Botticelli : pour qui peint le peintre ?
p. 209-246
Note de l’auteur
L’auteur tient à remercier Paola Ventrone pour son amicale et perspicace relecture. Il reste pleinement responsable du contenu de l’article.
Texte intégral
1Dans le cadre de la réflexion sur la sémiologie de l’État et plus précisément sur « les vecteurs de l’idéel », la question de l’art et de l’artiste revêt une importance certaine. La période qui voit la genèse de l’État moderne est aussi celle d’une profonde transformation culturelle qui révolutionne les modalités de la communication, transformation dans laquelle l’image et ses producteurs occupent une position singulière1. Des historiens d’art comme Jean Wirth2 et Hans Belting3 ont analysé cette transformation et ses principaux paradigmes, dont l’un des plus manifestes est précisément ce que l’on a pu appeler « la naissance de l’artiste », un nouvel acteur social. Aussi le problème que posent aujourd’hui Étienne Anheim et Patrick Boucheron, celui de l’intervention individuelle de l’artiste « dans la maîtrise de la mise en forme (au sens propre) des significations sociales », apparaît-il essentiel, avec ses conséquences d’ordre socio-politique ou symbolique. D’où cette question, pour qui peint le peintre ? Peint-il avant tout pour son commanditaire ? Dans ce cas, qui est l’auteur du message donné à voir et à décoder, ne fût-ce qu’inconsciemment ? Le commanditaire et ceux qui le conseillent ? Ou l’artiste, précisément parce qu’il est un artiste et non un simple artisan, si talentueux soit-il, et dispose donc d’une autonomie réelle, qu’il peut utiliser pour s’adresser à ses concitoyens – disons, pour la société politique ou pour l’une des composantes de celle-ci ? Ou se contente-t-il de crypter le message, pour satisfaire sa conscience et répondre à ses propres exigences, intellectuelles, religieuses ou esthétiques, produisant ainsi un message à double sens ?
2Pour répondre à ces questions, je me suis attaché à un peintre célèbre et maintes fois étudié, Sandro Botticelli4. Bien qu’il figure dans la célèbre collection des Vite de piu’ eccellenti architetti, pittori et scultori italiani publiée par Giorgio Vasari à Florence en 1550, il est longtemps resté dans l’ombre de Filippo Lippi et sa peinture n’a été mise au sommet qu’au xixe siècle, en partie en raison de l’enthousiasme des pré-Raphaëlites anglais. Depuis, son succès ne s’est pas démenti et une bibliographie pléthorique a vu le jour, stimulée par de nombreuses et considérables expositions. Plusieurs de ses œuvres ont fait l’objet de monographies détaillées. Botticelli est donc de fréquentation heureuse pour l’historien, qui peut s’appuyer sur le travail et les compétences des historiens d’art. L’un dans l’autre, les milieux et les conditions de travail et de production artistiques de Botticelli et généralement de la Florence du xve siècle sont bien connus grâce à la richesse des sources. Même s’il faut déplorer des pertes, un grand nombre d’œuvres du peintre subsistent et sont aisément accessibles. Botticelli est un cas d’étude rêvé pour la problématique de cette rencontre : tout d’abord, son œuvre est associée jusqu’aux années 1490 avec les Medici et leur cercle étroit d’amis et de conseillers, dont il a été l’un des artistes phares ; mais ensuite il passe pour avoir été sensible aux idées de leur adversaire, Frère Jérôme Savonarole, le prieur des Dominicains observants de San Marco, jusqu’à, selon certains, devenir lui-même un piagnone. S’agit-il donc ici d’un « engagement » au sens que nous donnons à ce terme ? Botticelli s’est-il engagé pour l’humanisme avec les Medici, ou contre lui avec Savonarole ? A-t-il changé en profondeur, a-t-il caché son jeu, ou n’a-t-il fait que se plier aux désirs de ses patrons, puisque la montée en puissance de Savonarole et de ses idées a profondément changé les conditions du travail artistique à Florence et transformé les demandes du public florentin5 ?
3Le cas de Botticelli est d’autant plus passionnant que, de tous les peintres du Quattrocento, à l’exception de Piero Della Francesca, il est celui qui a le moins varié dans ses choix esthétiques. Je reprendrai une distinction que Daniel Arasse n’a pas inventée, mais qu’il exprime avec sa finesse coutumière, en contrepoint de Roland Barthes (la distinction « style/écriture »), celle entre l’aria et la maniera :
L’« air » (ou « style »), c’est ce qui appartient en propre à un artiste et fait qu’on le reconnaît dans ses œuvres, comme on reconnaît, dit Pétrarque, un père dans son fils – aussi peu ressemblants soient-ils. La « manière » en revanche (ou « écriture »), c’est la façon de peindre qu’adopte l’artiste en fonction des circonstances de sa création (thème ou destination de l’œuvre, souhait du commanditaire, etc.)6.
4Les peintres apprenaient d’ailleurs leur style à leurs assistants et à leurs apprentis pour que toutes les productions issues de l’atelier aient ce même caractère distinctif qui était ce qu’achetaient les clients. Si Botticelli a eu de multiples commanditaires, appartenant à des groupes culturellement, religieusement et politiquement opposés, s’il a eu plusieurs « manières », en fonction des scènes qu’il était conduit à traiter, il est resté étonnamment fidèle à un « style », même si, avec le temps, une tendance au dépouillement et à la simplicité se dessine : pour certains, cela lui aurait valu de terminer sa carrière dans le silence et l’abandon, comme s’il s’était démodé en s’obstinant à rester fidèle à ce style, alors que les succès rapides de Vinci, Raphaël et Michelangelo démontraient les changements des goûts des clients. On a suggéré d’autres explications, son homosexualité supposée ou son ivrognerie. Pourtant, un simple comptage de ses œuvres datables avec certitude montre que si, après 1490, ses œuvres sont peut-être moins spectaculaires, le rythme de sa production est alors plus élevé que pendant la période 1475-14907. Et qu’il s’agisse de nymphes, de Vierges ou d’anges, les femmes de Botticelli ont toutes le même type physique, comme s’il n’avait eu qu’un seul et unique modèle pour les peindre tout au long de sa vie ; sa pratique de la perspective, virtuose mais singulière, son attachement aux formes sinueuses du gothique tardif et la complexité de ses compositions sont restés des constantes de son style que sa longue fréquentation de Dante nous permettra d’explorer. Un style, des manières, oui, mais des patrons et des environnements politiques, culturels et religieux différents, voire opposés : mais alors quel message ? Et qui en est l’auteur réel ?
Un peintre florentin
5« Pour qui peint le peintre » : première réponse évidente, il peint pour son commanditaire. Michael Baxandall8 a montré non seulement à quel point les Florentins étaient prêts à dépenser des sommes considérables pour faire réaliser des œuvres d’art pour leurs résidences ou pour en parer des églises ou des lieux civiques, mais aussi avec quelle minutie ils prévoyaient dans ses plus infimes détails la sélection et la qualité des couleurs que le peintre allait devoir utiliser, ou encore la disposition et les personnages de la scène prévue. Le véritable auteur des œuvres ne serait-il pas le commanditaire, plutôt que l’artiste ? De plus, comme dans nos films qui ont leurs scénaristes, les sujets mis en image font souvent l’objet de discussions approfondies entre spécialistes et l’artiste ne fait que réaliser une image conçue par d’autres : le commanditaire est une personne collective, entouré d’une équipe qui l’aide à construire l’image qu’il veut donner de lui-même ou de sa famille à travers sa commande. Évidemment, il suffit de regarder les productions des botteghe italiennes les plus célèbres, pour y reconnaître immédiatement le style individuel de chaque grand artiste, voire celui de ses seconds, ce qui permet aux historiens d’art d’attribuer chaque partie du tableau à celui qui en est l’auteur au sens moderne du terme. Ces styles sont des composantes de la valeur de l’œuvre, au même titre que sa localisation potentielle, ses dimensions, son environnement immédiat (le cadre est à Florence souvent aussi coûteux que l’œuvre elle-même), les matériaux qui la constituent : à tous les sens du terme, les artistes ne se valent pas, et le choix de l’un plutôt que de l’autre, est la première étape de la construction de l’image projetée par le commanditaire9…
6Le marché de l’art italien et notamment florentin10 a fait l’objet de nombre d’études. Une chose est sûre, il y a beaucoup d’argent, à Florence11, et la demande est forte, au point qu’il peut être difficile de trouver un peintre de renom pour exécuter une commande, si bien payée soit-elle. Le marché florentin est bien organisé, et plusieurs métiers y sont actifs12. Les prix des œuvres d’art à la commande obéissent à des règles précises13 et le cas de Botticelli est bien connu. S’il occupe une position solide sur le marché des images de dévotion14, il n’est pas le mieux rémunéré pour les tableaux d’autel (les plus prestigieux) et les fresques murales. Il est vrai que de nombreux critères entrent en jeu dans la fixation des prix15, et plusieurs tableaux d’autel de Botticelli ont des dimensions modestes.
7Mais tout n’est pas affaire d’argent. Les économistes ont utilisé pour l’étude du marché de l’art le concept du signal et du signaling, qui a valu un prix Nobel en 2001 à Michael Spence. Cette théorie repose sur l’idée que pour faire reconnaître ses compétences dans un marché du travail anonyme, une personne doit se doter à un coût acceptable d’un « signal » qui lui permettra de faire reconnaître sa valeur et d’en retirer des bénéfices16. Ceux qui appartiennent ou désirent appartenir aux élites17 sociales doivent donc acquérir ou produire des self-serving messages : ce self-fashioning est caractéristique des élites de la Renaissance18. L’investissement des familles florentines dans les chapelles des églises vérifie la théorie du signaling : leur achat fait l’objet de longues, difficiles et (très) fructueuses négociations avec les autorités ecclésiastiques, l’espace disponible étant de plus en plus réduit, surtout dans les églises les plus prestigieuses (tabl. 1).
Tabl. 1 – Le niveau social des familles détentrices de chapelles privées dans les églises florentines17
Répartition des niveaux de fortune d’après les Catasti de 1427, 1457/1458 et 1480 | 204 acheteurs de chapelles privées réparties par niveau | |
Niveau très élevé | 26 % | 57 % |
Niveau élevé moyen | 31 % | 18 % |
Niveau élevé bas | 43 % | 6 % |
Niveau non élevé | – | 19 % |
8Dans la société florentine, plus que partout ailleurs peut-être, l’argent ne prête pas à suspicion. Comme le remarque Richard Trexler, payer quelque chose lui confère un virtù : la valeur matérielle d’un objet le rend honorable, et plus honorable est l’objet, plus honorable est son commanditaire, toujours identifié par ses armes, une inscription, ou par portrait. Symétriquement, plus grande est la valeur ou l’honneur du patron, plus grands sont ceux de l’objet. Ce lien entre honneur et valeur est sans doute plus fort à Florence qu’il ne l’est ailleurs à la même époque19.
9Entre le patron et l’audience, il ne faut pas oublier l’artiste, dont la « valeur » varie à la fois en fonction de « l’honneur » qu’il apporte à son commanditaire, et en fonction de « l’honneur » qu’il reçoit du prestige de celui-ci. Formalisation économique à part, il est facile ici de remonter à la théorie de la distinction chère à Pierre Bourdieu. Le signaling a sa version renaissante, développée dès 1498 par Giovanni Pontano quand il exalte la vertu de magnificence20 : c’est bien là l’une des explications de la minutie des commandes passées par les patrons aux artistes. Puisqu’il s’agit en fin de compte de produire du social, le calcul économique présidant à la commande est d’une extrême complexité : le patron doit considérer la nature des avantages qu’il en escompte et l’effet qu’il entend produire sur ceux qui jugent le résultat de son entreprise, et les mesurer aux coûts qu’il aura à supporter, sans perdre de vue les contraintes subies (restrictions somptuaires, difficultés à trouver une localisation, etc.). Il en veut pour son argent : l’ampleur de l’effort financier doit se voir dans l’œuvre. C’est ainsi que, selon Vasari, l’un des quatre peintres des fresques de la Sixtine, Cosimo Rosselli, se sachant le moins bon, aurait emporté les suffrages du pape Sixte IV en forçant sur le recours aux feuilles d’or21 !
10La relation patron-agent est donc cruciale. Botticelli a obtenu 100 florins pour le tableau d’autel pour la chapelle de Giovanni Bardi au Santo Spirito (mais Giuliano di San Gallo a pris 23 florins et 10 sous pour le cadre). Les 77 florins restant comprenaient les matériaux, dont certains sont très coûteux, comme l’or et l’outremer : de fait, pour le seul penello de Botticelli, Bardi n’a déboursé que 35 florins d’or. De toute façon, s’il est très cher pour les œuvres vouées à la dévotion privée, Botticelli n’est pas le plus cher pour les tableaux d’autel : Leonardo a obtenu 300 florins pour l’Adoration des Mages à San Donato et, si Leonardo ne l’a pas achevé, Filippino Lippi a bien reçu cette même somme quand il l’a livré en 1496 et il a été payé 233 florins pour un tableau d’autel pour le Palazzo Vecchio en 1485, et 250 florins pour son Saint Bernard de la Badia (1480). En revanche, les frères Ghirlandaio ne touchent que 75 florins pour leur tableau d’autel à Santa Maria à Monticelli22. L’honneur circule bien dans les deux sens : il semble que les peintres florentins n’aient jamais été payés pour les fresques qu’ils ont peintes à la chapelle Sixtine, leur engagement résultant du patronage diplomatique de Lorenzo qui, lui, les a peut-être payés autrement, en les faisant travailler pour les membres de son cercle. Ce qui a bien été le cas de Botticelli.
Botticelli et l’humanisme médicéen
11Botticelli, né en 1445 dans une famille du populo minuto du quartier de Santa Maria Novella à Florence, est d’abord apprenti comme orfèvre, peut-être auprès de l’un de ses frères aînés, Antonio Filipepi (le vrai nom de la famille), avant de l’être comme peintre dans l’atelier de Filippo Lippi entre 1459 et 1462, alors que celui-ci réalise les fresques de la cathédrale de Prato. Il y reste jusqu’au départ du maître pour le chantier qu’il avait obtenu à Spolète en 1467. Il s’installe ensuite à son compte tout en collaborant avec Andrea del Verrocchio : son atelier est enregistré en 1470 et il adhère en 1472 à la guilde des peintres florentins, la Compagnie de Saint-Luc23. Ses premières grandes commandes émanent des métiers et des institutions florentines : Arte della lana (la Vierge de la roseraie), tribunal de la Mercanzia (la Vierge de la Loggia, l’allégorie de La force), l’arte dei medici e dei speziali (le Retable de saint Ambroise), palais de la Seigneurie… Il n’est pleinement associé aux Medici que vers 1475, même s’il avait déjà participé aux décorations pour la giostra (joûte) de Laurent le Magnifique en 1469. Cette association est affichée par la commande faite par les Otto di Guardia e di Balia, après l’échec de la conjuration des Pazzi, des effigies des condamnés à mort peintes au-dessus de l’une des portes du Palazzo Vecchio, avec les épitaphes vengeresses rédigées par Laurent lui-même, une commande payée 40 grands florins24. Il réalise aussi l’étendard de Giuliano de Medici pour sa giostra le 29 janvier 1475 : il représentait une Pallas grandeur nature, foulant aux pieds des branches d’olivier enflammées.
12C’est surtout dans un tombeau d’autel, l’Adoration des Mages peinte pour la chapelle acquise par Guaspare di Zanobi del Lama (1411-1481) à Santa Maria Novella, qu’il met en scène ses liens avec la famille dominante25. Guaspare portant le prénom de l’un des rois mages, le sujet allait de soi. Les dimensions sont réduites : il n’y avait que peu d’espace disponible, et la chapelle se trouvait dans un recoin du mur de la façade antérieure de l’église, à droite de la porte principale26, mais le tableau a valu à Botticelli une soudaine célébrité. Les historiens d’art parlent à son propos de « coup de tonnerre ». C’est d’abord une révolution formelle, la première représentation frontale de l’Adoration en Italie. Si la représentation centrale était utilisée dès les années 1440 en Rhénanie puis en Flandre, les peintres italiens continuaient à privilégier le modèle « latéral » dont le prototype est L’Adoration de Gentile da Fabriano (1423) : la sainte famille est d’un côté, le cortège des mages de l’autre. De plus, Botticelli place au point de fuite du principal système de perspective un ciboire voilé qui ajoute une signification eucharistique27. C’est aussi la première nativité dans laquelle les ruines ont une telle importance : on y a vu une référence au syncrétisme religieux de Marsile Ficin et à la theologia poetarum, le décor exaltant la fonction des Mages comme représentants des nations du monde païen, les bergers symbolisant les Juifs28. L’Épiphanie devient ainsi la présentation du Christ au monde des païens et complète la Nativité, sa présentation aux seuls Juifs.
13Dans cette œuvre, au signaling de l’invention formelle s’ajoute celui des portraits. Lama n’est en effet pas un si grand personnage : il était sensale, changeur courtier et membre de la guilde des changeurs (l’Arte del Cambio auquel appartenaient aussi les Medici), profession pas toujours honorable, les sensali étant souvent usuriers. D’origine modeste avec un père qui était barbier à Empoli, il a commencé sa carrière en gérant la forteresse de Ripafratta, en 1435, puis travaillé pour un apothicaire. À partir de 1454, il acquiert d’importantes propriétés et fait en 1469 un premier testament dans lequel, sans enfant, il évoque son intention de fonder une chapelle dédiée aux rois mages. En 1473, il atteint le sommet de sa carrière en devenant grâce aux frères de Santa Maria Novella (un remerciement pour la fondation de la chapelle ?) l’un des quatre capitaines de la Compagnia di San Piero Martire, confrérie influente dont les officiers appartiennent aux familles importantes du quartier de Santa Maria Novella : mais en janvier 1476, les consuls de l’Arte del Cambio le condamnent pour avoir falsifié une date sur l’un de ses livres de compte afin d’effacer une dette. Exclu du métier, il retourne à l’obscurité29. Commanditaire, il est relégué parmi les personnages debout à droite, rang du haut, regardant le spectateur, avec un vêtement bleu au col doré.
14La question de la présence des portraits des Medici dans le tableau est épineuse30. Vasari l’a dit, et on l’a cru. Pourtant, en 1968, Karla Langedijk a nié la présence des Medici dans le tableau : pour elle, c’est Vasari, à la recherche de prototypes pour ses propres portraits généalogiques des Medici, qui les y avait « vus »… et en fin de compte mis en les nommant, peignant ensuite les Medici tels qu’il les avait identifiés sans fondement réel31. Rien ne prouve en effet qu’il s’agit bien des Medici : mais les Mages ne ressemblent pas ici à ceux des autres Adorations peintes par Botticelli, ils n’ont rien d’oriental et ne sont même pas barbus. De plus, la position des visages manifeste clairement qu’il s’agit de portraits : si portrait il y a, ce sont forcément les Medici qui avaient fait des Trois Rois les patrons collectifs de leur famille depuis les années 1440, comme le rappellent les fresques de Gozzoli au palais Medici Riccardi, où Gaspard porte les armes des Medici. Il est en tout cas sûr que le vieux mage a le profil de Cosimo, connu par les médailles faites en 1465, un an après sa mort. Giuliano serait l’homme de gauche, avec l’épée, et Laurent l’homme brun (pris pour Giuliano par Lightbown32) derrière le plus jeune des Mages, Guaspare, sous les traits duquel il est représenté dans la fresque de Gozzoli. D’ailleurs, on distingue un laurier au-dessus de sa tête. En revanche, les portraits de Piero et de Giovanni sont plus difficiles à attribuer, celui de Piero pouvant être celui de Carlo, fils illégitime de Côme, prévôt de la cathédrale de Prato de 1460 à sa mort en 1492, dont les traits sont bien connus par un portrait de Mantegna et qui figure derrière Piero dans le cortège des Mages de Gozzoli.
15Mais Guaspare pouvait-il se permettre d’annexer ainsi les Medici à sa propre chapelle ? Horne attribue à Botticelli l’idée de placer là les portraits des Medici, pour se « signaler » à leur attention (et non à celle de Sixte IV comme le croyait Vasari). En tout cas, ce tableau semble avoir ouvert à Botticelli l’entourage immédiat des Medici, pour lequel il va peindre, après la parenthèse romaine des fresques de la chapelle Sixtine, une succession de chefs-d’œuvre que l’on appelle souvent des mythologies mais qu’il convient de désigner, comme l’a montré Charles Dempsey, par le terme italien de favole, où la narratio de l’histoire est associée à l’inventio, la créativité poétique. On regroupe en général dans cette catégorie une série de peintures qui sont les plus célèbres de Botticelli et fondent son identité de peintre de l’humanisme, soit, dans un ordre approximativement chronologique, Le Printemps (1482-1485 ?), Pallas et le Centaure (1482-1483 ?), Mars et Vénus (1483 ?), et la Naissance de Vénus (1482-1486 ?), auxquelles on ajoute parfois la Calomnie d’Apelle et même le portrait présumé de Simonetta Vespucci. Il est impossible de rendre compte de la fortune critique de ces œuvres exceptionnelles et de la masse de travaux qu’elles ont suscitées, mais ici aussi nous pouvons en tirer quelques enseignements pour le problème qui nous occupe en nous interrogeant sur les liens qu’il est possible d’établir entre la forme et le contenu de l’œuvre, d’une part, et le rôle des commanditaires et de leurs conseillers, philosophes ou poètes humanistes.
16Sur le plan de la commande, paradoxalement, rien ou presque n’est sûr. Les œuvres sont cependant toutes, de près ou de loin, associées soit à Laurent le Magnifique, soit à ses jeunes cousins Giovanni et surtout Lorenzo di Pierfrancesco dei Medici33, soit enfin à la famille Vespucci. Laurent le Magnifique, tuteur de Lorenzo et Giovanni, s’occupe de leur éducation et de leurs biens. Lorenzo, avec lequel Botticelli est en relation dès 1477, est aussi un humaniste formé au latin et au grec par Giorgio Antonio Vespucci, et il est assez précoce pour faire partie du groupe d’intellectuels qui gravite autour du Magnifique et dont font partie Politien et Marsile Ficin, deux de ses maîtres. Ficin lui a d’ailleurs adressé plusieurs lettres. Lorenzo sera par la suite souvent désigné comme ambassadeur, par exemple dès 1483 pour aller en France féliciter Charles VIII à son accession au trône. Son mariage en 1482 avec Semiramide Appiani Aragona, d’abord fiancée à Giuliano de Medici avant son assassinat, a été voulu par le Magnifique qui espérait obtenir du frère de la mariée, Jacopo IV, seigneur de Piombino, la ferme des mines de fer de l’île d’Elbe. Mais les relations des deux Laurent n’ont rien d’idyllique. Pierfancesco (mort en 1476, quand son fils Lorenzo n’a que treize ans) avait rejoint l’opposition à Piero de Medici en 1466, et le Magnifique avait amplement spolié ses cousins : quand un accord fut conclu entre les deux branches de la famille en 1485, 66 propriétés et biens des Medici durent être restitués aux fils de Pierfrancesco. Par la suite, Lorenzo a joué un rôle important dans la vie politique de Florence, s’éloignant de la branche aînée pour chercher à s’emparer du pouvoir. Il s’opposera en outre à Savonarole à la chute duquel il participera avec son frère Giovanni34.
17L’association du Printemps avec Pallas et le Centaure remonte à Vasari, qui les auraient vus dans la villa dell’Olmo au Castello, anciennement propriété de Lorenzo, mais il a été démontré à partir d’inventaires que le Printemps se trouvait en 1499 avec Pallas et le Centaure dans le palais Medici de la Via Larga35, qui n’est pas celui de la branche de Côme, aujourd’hui le Palazzo Medici-Riccardi où Gozzoli a peint son Cortège des Mages. Simone Ebert donne un plan des appartements du palais de la Via Larga36 et y situe les principales œuvres d’art qui n’y sont arrivées que progressivement. On entrait par la grande salle, puis on parvenait par une saletta, décorée de frises représentant le Triomphe de Bacchus dues à l’atelier de Botticelli, à une antichambre ouvrant sur la chambre de Lorenzo. Sur le mur Sud se trouvaient Pallas et le Centaure (au-dessus de la porte), le Printemps (au-dessus d’un lit) et un tondo, selon Simone Ebert la Madonna dei Candelabri autrefois à Berlin37. Le portrait de Giuliano de Medici (atelier de Botticelli) y serait arrivé au plus tard en 1507. Dans la camera terrena (chambre du rez-de-chaussée adjacente) se trouvaient la Madonne et l’Enfant de Signorelli aujourd’hui aux Offices38 (et non la Madonne du Magnificat) et le Giovaninno – saint Jean-Baptiste est le patron de Florence – de Michelangelo. Au-dessus de la cheminée était une peinture flamande représentant Moïse s’emparant de la couronne du Pharaon, et sur le manteau de la cheminée un David et Saül flamand. Les Trois Grâces (atelier de Botticelli) étaient peut-être à droite de l’entrée. Dans le petit scrittoio attenant se trouvait une seule œuvre, un Volto santo. Il s’agissait sans doute d’un appartement de réception, en tout cas pas des appartements personnels de Lorenzo et de Semiramide : ceux-ci, richement décorés, se trouvaient à l’étage noble et regorgeaient, comme la chapelle privée, d’œuvres d’art et d’objet tous plus coûteux les uns que les autres.
18Le Printemps et Pallas et le Centaure seraient donc liés aux noces de Lorenzo di Pierfrancesco et de Semiramide Appiani. Mais qui en était le commanditaire ? Selon certains, ce ne pouvait être Lorenzo, sa situation de fortune ne le lui permettant pas avant 1485, quand il récupère avec son frère Giovanni 61 406 florins, 19 sous et 9 deniers39 qui leur appartenaient mais dont Laurent le Magnifique s’était emparé lors de la guerre qui l’oppose à Sixte IV en 1478. Si le tableau est contemporain du mariage, le commanditaire serait donc Laurent le Magnifique, et les tableaux seraient son cadeau de mariage, une décoration de type spalliera (panneaux de bois peints pour chambres nuptiales), le Printemps étant associé dans l’inventaire de 1499 à un lit avec coffre, appuie-tête et marchepieds (le lit est estimé à 84 livres, le tableau à 100 livres)40. S’il est postérieur, les critères stylistiques situant la date vers 1483-148541, le commanditaire pourrait être Lorenzo di Pierfrancesco lui-même42. La même observation vaut pour Mars et Vénus, mais la présence d’une nuée de guêpes près de la bouche de Mars suggère une association avec les Vespucci pour lesquels Botticelli peindra plus tard l’Histoire de Lucrèce et l’Histoire de Virginie. Enfin, on ne connaît ni la date ni le commanditaire de la Naissance de Vénus : elle aurait été exécutée entre le retour à Florence à l’été 1482 du peintre qui participait à la décoration de la Sixtine et un terminus ad quem qui pourrait être 1485-1486, car on peut rapprocher le tableau de la Pala Bardi ou des fresques de la villa Lemmi, propriété de l’oncle du Magnifique, Giovanni Tornabuoni, peintes pour le mariage de son fils Lorenzo et de Giovanna degli Albizzi (15 juin 1486). Son seul lien avec les Medici est sa présence au Castello, où Vasari l’a vue, mais au temps du Grand-Duc Cosme, en 1550 : elle ne figure en tout cas pas dans l’inventaire des biens de Lorenzo et de Giovanni di Pierfrancesco43.
19Comme l’Adoration Lama, ces œuvres sont novatrices : dans le Printemps, Botticelli utilise pour la première fois la tempera grassa, et la Naissance de Vénus (peinte à la tempera magra) est la première grande peinture sur toile exécutée en Toscane – ce qui suggère d’ailleurs qu’elle l’a été pour une villa. Surtout, elles font toutes appel à un arrière-plan humanistique de haute volée qui rend leur interprétation aussi riche que difficile. Prenons la plus simple, du moins en apparence, de ces peintures, Mars et Vénus. La scène est banale : elle paraît représenter ce que l’on appelle pudiquement le repos du guerrier44. L’idée que l’amour dompte la force est un lieu commun, un topos remontant à Lucrèce et à son De rerum natura. Mais il y a dans le tableau des petits satyres qui jouent avec les armes du Dieu. Ils sont empruntés à la description par Lucien dans son Hérodote d’une peinture célèbre de l’Antiquité, Les Noces de Roxane et d’Alexandre du peintre Aetion. Ces satyres, accompagnateurs traditionnels de Pan, remplacent les angelots, qui seraient déplacés dans une scène mythologique45. Leur présence dans une chambre nuptiale fait aussi problème : mais l’un d’eux souffle dans une conque en guise de trompe, ce qui est censé provoquer la panique – et en l’occurrence ne suscite aucune réaction chez le dormeur – et l’on a montré que ce détail, qui n’est pas chez Lucien, provient d’un commentaire grec des Phaenomena d’Aratus attribué par erreur à Ératosthène, commentaire que Politien avait acquis en 1482 des héritiers du mathématicien Toscanelli (et qu’il attribue de façon erronée à Théon). Certes, ce détail peut avoir une autre source, mais il y est fort probable que l’érudition et la science de Politien soient ici à l’œuvre. Du coup, point de repos du guerrier : l’impassible Vénus est un fantôme, un phantasme, au sens propre, qui tourmente Mars dans son sommeil et l’entraîne dans un cauchemar où les satyres détournent les armes du guerrier, impuissant à s’arracher à sa rêverie érotique. Charles Dempsey y lit une dénonciation de la jeunesse florentine, amollie et efféminée qui, avant le fracas de la conjuration des Pazzi, est incapable de réagir aux coups que la fortune allait lui prodiguer46.
20Charles Dempsey a d’ailleurs prouvé l’intervention de Politien – détectée par Warburg – pour la Naissance de Vénus47. Depuis 1841, ce tableau a été rapproché des Stanze cominciate per la giostra di Giuliano de’Medici, œuvre inachevée de Politien, composée pour la joute donnée par Giuliano de Medici en 1475 : Aby Warburg a donné l’exposé classique de cette relation qui n’exclut pas d’autres sources littéraires, notamment l’Hymne à Vénus homérique dont Politien s’est inspiré48. La Vénus sortant de l’onde est Vénus Anadyomène, dont Apelle a donné la représentation canonique : Herbert Horne estimait la description des Stanze inspirée d’épigrammes grecques de l’Anthologie Planudéenne faisant l’éloge du chef-d’œuvre d’Apelle. Mais elle presse sa chevelure des deux mains, détail bien connu puisqu’il est rapporté dans l’Ars amatoria d’Ovide : on le voit dans la version que le Titien en a donnée. La Vénus de Botticelli se conforme à un autre modèle romain, la Venus pudica, qui place une main devant son sexe et dont la statuaire romaine offre des prototypes comme la Vénus Medici (découverte plus tard). Pourquoi ce choix ? Dempsey rappelle que dans une épigramme grecque qu’il a adressée à Antonio Urceo Codro à Bologne, Politien dit que Vénus de sa main droite tord ses cheveux pour en extraire l’eau, mais que de l’autre elle couvre son sexe49. Botticelli observe ce détail, alors que les autres Vénus Anadyomènes pressent leurs cheveux des deux mains, comme le veut Apelle50. Dempsey rapporte d’autres anecdotes qui prouvent leur familiarité : Politien, dans ses Detti piacevoli, collectées entre 1478 et 1482, cite trois arguzie de Botticelli, connu pour son amour de la plaisanterie (parfois de mauvais goût) et moqué dans I Beoni de Laurent le Magnifique pour son penchant pour le vin. Au reste, Botticelli était loin d’être inculte ou illettré : on sait sa passion pour Dante, et dans sa déclaration au Catasto pour 1458 où il décrit la situation de sa famille, son père Mariano se lamente sur ce fils qui, de santé fragile, ne travaille pas encore et « passe son temps à lire51 ».
21Dans toutes ces œuvres, la lecture se développe sur plusieurs modes parallèles. Comme le veulent les Stanze, le tableau est bien lié à la naissance de Vénus qui naît du sperme s’échappant du sexe d’Ouranos tranché par son fils Saturne pendant qu’il violait la Terre. La violence cosmique de cette naissance telle que la rapporte Hésiode dans sa Théogonie est seulement suggérée par le bouillonnement d’écumes et les teintes froides de la mer sur laquelle flotte Vénus, et elle laisse s’exprimer la splendeur radieuse de la déesse qui aborde le rivage d’une île (Chypre ?) : c’est donc l’arrivée de Vénus, plutôt que sa naissance, qui est mise en valeur52. La coquille est poussée par les Zéphyrs, dit Politien, représentés ici par Zéphyr qui enlace Flora/Chloris ou Aura, personnification de la brise. Une nymphe blonde l’attend, peut-être Flora/Chloris, ou l’une des trois Horae, suivantes de Vénus dans les Fastes d’Ovide (sans doute celle de l’été, à en juger par les fleurs qui ornent sa ceinture). La présence de Zéphyr, de Chloris et de Flora crée un lien avec le Printemps, où la relation de Zéphyr et de Chloris est représentée sous un autre jour. Le sens de l’ensemble n’est pourtant pas évident : coiffures et vêtements situent bien la scène dans la Toscane du Quattrocento et nous rappellent qu’il s’agit d’une favola ; il y a des orangers, porteurs de ces pommes d’or qui évoquent les boules d’or des armes des Medici, bien que l’on ne puisse voir les oranges, peut-être pour laisser toute sa force à la fiction chypriote. Mais l’hypothèse d’une arrivée de Vénus sur les côtes de la Toscane où elle serait accueillie par Laurent le Magnifique – ou par Lorenzo di Pierfrancesco – paraît plausible. Encore faudrait-il pouvoir en préciser l’occasion.
22Avec le Printemps, même si le dispositif reste lisible sur le mode factuel, la lecture sur le plan symbolique se diffracte en une multiplicité de parallèles vertigineuse. La scène que l’on découvre sur ce panneau qui, rappelons-le, est une décoration pour une chambre nuptiale (et qu’il faut associer aux autres tableaux présents dans cette même chambre, Pallas et le Centaure et la Madonna dei Candelabri), est le produit d’un savant assemblage de textes classiques que seuls des humanistes de la trempe d’un Politien étaient capables d’accomplir : pour Warburg, c’est bien Politien qui est, avec Lorenzo lui-même, l’inspirateur de l’œuvre, mais ce point de vue ne fait pas l’unanimité. Charles Dempsey penche pour Politien, mais admet que plusieurs humanistes aient pu participer à l’élaboration de la favola. On peut distinguer selon l’éclairage adopté au moins six grands courants d’interprétation qui se subdivisent eux-mêmes en multiples sous-courants53 : le courant néo-platonicien pour lequel l’inspiration vient de Marsile Ficin qui fait de Vénus une représentation de l’Humanitas54, le courant dynastique rattachant l’œuvre à diverses célébrations, ce qui implique d’identifier les personnages mythologiques aux membres de la famille Medici ou à leurs relations, courant qui n’exclut pas d’autres niveaux d’interprétation parallèles, le courant chrétien qui voit dans le tableau l’illustration des trois phases du voyage vers le Paradis, un courant humaniste qui voit dans le Printemps l’illustration des Noces de Mercure et de la Philologie de Martianus Capella, Vénus étant cette fois la Philosophie55, et enfin, un courant historico-politique56. Et la minutie de la représentation des plantes dans le bois et la prairie qui servent de fond à la scène est aussi une prodigieuse mine de symboles57 : les citrons sous lesquels se déroule la scène évoquent les boules d’or des armes des Medici ; et Vénus foule aux pieds l’ellébore, la fleur toxique utilisée pour soigner la folie, pazzia (damnatio memorie des Pazzi, les meurtriers de Giuliano).
23Pourtant, il n’est pas difficile d’identifier les personnages : Mercure, les Trois Grâces, servantes de Vénus, qui dansent une ronde58, Vénus au-dessus de laquelle vole son fils Cupidon, Flora, qui n’est autre que Chloris qui, violée par Zéphyr à droite du panneau, est élevée au rang de déesse du Printemps quand celui-ci l’épouse, comme le content les Fastes d’Ovide59. Mais Vénus, si belle soit-elle, est ici une matrone chastement vêtue, chasteté soulignée par son pendentif, un rubis taillé en croissant de lune qui évoque la chaste Diane : c’est la déesse du mariage60. De même, Flora personnifie la femme mariée et occupe le devant de la scène ; peut-être est-elle même enceinte des suites de son « mariage » avec Zéphyr, mais sa fécondation est symbolisée par la floraison du jardin comme par les fleurs qui s’échappent de sa bouche. Enfin, les Trois Grâces servent dans ce contexte à évoquer les vertus féminines : Frank Zöllner évoque la festa del paradiso organisée à Milan par Vinci et Bernardo Bellincioni pour le mariage de Gian Galeazzo Sforza et d’Isabella d’Aragon où les Grâces chantent les louanges de la jeune épouse en l’entraînant vers la chambre conjugale avec les Vertus Cardinales61.
24Pour Charles Dempsey, il est tentant de pousser l’identification plus loin en s’appuyant sur les deux célèbres joutes, celle de Laurent le Magnifique en 146962 et celle de Giuliano de Medici en 147563. Flora serait le portrait de Simonetta Vespucci64, et Vénus, celui de Lucrezia Donati : les deux déesses sont d’ailleurs habillées à la mode florentine contemporaine, la première comme une nymphe, la seconde comme une matrone. Mercure serait donc le portrait de Giuliano de Medici, ce que conteste Simone Ebert, pour laquelle Mercure serait Lorenzo di Pierfrancesco, sous l’égide duquel un avenir de prospérité attend Florence, et Flora, même si elle n’en est probablement pas le portrait physique, son épouse, Semiramide Appiani. Quant à lui, John Pope-Hennessy réfute comme vaine toute tentative d’identification65. De plus, la volonté d’identifier à tout prix les personnages risque de figer l’interprétation au stade de « l’image fantasme », expression du rêve et du souvenir66. Aby Warburg l’a démontré depuis longtemps, cette dimension existe bien dans le tableau, et cela justifie l’interprétation de Charles Dempsey, mais elle n’est certainement pas la seule possible.
25Cristina Acidini Luchinat propose une lecture des plus sobres du tableau, essentiellement politique : placé sous la protection de Vénus, la déesse de l’amour, du mariage et de la fécondité, le jardin n’est autre que la Toscane, comme le prouvent en effet les orangers et leurs pommes d’or, rappel des armoiries des Medici, et le laurier (l’arbre de Laurent) sur lequel est juché Zéphyr. À gauche, Mercure, qui arbore sur son dos les flammes stylisées, un emblème médicéen, repousse les nuées de la discorde avec son caducée. À droite, l’arrivée du Printemps provoque le changement et la renaissance : la nymphe Chloris, épouse de Zéphyr, est fécondée par le souffle du vent qui l’enlace et de sa bouche sortent des fleurs. Et à ses côtés triomphe Flore, qui n’est autre que la personnification de Florence :
la paix et le refleurissement, célébrés par le tableau, ont donc lieu grâce aux Medici : l’événement en question a lieu le 25 mars 1480, premier jour de l’année à Florence, début du printemps, date légendaire de la fondation de la colonie romaine de Florentia, date de signature du traité de paix qui met fin à la guerre consécutive à la conjuration des Pazzi.
26Flore et Vénus foulent d’ailleurs au pied l’ellébore, la fleur de la folie (pazzia). Et son interprétation est confirmée par le pendentif de Vénus, un rubis carré (insigne Medici) inscrit dans un croissant (insigne Strozzi) : Filippo Strozzi avait convaincu Ferdinand de Naples de lâcher Sixte IV, ce qui a permis la paix67.
27Une proposition plus générale encore, d’ordre rhétorique, émane de Charles Burroughs68 qui suggère que le tableau doit se lire comme un dialogue intertextuel avec le poète latin Ovide. Sa dimension poétique et rhétorique l’emporte ici sur l’istoria. Ce faisant, il surestime certainement le degré d’autonomie du peintre par rapport à son commanditaire (quel qu’il soit) et son entourage de conseillers humanistes : il est de même impossible de voir dans le tableau un parallèle entre les difficiles relations entre Ovide et Auguste et celles des intellectuels et le pouvoir médicéen. D’ailleurs il insiste sur le fait que la Vénus romaine est la déesse de la stabilité et de la cohésion civile dans la Rome augustéenne, les Trois Grâces étant identifiées par plusieurs auteurs (dont Sénèque) comme ses auxiliaires. Mais il signale au moins deux points importants. Tout d’abord, il souligne que les Fastes d’Ovide sont un poème calendaire. Le mois de Vénus est le mois de mai, celui de Flora est le mois d’avril : or sa procession, les Floralies, déborde sur le mois de mai, ce qu’exprime son pas en avant qui empiète sur le domaine de Vénus. Le tableau nous fait ainsi passer du début à la fin du printemps. Ensuite, les gestes des deux déesses, accueil pour Vénus et apostrophe pour Flora, suggèrent que le tableau tout entier a une vocation rhétorique : c’est une apostrophe poétique adressée tant au commanditaire qu’au spectateur pour revendiquer la liberté du poète et de l’artiste.
28Autre favola, Pallas et le Centaure doit se comprendre en relation avec le Printemps, qui se trouvait dans la même pièce. Le personnage féminin n’est peut-être pas Pallas, car dans l’inventaire le plus ancien, elle est appelée Camilla : les critiques ont plutôt préféré Pallas par assimilation avec la Pallas peinte sur l’étendard de Giuliano de Medici pour les joutes de 1475. Fille du roi volsque Menabus, Camilla figure dans le De claribus mulieribus de Boccace comme l’héroïne de la chasteté, vouée à Diane et refusant tout mariage jusqu’à sa mort dans les combats de son peuple contre les Troyens d’Énée69. Simone Ebert donne cependant de nouveaux arguments en faveur de Pallas, en montrant que l’image correspond à la description qu’en donne un familier de Lorenzo et de Giovanni di Pierfrancesco, le poète Michele Marullo (dont Botticelli fera plus tard un portrait), qui la caractérise par sa lance et sa blonde chevelure70. À dire vrai, peu importe : mortelle ou déesse, elle est armée d’une hallebarde qui fait d’elle une sentinelle et elle tire par ses cheveux un centaure attristé et vaincu à l’extérieur de la Cité. Les Centaures passaient pour lascifs et débauchés : c’est donc ici une image de la domination féminine sur les désirs débridés de l’homme qui fait dignement pendant à la partie droite du Printemps, où ces mêmes désirs débridés soumettaient Chloris à un viol que le mariage allait cependant réparer71. Mais une lecture politique est aussi possible, Pallas ramenant la paix sur Florence qui vient de faire échec à la papauté romaine (le Centaure), à moins que le Centaure ne soit autre que le Magnifique, visé par son cousin dans l’intimité de ses appartements, et la paix celle promise à la Cité par Lorenzo di Pierfrancesco ? Ce jeu d’identification n’est toutefois pas le plus important par rapport à ce qui se joue dans le tableau : Bertrand Prévost fait observer qu’il ne s’agit pas d’une historia, mais d’une allégorie. Pallas-Camilla a le regard dans le vide, la souffrance du Centaure est à peine exprimée, les gestes et les mouvements sont minimaux : « c’est l’action qui devient le véritable sujet, et non plus tel ou tel personnage », une action figée dans un temps éternel, les passions débridées (le centaure) devant de tout temps être domptées72.
29Reste, si on laisse de côté le portrait de Simonetta Vespucci, la dernière des Favole, la Calomnie d’Apelle73, elle aussi fort énigmatique, ne serait-ce parce que l’on ne connaît pas son commanditaire : tout ce que l’on sait, c’est que Botticelli a gardé ce tableau par-devers lui, comme s’il s’agissait d’une œuvre compromettante, avant de le donner, selon Vasari, à son ami le banquier Antonio Segni, dont le fils apposa sur le tableau une inscription rappelant que le tableau visait à prévenir les rois contre les faux témoignages74. Le tableau illustre (il est le premier à le faire) un texte de Lucien, bien connu grâce à Alberti, qui décrit un chef-d’œuvre du peintre grec Apelle qui, travaillant à la cour de Ptolémée Philopator, avait été accusé par un peintre rival, Antiphile, de faire partie d’une conjuration75. La composition est extraordinaire car, si l’on y retrouve la disposition des personnages alignés d’un côté du tableau jusqu’à l’autre, sur un même plan comme s’ils se trouvaient sur une scène théâtrale imaginaire, disposition déjà observée dans le Printemps, elle frappe par une horizontalité accentuée par les mouvements. La Vérité (nue, comme Vénus) qui invoque le ciel de son bras levé, est à l’extrême gauche, et le prince, dont les paroles vont dénouer la crise figée dans l’attente du jugement qu’il va prononcer, sur lequel se penchent deux femmes, Ignorance et Soupçon, est à l’extrême droite. Le centre est occupé par Calomnie, toute d’élégance dans son emportement, bien qu’elle prenne soin de baisser les yeux dans une feinte modestie que dénoncent ses suivantes, Tromperie et Perfidie, en arrangeant les boucles de sa chevelure : elle traîne sur le sol par ses cheveux l’Innocent, presque nu, famélique mais les mains jointes dans une prière muette. Entre ce groupe et le Prince, se dresse, sombre et sinistre, l’Envieux qui lui conduit Calomnie, tandis qu’entre les pieds de l’Innocent raclant la poussière et Vérité se tient Remords, une vieille femme qui détourne son regard76.
30Les interprétations, là encore, ne manquent pas : on a suggéré que l’œuvre était une illustration des épreuves personnelles subies par Botticelli77 ou par Segni78, ou une défense de Savonarole, ou au contraire celle de l’humanisme médicéen contre Savonarole ! Cette dernière vision paraît la plus cohérente : elle est défendue par Stanley Meltzoff, qui imagine un raggionamento79 préparé par l’humaniste Politien pour une réplique, destinée par exemple à Piero de Medici (donc antérieure à son expulsion en novembre 1494), à l’Apologeticus de ratione poeticae artis, violente attaque de Savonarole contre la theologia poetarum humaniste80. Malheureusement, rien ne prouve ici l’intervention de Politien : toutefois, si l’on met de côté Politien et Piero, la proposition de Meltzoff reste séduisante. Les bas-reliefs qui ornent le splendide palais dans lequel le jugement a lieu, évoquent aussi bien la Bible comme texte poétique (Abel et Caïn, Moïse, David et Salomon) que la poésie des Anciens, illustrée par d’innombrables scènes, tandis que les portraits des poètes voisinent avec celui de saint Paul selon lequel les chrétiens pouvaient apprendre beaucoup des exemples de vertus transmis par les auteurs de l’Antiquité. Les trois voûtes sont décorées d’images évoquant l’œuvre de Boccace. On y trouve des échos botticelliens, l’histoire de Nastagio degli Onesti sur la voûte de gauche81 ou un Centaure dompté par Vénus, rappel du Centaure transgresseur arrêté par Pallas-Camilla. On peut évidemment lire le tableau comme une historia, mais Bertrand Prévost rappelle avec force (et avec de bons arguments) que c’est d’abord et avant tout une allégorie, comme le révèlent les analogies entre la scène principale et les bas-reliefs du palais qui font de celui-ci un lieu allégorique par excellence82.
31Pour beaucoup d’historiens d’art, l’œuvre présente une indiscutable parenté avec des œuvres des années 1494-1495 censées être influencées par Savonarole. En effet, elle est de celles dans lesquelles l’horizontalité83 de la structure, génératrice d’une tension très forte dans la mesure où elle fige les mouvements des personnages, est mise en évidence : ici, une ligne part du bras de Vérité dressé vers le ciel puis descend en suivant la manche de Remords jusqu’à ses mains, pour remonter en une droite presque parfaite matérialisée par la position des bras des suivantes de Calomnie et par les bras allongés du Prince et de l’Envieux jusqu’à la bouche du Prince. Au bas du tableau, le corps allongé de l’Innocent trace au sol une ligne horizontale qui se termine sur le pied de Calomnie et la base du trône princier. Pourtant, la plupart des historiens datent l’œuvre de 1497 sur des critères stylistiques ou même astronomiques84, si bien que Fosca Mariani Zini rappelle qu’aucune interprétation ne peut aujourd’hui être considérée comme définitive85.
L’ombre de Savonarole
32L’ombre de Savonarole plane en effet sur les dernières années de Botticelli : à part Vasari, qui voit en lui un hérétique, la plupart de ses biographes ne font pas de lui un piagnone très ardent, tout au plus un sympathisant. Ils reconnaissent pourtant à des degrés divers l’impact et l’influence sur sa peinture du réformateur dominicain, le véritable créateur de la dynamique qui aboutit au renversement du régime médicéen86. Son jeune frère Simone en était un partisan convaincu : animé par le double idéal d’une réforme religieuse de l’Église et d’une réforme politique de Florence, il a dû s’enfuir à Bologne en 1498 après la chute de Savonarole mais ne fait dans sa chronique aucune allusion à un quelconque engagement de Sandro87. On sait d’ailleurs que ce dernier recevait souvent dans son atelier Doffo Spini, adversaire enragé du Frate, qui sera l’un de ceux qui le condamneront à mort88 : Simone le rencontrera d’ailleurs dans l’atelier de Sandro pour connaître les circonstances exactes de cette condamnation89. En outre, son homosexualité supposée s’accorde mal avec la dénonciation par le prédicateur des déviances sexuelles et les persécutions exercées par ses partisans, notamment ces bandes de garçons (les fanciulli) qui écumaient la ville90. Contrairement à son frère, Botticelli n’a pas été inquiété lors de la violente réaction qui suit l’exécution de Savonarole et a pu s’inscrire en novembre 1499 au prestigieux Arte dei Medici e di Speziali dont il peint le portrait de l’un des membres les plus célèbres, le professeur de médecine Lorenzo Lorenzi. Mais d’autres éléments et notamment certaines de ses œuvres l’ont fait soupçonner de sympathie pour la cause du réformateur : il faut donc, pour démêler la situation, en revenir à l’examen des nombreuses commandes que le peintre continua à recevoir pendant cette période.
33Quand Lorenzo et Giovanni di Pierfrancesco rentrent le 14 novembre 1494 dans les bagages de l’armée française de l’exil auquel les avait contraints Piero de Medici depuis le mois de mai, et jusqu’à ce qu’ils y soient à nouveau forcés en 1497, se réfugiant alors en Espagne, Botticelli peint des fresques dans leurs villas de Trebbio et de Castello. Il fait aussi le portrait d’un de leurs proches, le poète Marullo. Il continue en 1494-1495 à travailler pour eux à l’illustration de la Divine Comédie de Dante (nous y reviendrons)91. C’est peut-être aussi par leur intermédiaire que l’un de ses plus saisissants tableaux religieux, le Christ au Jardin des oliviers, daté sur critères stylistiques de 1500-150592, mais qui est peut-être celui qui figure sur l’un des inventaires Medici de 149493, se retrouve en 1504 sur la porte d’un reliquaire commandé par Isabelle la Catholique pour la chapelle royale de Grenade : comme les illustrations pour la Divine Comédie, ce panneau peut avoir été emporté en Espagne par Lorenzo exilé. Il est vrai que l’on évoque aussi Savonarole à propos de cette œuvre, rapprochée de la xylographie qui ouvre l’incunable du Tractato o vero sermone della Oratione de Savonarole94.
34Après le second départ de Lorenzo et de Giovanni et dès l’exécution de Savonarole, le 23 mai 1498, Botticelli retrouve des commandes quasi officielles. Elles émanent de ses premiers patrons, les Vespucci, et notamment de Guidantonio, autrefois proche de Laurent le Magnifique devenu maintenant avec son frère Giovanni l’un des piliers du régime oligarchique, promu gonfalonier de Justice en octobre 1498 : c’est pour la chapelle des Vespucci à Ognissanti qu’il peint les fresques de Saint Denys l’Aréopagite et de Saint Paul (aujourd’hui disparues), pour leurs villas et pour le Palazzo Vespucci qu’il réalise l’Histoire de Virginie, l’Histoire de Lucrèce95 et un cycle de fresques en collaboration avec Piero di Cosimo, tout ceci en 1498-1499. Et c’est pour des adversaires de Savonarole, les Girolami, sans doute pour le mariage de Raffaele Girolami, qu’il fournit à son atelier les dessins de la Vie de saint Zenobius, le premier évêque de Florence ; le format oblong des tableaux suggère en effet leur localisation dans une chambre de mariage, et le sujet vient du fait que les Girolami prétendaient descendre de Zenobius96. Ni les moines de Santa Maria di Monticelli pour qui il peint un Saint François, ni les sœurs de San Paolo auxquelles il fournit un carton à broder pour l’œuvre de la cathédrale d’Orvieto, l’Allégorie de la Foi, ne sont des adeptes de Savonarole.
35Mais Botticelli a aussi travaillé soit pour des commanditaires partisans déclarés de Savonarole et de ses idées, ou profondément marquées par sa prédication. Deux œuvres sont particulièrement significatives. La première est la Pietà di San Paolino, peinte pour le prieuré de chanoines réguliers de San Paolino97. On ne sait qui est le commanditaire, mais l’œuvre peut être un hommage à Politien, prieur du monastère jusqu’à sa mort en novembre 1494. Peu avant sa mort, il était devenu un fidèle de Savonarole qui aurait autorisé son inhumation en habit dominicain dans le cimetière de San Marco. Elle a été rapprochée, sans qu’il existe de lien direct, du De morte Christi et propria cogitanda dédié par son auteur Giovanni Pico (le neveu de Pic de la Mirandole) à Savonarole. L’œuvre est marquée par l’influence flamande mais le plus frappant est, comme dans la Calomnie d’Apelle, l’horizontalité de la structure : elle est exprimée par les lourdes pierres qui dessinent à l’arrière-plan supérieur l’entrée du tombeau, devant lequel se détachent, alignés comme sur une scène de théâtre, les saints Jérôme, Pierre, Jean et Paul, la Vierge et l’une des saintes femmes, tandis qu’au ras du sol, une parallèle est marquée par le cadavre du Christ et deux figures féminines courbées, la Madeleine qui étreint les pieds du Sauveur et l’autre sainte femme, dont le dos penché amorce une diagonale qui court jusqu’aux auréoles inclinées des saints Jérôme et Paul, unissant les deux lignes. La tension émanant de l’œuvre est d’autant plus forte que les mouvements, intensifiés par la torsion des corps, sont figés dans l’instant, impression accentuée par l’impassibilité des visages : les yeux de la Vierge, de la Madeleine et des saintes femmes sont fermés, ceux des saints baissés.
36La seconde, où la tension est aussi violente, est la Déploration du Christ. Ce serait ce tableau vu dans une chapelle de Sainte-Marie-Majeure de Florence par Vasari, celle des Panciatichi, où était adossé à un pilier l’autel des miniaturistes florentins Donato et Antonio Cioni, que l’on a associé à leur prestigieux parent, le notaire Filippo Cioni, piagnone convaincu qui pourrait être sinon le commanditaire, du moins l’inspirateur du tableau98. Il est daté sur critères stylistiques de 1495 environ, comme la Dernière communion de saint Jérôme, sans doute peinte pour Francesco di Filippo Del Pugliese, un marchand de laine partisan de Savonarole qui a légué sa maison de campagne avec sa chapelle au couvent San Marco de sa ville natale, Castello di Sommaia. Et Botticelli peut avoir fourni quelques xylographies aux éditions imprimées des textes de Savonarole ou des cartons pour les gravures de ses Méditations sur l’art de bien mourir ; de plus, les illustrations des sermons de Savonarole semblent faire souvent référence aux œuvres de la dernière période de Botticelli, qu’elles aient été commandées par des piagnoni ou non99.
37L’intensité de ces tableaux, tout comme certaines interprétations de la Calomnie d’Apelle, font que les critiques ont eu tendance à y déceler non seulement l’influence de Savonarole, mais encore une adhésion du peintre à ses vues avec pour conséquence l’annexion à la spiritualité piagnona de toute une série d’œuvres qui présentent une forte tension et un caractère mélancolique. Elles présentent aussi souvent des traits considérés comme archaïques, par exemple un fond doré, des personnages déformés par des mouvements extrêmes ou dotés d’une taille défiant les lois de la perspective pour mieux les mettre en évidence. Elles permettraient de déceler chez le peintre une « crise spirituelle100 » plus ou moins liée à la prédication du Dominicain. C’est par exemple le cas du Christ au Jardin des oliviers déjà évoqué, de la Trinité et les Saints (probablement la Pala delle Convertite, commandée par l’Arte dei Medici e Speziali pour les religieuses de Santa Elisabetta delle Convertite vers 1492-1493), de la Vierge avec l’Enfant étreignant le petit saint Jean, un tableau destiné à la dévotion privée101, et aussi de Judith et Holopherne, où Judith pointe vers le spectateur son épée, geste interprété comme la citation d’un sermon de Savonarole évoquant en 1496 la menace de l’épée divine102. Le plus dramatique de ces tableaux tardifs, si endommagé qu’il en est difficilement lisible, est la Crucifixion mystique, parfois rapprochée d’un des sermons sur Aggée de Savonarole103 où, devant le panorama de Florence dominée par le Duomo, une Marie-Madeleine allongée sur le sol étreint convulsivement le pied de la Croix, tandis qu’un ange tue de son épée un renard (ou un lion ?) et qu’un loup, symbole du vice, s’échappe de ses vêtements. Le ciel est partagé : à gauche, dans l’azur, Dieu envoie les anges combattre les démons qui peuplent de sombres nuées venues de la droite.
38Un tableau énigmatique, la Nativité mystique104, peint dans les premiers mois de 1501, cristallise cette problématique. Son commanditaire est inconnu, s’il en eut jamais un105. De petite dimension (108 × 75 cm), il se décompose de haut en bas en cinq niveaux disposés en bandes parallèles (toujours l’horizontalité) :
39– une inscription en caractères grecs : « Ce tableau, à la fin de l’année 1500, moi, Alessandro, je l’ai peint à la moitié du temps après le temps où s’est accompli le [chapitre] XI de Saint Jean, dans le second malheur de l’Apocalypse, pendant les trois ans et demi où le diable a été libre ; après quoi il sera enchaîné selon le [chapitre] XII, et nous le verrons… comme dans ce tableau106 » ;
40– une ronde de douze anges, vêtus de tuniques blanches, vert sombre et rouges, est suspendue à la voûte céleste107 (fond or) par des branches d’olivier mêlées à des cartouches portant des textes presque effacés en latin et en italien glorifiant la Vierge108 ; des couronnes y sont accrochées ;
41– trois anges lisent un livre (l’Apocalypse de saint Jean ?) sur le toit de l’étable où se repose la Sainte Famille ; leurs vêtements ont les couleurs des vertus théologales, la Foi (blanc), l’Espérance (vert) et la Charité (rouge) ;
42– l’étable est surmontée d’un toit posé sur deux arcs rocheux ouvrant sur une grotte. Devant elle, répartis sur chacun des côtés, deux anges conduisent six bergers agenouillés : la Vierge, plus grande que nature, est avec l’âne, juste derrière elle, le seul personnage dressé ; elle domine la scène ;
43– trois anges étreignent trois hommes couronnés de lauriers vêtus d’une robe blanche et d’un manteau rouge ; autour d’eux de petits diables fuient en s’enfonçant dans les anfractuosités des rochers.
44D’après l’inscription, le tableau a été peint à la moitié des trois ans et demi où le démon a été libéré, soit vingt et un mois après le début des troubles en Italie, ce qui nous renvoie au printemps ou à l’été 1499 et a été compris comme une allusion à la seconde descente des Français en Italie, qui aboutit à la prise de Milan en septembre, tandis que leur allié, le pape Alexandre VI, laisse son fils Cesare Borgia se constituer en Italie centrale un état qui menace Florence. Le tableau a été associé à un sermon prêché à Noël 1493 par Savonarole109, mais Rab Hatfield démontre qu’on ne peut retenir une association aussi précise : la référence est floue, et l’on peut trouver beaucoup d’autres références aux sermons de Savonarole, tout aussi valables et tout aussi imprécises110. Dans l’atmosphère de crise spirituelle que connaît alors Florence et dans laquelle le réformateur dominicain joue un rôle central, il n’est pas surprenant que des échos de sa prédication apparaissent dans le tableau, qui n’en est pourtant ni une illustration, ni une paraphrase. Certains de ces échos peuvent aussi être mis en parallèle avec des œuvres de ses partisans, les chants de Girolamo Benivieni, les sermons de Pietro Bernardo (Bernardino dei Fanciulli), l’un des organisateurs des bandes de fanciulli qui croyait à l’avènement du règne prochain du Saint-Esprit, et Giovanni Nesi qui dans son Oraculum de Novo saeculo, annonce un prochain âge d’or, le règne du Christ à Florence et l’établissement d’une république chrétienne universelle, les musulmans devant bientôt se convertir111.
45Rab Hatfield propose trois interprétations de ce tableau ; seule la dernière, qui nous ramène à l’Apocalypse de saint Jean, citée par l’inscription, pourrait être retenue112. Le chapitre XI décrit la désolation de Jérusalem (Rome pour les réformateurs, Savonarole compris, et l’humanité par métonymie) et les autres effets catastrophiques de la libération du démon pendant quarante-deux mois113, mais au quinzième verset le septième ange annonce au son de sa trompette la venue du règne du Christ, « qui régnera dans les âges des âges ». Le chapitre XII s’ouvre sur l’apparition d’« une grande femme vêtue de soleil, avec la lune sous ses pieds et une couronne de douze étoiles sur sa tête114 » : elle accouche d’un enfant mâle. Un « grand dragon rouge avec sept têtes et dix cornes, et sur ses têtes sept diadèmes » apparaît alors et menace de dévorer l’enfant, mais l’enfant est enlevé « vers Dieu et vers son trône », pendant que Michel et ses anges combattent le dragon et que la femme est mise à l’abri de ses entreprises. Au chapitre XX, nous lisons enfin que « le dragon, l’antique serpent qui est le diable et le Satan » a été enchaîné pour mille ans, pendant lesquels les âmes des juges et des martyrs revivent sur terre, les autres morts attendant la deuxième venue du Christ pour le Jugement dernier : on voit cet épisode au niveau inférieur, où les anges embrassent les martyrs renaissant, alors que sept petits démons (les sept péchés capitaux ?) s’enfoncent dans la terre.
46La « grande femme », parfois interprétée comme l’Église, est en fait Israël, dont les douze étoiles symbolisent les douze tribus : elle n’est pas la Vierge, même si elle peut en être la métaphore puisqu’elle accouche du Christ, ce que rappellent les douze anges laudateurs du tableau. Israël vaut ici pour l’humanité entière. On a donc affaire à une métaphore de la venue du Christ : cette Nativité qui n’en est pas une – là serait l’hérésie, la seconde venue du Christ coïncidant avec le Jugement dernier – symbolise le retour du règne du Christ à Florence après le temps des Tribulations, thème récurrent chez Savonarole115, annonçant mille ans de paix et de miséricorde, cette miséricorde dont les rameaux d’oliviers omniprésents dans le tableau rappellent à quel point elle est une nécessité pour les Florentins116. Savonarolien sans jamais citer littéralement le prophète, millénariste sans l’être, s’avançant aussi près que possible sans les franchir des frontières de l’hérésie et de la sédition, le programme iconographique du tableau est certainement dû à un humaniste ou à un clerc de bon niveau117, capable d’exprimer la sensibilité religieuse du commanditaire inconnu sans le mettre en danger.
47Comme dans le cas des favole humanistes, il faut se rendre à l’évidence : le peintre, si pénétré qu’il ait pu être, comme beaucoup de Florentins, de spiritualité savonarolienne, n’est pas l’auteur du contenu, et il est vain de parler du Botticelli piagnone, comme il est vain de parler d’un Botticelli humaniste ou républicain. Il peut avoir été tout cela, ou avoir mérité ces qualificatifs à tel ou tel moment de sa vie : mais ce n’est pas aux sujets et aux contenus de sa peinture de nous le dire, puisque, en dépit de sa solide culture, ils sont dictés par ses commanditaires et leur entourage de conseillers qualifiés. L’opposition entre d’une part des « humanistes » supposés partisans des Medici ou de l’oligarchie, et de l’autre des partisans « révolutionnaires » de Savonarole est d’ailleurs loin d’être tranchée. La conversion de Politien nous en a déjà offert une preuve, mais l’un des membres de la famille Vespucci, Giorgio Antonio, ancien précepteur de Lorenzo di Pierfrancesco, prévôt de la cathédrale de Florence et peut-être commanditaire du Saint Augustin de Botticelli à Ognissanti, reçut aussi l’habit dominicain des mains de Savonarole à San Marco118. D’autres intellectuels issus ou proches de grandes familles ont rejoint les Dominicains de San Marco, comme le futur bibliothécaire du pape Léon X (Medici), Zanobi Acciaiuoli, le précepteur de Piero de Medici, Giorgio Benigno [Dragisic], ou encore l’un des Dieci di Balia, Pandolfo Rucellai, créant ainsi une Academia Marciana, non sans susciter le ressentiment de ses partisans de la première heure119. Tous observaient anxieusement ce « temps des troubles », et tous rêvaient d’une Florence libre, purifiée et pacifiée : il n’était pas besoin d’être piagnone pour forger de telles espérances.
Dante, guide vers l’imaginaire de Botticelli
48En fait, si le style de Botticelli conserve ses caractéristiques principales, il se transforme sans rupture apparente, comme s’il se modifiait de l’intérieur, comme si le peintre, sans changer son système de représentation, laissait affleurer à la surface du tableau les altérations intimes de son psychisme. Nous avons signalé certaines de ces modifications, notamment la violence de la tension engendrée par l’horizontalité résultante de l’alignement de parallèles qui altèrent la perspective et par la mise au premier plan théâtrale des personnages représentés. Plus qu’à la fréquentation de Savonarole, elles semblent résulter de celle de Dante et plus précisément du travail sur l’illustration de la Divine Comédie de Dante120. L’œuvre, qui devait comporter cent planches dont 92 subsistent, pour la plupart à l’état d’esquisses, est restée inachevée. La datation de l’œuvre est ardue121 : certains plaident pour les années 90, tandis que pour d’autres il faut remonter avant 1480, en liaison avec l’impression en 1481 du texte de Dante avec les commentaires de Cristoforo Landino, un humaniste très proche de Botticelli. L’édition est ornée de gravures, peut-être réalisées par Baldini, une vingtaine en tout qui apparaissent progressivement dans les différentes impressions entre 1481 et 1487122. Elles s’appuyaient sur de simples esquisses, mais Lorenzo di Pierfrancesco aurait commandé des illustrations sur parchemin dont il est vite apparu qu’elles seraient inutilisables pour réaliser des gravures destinées à des livres imprimés et qu’elles constituaient un nouveau type d’œuvre, sorte de bande dessinée avant l’heure, autonome par rapport à un texte qu’elles illustrent mais que l’on ne voit pas, puisqu’il est au verso. Botticelli a continué à travailler sur elles jusqu’à 1495123 au moins, date terminale justifiée par des critères stylistiques plus ou moins fiables. Il a donc vécu quinze ou vingt ans dans l’intimité du poème de Dante et son choix d’inventer une forme spécifique et nouvelle a fait de cette série une matrice inépuisable de réflexions et de solutions iconiques pour le reste de son œuvre dont elles rendent évidents les principaux caractères.
49Parce que ce sont des dessins, les illustrations de la Divine Comédie rappellent l’importance fondamentale du disegno – aux deux sens du terme, comme on le remarque souvent – pour Botticelli : c’est d’ailleurs son excellence dans ce domaine que Vasari soulignait d’abord. Cette primauté du dessin se combine avec un refus du relief. Comme dans les illustrations, la fermeté du dessin transparaît dans tous les tableaux de Botticelli, où tous les personnages sont clairement définis par des lignes assurées – Daniel Arasse parle ainsi de primauté de la ligne – qui renforcent leur individualité. Ces personnages sont en général nombreux, dans les favole comme dans les tableaux d’autel, mais ils sont des milliers dans les illustrations, où l’on est fasciné de relever un semblable souci d’individualisation et un même soin du détail que dans les tableaux. Pour Botticelli, l’image est une construction mathématique ou théâtrale qui s’écarte de la recherche d’illusion dans le domaine de l’imitation de la nature, comme le rappelle Daniel Arasse qui, après avoir analysé le rapport très particulier du peintre à la perspective, souligne qu’en refusant la mise en valeur des reliefs, il déploie son dessin sur une surface plane, conférant ainsi à ses peintures une « manière ornementale124 ». Cet aplatissement résulte en partie de fonds pratiquement vides, comme la mer que l’on aperçoit entre les arches du palais de la Calomnie d’Apelle ou le rideau d’arbres qui forme l’arrière-plan de la Nativité mystique : il s’agit en fait de rideaux de scène, parfaitement plans. Quant à lui, Damian Dombrowski écrit :
aucun autre artiste à l’œuvre à Florence des années 1470 aux années 1490 n’est aussi inconditionnellement voué à un idéal qui ne vise pas à appréhender rationnellement la natura naturata, mais se concentre au lieu de cela sur les capacités créatives de l’être humain à proposer une natura altera125.
50Léonard de Vinci l’avait bien perçu qui trouvait « bien tristes » les paysages de Botticelli, lui déniant par là même la qualité de pittore universale : mais celui-ci ne disait-il pas qu’« il suffisait de jeter une éponge encore imprégnée de couleurs diverses sur un mur pour voir aussitôt dans la tache le plus beau des paysages126 » ?
51De fait, le texte de Dante conduit la scénographie des illustrations à ignorer souvent le paysage, remplacé par des lignes ou des décors végétaux qui donnent l’illusion d’une perspective, comme dans Béatrice sur le char de l’Église127 ou le Triomphe de l’Église128. Le format extraordinaire des illustrations met en évidence leur construction géométrique et mathématique, évidente pour les sphères planétaires129, plus subtile dans les diverses inclinaisons de l’image de Béatrice par rapport à celle de Dante130, qui rappellent à quel point les lignes imaginaires tracées par les regards – pourtant souvent vides ou mélancoliques dans des visages impassibles131 – sous-tendent la construction graphique. Les tableaux de Botticelli ont tous en effet une construction mathématique rigoureuse qui lui a valu l’admiration du célèbre Luca Pacioli132. Pour certains d’entre eux, on l’a vu avec la Nativité mystique, on observe une filiation directe avec des machines théâtrales, comme celles dont Vasari attribue la paternité à Brunelleschi. Paola Ventrone rappelle d’ailleurs l’importance des fêtes que Florence organisait pour l’Ascension ou la Pentecôte133 et qui conduisaient nécessairement à représenter le Paradis : les ciels de Botticelli sont des ciels de théâtre, des coupoles peintes vues de l’intérieur, fermant le cadre de scène au-dessous des cintres, et tout ceci se retrouve dans les illustrations, par exemple dans celle de la huitième sphère où apparaît au sommet la lumière d’Adam134. Le mouvement, autre caractéristique marquante de l’art de Botticelli, mis en évidence dans ses tableaux par les gestes et les drapés et souligné par le dessin qui le fige dans un instantané crucial arrêtant le temps (comme dans la Calomnie), est tout aussi présent ici, non seulement dans la démarche de Dante et de ses guides, mais aussi dans l’attitude de ceux qui les interpellent ou se tournent vers eux. Enfin, les illustrations de l’Enfer conduisent le peintre à imaginer ces décors rocheux que le format des dessins comme le cheminement linéaire de Dante et de son guide Virgile inscrivent dans cette horizontalité caractéristique de certains des tableaux de sa dernière période135. Dante, mieux que Politien ou que Savonarole, se présente donc à nous comme un guide vers l’imaginaire de Botticelli : les idées qu’il fait naître dans l’esprit du peintre prennent immédiatement forme sous nos yeux et les illustrations de la Divine Comédie permettent d’aller rechercher dans l’imaginaire du peintre, tel qu’il transparaît dans les formes qu’il produit, de possibles réponses aux questions posées.
52L’imaginaire du peintre n’est accessible que par ce qui est singulier, clairement individualisé et lui appartient en propre : nous l’avons vu, c’est son style, sa manière, et c’est donc là que peut être perçu son « engagement ». La « manière » de Botticelli est si singulière que son premier analyste s’est interrogé d’emblée sur son imaginaire et a cherché à en explorer les arcanes : Georges Didi-Huberman rapporte ainsi qu’alors même qu’Aby Warburg travaillait à sa thèse sur la Naissance de Vénus et le Printemps de Botticelli, il commençait à rédiger un traité sur la psychologie de l’art, jamais achevé, dont il subsiste trois cents folios ; et il suivait à Berlin les cours de psychologie destinés aux étudiants en médecine136. Il a par ailleurs côtoyé de près la psychanalyse quand il a été interné en 1918 à Kreuzlingen dans la clinique de Ludwig Binswanger qui ne s’était pas encore détourné de Freud137.
53L’importance du rôle joué par la psychè de l’artiste a d’ailleurs été ressentie par les hommes du Quattrocento, comme le montre la formule, Ogni dipintore dipinge se, qui, si l’on en croit Daniel Arasse, était à la mode dans la Florence du Quattrocento. « Tout peintre se peint » est une idée qui vient de Marsile Ficin, qui l’applique aussi aux architectes et aux musiciens, et Savonarole comme Vinci ont repris la formule à leur compte138. Autrement dit, toute œuvre porte la marque de la personnalité de son auteur : cet apport intime et individuel est non seulement le fondement du style de l’artiste, il est aussi ce par quoi s’expriment sa psychologie et son psychisme et, pour revenir au lexique qui est aux sources de ce programme, son imaginaire, composante essentielle des vecteurs de l’idéel dont on cherche à repérer les signes, dans la lignée de la vision anthropologique de Maurice Godelier qui dit, à propos de l’œuvre d’art139 :
[qu’elle] naît au départ dans la pensée et la sensibilité d’un individu et possède alors une existence idéelle et virtuelle que cet individu va ensuite transcrire et transformer – par une suite d’actes techniques et cognitifs (voire magiques) dont il possède la maîtrise – en une réalité matérielle symbolique qui signifie pour lui quelque chose et est susceptible de provoquer chez ceux qui la perçoivent un mélange indissoluble de sensations, d’émotions et de représentations140.
54Encore faut-il disposer d’une méthode opératoire pour analyser cet imaginaire. Daniel Arasse a proposé de traquer les écarts entre la représentation donnée par une œuvre individuelle et celles qui ont un sujet identique ou approchant et qui, cumulées, constituent une sorte de norme collective. Pour y parvenir, il faut se dégager du poids de l’imitation et de la théorie de la mimésis dans la peinture occidentale et rompre avec l’iconographie de Panofsky, auquel il reproche d’avoir renoncé aux ambitions premières de son iconologie et, ce faisant, à la notion de forme symbolique et à la conception de la forme de l’œuvre d’art comme résultat d’un « acte de configuration ». Entre autres éléments de cette méthode, le détail prend ainsi une importance nouvelle par rapport à sa fonction traditionnelle d’aide à l’identification des auteurs que lui assignait un Giovanni Morelli. Tout en refusant l’approche psychologique traditionnelle, il s’est efforcé de développer une « iconographie analytique141 » qui prenne en compte les apports théoriques de la psychanalyse en évitant les écueils de la « psychanalyse appliquée » et s’appuie sur le concept de « figurabilité » développé par Louis Marin142. Les nombreuses études issues de cette démarche en démontrent amplement la richesse143.
55Mais Arasse comme Georges Didi-Huberman insistent sur le fait que si l’on prend la peine, au-delà des écrits de Gombrich et de Panofsky, de remonter jusqu’aux travaux d’Aby Warburg, on y trouve des éléments d’analyse pour cerner l’apport personnel (idéel, pourrions-nous dire) de Botticelli, une fois éclaircis et démêlés les conditions politiques et sociales de la production des œuvres et les aspects matériels de leur réalisation. Georges Didi-Huberman montre ainsi que l’on peut dépasser la compréhension de « l’image fantôme » expression du rêve et du souvenir, évoquée dans les interprétations du Printemps, et partir des découvertes de Warburg pour pousser l’analyse. Ce dernier s’est en effet efforcé de repérer des images porteuses de ce qu’il appelle des « formules émotives » (Pathosformeln) dont la survivance (Nachleben) – à distinguer de l’imitation – chez les artistes du xive au xviie siècle résulte de l’hétérogénéité et de la variété des références dont disposent les artistes : la Renaissance, n’ayant jamais « créé aucun style organique propre144 », est « impure ».
56Parmi ces formules, une place de choix est dévolue à une figure allégorique qui est encore aujourd’hui, en dépit de sa longue tradition gréco-latine, associée à l’art florentin et en particulier à Botticelli qui en a donné les figurations canoniques dans la Naissance de Vénus et le Printemps, la Ninfa : porteuse de la tension du désir et de l’éros, celle-ci « s’incarne […] femme autant que déesse ». L’émotion psychique opère ici par l’intermédiaire d’une forme dont l’artiste est le démiurge. Le mouvement, l’agencement des gestes et des vêtements créent une intensité expressive génératrice d’une empathie et d’une tension qui font affleurer le désir. « Les “formules de pathos” sont les symptômes visibles […] d’un temps psychique irréductible à la simple trame des péripéties145 ». Mais l’image exprime encore autre chose, et l’on doit voir aussi en elle un symptôme, retour du refoulé et de l’innommable que Warburg avait lui-même expérimenté lors de sa propre crise psychotique146. Georges Didi-Huberman se livre à une démonstration magistrale de décodage de l’image-symptôme dans son analyse des panneaux de spalliere, peints par les membres de l’atelier de Botticelli d’après les dessins du maître contant d’après Boccace l’Histoire de Nastagio degli Onesti. Quand le chasseur maudit extrait le cœur du corps nu de la jeune femme qu’il vient d’abattre, la nudité idéale, celle de la Vénus de la Naissance de Vénus ou de la Vérité dans la Calomnie d’Apelle est confrontée à la nudité cruelle d’une Vénus éviscérée, éternellement mise à mort, laissant transparaître l’informe derrière le contrôle souverain de la forme. Comme dans un mauvais rêve, la pulsion de mort et la violence du désir sexuel remontent en surface. Botticelli conduit à Georges Bataille et au marquis de Sade. Comme l’observe Didi-Huberman, l’inquiétude de Savonarole à l’égard des peintres florentins n’était pas sans fondements147.
57Les œuvres d’art sont donc, tout autant (sinon plus du fait de la puissance spécifique de l’image) que les textes littéraires148 et les compositions musicales, des indicateurs précieux sur l’imaginaire des sociétés anciennes. Elles le sont à bien des égards, et le programme Signs and States comme ceux sur la genèse de l’État moderne qui l’ont précédé leur ont réservé une part importante, notamment sous l’angle évident des rapports entre art et pouvoir149. Mais cette recherche de l’individualité créatrice de Botticelli nous a conduits dans une autre voie : la part d’imaginaire que l’analyse des œuvres d’art permet de déceler révèle les facettes psychiques de l’artiste où l’engagement esthétique occupe une place centrale. L’exemple de Botticelli montre qu’il existe un espace où la recherche peut s’aventurer, au-delà des domaines plus souvent explorés de l’insertion économique, sociale et politique de l’artiste où sa contribution individuelle à l’imaginaire risque d’être obscurcie et déformée par les relations qu’il entretient avec ses commanditaires et leur cercle de conseillers artistiques. C’est dans cet espace que nous avons quelque chance de relever les traces de son engagement.
58L’historien s’aventure rarement dans cet espace, qui ne lui est pas familier. D’une façon générale, il ne peut s’y risquer qu’en s’appuyant sur le travail des historiens d’art, non seulement en raison de leurs compétences spécifiques qu’il ne possède pas, mais encore parce qu’ils entretiennent avec la psychanalyse un rapport plus familier et plus détendu à la fois. L’historien ne doit cependant pas se dispenser de l’étude de l’imaginaire dans un champ de recherche comme celui du pouvoir symbolique : il y trouve un type d’engagement différent de ceux qu’il observe par exemple dans l’action politique, un engagement qui est lui-même de l’ordre de l’idéel, et dans le cas du peintre, le plus souvent d’ordre esthétique. C’est ce qui se passe avec Botticelli. On peut distinguer dans cet engagement deux niveaux au moins. Le premier, avant tout esthétique, est de l’ordre de la représentation : de ses débuts jusqu’à ses dernières compositions, le peintre est resté fidèle à une conception de la représentation fondée sur la construction abstraite d’un dispositif théâtral sur lequel il dessine, avec une précision extraordinaire, ses figures qu’il fige dans un mouvement arrêté. L’engagement de l’artiste est avant tout une adhésion à un système formel, original par rapport à celui de ses contemporains, et qui s’oppose notamment à celui des peintres de la « manière douce », son propre élève Filippino Lippi, le Pérugin et bientôt Raphaël, qui vont finir par le faire passer de mode. Mais dans ce système formel, le parti pris de l’abstraction qui sous-tend la construction de l’image (scène de théâtre et construction mathématique) permet de créer une atmosphère de rêve éveillé qui laisse affleurer, à travers le jeu des images symptômes et des formules émotives, l’inconscient de l’artiste. Il nous informe sur la société à laquelle il appartient par son individualité même, non pas en exprimant un quelconque inconscient collectif.
59Le second niveau est plutôt d’ordre culturel : c’est le choix d’une culture vernaculaire, c’est-à-dire d’autant plus accessible aux laïcs, qu’il s’agisse de traduire des mythologies ou les dogmes du christianisme, que celles-ci sont transposées dans la Florence contemporaine : tout dans cette peinture nous ramène à la cité dans laquelle vit le peintre et pour les citoyens de laquelle il travaille. Ses Madonnes comme ses Ninfe sont habillées en bonnes florentines, le décor architectural de la ville est souvent là, et la proximité de ses images avec les innombrables fêtes civiques, processions et représentations sacrées qui scandent le temps de la ville crée un puissant effet de familiarité. De même, si la richesse et l’excès de culture savante de certains tableaux impressionnent, les chansons et les poèmes en bon toscan sont tout autant mis en évidence150. Cette emprise nouvelle du vernaculaire s’observe d’ailleurs en d’autres lieux, mais sous des formes différentes qui renforcent d’autant la singularité de Botticelli151.
60S’il produit pour ses commanditaires les images qu’ils recherchent et qu’ils sont prêts à payer, il peint en même temps – surtout ? – pour lui : c’est bien en cela qu’il se peint, restant fidèle à son art et à son esthétique, même s’ils évoluent au gré des bouleversements culturels et politiques que connaît alors Florence. Par leur force et leur écho, son propre système de représentation et les valeurs auxquelles il a su donner forme par son invention et son engagement esthétique s’intègrent aux structures du système de communication lui-même et le transforment de l’intérieur. C’est la force, la singularité et l’efficacité de cet engagement qui fait qu’au Quattrocento comme aujourd’hui, ceux qui voient ces œuvres sont toujours affectés par elles, sans nécessairement connaître et comprendre les textes qui les sous-tendent et qui plongent d’ailleurs encore les plus experts dans des abîmes de perplexité. Il en allait d’ailleurs probablement de même autrefois : Isabelle la Catholique aurait-elle choisi pour fermer son reliquaire un panneau si elle avait soupçonné qu’il était inspiré par Savonarole ?
Notes de bas de page
1 J.-P. Genet, « Pouvoir symbolique, légitimation et genèse de l’État moderne », dans id. (dir.), La légitimité implicite, Rome/Paris, École française de Rome/Publications de la Sorbonne (Le pouvoir symbolique en Occident [1300-1640], 1), 2015, vol. 1, p. 1-39.
2 J. Wirth, L’image à la fin du Moyen Âge, Paris, Cerf, 2011.
3 H. Belting, Image et culte. Une histoire de l’art avant l’époque de l’art, Paris, Cerf, 1998 [1990].
4 L’étude fondatrice est H. P. Horne, Alessandro Filipepi Commonly Called Sandro Botticelli, Painter of Florence, Londres, Georges Bell and Sons, 1908 (la version italienne éditée par C. Caneva a des Addenda, Florence, Studio per edizioni Scelte, 1987, 2 vol.). J’ai utilisé, malgré les réserves féroces de J. Pope-Hennessy (Selected Book Reviews of John Pope-Hennessy, Florence, Olschki, 1994, p. 93-97), R. Lightbown, Sandro Botticelli, Londres, Elek, 1978, 2 vol., le vol. 2 étant le catalogue, et A. Cecchi, Botticelli, Milan, Motta, 2005 [trad. fr. : Arles, Actes Sud, 2008].
5 M. O’Malley, « Responding to Changing Taste and Demand : Botticelli after 1490 », dans G. J. Van der Sman, I. Mariani (dir.), Sandro Botticelli (1445-1510). Artist and Entrepreneur in Renaissance Florence, Florence, Centro Di, 2015, p. 100-119, et ead., Painting under Pressure : Fame, Reputation and Demand in Renaissance Florence, New Haven/Londres, Yale University Press, 2015. M. O’Malley compare les quatre peintres clés de la Florence de la fin du xve siècle, Botticelli, Ghirlandaio, Perugino et Filippino Lippi (Vinci est à Milan et Michelangelo se consacre à la sculpture), en tant qu’entrepreneurs, s’intéressant à leurs ateliers et à leur adaptation aux changements de la demande.
6 D. Arasse, « La manière de Botticelli », dans id., P. De Vecchi, P. Nitti (dir.), Botticelli. De Laurent le Magnifique à Savonarole, Paris, Musée du Luxembourg, 1er octobre 2003-22 février 2004 et Florence, Palazzo Strozzi, du 10 mars 2003 au 11 juillet 2004, Milan, Skira, 2003, p. 13-23, à la p. 16.
7 Voir le tableau dans M. O’Malley, « Responding to Changing Taste… », art. cité, p. 104-105.
8 M. Baxandall, L’œil du Quattrocento. L’usage de la peinture dans l’Italie de la Renaissance, Paris, Gallimard, 1985 [1972], p. 9-46. Mais ceci ne vaut sans doute que pour les commandes les plus prestigieuses. Pour C. E. Gilbert (« What Did the Renaissance Patron Buy ? », Renaissance Quarterly, 51/2, 1998, p. 1392-1450), la plupart des commandes sont peu sophistiquées, se contentant d’indiquer un sujet et de spécifier le prix des matériaux les plus coûteux (bleu, or) : il s’appuie sur 75 contrats publiés par J. Larner, Culture and Society in Italy, 1290-1420, Londres, Batsford, 1971, et par D. Chambers, Patron and Artists in the Italian Renaissance, Londres, Macmillan, 1970.
9 Voir J. Burke, Changing Patrons. Social Identity and the Visual Arts in Renaissance Florence, University Park, Pennsylvania State University Press, 2004, qui étudie le patronage de deux familles nobles, les Nasi et les Del Pugliese.
10 R. Goldthwaite, Wealth and the Demand for Art in Italy, 1300-1600, Baltimore/Londres, John Hopkins Press, 1993 ; M. Fantoni, L. C. Matthew, S. F. Matthews-Grieco (dir.), The Art Market in Italy, 15th-17th Centuries/Il Mercato dell’Arte in Italia, secc. XV-XVII, Modène, Pannini, 2003 ; G. Guerzoni, Apollo e Vulcano. I mercati artistici in Italia, 1400-1700, Venise, Marsilio, 2006. Pour Florence, L. Sebregondi, T. Parks (éd.), Money and Beauty. Bankers, Botticelli and the Bonfire of the Vanities, Florence/Milan, Giunti, 2011.
11 F. Franceschi, « The Merchant-Bankers in 15th-Century Florence », dans L. Sebregondi, T. Parks (éd.), Money and Beauty…, op. cit., p. 37-45, résume les travaux des historiens économistes (De Roover, Goldthwaite, Tognetti) et rappelle que les Medici ont accumulé 629 000 florins entre 1397 et 1450, dont pas moins de 440 000 sont allés dans les poches de la famille. Des agents moins importants font des profits considérables : en 1485-1489, les frères Capponi gagnent 19 324 florins et de 1455 à 1459, le taux de profit de la branche romaine des Cambini est de 30 %.
12 Botticelli a débuté comme orfèvre et plusieurs membres de sa famille produisaient des feuilles d’or pour les peintres. Membre depuis 1472 de la compagnie des peintres de San Luca, il appartiendra à la fin de sa vie au métier des médecins et des apothicaires.
13 P. Génin-Jean, Prix des œuvres d’art et hiérarchie des valeurs artistiques au temps des Médicis, Lille, Atelier national de reproduction des thèses, 1998.
14 Voir S. Kubersky-Piredda, « Immagini devozionali nel Rinascimento fiorentino : produzione, commercio, prezzi », dans M. Fantoni, L. C. Matthew, S. F. Matthews-Grieco (dir.), The Art Market…, op. cit., p. 115-125, notamment p. 123 et 125 : le prix le plus élevé d’une peinture dévotionnelle du Quattrocento est 30 florins pour un tondo de Botticelli (d’après le Ph.D. de J. K. Lydecker, The Domestic Settings of the Arts in Renaissance Florence, Indiana University, 1987).
15 M. O’Malley, Painting under Pressure…, op. cit., p. 95-123, avec un tableau p. 120-123 comparant les prix et les surfaces des commandes de Filippino Lippi, Ghirlandaio, Perugino et Botticelli.
16 R. J. Zeckhauser, « Private Chapels in Florence : a Paradise for Signalers », dans J. K. Nelson, R. J. Zeckhauser (éd.), The Patron’s Payoff. Conspicuous Commissions in Italian Renaissance Art, Princeton/Oxford, Princeton University Press, 2008, p. 113-132. R. J. Zeckhauser est un économiste et élève de M. Spence.
17 D’après J. K. Nelson, R. J. Zeckhauser, « Private Chapels in Florence : a Paradise for Signalers », chap. 5 de The Patron’s Payoff…, op. cit., p. 127. La répartition en catégories des familles florentines est fondée sur A. Molho, Marriage Alliance in Late Medieval Florence, Cambridge, Harvard University Press, 1994.
18 S. Greenblatt, Renaissance Self-Fashioning. From More to Shakespeare, Chicago, University of Chicago Press, 1980.
19 R. Trexler, Public Life in Renaissance Florence, Ithaca/Londres, Cornell University Press, 1991, p. 92, que je paraphrase ici : the more honourable the material, the more valuable the object to the patron ; the more honourable the patron whose arms stood on the frame, the more valuable the object to those who viewed it.
20 Giovanni Pontano, I libri delle virtù sociali, éd. par F. Tateo, Rome, Bulzoni, 1999.
21 C. E. Gilbert, « What Did the Renaissance Patron Buy ? », art. cité supra, p. 399.
22 A. C. Blume, « Botticelli and the Cost and Value of Altarpieces in Late Fifteenth-Century Florence », dans M. Fantoni, L. C. Matthew, S. F. Matthews-Grieco (dir.), The Art Market…, op. cit., p. 151-161.
23 C. Acidini Luchinat, Botticelli. Les allégories mythologiques, Paris, Gallimard, 2001, p. 12.
24 A. Cecchi, Botticelli, op. cit., p. 161. Elles seront effacées en 1494, à la chute de Piero de Medici.
25 R. Lightbown, Sandro Botticelli, op. cit., vol. 1, p. 44-46, et vol. 2, p. 35-37 ; id., Sandro Boticelli : Life and Works, Londres, Thames and Hudson, 1989 [trad. fr. : Paris, Mazenod, 1989], p. 66-68 ; surtout, R. Hatfield, Botticelli’s Uffizi « Adoration ». A Study in Pictorial Content, Princeton, Princeton University Press, 1976.
26 Elle sera détruite en 1569 par Vasari, et ce n’est que récemment que l’on a récupéré une petite fresque faisant partie de la décoration, La Nativité et le Jeune Jean Baptiste.
27 R. Hatfield, Botticelli’s Uffizi « Adoration »…, op. cit., p. 40 et 110.
28 Ibid., p. 60-66.
29 Veuf en 1480, il se remarie et a une fille, Francesca, qui détournera les sommes destinées à la fondation de la chapelle au profit de ses enfants : Santa Maria Novella ne récupérera la chapelle qu’en 1522.
30 R. Hatfield, Botticelli’s Uffizi « Adoration »…, op. cit., p. 68-100.
31 K. Langedijk, De portretten van de Medici tot omstreeks 1600, thèse, Amsterdam, Assen, 1968.
32 Pour R. Lightbown (Sandro Botticelli, op. cit., vol. 1, p. 44-46, et vol. 2, p. 35-37), les Medici, sans doute parce que Lama veut les honorer, sont présents sur le tableau, mais dans une autre disposition, celle, traditionnelle, de H. Ulmann, Sandro Botticelli, Munich, Verlagsanstalt für Kunst und Wissenschaft, 1893 ; Cosimo et ses deux fils Piero (au centre) et Giovanni (à sa droite), tous trois morts depuis longtemps (Cosimo en 1464, Piero en 1469 et Giovanni dès 1463), sont les trois rois mages, et Giuliano et Laurent sont au premier rang des membres de leur suite, Giuliano à droite, Laurent à gauche. Le personnage isolé à droite serait Botticelli (identifié d’après une étude préparatoire). Giuliano est le personnage de gauche qui tient une épée, l’homme derrière lui étant Politien ou Pic de la Mirandole.
33 Sur ce personnage, voir désormais S. Ebert, Botticelli – Signorelli – Michelangelo. Zur Kunstpolitik des Lorenzo di Pierfrancesco de’ Medici, Berlin/Munich, Deutscher Kunstverlag, 2016 : rédigé avant sa parution, cet article ne tient que partiellement compte de ses apports. Lorenzo et son frère, Giovanni (dont le petit-fils est le grand-duc Cosme Ier), sont les petits-fils d’un Lorenzo, frère de Cosme l’Ancien et grand-père du Magnifique.
34 Ibid., p. 32-70. Il est mort en 1503.
35 W. Smith, « On the Original Location of the “Primavera” », The Art Bulletin, 57, 1975, p. 31-40. Les inventaires sont publiés dans J. Shearman, « The Collections of the Younger Branch of the Medici », The Burlington Magazine, 117, 1975, p. 12-27, et surtout dans S. Ebert, Botticelli – Signorelli – Michelangelo…, op. cit., p. 282-481.
36 S. Ebert, Botticelli – Signorelli – Michelangelo…, op. cit., p. 112, pour le plan, et p. 113-140 pour la disposition.
37 Ibid., p. 213-214 : les trois œuvres, on le verra plus loin pour le Printemps et Pallas et le Centaure, peuvent être lues comme l’affirmation d’un projet politique de prise du pouvoir par Lorenzo di Pierfrancesco ; c’est particulièrement net pour la Madonna dei Candelabri car le livre ouvert posé sur l’accoudoir du trône de la Vierge est ouvert à la page du psaume royal (Psaume 45, 3-5), exhortant le roi à prendre les armes et à régner, dont on lit distinctement les premiers mots – mais en écriture hébraïque.
38 Ibid., p. 236. La Vierge est représentée devant une scène arcadienne, allusion à la prophétie de la Sybille Tiburtine qui annonce le retour de l’âge d’or lié à la naissance d’un enfant en Arcadie, ce que raconte la 4e églogue de Virgile. C’est aussi un tableau politique.
39 Ibid., p. 28.
40 C. Acidini Luchinat, Botticelli. Les allégories mythologiques, op. cit., p. 29-38 ; R. Lightbown, Sandro Botticelli, op. cit., vol. 2, p. 51-53 ; id., Sandro Boticelli : Life and Works, op. cit., p. 123-145 ; mais S. Ebert montre que ce lit était plutôt le canapé qui se trouvait dans l’antichambre du palais de la Via Larga.
41 H. Bredekamp, Botticelli. La Primavera. Florenz als Garter der Venus, Berlin, Wagenbach, 2002 [1988].
42 S. Ebert, Botticelli – Signorelli – Michelangelo…, op. cit., p. 192-206.
43 C. Acidini Luchinat, Botticelli. Les allégories mythologiques, op. cit., p. 109-114.
44 L’aspect érotique du tableau est souligné par la parodie qu’en donne Piero di Cosimo, où le discret froissement du tissu produit par la main gauche de Vénus à l’endroit de son sexe est explicité « de façon rustique » par un lapin trop grand pour être un cuni[culus] : D. Arasse, « Piero di Cosimo. L’excentrique des origines », L’Excès, nouvelle revue de psychanalyse, 43, 1991, p. 125-149, réimprimé dans id., Le Sujet dans le tableau, Paris, Flammarion (Champs, 649), 2006, p. 95-98, et Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture, Paris, Flammarion (Champs, 624), 1996 [1992], p. 328-329.
45 C. Dempsey, Inventing the Renaissance Putto, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2001, p. 107-146.
46 Id., The Early Renaissance and Vernacular Culture, Cambridge/Londres, Harvard University Press, 2012, p. 86.
47 Ibid., dans son chapitre « Sandro Botticelli and Angelo Poliziano : Humanist Learning and the Vernacular », p. 69-115.
48 A. Warburg, La Naissance de Vénus et le Printemps de Sandro Botticelli : étude des représentations de l’Antiquité dans la première Renaissance italienne, Paris, Allia, 2007 [1893].
49 C. Dempsey, The Early Renaissance…, op. cit., p. 83.
50 Ibid., p. 84 : The independence of Poliziano’s reconstruction of Apelles’ Venus Amadyomene on the basis of the statue of Venus pudica and Botticelli’s depiction of the goddess in his Birth of Venus constitutes an hapax legomenon and can be explained only by assuming a collaboration between the humanist and the painter in imagining Venus’s appearance.
51 A. Cecchi, Botticelli, op. cit., p. 15.
52 F. Zöllner, Botticelli. Images of Love and Spring, Munich/Londres/New York, Prestel, 1998, p. 82-99, insiste sur l’importance des roses qui volent dans les cieux. La naissance du rosier est en effet symétrique de la naissance de Vénus.
53 C. Dempsey, The Portrayal of Love. Botticelli’s Primavera and Humanist Culture at the Time of Lorenzo the Magnificent, Princeton, Princeton University Press, 1992.
54 Voir L. Cheney, Quattrocento Neoplatonism and Medici Humanism in Botticelli’s Mythological Paintings, Lanham/Londres, University Press of America, 1985, résume ces interprétations ; J. Snow-Smith, The Primavera of Sandro Botticelli. A Neoplatonic Interpretation, New York, Lang, 1993, distingue clairement trois niveaux, le niveau littéral, le niveau allégorique et le niveau moral, la scène devenant alors une représentation du rapt de Proserpine par Pluton qui symbolise la lente montée de l’âme vers la lumière.
55 G. Reale, Botticelli. La Primavera o le Nozze di Filologia e Mercurio. Rilettura di carattere filosofico ed ermeneutico del capolavoro di Botticelli con la prima presentazione analitica dei personaggi e dei particolari simbolici, Rimini, Idea Libri, 2001 ; C. La Malfa, « Firenze e l’allegoria dell’eloquenza : una nuova interpretazione della Primavera », Storia dell’arte, 97, 1999, p. 243-293, et C. Villa, « Per una lettura della Primavera : Mercurio retrogrado e la Retorica nella bottega di Botticelli », Strumenti Critici, 86/13, 1998, p. 1-28.
56 H. Bredekamp (Botticelli. La Primavera…, op. cit.) date le tableau de 1485, après la fin de la tutelle de Laurent le Magnifique sur Lorenzo di Pierfrancesco dei Medici, qui peut dès lors être commanditaire de l’œuvre, et il y voit une représentation des succès de la Florence des Medici, vision développée par E. Guidoni, La Primavera di Botticelli. L’armonia tra le città nell Italia di Lorenzo il Magnifico, Rome, Kappa, 2005 : Flora représentant Florence, Mercure, Milan, Vénus, Venise, etc. : H. Bredekamp, Sandro Botticelli. Le « Printemps », Florence, jardin de Vénus, Paris, Monfort, 2000. Cette vision est reprise par S. Ebert.
57 M. Levi d’Ancona, Botticelli’s Primavera : a Botanical Interpretation Including Astrology, Alchemy and the Medici, Florence, Olschki, 1983. Elle ajoute Dioscoride aux sources du tableau et voit dans Flora la célébration par Giuliano de la grossesse de sa maîtresse (Fioretta Gorini) enceinte de son fils posthume (le pape Clément VII, né en mai 1478), ce qui implique que l’œuvre a été commencée en 1478, pour être reprise ensuite pour le mariage de Lorenzo : schéma compliqué, Giuliano étant alors fiancé à Semiramide Appiani, future épouse de Lorenzo et par ailleurs nièce de Simonetta Vespucci.
58 M. Baxandall rappelle à ce propos que Laurent le Magnifique avait composé une « Danse de Vénus » (L’œil du Quattrocento…, op. cit., p. 124).
59 Pour Floris/Chlora, A. Warburg, Essais florentins, Paris, Klincksieck, 2003, p. 73-74, montre que si la scène représentée correspond au récit de Flora dans les Fastes, Botticelli illustre en fait la fuite de Daphné devant Apollon d’après les Métamorphoses d’Ovide.
60 F. Zöllner, Botticelli. Images of Love…, op. cit., p. 52.
61 Ibid., p. 52-54, citant les travaux de E. Solmi.
62 « La Giostra “romanza” di Lorenzo del 1469 », dans P. Ventrone (éd.), « Le tems revient. ‘L tempo si rinuova. » Feste e spettacoli nella Firenze di Lorenzo il Magnifico, Milan, Silvana, 1992, p. 167-187.
63 « La Giostra “classica” di Giuliano del 1475 », dans ibid., p. 189-205.
64 C. Dempsey, The Portrayal of Love…, op. cit., et « Portraits and Masks in the Art of Lorenzo de’ Medici, Botticelli, and Politian’s Stanze per la Giostra », Renaissance Quarterly, 52/1, 1992, p. 1-42.
65 Selected Book Reviews of John Pope-Hennessy, op. cit., p. 107.
66 Sur morts et vivants dans ces portraits, voir C. Dempsey, The Early Renaissance…, op. cit., p. 110-114.
67 C. Acidini Luchinat, Botticelli. Les allégories mythologiques, op. cit., citation p. 35 : comme elle le reconnaît, sa lecture « presqu’exclusivement historique […] n’invalide pas une lecture néo-platonicienne plus traditionnelle ».
68 C. Burroughs, « Talking with Goddesses : Ovid’s Fasti and Botticelli’s Primavera », Word & Image, 28/1, 2012, p. 71-83.
69 R. Lightbown, Sandro Botticelli, op. cit., vol. 1, p. 82-85, et vol. 2, p. 57-60.
70 S. Ebert, Botticelli – Signorelli – Michelangelo…, op. cit., p. 210, citant Michele Marullo, Hymni naturales, dans N. Thurn (éd.), Drei Neapolitanische Humanisten über der Liebe : lateinisch und deutsch und mit Anmerkungen versehen, St. Katherinen, Scripta-Mercaturae-Verlag (Itinera Classica, 3), 2002, p. 190-195.
71 F. Zöllner, Botticelli. Images of Love…, op. cit., p. 69-79.
72 B. Prévost, Botticelli : le manège allégorique, Paris, Éditions 1:1, 2011, p. 13-32, citation p. 31.
73 Le mot grec est diabolè, qui signifie « délation » et non calomnie : J. M. Massing, Du texte à l’image. La Calomnie d’Apelle et son iconographie, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1990, p. 7. Voir aussi S. Meltzoff, Botticelli, Signorelli and Savonarola. Theologia Poetica and Painting from Boccaccio to Poliziano, Florence, Olschki (Biblioteca di Lettere Italiane. Studi e Testi, 33), 1987, p. 273-283 ; M. Cali, « La Calumnia del Botticelli e il Savonarola », Arte Documento, 3, 1989, p. 88-99 ; F. Mariani Zini, « Le jugement suspendu : la calomnie à Florence », Traditio, 53, 1998, p. 231-249 ; D. Arasse, Le Détail…, op. cit., p. 163-167.
74 N. Pons, « La calomnie », dans D. Arasse, P. De Vecchi, P. Nitti (dir.), Botticelli. De Laurent le Magnifique à Savonarole…, op. cit., p. 140.
75 Sur les diverses traductions, E. Mattioli, Luciano e l’umanesimo, Naples, Istituto Italiano per gli Studi Storici, 1980, et J. M. Massing, Du texte à l’image…, op. cit. Les traductions italiennes sont peu diffusées par rapport au résumé d’Alberti : Leon Battista Alberti, De la Peinture/De Pictura (1435), trad. par J.-L. Scherer, Paris, Macula, 1992, p. 212-215.
76 J’ai emprunté les termes appliqués aux différents personnages dans son résumé du texte de Lucien (et non du tableau) par F. Mariani Zini, « Le jugement suspendu… », art. cité, p. 232.
77 R. Lightbown, Sandro Botticelli, op. cit., vol. 1, p. 122-126.
78 F. Nicosia, « La Calunnia d’Apelle », dans Sandro Botticelli. Pittore della Divina Commedia, Milan, Skira, 2000, vol. 1, p. 156-157.
79 S. Meltzoff, Botticelli, Signorelli and Savonarola…, op. cit., p. 273-280.
80 Sur la theologia poetica, A. Chastel, Marsile Ficin et l’art, Genève, Droz, 1996, 3e éd. [1954], et C. Trinkhaus, « In our image and likeness ». Humanity and Divinity in Italian Humanist Thought, Londres, Constable, 1970, 2 vol.
81 P. Lee Rubin, Images and Identity in Fifteenth-Century Florence, New Haven/Londres, Yale University Press, 1977, p. 266.
82 B. Prévost, Botticelli : le manège allégorique, op. cit., p. 33-58.
83 B. Prévost parle de « mouvement longitudinal particulièrement marqué » (ibid., p. 34).
84 F. Keim, Sandro Botticelli. Die astronomischen Werke, mit einem Anhang zu Raffael, Hambourg, Verlag D. Kovac (Schriften zur Kunstgeschichte, 54), 2015, p. 44-47.
85 F. Mariani Zini, « Le jugement suspendu… », art. cité, p. 248-249.
86 Se reporter à l’excellente présentation du rôle religieux et politique de Savonarole dans J.-L. Fournel, J.-C. Zancarini, Sermons, écrits politiques et pièces du procès, Paris, Seuil, 1993, p. 7-47.
87 Extraits de la Cronaca de Simone Filipepi dans P. Villari, E. Casanova, Scelte de prediche e scritti di fra Girolamo Savonarole, Florence, Sansoni, 1898, p. 453-518.
88 A. Cecchi, Botticelli, op. cit., p. 296.
89 G. Cornini, « Chronologie », dans D. Arasse, P. De Vecchi, P. Nitti (dir.), Botticelli. De Laurent le Magnifique à Savonarole…, op. cit., p. 235.
90 M. Feuillet, Botticelli et Savonarole : l’humanisme à l’épreuve du feu, Paris, Cerf (Histoire), 2010, p. 120-124.
91 Voir infra.
92 T. Carattù, « Christ au Jardin des oliviers », dans D. Arasse, P. De Vecchi, P. Nitti (dir.), Botticelli. De Laurent le Magnifique à Savonarole…, op. cit., p. 158-160. L’œuvre est rapprochée à la fois de la Nativité mystique et des illustrations pour la Divine Comédie.
93 D. Dombrowski, Die Religiösen Gemälde Sandro Botticellis. Malerei als pia philosophia, Berlin/Munich, Deutscher Kunstverlag, 2010, p. 376, n. 181.
94 T. Carattù, « Christ au Jardin des oliviers », art. cité, p. 160. Voir infra, note 99, pour les illustrations des impressions incunables des textes de Savonarole.
95 E. Dafra, « Épisodes de la vie de Virginie », dans D. Arasse, P. De Vecchi, P. Nitti (dir.), Botticelli. De Laurent le Magnifique à Savonarole…, op. cit., p. 152-156 : la commande Vespucci étant mal documentée, E. Dafra propose de lui substituer une commande piagnone, les deux épisodes puisés dans Tite-Live évoquant des drames ayant conduit à une révolte populaire et à une mise en échec de la tyrannie et même, dans le cas de Lucrèce, à l’instauration de la République à Rome. Mais ces éléments pouvaient aussi être repris à leur compte par des républicains fervents comme les Vespucci, tout oligarques qu’ils soient.
96 A. Cecchi, Botticelli, op. cit., p. 340-341.
97 D. Dombrowski, Die Religiösen Gemälde Sandro Botticellis…, op. cit., p. 325-346. L’auteur associe à cette œuvre l’Annonciation Lehmann du Metropolitan Museum de New York, qui en serait une prédelle.
98 Ibid., p. 349-351 ; J. Mesnil, Botticelli, Paris, Albin Michel, 1938, p. 167-168.
99 Ibid., p. 416-417 (voir aussi les illustrations 231 à 236, aux p. 580-581). Savonarole est crédité d’une bonne connaissance du milieu artistique florentin et d’une bonne capacité à choisir les meilleures illustrations pour la publication de ses œuvres chez Botticelli, Filippino Lippi, Domenico Ghirlandaio, Bernardo Cennini ou Alunno di Domenico (Bartolomeo di Giovanni ?) : P. Ventrone, Teatro civile e sacra rappresentazione a Firenze nel Rinascimento, Florence, Le Lettere, 2016, p. 303-308 et 311-318.
100 P. Ventrone, Teatro civile e sacra rappresentazione…, op. cit., p. 392.
101 Ibid., p. 357-361 ; N. Pons, « Vierge avec l’Enfant étreignant le petit saint Jean », dans D. Arasse, P. De Vecchi, P. Nitti (dir.), Botticelli. De Laurent le Magnifique à Savonarole…, op. cit., p. 150-151.
102 F. Nicosia, dans G. Morello, A. M. Petrioli, H. T. Schulze Altcapenberg (dir.), Sandro Botticelli : pittore della Divina Commedia, Milan, Skira, 2000, vol. 1, p. 101-102 [catalogue].
103 A. Cecchi, Botticelli, op. cit., p. 335 et 364 (n. 123).
104 R. Hatfield, « Botticelli’s Mystic Nativity, Savonarole and the Millenium », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 58, 1995, p. 89-114.
105 Peut-être un membre de la famille Aldobrandini : R. Lightbown, Sandro Botticelli, op. cit., vol. 2, p. 100.
106 A. Cecchi, Botticelli, op. cit., p. 348, propose « [précipité] » pour le mot manquant à la fin du texte ; R. Hatfield, « Botticelli’s Mystic Nativity… », art. cité, p. 98, donne aussi le texte grec.
107 Cette disposition correspond à une machine scénique du même type que celles mises en œuvre pour les spectaculaires représentations religieuses (L’Annonciation, L’Ascension, La Pentecôte) offertes en mars 1471 à l’occasion de leur visite au duc de Milan Galeazzo Maria Sforza et à son épouse Bonne de Savoie. La visite ayant lieu pendant le Carême, toute autre forme de divertissement était interdite. Les fanciulli déguisés en anges sont attachés à un cercle mis en mouvement par un mât et tournoient en chantant dans un ciel paradisiaque, comme les douze anges de la Nativité : P. Ventrone (éd.), « Le tems revient. ‘L tempo si rinuova. »…, op. cit., p. 207-208, et pour une maquette de la disposition scénique mise en regard de la Nativité mystique, p. 218-219.
108 Pour leur contenu, R. Lightbown, Sandro Botticelli, op. cit., vol. 2, p. 99 ; pour R. Hatfield (« Botticelli’s Mystic Nativity… », art. cité, p. 94), les douze « privilèges de la Vierge » énumérés par Savonarole dans son Compendio di revelatione publié en 1495 sont la source de ces cartouches.
109 J. Pope-Hennessy, Sandro Botticelli. The Nativity in the National Gallery, London, Londres, National Gallery (The Gallery Books, 15), 1947.
110 R. Hatfield, « Botticelli’s Mystic Nativity… », art. cité, p. 98-103.
111 R. Hatfield, « Botticelli’s Mystic Nativity… », art. cité, p. 104-106.
112 La première met en avant les fanciulli de Pietro Bernardo (voir supra à propos des bandes d’enfants), la seconde fait du tableau une proclamation millénariste (et donc hérétique).
113 Soit quarante-deux mois : le chiffre 42, soit six (chiffre du manque) multiplié par sept, désignant la plénitude du mal ; ou quatorze (nombre correspondant en hébreu aux lettres de « David ») marquant la plénitude de présence du Messie : J. Grosjean, n. 2, p. 883, dans La Bible. Nouveau Testament, Paris, Gallimard (La Pléiade), 1971. C’est cette traduction qui est utilisée dans les lignes qui suivent.
114 Commenté par Savonarole dans son sermon pour l’assomption de la Vierge en 1496 : R. Hatfield, « Botticelli’s Mystic Nativity… », art. cité, p. 96, et Jérôme Savonarole, Prediche del reverendo padre frate Hieronymo da Ferrara facte l’anno 1496 ne’ giorni delle feste, Florence, s. n., 1500, réédité dans V. Bernardi (éd.), Prediche sopra Ruth e Michea, Rome, Belardetti, 1962, vol. 2.
115 Il en avait fait le thème de son sermon prêché le jour du Dimanche des Rameaux en 1496, et une procession où les fanciulli, vêtus de blanc, rouge et vert, et portant des palmes et des rameaux d’oliviers, avaient suivi : Jérôme Savonarole, Prediche quadragesimale del reverendo Frate Ieronimo Savonarola da Ferrara…, Venise, s. n., 1539, réédité dans P. Ghiglieri (éd.), Prediche sopra Amos e Zacharias, Rome, s. n., 1972, vol. 3.
116 R. Hatfield, « Botticelli’s Mystic Nativity… », art. cité, p. 114.
117 C. Acidini Luchinat, Botticelli. Les allégories mythologiques, op. cit., p. 25, suggère le nom de Michele Marullo, Grec de Constantinople, qui pourrait avoir aidé Botticelli à rédiger l’inscription en caractères grecs. Mais il s’est noyé le 11 avril 1500, un an avant la date de celle-ci.
118 Sur ce personnage, voir désormais K. Schlebusch, Giorgio Antonio Vespucci, 1434-1514, Florence, Nerbini, 2017.
119 D. Weinstein, Savonarole et Florence, Paris, Calmann-Lévy, 1973 [1970], p. 117-118 et 249-254, et L. Polizzotto, « Savonarola and the Florentine Oligarchy », dans S. Fletcher, C. Shaw (éd.), The World of Savonarola. Italian Élites and Perceptions of Crisis, Aldershot, Ashgate, 2000, p. 55-64.
120 H.-T. Schulze Altacappenberg (éd.), Sandro Botticelli. The Drawings for Dante’s Divine Comedy, catalogue d’exposition (Berlin, Rome et Londres, 2000), Londres, Royal Academy, 2000 (désormais Drawings).
121 Id., « “per esser persona sofistica”. Botticelli’s Drawings for the Divine Comedy », dans ibid., p. 13-36.
122 P. Keller, « The Engravings of the 1481 Edition of the Divine Comedy », dans ibid., p. 326-333.
123 D. Dombrowski suggère une datation plus large, 1478-1498 : « Dante Drawings and the Limitations of Cultural History », dans ibid., p. 306-311.
124 D. Arasse, « La manière de Botticelli », art. cité, p. 18-21.
125 D. Dombrowski, « Dante Drawings… », art. cité, p. 299-300.
126 A. Warburg, Essais florentins, op. cit., p. 89.
127 Drawings, p. 203 (Purgatorio XXX).
128 Ibid., p. 200 (Purgatorio XXIX).
129 Ibid., p. 228 (Paradiso VI) et 231 (Paradiso VII).
130 Ibid., p. 200 (Paradiso IV) et 227 (Paradiso V).
131 Voir A. Warburg, Essais florentins, op. cit., p. 89 : « On est tenté de dire, à propos de certaines de ses figures féminines ou de certains de ses jeunes gens qu’ils viennent juste de sortir d’un rêve pour s’éveiller à la conscience du monde extérieur ; et bien qu’ils se tournent activement vers lui, les images du rêve hantent encore leurs esprits ». G. Didi-Huberman qui cite ce texte note qu’il a été écrit sept ans avant l’Interprétation des rêves de Freud (G. Didi-Huberman, Ouvrir Vénus : nudité, rêve, cruauté, Paris, Gallimard, 2001, p. 29).
132 R. Lightbown, Sandro Botticelli, op. cit., vol. 1, p. 183.
133 P. Ventrone, Teatro civile…, op. cit., p. 82-84.
134 Drawings, p. 265 (Paradiso XXIII).
135 Ibid., p. 45 (Inferno III), 49 (Inferno V) et 87 (Inferno XVIII).
136 G. Didi-Huberman, L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Minuit, 2002, p. 277-281 : pour lui, cette attitude de A. Warburg s’inscrit dans un courant de pensée qui voit l’histoire culturelle sous l’angle de la psychologie et rappelle la phrase de M. Bloch, « les faits historiques sont, par essence, des faits psychologiques ».
137 E. Mahieu, « Warburg et Binswanger : le savoir dans la fuite », Images Re-vues [en ligne], hors-série 4, 2013, document 2, mis en ligne le 30 janvier 2013, consulté le 13 juin 2019 : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/imagesrevues/2824.
138 D. Arasse, Le Sujet…, op. cit., p. 9-14, citation p. 9.
139 J.-P. Genet, « Pouvoir symbolique, légitimation… », art. cité, p. 9-47.
140 M. Godelier, L’imaginé, l’imaginaire et le symbolique, Paris, CNRS Éditions, 2015, p. 119.
141 D. Arasse, Le Sujet…, op. cit., p. 22-23. Voir le début de la note 24, p. 248 : « le terme d’“iconographie analytique” est choisi pour évoquer à la fois l’approche analytique de Freud (en particulier, L’Interprétation des rêves) et cette “iconologie analytique” dont Hubert Damisch pose les conditions et engage la pratique dans Le Jugement de Pâris ».
142 L. Marin, « Le concept de figurabilité, ou la rencontre entre l’histoire de l’art et la psychanalyse », dans id., De la représentation, Paris, Seuil/Gallimard, 1994 [1986], p. 62-70.
143 D. Arasse, Le Détail…, op. cit. : voir en particulier l’introduction, p. 5-17, et la postface, p. 389-412 ; voir aussi du même, On n’y voit rien. Descriptions, Paris, Denoël, 2000, et Histoires de peinture, Paris, Denoël, 2004, éd. par B. Comment et C. Bédard, transcription d’émissions diffusées sur France Culture en 2003. Il faut aussi citer son étude systématique, L’Annonciation italienne. Une histoire de perspective, Paris, Hazan, 1999.
144 G. Didi-Huberman, L’image survivante…, op. cit., p. 80-81.
145 Ibid., p. 274-281 (citation p. 281).
146 Il n’est pas inutile de rappeler que pendant la crise psychique qui conduisit Warburg à Kreuzlingen où, soigné par le psychiatre Ludwig Binswanger, il chercha à étrangler Ninfa, en fait une malheureuse infirmière : E. Mahieu, « Warburg et Binswanger… », art. cité.
147 G. Didi-Huberman, Ouvrir Vénus…, op. cit.
148 Voir par exemple A. Mairey, Une Angleterre entre rêve et réalité. Littérature et société dans l’Angleterre du xive siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007.
149 Problème évoqué dès 1985 par D. Arasse, « L’art et l’illustration du pouvoir », dans Culture et idéologie dans la genèse de l’État moderne, Rome, École française de Rome, 1985, p. 231-244.
150 C. Dempsey, The Early Renaissance…, op. cit., passim.
151 Sur ce problème, voir H. Belting, qui souligne l’importance de la volksprachliche Gebildeten, la peinture vernaculaire, combinaison du naturalisme avec de longues inscriptions en vernaculaire en prose ou en vers : « Das Bild als Text : Wandmalerei und Literatur im Zeitalter Dantes », dans id., D. Blume (éd.), Malerei und Stadtkultur in der Dantezeit : das Argumentation der Bilder, Munich, Hirmer, 1989, p. 23-64.
Auteur
Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris (CNRS, UMR 8589), université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne
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