare d’un autre avis et impute l’opinion émise en janvier à un état de grande fatigue. Dr O’Hara May, 16 July 1932. CO 96/702/1.
73 Memorandum by Dr Duff, DMSS, “The Medical Department, Gold Coast, 1910-1932. A balanced service”. CO 96/702/1.
74 District Commissioner, Winneba, 25 July 1932. ADM 23/1/359.
75 Dossier administratif de Selwyn-Clarke. CSO 11/1/466.
76 Dr Mackay, Appendix to Dr Selwyn-Clarke’s Memorandum, 22 February 1932. CO 96/702/1.
77 Appendix K4. CO 96/702/1.
78 Dans sa thèse manuscrite, elle dénonce « le divorce coûteux et irrationnel qui prévaut en Angleterre entre médecine préventive et médecine curative » (“The expensive and irrational divorce of preventive and curative medicine, as applied to individuals, which at present so stultifies progress in England, will be carefully avoided. » The Mortality and Morbidity of the Children of the Gold Coast, p. 195. PP/CDW, Box no 6 : Ghana period.
79 Celle-ci est sollicitée par le Dr Selwyn-Clarke pour donner son avis en 1932 ; comme on pouvait s’y attendre, celle qui avait ouvert les premières consultations de PMI en Gold Coast estime qu’il est absurde, compte tenu des circonstances locales, de prétendre pratiquer une médecine préventive dénuée de dimension thérapeutique. Dr Jessie Beveridge, Appendix to Dr Selwyn-Clarke’s Memorandum, 22 February 1932. CO 96/702/1.
80 Dr Selwyn-Clarke, 21 March 1932, Memorandum : Infant Welfare Centres, General Principles. CO 96/702/1.
81 Voir Hugon, 2020 (à paraître).
82 Cité dans Patterson, 1981, p. 24. “Petition of the Women Folk of Sekondi” encl. in African Members of the Sekondi Maternity and Child Welfare League to Lady Slater, 13 Feb. 1932. La cote indiquée est : CSO 11/6 1028/31 s. f. I. Mais la série CSO ayant fait l’objet d’un reclassement à la fin des années 1990, le document en question reste désormais introuvable aux Archives nationales à Accra, malgré les efforts du personnel.
83 Infant Welfare Clinic Cape Coast 1932, CSO 11/14/168. Pour une analyse détaillée de ce texte, voir Hugon, 2020 (à paraître).
84 Health and Infant Welfare, ARG 6/14/4; et Infant Welfare Clinic, Kumasi, 1932-1935, CSO 11/6/9.
85 Archive privée de Ms Docia Kisseih, Accra ; mémorandum du Dr Selwyn-Clarke, intitulé “Pioneer Days of the Auxiliary Medical Services in Ghana”, non daté (1962 ?).
86 Dr Selwyn-Clarke, 28 June 1932. CSO 11/6/4.
87 Headrick a décrit une pratique comparable en Afrique Équatoriale française dès le début des années 1920 – à l’énorme différence près que les « dames visiteuses » étaient toutes des Européennes. Headrick, 1994, p. 270-272.
88 Allman & Tashjian, 2000, p. 202-208.
89 Memorandum. Inauguration of the League of Maternity and Child Welfare : Kumasi Branch, 6 October 1927. ARG 1/14/1/12.
90 Addae, 1997, p. 128.
91 D’après Selwyn-Clarke en 1932, le quatrième et dernier but de la League était le suivant : “to assist in the breaking down of the barrier between the two races which mars Progress by the association of a European and African in work for the common good”. Dr Selwyn-Clarke, 28 June 1932. CO 96/705/10.
92 Smyly Collection. Y 30446M/56 et Y 30446M/55. RCS Y 30446 M.
93 Les légendes indiquent les noms des participant·e·s. Sur la photo des dames, on lit :
Group of ladies at a Farewell Party to the Local Bar & others by Chief Justice and Lady Smyly 29th June 1929 ; names as remembered.
Back row from left : 1) Mrs. Bank Keast ; 2) Mrs. Gilliland ; 3) Mrs. Amstrong ; 4) German lady ; 5) Mrs. Pite ; 6) Mrs. Amissah ; 7) Mrs. Inness ; 8) Mrs. Morley ; 9) Mrs. Laing ; 10) Mrs. Vernon Buckle ; 11) Mrs. Idum ; 12) Mrs. Hutton Mills Jun.
Front row from left : 1) Mrs. Thain ; 2) Mrs. Watt ; 3) Mrs. Whittaker ; 4) Mrs. Abraham ; 5) Aileen ; 6) Mrs. Ribeiro ; 7) Mrs. Fawcett ; 8) Mrs. Fraser ; 9) Miss Colbatch Clark ; Mrs. Robert Bannerman ; 11) Mrs. Quist.
94 Memorandum du Dr Selwyn-Clarke, intitulé “Pioneer Days of the Auxiliary Medical Services in Ghana”, non daté (1962 ?). Archive privée de Docia Kisseih, Accra.
95 League of Maternal and Child Welfare, Kumasi Branch, 1927. ARG 1/14/1/12.
96 Medical Officer of Health, 11 June 1932. ADM 23/1/976.
97 Archive privée de Docia Kisseih, Accra ; mémorandum du du Dr Selwyn-Clarke, intitulé “Pioneer Days of the Auxiliary Medical Services in Ghana”, non daté (1962 ?).
98 Selwyn-Clarke, 28 June 1932. CSO 11/6/4. Voir aussi le document imprimé de 4 pages, rédigé par Selwyn-Clarke : A Red Cross Branch on the Gold Coast. CSO 11/1/274.
99 “Minutes of the 1st meeting of the Central Committee of the GC Branch, British Red X Sty, held on Sat. 11th of June 1932 at the Office of the Director of Medical and Sanitary Services, Accra.” CO 96/705/10. Et Selwyn-Clarke : A Red Cross Branch on the Gold Coast. CSO 11/1/274.
100 ARG 1/10/19.
101 ARG 1/10/23.
102 “Apart from the secretarial staff consisting of the Deputy Director of Sanitary Services at Head Quarters and the Medical Officer of Health at Koforidua, CC, Sekondi and Kumasi, the GCLMCW consisted entirely of ladies.” Dr Selwyn-Clarke, Accra, 28 June 1932. CO 96/705/10.
103 CSO 11/1/274. Ce document comprend la liste des trente-six noms.
104 Ainsi, une certaine Rhoda Dennon écrit au Dr Whitman en 1935 pour lui rendre compte de son expérience à la Red Cross Clinic de Bekwai (Ashanti), dont elle a été la « responsable officieuse ». Rhoda Dennon, Bekwai, to Medical Department, 1 August 1935. ARG 1/10/21.
105 CSO 11/1/294.
106 CSO 11/6/6 et CSO 11/6/19.
107 CO 96/705/10. Voir aussi ADM 1/2/198 /613.
108 CSO 11/1/290.
109 CSO 11/6/7.
110 ADM 11/1/1769 à 1779.
111 Dr Piegrome, 16 June 1932. CO 96/705/10.
112 Dr Oakley, 25 February 1933. CSO 11/1/275.
113 Governor, 29 September 1933. CO 96/712/8.
114 CSO 11/1/315.
115 CSO 11/1/312.
116 CSO 11/1/288 et CSO 11/4/6.
117 CSO 11/1/286.
118 ADM 23/1/976.
119 Red Cross Annual Report for 1948, Acc 0287/33 (1)- (15).
120 Details of the mobile clinics scheme, Akyem-Abuakwa, sans date (années 1950). AASA 10/245.
121 Par exemple la petite ville d’Aburi, où se rendait la clinique mobile tous les mardis matin au début des années 1950. ADM/KD 33/6/490.
122 Gold Coast Observer, 1er octobre 1948.
123 “Gold Coast Gallanty Show”, Red Cross Quarterly Review, juillet 1951 ; Lib Acc 86/60 ; Archive Acc 175.
124 Ibid.
125 Gold Coast Observer, 23 septembre 1949.
126 ADM 39/1/134.
127 [Signature illisible], Letter to Lady Limerick, 18 March 1954. Acc 916/10.
128 Red Cross Central Council, 22 September 1955. NRG 8/12/11.
129 Teresa Spens to Chief Regional Officer, 11 March 1954. NRG 8/12/11.
130 Lady Limerick to Dr Eddey, Chief Medical Officer, Ministry of Health, 9 July 1954. ADM 23/1/693.
131 Amery, Colonial Secretary to Governor Guggisberg, 18 October 1926. ADM 1/1/326, no 949.
132 Acting permanent Secretary, 14 April 1956. ARG 13/4/35.
133 Notes d’une réunion avec le directeur des Services médicaux, Tamale, avril 1950 ; NRG 8/13/11. Voir aussi ARG 13/4/35.
134 Hardiman (dir.), 1994, introduction.
135 Dr Djolito, Principal Medical Officer, Ashanti, 29 January 1957. ARG 13/4/15.
136 Bishop of Kumasi, 15 February 1957. ARG 13/4/15. Les médecins ont ainsi annoté la lettre : ‘If my Lord is so acquainted with these illegal practices – why hasn’t he come forth to expose them ?’ ; ‘No, it’s taken him all his time to conceal the practices of his own flock’ ; ‘I thought their work was to preach the Gospel’ ; ‘They are out to convert your mind, they don’t get you. I’m not so sure you are not past redemption !’
137 ARG 13/4/35 et ARG 13/4/22.
138 Pour être tout à fait exact, il faudrait ajouter que dans les années 1940, les grandes compagnies minières, surtout en Ashanti, proposent des consultations de PMI aux femmes de mineurs et à leurs enfants. ARG 6/14/10.
139 Gold Coast Report for the Medical and Sanitary Department for the Year 1945, p. 13.
140 Hanna Wozniak, WMO, Child Welfare Clinic, Kumasi, 19 April 1949. ARG 13/4/17.
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