Chapitre I. La pierre angulaire : le rapport de 1917 sur la mortalité infantile
p. 31-53
Texte intégral
1Vers le milieu des années 1910, on assiste en Gold Coast à l’apparition d’une préoccupation – au demeurant diffuse – d’ordre démographique : la colonie serait sous-peuplée, voire en proie à la baisse démographique. Ce serait d’ailleurs le cas du continent africain dans son ensemble, puisqu’à Londres, un fonctionnaire du secrétariat d’État aux Colonies affirmait : « De façon générale, les possessions d’Afrique tropicale souffrent d’un manque de population et tout remède proposé aura le soutien des autorités londoniennes1. » Cette inquiétude ne se limitait pas à l’Empire britannique : en 1922, paraissait un rapport de synthèse sur « la mortinatalité et la mortalité infantile dans les colonies françaises », rédigé par deux médecins, et révélant une anxiété comparable dans l’hexagone, concernant l’Empire français2.
2Que cette préoccupation ait davantage reflété une façon d’aborder l’Afrique et ses habitants qu’une réalité objective a été récemment (re)démontré dans un ouvrage collectif de démographie historique3. Et de fait, il semble bien que la Gold Coast n’ait pas été un territoire réellement menacé par le déclin démographique – au point que dans leur ouvrage sur l’Ashanti, Allman et Tashjian affirment qu’on n’y repère pas d’angoisse de la dépopulation, ni des maladies sexuellement transmissibles4. Cette affirmation semble cependant être à nuancer5, dans le sens où le débat qui commence en 1915 sur la mortalité infantile6 est précisément lié à une conviction selon laquelle le territoire est trop peu peuplé.
Un territoire sous-peuplé ?
3La Gold Coast est en réalité la caisse de résonance d’un contexte africain global où se développent, notamment parmi les autorités coloniales, des inquiétudes liées à la (toujours trop faible) densité de population. À la même époque, il existe certes des colonies dans lesquelles la dépopulation n’est pas qu’un fantasme7. C’est le cas de l’Ouganda, où une combinaison de facteurs, largement liés à la situation coloniale, fait qu’entre 1901 et 1924, le nombre de décès dans les statistiques dépasse systématiquement le nombre de naissances8. C’est également le cas du Congo belge, première colonie où des efforts systématiques ont été faits pour remédier à ce que les colonisateurs considéraient comme des signes manifestes de dénatalité, l’apogée de cette hantise de la dépopulation se situant précisément vers 19209. Mais la particularité de la Gold Coast est que cette préoccupation survient dans un contexte où rien n’atteste le scénario d’une baisse démographique. Cet écart entre la réalité et l’inquiétude démographiques trouve donc son origine dans d’autres facteurs que les simples statistiques, comme on va le voir10.
4L’une des explications à cet écart réside dans ce qu’on peut appeler la circulation impériale – et même inter-impériale – de l’information. La presse, les ouvrages, les articles scientifiques, les congrès, les voyages et les rencontres nourrissent un savoir et des réflexions qui se diffusent parmi les médecins coloniaux – dont les médecins africains. Ces savoirs informent à la fois les autorités coloniales et l’élite africaine sur ce qui a cours dans d’autres colonies, africaines ou non, sous domination britannique ou non. À leur tour, ces savoirs inspirent ensuite des politiques – en l’occurrence de santé publique. Ainsi, tel médecin se prévaut d’un article sur l’Inde pour défendre la formation des accoucheuses, tel autre d’une publication sur l’excision au Soudan pour la comparer aux formes locales de mutilation génitale, tel membre de l’élite montre en exemple l’école de médecine de Dakar, tandis que telle doctoresse britannique y organise une visite… Cette circulation de l’information pourrait expliquer que, alors même que rien n’atteste une véritable baisse de la population en Gold Coast, on commence néanmoins à s’en soucier dans cette colonie – d’où l’expression employée supra de « caisse de résonance ».
5D’ailleurs, sur place, l’inquiétude ne porte pas exactement sur le déclin de la population mais plutôt sur la faiblesse, considérée comme endémique, de cette population. Administrateurs et médecins britanniques soulignent que les habitants de la colonie sont peu nombreux – trop peu nombreux à leurs yeux, comme le déplorait déjà le gouverneur Clifford en 191911. Cette conviction semble partagée par les membres de l’élite africaine, si l’on en croit un passage dû au Dr Nanka-Bruce, qui développait la même idée :
European travellers on the West Coast of Africa, particularly on the Gold Coast, whether they be Missionaries, Explorers, Officials of the various Governments, or Merchants, have agreed on the common observation that the country is very sparsely populated12.
6Vers 1915, il existe donc sur place un consensus sur l’idée que la population de la colonie est peu nombreuse. Or l’époque est globalement marquée par le credo (certes déjà ancien) selon lequel un territoire prospère est un territoire peuplé. Le constat d’une relative faiblesse de la densité de population équivaut donc à énoncer un problème, auquel il faut trouver des remèdes. Le constat ne s’arrête pas là : en Gold Coast, on met l’accent non pas tant sur la dénatalité (comme au Congo13) ou sur la mortalité générale (comme en Ouganda) que sur le taux de mortalité infantile – et, secondairement, de mortalité maternelle. Ce serait là l’origine du mal : en Gold Coast, faiblesse démographique et excessive mortalité infantile sont donc liées dès l’origine dans l’esprit des « experts », pour qui la lutte contre la mortalité infantile sera le fer de lance d’une politique destinée à augmenter la population locale. En outre, mortalité infantile et mortalité/morbidité maternelles sont presque assimilées l’une à l’autre14, bien que la première, comme en métropole, fasse l’objet de plus de réflexions et d’efforts que la seconde15. Dans les deux cas, ce qui inquiète, c’est le fait que les femmes ne puissent mener à bien leur rôle reproducteur – soit que les enfants meurent très jeunes, soit que les mères décèdent en couches ou se retrouvent affectées de stérilité secondaire16. Un médecin britannique insiste sur ce dernier phénomène :
The mismanagement of labour in primiparae seldom results in the loss of the child’s life, it is the damage done to the mother which is the important thing. As a result she is often unable to conceive again, or conceiving to bring the child to birth, or doing so to produce anything but a premature and unhealthy progeny. In support of this we find that large families are practically unknown17.
7C’est donc tout un faisceau d’indicateurs qui inquiète les autorités britanniques et l’élite urbaine africaine. Faiblesse de la densité démographique, capacité reproductrice des femmes africaines amoindrie, taux de mortalité infantile et maternelle élevés… Ce sont là les problèmes dont se saisissent, vers 1917, les autorités britanniques, dont l’attention a été sollicitée un peu plus tôt par un certain Frederick Nanka-Bruce18.
L’impulsion décisive : la « Suggestion » de Frederick Nanka-Bruce
8Frederick Nanka-Bruce est un personnage-clé de la vie politique et sociale de la Gold Coast, dans toute la première moitié du xxe siècle. Natif d’Accra, issu d’une famille ga et diplômé de médecine de l’université d’Édimbourg, où il a étudié entre 1901 et 1907, il tente à son retour de se faire engager dans les services médicaux de la colonie. Mais il se voit opposer un refus, au motif que des années plus tôt, il avait négligé de donner un préavis d’un mois avant de quitter son poste d’aide-soignant, au moment de partir en Écosse pour sa formation médicale. Indigné par ce rejet, il ouvre son propre cabinet d’une part et se lance dans la politique d’autre part. Caractéristique de cette première génération de « nationalistes » ouest-africains, il pourfend le racisme (et parfois l’impéritie) du système colonial, mais reste lui-même imbu de ses préjugés de classe, élitistes et bourgeois. Il parvient à siéger au Conseil municipal d’Accra puis au Conseil législatif (1931). Son influence politique est notamment due à son organe de presse, le Gold Coast Independent, dans lequel sont vertement critiquées les autorités coloniales20, qui reconnaissent cependant dans ce personnage un partenaire incontournable.
9Or, en juin 1915, le Dr Nanka-Bruce envoie au gouverneur intérimaire et à deux responsables des services médicaux un précis, intitulé A suggestion. How to mitigate the evils of puerperal fever and infantile mortality in the Gold Coast Colony21. En cinq pages, où se mêlent statistiques et réflexions tirées de son expérience ou de ses lectures personnelles, le médecin ga impute la faible croissance démographique à une très forte mortalité infantile, à laquelle s’ajouterait la mortalité maternelle, d’après lui sous-estimée. Pour combattre ces maux, il appelle de ses vœux la construction d’hôpitaux, confiant dans le succès rapide qu’ils rencontreraient. Mais surtout, il préconise la formation des accoucheuses africaines par des médecins volontaires, et va jusqu’à piquer la fierté britannique – en pleine Première Guerre mondiale ! – en affirmant que contrairement aux Britanniques en Gold Coast, les Allemands au Togo voisin peuvent s’enorgueillir d’avoir déjà fait beaucoup dans ce domaine (remarque qui ne manquera pas d’irriter son confrère français en poste à Lomé). Enfin, il joint à son plaidoyer la copie d’un récent article du célèbre journal médical The Lancet, relatant la formation de sages-femmes indiennes à Bombay, qui lui semble être un exemple dont s’inspirer.
10Bien que ce document ne soit pas très long, il est absolument capital car il constitue la première pierre de la future politique de protection maternelle et infantile. C’est là une question dont les Britanniques s’étaient peu souciés jusqu’alors, malgré quelques interventions sporadiques et personnelles, comme celle d’une certaine Mrs. Deacon qui, d’après Nanka-Bruce, aurait essayé de donner quelques rudiments de formation à des accoucheuses d’Accra vers 1910.
11Que cette initiative fondatrice revienne à un Africain (comme au Sénégal où c’est Blaise Diagne qui aurait sollicité la création du corps des médecins indigènes et de l’École de médecine de Dakar, destinée à les former22) et non pas directement aux autorités coloniales, doit être souligné. Stephen Addae en donnait une explication pragmatique, en écrivant : « Comme les Africains étaient exclus du service public médical, le Département médical n’avait pas connaissance des problèmes relatifs à la santé maternelle et infantile23 », sous-entendant que seuls les médecins africains avaient accès aux mères et aux nourrissons. Or il est vrai que, jusqu’au tout début du xxe siècle, les médecins coloniaux sont surtout recrutés pour veiller sur la très modeste population blanche, tendance qui ne s’inverse que lentement à partir de 1900. De fait, les médecins britanniques en poste n’étaient pas particulièrement bien placés pour apprécier les difficultés obstétriques ou pédiatriques des populations locales. Cependant, c’est sans doute moins un facteur professionnel objectif qu’une raison politique qui pousse le Dr Nanka-Bruce à se saisir de ces problèmes. Pour lui, comme pour l’ensemble de sa minuscule mais influente catégorie sociale, il en va de l’avenir du pays – ou plutôt, pour utiliser le vocabulaire en vogue dans ce milieu, de la « race ». Dès les premières lignes de la lettre adressée au gouverneur par intérim en 1915, il évoque le double fléau – fièvre puerpérale et mortalité infantile – qui affecte les « races aborigènes ». Quelques années plus tard, on retrouve le même terme dans le Gold Coast Independent, qui rend compte d’une conférence donnée par une sage-femme sur les soins à apporter au nourrisson :
She urged on her interested audience the necessity of employing enlightened way for the benefit of their race24.
12On est là au cœur de la pensée de l’élite urbaine lettrée, qui, devant l’iniquité raciale du système colonial, se fait l’avocate de la population noire dans son ensemble, quitte à faire sienne la catégorie si coloniale de « race » – catégorie qui ne commence à perdre du terrain qu’après la Seconde Guerre mondiale. C’est donc en défenseur de la « race » noire que Frederick Nanka-Bruce portait à l’attention des autorités coloniales la question démographique, invoquant d’abord des motifs humanitaires :
From the medical and humanitarian standpoint the adoption of such a scheme would alleviate much suffering and render infant life more secure25.
13Mais il connaît assez bien la mentalité coloniale pour utiliser un argument plus susceptible d’émouvoir les responsables : celui de l’utilité économique d’une population nombreuse et saine. Il développe donc davantage cet argument :
From the purely materialistic point of view there is no doubt that with the opening up of the country and the advancement of its industries, more labourers will have to be found for carrying on the work and it will be more advantageous to have an indigenous labouring cases [sic] fairly large to cope with the newer developments than would be the case if employers were compelled to seek for indentured labour elsewhere26.
14Il est vrai que les autorités coloniales sont extrêmement sensibles à cette dimension économique, comme l’atteste encore en 1930 un rapport du ministère des Colonies :
That the health of the people is a primary factor in the economic development of a territory is not open to question. Indifferent health, whether from disease or malnutrition, reduces the capacity for work. This depresses the standard of living of the inhabitants and prevents the proper development of the resources of the territory and the expansion of government revenue on which depends improvement in the standard of administration and measures for improving the material and well-being of the people. The value of other forms of expenditure, e.g., on education, is largely dependent on the standard of health27.
15Cette citation confirme la vanité de l’argument selon lequel l’action sanitaire et médicale aurait constitué un aspect « positif » de la colonisation car elle indique bien à quel point exploitation économique et action sanitaire étaient comprises non pas comme deux volets opposés mais au contraire comme complémentaires, et même consubstantiels28. Ce credo est si puissant que les rédacteurs de ce rapport sur la santé publique ne prennent pas la peine de dissimuler derrière une façade philanthropique leur conviction quant à l’impact des conditions sanitaires dans la « mise en valeur » d’un territoire29. C’est l’intérêt bien compris des autorités coloniales, comme de l’État métropolitain, de mettre en place des politiques destinées à promouvoir la bonne santé des populations ; et les raisons humanitaires de ces politiques, lorsqu’elles existent, ne sont qu’un élément parmi d’autres. Loin de s’exclure mutuellement, ces motivations diverses se renforcent et sont invoquées conjointement par Nanka-Bruce pour conforter son propos. Elles traduisent une nouvelle préoccupation, qui met au cœur du développement économique colonial les enfants, en tant qu’ils représentent la main-d’œuvre de l’avenir – en Gold Coast comme ailleurs30.
16Pour autant, la démarche du Dr Nanka-Bruce n’aboutit pas immédiatement à des résultats tangibles, alors même qu’elle a été prise au sérieux : en transmettant au Colonial Office la « Suggestion », le gouverneur explique que si certaines affirmations du médecin sont fausses, c’est que sa ferveur pour la cause l’a emporté sur la fiabilité de ses renseignements – ton respectueux et diplomatique qui tranche sur les commentaires d’un confrère ayant précédemment qualifié « d’idioties » certaines assertions de Nanka-Bruce. Il est probable que dans le contexte de guerre, les autorités, qui ne se sont encore jamais penchées sur cette question, estiment avoir d’autres chats à fouetter. Pendant les mois qui suivent juin 1915, on commande certes quelques rapports à des médecins. Mais ce n’est qu’en 1917 qu’un comité ad hoc est nommé pour enquêter sur l’ampleur et sur les causes de la mortalité infantile et maternelle, dont les estimations chiffrées sont extrêmement variables et incertaines.
Statistiques et guesstimates31
17Dans son aspiration à un fonctionnement rationnel et efficace, l’administration coloniale a besoin de données chiffrées, qui lui servent également à légitimer ses décisions. À ce titre, la démographie est liée à l’exercice du pouvoir et au contrôle de la main-d’œuvre, comme l’a rappelé Ittmann32. Les autorités se dotent donc d’instruments de mesure, en particulier pour recenser la population ; les résultats de ces décomptes sont consignés dans des registres spéciaux, appelés les Blue Books of Statistics. Mais pour remplir correctement ces recueils, la collaboration des responsables politiques africains comme de la population est requise – sans oublier qu’il faut un nombre adéquat de fonctionnaires affectés à cet exercice33. Or on sait la résistance qu’ont souvent offerte au décompte les communautés africaines et/ou leurs « chefs ». Qu’il s’agisse d’une résistance passive relevant de la négligence ou d’une volonté délibérée d’échapper au contrôle des autorités, l’habitude de fournir des déclarations à l’état civil ne progresse que très lentement, même en ville. Ceci a de fortes répercussions sur la validité des statistiques, jusqu’à rendre celles-ci à peu près inutilisables, au moins jusque vers 193034. D’autant plus que la définition de la mortalité infantile, comme d’autres indicateurs (mortalité maternelle, mortinatalité…) restent très imprécises : on n’est pas sûr que d’un auteur à l’autre, ce soient les mêmes âges qui soient retenus, par exemple35. Pourtant, médecins et administrateurs continuent à collecter des chiffres, à les discuter, à les analyser et à en faire le point de départ de leurs programmes sanitaires… tout en admettant leur caractère peu fiable.
18Au moment où naît un premier intérêt pour la question démographique, les protagonistes ne cachent pas leur embarras face à des chiffres manifestement partiels, voire tronqués. « On ne dispose pas sur ce point de statistiques fiables », avoue le Dr Parsons en 1915, avant de poursuivre : « Nous ne pouvons pas pour l’instant présenter de statistiques sur la mortalité infantile de façon orthodoxe car la loi sur la déclaration des naissances n’est pas bien respectée et la naissance de nombreux enfants n’est pas consignée jusqu’à ce qu’ils meurent36. » Par conséquent, le taux de mortalité infantile apparaît comme bien plus important qu’il ne l’est réellement, faute qu’aient été enregistrées toutes les naissances. Comme l’écrivait non sans humour le gouverneur, citant un médecin :
The deaths of many children, who have never been born, are annually registered in Accra37.
19En effet, il existe une propension à enregistrer les décès plus que les naissances, comme l’explique le Dr Alexander, fonctionnaire des services sanitaires :
In Accra parents evade the registration of births but are compelled to register the deaths or else the cemetery gates would be closed to them, so that while we have a fairly accurate figure for the deaths, that of the births is well under what it should be38.
20Le Dr Alexander s’emploie ensuite à calculer le nombre probable de naissances à Accra, par un modèle mathématique au demeurant incertain, grâce à une comparaison avec Labadi, quartier de la capitale où les statistiques seraient plus fiables. Sa démarche, consistant d’abord à estimer le taux de natalité pour Labadi, puis à l’appliquer à la population, elle-même supposée, d’Accra, repose donc entièrement sur des supputations. À l’issue des ces calculs aléatoires, il estime que l’hypothèse basse du taux de mortalité infantile à Accra tournerait autour de 292 ‰ – chiffre considérable, notamment comparé à la Grande-Bretagne, où le taux est alors d’environ 80 ‰39. Que le chiffre avancé par Alexander soit douteux, et d’ailleurs fluctuant selon les sources40, n’empêche pas qu’il ait une véritable portée historique : en effet, médecins et administrateurs ne cessent de souligner son importance et en font la pierre angulaire de leur programme de lutte contre ce fléau.
21En définitive, il importe peu que le taux de mortalité infantile soit incertain, et même considéré comme inutilisable par le gouverneur en personne. Car ce qui est déterminant, c’est la conviction unanime que ce taux excède de beaucoup ce qu’il pourrait et devrait être41. Clifford conclut ainsi en 1919 :
Though […]. I am unable to regard the statistics furnished by Drs. Parsons and Alexander as sufficiently accurate to justify any conclusion based upon them which depends upon their absolute precision, I think it must be regarded as certain that the infantile mortality in this Colony is extravagantly high42.
22L’intime conviction des médecins et administrateurs tient donc finalement lieu de statistiques. De sorte que le programme de lutte contre la mortalité infantile commence sous le signe de chiffres aussi imprécis qu’élevés, qui reflètent l’idée alors consensuelle selon laquelle le continent dans son ensemble souffre de dépopulation – idée discutable et partiellement remise en cause par des recherches récentes43.
23Les autorités portent une attention particulière à la mortalité périnatale (décès intervenus dans les sept premiers jours après la naissance), ayant constaté que ces décès très précoces surviennent dans une proportion très élevée de la mortalité infantile. Dans son rapport de 1915, le Dr Alexander déclare que sur 250 décès d’enfants de moins d’un an (auxquels il faut ajouter 42 mort-nés), on en compte 127, soit un pour plus de la moitié, qui sont survenus dans les sept premiers jours (dont 76 dans les premières 24 h). Ces proportions étant très supérieures à celles de la Grande-Bretagne (où 1/5 des décès d’enfants surviennent dans les sept premiers jours), l’auteur du rapport conclut :
There must be something wrong amongst the women of Accra when we have this large number of still-births and this high death rate within the first seven days44.
24Cette citation constitue une magnifique illustration de la logique à l’œuvre chez les médecins : en affirmant qu’il y a « quelque chose qui ne va pas parmi les femmes d’Accra », le Dr Alexander – qui n’a manipulé que des chiffres contestables, et en l’absence totale de données qualitatives – juge que la source du problème est à chercher du côté des mères. Ce qui frappe ici, c’est que le responsable de la branche sanitaire des services médicaux fasse l’impasse sur des données matérielles, socio-économiques, qui ont pourtant été évoquées par l’un de ses subordonnés, suggérant un lien entre densité de la population urbaine et mortalité infantile dans les quartiers les plus taudifiés d’Accra45. Ainsi, on voit bien quel cheminement suit la pensée des autorités qui vont prendre en main la lutte contre la mortalité infantile : plutôt que d’opter – entre autres possibilités – pour une enquête poussée sur l’incidence des conditions de vie sur la mortalité infantile46, elles tournent tous leurs regards vers les femmes. Comme ailleurs dans le monde, malgré des périodes chronologiques variables, on suppute leur responsabilité ; en Gold Coast, dès 1915-1916, elles sont largement désignées comme coupables47. Il faut donc se pencher sur le dossier consacré à la mortalité infantile pour comprendre comment les autorités, médicales et gouvernementales, en viennent à mettre l’accent sur les responsabilités des femmes pour les désigner finalement comme les principales fautives – et juger, parmi elles, lesquelles sont les plus blâmables.
Le comité : composition et feuille de route
25Le comité désigné par le gouverneur en 1917 pour enquêter sur la mortalité infantile à Accra se compose de sept personnes48 : Mr. Francis Crowther, secrétaire aux Affaires indigènes et président du comité ; le Dr Alexander, médecin sanitaire à Accra ; le Dr Nanka-Bruce et le Dr Quartey-Papafio ; le Dr Tighe, directeur de l’hôpital africain d’Accra ; Mr. Wellacott, ingénieur sanitaire ; et enfin, Mrs. Florence Hutton-Mills.
26Avec quatre membres, les médecins y dominent, mais leurs statuts ne sont pas identiques : on compte deux membres des services médicaux de la colonie (Alexander et Tighe), tous deux blancs ; et deux médecins libéraux (Nanka-Bruce et Quartey-Papafio), tous deux noirs. Ce souci affiché de représentativité de la communauté africaine révèle la position des autorités : d’une part, elles reconnaissent, par sa nomination, le poids particulier de Nanka-Bruce dans cette affaire ; d’autre part, elles admettent que les médecins africains sont bien placés pour observer la mortalité infantile et maternelle. Enfin, cette composition correspond également à une certaine reconnaissance de l’élite locale, que l’administration tente d’associer aux questions sociales – mais toujours à titre consultatif, sans jamais lui accorder de véritable pouvoir. C’est aussi comme cela que s’explique la présence d’une femme africaine dans le comité, présence sur laquelle le gouverneur a particulièrement insisté : sa double qualité de femme et d’« indigène » est censée lui donner un poste d’observation privilégié pour une question qui touche de très près les Africaines49. Or, elle fait partie, elle aussi, de l’élite bourgeoise urbaine : sœur de Frederick Nanka-Bruce, elle a épousé l’avocat Thomas Hutton-Mills. On ne juge pas rédhibitoire que par sa position sociale elle soit assez éloignée des réalités des quartiers populaires d’Accra car, en digne représentante de la bourgeoisie locale, elle est connue pour se préoccuper du bien-être de la population et en particulier des enfants50. En outre, elle renforce au sein du comité d’enquête la position de Nanka-Bruce.
27Le comité avait pour consigne d’enquêter à Accra sur l’étendue, la nature et les causes de la mortalité infantile. Pour ce faire, il devait se concentrer sur certaines questions, rédigées en 1916 par les soins du Dr Rice, médecin principal51, et manifestant bien l’orientation préalable des services médicaux :
- At what age do native women usually marry.
- Are many, and if so what, customs observed during the period of pregnancy.
- What are the native customs during childbirth with regard to the conduct of labour, treatment of the umbilical cord.
- What are the native customs with respect to the after treatment of the child up to the age of three years. Information under this heading should be elicited as to the period of lactation, the diet of the child, and especially with regard to the use of native medicine, particular enquiry being made with regard to mouth wash (drenching) and the use of enemata (the latter probably a potent factor in the spread of dysentery and other intestinal diseases).
- What are housing conditions of the natives generally, especially in the congested areas where so many deaths are recorded. Can differentiation be traced between the mortality rates obtaining [sic] amongst Christians, Mohamedans and Pagans.
28Si la feuille de route destinée au comité ad hoc est assez précise, elle témoigne surtout de la logique culturaliste prévalant alors dans l’administration coloniale, qui impute les problèmes d’ordre sanitaire ou médical aux « coutumes » des Africains et non à des facteurs concrets de nature économique, épidémiologique ou sociétale. Cette conviction est caractéristique de l’époque et non du lieu, comme l’attestent de nombreux exemples métropolitains ou coloniaux52. Pour preuve, l’ordre des différentes rubriques prévues par le Dr Rice, qui place en dernière position l’unique point portant sur les conditions de vie – et encore, en y mêlant des considérations d’ordre religieux. C’est là un point capital car cette approche de la culture « indigène », vue comme toujours potentiellement nocive, va avoir un impact dans les modalités de la lutte contre la mortalité maternelle et infantile.
Les principales conclusions du comité
29Le rapport remis par le comité comprend un document synthétique de huit pages, répondant aux questions posées par le Dr Rice, auxquelles s’ajoutent des annexes : des notes prises lors d’un entretien avec un médecin suisse au service de la Mission de Bâle, implantée à une trentaine de kilomètres au nord d’Accra ; le compte-rendu détaillé des six réunions tenues par le comité entre le 26 avril et le 14 juin 1917, comprenant des interviews de trois accoucheuses d’Accra53 ; enfin, une note de Mr. Wellacott sur les déplorables conditions d’hygiène du quartier d’Accra-Sempe, très densément peuplé.
30Dans leur rapport de synthèse, les membres du comité répondent point par point aux questions posées par le Dr Rice. On peut résumer les différentes réponses comme suit :
- L’âge au mariage serait en baisse, notamment en raison de l’effritement de « coutumes » (rites de passage) et la précocité des premières grossesses serait un facteur aggravant la mortalité infantile. Les rapporteurs distinguent, pour Accra, les jeunes filles instruites qui se marieraient entre 19 et 21 ans et les jeunes filles illettrées, qui se marieraient entre 15 et 16 ans. Ils évoquent aussi des zones géographiques dans lesquelles les premiers rapports sexuels se produiraient vers 13 ou 14 ans.
- Une pratique, consistant à masser le ventre d’une femme enceinte à partir du 6e ou 7e mois est considérée comme potentiellement nuisible, conduisant à des naissances prématurées ; certaines substances médicinales, d’origine végétale, sont utilisées, dont des plantes possiblement abortives ; la syphilis est évoquée par un seul membre du comité comme pouvant avoir une incidence sur la mortinatalité ou sur la mortalité dans les sept premiers jours de la vie mais cette hypothèse n’est partagée par personne. En revanche, un consensus se dégage sur le fait que dysenterie et malaria chez la mère seraient à l’origine d’accouchements prématurés.
- Aucun geste particulier n’est effectué durant l’accouchement, mais en cas de travail prolongé, des décoctions sont administrées, dont la composition est incertaine et le dosage, douteux. Diverses méthodes sont employées pour hâter un travail prolongé : enfumer une pièce pour faire tousser la parturiente ou la faire souffler dans une bouteille. L’incidence des hémorragies post-partum pourrait être due à ces préparations ; et les enfants dont la mère est morte en couches auraient une très faible espérance de vie. Bien que les malformations et autres complications soient probablement moins fréquentes que parmi les races plus civilisées [sic], l’absence de personnel qualifié en cas de difficulté résulte en une proportion plus élevée de mort-nés.
- Dans le traitement des nouveau-nés, le problème principal résiderait dans la façon de couper puis de traiter le cordon ombilical. La section du cordon provoquerait de nombreuses hémorragies, tandis que les poudres appliquées par la suite résulteraient en infections dont le signe le plus manifeste serait la hernie ombilicale, très répandue. L’administration fréquente de lavements serait un facteur de dysenterie, ainsi que l’usage de liquides pour rincer la bouche.
- Les enfants sont généralement allaités jusqu’à dix-huit mois ou deux ans. D’autres aliments, du type bouillie de maïs, sont proposés à partir de six mois. Les rédacteurs du rapport estiment que le lait concentré n’est pas suffisamment répandu ; et que de façon générale, les méthodes non scientifiques [sic] d’alimentation des bébés sont potentiellement néfastes.
- Sur les causes directes de mortalité infantile, les membres du comité n’atteignent pas de consensus, sinon sur l’importance des troubles intestinaux.
31D’autres facteurs comme la broncho-pneumonie – attribuée à l’exposition des bébés laissés en plein air – font l’objet de débats entre rapporteurs.
- Un rappel des statistiques de la mortalité infantile fait apparaître, pour les années 1915 et 1916, une incidence élevée de prématurité, de convulsions, de problèmes respiratoires et intestinaux ; l’année 1915 comprend également une rubrique « malnutrition », qui disparaît curieusement l’année suivante, pour être remplacée par les rubriques « malaria » et « rougeole ». Le rapport insiste sur la proportion des décès survenus dans la première semaine, décès attribués aux conditions de la naissance et aux traitements administrés soit à la mère, soit à l’enfant.
- Les conditions de vie et de logement, en particulier les très fortes densités de population de plusieurs quartiers, propices à la propagation des infections, sont jugées comme ayant un effet délétère sur les nourrissons.
- La question de l’incidence de l’appartenance à une communauté religieuse sur la mortalité infantile est considérée comme non pertinente.
32Conformément à l’ordre des causes repérées de la mortalité infantile, les rédacteurs classent comme suit leurs suggestions pour d’éventuels remèdes :
33Finally, in the Committee’s judgment, the surest remedies for the present evils are :
- educational measures
- the furtherance of sanitary improvement
- control of venereal diseases54.
34Quelques lignes suivent et développent ces conclusions. À propos des mesures éducatives, un paragraphe évoque des conférences tenues à Accra quelques années auparavant par une femme médecin, Mrs. Deacon, Officer of Health : on recommande que cet effort soit poursuivi, à la fois par les autorités du Département médical, par des médecins privés et par des membres de l’élite lettrée. La question du coût élevé des travaux pour l’amélioration des conditions sanitaires est admise mais les rédacteurs rappellent qu’il ne faut pas céder aux « fausses économies », étant donné les enjeux en termes épidémiologiques. Enfin, une enquête prochaine sur la syphilis et ses conséquences sur la mortalité infantile est préconisée.
Un usage sélectif du rapport du comité
35À lire attentivement ce rapport, on se rend compte d’une distorsion parfois importante entre les éléments ou conclusions fournis par ses rédacteurs d’une part et, d’autre part, les conclusions auxquelles parviennent les autorités médicales qui chapeautent l’ensemble. À chaque étape du processus, la synthèse s’écarte sensiblement des indications livrées dans le compte-rendu détaillé des six réunions qui ont eu lieu ou de ses annexes. De sorte que les conclusions tirées par les autorités médicales diffèrent souvent du document fourni par le comité. En somme, le Département médical fait un usage très sélectif de ce document, qu’il n’utilise qu’en fonction de ses propres convictions.
36Ainsi, le document de synthèse s’écarte assez largement des entretiens obtenus avec des médecins ou des accoucheuses. Certains passages de ces entretiens disparaissent quasiment du rapport final, tandis que d’autres y prennent une importance considérable. Cet écart est passionnant à analyser car il révèle bien les priorités et la vision du monde de l’administration médicale.
37Prenons par exemple le témoignage du Dr Huppenbauer, de la Mission de Bâle55. Bien que ne résidant pas à Accra, il est interrogé ès qualité en raison de sa grande expérience et de sa très bonne réputation, relevée par le Dr Rice, qui cite « ses résultats scientifiques exceptionnels, fondés sur son expérience et ses observations personnelles56 ». En trois pages dactylographiées, où il n’évoque jamais la mortalité maternelle mais insiste (sans émettre aucun jugement de valeur) sur les traitements abortifs, il expose principalement son opinion sur les principales causes de la mortalité infantile. D’après lui, le principal facteur en serait la malaria, qui, souvent confondue avec la dysenterie, serait mal prise en charge. Or cette appréciation n’est reprise qu’en passant dans le rapport final, et sans qu’aucune mesure ne soit préconisée. Cette absence est d’autant plus frappante qu’aujourd’hui, dans toute l’Afrique impaludée, la malaria est considérée comme l’une des principales causes de mortalité infantile57. En toute hypothèse, si l’avis de ce médecin n’est pas relayé dans le document de synthèse, c’est parce que personne ne partage alors son opinion – à moins que cela ne révèle l’incapacité des autorités à prévoir des mesures de lutte contre le paludisme. En tant que médecin missionnaire, et malgré l’estime dont il jouit, le Dr Huppenbauer est sans doute trop isolé pour que son avis soit réellement pris en compte. D’ailleurs, son jugement sur la dysenterie est également traité avec un certain dédain : il estime que la prévalence de cette maladie serait faible avant l’âge de trois ou quatre ans mais dans le rapport final, les rapporteurs écrivent à plusieurs reprises qu’elle constituerait le principal facteur de mortalité infantile. Leur conviction commune explique sans doute leur tendance à minimiser la voix discordante du missionnaire. L’opinion de ce dernier est finalement mieux retransmise lorsqu’elle rencontre celle d’au moins une partie des rapporteurs : d’après lui, de nombreux bébés mourraient de refroidissement, après avoir été exposés nus à l’air libre. Il se trouve que le Dr Nanka-Bruce et Mrs. Hutton-Mills rejoignent cet avis. En conséquence, un bref paragraphe du rapport final est consacré à cette question, ce qui n’a pas été le cas de la malaria.
38Un second médecin interrogé par les rapporteurs, le Dr Reindorf, praticien africain issu de l’élite urbaine, s’aventure à fournir des statistiques des causes de la mortalité infantile : concernant la mortalité des tout premiers jours, elle serait due pour 10 % à de mauvaises manipulations durant l’accouchement ; pour 5 % à l’administration de remèdes destinés à accélérer l’expulsion ; pour 5 % à la gonorrhée chez la mère ; pour 5 % la conséquence de traitement abortifs n’ayant pas eu le résultat escompté ; et pour 10 % au tétanos ombilical (on ignore ce qui aurait causé les 65 % restants). Pour une période ultérieure, non spécifiée, la mortalité serait causée à hauteur de 25 % par la dysenterie, de 20 % par des convulsions et de 20 % par des broncho-pneumonies dues à des refroidissements. Enfin, il estime que l’incidence de la syphilis est faible (de l’ordre de 1 %). Or cet avis est partagé par l’un de ses confrères du comité, le Dr Nanka-Bruce, mais pas par le Dr Quartey-Papafio. Les autorités médicales tranchent en réclamant une enquête sur la syphilis, alors que deux médecins africains la tenaient pour négligeable et que le Dr Huppenbauer ne l’évoquait même pas.
39Un autre document annexe a été quasiment ignoré dans la version finale : la note rédigée par l’ingénieur sanitaire, Mr. Wellacott, pourtant membre du comité. Dans son exposé de deux pages, assorti d’un tableau, il souligne à la fois la très forte densité de certains quartiers (plus de 600 personnes par acre, à comparer à une recommandation de 100 personnes maximum par acre) et ses effets délétères sur la santé humaine58. Dérogeant à la règle administrative de la neutralité de ton, il conclut par un paragraphe qui exprime son indignation :
It is indeed a scandal that in these days of so called enlightenment in sanitary science such insanitary areas as these should be found to exist in the capital of a progressive Colony59.
40Aux yeux de ce fonctionnaire colonial, le statut de « colonie progressiste » – comparaison implicite avec les colonies de peuplement où la condition des autochtones est notoirement plus défavorable – confère aux autorités des obligations qui seraient mal remplies. Mais il peine manifestement à faire valoir son point de vue auprès des rapporteurs : son opinion n’est guère relayée. Non seulement le rapport final ne fait qu’une modeste place à l’incidence des conditions de logement sur la mortalité infantile, mais les conclusions de l’ingénieur avaient déjà été explicitement minimisées dans un paragraphe résumant la réunion du 20 avril 191760. Cette réserve émise, les rapporteurs – qui, rappelons-le, comptent quatre médecins – admettent néanmoins que la surpopulation de certains quartiers peut représenter un danger pour les nourrissons61.
41C’est donc du bout des lèvres qu’est admis l’impact des conditions de vie et de logement sur la mortalité infantile. Cette tendance à minorer les facteurs socio-économiques est encore plus nette dans les notes de synthèse dues aux responsables des services médicaux britanniques, le Dr White et le Dr Rice. Le premier, après lecture du rapport du comité, admet certes que les causes de la mortalité infantile sont nombreuses et variées. Mais en dernière analyse, il les attribue à deux facteurs :
- puerperal conditions brought about by the faulty conduct of labour
- the immediate and consequent care of the child62.
42Bien qu’elles ne soient pas directement nommées, ce sont donc les accoucheuses qui sont en cause, comme dans bien d’autres contextes géographiques – ainsi, en Inde ou, précédemment, en Europe63. D’après le Dr White, le récit des accoucheuses interviewées par le comité conforte d’ailleurs involontairement cette conclusion, bien qu’elles aient essayé d’en dire le moins possible :
Unconsciously, because these witnesses naturally did not wish to show their ancient practices in unfavourable light. Their attitude of mind was that of offence, as is always the case with the native when the European tries to probe a way into his customs. It is reasonable to believe then that much was kept back […] and therefore to infer that all the native methods employed in the conduct of labour have not been revealed and were they known would but tend to confirm the belief that the practices employed in this important phase of life are highly detrimental to the mother, and much to be deplored64.
43La conclusion de ce médecin est donc que si les propos des accoucheuses ne sont pas de nature à renforcer les soupçons des autorités, c’est qu’elles n’ont pas tout dit. Or elles ont au contraire confié avec un luxe de détails leurs techniques et leurs pratiques.
Le témoignage des accoucheuses
44Outre les médecins, trois accoucheuses ont été interrogées, séparément, par les membres du comité : Karolina Reindorf (dont l’éventuel lien avec le Dr Reindorf sus-mentionné n’est pas attesté) ; Madam Dede, qui pratique dans le quartier de James Town ; et enfin, Afieye, résidente du quartier de Gbese-Blohum. On ne sait que peu de choses sur elles : il s’agit de femmes d’expérience mais dont l’âge, même approximatif, n’est pas mentionné. On apprend seulement qu’Afieye pratique depuis cinquante ans et qu’elle a eu elle-même quinze enfants. Toutes trois répondent à des questions (qui ne figurent pas dans le document) sur leurs gestes, leurs méthodes ou les remèdes auxquels elles ont recours. Leurs récits divergent sur certains points, comme l’incidence des maladies vénériennes, la prévalence de la mortinatalité ou encore le traitement du cordon ombilical ; mais dans l’ensemble, leurs réponses sont convergentes.
45Du point de vue strictement obstétrical, leur interférence semble relativement faible : toutes disent intervenir le moins possible, l’idéal étant un accouchement peu assisté, et ne durant que quelques heures. Mais les trois accoucheuses expliquent également que bon nombre d’enfantements durent beaucoup plus longtemps (de trois jours à… une semaine). Elles ont alors recours à des décoctions végétales pour hâter le processus ; ou encore à des fortifiants pour la mère ou l’enfant. Le traitement du cordon ombilical diffère selon les accoucheuses : si toutes attendent l’expulsion du placenta pour couper le cordon, deux d’entre elles ont appris à le ligaturer préalablement. Toutes appliquent des préparations sur le bout du cordon ou après sa chute. Là s’arrête leur rôle d’accoucheuse – mais pas de témoin : car elles donnent aussi des indications sur la façon dont les mères s’occupent des enfants, la durée de l’allaitement, les autres aliments, les différentes maladies infantiles et leurs traitements…
46Ce qui frappe à lire leurs déclarations, c’est leur conviction commune selon laquelle l’incidence de la mortalité infantile et de la mortinatalité aurait récemment augmenté. Toutes trois imputent notamment cela à l’abaissement de l’âge au mariage, dû au déclin de pratiques sociales précisément destinées à le retarder. Chacune des accoucheuses regrette le temps passé où les mères, plus mûres, auraient connu moins de complications obstétricales, auraient mieux su s’occuper des enfants et auraient été mieux encadrées par la communauté…
47Certes, des mutations sociales et culturelles ont accompagné le début de la colonisation et peut-être contribué à modifier l’âge des premières grossesses : apparition de la culture du cacao, migrations de travail, développement urbain et bouleversement des rapports sociaux de sexe, comme l’ont relevé Allman et Tashjian pour l’Ashanti des années 1920 et 193065. Cependant, il est probable que si les rapporteurs relaient cette information dans le document de synthèse, c’est aussi parce qu’elle conforte l’idée, très culturaliste, selon laquelle ce sont les coutumes locales qui sont en cause dans la prévalence de la mortalité infantile – coutumes qui vont de l’âge au mariage à l’alimentation des nourrissons, en passant par le traitement de la parturiente et du nouveau-né. En effet, de tous les entretiens qu’ils ont menés, les membres du comité et les autorités médicales retiennent surtout l’idée que la culture obstétricale autochtone se caractérise par des gestes et des procédés néfastes. Dans sa conclusion, le Dr Rice, par exemple, met en exergue certaines citations des accoucheuses, qui lui paraissent attester de leurs pratiques nuisibles66. Il accorde aussi une grande importance à l’une des thèses du Dr Huppenbauer, selon laquelle l’ignorance serait à l’origine de nombreux décès67 – tout en minorant la théorie du même médecin sur l’impact de la malaria.
48Ainsi, la boucle est bouclée, avec un raisonnement parfaitement circulaire. D’une part, convaincus que la mortalité infantile est principalement due aux pratiques obstétricales et pédiatriques locales, les responsables sélectionnent, parmi les informations recueillies, celles qui confirment leurs présupposés. À l’inverse, les témoignages ou expertises qui ne confortent pas leurs convictions sont décrétés partiels, partiaux ou sujets à caution. C’est donc par une lecture très sélective des documents qu’on en arrive aux conclusions et à la synthèse qui fera autorité dans les années suivantes, en devenant la pierre angulaire de la politique coloniale de lutte contre la mortalité maternelle et infantile.
La conclusion finale : impéritie des femmes et nécessité d’une maternité
49Dans ce dossier touffu, en dépit de certaines contradictions et d’une bonne dose de conjecture68, les responsables médicaux et administratifs estiment que tout converge pour conclure à la responsabilité des femmes dans le taux très élevé de la mortalité infantile. Les accoucheuses locales elles-mêmes apportent de l’eau à ce moulin, en déplorant l’ignorance des trop jeunes mères. Les membres du comité fustigent la façon dont les mères et les grands-mères s’occupent des enfants. Les responsables des services médicaux, quant à eux, soupçonnent les matrones de répandre la mort. C’est donc bien un procès à charge contre les femmes qui est instruit69. Pourtant, toutes ne seraient pas également coupables. En effet, les mères sont certes tenues pour responsables par ignorance ; mais elles sont également considérées comme des victimes – de leurs semblables, en l’occurrence, ou plutôt de leurs aînées. Car la catégorie qui ressort la plus ternie de cette enquête est incontestablement celle des accoucheuses. Le Dr Rice, dont l’avis sera repris par le gouverneur, n’a pas de mots assez durs pour elles car c’est à plus d’un titre qu’elles seraient nocives :
I consider the evidence of the mid-wives to be the most valuable portion of this report and there is no getting away from the illuminating picture it presents of ignorance, wrongful procedure and superstition in the treatment of both mother and child70.
50Il les tient en si faible estime que, évoquant le témoignage de Karolina Reindorf, qui disait faire parfois appel à une assistante, il en perd son sang-froid :
What is this other woman for? They are out for business and speedy delivery these two and in view of all I have been told as to the violence resorted to on such occasions, my imagination turns from dwelling upon the agonies that must be endured by many a poor woman in her first confinement in this country71.
51Le changement de ton est assez spectaculaire car on oscille ici entre l’indignation et la sollicitude – deux attitudes plutôt rares dans l’ensemble de ce gros dossier. Face à ce registre compassionnel d’un homme blanc à l’égard de femmes africaines, on ne peut s’empêcher de penser à l’analyse célèbre de Gayatri Spivak, qui résumait ainsi l’une des justifications de la colonisation britannique en Inde : « white men, seeking to save brown women from brown men72 ». À ceci près que dans le cas présent, il s’agit plutôt de sauver des femmes noires d’autres femmes noires… Extirper les parturientes africaines des griffes des matrones locales, tel est le projet du Dr Rice, qui voit dans le témoignage des accoucheuses la preuve tragique des pertes en vies humaines et des souffrances73, que lui et ses confrères seraient seuls qualifiés et donc légitimes à soulager.
52En définitive, le diagnostic des autorités médicales et administratives est double : ignorance des femmes et incompétence des accoucheuses74. En bonne logique, la solution doit donc se décliner en deux parties : l’éducation (générale) des mères ; et la formation (médicale) de sages-femmes. Les solutions proposées pour l’instruction des mères restent encore balbutiantes vers 1918, et pour cause : certains, comme le Dr White, estiment que cette proposition n’est pas réalisable. Le comité se contente de désigner les acteurs chargés de cette instruction à dispenser, sans évoquer les modalités de cette tâche : c’est plus tardivement que les autorités s’empareront de cette question75. En revanche, le programme concernant les sages-femmes est un peu plus développé, du moins dans certains documents du rapport.
53En la matière, trois politiques s’offraient aux autorités :
- multiplier les sages-femmes britanniques et créer des postes pour elles dans toute la colonie;
- dispenser aux accoucheuses un enseignement de base en matière d’hygiène et de gestes obstétricaux – et en essayant de les faire renoncer à certaines pratiques;
- ouvrir des structures hospitalières spécialisées, capables à la fois d’accueillir des parturientes et de former médicalement des sages-femmes africaines.
54Ces trois politiques ne sont pas mutuellement exclusives, comme le montre le cas de l’Algérie où ces différentes solutions font l’objet de débats nourris, débouchant d’ailleurs sur des réalisations quasi nulles76. En Gold Coast, le choix des autorités va consister à recruter quelques sages-femmes britanniques, à faire l’impasse sur le second volet (les accoucheuses n’ayant pas vocation à être formées mais à être éradiquées77), et à déployer en revanche d’importants efforts dans le troisième.
55Les trois documents qui chapeautent l’ensemble du dossier sont très clairs à ce sujet : le Dr White et le Dr Rice, comme le gouverneur Clifford, concluent que la solution au problème de la mortalité infantile (et maternelle) réside dans la construction d’une maternité, doublée d’une école de sages-femmes. Notons qu’ils s’écartent singulièrement en cela de tous les autres documents contenus dans ce dossier. À l’exception du Dr Nanka-Bruce qui appelait de ses vœux la fondation de nouveaux hôpitaux, aucun autre document ne préconisait cette solution. Le rapport rédigé par les membres du comité d’enquête n’en faisait même pas mention ! On voit donc là encore quelle liberté les responsables médicaux et administratifs ont prise à l’égard des documents qu’on leur a soumis : le moins que l’on puisse dire est que le comité d’enquête était purement consultatif, puisque le remède finalement préconisé par les autorités n’a rien à voir avec les conclusions rendues par le comité en question.
56Quoi qu’il en soit, c’est ainsi que le Dr White, ayant souligné le caractère irréaliste de la proposition éducative émise par les rapporteurs, argumentait en faveur de la construction d’une maternité :
The only practical solution then would appear to be the establishment of a Maternity Hospital—preferably in charge of lady doctors—with facilities for teaching, examining, and granting certificates to qualified Native Nurses. With such a beneficial and educational institution in our midst there could not fail to be an improvement in the rate of Infant Mortality, not only in Accra but throughout the Colony when the increasing numbers of qualified midwives compel a proportion of them to go elsewhere to practise their profession. The far reaching effect of such a measure seems to claim for itself precedence of all other schemes, to be the corner stone around which other efforts, such as Sanitation, Hygiene, and the Control of Venereal Disease, will be gathered in the building up of conditions calculated to preserve infant life and safeguard the mothers of future generations78.
57Le Dr Rice, convaincu par l’argumentation, la relaie auprès du gouverneur, qui lui-même devient un défenseur résolu de la construction d’une maternité : il estime qu’il s’agit d’une priorité et du seul moyen adéquat de faire face au double problème de la mortalité maternelle et infantile. Pour urgente qu’elle soit apparue aux yeux du gouverneur Clifford – alors, il est vrai, en fin de mandat –, la maternité d’Accra ne verra le jour que neuf ans plus tard. Néanmoins, comme on le verra, elle correspond en grande partie au projet qu’il avait défendu en 1919.
Conclusion
58Les années 1915-1919 ont donc été décisives dans l’histoire de la médicalisation de la reproduction en Gold Coast : d’une simple « suggestion » adressée par un médecin africain aux autorités, on est passé en quatre ans au projet fondateur de construction d’une maternité, jointe à une école de sages-femmes, auquel s’ajoutent des recommandations (encore assez vagues) sur la formation des mères. Ceci s’inscrit dans un contexte africain global où, répondant aux inquiétudes sur la dépopulation, les premiers efforts pour lutter contre la mortalité infantile et maternelle sont déployés – avec la section sages-femmes de l’École de médecine de Dakar, ouverte en 1918 ; ou encore, en Ouganda, avec la première Maternity Training School, aux mains des missionnaires anglicans79. En Gold Coast, la préoccupation démographique s’est essentiellement focalisée sur ce qui est perçu comme une faiblesse de la population, un taux de reproduction insuffisant et surtout, de forts taux de mortalité infantile et maternelle, tous facteurs qui semblent à l’époque incompatibles avec le développement économique du territoire. Mais ces années-là ont également été déterminantes car c’est alors que sont posées les bases d’une véritable idéologie de la maternité coloniale : c’est à cette époque que les femmes sont désignées comme les principales responsables de la mortalité infantile et les accoucheuses comme les principales responsables de la mortalité maternelle. Ce relatif paradoxe, qui fait des femmes des victimes et des coupables tout à la fois, s’explique en partie : comme parturientes, les femmes – toutes les femmes – seraient à la merci d’accoucheuses responsables de pratiques obstétricales nocives, expliquant les effarants taux de mortalité maternelle et infantile. Les accoucheuses constituent donc une sous-catégorie particulièrement visée par les médecins. Mais celles-ci ne sont pas seules en cause : passé le strict moment périnatal, elles partagent avec l’ensemble des femmes la responsabilité de la mortalité infantile, puisque c’est l’ignorance féminine en matière de soins aux bébés puis aux enfants qui est incriminée par les médecins concluant le rapport.
59C’est ainsi qu’est définie la double politique consistant à éduquer les mères ou futures mères et à former des sages-femmes diplômées. Quant aux facteurs sociaux ou épidémiologiques, ils sont tenus pour négligeables par rapport aux facteurs culturels : qu’il s’agisse des quartiers surpeuplés et insalubres ou de la prévalence de la malaria, dans leur logique très culturaliste, les autorités n’y accordent qu’une importance secondaire. Or, en dépit de certaines évolutions ultérieures au cours du xxe siècle, ces bases demeurent largement intactes durant toute la période coloniale – et, pour certains aspects, au-delà.
Notes de bas de page
1 Mention anonyme, document non daté (1919). CO 96/598.
2 Monnais-Rousselot, 1999, p. 237.
3 Ittmann, Cordell & Maddox, 2010.
4 Allman & Tashjian, 2000, p. 184.
5 Sur l’incidence croissante des maladies sexuellement transmissibles dans l’entre-deux-guerres au sud de la Gold Coast, voir Akyeampong, 1997.
6 Stricto sensu, le taux de mortalité infantile est le rapport entre le nombre d’enfants décédés à moins d’un an et l’ensemble des enfants nés vivants. Mais dans les sources de l’époque, on constate un certain flou, surtout avant la Seconde Guerre mondiale. Souvent, la « mortalité infantile » recouvre également la mortalité d’enfants plus âgés (au moins jusqu’à cinq ans), alors qu’il faudrait dans ce cas parler de mortalité juvénile (la mortalité des enfants de un à cinq ans).
7 Voir Iliffe, 2016, p. 215-218.
8 Voir Summers, 1991.
9 Hunt, 1988 ; 1999. Piette, dans Spensky (dir.), 2015, p. 166-167.
10 Ce chapitre est presque entièrement fondé sur un dossier des Archives nationales du Royaume-Uni, organisé à la manière des poupées russes. Il s’agit du dossier CO 96/598, intitulé « Infant Mortality. (Despatch no 218). Discusses the present serious position and considers that the only remedy is the institution of a Lying-in Hospital at Accra and the training in midwifery of suitable women ». Ce dossier de plus de 70 pages se compose de douze document différents : une lettre du gouverneur au ministre des Colonies (17 mars 1919), récapitulant l’ensemble et présentant les documents qui suivent ; la copie d’une lettre du Dr Nanka-Bruce au gouverneur (27 juin 1915), attirant l’attention des autorités sur la mortalité infantile et suggérant des mesures pour la réduire (il y joint la copie d’un article du Lancet sur la formation des accoucheuses à Bombay) ; la copie de commentaires de cette lettre par le Dr Le Fanu, en poste à Lomé et contestant la plupart des affirmations de Nanka-Bruce ; la copie d’un compte rendu du Dr Tweedy, Principal Medical Officer, à propos de la lettre de Nanka-Bruce (31 août 1915) ; un extrait du rapport du Dr Parsons, Medical Officer à Accra, sur la mortalité infantile dans cette ville pour l’année 1915 ; un extrait du rapport du Dr Alexander, Senior Sanitary Officer, essayant d’estimer la mortalité infantile à Accra (13 juillet 1916) ; un compte-rendu du Dr Rice, Principal Medical Officer, suggérant la nomination d’un comité d’enquête sur l’ampleur et les causes de la mortalité infantile (10 juillet 1916) ; une note du gouverneur, doutant de la valeur des statistiques mais pas de l’ampleur de la mortalité infantile (20 juillet 1916) ; le rapport du comité d’enquête sur la mortalité infantile (31 août 1917), qui comprend un document de synthèse de 8 pages ainsi que de nombreuses annexes (23 pages) ; la synthèse de ce gros document par le Dr White, devenu président du comité d’enquête (12 septembre 1917) ; le témoignage d’une infirmière britannique sur la mortalité infantile en Gambie ; et enfin, le document de conclusion du Dr Rice (9 janvier 1918), synthétisant le tout, en sa qualité de médecin principal.
11 Governor Clifford to Viscount Milner, 17 March 1919. CO 96/598.
12 Dr Nanka-Bruce to acting Governor, 27 June 1915. CO 96/598.
Plusieurs années après, le journal qu’il avait fondé, le Gold Coast Independent, évoquait encore « la population clairsemée du pays » (Gold Coast Independent, 14 mai 1932, « Lecture on Child Welfare by Miss Maude Christian, nurse-midwife »).
13 Encore que, l’article récent de Piette (dans Spensky [dir.], 2015), montre que la mortalité infantile est également incriminée au Congo belge, où les causes de la dépopulation seraient perçues comme multiples, contrairement à l’analyse de Hunt, qui mettait essentiellement l’accent sur la faible fécondité féminine.
14 Bien qu’il s’agisse de phénomènes en fait bien distincts, dus à des causes elles-mêmes différentes. Voir Loudon, 1992.
15 « While mothers were also held to be important, their health was generally viewed in relation to the welfare of the infant and not for their own sakes. By the early 1920s however, mothers increasingly became subjects of concern », Marks, 1996, p. 195.
16 On appelle stérilité secondaire les problèmes de fertilité rencontrés par une femme après la mise au monde d’un premier enfant, et dus à cette première grossesse ou à ce premier accouchement.
17 Dr White, Sanitary Medical Officer, 12 September 1917. PRO. CO 96/598.
Notons que l’affirmation qui ouvre cette citation contredit la plupart des opinions émises par ses collègues sur la mortalité infantile.
18 Barnor, 1962 ; Owusu-Ansah, 1995 ; Addae, 1997, p. 301.
19 Archives de la Royal Commonwealth Society. Peter Canham Collections : Gold Coast 1938-39. RCS Y 30448 O-R.
20 On peut lire ainsi : « Constantly and consistently we have been poignant in our criticism of Government policy particularly with respect to its characteristic dilatoriness and ungenerous parsimonious [sic] in its attention to the protection and preservation of the health of the governed » (Gold Coast Independent, 10 septembre 1932).
21 Dr Nanka-Bruce to acting Governor, 27 June 1915. CO 96/598.
22 Turritin, 2002, p. 71.
23 Addae, 1997, p. 227.
24 Gold Coast Independent, 14 mai 1932, « Lecture on Child Welfare by Miss Maude Christian, nurse midwife ».
25 Dr Nanka-Bruce to acting Governor, 27 juin 1915. CO 96/598.
26 Ibid.
27 Medical. Research work. Recommendations on. (1930). Report of the Colonial Development Public Health Committee (July 1930). CO 323/1090/1.
28 Rappelons pour mémoire la mobilisation des enseignants d’histoire en France au moment où un article de loi (février 2005) les obligeait à mentionner les « aspects positifs » de la colonisation. Sur l’inanité d’un « bilan » de la colonisation et de ses aspects sanitaires, cf. Hugon, 2005b.
29 À la même époque, dans l’Empire français, on utilise l’expression « faire du noir » pour désigner cette ambition de croissance démographique, au demeurant peu suivie d’efforts réels. Cooper, 2019, p. 116.
30 On repère en effet la même préoccupation ailleurs, par exemple au Congo belge : « L’importance accordée à l’enfant, perçu comme main-d’œuvre en devenir, permettra aux femmes coloniales de jouer un rôle majeur dans la construction d’un Empire “sain et prospère” ». Piette, dans Spensky (dir.), 2015, p. 165.
31 Le terme anglais guesstimate, contraction du verbe to guess (deviner) et du substantif estimate (estimation), insiste à dessein sur le caractère peu fiable de certains chiffres réputés sûrs.
32 Ittmann, dans Ittmann, Cordell & Maddox (dir.), 2010, passim. Voir aussi Turshen, 2010, p. 219.
33 Pour l’Empire français, les travaux de Raymond Gervais et d’Issiaka Mandé ont montré le sous-encadrement et le manque de formation des fonctionnaires. Pour une synthèse récente de leurs recherches, voir Gervais & Mandé dans Ittmann, Cordell & Maddox (dir.), 2010.
34 Patterson, 1983.
35 Headrick note la même imprécision pour l’AEF. Headrick, 1994, p. 146, et chapitre 6, passim.
36 Dr Parsons, Medical Officer. Extract from a Report by the Medical Officer, Accra, for 1915. CO 96/598.
37 Minute by Governor Clifford, 20 July 1916. CO 96/598. C’est lui qui souligne.
38 Dr Alexander, Senior Sanitary Officer, to Principal Medical Officer, 13 July 1916. CO 96/598.
39 Ce chiffre est cependant « classique » comparé aux taux de mortalité infantile dans d’autres colonies à la même époque, comme l’AOF (Barthélémy, 2010, p. 26). À Johannesburg, dix ans plus tard, ce taux aurait même été bien supérieur encore, de l’ordre de 750 ‰ ! Gaitskell, 1983, p. 250.
40 Ceci s’entend indépendamment des variations chronologiques. Le gouverneur Guggisberg l’estime, pour l’ensemble du territoire, à 400 ‰ dans la publication intitulée Gold Coast Review, 1920-1926, et pour la capitale, d’après lui la ville plus saine de toute la colonie, à 250 à 300 ‰ (discours d’inauguration de l’hôpital de Korle Bu, 1923 ; voir Korle Bu Hospital, 1923-1973 : Golden Jubilee Souvenir, Accra, 1974, p. 35).
41 En particulier par comparaison avec d’autres colonies ou des pays tropicaux, voir infra.
42 Governor Clifford to Viscount Milner, 17 March 1919. CO 96/598. En 1915, le Dr Parsons exprimait déjà la même conviction. Dr Parsons, Medical Officer of Health. Extract from a Report by the Medical Officer, Accra, for 1915. CO 96/598.
43 Ittmann, Cordell & Maddox (dir.), 2010.
44 Dr Alexander, Senior Sanitary Officer, to the Principal Medical Officer, 13 July 1916. CO 96/598.
45 Dr Parsons, Medical Officer of Health. Extract from a Report by the Medical Officer, Accra, for 1915. CO 96/598.
46 La mortalité infantile, comme la mortalité maternelle, résultent en effet de causes variées et imbriquées de façon complexe. Lewis, 1980, p. 61, passim.
47 Loin d’être unique, ce cas semble au contraire très répandu. Ainsi, aux îles Fidji, en 1896, une commission nommée pour enquêter sur le déclin démographique avait conclu à des causes multiples et complexes, dont certaines directement liées au système économique colonial. Mais lorsqu’il s’est agi de prendre des mesures concrètes pour lutter contre ce déclin, c’est sur les mères que toute la politique s’est focalisée. Ram & Jolly, 1998, p. 7.
48 Voir Governor Clifford to Viscount Milner, 17 March 1919. CO 96/598. La même missive précise les quelques changements au sein du comité : après le décès inattendu de Mr. Crowther et la mutation du Dr Tighe, c’est le Dr White qui remplace l’un et l’autre, le nombre de membres étant alors réduit à six. Notons encore que la composition du comité était légèrement différente de celle suggérée en juillet 1916 par le Dr Rice, qui élargissait la représentation des femmes en suggérant la nomination d’une femme blanche, Mrs. Eldred. Voir Rice, 10 July 1916. CO 96/598. On ignore pourquoi cette recommandation n’a pas été suivie.
49 Governor Clifford to Viscount Milner, 17 March 1919. CO 96/598.
50 Rice, 10 July 1916. CO 96/598.
51 Ibid.
52 Forbes, 1992 ; Lewis, 1980.
53 Respectivement les 20 et 26 avril, 3 et 10 mai, 7 et 14 juin ; voir rapport du comité daté du 31 août 1917. CO 96/598.
54 Rapport du comité daté du 31 août 1917, p. 10. CO 96/598.
55 Annexe A du rapport de synthèse : « Notes of an interview with Dr Huppenbauer of the Basel Medical Mission, Aburi, 31st March 1917 ». CO 96/598.
56 Dr Rice, 9 January 1918. CO 96/598.
57 Pour une analyse historique pointue des causes de la mortalité infantile dans le Sénégal colonial, voir Ndao, 2015, p. 236-253.
58 « The density of population is 617 to the acre. From the point of view of public health a density of more than 100 per acre is most undesirable. » Mr. Wellacott, Appendix B: « Congested Areas Accra-Sempe Quarter. » CO 96/598.
59 Mr. Wellacott, Appendix B: « Congested Areas Accra-Sempe Quarter ». CO 96/598.
60 20th April. « Congested Areas ». CO 96/598.
61 Ibid.
62 Dr White, Sanitary Medical Officer, 12 September 1917. CO 96/598.
63 Voir entre autres Lewis, 1980; Gélis, 1988; Forbes, 1992; Deacon, 1998; Evenden, 2000.
64 Dr White, Sanitary Medical Officer, 12 September 1917. CO 96/598.
65 Allman & Tashjian, 2000 ; voir notamment l’introduction.
66 Sont considérés comme nocifs le massage du ventre des femmes enceintes, l’administration de potions pour accélérer la délivrance en cas de travail prolongé, le traitement du cordon ombilical (outil avec lequel on le coupe et application de diverses matières sur le cordon coupé), les lavements appliqués aux nourrissons et les examens vaginaux.
67 Loin d’en rester à une déclaration générale sur l’ignorance, le Dr Huppenbauer les déclinait sous plusieurs aspects : les traitements nuisibles destinés à précipiter la délivrance, qui seraient à l’origine de l’essentiel de la mortinatalité dans les cas de grossesse menée à terme ; les erreurs de diagnostic amenant à traiter des maladies intestinales au lieu de la malaria ; et plus généralement, le dosage aléatoire – donc dangereux – de remèdes locaux.
68 Le Dr Rice le déplore et tente même de distinguer, dans les documents qu’on lui a soumis, ce qui relève des faits et ce qui relève de la conjecture. Mais lui-même n’échappe pas à la tentation d’ériger en fait des suppositions, pour peu qu’elles confortent son intime conviction. Dr Rice, 9 January 1918. CO 96/598.
69 Seule nuance dans ce concert, l’expression employée par le gouverneur Clifford, qui met en cause l’ignorance des « sages-femmes et des parents » et pas uniquement des mères. Governor Clifford to Viscount Milner, 17 March 1919. CO 96/598.
70 Dr Rice, 9 January 1918. CO 96/598.
71 Ibid.
72 Spivak, 1988, p. 101. Voir aussi l’introduction de Berger & White, 1999, p. xxxiv.
73 « […] This report, in the evidence volunteered by the midwives alone constitutes a tragic record of human wastage and suffering. » Dr Rice, 9 January 1918. CO 96/598.
74 Voir Forbes, 1992, qui, pour le cas de l’Inde, concluait : « Faced with the problem of India’s high infant and maternal mortality rate, the answer seemed to be at hand. Poverty and poor living conditions did not become central issues in the women’s organizations. The problem was the dai [accoucheuse]. » (p. 171).
75 Voir chapitre 8.
76 Fredj, 2012. D’ailleurs, certains programmes récents mis en place par l’OMS pour la formation des accoucheuses, aujourd’hui connues sous le nom de Traditional Birth Attendants (TBA), constituent une version de la solution proposée par Nanka-Bruce.
77 Là encore, le parallèle avec le cas indien est éclairant : « The problem was the dai ; the answer, providing modern scientific training schemes. Yet none of the schemes developed was really designed to train the dai, but rather to replace her completely. » Forbes, 1992, p. 171.
78 Dr White, Sanitary Medical Officer, 12 September 1917. CO 96/598.
79 Barthélémy, 2010 ; Summers, 1991.
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