Introduction
p. 11-29
Texte intégral
1En 1841, un missionnaire britannique du nom de Thomas Freeman était invité par son employeur, la Wesleyan Methodist Missionary Society, à remplir un questionnaire sur le statut et la condition des femmes africaines de sa région d’affectation, la Gold Coast, en Afrique de l’Ouest. À la question « Les mères s’occupent-elles bien de leurs enfants ? », il répondait très simplement « Oui1 ». Or, moins d’un siècle plus tard, un médecin anglais en poste dans le même territoire, reflétant l’opinion générale de ses collègues, affirmait que quatre Africaines2 sur cinq avaient besoin d’un enseignement adapté pour devenir de bonnes mères3.
2Que s’est-il donc produit entre-temps ? On ne peut pas raisonnablement faire l’hypothèse d’une dégradation drastique des pratiques maternelles en moins d’un siècle, dans une région par ailleurs plutôt stable et relativement prospère. Ce sont donc vraisemblablement les mentalités qui ont changé, ce qui explique la divergence d’opinion des Britanniques entre les années 1840 et 1920. Comment ceux-ci sont-ils passés, en quelques décennies, à la conviction selon laquelle les Africaines ne sont pas de bonnes mères ? Dès 1920 en effet, les colonisateurs estiment indispensable de former les femmes « indigènes » à leur rôle de mère et donc, de transformer la maternité comme fonction sociale. À cette fin, ils mettent en place dans les quarante années suivantes un éclectique programme de formation des mères de la Gold Coast, qui comporte un important volet médical, consistant à médicaliser la grossesse et l’accouchement. L’enjeu de ce programme est de modifier – et, aux yeux de ses promoteurs, d’améliorer – la gestion de la reproduction4, les modalités des tâches maternelles, ainsi que l’idéologie qui les sous-tend. L’ampleur et l’ambition de ce programme font que l’on peut parler d’un véritable projet de réforme de la maternité car, comme dans le cas des puissants courants réformateurs britanniques de la fin du xixe siècle, il s’agit de « contribuer […] à façonner les institutions et les politiques sociales5 ». Cependant, les acteurs et actrices de cette réforme de la maternité ne sont pas exactement les mêmes en Grande-Bretagne et en Gold Coast. Dans la première, se déploient des associations religieuses à préoccupations sociales, des amicales féminines soucieuses de faire le bien, et des corporations de médecins désireux de conduire la bonne marche de la société. En Côte de l’Or6, la réforme de la maternité est promue à la fois par l’élite africaine, faible numériquement mais influente et dotée de réseaux et d’associations ; par les autorités coloniales, parfois avec le concours des missions chrétiennes ; et, dans le cadre de l’Indirect Rule, par certaines autorités politiques locales, relais africains de l’administration coloniale7. Ces agents de la réforme, sans partager nécessairement une même vision du monde, ont cependant des points de vue convergents sur ce qui fait une « bonne mère ».
La maternité a-t-elle une histoire8 ?
3Que la maternité ait une histoire n’a pas toujours semblé évident, en raison de son caractère physiologique : à première vue, quoi de plus « naturel » – donc soustrait à la variation des modalités dans le temps et dans l’espace – que la gestation et la parturition ? Celles-ci dépendent en effet de mécanisme biologiques que l’on pourrait, de ce fait, croire immuables. Pourtant, si les sciences sociales se sont saisies de cet objet, c’est bien parce que la maternité relève non seulement de la « nature » mais aussi de la « culture » ; et parce que toute culture humaine peut être déconstruite et analysée9.
4Rappelons d’emblée que la polysémie du terme « maternité » peut prêter à confusion10 puisque s’y confondent la dimension proprement physiologique (mécanisme de reproduction qui comprend la grossesse et l’accouchement) et la dimension sociale (l’ensemble des tâches dévolues aux mères dans une société donnée)11. S’il est important de distinguer la maternité comme expérience et comme institution sociale, c’est-à-dire l’état de mère de la façon dont les sociétés organisent le fait d’être mère12, il faut également reconnaître l’imbrication de l’une et de l’autre. En effet, comme l’affirmaient deux anthropologues il y a déjà vingt ans, « la naissance est un processus universel qui relève de la physiologie et de la biologie féminines ; mais […] il ne s’agit presque jamais d’un simple acte biologique. Au contraire, […] partout, la naissance est marquée et définie par le social13 ». Ainsi, le postulat qui sous-tend l’intérêt des sciences humaines pour la maternité est que si la grossesse et l’accouchement ne peuvent être soustraits à leur dimension somatique, ils comportent néanmoins une puissante variable culturelle qui non seulement modifie les manières de vivre cette expérience corporelle mais encore les rend dépendantes de facteurs sociaux14. À vrai dire, la physiologie est elle-même tellement liée aux modes de vie que ceux-ci ont une incidence directe sur le corps15. Par conséquent, l’aspect physiologique de la maternité doit être inscrit dans un ensemble plus vaste, qui affecte profondément le vécu et jusqu’au déroulement même de ce processus. De ce fait, la maternité – même au strict sens somatique – est inséparable du contexte dans lequel elle se déploie, comme l’ont montré les études qui se sont multipliées depuis les années 1980, permettant de dégager à la fois des spécificités locales et des dynamiques communes16. Mais si Anne Cova pouvait affirmer dans son bilan historiographique que « l’histoire de la maternité a sans conteste atteint une maturité17 », cette conclusion s’applique mieux à l’histoire des pays occidentaux qu’au reste du monde. Les nombreux travaux évoqués par cette auteure montrent bien que la maternité varie considérablement dans ses significations et dans ses modalités, selon le temps et le lieu. C’est parce que l’histoire de la maternité ne peut se comprendre que par son contexte qu’il importe de présenter ici l’environnement historique dans lequel vont se développer d’importants changements dans les façons d’être mère – lesquels changements éclairent et réfléchissent singulièrement les évolutions sociales de la Gold Coast à l’époque coloniale18.
La Gold Coast, des années 1920 aux années 1950 : cacao, capitalisme, urbanisation et place des femmes
5C’est presque un euphémisme que de dire que la Gold Coast, à partir des années 1920, est marquée par des transformations profondes et durables, dans les domaines économiques, sociaux et culturels19.
6La diversité ethnique et culturelle y est trop grande pour que l’on donne un aperçu exhaustif de tous les groupes qui composent sa population mais le tiers Sud est majoritairement occupé par des peuples du groupe akan (Fanti, Akwapem, Ashanti…), sans oublier les Ga dans la région d’Accra et les Ewé vers le sud-est. Le Nord y est encore plus diversifié (Dagara, Tallensi, Gurunsi, Dagomba, Konkomba…), malgré des formes de cultures communes et une certaine empreinte ou présence de l’Islam, qui n’y est cependant pas hégémonique20.
7Le territoire, conquis progressivement depuis les années 1870 par les Britanniques, est considéré comme peu peuplé, voire sous-peuplé, avec, pour une superficie comparable à celle de la métropole britannique : un million et demi de personnes en 1911, deux millions en 1921, un peu plus de trois millions en 1931 et six millions à la veille de l’indépendance, selon les recensements21. Administrativement, il est divisé en quatre parties, de statuts différents mais toutes dirigées par le gouverneur, basé à Accra (capitale dès 1874)22. Du sud au nord, on distingue « la Colonie » ou Gold Coast Colony, c’est-à-dire les territoires situés entre l’Ashanti et l’Océan atlantique et devenus colonie de la Couronne en 1874 ; l’Ashanti, conquis militairement et définitivement absorbé comme Protectorat en 1901 ; les Territoires du Nord, intégrés en tant que Protectorat en 1902 ; et, à l’Est, une partie de l’ancien Togoland allemand, prise durant la guerre puis confiée en 1922 par la SDN au Royaume-Uni, et dès lors connue sous le nom de Togoland britannique ou encore Transvolta Region.
8L’Indirect Rule ou administration indirecte, chère aux Britanniques, demeure le système administratif de référence, dans lequel on associe des chefferies tantôt préexistantes, tantôt fabriquées pour la circonstance23. Mais ce système, qui laisse plus ou moins les coudées franches aux pouvoirs locaux (Native Authorities puis Local Authorities à partir des années 1940) dans certains domaines (justice coutumière, santé, éducation, infrastructures locales), n’est ni exclusif ni uniforme, avec des chefferies qui jouent le jeu et d’autres qui se montrent moins dociles ou moins efficaces.
9Peu après la Première Guerre mondiale, on assiste au développement spectaculaire des plantations de cacao et d’une nouvelle catégorie sociale (au demeurant hétérogène) : les planteurs africains, qui sont restés maîtres de la terre24. Cette monoculture de rente a de nombreuses conséquences : l’entrée dans une économie monétaire et capitaliste ; l’approvisionnement du Trésor public grâce aux taxes sur les exportations, qui deviennent en valeur la première ressource de la Gold Coast, supplantant l’or extrait des mines d’Ashanti ; d’importantes migrations de travail, notamment depuis le Nord du pays et même depuis la Haute-Volta, devenus des réservoirs de main-d’œuvre pour les plantations du Sud ; le renforcement d’un déséquilibre Nord/Sud, avec un centre de gravité résolument ancré dans la partie méridionale, et même littorale, du territoire25 ; et une relative fragilité à la crise, qu’elle soit économique ou agricole26.
10Cette Gold Coast « utile » du cacao (et secondairement, de l’extraction aurifère) connaît aussi une croissance urbaine considérable dans l’entre-deux-guerres : les grandes villes sont Accra, Cape Coast, Sekondi-Takoradi (villes-jumelles de l’Ouest dont Takoradi est l’élément le plus moderne, avec un port et un terminal de chemin de fer), Kumasi ; et dans une moindre mesure, Koforidua, au nord-est d’Accra. La population urbaine augmente fortement : la population d’Accra passe de 18000 habitants en 1901 à 60000 habitants vers 1930, puis à 135000 vers 1950 et enfin 290000 peu après l’indépendance. Sekondi, pour sa part, abrite environ 17000 personnes en 1931 et 44000 en 194827. La population vivant dans des agglomérations de plus de 10000 habitants atteint 12 % en 1948, dispersés dans une cinquantaine de localités (on n’en comptait que dix-neuf en 1931)28. Ces villes se modernisent cependant lentement : au début des années 1930, huit villes seulement (dont Tamale, seule agglomération du Nord dans ce cas) sont approvisionnées en électricité.
11Les villes, en particulier littorales, sont le lieu de résidence d’une petite mais influente catégorie sociale : l’élite lettrée, urbaine, bourgeoise, chrétienne et anglophone, dont l’influence est sans commune mesure avec sa proportion dans la population29. Il s’agit souvent de familles investies de longue date dans le commerce transatlantique et dont les rapports avec les Européens, remontant parfois au xviie siècle, ont en partie façonné l’identité. Parmi les plus célèbres, citons les Hutton-Mills, Reindorf, Bannerman, Quartey-Papafio, Hansen, Hesse, Bruce, Brew… Majoritairement ga et fanti, ces familles comprennent, dans l’entre-deux-guerres, des médecins, des juristes, des enseignants, des journalistes ou des entrepreneurs30. Leurs rapports avec les Britanniques sont ambivalents : culturellement pétris de valeurs anglaises, n’hésitant pas à citer Milton et Shakespeare, ayant souvent fait des études et obtenu leurs diplômes en Grande-Bretagne, ils aspirent à un leadership politique que leur interdit le système colonial fondamentalement raciste, caractérisé par des lois discriminatoires. Pour autant, le facteur de classe l’emporte parfois sur le facteur racial et ces familles bourgeoises sont en relation étroite avec les autorités coloniales, qui cherchent leur appui, avec un succès variable. On compte parmi cette catégorie les premiers « nationalistes », fondateurs ou membres du National Congress of British West Africa et/ou de l’Aborigines’ Rights Protection Society : Kobina Sekyi, Frederick Nanka-Bruce, Joseph Casely-Hayford, Thomas Hutton-Mills… Cette élite développe une analyse critique de la colonisation fondée sur la conscience et la dénonciation du racisme, mais qui fait l’impasse sur la dimension de classe. Par ailleurs, si ses membres vilipendent certaines modalités de la colonisation, ils ne contestent pas son principe même car elle apparaît à leurs yeux comme le moyen d’une modernisation qu’ils appellent de leurs vœux et à laquelle ils s’identifient. Ils promeuvent cette dernière par divers canaux, dont les journaux (en anglais) et les « clubs » qu’ils fondent et animent, et qui constituent des lieux de sociabilité autant que de débats et de culture générale31. En somme, le système colonial pourrait leur convenir si on leur en laissait la responsabilité : or ce n’est pas à l’ordre du jour, surtout depuis la fin du xixe siècle, où le gouverneur Maxwell s’est distingué par une politique hostile à l’accès des Africains aux hautes fonctions publiques32. Tout au plus trouve-t-on certains d’entre eux (comme Frederick Nanka-Bruce) qui siègent au Conseil législatif, censé aider le gouverneur à prendre des décisions. Ils sont en revanche absents jusqu’au début des années 1950 des cadres de l’exécutif, organisé en plus de vingt « Départements » (ainsi, le Département médical), qui deviendront des ministères à partir de 1952. Cette élite se trouve politiquement dépassée sur sa gauche, après la Seconde Guerre mondiale, par l’apparition d’un courant bien plus radical de contestation de la colonisation, incarné sur place par Kwame Nkrumah, fondateur d’un parti de masse (le Convention People’s Party ou CPP) qui remporte les élections des années 1950. Nkrumah, pourtant emprisonné en 1948 avec cinq autres hommes politiques, se retrouve ainsi sur le devant de la scène dès 1951. C’est lui qui, en qualité de Premier ministre, mène le pays à l’indépendance (mars 1957), avec un programme résolument panafricaniste. L’un des défis que souhaite alors relever le Ghana est celui de la modernisation, dont la colonisation n’a pas tenu les promesses – en dépit d’un progrès dans les années 1940, avec l’apparition de services sociaux et un embryon d’État-providence, caractéristiques de l’État colonial tardif33.
12Avec tous les changements évoqués ci-dessus, la place, le statut et le rôle des Africaines sont évidemment eux-mêmes profondément transformés mais il n’existe pas d’étude exhaustive permettant d’apprécier l’histoire de l’ensemble des femmes de la Gold Coast à l’époque coloniale. S’il est hasardeux de généraliser leurs conclusions à l’ensemble du Ghana, Jean Allman et Victoria Tashjian ont cependant montré qu’en Ashanti, le gender chaos (bouleversement des rapports sociaux de sexe) de l’entre-deux-guerres n’a pas été très favorable aux femmes. Leurs marges d’autonomie se restreignent34, alors qu’elles aspirent au contraire à profiter du nouveau contexte. Leurs obligations sociales et économiques s’alourdissent avec les nouvelles formes du mariage, de la conjugalité, de la parentalité, de l’éducation et de l’économie de plantation. Le statut de père se renforce, et si cela ne s’accompagne pas nécessairement d’un affaiblissement du statut de mère, les enfants sont de plus en plus disputés entre le matrilignage auquel ils appartenaient précédemment et le patrilignage qui souhaite les intégrer. Enfin, le contrôle des femmes et de leur sexualité est l’un des points sur lesquels l’Indirect Rule s’est révélée efficace, grâce à la complicité objective entre autorités coloniales et autorités « indigènes », promptes à coopérer lorsqu’il s’agissait de réduire les paniques morales suscitées par l’autonomisation des femmes35. Cependant, les femmes ashanti, dont les marges de manœuvre ont été écornées au début du xxe siècle, regagnent une certaine indépendance à partir des années 1930, même si les autorités coloniales s’intéressent à elles essentiellement pour leur rôle reproducteur.
Femmes africaines, colonisation et maternité
13Bien que la reproduction préoccupe, à des degrés divers, tous les membres d’une société, les femmes sont bien évidemment les premières concernées : l’historiographie des femmes et du genre en contexte colonial a d’ailleurs fait une place importante à cette thématique. Cette historiographie, qui remet en cause l’idée que les sources seraient muettes sur les femmes36, connaît une augmentation exponentielle depuis trente ans et semble loin de se tarir37. Elle a profondément renouvelé l’analyse historique du processus impérial38, selon six axes principaux de recherche39 : les femmes blanches et l’impérialisme ; l’impact de l’Empire sur les femmes de la métropole ; les expériences des colonisées ; la masculinité et l’Empire ; la sexualité et l’Empire ; le genre dans le discours colonial.
14Le présent travail relève d’au moins trois de ces axes. Par importance décroissante, on y abordera le vécu des femmes colonisées par rapport à la grossesse, à l’accouchement et aux soins aux nourrissons ; la participation des femmes blanches à l’entreprise de médicalisation de la maternité et à la formation des mères ; et de façon un peu plus diffuse, la façon dont les autorités coloniales abordent et formulent les questions de genre.
15L’histoire de la maternité doit par ailleurs se comprendre dans un contexte plus large : celui du quotidien des femmes « indigènes ». Or la plupart des travaux menés sur le vécu des femmes colonisées en situation coloniale a montré que leur sort avait plutôt tendance à s’aggraver. C’est notamment le cas sur le plan matériel (charge de travail alourdie) et sur le plan du statut (perte en termes d’accès au pouvoir, ou en termes d’autonomie). Les quelques « niches » coloniales qui pouvaient être favorables à une minorité d’entre elles, comme les femmes diplômées de l’AOF étudiées par Pascale Barthélémy40, demeuraient des exceptions. Mais se pencher sur la Gold Coast oblige également à un détour par la bibliographie relative à la métropole, puisque la réforme de la maternité africaine s’inspire en partie de ce qui s’est produit en Grande-Bretagne peu avant – voire de façon synchrone. La seconde moitié du xixe siècle y a vu émerger (comme ailleurs en Europe occidentale) une nouvelle sensibilité à l’égard des enfants, dont la vie devient plus précieuse aux yeux de la société et des familles. Par conséquent, la mortalité infantile est désormais vécue comme un problème, auquel il faut trouver des solutions. La médecine, qui est alors en train de se constituer en science moderne, offre justement un nouvel arsenal de remèdes, relayés par les hygiénistes41. Et la Grande-Bretagne se dote de lois et d’institutions destinées à « protéger » les mères et leurs enfants, au début du xxe siècle42.
16Mais si la réforme de la maternité en Gold Coast prolonge en partie ce qui s’est passé en Grande-Bretagne, le contexte social, culturel et économique y est fort différent. La question des spécificités locales sera donc cruciale : on cherchera à démêler ce qui, dans l’évolution de la maternité, tient aux cultures autochtones, à l’administration britannique ou encore à la situation coloniale, puisqu’il importe de distinguer « ce qui est spécifiquement colonial dans la domination coloniale43 ».
17Pour cela, on aura recours à la production naguère encore éparse, mais qui commence à s’étoffer singulièrement, sur différents pays d’Afrique44. Les travaux sur le Kenya, l’Ouganda, le Nigeria, le Tanganyika/la Tanzanie, le Soudan, le Sénégal, le Congo belge, ou tout récemment le Niger, permettent à la fois de repérer ce qui est spécifique à la Gold Coast, de comprendre ce qui relève de cas plus généraux et de fournir des outils de réflexion45. La réflexion s’enrichit d’ailleurs d’autres exemples puisés dans l’historiographie des empires (français, belge, néerlandais ou britannique), qui recoupe les publications sur certaines colonies en particulier (Indochine, Inde, Jordanie… )46. Cette dimension comparatiste est d’autant plus nécessaire que les informations, à l’époque considérée, circulent d’une colonie ou d’un Empire à l’autre : les responsables de l’administration, tout comme les membres de l’élite, comparent eux-mêmes les expériences menées dans différents territoires, s’inspirant de certaines, en récusant d’autres, mais s’inscrivant toujours dans une circulation impériale de l’information47.
18Concernant la Gold Coast, les travaux de l’historienne Jean Allman ont été à la fois utiles et inspirants : ayant travaillé sur l’histoire des femmes en Ashanti, elle est familière d’une partie des sources analysées dans ce travail et a écrit sur bien d’autres sujets, avec un soin constant pour la contextualisation48. En revanche, la thèse soutenue aux États-Unis en 2011 par Nana Akua Amponsah s’est révélée décevante, par sa brièveté et ses fréquentes imprécisions49. Quant au corpus anthropologique, décrivant les conditions ou l’imaginaire de la naissance avant la colonisation, on n’en fera pas ici un bilan permettant de décrire un point de départ, une sorte de « point zéro » de la maternité précoloniale. En effet, un tel bilan paraît à la fois peu souhaitable et irréalisable. Peu souhaitable, parce qu’il reviendrait à réifier les cultures locales relatives à la reproduction et à la parturition, en les nivelant dans le temps et dans l’espace. Irréalisable en raison de la variété des us et coutumes, selon les peuples et les groupes concernés : par exemple, un catalogue des tabous alimentaires auxquels doivent se soumettre les femmes enceintes serait à coup sûr incomplet, car ceux-ci sont très variables d’un groupe culturel ou socio-économique à un autre. Il en va de même pour les croyances et gestes rituels accompagnant l’accouchement ou encore le statut du fœtus ou du nouveau-né. En revanche, la littérature anthropologique (notamment celle de l’époque coloniale) sera régulièrement convoquée pour comprendre les évolutions ou les tensions autour de ces pratiques50, lesquelles évolutions et tensions sont évidemment centrales pour appréhender ce qui se joue dans la réforme de la maternité. Rappelons que, comme dans toute société, la grossesse et l’accouchement, loin d’être des événements neutres, sont empreints de représentations ambivalentes, mêlant espoirs et anxiété, et participent plus globalement à des visions du monde plus larges51 ; qu’en tant qu’événement ou période « à risque », ils font l’objet de maintes croyances et pratiques protectrices ; que toutes les femmes accouchent « à domicile52 », assistées généralement – mais pas exclusivement – de femmes, le plus souvent d’un certain âge, dont l’expertise en obstétrique est expérimentale ; et que les gestes et usages à l’égard des nouveau-nés puis des nourrissons sont transmis dans un cadre familial plus ou moins élargi.
Médecine coloniale, médecine féminine, corps féminins
19Comme dans toutes les colonies, la médecine occidentale était initialement destinée à prendre en charge la santé des Européens. Dans une colonie d’administration, ceux-ci ne dépassaient pas quelques milliers, comprenant essentiellement des administrateurs, techniciens et fonctionnaires, civils et militaires, des employés de firmes européennes, sans oublier une poignée de missionnaires. Cependant, après la Première Guerre mondiale, se répand l’idée que la médecine occidentale a un rôle à jouer dans la santé des populations colonisées et, partant, dans l’accroissement démographique, alors perçu comme un gage de prospérité. Si l’immense majorité des médecins sont européens, on compte néanmoins en Gold Coast quelques médecins africains, diplômés d’universités britanniques mais rapidement exclus du service public (ou du moins d’une égalité de statut avec leurs confrères blancs) et donc poussés vers une carrière à leur compte. Le racisme qui sous-tend le système médical – et plus généralement l’idéologie coloniale – a été bien démontré par la bibliographie53. Il affecte bien sûr l’histoire de la médicalisation de la maternité et constituera l’un des fils conducteurs de ce travail. Il faut cependant rappeler que le gouverneur Guggisberg (en poste de 1919 à 1927) s’est distingué par une politique médicale plutôt progressiste sur le plan racial. Il a ainsi dénoncé l’attitude des fonctionnaires britanniques qui refusaient de se faire soigner par un médecin noir54 et fait nommer plusieurs médecins africains à l’hôpital de Korle Bu55 : c’est l’une des marques de son gouvernorat « éclairé », qui montre que loin d’être simplement structurelle, l’histoire de la colonisation dépend aussi des acteurs placés aux postes de responsabilité.
20Dans un travail qui porte largement sur la médicalisation de la grossesse et de l’accouchement, l’histoire de la médecine coloniale (elle-même fille de la médecine occidentale) est évidemment cruciale, notamment dans la mesure où « le colonialisme en Afrique, en tant qu’entreprise culturelle, était inséparable de la biomédecine en tant que science56 ». Qu’il s’agisse d’analyser la place – idéologique ou pratique – de la médecine dans l’entreprise impériale ou le rapport des populations colonisées avec la médecine occidentale, les travaux sont nombreux57. Soulignons d’abord que si pour Foucault, la médecine était une forme de biopouvoir, aux colonies, celui-ci s’exerce de façon discontinue et diffuse, reflétant en cela la relative faiblesse du pouvoir colonial – ce qui n’exclut pas, et même renforce, certaines formes de violence caractéristiques du régime colonial58. En d’autres termes, la médecine occidentale aux colonies s’appuie moins sur la coercition (qui existe cependant) que sur le consentement, toujours recherché mais jamais totalement obtenu, des populations administrées.
21Rappelons d’ailleurs que « la médecine occidentale », loin d’être une catégorie monolithique59, évolue considérablement avec le temps et dépend largement de qui l’exerce : laïcs, missionnaires, militaires, hommes, femmes, Africains, Européens, médecins, personnel paramédical… Par ailleurs, les systèmes thérapeutiques sont inséparables du reste de la culture, de l’économie ou des rapports sociaux – et cette remarque vaut aussi bien pour les sociétés africaines (ce qui est communément admis) que pour les sociétés occidentales : en témoignent l’influence croissante des médecins dans toutes les affaires sociales ou politiques et leur avènement comme experts polyvalents depuis le milieu du xixe siècle60. La nouveauté que représente donc à bien des égards la médecine occidentale a été appréhendée diversement par les sociétés colonisées mais la bibliographie disponible insiste surtout sur l’hybridité des systèmes thérapeutiques qui a suivi son introduction, jamais synonyme de substitution pure et simple d’une médecine par une autre61.
22Un autre aspect de la bibliographie utile à cette recherche concerne les rapports entre la biomédecine62 et les femmes. Si l’essentialisation de la différence des sexes (et des races), qui s’accentue au xixe siècle, doit beaucoup à la littérature médicale63, les femmes sont longtemps moins bien prises en charge médicalement que les hommes, sauf pour ce qui concerne leurs facultés reproductrices, qui semblent constituer l’alpha et l’oméga de la « médecine pour femmes64 ». L’exemple de la Gold Coast illustre d’ailleurs bien cette tendance lourde, puisque l’expérience qu’ont de la médecine occidentale les femmes africaines se réduit souvent à l’encadrement de leur grossesse, de leur accouchement ou des soins à leur bébé.
23Quant à l’histoire du corps, qui ne constitue d’ailleurs pas un corpus de littérature homogène65, elle apparaît bien dans cette étude, mais de façon souvent indirecte. En effet, beaucoup de travaux abordent le corps de façon implicite, notamment ceux qui portent sur la prostitution, la sexualité ou la reproduction66. Le corps est alors conçu comme l’enveloppe ou le vecteur qui matérialise ce dont on parle, mais sans devenir l’objet principal de l’analyse. Que les corps y soient abordés dans leur symbolique ou dans leur matérialité, cette littérature (y compris le présent travail) fait preuve d’une certaine méfiance à l’égard du biologique, pour des raisons que Davidoff, McClelland et Varikas expliquent fort bien : le recours à l’outil conceptuel qu’est le genre, dont l’intérêt heuristique est de prendre de la distance par rapport au biologique, est contradictoire avec une démarche consistant à rendre à ce dernier une place centrale. Pour autant, il ne faut pas oublier, comme elles le rappellent, que le corps est un lieu d’expérience historique, de mémoire et de subjectivité, ou encore de rencontre67 – et, ajouterait la très foucaldienne Ann Stoler, de pouvoir68. Conclure pour autant que les corps ou que l’intimité des femmes ont été « colonisés » par l’intervention biomédicale ou par la réglementation coloniale est un pas que l’on ne franchira pas, les femmes colonisées n’étant pas des objets inactifs subissant passivement le pouvoir impérial. Si l’histoire du corps apparaît régulièrement dans ce livre, c’est parce que les corps féminins, ceux des femmes africaines qui ont produit des enfants à l’époque coloniale, sont l’un des endroits où se sont joués les enjeux de la réforme de la maternité – et non parce qu’ils auraient été conquis ou réduits par la médecine occidentale et l’autorité britannique.
Entre histoire coloniale, histoire sociale et tentation post-moderne
24Le contexte colonial est évidemment fondamental comme cadre et comme ferment des évolutions de la maternité entre les années 1910 et 1950 : pour autant, l’approche privilégiée ici n’est pas une étude de la colonisation. Depuis les années 1980, l’histoire de la colonisation s’est considérablement renouvelée, mais les grands débats qu’elle soulève – sur la nature du colonialisme, les spécificités des empires coloniaux du xxe siècle, la complexité des rapports en situation coloniale, la question de la violence et du pouvoir, la marge de manœuvre des colonisé·e·s – ne seront convoqués que ponctuellement dans ce travail69. En effet, son ambition est moins d’apporter une contribution à l’étude du fait colonial70 qu’à une histoire sociale de la Gold Coast, par le prisme de la maternité. Certes, la différence n’est peut-être pas essentielle, puisque « les catégories et institutions élaborées en régime colonial ne peuvent être vues entièrement comme des créations dues aux autorités blanches mais plutôt comme le résultat d’un enchevêtrement complexe de conceptions autochtones et de conceptions coloniales71 ». Par conséquent, l’accent sera mis autant sur les dynamiques des sociétés africaines dans leurs interactions avec les colonisateurs que sur les colonisateurs regardant, administrant et soignant les colonisés. Les sources étant en majorité issues des archives coloniales, cette approche en termes d’histoire sociale sera régulièrement croisée avec des réflexions sur « le fait colonial », dont on espère améliorer la compréhension au passage. Une « histoire à parts égales72 » étant un objectif louable (quoique rarement atteint), cet ouvrage s’efforcera d’enrichir ce que l’on sait de la Gold Coast, durant le demi-siècle qui court des années 1910 à la fin des années 1950, décennies qui sont marquées mais en aucun cas résumées par la colonisation.
25Par ailleurs, bien que l’on ne doive pas être dupe des sources – et notamment du triomphalisme des médecins qui s’attribuent rapidement des exploits dans la baisse de la mortalité maternelle ou infantile – on se gardera du penchant post-moderne qui tient toute source pour un discours, voire une « grammaire », dont l’analyse relèverait de la critique littéraire. Bien entendu, les sources ne contiennent jamais toute la vérité, qui leur reste pour toujours irréductible. Pour autant, dans une étude qui s’attelle à la vie et à la mort – rien moins – on prendra soin de ne pas confondre l’une et l’autre dans un même panier « grammatical ». Indubitablement, la vie et la mort font l’objet de représentations ; mais on ne peut pas les traiter comme de pures catégories de discours : une femme qui meurt en couches, ou des triplés qui survivent et grandissent, sont des faits qu’il ne s’agit pas de réifier, ni individuellement ni statistiquement, mais dont on ne peut nier la réalité. Dans le sillage de Megan Vaughan73, on s’efforcera de trouver une juste distance aux sources sans céder à la tendance ultra-critique post-moderne. Par son extrême distanciation, cette dernière pose un véritable problème non seulement épistémologique mais également politique. En effet, les statistiques de la mortalité maternelle ou infantile présentes dans les sources sur la Gold Coast coloniale n’expriment pas que des situations d’un passé révolu : aujourd’hui encore, les inégalités traduites par les chiffres mondiaux de la mortalité/morbidité maternelle ou infantile sont des réalités qui affectent physiquement des millions de femmes et d’enfants. Certes, il ne faut pas idéaliser les statistiques, qui ne sont pas des objets neutres et dont la confection elle-même doit être déconstruite74. Mais comment faire l’impasse sur la dimension politique de ces chiffres, qui révèlent qu’aujourd’hui en Afrique, une femme a une chance sur vingt-et-une de mourir des suites d’un accouchement, contre une sur dix-mille en Europe du Nord ; ou encore que la mortalité infantile est actuellement quatre-vingts fois plus élevée au Ghana qu’en Grande-Bretagne75 ? En d’autres termes, une approche sensible aux effets matériels des « chances » devant la vie et la mort sera préférée à une démarche désincarnée, qui, sous couvert de prendre de la distance par rapport aux sources, confinerait au cynisme76.
Sources et organisation
26Ce travail s’appuie sur des sources trouvées dans différents centres documentaires, à la fois au Ghana et en Grande-Bretagne. Au Ghana, mentionnons les Archives nationales, à Accra (PRAAD, Public Record and Archives Administration Department) ; les Archives régionales de Cape Coast ; de Tamale ; de Sekondi ; de Kumasi ; de Koforidua ; et enfin, les archives de la chefferie de Kyebi. En Grande-Bretagne, il faut citer les Archives nationales (naguère Public Record Office, situées à Kew, dans l’Ouest londonien) ; Rhodes House (Oxford) ; le Wellcome Institute for the History of Medicine (Londres) ; les archives de la Croix Rouge britannique (Londres) ; et enfin, la librairie universitaire de Cambridge, qui abrite une collection de photographies de la Royal Commonwealth Society. Il faut y ajouter des sources orales collectées essentiellement au Sud du Ghana, entre 2000 et 2004, auprès de sages-femmes ghanéennes et également de femmes ayant eu des enfants à l’époque coloniale.
27Une grande partie des sources provient de l’administration coloniale, notamment du Medical Department, rebaptisé Health Ministry en 1952, au moment où s’instaure l’africanisation progressive de l’exécutif77. On y trouve une importante correspondance entre médecins-administrateurs (le directeur, le directeur-adjoint, les responsables médicaux de chaque province) ; entre eux et les praticiens de terrain ; et entre eux et le secrétariat du gouverneur. Cette correspondance a trait aux moyens à mettre en œuvre dans la lutte contre la mortalité infantile et maternelle : formation et contrôle des sages-femmes africaines, construction et gestion d’institutions spécialisées (curatives ou préventives : maternité, hôpital pédiatriques, dispensaires appelés centres de protection maternelle et infantile, cliniques mobiles), appel au bénévolat, organisations de manifestations publiques éducatives…
28Mentionnons également les articles scientifiques publiés par divers médecins dans des revues médicales et relatifs à la mortalité/morbidité des parturientes et des jeunes enfants ; des rapports annuels ou exceptionnels ; des correspondances et papiers privés ; ainsi que des photographies (notamment à la bibliothèque du Wellcome Institute et de Rhodes House) ; des documents d’associations telles que l’association des femmes médecins (Medical Women’s Federation) ou des infirmières d’outre-mer (Overseas Nursing Association). Certes, ces sources relèvent majoritairement des archives coloniales et, plus largement, de la « bibliothèque coloniale78 » – bien qu’elles témoignent aussi des tensions et divisions au sein même d’une administration qui est loin de fonctionner à l’unisson. Elles induisent tendanciellement une approche « par le haut », puisqu’il s’agit de sources institutionnelles, provenant des services de l’État colonial. Pourtant, elles laissent apparaître çà et là des voix subalternes : pétitions adressées par la population au gouverneur, lettre de protestation d’un·e modeste employé·e des services médicaux, photographie de la file d’attente à l’extérieur d’un dispensaire… Autant de documents qui montrent que l’histoire de la réforme de la maternité n’était pas simplement imposée par l’administration mais négociée en permanence entre différents acteurs – dont les intermédiaires tels que les Autorités locales, elles aussi émettrices de maintes sources utiles pour cette recherche. Pour compléter ce fonds colonial, la presse anglophone de la Gold Coast est indispensable : elle donne surtout accès aux opinions de la bourgeoisie africaine, à la fois éditrice et lectrice de ces journaux, principalement le Gold Goast Independent (Accra), le Gold Coast Observer (Cape Coast) et le Gold Coast Times (Cape Coast). Ces journaux, conformément à leur ligne éditoriale à la fois éducative (voire édifiante et normative) et nationaliste79, contiennent souvent des informations concernant la maternité. On y trouve des annonces d’événements liés à la réforme de la maternité (conférences publiques, concours du plus beau bébé, kermesses éducatives) ; des articles critiquant vivement la politique suivie par les autorités, ou encore dénonçant les agissements de tel ou tel membre du personnel médical ; ainsi que de rares témoignages de patientes (ou de leur mari), louant ou critiquant les soins reçus.
29Les sources orales ont également beaucoup compté dans ce travail. Dès mon tout premier sondage aux archives, je me suis rendu compte que certaines des premières sages-femmes formées à l’époque coloniale étaient encore en vie. J’ai donc mené une trentaine d’entretiens en anglais, enregistrés et retranscrits pour la plupart, avec des sages-femmes retraitées, souvent âgées de quatre-vingts ans et plus. Mes questions tournaient autour de leurs origines, de leur parcours, de leur carrière ; ces entretiens ont été l’occasion de voir des photos de famille ou de promotion, mais aussi de saisir dans leurs propos une certaine nostalgie. L’évocation du caractère ou de l’allure physique des médecins qui les avaient formées et dont j’avais trouvé tant de lettres et circulaires me donnait une autre vision de ce qui se jouait dans les salles de l’école de sages-femmes. Je ne saurais trop insister sur ma dette à l’égard de ces informatrices, et sur le plaisir qu’ont représenté ces entretiens.
30Par ailleurs, j’ai interviewé (ou fait interviewer80) une vingtaine de femmes qui avaient eu des enfants à l’époque coloniale, afin de prendre en compte leur expérience et leur vécu de la grossesse et de l’accouchement. L’échantillon était varié du point de vue sociologique, même si toutes les femmes interrogées provenaient de la partie méridionale du pays81. Deux de ces femmes étaient des accoucheuses, sans formation théorique mais ayant, plusieurs décennies durant, aidé des femmes au moment de leur accouchement : elles ont donc été particulièrement interrogées sur leur expertise et leur pratique. Les informations ainsi collectées auprès de mères de l’époque coloniale permettent à la fois d’accéder à des renseignements introuvables ailleurs mais aussi et surtout de ne pas s’inscrire exclusivement dans une approche par le haut. Les récits ainsi recueillis donnent un échantillon de la multiplicité des expériences maternelles, les informatrices provenant d’horizons sociaux variés. Pour autant, la valeur de ces témoignages ne doit pas être exagérée : d’une part, ils ne constituent qu’un échantillon minuscule, dont on ne peut tirer aucune conclusion statistique et dont l’intérêt est exclusivement qualitatif. D’autre part – et ceci vaut également pour les témoignages des sages-femmes – la même distance critique est requise à l’égard des sources orales qu’à l’égard des sources écrites82. Or par-delà le plaisir et la richesse des entretiens, et nonobstant l’effet grisant qu’ils peuvent produire83, les récits recueillis auprès des sages-femmes ou des mères ne contiennent ni plus ni moins de vérité que les archives84.
31En définitive, les sources induisent un biais géographique : il sera beaucoup question dans cette étude du Sud de la Gold Coast et des milieux urbains, plus précocement et plus nettement concernés par la médicalisation de la maternité. Cependant, c’est un choix délibéré que de ne pas exclure les régions septentrionales ou rurales : celles-ci apparaissant bel et bien à la fois dans les archives et dans les sources orales, il aurait été réducteur de limiter le sujet aux seules villes ou aux zones méridionales. C’est l’ensemble de l’actuel Ghana qui est touché par la réforme de la maternité, à des degrés divers et selon des modalités variées, en fonction des régions et des milieux.
32Un mot enfin sur les bornes chronologiques retenues. Les premières sources écrites attestant une préoccupation pour la mortalité infantile datent des années 1910 – plus précisément de 1915 –, d’où le choix d’une étude commençant dans cette décennie. La date de fin, la décennie 1950, mérite d’être davantage justifiée. En effet, l’indépendance, obtenue en 1957, n’a pas eu d’incidence directe ou immédiate sur la réforme de la maternité. Pourquoi, alors, ne pas poursuivre l’enquête jusqu’à une date significative, un tournant qui aurait un sens propre au sujet – par exemple la formation des accoucheuses ou l’introduction de la contraception dans les années 1980 ? La réponse à cette question tient à des raisons strictement documentaires : si les sources écrites sont pléthoriques pour la période coloniale, elles deviennent progressivement plus rares au cours des années 1950, pour disparaître en grande partie à l’indépendance85. En effet, la politique d’archivage de l’État autonome puis indépendant du Ghana ne s’est pas distinguée par son caractère systématique86 et les documents du ministère de la Santé n’ont, semble-t-il, pas été versés aux archives. Il m’a paru trop risqué de se lancer dans une recherche structurellement inégale, où, à partir des années 1960, on ne disposerait que de sources orales, alors qu’on analyserait à la fois des sources écrites et des sources orales pour la période antérieure. Le choix de la période coloniale ne repose donc nullement sur la conviction d’une solution de continuité en 1957 mais bien sur des impératifs liés à la documentation.
33L’ouvrage s’organise moins en parties qu’en chapitres, ceux-ci pouvant néanmoins être regroupés thématiquement. Les quatre premiers chapitres s’attachent à analyser les causes, les institutions et les acteurs/actrices de la lutte contre la mortalité infantile. Les deux suivants sont entièrement consacrés aux sages-femmes africaines, avant, pendant puis après leur formation. Enfin, les trois derniers chapitres, dont l’épilogue, placent les mères au cœur de la réflexion, avec un chapitre sur l’idéologie de la maternité, un sur la formation des mères et un sur les façons d’être mère à l’époque coloniale tardive. Si le premier chapitre porte sur les années 1910 et le dernier sur les années 1950, le reste de l’ouvrage n’est pas organisé chronologiquement mais une place est faite à la chronologie à l’intérieur des chapitres.
34L’enjeu de ces chapitres est d’analyser l’évolution, dans les sociétés de la Gold Coast sous domination coloniale, de la reproduction humaine. L’étude de la médicalisation de la grossesse, de l’accouchement et des soins aux nourrissons est un thème à la fois central et non exclusif, puisque la médicalisation participe d’un changement plus large, désigné plus haut comme réforme de la maternité. Par médicalisation, il faut entendre ici un processus qui « consiste à conférer une nature médicale à des représentations et des pratiques qui n’étaient jusqu’alors pas socialement appréhendées dans ces termes87 ». Pratiquement, il revient à avoir recours à un personnel formé à la biomédecine – médecins, infirmières et sages-femmes, essentiellement – pour le suivi de la gestation, pour le moment de la parturition et/ou pour les soins au nourrisson (et par extension, au jeune enfant). Ce processus a donc des répercussions en termes d’agents (qui sont les personnages actifs de cette médicalisation) mais aussi de représentations et de savoirs (quelle idée on se fait de la grossesse, du nouveau-né ; ce que l’on sait, empiriquement ou théoriquement, de l’accouchement), d’objets matériels (les accessoires et instruments de la naissance), de gestes et de rites… Il va sans dire que la médicalisation – comme d’ailleurs la réforme – de la maternité ne sont pas des processus linéaires, encore moins jamais achevés88. On ne part pas d’un point zéro, qui serait la pré-médicalisation, pour atteindre un point de médicalisation ultime et complète. Mais comme on le verra dans les pages suivantes, les transformations affectant la maternité en Gold Coast entre les années 1910 et les années 1950 ne sont pas les moindres des « changements fondamentaux » discernables dans ce demi-siècle.
Notes de bas de page
1 Hugon, 2007, p. 125.
2 Le terme « Africaines » (ou « Africains ») est certes contestable par son côté généralisateur et imprécis. Mais « ghanéennes » est anachronique, « goldcoastiennes » est un barbarisme, et aucun nom d’ethnie n’embrasserait l’ensemble des acteurs ou actrices de la Gold Coast. On l’emploiera donc, faute de mieux, dans ce volume – mais avec une claire conscience de ses inconvénients. Il désignera, sauf dans certains cas évidents où il s’appliquerait à tout le continent, les peuples de la Gold Coast dans leur diversité culturelle et linguistique.
3 Dr Howells, Infant Clinics, 1931, Appendix K4. CO 96/702/1.
4 Sauf exception qui sera soulignée explicitement, le terme de « reproduction » n’est utilisé que dans son acception étroite, c’est-à-dire la génération (ou engendrement) d’êtres humains – et non pas, comme l’ont analysé les féministes matérialistes, dans son acception large, qui inclut la reproduction de la force de travail et celle des rapports et du processus de production. Ginsburg & Rapp, 1991, p. 311. Voir aussi Turshen (dir.), 1991, p. 108 et Cooper, 2019, p. 1-2.
5 Topalov (dir.), 1999, p. 12.
6 Côte de l’Or est le terme français, depuis au moins le xviie siècle, pour désigner cette région : il sera utilisé de temps en temps comme alternative à Gold Coast.
7 Sauf mention contraire, l’expression « autorités coloniales » renvoie ici à l’ensemble des administrateurs, depuis les décideurs jusqu’aux exécutants. L’expression « autorités médicales » désigne plus étroitement les cadres du Département médical, qui ne sont guère qu’une dizaine si l’on n’y inclut pas les praticiens.
8 Pour rappeler le titre, un peu provocateur, du séminaire de Michelle Perrot, Fabienne Bock et Pauline Schmidt à l’université Paris VII, en 1973-1974 : « Les femmes ont-elles une histoire ? ». Thébaud, 2009.
9 Voir Quiroz, 2018, p. 8-9.
10 Anne Cova distingue quatre sens du terme (reproduction, tâches maternelles, œuvre d’art peinte et établissement hospitalier). Cova, 2005, p. 189.
11 Notons que cette ambiguïté est moindre en anglais, où l’on distingue motherhood (qui a une connotation plutôt sociale) de maternity (dont la connotation est plutôt physiologique). Voir Ram & Jolly, 1998, p. 1.
12 Rich, 1980.
13 Davis-Floyd & Sargent, 1997, p. 1.
14 « La fonction maternelle chez les humains n’a rien de naturel ; elle est toujours et partout une construction sociale, définie et organisée par des normes, selon les besoins d’une population donnée à une époque donnée de son histoire », Knibiehler, 2001, p. 13. La même idée était exprimée par Ginsburg et Rapp : « No aspect of women’s reproduction is a universal or unified experience, nor can such phenomena be understood apart from the larger social context that frames them. » Ginsburg & Rapp, 1991, p. 330.
15 Il en est ainsi, par exemple, de l’âge moyen d’apparition des premières règles ou encore de la régularité des cycles menstruels. Ginsburg & Rapp, 1991, p. 319. Voir aussi le numéro 37 de la revue Clio, Femmes, Genre, Histoire, intitulé Quand la médecine fait le genre (2013).
16 Voir l’avant-propos de Rayna Rapp à l’ouvrage de Ragoné & Winddance Twine, 2000, p. xiii. En France, ce sont des pionnières comme Yvonne Knibiehler et Françoise Thébaud qui ont pris ce thème au sérieux pour lui faire une place dans l’historiographie. Yvonne Knibiehler est sans conteste l’historienne française la plus prolixe sur la question (Knibiehler, 1982, 1997, 2000, 2001) ; Thébaud, 1986.
17 Cova, 2005.
18 Pour une récente histoire générale du Ghana, voir Gocking, 2005, notamment les chapitres 3 à 6 pour la période coloniale.
19 « That something fundamental changed on the Gold Coast in the late 1920s has long been recognized by the established historiography », Parker, 2000, p. 224.
20 Lentz & Nugent, 2000 ; Lentz, 2006.
21 Voir Blue Books of Statistics pour les années considérées. Les chiffres sont au demeurant peu fiables et probablement sous-estimés.
22 Sur l’administration coloniale, voir Kirk-Greene, 2000 ; et Kuklick, 1979.
23 Lentz, 2000.
24 Mikell, 1989 ; Acquaah, 1999.
25 Même si Allman et Parker (2005) ont bien montré que le caractère « périphérique » des régions du Nord devait être relativisé.
26 La maladie dite swollen shoot disease a affecté une partie de la zone cacaoyère autour de Koforidua au milieu des années 1930, avant de s’étendre à toutes les régions de production. Anshan, 2002, chapitre 6.
27 Chiffres tirés de Kofi E. Agovi, The Colonial Legacy and the Self-Definition of a Ghanaian City : the Case of Sekondi-Takoradi from 1928 to 1965, 1996. Mémoire d’études archivistiques, déposé aux Archives de Sekondi (WRG 56/26/1).
28 Foster, 1965, p. 128-129.
29 Cette catégorie n’est pas sans points communs avec les Krio (créoles) de Freetown, évoqués notamment dans la thèse d’Odile Goerg (1997). Concernant l’anglicisation du Sud de la Gold Coast, voir Gocking, 1999.
30 Pour en savoir plus sur ces familles, on peut se référer à l’ouvrage de prosopographie remontant à la fin des années 1920, réédité récemment par Michel Doortmont, 2004. Voir aussi, pour les familles d’Accra en particulier, Coleman, 1980 ; et Parker, 2000. Pour le cas de Cape Coast, voir Nti, 2002.
31 Maison, 1974 ; Newell, 2002, p. 33-35, passim ; Peterson, Hunter & Newell, 2016, introduction.
32 Gocking, 2005, p. 47.
33 C’est-à-dire la phase de l’État colonial qui dure une vingtaine d’années (1940-1960 environ), qui se caractérise par une réforme du statut des sujets (notamment avec l’abrogation progressive des discriminations statutaires), une africanisation des cadres, et un accroissement des structures et des services sociaux.
34 Allman & Tashjian, 2000. Voir aussi Akyeampong, 1997. Et plus généralement, sur les femmes au Ghana, Robertson, 1984.
35 Allman, 1996.
36 Goerg, 1998. Elle dénonce le trop fameux « silence des sources » comme un « faux problème », p. 134. La question – et elle l’admet volontiers – est cependant complexe car le biais androcentré des sources, notamment coloniales, est indéniable et oblige à ne pas se cantonner aux sources administratives les plus classiques. Voir Barthélémy, 2013, p. 71.
37 Comme en a témoigné le succès du colloque « Femmes et genre en contexte colonial » organisé à Paris en janvier 2012 par Christelle Taraud, Pascale Barthélémy et moi-même. Voir genrecol.hypotheses.org.
38 McClintock, 1995 ; Midgley, 1998 ; Levine, 2004 ; Hugon, 2004 ; Spensky, 2015.
39 Midgley, 1998, introduction.
40 Barthélémy, 2010.
41 Bourdelais, 2001.
42 Avec par exemple l’ouverture du premier centre de protection infantile en 1906 ou la promulgation d’un Maternal and Child Welfare Act en 1918. Voir Marks, 1996 ; Williams, 1997 ; Lewis, 1980 ; Oakley, 1984 ; Davin, 1978 (pour la dimension impériale de la maternité).
43 Selon la question posée par Odile Goerg dans sa recension de l’ouvrage de Stoler (2002) ; voir Clio, no 38, 2013, http://clio.revues.org/11792.
44 Pour un bilan de cette historiographie, voir Hugon, 2005. https://clio.revues.org/1466.
45 Kenya : Kanogo, 2001, 2005 et Thomas, 2003 ; Ouganda : Summers, 1991 ; Nigeria : Van Tol, 2007 ; Tanganyika : Jennings, 2006 ; Tanzanie : Colwell, 2001 ; Soudan : Bell, 1998 et Boddy, 2007 ; Sénégal : Ndoye, 2007 ; Congo : Hunt, 1988 et 1999 ; Niger : Cooper, 2019. Il faut aussi mentionner la thèse de doctorat de Holly Ashford, soutenue en janvier 2020 à l’université de Cambridge et portant également sur le Ghana. L’auteure y aborde la question des capacités reproductives des femmes sous l’angle du développement, entre 1920 et le début des années 1980. Trois chapitres sur six, soit une centaine de pages, portent sur la période coloniale. Enfin, une mention spéciale doit être faite de l’ouvrage de Rhiannon Stephens sur l’histoire de la maternité en Ouganda, seul ouvrage à ma connaissance qui tente une étude sur le temps long et précolonial (Stephens, 2013).
46 Monnais-Rousselot, 1999 ; Forbes, dans Engels & Marks, 1994 ; Maffi, 2012. On peut y ajouter, pour le Pérou entre 1820 et 1920, Quiroz, 2018.
47 Ainsi, le Dr Lawlor, responsable de la maternité et de l’école de sages-femmes en 1940, décide-t-elle de visiter l’école de sages-femmes de Dakar, lors de son trajet maritime vers la Grande-Bretagne. Dossier administratif personnel du Dr Lawlor, E 4389, Box L6, European Personnel.
48 Voir en particulier Allman, 1994, 1995, 1996. Allman & Tashjian, 2000. Allman & Parker, 2005.
49 Amponsah, 2011. Le texte intégral est disponible en ligne sur un site de l’université du Texas à Austin : https://repositories.lib.utexas.edu/bitstream/handle/2152/20000/AMPONSAH-DISSERTATION.pdf?sequence=1.
50 On peut penser notamment aux travaux de Rattray sur les Ashantis dans les années 1920. Voir aussi Acquaye, 1928 (pour le pays fanti) ; Kaye, 1962 ; Denteh, 1966.
51 Voir l’introduction à Lallemand et al., 1991. Eschlimann, 1982 ; Sarpong, 1974, chapitre 12. Quiroz, 2018, parle de « cosmovisions » pour le cas du Pérou, p. 33, passim.
52 C’est-à-dire dans une maisonnée, qu’il s’agisse de leur lieu de résidence habituelle ou d’une maison de la parenté.
53 Patton, 1996 ; Addae, 1997.
54 Wraith, 1967, p. 234-34 et 241-242.
55 Roberts, 2011.
56 « British colonialism in Africa, as a cultural enterprise, was inseparable from the rise of biomedicine as a science », Jean Comaroff, citée par Thomas, 2003, p. 56.
Arnold exprime une idée voisine lorsqu’il écrit : « Western medicine attained its greatest importance in imperial ideology and practice between 1880 and 1930, the period when European empires were at their most expansive and assertive », Arnold, 1988, p. 11. Voir aussi Alonou, 2009 ; Goerg, 2015.
57 Arnold, 1988 ; Fassin, 1994 ; Vaughan, 1991.
58 Cooper, 1994, p. 1545. Sur la violence « douce » du système colonial, voir Engels & Marks, 1994.
59 Ginsburg & Rapp, 1991, p. 321. Voir aussi Vaughan, 1991.
60 Voir Arnold, 1988, introduction. Voir aussi les travaux de Jacques Léonard sur les médecins dans la société française. On comprend mieux, dans ce cadre, la trajectoire d’un médecin que l’on croisera à maintes reprises dans ce travail, le Dr Selwyn-Clarke, qui, après une longue carrière médicale en Gold Coast (1919-1936, comme praticien puis administrateur), a été nommé gouverneur des Seychelles à la fin des années 1940.
61 Last & Chavunduka (dir.), 1986 ; Fassin, 1994 ; Vaughan, 1991.
62 Le terme de biomédecine, qui, stricto sensu, définit une médecine informée par la biologie, est plutôt, sous la plume d’historiens, une façon de désigner la médecine « moderne », née à la fin du xixe siècle, et en lien avec de nombreuses autres sciences. Cambrosio & Keating, 2003.
63 Dorlin, 2006.
64 Knibiehler & Fouquet, 1983 ; Knibiehler & Goutalier, 1985 ; Conrad & Hardy (dir.), 2001.
65 Corbin, Courtine & Vigarello (dir.), 3 vol. 2005. Notons que cette somme éditoriale, en dépit de ses qualités, réussit une ironique prouesse en parvenant à aborder l’histoire du corps sans jamais recourir à l’histoire du genre.
66 Davidoff, McClelland et Varikas (dir.), 2000, p. 81-95.
67 Burton & Ballantyne, 2005.
68 Stoler, 2002.
69 La bibliographie est véritablement pléthorique. Évoquons, parmi d’autres : Cooper & Stoler (dir.), 1997 ; Cooper, 2005 ; Bertrand, 2006 ; Coquery-Vidrovitch, 2009.
70 Voir Bertrand, 2006.
71 Thomas, 2003, p. 19.
72 Bertrand, 2011.
73 Vaughan, 1991, p. 7.
74 Le médecin français en AOF, Jean-Marie Lorrain, par exemple, a bien expliqué comment il fabriquait à la demande des statistiques démographiques pour son administration. Lorrain, 1990. Voir Hugon, 2005b.
75 Darkwah, 1997. Voir aussi Davis-Floyd & Sargent, 1997 ; Turshen dans Hay & Stichter (dir.), 1995 ; Allen, 2002.
76 De sorte que je ne reprendrai pas à mon compte l’affirmation de Nancy Hunt selon laquelle « l’histoire de l’Afrique requiert autant de sémiotique que de sociologie » – affirmation au demeurant partiellement contredite par ses propres développements. Hunt, 1999, p. 10.
77 C’est alors K. A. Gbedemah qui prend la tête de ce ministère.
78 Mudimbe, 1988.
79 Peterson, Hunter & Newell, 2016.
80 Par Adwoa Abankwa, alors étudiante en histoire à l’université de Legon, qui a conduit et retranscrit seule plusieurs entretiens en 2003, après avoir été formée à cet exercice pour m’avoir accompagnée durant trois interviews. Qu’elle en soit remerciée.
81 Il faut ajouter à cette liste trois entretiens menés avec des hommes : le premier, Mark Ablorh, était le père d’une des sages-femmes interviewées ; le deuxième, Sean Graham, un documentariste britannique qui avait tourné un film relatif à la mortalité infantile au début des années 1950 ; et le troisième, Chris Hesse, son assistant ghanéen.
82 On ne peut qu’être sensible à l’hommage rendu par Susan Geiger, historienne de la Tanzanie, à ses informatrices, qualifiées d’« oral historians », et créditées ainsi d’une dignité plus grande que celle de simple témoin (Geiger, 1990). Mais l’expression est un peu contestable, car elle confond en une même formule l’émission de la source et son interprétation. Voir aussi Maynes et al., 2008 ; Descamps (dir.), 2006.
83 Hugon, 2009a.
84 Personal Narratives Group, 1989, p. 261.
85 À vrai dire, les documents sont surtout très nombreux dans les années 1930, où la rubrique PMI des rapports imprimés annuellement est longue et détaillée. À partir de 1939, dans ces rapports, les données qualitatives font place à quelques sèches lignes de chiffres. Comme on constate parallèlement une relative raréfaction des documents d’archives, on peut en conclure que si la PMI est une préoccupation majeure de la décennie 1930, elle perd son caractère prioritaire pour les autorités médicales vers 1940 et devient un domaine parmi d’autres. On peut donc affirmer que les sources induisent non seulement un biais géographique mais également chronologique, qui donne l’impression que l’essentiel de la réforme de la maternité se situe dans les années 1930 – mais il s’agit très probablement d’un effet d’optique dû à la documentation plus que d’une réalité.
86 Les documents ministériels en particulier n’ont pas été systématiquement archivés et transmis aux National Archives. Quant aux documents hospitaliers, personne à l’hôpital de Korle Bu, où je me suis rendue, n’avait idée de ce qu’ils avaient pu devenir. Ceci ne constitue pas une exception dans l’Afrique post-indépendance. Voir à ce sujet le colloque co-organisé par le CODESRIA, Archives of Post-Independent Africa and Its Diaspora Conference (Dakar, juin 2012).
87 Fassin, dans Aïach et Delanoé (dir.), 1998, p. 5.
88 Pour les débats historiens sur le sens et l’aboutissement (ou non) de la médicalisation, voir Faure, dans Aïach et Delanoé (dir.), 1998.
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