Chapitre 9. La reconfiguration du champ : un Maghreb « peau de chagrin » à l’université
p. 151-188
Texte intégral
1Lorsqu’il publie La gangrène et l’oubli en 1992, trente ans après les accords d’Évian, B. Stora est loin d’imaginer le retentissement de son travail et le regain d’intérêt suscité en France par la mémoire et l’histoire de la guerre d’Algérie. La réactivation d’un conflit armé en Algérie, à partir de janvier 1992, avec son cortège de maquisards, d’assassinats de masse, d’attentats, de guerre totale, et de milliers de victimes, de déplacés et d’exilés, a été trop violente pour laisser indemne une classe politique et intellectuelle française mutique, mais hantée par ses démons d’Algérie.
2Après trente ans de silence et d’amnésie, l’Algérie fait irruption sur le devant de la scène, et avec elle l’histoire de la France en Afrique du Nord, nourrie du reflux des souvenirs, et témoignage de l’ancien empire. En septembre 1991, la diffusion sur France 2 des Années algériennes (Philippe Alfonsi et B. Stora) rompait le silence, suscitant de violentes réactions chez les gardiens de la mémoire de l’Algérie révolutionnaire. Mais cette dernière est mise à genoux et en accusation devant l’escalade de la guerre civile. La boîte de Pandore était ouverte.
3Pendant près de vingt ans, ce surgissement mémoriel a poussé certains intellectuels dans une introspection de l’histoire coloniale nationale. Les polémiques sur la torture et l’insoumission en Algérie, la mémoire pied-noire, les controverses sur l’immigration et les descendants d’immigrés, les joutes manichéennes sur la nature de la colonisation, la pensée postcoloniale ou l’islam de France, pour nécessaires qu’elles furent, maintenaient néanmoins l’Afrique du Nord et ses habitants dans un rôle de figuration. Soucieux de renouer les fils rompus de leur histoire, les millions de Français directement touchés par l’Algérie coloniale (estimés par B. Stora à 7 millions en 1992, et probablement 10 pour la région) ont monopolisé les débats. La « guerre civile algérienne » (l’expression est empruntée à Luis Martinez, bien qu’on préfère celle de « décennie noire » en Algérie) a réactivé une mémoire française, laissant le Maghreb à son statut de région étrange et … étrangère.
4Depuis 1962 en effet, la France et ses élites ont tourné le dos à cette histoire dramatique et refoulée. Certes, Ch.-A. Julien constatait déjà qu’à l’époque coloniale les Français n’ont guère cherché à comprendre la terre et les habitants auxquels ils avaient lié leur destin : « Je crois que le rôle de la gauche en France eût été de s’intéresser en profondeur au problème colonial, mais je crois aussi que personne, pas plus à gauche qu’à droite, ne s’y est vraiment intéressé en France. Les problèmes coloniaux ont toujours été subordonnés aux problèmes métropolitains1 » (1969). Aussi, après 1962, quand l’État tourne la page, le refoulement est complet.
5B. Stora a décrit la politique d’amnésie publique et institutionnelle construite au sortir de la guerre. Les institutions républicaines, les Églises, les associations et les intellectuels ont contribué à cet enfouissement. Tous avaient de bonnes raisons. Face à ce refoulement mimétique, il est tentant d’en appeler aux mécanismes de la psychanalyse. Que le Parlement d’un État démocratique, où le débat contradictoire est permanent et la passion politique intacte, ait attendu 1999 pour reconnaître la qualité de « guerre d’Algérie » aux « opérations de maintien de l’ordre » est édifiant.
6Dans les années 1990, sur fond de guerre civile « sans images » en Algérie, la conjoncture réactive d’un coup les passions non éteintes du passé algérien de la République : le procès Papon (1997-1998) et la mémoire du 17 octobre 1961, la campagne du Monde en 1999, autour de Louisette Ighilahriz2, l’affaire Aussaresses qu’elle précipite, et la conjonction des trois thèses de Claire Mauss-Copeaux (sur le contingent, 1997), Raphaëlle Branche (sur la torture, 2001) et Sylvie Thénault (sur la justice, 2001)3. Cette éclosion, qui suit le départ de la scène politique de F. Mitterrand en 1995, ouvre un cycle fécond. Les débats intellectuels et politiques se succèdent. Ils concernent la torture durant la guerre d’Algérie (2000-2002), l’héritage colonial (à partir de 2004), l’immigration et les ratés du système d’intégration (depuis les émeutes de 2005), puis l’islam de France. 2009 fut particulièrement fertile.
7Mais cette effervescence tardive ne doit pas occulter les quatre décennies de silence qui ont suivi la guerre d’Algérie. Cette « guerre » n’avait pas droit de cité. Tout l’édifice institutionnel a participé à cette amnésie et à ce refoulement. L’université et l’enseignement supérieur ont « contribué » à cette entreprise. Et les interactions du monde savant ont interféré avec le champ politique national.
Réseaux, hiérarchies, enjeux politiques
Les politiques scientifiques et l’État
8En France, l’enseignement supérieur et la recherche sont pilotés par l’État. Il est dès lors difficile de les considérer comme autonomes, quel que soit, par ailleurs, le discours d’acteurs soucieux d’affirmer leur indépendance4. De surcroît, les recherches portant sur l’empire colonial ont été au cœur de la politique nationale de puissance. Analyser la politique scientifique relative à l’Afrique et au monde arabo-berbère implique de prendre en compte cette mainmise du pouvoir d’État. Or celui-ci n’a pas renoncé à l’interventionnisme après 1962 (politique arabe, domaine réservé, francophonie, pays du champ, coopération…).
9Le pilotage et les programmes de la recherche universitaire ne peuvent faire fi de cette tutelle. Dans un système où les postes de chercheurs et d’universitaires, la création d’instituts de recherche et de filières d’enseignement sont définis, avalisés ou recalés par les ministères en charge, tous les acteurs (enseignants-chercheurs, organismes de recherches, cadres administratifs, cabinets ministériels, responsables politiques) agissent en fonction. Dans ce contexte, les conjonctures politiques jouent un rôle majeur dans la définition, la création et la perpétuation (ou non) des « chaires » (formellement abolies après 1968) et des centres de recherches. Les alternances politiques sont à cet égard des moments charnières.
10Sous la IVe République, la SFIO est étroitement associée à la direction des Affaires coloniales en Algérie et à la gestion du ministère de l’Intérieur (de 1945 à 1950, puis de 1955 à 1958)5. Or la politique algérienne de Guy Mollet débouche sur un fractionnement durable de la gauche, divisée entre molletistes disqualifiés, socialistes en rupture de ban, PSU, communistes et trots-kistes6. De 1958 à 1974, la direction du pays est assurée par les gaullistes, qui portent la politique de coopération, avant que celle-ci ne connaisse un certain désengagement sous le septennat libéral de V. Giscard d’Estaing (1974-1981).
11Puis l’alternance de 1981 porte pour quatorze ans à la présidence française un homme d’État de la IVe République, qui n’a rien oublié de l’histoire coloniale à laquelle il fut associé. La véritable rupture, dans le domaine des politiques scientifiques relatives à l’ancienne « Afrique du Nord », intervient sous Lionel Jospin, ministre de l’Éducation nationale de 1988 à 1992, puis Premier ministre de 1997 à 2002. Si la politique africaine, version Foccart (mort en 1997), perdure en réalité sous J. Chirac jusqu’en 20077, les lignes idéologiques et les représentations de l’héritage colonial algérien ont commencé à évoluer.
Les implications de la coopération sur les politiques scientifiques
12Lorsque les gaullistes arrivent au pouvoir en juin 1958, la politique de coopération est en cours d’expérimentation au Maroc (1957) et en Tunisie. En 1960, les pays africains sont contraints de troquer leur indépendance contre cette politique de coopération. Félix Houphouët-Boigny, déçu par l’abandon discret de la Communauté française, évoque d’emblée la « France-Afrique » qui se profile8, d’autant qu’il en est un pilier avec son ami Jacques Foccart9. Cette politique de coopération concerne de nombreux domaines (administration, défense, affaires culturelles, enseignement) et s’accompagne d’une politique volontariste de la recherche et de l’enseignement supérieur pour former des cadres francophones ainsi que des spécialistes français du domaine.
13Cette politique doit beaucoup à Lucien Paye (1907-1972), normalien, docteur ès lettres et ancien directeur de l’Enseignement des protectorats du Maroc et de Tunisie, devient ministre de l’Éducation nationale du gouvernement Debré (1961-1962), puis haut représentant de la France au Sénégal. À Dakar, il est recteur de la première université francophone d’Afrique, fondée dans les pas de l’IFAN (Institut français – fondamental après 1966 – d’Afrique noire). En 1957, Ch.-A. Julien (qui s’apprête à quitter la SFIO) est appelé à Rabat par le roi Mohammed V pour créer l’université du Maroc. Il devient doyen de la faculté des lettres (Rabat), tout en gardant sa chaire à la Sorbonne jusqu’à sa retraite en 1961. Son étudiant, le discret Jean Ganiage, lui succède.
14Concernant l’Algérie, les choses se passent un peu différemment. Le naufrage de l’université d’Alger ancienne version étant complet, une équipe de jeunes universitaires anticolonialistes la rejoignent sous la houlette du FLN, tandis que ses équipes démembrées cherchent des points de chute en métropole. Le chassé-croisé de 1962 débouche sur la création de centres de recherches dans le Sud de la France. À Aix-en-Provence naît le CRAM (Centre de recherches sur l’Afrique méditerranéenne)10, qui succède au Centre d’études nord-africaines (CENA)11, à proximité des archives de direction des colonies rapatriées.
15Le CRAM est doté de trois sections. Les deux premières sont consacrées à l’Antiquité (faculté des lettres d’Aix-Marseille), et aux époques moderne et contemporaine (faculté de droit). La troisième section, qui traite des problèmes algériens, demeure à Alger. En 1964, la première livraison de l’Annuaire de l’Afrique du Nord, année 1962 (CNRS Éditions) accompagne l’entrée du CRAM au CNRS, dont il devient un laboratoire propre.
16Une autre UMR12 CNRS/université Sophia-Antipolis est créée en 1968 à Nice par l’historien A. Nouschi, qui la dirige jusqu’en 1986. Mais ce bon connaisseur de l’Algérie, où il est né, et de la Tunisie s’oriente vers l’économie pétrolière.
17Il n’existe rien d’équivalent à Paris pour le Maghreb. Le CHEAM, reconverti en Centre des hautes études de l’Afrique et de l’Asie modernes, reste attaché au Premier ministre, mais s’éloigne peu à peu de sa vocation « musulmane » pour se tourner vers l’Asie et l’Afrique. À Paris, l’Afrique du Nord demeure liée à la Sorbonne. En 1961, la succession de Ch.-A. Julien aurait pu échoir à son héritier « spirituel », Ch.-R. Ageron, ou au spécialiste du Maroc J.-L. Miège, tous deux nés en 1923. Mais elle revient au spécialiste de la Tunisie J. Ganiage (né en 1921), sur une ligne idéologique éloignée.
18En revanche, au moment où la France évacue l’Algérie en 1962, la Sorbonne accorde une place inédite à l’histoire de l’Afrique noire, opportunément introduite en tant qu’objet d’histoire et bientôt abondamment dotée en postes universitaires. La chaire Afrique du Nord est conviée à un certain isolement. En outre, dans le contexte où semble triompher le nationalisme arabe, elle s’ouvre au Machrek, ce que traduit l’évolution des sujets de DES puis de maîtrises (37 DES sont soutenus sur le Maghreb contemporain à la Sorbonne de 1961 à 1970, puis 26 de 1971 à 1979, date à laquelle le spécialiste du Proche-Orient D. Chevallier est élu à Paris 4).
19En 1971, le Maghreb contemporain entre à Paris 4 avec J. Ganiage, tandis que Paris 1 conserve l’Orient médiéval et moderne avec Cl. Cahen. Mais cela est sans effet sur l’Afrique du Nord, aucune thèse n’étant soutenue à la Sorbonne sur la Berbérie médiévale entre 1962, Hady-Roger Idris sur La Berbérie orientale sous les Zirides13, et 1999, Jean-Pierre Van Staëvel, Droit malekite et habitat à Tunis sous les Hafsides14 ! Même en histoire médiévale et moderne, l’Afrique du Nord disparaît des écrans. Seule Y. Katan, docteur en histoire (Oujda, ville frontière) et maître de conférences, y enseigne l’histoire du Maghreb contemporain en LEA (langues étrangères appliquées). Il n’est pas aisé de comprendre pourquoi Paris 1, dont le département d’histoire s’est constitué en opposition idéologique à celui de Paris 4 (P. Vidal-Naquet versus J. Ganiage), lui abandonne le monde arabe contemporain. Il est vrai que les africanistes du CRA, rejoints en 1970 par Yves Person, font pression pour garder les postes sur l’Afrique. Mais on peut y voir l’effet d’une amnésie plus générale.
20À Paris 3 Sorbonne nouvelle (dite Censier), une héritière de Ch.-A. Julien, M. Morsy (« grande dame de la gauche hétérodoxe », selon D. Rivet), devient maître de conférences, puis professeur à l’UFR Orient et monde arabe (département de langues et civilisations orientales). Dans les années 1970 et 1980, elle joue un rôle important à l’« Association pour l’avancement des études sur le monde islamique15 », et renouvelle les approches du GERM, réuni autour de Ch.-R. Ageron. Mais comme à Paris 1, l’héritage de Ch.-A. Julien est tenu en lisière du département d’histoire.
21L’université des lettres et sciences humaines de Paris 7, créée en 1971 sur le campus de Jussieu, voit se constituer en son sein une unité interdisciplinaire inédite, « Géographie, Histoire et Sciences de la société ». Trois géographes marxistes de l’Afrique la pilotent, rejoints par C. Coquery-Vidrovitch. Elle crée avec Jean Dresch (spécialiste de l’Afrique subsaharienne et du monde arabe) un groupe de recherches « Connaissance du tiers monde16 », qui donne naissance en 1982 au laboratoire Tiers Monde, sous le signe du marxisme et d’un tiers-mondisme militant. Le laboratoire comprend d’emblée un « Groupe de recherches sur le monde arabe et le Moyen-Orient » (GREMAMO), dirigé par Jacques Couland et Ch. Chanson-Jabeur, qui vient de soutenir une thèse avec R. Gallissot (1982). Ce groupe est un temps fréquenté par B. Stora et Cl. Liauzu.
22La création de Paris 8-Vincennes en 1969 donne naissance à un nouveau département d’histoire, rejoint en 1971 par R. Gallissot, de retour d’Alger. Il s’impose à la direction des études maghrébines, en liens avec le laboratoire Tiers Monde. Ainsi est marginalisée l’approche anticoloniale sociale-démocrate de l’école de Ch.-A. Julien. À l’université, elle laisse pour vingt ans le champ libre aux études maghrébines d’obédience marxiste (Paris 7 et Paris 8).
Ruptures dans la transmission
Le Maghreb, victime collatérale du naufrage de la SFIO ?
23En 1958, Ch.-A. Julien a 67 ans. Au faîte de sa carrière universitaire, tant à Rabat qu’à Paris, il quitte la SFIO en compagnie de Daniel Mayer et de son ami Guy Verdier, faute de pouvoir réorienter la politique algérienne17. Hostiles à la politique de la SFIO, ils s’investissent à la Ligue des droits de l’homme (LDH), que Daniel Mayer préside de 1958 à 1975, ainsi qu’au PSA (ancêtre du PSU). En 1958, Ch.-R. Ageron, professeur à Alger, adhère au PSA d’Édouard Depreux. De retour en métropole en 1959, il n’entre pas au PSU et soutient la politique algérienne de de Gaulle.
24La SFIO perd un solide ancrage à la Sorbonne et l’acuité de Julien aux problèmes nord-africains. Dans Une pensée anticoloniale, il mentionne que G. Mollet ne lui demanda plus son avis à partir de l’émeute d’Alger du 6 février 1956 (dite des tomates), se méfiant par principe des intellectuels et des spécialistes de l’Algérie (le gouverneur Yves Chataigneau, lui-même, ou J. Berque18). Membre du comité central de la LDH de 1957 à 1963, Ch.-A. Julien fait avancer, non sans mal, les positions anticolonialistes au sein de cette organisation.
25La crise de la SFIO s’aggrave : en mai 1956 par le vote des pouvoirs spéciaux, en 1957 par la révélation de la torture (démentie par Guy Mollet : « L’armée française, l’armée du pays des droits de l’homme, je suis formel, ne pratique pas la torture en Algérie »), puis par le bombardement de Sakiet Sidi Youssef le 8 février 195819. « L’Algérie c’est la France, avec le FLN, la seule négociation c’est la guerre », déclare le ministre de l’Intérieur F. Mitterrand, à Alger en 1954. Il ne revint pas sur ses propos, accentuant la répression sur les « rebelles20 ». Le coup de force du 13 mai 1958, première étape de l’« opération Résurrection », destinée à ramener de Gaulle aux affaires (le 1er juin 1958, de Gaulle est appelé à la présidence du Conseil pour prévenir un coup d’État militaire à Alger), précipite la gauche socialiste dans une opposition résolue au régime (François Mitterrand en tête).
26Pour Annie Rey, cette période douloureuse et dramatique, qui pousse Julien vers le journalisme, l’érige en « conscience de sa génération ». André Raymond ajoute même qu’il « a été, pendant une génération, l’honneur de la France21 ». Après sa rupture avec G. Mollet en 1956, puis son départ de la SFIO en 1958, il continue de discuter avec les « adversaires » de la France. Il reçoit des membres du GPRA et maintient le contact avec son ami Ferhat Abbas, ce qu’il avait fait dès les années 1950, avec Habib Bourguiba, son ami Abderrahim Bouabid, et le sultan Mohammed V. Il espérait déjà que la raison l’emporterait sur les blocages politiques et les drames à venir. Repoussé par les molletistes qui ne le comprennent pas, et méfiant envers de Gaulle dont il redoute la prise du pouvoir pour la République, l’intellectuel joue à contretemps.
27Pour ces intellectuels partisans de la paix en Algérie, la situation devient complexe quand le général de Gaulle opte pour l’indépendance (selon B. Stora, l’allocation télévisée du 16 septembre 1959 marque un point de non-retour22). Leur adhésion passive ou leur soutien explicite à cette politique gaullienne ne leur sera jamais pardonné, sans qu’ils renoncent à se justifier. En novembre 1969, Ch.-A. Julien déclare au journal Front :
« J’ai des opinions que je n’ai pas à émettre sur le gaullisme, mais en fait de Gaulle a été le seul homme politique responsable qui ait dit : il n’y a plus de politique coloniale possible, et qui, par une technique que j’ai souvent critiquée pour ses lenteurs, a été quand même le seul qui ait envisagé la possibilité de pourparlers et l’indépendance algérienne23. »
28Lorsque son élève Ch-R. Ageron, de trente-deux ans son cadet, publie en 1964 son Histoire de l’Algérie contemporaine (« Que sais-je ? »), un récit sans appel de la colonisation française de l’Algérie, il subit le double opprobre de la droite postcoloniale, et d’une gauche qui le soupçonne de cryptogaullisme. Né à Lyon et agrégé d’histoire, Ch.-R. Ageron est affecté en Algérie (1947-1959), pays inconnu qu’il découvre. Ayant engagé ses travaux d’histoire sur ce pays, il devient maître-assistant à la Sorbonne, où il soutient sa monumentale thèse d’État en 1968, sous la direction de Ch.-A. Julien, Les Algériens musulmans et la France de 1871 à 1919. Il est élu professeur à l’université de Tours en 1970, et Paris 12 en 1981.
29D’après ses anciens étudiants (B. Stora24, D. Rivet, G. Pervillé), qui sont aussi attachés à sa mémoire que l’ont été A. Rey, L. Valensi et M. Morsy à celle de Ch.-A. Julien, il n’y a pas d’explication simple à sa non-élection à la Sorbonne. Selon Christophe Charle,
« sans doute à la fin des années 70 ou dans les années 80 une chaire nouvelle aurait-elle pu être créée, à l’initiative de J.-B. Duroselle ou J. Droz, les professeurs les plus influents du département à l’époque ; mais à l’époque on ne crée plus de chaire, et quand une chaire devient vacante on ne change pas les intitulés. En outre le pouvoir en place soutient Paris 4 et non Paris 1, et considère qu’il vaut mieux maintenir un ghetto gauchiste à Paris 7 et Paris 8 comme signe de son “libéralisme”, que d’incruster un contre-discours au cœur du système de reproduction. Il faut donc plutôt invoquer cette conjoncture maussade qu’un complot politique pour expliquer le manque d’ouverture de notre université ».
30Toujours est-il que Ch.-R. Ageron en conçut un vif ressentiment et même un véritable « complexe de persécution » (selon D. Rivet). Dans une lettre manuscrite à B. Stora en date du 26 avril 1998, il revient sur cette blessure ancienne qui l’a poursuivi durant sa carrière universitaire. Au sujet du refus que lui opposa en 1983 le ministère à la création d’un DEA sur le Maghreb à Paris 12, il écrit : « Le secrétaire général de mon université m’a confié que j’étais classé “gaulliste” par le ministère et que je n’avais aucune chance. […] Lui-même était socialiste et m’a donné le nom de l’auteur des refus : un professeur moderniste que j’ignorais – et qui a été nommé recteur. » Au sujet de son président, qui tenta de lui refuser l’éméritat en 1988, il ajoute : « Un gaulliste ! Mais un de mes collègues (M. Lerner) a protesté. Il me connaissait assez pour savoir que je n’avais été ni RPF ou RPR, et que rien ne justifiait le refus de ce hochet honorifique d’emeritus. »
31G. Pervillé dévoile la tenaille intellectuelle et politique qui enserrait ces hommes qui eurent raison trop tôt sur l’Algérie. À propos de Ch.-R. Ageron, il écrit25 :
« Il fut pendant de longues années, après la retraite de Ch.-A. Julien, le maître reconnu et incontesté de l’histoire de la colonisation et de la décolonisation françaises. Mais pour d’autres, et notamment pour ceux des Français d’Algérie restés partisans de l’Algérie française, il est à craindre que son décès soit avant tout ressenti comme celui d’un adversaire de leur cause […]. [D’autres] ont vu dans ses prises de position un retour à ses partis pris politiques gaullistes de l’époque de la guerre d’Algérie, et ce n’était pas nécessairement faux dans la mesure où la notion de “devoir de mémoire” confondait de nouveau l’histoire du passé avec la politique actuelle [NDLR, à sa mort en 2008]. On doit regretter qu’il ne se soit pas suffisamment gardé de cette confusion […]. On pourra sans doute objecter que Ch.-R. Ageron n’avait pas cessé de justifier la politique gaullienne de décolonisation, comme il l’avait fait notamment en participant au grand colloque “De Gaulle en son siècle” organisé à Lille en 1990 par l’institut Charles-de-Gaulle. Et qu’il avait choisi de recevoir la Légion d’honneur en mars 2001 des mains de l’ancien ministre de la Défense de 1960 à 1962 et ancien Premier ministre gaulliste Pierre Messmer26. »
32Isolés politiquement et scientifiquement au moment où le marxisme, le « développementalisme » et le tiers-mondisme dominent les études maghrébines, ces deux intellectuels poursuivent sans relâche un travail d’écriture. Mais leur voix manqua dans le débat public et les relations avec le Maghreb. De facto, la faille s’est élargie entre gaullistes et socialistes français d’une part, et le Maghreb postcolonial de l’autre. En refoulant l’histoire tragique de la décolonisation, on s’interdit de comprendre les enchaînements qui ont conduit au désastre, on nie les souffrances de la décolonisation et on ignore la « nuit coloniale » qui a conduit à la révolution. En outre, on délaisse l’Afrique du Nord indépendante et ses habitants, bientôt démunis et livrés au ressentiment face à des appareils d’État autoritaires et prévaricateurs, parés pendant des décennies des oriflammes de l’indépendance.
33Au sein du Parti socialiste (PS) fondé en 1971, le traumatisme algérien n’est pas résorbé. F. Mitterrand, qui n’est pas homme à se déjuger, maintient le parti dans une orbite proche du molletisme originel quant à l’Algérie. Les premiers partisans de l’indépendance algérienne, rassemblés depuis 1960 au sein du PSU, rejoignent le PS après 1974, sans remettre en cause la ligne mitterrandienne. La branche anticoloniale et libérale, notamment chez les intellectuels, reste marginalisée.
34F. Mitterrand a préféré s’attacher les compétences de jeunes « pieds-noirs » (Georges Morin, Pierre Shapira), sans lien avec les hommes qui ont rompu en 1958. Né à Constantine en 1942, Georges Morin fut instituteur de 1960 à 1966. Ayant rejoint Grenoble pour ses études universitaires, il devient maître de conférences à l’IEP de Grenoble de 1970 à 1990. Homme de contacts et des réseaux algériens, il intègre la Commission internationale du PS au titre des pays arabes, travaille de 1981 à 1993 auprès de Louis Mermaz, président de l’Assemblée nationale, puis ministre des gouvernements de F. Mitterrand. Proche de L. Jospin et lié au RCD (parti kabyle algérien), il est de tous les voyages officiels pendant vingt ans.
35Pour des questions politiques relatives au coup d’État du HCE (Haut Comité d’État des généraux) de janvier 1992, il est remplacé à la Commission internationale du PS par un maître de conférences de Paris 10 en droit public, Alain Chenal (ce dernier, proche du FFS – Front des forces socialistes, l’autre parti kabyle – d’Aït Ahmed, qui est opposé au coup d’État, contrairement au RCD). Jusqu’en 2003 (date de l’éviction d’A. Chenal), ces connaisseurs de la scène politique algérienne pilotent les relations du PS avec le monde arabe, mais en dehors de la tradition intellectuelle critique historienne (à quelques rares exceptions, comme L. Valensi).
36L’alternance de 1981 n’a donc pas d’impact dans le champ scientifique « Maghreb », contrairement aux études africaines, comme nous allons le voir. En fait, la SFIO, qui a tourné le dos à ses grandes consciences, préfère le compagnonnage d’intellectuels nés en Afrique du Nord (Edgar Morin, Jean Daniel, Bernard-Henri Lévy…). Mais du fait de leur passé de Français d’Algérie, ils maintiennent au Maghreb, et notamment en Algérie, l’idée selon laquelle la France a adopté le point de vue biaisé des Français d’Algérie.
37La rupture de la transmission intellectuelle, entre universitaires français et étudiants et collègues maghrébins, n’est cependant pas totale. À la Sorbonne, Jean Devisse (élu en 1978) est conscient qu’il doit encadrer des travaux sur l’Afrique du Nord moderne. Certains héritiers de Ch.-A. Julien – M. Morsy à Paris 3, L. Valensi à l’EHESS, A. Rey-Goldzinguer à Reims, ou Ch.-R. Ageron à Tours puis Paris 12 – maintiennent un flux minimal de doctorats sur le Maghreb. Certes, d’aucuns regardent ces travaux comme « positivistes » (« histoire-récit ») et sans avenir, leur préférant les grands débats épistémologiques (« histoire-science »). Pourtant, B. Stora, G. Pervillé, D. Rivet, etc. se retrouvent le samedi matin dans la petite zaouïa du GERM (Groupe d’études et de recherches maghrébines à la MSH, 1979-198327).
38Dans ce contexte intellectuel et politique qu’il perçoit comme hostile, Ch.-R. Ageron parvient, grâce à un cours complémentaire à l’EHESS, à créer son DEA (1984). Son « élève » B. Stora est élu en 1986 à Paris 7, grâce au soutien discret du sociologue Jean Duvignaud. Mais la véritable sortie de ce système s’opère grâce au déverrouillage de fin de la guerre froide, qui souligne – une première fois – l’échec des régimes autoritaires maghrébins (coup d’État « médical » contre Bourguiba le 7 novembre 1987, émeutes d’Alger en octobre 1988, puis scandale de Notre ami le Roi en septembre 1990), le tout sur fond de montée de l’islamisme.
39Le ministre de l’Éducation nationale L. Jospin, sur demande de B. Stora, crée l’Institut Maghreb Europe à Paris 8 en 1990, codirigé par R. Gallissot et associant M. Harbi. Dans la foulée, l’amitié ancienne28 entre l’universitaire A. Rey et l’épouse du journaliste du Monde Philippe Decraene, qui est secrétaire de F. Mitterrand à l’Élysée, lui permet d’obtenir la création d’un DEA-Maghreb (Paris 3-Paris 8). La même obtient ensuite la recréation de la « chaire » de son « maître » Ch.-A. Julien à Paris 1, qui échoit en 1993 à D. Rivet (témoignage de J. Chrétien). Toujours sur intervention directe de l’Élysée, dans le contexte de polémique sur la formation des imams, L. Valensi, proche de F. Mitterrand, obtient en 1999 la création de l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman (IISMM), qui répond à une demande initiale du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua. La carence intellectuelle en « affaires islamiques » (selon la formule coloniale) était devenue inquiétante.
40Une nouvelle époque commence, qui met un terme à l’héritage et au blocage politico-intellectuel qui s’était noué dans les années 1960. En 2009, la réhabilitation, par B. Stora, dont on sait les liens respectifs avec les messalistes, le PS de F. Mitterrand, L. Jospin, Ch.-R. Ageron et R. Gallissot, de la politique algérienne de de Gaulle, apparaît comme une manière de sortir des enfermements multiples noués en 195629. Une ruse de l’histoire ?
Le Maghreb entre coopération étatique et critique marxiste
41Pendant les années 1960, les gaullistes et l’armée, qui a été « purgée », mais dont les liens humains restent denses avec le Maghreb30, traitent directement avec les États du Maghreb, sans l’entremise d’une université regardée avec méfiance ou mépris (les « porteurs de valises » sont abhorrés). D’autant que la guerre d’Algérie ayant été, même tardivement, une formidable école de connaissance des sociétés et des hommes du Maghreb, cela annihile, aux yeux des autorités publiques et militaires, la fonction d’éclairage scientifique sollicité durant la période coloniale. Les disparitions de R. Montagne en 1954, puis de L. Massignon en 1962, dont les trajectoires furent particulières avec le Maghreb, sont un facteur d’éloignement supplémentaire avec les intellectuels.
42Dès lors, en dehors d’une poignée d’universitaires isolés, on assiste à une bipolarisation de la recherche sur le Maghreb et le monde arabe. La coopération étatique et administrative française trouve un prolongement universitaire au sein des IEP de Paris et de province (Aix, Grenoble et Bordeaux). En soustrayant à l’université la connaissance pratique des États du Maghreb et des rouages de la coopération, et en la confiant à la filière juridico-administrative, l’État s’assure une relative quiétude. Au sein d’une université difficile à contrôler depuis la guerre d’Algérie, et plus encore après 1970, ce champ est laissé à la critique marxiste et tiers-mondiste, qui se partage certaines dépouilles, et investit les universités de Paris 7, Paris 8 et l’EHESS.
43À Paris, le CHEAM est le principal organisme para-administratif issu de la période coloniale qui poursuit ses travaux sur le tiers monde, en soutien à la diplomatie et aux services français. Il est en lien avec l’École nationale d’administration (ENA) créée en 1945, qui s’assure la collaboration de scientifiques de renom comme Ch.-A. Julien. Mais la part des travaux consacrés au Maghreb reflue. À l’IEP de Paris, très proche géographiquement et idéologiquement de l’ENA, l’officier-historien R. Girardet perpétue après 1962 la tradition, éprouvée depuis les temps coloniaux, de collaboration scientifique entre la toge et l’épée. Pour quelques années, c’est aussi le cas à l’EPHE, où Henri Brunschwig, ancien professeur à l’École française d’outre-mer, professe une histoire coloniale classique (sur sources écrites). La première génération des africanistes élus à la Sorbonne après 1962 provient du monde des administrateurs coloniaux. Leur relève s’opère vingt ans plus tard, au profit des coopérants enseignants, qui font encore leurs classes en Afrique.
44Sur l’Afrique du Nord en revanche, la porosité entre le monde universitaire et les rouages de la coopération est moindre. La polarisation héritée de la guerre d’Algérie l’explique. De jeunes historiens anticoloniaux français investissent l’université d’Alger et la coopération éducative ; mais les rouages administratifs, diplomatiques et militaires ont leurs propres « experts ». On assiste au va-et-vient, entre Alger, Tunis et Rabat d’une part, les IEP de Paris, Aix, Grenoble et Bordeaux d’autre part, de jeunes hauts fonctionnaires, enseignants et praticiens. Professeurs dans les ENA du Maghreb, hauts fonctionnaires détachés auprès des administrations nationales, officiers de liaison, diplomates, ils assurent la bonne marche des jeunes États.
45Il serait erroné de penser que les gouvernements du Maghreb, du fait de leur surenchère nationaliste, préfèrent les universitaires marxistes ou tiers-mondistes aux praticiens de l’État « néo-ou postcolonial ». Il n’en est rien. En atteste la méfiance de l’appareil FLN vis-à-vis des « pieds-rouges », fréquemment inquiétés ou expulsés31. À l’université et à l’ENA d’Alger, de jeunes juristes français participent à la formation de la bureaucratie étatique, avant de réintégrer les IEP de France. Ils y structurent une coopération de long terme entre les milieux juridiques français et les jeunes États maghrébins attachés à leurs services. On ne peut en revanche qu’être frappé par le taux infime d’enseignants coopérants affectés au Maghreb (qui furent des dizaines de milliers), ayant entamé des recherches universitaires (à l’exception d’Omar Carlier, Gilbert Meynier, Daniel Rivet et quelques autres). Le bilan numérique est mince au regard de ce qui se passe en Afrique noire.
46L’IEP de Paris est rejoint par le politologue et diplomate Rémi Leveau, à son retour du Maroc, où il fut coopérant au ministère de l’Intérieur (1958-1965). Auteur, après coup, d’une thèse d’histoire sous la direction de Ch.-A. Julien, Le fellah marocain défenseur du trône (Paris 1, 1973) – interdite pendant plus de trente ans au Maroc –, il prépare un doctorat d’État sous la direction du constitutionnaliste Maurice Duverger. La carrière de R. Leveau, du fait de la centralité de l’IEP Paris dans la machine étatique française, contribue plus que tout autre à ancrer l’« expertise du monde arabe » dans l’orbite des Affaires étrangères. Créateur en 1980 du CEDEJ au Caire (qui est le principal centre français de recherches des Affaires étrangères dans le monde arabe), il lance en 1985 le DEA monde arabe de l’IEP Paris. Ses héritiers, au premier titre desquels Gilles Kepel et Jean-Pierre Filiu, déplacent le centre de gravité des études arabes vers le Proche-Orient.
47R. Leveau est une pièce maîtresse du système qui se structure avec les principaux IEP de province. Le Maroc tisse des liens particuliers avec les IEP de Bordeaux et Grenoble, tandis qu’Alger est surtout liée à Aix-en-Provence. Le doyen M. Rousset (né en 1933), professeur de droit public à Grenoble, fut professeur à l’ENA et à l’université Mohammed V de Rabat. Il y fréquente Driss Basri, chargé par Hassan II de restructurer la faculté des sciences juridiques de Rabat dans les années 1980, afin de la neutraliser politiquement, de la mettre au service exclusif du Palais, et d’y accueillir les princes héritiers comme étudiants. M. Rousset fut le directeur de thèse de Driss Basri (L’agent d’autorité).
48Cette tradition juridique est forte dans le cas du Maroc. Le prince Moulay Hassan (le futur Hassan II) ayant fait son droit à Bordeaux de 1948 à 1952, il y a connu M. Duverger, qui, après un solide début de carrière à l’extrême droite et sous Vichy, fut le premier directeur de l’IEP de Bordeaux (1948-1957). Constitutionnaliste de renom, il rédige en 1962 la première Constitution du Maroc pour Hassan II, un modèle du genre, qui a l’apparence d’une Constitution démocratique, mais établit la prééminence absolue du souverain. Sous l’œil de D. Basri et du doyen Rousset (en poste à Grenoble), les princes héritiers font leur droit.
49Les choses se structurent différemment à Alger, du fait que chefs d’État et généraux ne se piquent pas de droit. Mais la vieille tradition juridique algéroise reste vivace. Claude Collot (1935), agrégé d’histoire du droit, fut coopérant à l’université d’Alger après le coup d’État de 1965. Auteur de nombreux articles dans des revues algériennes, il publie, avec son collègue Jean-Robert Henry (né en 1943)32, Le mouvement national algérien. Textes 1911-1954. Le premier devient professeur à Nancy 2, et le second directeur de recherches à l’IREMAM d’Aix (dont les liens sont étroits avec l’IEP).
50Dès 1970, la création du CRESM (ancêtre de l’IREMAM) manifeste, dans ce champ, la supériorité des sciences politiques et juridiques sur les sciences humaines33. Son créateur, l’économiste Charles Debbasch (pied-noir de Tunisie, docteur et agrégé en droit) l’oriente vers l’expertise juridique, sociologique et économique, l’éloignant d’une recherche plus académique. Après avoir enseigné à Tunis et à Aix-Marseille, ce juriste deviendra conseiller juridique du président togolais G. Eyadema. Lui succède pour dix ans, à la tête du CRESM, l’agrégé de droit public Maurice Flory (1925), produit de l’IEP et de la faculté de Paris, professeur de droit international à l’IHEM34 (Rabat) de 1952 à 1956, à la faculté d’Aix-en-Provence, puis conseiller culturel à Rabat de 1967 à 1970.
51Le parcours de M. Flory confirme les rapports organiques entre la diplomatie française et les juristes des IEP. Directeur du CRESM de 1971 à 1985, il impulse une orientation qui compte, puisque cet organisme a la haute main sur la nomination des chercheurs et stagiaires affectés dans les instituts de recherches des Affaires étrangères35 du monde arabe (CEDEJ depuis 1980, IRMC-CJB à Rabat en 1991, IRMC à Tunis en 1992). Le CRESM a par ailleurs la haute main sur la validation des carrières et les parcours de mobilité des chercheurs maghrébins en France (N. Sraïeb, M. Benhlal, A. Moussaoui, M. Tozy, etc.).
52Il domine enfin la production scientifique française sur l’Afrique du Nord indépendante. Non seulement ses chercheurs coproduisent l’énorme Annuaire de l’Afrique du Nord, qui, des années 1960 aux années 1980, est la principale source d’information (et donc filtrée à dessein) sur le Maghreb. Mais ils tendent à monopoliser ce qui s’écrit sur le Maghreb. Le juriste Michel Camau (1940), professeur à l’IEP d’Aix, revient à Tunis comme directeur de l’IRMC (1991-1996). Après avoir longtemps tenu des propos convenus sur le régime bourguibien (comme l’atteste son « Que sais-je ? » sur la Tunisie36), il organise, après son retour en France, un colloque international sur Bourguiba (La trace et l’héritage), et publie un ouvrage avec Vincent Geisser, Le syndrome autoritaire : la politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, qui questionne l’autoritarisme du président Ben Ali. Il est à noter qu’en dehors de l’Annuaire de l’Afrique du Nord et des écrits de M. Camau, la production scientifique française sur ce pays est très faible durant le premier demi-siècle d’indépendance.
53Sur l’Algérie, la production du CRESM et des IEP est plus abondante, quoiqu’elle s’intéresse davantage à ce qui s’est noué durant la période coloniale qu’à ce qui se passe après 1962 (avant Mohammed Harbi, la politologie demeure assez silencieuse). La principale figure est ici le juriste Jean Leca (1935), natif d’Alger et diplômé de son IEP. Agrégé, il est élu professeur à la faculté de droit de Grenoble en 1960, puis détaché à Alger de 1962 à 1967 (professeur de droit à la faculté et directeur de l’IEP de 1962 à 1965). En 1967, il devient professeur à l’IEP de Grenoble (jusqu’en 1980), IEP qu’il dirige par ailleurs. Entre-temps, il a publié L’Algérie politique (1975). Lui succède, à Alger, un autre pied-noir (né en 1934), Jean-Claude Vatin, politologue formé en Angleterre, qui réalise des recherches sous sa direction. Il publie en 1975 une thèse sur travaux, L’Algérie coloniale, éléments d’analyse politique (Grenoble 2), puis un ouvrage après son retour à Aix (L’Algérie politique. Histoire et société, 1983). J.-Cl. Vatin est un pilier du réseau des IFRE et dirigeant du CEDEJ de 1987 à 1994.
54Il faut encore évoquer Philippe Lucas (1940), diplômé d’IEP et docteur en sociologie, coopérant, puis maître de conférences à l’IEP d’Alger de 1966 à 1971. Coauteur avec J.-Cl. Vatin de L’Algérie des anthropologues, il prépare un doctorat d’État sur le « transformisme » révolutionnaire algérien sous la direction de G. Balandier en 1975. Le politologue B. Étienne s’intéresse au sujet, Les Français et l’indépendance de l’Algérie (thèse de droit public, M. Flory). En poste en Algérie de 1966 à 1974, puis au Maroc de 1977 à 1979, il dirige un temps le CRESM (1979-1980). Le tableau aixois ne serait pas complet sans l’historien André Martel (1930). Algérois formé à l’université de sa ville, ce spécialiste d’histoire militaire fut d’abord coopérant à l’université de Tunis. Il fonde en 1968 le premier Centre d’histoire militaire et d’études de défense nationale à Montpellier 3, qu’il préside de 1975 à 1981. Titulaire d’une chaire Histoire de la défense à l’IEP d’Aix, il y enracine cette nouvelle dimension. Son successeur J.-Ch. Jauffret est en poste quand se rouvre le débat sur la guerre d’Algérie, dont il assure la publication officielle des archives dès 1992.
55En définitive, on assiste durant les années 1960 et 1970 à un effet de substitution, en France, quant à la connaissance scientifique du domaine maghrébin et algérien. Tout à leur volonté de travailler sur le temps long, pour historiciser les sociétés africaines que les anthropologues vouaient à l’immuabilité (les « sociétés froides »), les historiens marxistes travaillent sur les structures économiques de domination (modèle féodal, mode de production africain, asiatique…). Ce travail laisse le champ libre aux politologues, qui investissent le champ des études coloniales (rejetées par les marxistes), et même le terrain postcolonial. Car le soutien des historiens à la révolution algérienne inhibe leur capacité critique.
56Il revient aux juristes et politologues français, en cheville avec les appareils d’État, de travailler à la construction de l’État indépendant, devenu une abstraction juridique, laquelle ignore le temps long (la féodalité, la tribu, le « sauvage ») et les intérêts des nouveaux dominants (sous couvert de nationalisme et de patriotisme). On comprend la fraîcheur mais aussi le scandale suscités par les travaux de J. Waterbury et R. Leveau, qui questionnent les stratégies politiques, sociales et lignagères de la domination monarchique de Hassan II. Une telle critique est encore impossible vis-à-vis de l’Algérie révolutionnaire et du « sage » Bourguiba.
57Même écartés des circuits de la décision (ce dont ils se réjouissent par ailleurs), les marxistes et tiers-mondistes de Paris 7 et Paris 8 tiennent le haut du pavé parisien. Tout s’est structuré autour du laboratoire Tiers Monde, né en 1982. Dans les années 1970, C. Coquery-Vidrovitch s’appuie sur trois géographes communistes anti-impérialistes : Jean Suret-Canale, Jean Dresch et André Prenant. Ces trois hommes ont fréquenté le Maroc, paradis des géographes du fait de son relief, avant de s’engager politiquement, puis scientifiquement37. Lors du discours qu’elle prononce pour la remise de sa Légion d’honneur, le 14 avril 2008, C. Coquery-Vidrovitch déclare :
« En sus, j’avais choisi une spécialité très minoritaire où l’une des seules grandes compétences, une fois Charles-André Julien parti en retraite, était ce savant humaniste que fut le géographe Jean Dresch. Jean Dresch était resté communiste par fidélité. Il est lui aussi ancien professeur de notre université. »
58L’UFR interdisciplinaire de Paris 7 devient le lieu d’éclosion de la recherche franco-africaine consacrée au « tiers monde ». Elle repose, selon C. Coquery, sur l’interdisciplinarité et le comparatisme, et s’appuie, en sciences politiques des relations internationales, sur Monique Chemillier-Gendreau. Le laboratoire Tiers Monde/Afrique, futur SEDET (Société en développement dans l’espace et dans le temps), compte en son sein un Groupe de recherches et d’études sur le monde arabe et le Moyen-Orient (GREMAMO).
59Or la dimension politique et idéologique de ce groupe d’étude, organiquement lié au Parti communiste, est soulignée par B. Stora et d’autres témoins. Dirigé par J. Couland, il compte A. Prenant et J. Dresch, Anissa Bouayad, le géographe Saïd Bouamama et l’historienne Ch. Chanson-Jabeur. Cl. Liauzu est rapidement marginalisé pour avoir rompu avec le PCF en 1976. Le groupe est proche d’Annie Lacroix-Riz, historienne de Paris 7 qui travaille un temps sur l’Afrique du Nord durant la Seconde Guerre mondiale, et les liens sont denses avec R. Gallissot et Madeleine Rebérioux (très attentive à l’Algérie, depuis qu’elle fut l’assistante de P. Vidal-Naquet, lors de la création du Comité Maurice Audin). Avec Paris 8, qui compte alors plus de 40 % d’étudiants étrangers (en majorité maghrébins), ils acquièrent des positions de pouvoir, à la LDH et à la tête du Mouvement social (revue).
60Ce petit groupe, qui fréquente des spécialistes de l’Afrique (C. Coquery) et de l’Asie (D. Emery), n’est pas sans relais dans les universités de province. Les connexions nouées pendant la guerre d’Algérie restent valables, même si elles se transforment parfois en conflits inexpugnables (comme entre R. Gallissot et A. Rey, en poste à Reims puis à Paris 3). Le contact est maintenu avec A. Nouschi à Nice, auquel l’encadrement des thèses de C. Liauzu, G. Meynier, A. Koulakssis et bien des étudiants maghrébins confère une grande importance dans le champ. Les liens existent aussi l’historien de l’économie de Paris 8, Jean Bouvier, qui lance quelques étudiants, comme le jeune communiste J. Marseille, sur l’économie coloniale.
61Ces chercheurs marxistes, souvent communistes, entretiennent une grande estime pour l’historien du fait religieux (et notamment de l’islam), Maxime Rodinson, quoiqu’ils accordent encore peu d’importance à cette question. Ils tiennent collectivement en piètre estime Ch.-R. Ageron et la poignée d’étudiants qu’il dirige. B. Stora en fit directement l’expérience, non sans ironie de l’histoire, puisque le trotskisme vaut à leurs yeux autant d’opprobre que le gaullisme.
L’effet d’évidement au profit de l’Afrique
62Sur intervention de L. S. Senghor, et avec le soutien de Ch.-A. Julien38, deux chaires d’histoire de l’Afrique sont créées en Sorbonne en 1962, ainsi qu’une chaire de sociologie pour Georges Balandier. L’histoire de l’Afrique ancienne (jusqu’au xvie siècle) est confiée à l’ancien administrateur colonial et archéologue Raymond Mauny (1912-1994). L’histoire moderne et contemporaine de l’Afrique revient à l’ancien gouverneur de Madagascar et de la Côte d’Ivoire, Hubert Deschamps (1900-1979), anthropologue et historien, qui fut en 1960 le dernier gouverneur général des Colonies.
63Ces créations sont d’importance. En octobre 1962 naît en Sorbonne le Centre de recherches africaines (CRA), avec le statut d’institut au sein de la faculté des lettres et sciences humaines. L’Afrique noire, jusqu’alors absente de cette enceinte, prend durablement l’ascendant sur les études nord-africaines et proche-orientales, même si le médiéviste Cl. Cahen, pionnier en histoire de l’Orient médiéval, est élu en 1961 sur une première chaire d’histoire en cette matière.
64Deux tandems fonctionnent provisoirement à la Sorbonne sur les périodes ancienne et moderne de l’Afrique et du monde musulman : Cahen/ Ganiage vs Mauny/Deschamps. Mais l’équilibre est rompu en faveur de l’Afrique, impulsé, pour les besoins de la coopération, par l’État et le CNRS. Entre 1966 à 1970 sont créées quatre chaires africanistes (géographie tropicale, ethnologie, linguistique et ethnosociologie) et un poste de maître-assistant d’histoire.
65L’éclatement de la Sorbonne ancre l’histoire et la géographie de l’Afrique à Paris 1 (postes de professeurs), alors que les historiens du monde arabe se dispersent entre Paris 1, Paris 3 et Paris 4. L’histoire du monde arabe contemporain (Afrique du Nord comprise) quitte Paris 1, non sans conséquences sur la formation des chercheurs et l’écriture de l’histoire du Maghreb. Pierre Vidal-Naquet, spécialiste du monde grec antique, assure Paris 1 de son magistère moral – il a dénoncé précocement la torture pendant la guerre d’Algérie – et de ses interventions médiatiques. Mais cela n’assure ni enseignement ni encadrement de la recherche.
66Les études historiques arabes étant à Paris 4, elle se dote d’un enseignement de langue arabe. Mais l’optique, en histoire, est éloignée des études africaines de Paris 1 – lesquelles veulent historiciser les sociétés africaines – et de l’enseignement initié par Ch.-A. Julien – lequel donna une grande place aux « indigènes ». L’histoire enseignée par J. Ganiage concerne la période coloniale, en continuité avec l’intitulé de la chaire créée en 1947 pour Ch.-A. Julien. Cette histoire souvent factuelle fait la part belle à la société coloniale, ce qui la maintient éloignée du souffle d’un Julien ou d’un Ageron. En outre, un basculement s’opère en faveur du Proche-Orient, avec l’élection de D. Chevallier en 1976, en charge du monde arabe à Paris 4, où il crée et dirige le Centre d’histoire de l’islam contemporain, reconnu comme ERA (équipe de recherches associées) par le CNRS. Le successeur de J. Ganiage (devenu émérite actif en 1991), et de D. Chevallier, retraité en 1994, est Jacques Frémeaux, élu en 1995. L’histoire de la colonisation et celle du monde arabe fusionnent dans son poste. Cet Algérois de naissance, élève du professeur algérois (puis toulousain) Xavier Yacono et de l’historien du fait militaire André Martel (Montpellier), confirme cette orientation. À Paris 4, le Maghreb est désormais étudié au prisme de l’histoire militaire et coloniale.
67Quand Cl. Cahen quitte Paris 1 en 1979, il cède la place à Françoise Michaud, élue maître de conférences en 1981. Mais de 1961 à 1993, le monde arabe contemporain a déserté Paris 1, sauf une maîtrise de conférences occupée jusqu’en 1995 en LEA (UFR de langues) par Y. Katan-Bensamoun. L’encadrement des étudiants désireux de travailler sur le Maghreb revient à d’autres. S’en chargent quelques électrons libres, comme A. Prost ou A. Kaspi, les historiens des relations internationales (J.-B. Duroselle – 1966-1986 –, puis René Girault) et ceux de l’Afrique, notamment pour le précolonial. Sur l’Afrique noire, le tandem Mauny-Deschamps est relevé par le médiéviste J. Devisse (1923-1996), élu en 1978 sur l’Afrique ancienne, et l’« administrateur » Yves Person (1925-1982), élu en 1970 sur l’Afrique moderne.
68Ces historiens de l’Afrique s’appuient sur le Centre de recherches africaines (CRA), qui a traversé l’éclatement de la Sorbonne. En novembre 1971, le recteur J. Dehaussy suggère que le CRA se reconstitue avec les linguistes de Paris 3 Sorbonne nouvelle et les ethnosociologues de Paris 5 (René Descartes), afin « d’éviter la dispersion des moyens de recherche en matière d’études africaines39 ». Il renaît sous forme d’un « centre interuniversitaire » financé par trois universités (historiens de Paris 1, linguistes de Paris 3, anthropologues de Paris 5). Le CRA rejoint en 1976 le « Centre de recherches historiques », sis rue Malher (4e arr.).
69L’État, engagé dans la coopération africaine, mise sur cette structure de recherches. Plusieurs administrateurs coloniaux, devenus universitaires et chercheurs, l’attestent. Hubert Deschamps est emblématique. Ce gouverneur colonial de la Côte d’Ivoire sous Vichy (1941-1942) a sauvé sa carrière grâce à des amitiés dans la SFIO et la franc-maçonnerie (des nouveaux chefs d’État africains)40. Ces créations de postes en recherches africaines dans les années 1960 sont jugées « néocoloniales » par feu J. Boulègue41. Mais les priorités s’infléchissent dès les années 1970. Sous V. Giscard d’Estaing (1974-1981), le retrait de la coopération confronte le CRA à une baisse de postes, incitant ses chercheurs à ferrailler pour les faire reconduire.
70En revanche, l’alternance de 1981 relance l’intérêt des pouvoirs publics pour les études africaines et le tiers monde. Anticipant le mouvement, les africanistes proches du Parti socialiste créent en mars 1981 la revue Politique africaine. En 1982, les historiens du CRA participent à la création du laboratoire CNRS « Tiers Monde, Afrique. Les sociétés dans leur histoire et leur environnement ». Emmenés par Jean Devisse, ils s’associent au sein de l’unité mixte « Connaissance du tiers monde » de C. Coquery-Vidrovitch. Une nouvelle génération pilote les recherches sur l’Afrique.
71Cette normalienne parisienne (née en 1935), attirée par l’histoire de l’Allemagne, opte finalement pour l’histoire de l’Afrique, après un passage à Alger en 1960. Elle prépare et soutient une thèse sous la direction d’H. Brunschwig qui, comme elle, est passé de l’Allemagne à l’histoire coloniale qui, à cette époque, tenait lieu d’histoire de l’Afrique. Sa thèse porte sur les compagnies concessionnaires au Congo-Brazzaville. Ayant travaillé sur les archives coloniales rapatriées, elle possède une vision différente de celle des anciens administrateurs coloniaux (Y. Person, mort en 1982) et des coopérants (J.-P. Chrétien, J.-F. Médard…)42.
72En ce début des années 1980, l’idéologie anti-impérialiste de la directrice du laboratoire est à l’honneur. Les étudiants africains (dont Laurent Gbagbo) se pressent à Paris 7, où le DEA tiers monde est l’antichambre de nombreux doctorats idéologiquement marqués. Le laboratoire Tiers Monde est alors piloté par des marxistes souvent liés au PCF.
73Dans ce cadre, les historiens et chercheurs du CRA, souvent anciens coopérants sociaux-démocrates rentrés d’Afrique (Claude-Hélène Perrot, Jean-Pierre Chrétien, Jean-François Médard, Jean Boulègue, Jean Fremigacci), se sentent marginalisés. Leur lecture de l’histoire africaine et leur expérience des « terrains » africains les éloignent de la directrice du laboratoire et de ses grilles idéologiques. A posteriori, la controverse de 2009 entre D. Rivet et C. Coquery-Vidrovitch43 l’atteste. Selon J. Boulègue, la poursuite de l’option tiers-mondiste au nouveau CRA aurait été rédhibitoire pour sa refondation. Jean-Pierre Chrétien confirme que la lecture idéologique des réalités sociales et politiques africaines leur paraissait infondée.
74À Paris existe un autre laboratoire d’études africaines au sein de l’EHESS. Créé en 1957, le Centre d’études africaines (CEAF) est né de la première direction d’études inaugurée par G. Balandier en 1954, après son élection à la VIe section de l’EPHE sous les auspices de F. Braudel. Le CEAF est la plus ancienne unité d’enseignement et de recherches africanistes de France. En 1961-1962, l’enseignement de l’histoire de l’Afrique noire est introduit par H. Brunschwig. Après avoir considéré C. Coquery-Vidrovitch comme son héritière et déploré de la voir partir à Paris 7, H. Brunschwig fait élire l’historien Elikia M’Bokolo. Le CEAF n’en est pas moins dominé par des anthropologues (comme l’ancien coopérant Emmanuel Terray) teintés de marxisme, incitant les africanistes de la Sorbonne à la recherche d’autres partenariats.
75L’ex-CRA, dirigé par J. Boulègue, se rapproche de Jean-Louis Triaud, ancien coopérant en poste à Aix-en-Provence et spécialiste de la confrérie Sanoussia, un ancien étudiant de C. Coquery-Vidrovitch. Il devient le laboratoire MALD (Mutations africaines dans la longue durée) en 1996. Il est dirigé jusqu’en 2001 par J.-P. Chrétien, puis par Pierre Boilley (docteur de C. Coquery, spécialiste des Touaregs et proche de la Commission internationale du PS sur l’Afrique). Le MALD devient CEMAf en 2006.
76S’ajoutent à cette infrastructure parisienne des laboratoires de province (notamment le CEAN – Centre d’études de l’Afrique noire – qui se structure au sein de l’IEP de Bordeaux44) et d’autres spécialistes (comme l’historienne marxiste Denise Bouche à Nancy 2, l’historien ex-coopérant Marc Michel à Aix-Marseille, etc.). En outre, le fils d’un administrateur colonial, le politologue Jean-François Leguil alias Bayart (né en 1950), parvient, après avoir cofondé Politique africaine, à implanter l’histoire de l’Afrique à l’IEP de Paris (via le CERI).
77Face à cette pluralité « africaniste » dans les universités, les IEP et au CNRS, les études nord-africaines et arabes apparaissent comme en retrait et fracturées. À Paris, elles n’ont bénéficié ni du contexte favorable de la coopération des années 1960 – quitte à promouvoir d’anciens administrateurs coloniaux puis des coopérants proches de la SFIO –, ni du retour de la gauche au pouvoir en 1981, qui favorise l’éclosion d’une génération tiers-mondiste et marxiste. La recherche consacrée au Maghreb a pâti de ce double rejet.
Le basculement vers l’Orient à la faveur de l’islamisme
78Depuis le xixe siècle, l’orientalisme français est fécond dans le domaine de l’islamologie, poussé par des intellectuels catholiques et des religieux (Ch. de Foucauld, les Pères blancs, L. Massignon…), par des officiers de renseignements et des administrateurs coloniaux empathiques (A. Le Chatelier, Ch. de Foucauld – à nouveau –, J. Berque, R. Montagne), par des intellectuels et professeurs (M. Gaudefroy-Demombynes, W. Marçais, E. Laoust, E. Lévy-Provençal, Marcel Colombe…), et bientôt par quelque marxiste (M. Rodin-son). Fortes de ces connaissances, les « affaires islamiques » pratiquent la « gestion » administrative des indigènes (contrôle des zaouïa et confréries, création et suivi des médersas en Algérie, contrôle de l’enseignement islamique des protectorats, formation et encadrement des tribunaux de la charia, rédaction des prêches des imams, tutelle sur le pèlerinage à La Mecque, etc.). Après 1914-1918, l’encadrement se déplace en métropole (aumôneries militaires musulmanes, Grande Mosquée de Paris, cours d’administration musulmane au CHEAM, police des musulmans, etc.).
79Malgré l’immense savoir accumulé par la République, le rôle du salafisme (ou réformisme musulman) dans la renaissance identitaire des Nord-Africains puis la structuration du nationalisme demeure invisible, bien que certains spécialistes éminents aient annoncé le « réveil de l’islam », au premier rang desquels L. Massignon. Très présente en Égypte, la France avait des relais pour suivre la montée du salafisme, et le panislamisme était connu dans la presse de l’entre-deux-guerres. En outre, les archives coloniales rapportent que les autorités policières, poussées par les appareils sécuritaires algériens et des protectorats, sont au fait de l’idéologie arabiste et panislamique qui saisit les étudiants nord-africains de Paris. L’administration use d’ailleurs de stratégies pour pallier ce « risque » (surveillance des aller-retours entre Paris et Genève, chez l’émir syrien Chekib Arslan, grand prosélyte du réformisme musulman et de la nation arabe45, achat d’hôtels parisiens pour concentrer les étudiants, envoi d’étudiants en province, jugée plus sûre, etc.). L’administration coloniale a identifié plusieurs risques politiques combattus avec une vigueur égale : le nationalisme arabe, le patriotisme nord-africain, le communisme et l’ouvriérisme étudiant, le panislamisme…
80Mais le salafisme n’est pas identifié comme étant le cœur idéologique du nationalisme anticolonial. La crainte repose davantage sur la subversion communiste et le nationalisme arabe, deux menaces qui semblent sous contrôle en Afrique du Nord.
81En outre, on regarde avec condescendance les « vieilles barbes » salafistes de la Zitouna ou de Fès. Le modernisme affiché d’un Bourguiba, d’un F. Abbas et d’un A. Balafrej semble un rempart suffisant à la dérive salafiste. La croyance dans la linéarité du « progrès », la conviction que les « évolués » sont une menace mimétique et que les « vieux turbans » sont avant tout jaloux d’une élite qui les dépossède de leur magistère animent les responsables coloniaux. Ils perçoivent mal la modernité du salafisme et sa capacité à remettre en marche une société indigène humiliée et « dépossédée » de son identité. Les thèses d’Abdou et l’hostilité des salafistes à l’encontre du taqlid (traditions), des confréries (tariqat), des sanctuaires (zaouïa) et des saints (mourabitoun) sont perçues comme incompatibles avec l’islam maghrébin. En 1953, les autorités coloniales mobilisent les chefs de confréries pour appeler à la destitution du sultan, sans comprendre qu’elles donnent des cartes aux oulémas pour mobiliser le peuple en faveur du sultan.
82Jusqu’au bout, les autorités coloniales mobilisent les chefs de confréries et de zaouïa, et les lettrés béni-oui-oui. Pourtant, fonctionnarisés en Algérie et comblés d’honneurs dans les protectorats, les cadres de l’islam confrérique ont perdu leur crédit en pactisant avec les Français (le chérif Abdelhaï Kettani au Maroc en est un illustre exemple). Or une nouvelle forme de populisme messianique a fait irruption dans les campagnes d’Algérie, notamment en Kabylie, sous l’aile du PPA. Mais pour les autorités coloniales, cette organisation politique, née en métropole dans l’orbite du PCF, renvoie à un autre champ…
83Bien que les Frères musulmans atteignent peut-être 500 000 membres en Égypte en 1945, la force d’entraînement de l’islam salafiste ne paraît pas faire sens au Maghreb. À Tunis comme à Fès, les autorités coloniales s’inquiètent du gonflement des cours assurés par la Zitouna, la Qaraouiyine et leurs annexes. Mais on estime que la masse « famélique » (sic) des étudiants n’y trouve qu’un substitut à la carence éducative et qu’il faut compter sur les « francophones » pour liquider les « vieilles barbes ». La lutte nationaliste n’est-elle pas dirigée par une élite francophone de juristes, de professeurs et de médecins ?
84Malgré l’extrême violence de la guerre d’Algérie, ces certitudes demeurent. S’interroge-t-on sur l’incroyable résistance des milliers de djounoud des maquis et des montagnes les plus pauvres d’Algérie ? Comment, une fois décimées les couches éduquées et francophones de la révolution, ces paysans analphabètes parviennent-ils à tenir dans l’adversité de cette terrible guerre ? Qui s’interroge sur le référent identitaire du mot mudjahid, le combattant du djihad ? Les Bureaux arabes (devenus SAS) renouent avec la conciliation avec les notables religieux, sans voir le glissement de pouvoir qui les dépossède. Pour les officiers rentrés d’Indochine, il s’agit d’un conflit de guerre froide : la « subversion algérienne » est une pièce de l’échiquier mondial. Adeptes de la guerre contre-révolutionnaire, ils se trompent sur cette mobilisation qui vient des entrailles de la société musulmane, bien plus que du soutien de la « subversion communiste internationale » ou du nationalisme arabo-nassérien.
85Et les faits semblent leur donner raison. Les indépendances inaugurent une phase de lutte contre le tribalisme, le confrérisme et le chérifisme. Bourguiba liquide la Zitouna d’un trait de plume et instaure un code de la famille presque égalitaire. Certes, Mohammed V se garde bien de tels gestes. Mais Hassan II, monté sur le trône en 1961, habillé à l’occidentale et épris de modernité technique, n’est-il pas le gage que l’histoire souffle dans le sens du « progrès » ? Ne parle-t-on pas d’édifier une société moderne, égalitaire, développée, industrielle et même « socialiste » ? En quelques années, l’Algérie s’est à moitié urbanisée et l’économiste marxiste François Perroux invente l’« industrie industrialisante ». Le « développementalisme » semble être l’idéologie dominante des jeunes États indépendants.
86Aussi, lorsque la France « quitte » l’Afrique du Nord et que s’opère la reconfiguration du champ scientifique, l’idée d’une société « en marche » (en référence au livre de Ch.-A. Julien de 1953) s’impose. Au diable les vieilles barbes et les « perdants de l’histoire » ! Pour les marxistes, la religion n’est plus de mise. Cette superstructure idéologique précoloniale semble reléguée aux franges archaïques de la société. L. Massignon n’est plus là pour porter la contradiction. Le roi du Maroc est couramment décrit comme une marionnette féodale aux mains de la bourgeoisie compradore. C’est ce qu’on lit dans la littérature économique universitaire relative à la région.
87La reconfiguration du champ scientifique interdit d’aller plus loin. À la Sorbonne, comme à Nice ou à Aix, les recherches historiques du champ ne s’intéressent qu’au Maghreb colonial. À Paris 4 et dans les universités où se sont réfugiés les historiens d’Alger (Toulouse, Montpellier), on s’intéresse aux politiques coloniales, à la société coloniale et à l’armée d’Afrique. De leur côté, Paris 7 et Paris 8 travaillent sur le temps long. Leur abondante production scientifique tente de s’accorder sur le « mode de production » précolonial. Émule de la féodalité, R. Gallissot lance dans cet esprit le grand colloque de Paris 8 sur Abdelkrim en 1973. C. Coquery innove en optant pour le mode de production africain.
88Les économistes marxistes dénoncent les survivances féodales qu’ils décèlent au Maroc. Mais qui travaille sur le Maroc ? Seule l’Algérie révolutionnaire et socialiste semble emportée par le vent de l’Histoire. Les théoriciens sont à l’œuvre pour lui offrir leurs compétences. Ils dédouanent l’Algérie de ses blocages du fait du double archaïsme dont elle a hérité, son mode de production et l’exploitation impérialiste. J. Bouvier lance à dessein J. Marseille sur l’histoire économique de l’empire, qui à son tour envoie Daniel Lefeuvre sur les archives de l’Algérie. Mais leurs présupposés théoriques ne seront jamais validés… Plus orthodoxe, F. Burgat prépare une thèse de droit sur Les villages socialistes de la révolution agraire algérienne : la place du droit dans le changement social (EHESS, 1981).
89Qui comprend en outre ce qui se trame sur la scène politique algérienne ? Personne ne souligne la montée en puissance de l’idéologue salafiste, Cheikh Taleb Ibrahimi, qui parvient à imposer d’un coup, dix ans après l’indépendance, l’arabisation de l’enseignement et le code de la famille (dans sa version rigoriste). La concomitance de cette réforme avec la nationalisation des pétroles entretient l’illusion d’une réaction anti-impérialiste… La « politique de coopération », notamment éducative, n’est-elle pas dénoncée comme néo-coloniale par les anti-impérialistes européens et leurs épigones maghrébins ?
90Ces certitudes tiennent trente ans, ainsi que l’atteste l’étonnante citation de P. Vidal-Naquet mise en exergue de ce chapitre. Dans le contexte d’effondrement du camp communiste et de fin de la guerre froide, qui s’intéresse au petit « printemps des peuples » qui bouscule les États du Maghreb vers 1990 ? Parmi les historiens, personne n’aborde de front le Maghreb indépendant. Il faut attendre la guerre civile algérienne pour que les « historiques » reprennent la plume (R. Leveau, Le sabre et le turban, 1993 ; A. Nouschi, Amère Algérie, 1997…).
91La jeune génération formée par Ch.-R. Ageron entame à peine sa carrière universitaire. En travaillant sur la biographie d’un colonial (Lyautey), D. Rivet ne peut espérer la reconnaissance de ses pairs. En sortant de l’ombre la figure de Messali Hadj, parallèlement aux travaux de M. Harbi, B. Stora est plus difficilement attaquable. Cet apport précoce (1978) est déterminant pour les recherches sur le nationalisme algérien. Il ouvre le champ de la configuration idéologique et politique du nationalisme algérien, et donc de l’État algérien indépendant. O. Carlier creuse ce sillon dans ses travaux de recherche, en partant de l’Étoile nord-africaine (œuvre de Messali)46, puis en ouvrant la perspective sur la construction idéologique complexe du nationalisme algérien.
92En dépit de ses apports, la biographie reste un genre que les marxistes regardent comme désuet. En outre, avec Les années algériennes (1991), B. Stora encourt le double reproche de succomber à l’image (donc l’émotion) et à la nostalgie coloniales, une infamie ! G. Meynier, qui lui avoue avoir visionné l’émission des dizaines de fois, et A. Nouschi sonnent l’halali contre cette vision coloniale des choses. Quant à G. Pervillé, son étude sur les étudiants musulmans de l’université d’Alger (souvent tués pendant la guerre) ne ressuscite-t-elle pas à tort un monde englouti ? Enfin, le travail de B. Stora sur le nationalisme algérien, qui conduit à La gangrène et l’oubli, est ressenti comme une introspection sur la guerre d’Algérie plus que comme un travail sur la société algérienne.
93Mais à cette exception près, les historiens apparaissent collectivement dépassés en 1992, quand se déclenche la guerre civile algérienne, sous les auspices d’une révolution islamique annoncée. Depuis des décennies, les historiens français qui s’intéressent au Maghreb ont abandonné le champ religieux. On doit à un agrégé d’arabe né à Laghouat en 1930, Ali Mérad, directeur de l’Institut d’études islamiques de Lyon 3, puis professeur érudit au Centre d’études arabes et de l’Orient contemporain (CEAOC) à Paris 3, d’avoir publié Le réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940 : essai d’histoire religieuse et sociale (Mouton, 1967). Mais qui s’intéresse encore à l’histoire religieuse ? En 1969, Ernst Gellner a publié, en anglais, Les saints de l’Atlas, étude fouillée sur le maraboutisme maghrébin, puis Paul Pascon un solide ouvrage sur la Maison d’Illigh, une zaouïa du Sud marocain. Selon D. Rivet, Magali Morsy a introduit la lecture de Gellner au GERM vers 1980. Mais vingt ans sont nécessaires avant que le livre ne devienne accessible en français, aux éditions franco-algériennes Bouchène (Saint-Denis, 2003) !
94Hormis ces quelques travaux restés confidentiels, ce sont les politologues français qui, depuis les années 1970, ont repris le travail sur le religieux. Au Maghreb, on doit à F. Burgat, qui fut coopérant universitaire en Algérie de 1973 à 1980, avant d’être nommé au CEDEJ (Le Caire), d’avoir promptement réagi face à l’islamisme, lorsque ce mouvement surgit sur le devant de la scène algérienne. Au moment où éclate la crise d’octobre 1988, il publie L’islamisme au Maghreb : la voix du Sud : Tunisie, Algérie, Libye, Maroc (Karthala). Mais au Caire, il a été poussé en ce sens par les nouveaux islamologues.
95En effet, pour les intellectuels catholiques encore présents au Maghreb, la question de l’islam est presque taboue. À Tunis, le père M. Lelong s’y intéresse sous l’angle de la rencontre des deux religions… à l’époque coloniale (thèse sous la direction de Robert Mantran, La rencontre entre l’Église catholique et l’islam en Tunisie (1930-1962), Marseille 1, 1971). Il en va de même des travaux du père J. Levrat à Rabat (à la bibliothèque de la Source). Les Jésuites et les Dominicains du Proche-Orient, où subsistent de solides communautés chrétiennes orientales, ont les coudées plus franches, ainsi que le rapporte Dominique Avon47.
96Le principal travail d’analyse est l’œuvre du Dominicain Olivier Carré, arabisant, docteur en sociologie et docteur ès lettres, qui initie un travail pionnier, en français, sur les Frères musulmans. Il devient ensuite politologue à l’IEP de Paris aux côtés de J. Leca et R. Leveau. Après le nationalisme palestinien, O. Carré travaille sur l’islamisme. En 1983, son livre pionnier, Les Frères musulmans (Gallimard, 1983), consacré aux Frères en Syrie et en Égypte, fonde pour trente ans la connaissance française sur ce mouvement. L’année suivante, il livre en langue française une étude savante sur l’islam politique, Mystique et politique : lecture révolutionnaire du Coran par Sayyid Qutb, Frère musulman radical (Cerf, 1984), qui dévoile l’idéologie du théoricien de l’islam révolutionnaire que d’aucuns, en France, rêvent en guévariste romantique de l’islam.
97Grâce au CEDEJ, Le Caire est un foyer vers lequel convergent les apprentis islamologues. Gilles Kepel, chercheur de la première promotion du CEDEJ (1980-1983), prépare une thèse qui fera date, sous la direction d’O. Carré, sur l’islamisme égyptien, Le Prophète et le Pharaon, aux sources du mouvement islamiste (publié en 1984, trois ans après l’assassinat d’A. Sadate). Élu en 1985 enseignant à l’IEP de Paris, il codirige avec R. Leveau le programme d’études doctorales sur le monde musulman (de 1985 à 2010). Pendant un quart de siècle, appuyé sur l’appareil institutionnel du Quai d’Orsay, il oriente les études islamologiques françaises dans deux directions principales, l’islam radical moyen-oriental, et la montée de l’islamisme en Europe. Mais il n’est pas isolé. L’agrégé d’arabe Alain Roussillon, copte égyptien par sa mère, a rejoint le CEDEJ peu après sa création. Il y prépare un doctorat d’État, Réforme sociale et identité : pensée, idéologies, société en Égypte (Paris 3, 1994). Le juriste F. Burgat rejoint le groupe, orientant de manière presque définitive sa recherche sur le Proche-Orient.
98Un politologue de la génération précédente, Jean-Claude Vatin, suit la même trajectoire. Né en 1934, il rejoint l’Algérie en 1966, où il succède à Jean Leca. En 1975, il soutient une thèse sous sa direction, L’Algérie coloniale, éléments d’analyse politique (Grenoble 2), puis publie en 1983 L’Algérie politique. Histoire et société. Toutefois, il se réoriente peu à peu vers le Proche-Orient, ce qui se lit aisément dans les titres des ouvrages collectifs qu’il a coordonnés durant ces années :
- avec Ph. Lucas, L’Algérie des anthropologues, Paris, Maspero, coll. « Textes à l’appui », 1975 ;
- avec Ernest Gellner, Islam et politique au Maghreb, Paris, CNRS Éditions, 1981 ;
- Connaissances du Maghreb. Sciences sociales et colonisation, Paris, CNRS Éditions, 1984 ;
- La fuite en Égypte (Sic). Supplément aux voyages européens en Orient, Le Caire, CEDEJ, 1989 ;
- D’un Orient l’autre, vol. 1, Reconfigurations, vol. 2, Identifications, Paris, CNRS Éditions, 1991 ;
- avec Alain Roussillon, Démocratie et démocratisations dans le monde arabe, Le Caire, Dossiers du CEDEJ, 1992 ;
- avec Michel Camau, Ali Eddine Hilal Dessouki (dir.), Crise du Golfe et ordre politique au Moyen-Orient, Paris, CNRS Éditions, 1993.
99Le basculement du centre d’intérêt des politologues français du Maghreb postcolonial vers l’islam politique moyen-oriental s’affiche. Après avoir été distancé au Maghreb par les politologues et juristes aixois, les historiens le sont au Proche-Orient. Aussi, lorsque l’actualité de l’islam devient brûlante en France (révolution islamique d’Iran en 1979, assassinat de Sadate en 1981, guerre Iran-Irak de 1980 à 1988, attentats parisiens du Hizbollah (1986), crise puis guerre civile en Algérie à partir de 1992, suivie d’attentats parisiens), politologues et juristes ont plusieurs longueurs d’avance. D. Rivet n’arrive à Paris 1 qu’en 1993, et F. Michaud en 1996.
100Il y aurait beaucoup à dire sur la monopolisation du champ des études islamiques par les politologues. En dépit de la qualité du travail des sociologues O. Carré et G. Kepel, du philosophe O. Roy, du juriste de formation F. Burgat et de l’agrégé d’arabe A. Roussillon, qui sont la pointe avancée de la nouvelle islamologie française des années 1990, l’historien déplore une tendance constante à la modélisation et à la généralisation, la sociologisation de phénomènes souvent irréductibles à leur société d’origine (pourquoi l’islamisme qui a ravagé l’Algérie n’embrase-t-il pas le Maroc ?), le surinvestissement des discours idéologiques au détriment des configurations sociales et politiques, ou encore l’aléa des prédictions. Dans un article d’avril 2001 de L’Histoire sur G. Kepel, on lit, sous la plume de François Dufay :
« Cette violence a semblé un signe d’expansion, elle était en fait celui d’un déclin social, analyse Gilles Kepel, fidèle à sa grille sociologisante. Aujourd’hui, la bourgeoisie cherche une issue et formule un nouveau projet dans le langage de la démocratie et des droits de l’homme […]. Une évolution dont Gilles Kepel scrute les signes dans les tribunes des quotidiens arabes de Londres aussi bien que dans les émissions de chaînes de télévision du Qatar […]. »
101Prononcés à quelques mois du 11 septembre 2001, ce qui leur confère une étrange tonalité, ces propos semblent a posteriori validés par le printemps arabe de 2011. Ce serait ignorer que les événements de ces dix années étaient parfaitement impensables, que leur causalité multiple puise dans l’onde de choc du 11 septembre 2001, aux conséquences imprévues. Des intérêts et des aspirations contradictoires cohabitent qui, au gré des conjonctures et des opportunités, s’annulent ou se conjuguent pour forger l’événement historique. Fort de ces observations, l’historien se garde des prédictions.
102De toute façon, les historiens n’avaient plus voix au chapitre, une fois avérée leur myopie sur le fondamentalisme musulman, que les politologues ont eu le mérite d’observer et d’analyser. Il faudrait prolonger l’histoire de la colonisation, celle des sociétés « indigènes » et de l’islam politique, ce que firent chacun à sa manière O. Carlier, H. Laurens, N. Picaudou, D. Rivet et B. Stora… C’est au Maghreb que les historiens étaient le plus démunis, laissant les politologues s’emparer des IFRE récemment créés (M. Camau à Tunis et A. Roussillon à Rabat). R. Gallissot fut l’un des rares, par empathie, à avoir gardé le contact direct avec les sociétés maghrébines. Ainsi s’explique la sortie du livre précurseur, Les Frères et la mosquée. Enquête sur le mouvement islamiste en Algérie, thèse rédigée sous sa direction par Ahmed Rouadjia (Karthala, 1990).
La génération de chercheurs des années 1990 revient à la guerre d’Algérie
103La guerre d’Algérie, outre ses effets sur la société et la pensée françaises, a été l’objet d’un refoulement complexe, à la fois individuel, communautaire, national et institutionnel. Dans La gangrène et l’oubli, B. Stora en explicite les modalités historiques et intellectuelles. Or une conjonction de facteurs se fait jour, au début des années 1990, qui favorise le regain d’intérêt pour ce point d’inflexion dans l’histoire de la France et de l’Occident au xxe siècle, mais aussi du tiers monde et de l’Afrique.
104Le premier élément est factuel : en 1992, en vertu de la loi des trente ans, les archives militaires et civiles françaises sont ouvertes. Très vite, plusieurs étudiants se lancent dans ce continent inexploré. Des historiens professionnels livrent en outre leur propre vision de cette guerre (Pierre Miquel dès 1993) ; d’autres s’intéressent à des aspects particuliers (J.-L. Einaudi pour le 17 octobre 1991) ; et d’autres encore entament un travail de longue haleine (G. Meynier sur l’histoire intérieure du FLN à travers les archives militaires).
105Le second élément tient au « printemps démocratique » algérien. La décomposition brutale de l’État-parti FLN, à partir d’octobre 1988, libère l’analyse critique du régime algérien. Ce régime militaire dictatorial, forgé dans l’affrontement sanglant à la République française puis les règlements de comptes de l’indépendance, était protégé par la culpabilité postcoloniale des élites françaises. Après des décennies de silence, la sociologue Monique Gadant rédige son habilitation48, dans laquelle elle dévoile les non-dits et les souffrances qui ont brisé sa vie, comme celle d’autres militants anti-impérialistes, sous le règne de la Sécurité militaire algérienne49. Jusqu’alors, la critique du régime algérien provenait pour l’essentiel de l’extrême droite, des milieux pieds-noirs et des militaires se reconnaissant dans la mémoire de l’OAS. Mais elle était inaudible du fait de la structure de la presse française et de l’absence de représentation politique de cette partie de l’opinion.
106Le troisième facteur, qui favorise le retour à l’histoire de la guerre d’Algérie, est l’entrée de ce pays dans une atroce guerre civile, qui ranime, en France, le spectre de la guerre d’indépendance. À l’identique, personne en France ne l’a vraiment vue venir, et ses causes semblent obscures. Certains secteurs de l’opinion incriminent l’atavisme des Algériens, mais l’explication est un peu courte… Il est nécessaire de revenir à l’histoire de l’Algérie française et de sa décolonisation désastreuse. Celle-ci a détruit la société politique algérienne pour lui substituer une garde prétorienne fruste et avide de revanche sociale. M. Harbi, B. Stora, O. Carlier et G. Pervillé sont alors les principaux historiens actifs ayant accumulé un savoir critique sur la structuration du nationalisme algérien. B. Stora est en France le premier historien à s’aventurer sur le territoire de cette nouvelle « guerre invisible50 », par absence d’images (le politologue Luis Martinez a soutenu et publié sa thèse sur cette guerre en 1998).
107Au moment où les spécialistes reviennent vers l’Algérie, soudain promue urgence politique et éditoriale, une nouvelle génération s’engage en silence sur ce terrain. Mais l’impossibilité, pendant plus de dix ans, de se rendre en Algérie oblige les jeunes chercheurs français à opter entre les archives coloniales ou un autre terrain (ce qui m’orienta, à titre personnel, vers les anciens protectorats). En quelques années, les archives de la guerre d’Algérie sont labourées, préparant une génération de docteurs au tournant du siècle.
108Quelques thèses avaient été soutenues dès les années 1970, parmi des milliers de publications qui racontent une parcelle de la guerre d’Algérie. En 1976, Mohamed Teguia, sous la direction de M. Rebérioux, soutient à Paris 8 une thèse publiée sous le titre L’Armée de libération nationale en wilaya IV. Dans un autre registre, André Nozière soutient en 1978 à Nanterre, sous la direction d’André Nicolaï, un livre publié sous le titre Algérie : les chrétiens dans la guerre. Dans la même lignée héroïsante, on découvre plus tardivement, sous la plume d’une universitaire française mariée en Algérie, Djamila Amrane, étudiante d’Annie Rey, la thèse Des femmes dans la guerre d’Algérie (1988).
109Dans les années 1990, les historiens explorent des aspects plus douloureux du conflit. L’introspection française, celle des vaincus, dotés du mauvais rôle de surcroît, commence. Sous la direction d’A. Rey-Goldzinguer, Claire Mauss-Copeaux fournit un premier travail sur les appelés, Images et mémoires d’appelés de la guerre d’Algérie, 1955-1994 (1995). Jean Monneret livre en 1996 un travail d’histoire militaire plus classique, sous la direction de François-Georges Dreyfus, La phase finale de la guerre d’Algérie (Paris 4). Puis vient le temps des remises en cause douloureuses, quand l’historien fait éclater les vérités officielles ou les silences pudiques.
110Sous la direction de Jean-Jacques Becker, historien de la Grande Guerre, Sylvie Thénault signe en 1998 une thèse édifiante sur La justice et les magistrats pendant la guerre d’Algérie (Nanterre). Puis la normalienne Raphaëlle Branche, sous la direction de J.-F. Sirinelli, soutient en 2000 une thèse qui fait date, La torture dans la guerre d’Algérie.
111Dans cette nouvelle conjoncture, ces quatre jeunes femmes s’insèrent rapidement à l’université ou dans la recherche française (deux à l’université et deux au CNRS). Après une décennie sans recrutements, elles réorientent durablement la recherche historique française sur le Maghreb, qui, dans l’inconscient collectif et dans les faits, reste liée à la mémoire de l’Algérie coloniale. Mémoire héroïsante ou histoire incriminante, ces travaux correspondent aussi à des nécessités politiques et idéologiques. Le temps est moins à la compréhension de l’Algérie et des Algériens qu’à un retour sur cette part maudite de l’histoire du siècle.
112Or, durant la guerre civile en Algérie, des clivages extrêmement violents ressurgissent sur la scène idéologique parisienne. La guerre algérienne, à laquelle se livrent éradicateurs et islamistes, trouve des prolongements inattendus dans les rédactions, les états-majors politiques, chez les éditeurs et les intellectuels parisiens. Pas plus qu’en Algérie, cette nouvelle guerre ne fait strictement rejouer les clivages et les lignes de fracture hérités du précédent conflit. Mais certains héritages sont troublants. De plus, cette nouvelle guerre d’Algérie déborde sur le territoire français. À Paris se rejouent des solidarités, d’anciens compagnonnages, mais aussi des haines recuites, alimentés par l’afflux, dès 1993-1994, d’intellectuels algériens chassés par la guerre civile. Des centaines d’intellectuels ayant quitté leur administration, leur université ou leur journal s’installent à Paris ou à Aix et poursuivent parfois le combat par la plume. En 2010, Séverine Labat, connue pour sa thèse rédigée à l’IEP sur les islamistes algériens (1995), est soudain privée de soutenance de son habilitation sur ces intellectuels en exil, un sujet encore tabou.
113Sans entrer dans le détail de l’instrumentalisation complexe des trajectoires et des travaux par divers groupes de pression, relevons l’effet miroir provoqué par les recherches historiques et politistes menées sur ces deux conflits. Après avoir été intouchables grâce à leur capital historique, le FLN et les généraux de l’ANP sont confrontés, après 1988, à de violentes attaques émanant de milieux algériens et français. D’autres milieux en revanche, qui leur restent fidèles, se saisissent des travaux menés sur la première guerre d’Algérie pour criminaliser l’armée française et les politiciens ayant couvert son action.
114Sans forcer le trait, les héritiers de Ch.-R. Ageron (alors malade) s’inscrivent dans une voie soucieuse de s’en tenir aux faits de la guerre d’Algérie et de ses drames. Cette voie apaisante, dans les circonstances de l’époque, met en avant la pratique et la critique historiques comme mode de sortie des guerres de mémoires aux effets redoutables. Se rejoignent sur ce terrain G. Pervillé, B. Stora et leurs doctorants. En 2002, une doctorante de G. Pervillé, Sybille Chapeu, soutient le travail Des chrétiens dans la guerre d’Algérie. La Mission de France, élignée des thèses précédemment citées. L’historien G. Pervillé recentre ses activités intellectuelles sur la guerre d’Algérie et sa mémoire, auxquelles il consacre de nombreux écrits, manifestant son attachement constant au factuel, à l’écart des discours idéologiques de combat (sans abolir pour autant l’idéologie).
115Une approche analogue caractérise les travaux de B. Stora durant cette période. Les doctorats qu’il encadre sur la guerre d’Algérie explorent des terrains nouveaux, à la recherche d’éclairages inédits sur un conflit dont il voudrait saper la linéarité, le manichéisme et la schématisation. Linda Amiri, dans La fédération de France du FLN (2007), complète le travail de son directeur, sur la guerre de Messali Hadj et du MNA. Tramor Quéméneur, dans Les réfractaires à la guerre d’Algérie (Paris 8, 2007), déconstruit le mythe de l’unanismisme métropolitain. Marie Chominot, dans Guerre des images. Guerre sans images ? (EHESS, 2008), décrypte la manière dont le conflit a été perçu en métropole. Bénédicte Roy, dans Histoire du groupe d’Oujda de la guerre d’Algérie à l’indépendance (Paris 8, 2010), revient sur le rôle central de l’armée des frontières…
116Enfin, de manière volontariste, B. Stora et son ami M. Harbi tentent l’écriture à deux mains, l’algérienne et la française, du conflit algérien de 1954 à 1962. Dans La guerre d’Algérie 1954-2005. La fin de l’amnésie (2004), ils s’efforcent de prendre à contre-pied les mémoires et les histoires combattantes, en démontrant que quelques dizaines d’historiens des deux rives peuvent contribuer à l’écriture d’une histoire commune. En réalité, la partie algérienne masque mal que la plupart de ces historiens en herbe sont inscrits dans les universités françaises, parfois sous leur direction. Mais le temps de l’apaisement n’est pas encore venu. 2005 connaît un brutal rebond de la « querelle coloniale »…
Retour de flamme sur les temps coloniaux ?
117Au cours des années 1980, les historiens français, à la suite de Robert Paxton, lèvent le voile sur Vichy. Certains en profitent pour tancer l’idéologie des spécialistes de l’histoire coloniale. En 1985, François Caron écrit, dans La France des patriotes (Fayard) :
« Il convient donc d’aborder les problèmes de l’histoire coloniale avec plus de sérénité que ne le font les historiens universitaires actuels : la colonisation ne fut pas seulement une vaste entreprise d’exploitation et de massacre. Elle fut aussi dans bien des cas une étape possible vers le développement […]. »
118Cette charge est contemporaine des travaux de J. Marseille (1984) et de D. Lefeuvre (1994), qui changent la vision économique du colonialisme forgée dans l’anti-impérialisme. J. Marseille clôt le débat sur l’exploitation et l’échange inégal : la colonisation n’a pas été une bonne affaire pour la métropole, ayant nuit au dynamisme de ses entrepreneurs, lesquels ont fini par divorcer de leur empire après 1945.
119Alors que Ch.-R Ageron et Ch.-A. Julien poursuivent leur travail de dévoilement des sociétés coloniales d’Afrique du Nord, un calme relatif entoure les questions coloniales à la fin du siècle. Plusieurs numéros spéciaux de la revue L’Histoire, « Le temps des colonies » (no 69, 1984), « Le temps de l’Algérie française » (no 140, 1991), font l’actualité historiographique. Ils évoquent une douce nostalgie coloniale (faite de représentations et d’images qui s’incarnent dans Indochine de Régis Warnier, en 1992, deux ans après Les années algériennes), sans faire abstraction des violences (le travail forcé au Congo), des guerres (en Algérie) et des dysfonctionnements de l’utopie « assimilationniste ».
120En 1990 est publiée une somme rédigée par les meilleurs historiens de la colonisation française. En deux tomes, Histoire de la France coloniale, des origines à 1914, et Histoire de la France coloniale, 1914-1990 (Armand Colin, 1990), une demi-douzaine d’historiens de tous bords idéologiques livrent un solide travail documentaire et historiographique. Ses auteurs, l’historien de la marine Jean Meyer, le moderniste Jean Tarrade, l’historienne marxiste du Maghreb A. Rey-Goldzinguer, le marxiste spécialiste de l’Empire ottoman Jacques Thobie, l’historien de l’Algérie coloniale G. Meynier, et C. Coquery-Vidrovitch, le tout sous la direction de Ch.-R. Ageron, livrent un travail apparemment consensuel. Si certains nostalgiques de l’empire y voient la victoire de leurs adversaires, l’opinion scientifique commune est à l’apaisement.
121En 1992, D. Rivet écrit un article dans Vingtième Siècle, intitulé « Le fait colonial et nous, histoire d’un éloignement » (1992), où il annonce la fin des guerres idéologiques et des représentations antagoniques de la question coloniale. Le pari semble en passe de se réaliser. La fin de la guerre froide suspend les déclarations idéologiques de posture. La réconciliation symbolique entre Ch.-R. Ageron et C. Coquery-Vidrovitch, du fait de ce travail en commun, en est une belle manifestation. Le colloque Ch.-A. Julien, à la Sorbonne, en décembre 1992, sous les auspices d’A. Rey et de M. Morsy, fédére toutes les « familles » de l’historiographie coloniale algérienne et nord-africaine, de R. Gallissot aux héritiers de R. Girardet. Un « centre interuniversitaire international Ch.-A. Julien » est créé à l’IEP, autour de ses archives.
122Mais ces retrouvailles masquent des dissonances. La première tient au fait que la plupart des spécialistes d’histoire du Maghreb colonial quittent leurs postes dans la décennie 1990, sans être remplacés. Cela avait été le cas de Ch.-A. Julien, R. Girardet et Ch.-R. Ageron. À la génération suivante, A. Rey, Cl. Liauzu, A. Nouschi, R. Gallissot, R. Leveau, M. Gadant, M. Harbi, G. Meynier, M. Camau, J.-L. Miège, J. Ganiage, M. Morsy… quittent l’université, sans maintien de leur poste sur le Maghreb contemporain. Les postes de professeurs créés durant cette décennie pour B. Stora, G. Pervillé, D. Rivet, D. Lefeuvre, J. Frémeaux et J.-Ch. Jauffrey, et les maîtrises de conférences attribuées aux intellectuels de retour d’Algérie (O. Carlier, D. Amrane, A. Kadri…) ne rétablissent pas le déséquilibre. L’histoire du Maghreb contemporain disparaît de nombreux établissements (IEP de Paris, Nancy 2, Aix, Reims, Paris 3…). De sorte que cette histoire apaisée est de plus en plus silencieuse.
123La seconde dissonance tient au fait que les batailles idéologiques rebondissent sur d’autres terrains. La guerre civile algérienne prépare le retour à des affrontements idéologiques et scientifiques. La carence en postes permet l’élection d’une poignée d’enseignants-chercheurs sur la guerre d’Algérie. Mais un autre terrain émerge, vers 1990, autour des migrations, qui devient le terrain de prédilection des postcolonials studies à la française. Cette émergence s’opère sur plusieurs fronts. Les marxistes de la génération précédente, dont on a vu le décrochage sur la question religieuse, reviennent à la guerre d’Algérie (G. Meynier), ou optent pour les migrations.
124B. Stora s’était précocement intéressé à cette question, avec Ils venaient d’Algérie. L’immigration algérienne en France, 1912-1992, (Fayard, 1992). Mais l’évolution des bibliographies de R. Gallissot (Ces migrants qui font le prolétariat, Méridiens-Klincksieck, 1994 ; Misère de l’antiracisme, Arcantère, 1999) et Cl. Liauzu (La société française face au racisme. De la Révolution à nos jours, Complexe, 1999) est sans ambiguïté. L’historienne Laure Pitti, auteur d’une thèse sur Les ouvriers algériens à Renault-Billancourt, de la guerre d’Algérie aux grèves d’OS des années 1970 (2002), sous la direction de R. Gallissot, est élue maître de conférences à Paris 8 après le départ de R. Gallissot et B. Stora.
125Le deuxième front se situe à l’EHESS, où G. Noiriel publie, cette même année 1992, Le creuset français, dans le contexte politique, ainsi qu’il le précise lui-même dans son ego-histoire intellectuelle, d’émergence du Front national. Parmi les doctorants qu’il oriente dans cette direction, Emmanuelle Saada soutient une thèse sur La question des métis dans les colonies françaises, sociohistoire d’une catégorie juridique (1890-1950) (EHESS, 2001), ce qui lui ouvre les portes de la Columbia University à New York.
126Enfin, un troisième front se développe aux portes de l’université, en triangulation entre l’ACHAC (Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique coloniale), dirigée par Pascal Blanchard, les éditions La Découverte de F. Gèze, et certains universitaires comme Nicolas Bancel (Strasbourg). L’ACHAC, créée en 1989, est un groupe de recherches (« colonisation, immigration, postcolonialisme ») aux publications abondantes. Elle recourt à l’iconographie coloniale, cherchant à frapper les imaginaires par le poids des mots (les « zoos humains », la « fracture coloniale », la « République coloniale ») et le choc des photos. Cette approche tend les relations avec les universitaires, qui y voient une soumission au mercantilisme, mais elle est significative du retour en force des affrontements en histoire coloniale. Le constat d’apaisement de D. Rivet en 1992 a fait long feu.
127À partir de 2000, la justice expéditive et la torture durant la guerre d’Algérie sont mises sur le devant de la scène publique par Le Monde. Puis, dans le contexte algérien de « réconciliation nationale » qu’il promeut, le président A. Bouteflika instrumentalise, à usage interne, un supposé « consensus » algérien : la dénonciation des exactions de la France coloniale. En quelques années, les mots de « crime contre l’humanité » (à Sétif par exemple), de « génocide » (pendant la conquête), de « chambres à gaz » (alias les grottes enfumées par Lamoricière durant la conquête), etc., deviennent récurrents dans le discours des autorités algériennes.
128La conjonction entre ces diverses thématiques, dans le cadre d’une dégradation des rapports entre la France et l’Algérie, et des conflits idéologiques qui fractionnent le paysage intellectuel et politique français, remettent au premier plan la « fracture coloniale ». Cela dépasse le cadre maghrébin. Mais du fait de la centralité du mixte « franco-maghrébin » (R. Gallissot), l’histoire coloniale et postcoloniale de l’Afrique du Nord est centrale. Le passage des études maghrébines à l’étude des migrations, voire à celle de la société coloniale, devenue postcoloniale, semble aller de soi pour de nombreux spécialistes. Or ce n’est ni évident ni anodin.
129Alors que pendant l’empire, l’étude de la société coloniale a presque toujours prévalu, à la fin du xxe siècle, l’objet principal d’étude des spécialistes devient la société migratoire transplantée et ses interactions dans l’ancienne métropole. Comme si l’objet était toujours ailleurs, sur toile de fond de la société maghrébine, dont l’étude est laissée aux anthropologues et aux politologues. Le déséquilibre est tel, y compris dans ces disciplines, que l’université et la recherche doivent recourir, que ce soit à l’IEP (Kh. Mohsen-Finan), à Aix (la liste est très longue jusqu’à M. Benhlal, M. Tozy, K. Dirèche…), à l’EHESS (H. Touati, T. Yassine, O. Tengour) ou dans les universités parisiennes (A. Kadri) et de province (L. Addi, S. El Mechat), à des chercheurs natifs – et souvent formés – au Maghreb. Les réfugiés algériens, qu’il faut parfois recruter d’urgence pour une vacation, sont les bienvenus.
130Au moment où de plus en plus de chercheurs et d’universitaires français se spécialisent sur les migrations, et plus précisément l’immigration et les populations immigrées en France, l’histoire et l’anthropologie des sociétés du Maghreb sont déléguées à des ressortissants du Maghreb, puisés dans les universités locales. Cette « spécialisation » des tâches serait positive si elle ne dissimulait pas deux problèmes sous-jacents : l’extrême difficulté des universités à recruter des enseignants-chercheurs qui ne travaillent pas sur la France et les questions nationales, et l’infime proportion des doctorants connaisseurs des sociétés étrangères (c’est vrai du Maghreb, des États-Unis, et plus encore de la Chine ou de la Russie).
131Le point culminant de cette évolution est atteint avec le projet de loi du 23 février 2005, qui dispose que le « rôle positif » de la colonisation en Afrique du Nord doit être enseigné dans les écoles. Il s’ensuit une polémique franco-algérienne (et dans une moindre mesure franco-tunisienne) très virulente, durant neuf mois, jusqu’à ce que le président Chirac décide de retirer le projet de loi. Le professeur émérite C. Liauzu s’est dressé en porte-drapeau de la communauté des historiens, pour réclamer l’abolition sine die du texte. Directeur en 2004 de l’ouvrage collectif Colonisation, droit d’inventaire (Armand Colin, 2004), il est l’un des principaux initiateurs de l’appel des historiens et enseignants. Au « devoir de mémoire » qu’il déplore, il préfère le « devoir d’Histoire », sur fond de polémique aggravée côté autorités algériennes, qui en profitent pour enterrer le projet de traité d’amitié entre les deux pays, sous couvert de refus de pardon français. Le débat dérive sur la repentance, créant de nouvelles tensions entre spécialistes (D. Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance coloniale, 2007).
132Ce trop-plein de controverses a indisposé bien des spécialistes. Pourtant, les intellectuels algériens en France ont été très modérés, tandis qu’au Maroc, le magazine francophone Tel Quel a pris au mot la question, lançant un débat entre historiens sur les apports comparés de la colonisation française…
133En 2008, un jeune historien, Jean-Frédéric Schaub, validé par les Annales, s’interroge : « La catégorie études coloniales est-elle indispensable51 ? » La réponse étant donnée dans la question, l’auteur s’élève contre cette branche des recherches historiques, oubliant que celle-ci, dans le domaine qui nous concerne, n’existe presque plus depuis la disparition de la chaire de Ch.-A. Julien en 1961. Il la justifie par un retard supposé des études françaises dans le domaine, ce qu’infirment les travaux relatifs au domaine colonial français, au moins pour le monde arabo-berbère. La tonalité post-coloniale de l’article sous-tend que l’on ne peut étudier séparément les deux domaines, ce que Julien et Ageron avaient établi dès les années 1960. Enfin, lorsqu’il affirme que des recherches pilotées depuis la France favoriseraient la langue française au détriment des « langues extra-européennes », son analyse n’est guère pertinente au Maghreb.
134Cette région est largement un pays de culture orale (berbère ou arabe) jusqu’au xxe siècle, en dehors des villes de culture savante arabe. Les savants de la période coloniale ont réalisé un travail de transcription et de traduction considérable qui mériterait d’ailleurs d’être diffusé. Si l’on ajoute que l’essentiel des archives des xixe et xxe siècles, notamment en Algérie, sont en langue française, et qu’au Maghreb le problème tient moins à la langue qu’à l’accessibilité des archives, on se gardera des généralisations hâtives… Sur le terrain du Maghreb, la carence scientifique française tient au fait que c’est moins le Maghreb qui intéresse que la France au Maghreb… ou le Maghreb en France.
Notes de bas de page
1 Charles-André Julien et Magali Morsy, Une pensée anticoloniale, Paris, Sindbad, 1979.
2 Interview de Louisette Ighilahriz par Florence Beaugé, Le Monde, 21 juin 2000.
3 Sylvie Thénault, « Travailler sur la guerre d’indépendance algérienne. Bilan d’une expérience historienne », Afrique & Histoire, no 2, 2004, p. 195-206.
4 Noiriel Gérard : « Contrairement à l’image qu’ils aiment souvent donner d’eux-mêmes, et sur ce point Marc Bloch n’échappe pas à la règle, les historiens d’aujourd’hui ne sont pas des “artisans”, accomplissant en toute liberté leur “chef-d’œuvre”. Ce sont, généralement, des fonctionnaires qui exercent une activité salariée, issue de la division bureaucratique du travail intellectuel. Dans ces conditions, qu’ils le veuillent ou non, ils sont dépendants de l’État qui leur assure leur moyen de subsistance. Mais pour autant […], ils doivent nécessairement tenir à distance le pouvoir d’État, en résistant collectivement aux empiètements du monde politique dans les affaires du monde savant », dans « Le statut de l’histoire dans Apologie pour l’histoire », Penser avec, penser contre. Itinéraire d’un historien, Paris, Belin, 2003.
5 Guy Pervillé, « Les historiens de la guerre d’Algérie et ses enjeux politiques en France » (2003), mis sur son site Internet le 21 février 2005. L’auteur rappelle que la SFIO gère l’Intérieur et l’Algérie de 1945 à 1950, ces fonctions étant confiées aux radicaux jusqu’en 1955.
6 Ibid. : « La gauche, le plus souvent au pouvoir de 1954 à 1958, a été profondément divisée par la politique répressive de Guy Mollet et Robert Lacoste, qui a conduit une “nouvelle gauche” non communiste à se révolter contre la “trahison” des principes socialistes et républicains et à se rapprocher de la gauche communiste pour faire face à la menace d’un totalitarisme militaire. »
7 Un ouvrage consacré par le jeune historien chartiste Jean-Pierre Bat à cette politique est en cours de préparation.
8 Entretien avec Jean-Pierre Chrétien (19 février 2010).
9 Claude Wauthier, « Jacques Foccart et les mauvais conseils de Félix Houphouët-Boigny », Les Cahiers du Centre de recherches historiques, no 30, 2002.
10 Arrêté du 17 janvier 1962, et décision du 20 novembre 1963.
11 Le CENA a été créé en 1958 par J.-P. Trystram, R. Le Tourneau, A. Adam et J.-L. Miège, de retour d’Afrique du Nord (cf. supra).
12 Unité mixte de recherche, généralement entre le CNRS et une université.
13 Hady-Roger Idris, La Berbérie orientale sous les Zirides, 1962. Talbi Mohamed, L’émirat aghlabide. 186-296, 800-909. Histoire politique, Paris, Maisonneuve, 1966 (la soutenance a été postérieure de deux années).
14 Jean-Pierre Van Staëvel, Droit malekite et habitat à Tunis sous les Hafsides, thèse de 1999, publication de l’IFAO, 2008. Un an plus tard, Dominique Valérian, Bougie, port maghrébin à la fin du Moyen Âge, thèse d’université, université Paris 1, décembre 2000.
15 Magali Morsy (dir.), L’islam en Europe à l’époque moderne, Paris, Association pour l’avancement des études islamiques, 1985.
16 Sa première publication, qui vaut acte de naissance, est un ouvrage collectif intitulé Connaissance du tiers monde. Approche pluridisciplinaire, Paris, Christian Bourgois, coll. « 10/18 », 1978.
17 Charles-André Julien, « La paix est possible en Algérie », motion à un congrès extraordinaire (jamais tenu), publiée dans la Tribune du socialisme, 15 mai 1958.
18 Ch.-A. Julien, avec la collaboration de Magali Morsy, Une pensée anticoloniale : positions 1914-1979, Paris, Sindbad, 1979.
19 Propos rapportés par Ghislaine Mathieu, productrice à France-Culture, dans Confluences Méditerranée, no 7, 1993.
20 Benjamin Stora et François Malye, François Mitterrand et la guerre d’Algérie, Paris, Calmann-Lévy, 2010.
21 André Raymond, « Une conscience de notre siècle, Charles-André Julien (1891-1991) », Revue du monde musulman et de la Méditerranée, no 59-60, 1991, p. 259-262.
22 Benjamin Stora, Le mystère de Gaulle, Son choix pour l’Algérie, Paris, Robert Laffont, 2009.
23 Ch.-A. Julien, avec la collaboration de Magali Morsy, op. cit., 1979.
24 Benjamin Stora, « Le décès d’un grand historien, Charles Robert Ageron, 3 sep. 2008 », Médiapart, 5 septembre 2008.
25 Guy Pervillé, In memoriam. Charles-Robert Ageron (1923-2008), 6 septembre 2008.
26 Reçu à l’Académie française le 10 février 2000, Pierre Mesmer déclara dans son discours d’intronisation, au sujet des harkis : « Il y a des guerres justes, mais il n’y a pas de guerre propre et, dans les grandes crises, nul ne gouverne innocemment. Pour le bien et le repos de la patrie, doit-on prendre le risque de perdre son âme ? »
27 Selon Daniel Rivet, Magali Morsy (d’origine juive tchèque, réfugiée en Angleterre avec sa famille en 1938) apportait à ces réunions de l’air du large, en introduisant par exemple Waterbury et Gellner.
28 Leur amitié remonte à leur compagnonnage pour la paix en Algérie.
29 Benjamin Stora, Le mystère de Gaulle, Son choix pour l’Algérie, Paris, Robert Laffont, 2009.
30 Le futur général Ben Ali est passé par Saint-Cyr à l’indépendance. Les généraux Oufkir et Dlimi sont d’anciens officiers de l’armée française. En 1976, l’opération extérieure Lamentin, dans laquelle des Mirages français prépositionnés au Sénégal, sous couvert d’empêcher une déstabilisation de la Mauritanie, détruisent, en coordination avec les FAR, des colonnes lourdement armées du Polisario qui s’apprêtaient à y faire un coup d’État. Ils créent de la sorte un déséquilibre stratégique dont le Maroc est le premier bénéficiaire.
31 Catherine Simon, 2009, op. cit.
32 J.-R. Henry est docteur en droit public du développement. Il enseigna douze ans à l’université d’Alger.
33 Jusqu’alors, l’Institut de recherches méditerranéennes (IRM), dirigé par J.-L. Miège, et son laboratoire, le CRESM, dirigé par Roger Le Tourneau, avaient assuré une certaine prééminence de l’histoire.
34 Institut des hautes études marocaines de Rabat, créé par Lyautey, embryon de l’université Mohammed V.
35 Ces instituts sont communément appelés les IFRE, Instituts français de recherche à l’étranger (dépendent de la DG-CID au MAE).
36 À cet égard, on ne peut qu’être frappé par l’indigence analytique des deux « Que sais-je ? » qui portent sur la Tunisie (M. Camau) et le Maroc (J.-L. Miège), surtout par comparaison au fulgurant « Que sais-je ? » d’Ageron sur l’Histoire de l’Algérie contemporaine (en réalité l’Algérie coloniale), ou avec le « Que sais-je ? » de R. Gallissot sur L’économie de l’Afrique du Nord (ces deux derniers remontent au début des années 1960).
37 « L’histoire de l’Afrique, souligne C. Coquery-Vidrovitch, c’était alors l’histoire de la colonisation ; l’Afrique précoloniale intéressait d’autant moins que les sources écrites étaient faibles ; or les historiens de l’époque ne croyaient qu’aux sources écrites [NDLR, elle parle de son directeur H. Brunschwig]. Les premiers spécialistes à avoir écrit sur le sujet étaient d’ailleurs soit un géographe (Jean Suret-Canale) soit un journaliste (le Britannique Basil Davidson). »
38 Précision apportée par l’historien de l’Afrique Pierre Boilley, directeur du MALD, puis du CEMAf depuis 2006.
39 Archives nationales, université Paris 1, CEMAf (1964-2009), répertoire rédigé par Mathilde Schmitt avec la collaboration de Liliane Daronian, brochure imprimée de 34 p.
40 Entretien avec Jean-Pierre Chrétien (ibid.).
41 Cet ancien professeur d’histoire médiévale de l’Afrique, d’ascendance maltaise par son grand-père fonctionnaire en Égypte, fut d’abord coopérant au Tchad. Il est élu à la fin des années 1980 professeur à Paris 1 sur le poste laissé par Jean Devisse. Entretiens en février 2010.
42 Thierry Perret, MFI (agence de presse de RFI), « Une pionnière de l’histoire africaine », 28 nov. 2003.
43 Catherine Coquery-Vidrovitch, « Les usages politiques de l’histoire coloniale », Afrique & Histoire, no 6, 2006. Et Daniel Rivet, « Post-scriptum aux souvenirs des années 1960-1980 de Catherine Coquery-Vidrovitch », Afrique et Histoire, no 7, 2009.
44 Le CEAN est devenu le LAM, Les Afriques dans le monde, le 1er janvier 2011.
45 Charles-André Julien, Une pensée anti-coloniale, avec la collaboration de Magali Morsy, Positions 1914-1979, Paris, Sindbad, 1979, 267 p.
46 Omar Carlier, IIIe cycle sous la dir. de Claude Collot, L’Étoile nord-africaine (université d’Alger). HDR sous la direction de Jean Leca, Socialisation politique et acculturation à la modernité. Le cas du nationalisme algérien (de l’ENA au FLN 1926-1954) (IEP Paris, 1994).
47 Dominique Avon, « Les Frères prêcheurs en Orient. Les Dominicains du Caire (années 1910-années 1960) », REEM, no 117-118, juillet 2007, Cerf, coll. « Histoire », 2005, 1 029 pages dont 954 pages de texte.
48 L’habilitation, ou HDR (habilitation à diriger les recherches), tient lieu de seconde thèse pour les chercheurs et les universitaires, auxquels elle octroie le droit d’encadrer des recherches.
49 Monique Gadant, Parcours d’une intellectuelle en Algérie, Nationalisme et anticolonialisme dans les sciences sociales, Paris, L’Harmattan, coll. « Histoire et perspectives méditerranéennes », 1995.
50 Benjamin Stora, La guerre invisible, Algérie, Années 90, Paris, Presses de Sciences-Po, 2001.
51 Jean-Frédéric Schaub, « La catégorie études coloniales est-elle indispensable ? », Annales, 2008/3, p. 625-646.
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