2. De nouvelles structures matérielles de production de la factualité scientifique
p. 37-69
Texte intégral
1Si Beveridge, à travers son Comité international pour l’histoire des prix, a pu imposer ses propres choix méthodologiques à la plupart des personnes qui, en Europe et aux États-Unis, travaillaient alors en histoire des prix, la raison en est avant tout dans sa capacité à promouvoir de nouvelles modalités pratiques d’organisation de la recherche historique, attractives de par la reprise qu’elles effectuaient de formes alors fortement valorisées issues d’autres fractions du champ académique (le laboratoire), efficaces (au moins à court terme) en raison de leur caractère hiérarchique prononcé, et enfin étroitement ajustées aux possibilités nouvelles de financement privé qui se faisaient alors jour.
L’histoire, artisanat individuel ou big science ?
2L’intérêt qu’au sortir de la Première Guerre mondiale Beveridge développe pour l’histoire des prix non seulement n’a rien d’exceptionnel, mais au contraire correspond à une tendance historiographique de fond qui touche l’ensemble du monde occidental, et qui est d’autant plus révélatrice qu’elle se développe dans chaque pays généralement en totale méconnaissance de ce qui se fait ailleurs. Il paraît difficile de ne pas relier cet intérêt général aux bouleversements que la Première Guerre mondiale a apporté dans toutes les économies à la valeur de la monnaie, et donc aux prix – phénomène d’autant plus essentiel que non seulement il persiste après la fin de la guerre (jusqu’à un cas aussi extrême que celui de l’hyperinflation allemande), mais surtout qu’il remet en cause la structure sociale même des sociétés européennes d’alors en sapant la valeur des obligations (notamment d’État), c’est-à-dire le fondement de la richesse des rentiers. Ce lien entre problèmes contemporains et questionnements historiographiques est clairement exprimé dans l’article par lequel Lucien Febvre annonce le lancement par les Annales d’une enquête sur l’histoire des prix : « Notre enquête sur le problème historique des prix s’efforcera de servir, à la fois, […] les enquêteurs du présent, les investigateurs du passé. Le problème des prix : quelle en est l’importance, aujourd’hui, dans tous les domaines de la vie économique et sociale d’un univers profondément troublé1 ! »
3Si donc l’Angleterre a Beveridge, la France a de même d’abord Simiand, qui en 1929 explique que l’histoire des prix « a été l’objet de mon travail, et de contributions d’auteurs, d’une de mes conférences aux Hautes Études pendant plusieurs années2 » – travaux qui en 1932 déboucheront sur la publication de ses Recherches anciennes et nouvelles sur le mouvement général des prix du xvie au xixe siècle3 ; la France, toujours, a ensuite également Labrousse, qui commence en 1924 sa thèse4, qu’il soutiendra en 1932 sous le titre d’Esquisse du mouvement des prix et des revenus en France au xviiie siècle5. La Pologne a, elle, Bujak, dont les travaux en la matière remontent eux aussi à 19246, et dont les élèves, à partir de 1928, multiplient les monographies dans ce domaine7. Aux États-Unis, c’est Hamilton, dont le premier article sur le sujet est de 19288, et qui dès 1929 soutient sa thèse9. Si, aux Pays-Bas, Posthumus ne fera paraître sa Nederlandsche Prijsgeschiedenis qu’en 1943, ses travaux étaient engagés dès avant 193010. En Allemagne enfin, Abel commence en 1930 son habilitation11, qui paraîtra en 1935 (Agrarkrisen und Agrarkonjunktur in Mitteleuropa vom 13. bis zum 19. Jahrhundert). On pourrait dès lors être tenté de faire du premier des chercheurs à s’être engagé dans cette voie le héros de l’histoire des prix nouvelle manière – place qui reviendrait donc à Simiand, qui avait largement précédé Beveridge. Mais outre que Simiand fut méthodologiquement bien moins novateur que Beveridge, et intellectuellement (pour ce qui concerne l’histoire des prix) bien moins inventif que Labrousse ou Abel, ce qui ramène à peu de chose l’intérêt de son antériorité, celle-ci de toute façon ne serait significative que si elle avait eu un effet, et que si, donc, c’était à l’imitation de Simiand que ses collègues avaient investi ce domaine. Antériorité ne vaut en effet, en matière historiographique, causalité, que pour autant qu’il y ait connaissance, ce qui ne semble pas avoir été le cas12.
4Ce qui sépare Beveridge de ces chercheurs ne réside pas, pour l’essentiel, dans les choix méthodologiques. Ainsi le premier article d’histoire des prix de Labrousse est-il exclusivement consacré à l’analyse critique des sources utilisées, dont est reconstruite très précisément l’élaboration, et au test de leur concordance par rapport à d’autres séries afin de vérifier l’absence de variations suspectes – de même qu’il consacrera plus tard un article entier à la méthode du test de concordance13 ; plus profondément, c’est l’épistémologie beveridgienne que partage Labrousse : « C’est à des données statistiques et à des courbes qu’il [Labrousse] cherche également à réduire les faits économiques et sociaux et, par conséquent, il s’efforce implicitement, lui aussi, d’en élever l’étude à la dignité de science, en y introduisant la méthode des sciences de la nature14. » Cela ne signifie toutefois pas que parmi les chercheurs en histoire des prix certains ne restent pas encore attachés à des formes désormais dépassées de présentation des prix historiques, en mesure et monnaie actuelles, voire n’acceptent même pas la « radicalisation positiviste ». Ainsi Simiand affirme-t-il que « les mesures auxquelles les documents réfèrent ont évidemment […] à être ramenées à des unités modernes15 » ; et, plus largement, il refuse de vouer aux gémonies Thorold Rogers et d’Avenel, qui aussi bien forment (avec Hanauer) la base de la première partie de ses Recherches sur le mouvement général des prix16.
5Si Beveridge, donc, n’est à son époque que l’un des tenants d’une méthodologie renouvelée de l’histoire des prix, méthodologie certes pas encore partagée par tous mais qui ne lui est cependant pas non plus propre, en revanche quant à ce qui est de l’organisation de la recherche en histoire des prix, Beveridge se distingue radicalement de tous ses contemporains. Relativement à celle-ci en effet, deux cas de figure se distinguent parmi ses pairs. D’une part – exclusivement en France – l’historien travaillant absolument seul, qu’il soit en début (Labrousse) ou en fin de carrière (Simiand), selon un modèle qui était celui incarné par Thorold Rogers ou d’Avenel, et qui, étant donné à la fois l’ampleur des dépouillements nécessaires17 (et ce d’autant plus qu’à l’époque la validité de la méthode par sondages n’était encore nullement communément acceptée)18, et la lenteur des calculs en une époque où l’on ne disposait que de règles à calcul19, avait pour conséquence de faire de l’histoire des prix l’apostolat de toute une vie20, parfois difficilement supportable21. D’autre part – et cette fois de manière congruente avec les structures plus modernes de recherche que représente la création d’instituts d’histoire, opérée d’abord en Allemagne au tournant du xxe siècle – une organisation hiérarchisée du travail ne correspondant toutefois pas encore à une division du travail au sens strict, mais à une simple juxtaposition de chercheurs effectuant les mêmes tâches concourant à la réalisation par cumulation d’une œuvre commune sous la direction d’un maître d’œuvre22. Ce mode d’organisation, fondé sur la simple addition d’identiques procès individuels de production des faits, est notamment celui au sein duquel Abel a commencé, en position subordonnée, ses travaux d’histoire des prix23, et est aussi bien celui utilisé par Bujak dans le cadre de son histoire des prix en Pologne, puisque ce projet consiste à répartir les différentes villes polonaises et les siècles entre ses élèves déjà docteurs24.
6La novation qu’apporte Beveridge, congruente avec sa conception para-expérimentale des données historiques, est de faire passer la recherche en histoire de ce modèle de l’institut à celui du laboratoire, caractérisé par une spécialisation des tâches en fonction de compétences distinctes, c’est-à-dire par une véritable division du travail. Cette transformation des structures de la production historiographique est directement liée au régime nouveau de factualité qu’instaure Beveridge, dans la mesure où sa double fondation et dans l’érudition traditionnelle centrée sur les sources, et dans la construction statistique des données, fait que la factualité ne peut plus naître que de la collaboration de chercheurs provenant d’horizons que par ailleurs tout sépare. La rupture vient donc non pas de l’importance des moyens à la disposition de Beveridge25, mais de l’utilisation qu’il fit de ces moyens, du soin qu’il eut de regrouper autour de lui des spécialistes de domaines très différents : de son souci, si l’on veut parler en termes actuels, de mener une enquête pluridisciplinaire26. En effet, si l’économiste qu’il est dirige le tout, assisté d’un secrétaire27 qui assure la coordination (keeping the two sides together, tâche d’autant plus nécessaire que justement il s’agit de faire travailler ensemble des personnes n’en ayant pas l’habitude), ses collaborateurs se répartissent en deux groupes, the statistical side (une assistante à temps plein, F. J. Nicholas, et un calculateur à temps plein) et the archivistic side (Hubert Hall dans une position mal définie mais qui étant donné son âge et son niveau hiérarchique n’est certainement pas celle d’un assistant, un extractor à temps plein et deux extractors correspondant à un trois quarts temps)28. Ces deux groupes ne sont toutefois pas égaux, non seulement parce que les archivistes sont plus nombreux (ce d’autant plus que F. J. Nicholas est également chargée du secrétariat), mais aussi et surtout parce que leur fonction est plus prestigieuse, à en juger du moins par leurs caractéristiques personnelles, puisque à l’âge, au niveau hiérarchique et au sexe de Hubert Hall s’opposent la jeunesse et la féminité de Nicholas29. On n’a donc pas seulement à faire à une division du travail, mais à une division sexuée et par là même hiérarchisée du travail.
7Par rapport à notre question principale – les modalités de construction de la factualité scientifique –, une telle division du travail n’est pas seulement, outre une condition désormais nécessaire, également le gage d’une productivité plus grande, mais représente aussi bien un danger. En effet, il ne peut y avoir confiance quant à la qualité de ce qui résulte de l’ensemble du processus de production historiographique, quant à, donc, son caractère de fait scientifique, que s’il y a certitude quant à la qualité de chacune des étapes du processus de production, assurées par des personnes distinctes. Or le système alors normal de certification de la qualité historiographique, le jugement par les pairs, avant tout par le biais de la recension30, ne pouvait ici fonctionner, pour deux raisons : d’une part parce que dans la mesure même où il y avait division du travail, et parce que le travail historiographique est par définition production d’une publication, les différentes étapes, ne faisant pas l’objet de publications, ne pouvaient faire l’objet d’un contrôle par le biais des recensions ; d’autre part, parce que cette division du travail correspondait aussi à une organisation hiérarchique, le problème de la certification de la qualité perdait ce mode de résolution, fondamental parce que a priori, que représente la confiance accordée par défaut au travail d’un pair, confiance faisant ici place à la méfiance structurelle liée au rapport hiérarchique (qui plus est redoublé d’une domination économique, les collaborateurs de Beveridge n’étant pas des élèves mais des salariés). L’assurance que le produit de chaque étape du processus de production était de qualité ne pouvait donc plus venir que d’une formalisation et normalisation de chacune de ces étapes, indiquant exactement à chaque collaborateur la façon dont il devait procéder31, et rendant un contrôle ultérieur aisé32 ; du caractère stratégique de ces instructions dans la construction de la factualité scientifique témoigne le fait qu’elles étaient reprises de manière plus ou moins développée dans l’introduction de la publication finale, afin de permettre au lecteur de s’assurer lui aussi ainsi de la qualité de chaque étape à travers la qualité des principes qui la guidaient, ou plutôt afin de créer un « effet de factualité33 ». Une telle standardisation du travail par son encadrement normatif impliquait une réflexion préalable poussée sur la façon dont devraient être traités tous les problèmes qui pourraient potentiellement être rencontrés – et l’une des raisons de la supériorité méthodologique de Beveridge sur ses contemporains est à chercher dans cette contrainte, impliquée par le nouveau processus de production historiographique qu’il mettait en place, d’une réflexion méthodologique suffisamment aboutie pour pouvoir faire l’objet d’énoncés univoques à propos de l’ensemble des sujets envisageables, remplaçant ce « flair » de l’historien dont les « pairs » se créditent entre eux.
8Ici comme précédemment dans l’analyse de l’épistémologie, l’attention à la culture matérielle du travail historiographique est riche d’enseignements. En effet, de cette standardisation directive du processus de travail, la meilleure preuve est certainement dans ces feuilles qui ont remplacé les traditionnelles fiches, puisqu’elles sont en fait des formulaires pré-imprimés, qui guident le travail de collaborateurs qui n’ont plus qu’à remplir les espaces laissés vides. Ainsi les assistants de Beveridge travaillent-ils avec des typed forms with ruled columns34, chez Hamilton prices are recorded on forms containing a printed list of 44 commodities35, Elsas utilise un Formular36, Pribram des Aufnahmekarten mit feststehendem Vordruck37, et Hauser va jusqu’à publier les modèles qu’il a fait utiliser par ses collaborateurs38, avant que les membres du Comité ne se décident à utiliser un formulaire identique, trilingue39. On le voit à cet exemple : les nouvelles formes inventées par Beveridge ont, par le biais de son Comité international pour l’histoire des prix, été reprises dans l’Europe entière – ce qui m’amène à cette autre novation essentielle introduite par Beveridge : l’internationalisation du processus de production des faits historiographiques, ou plus exactement les nouvelles formes données à celle-ci.
Quelles formes pour l’internationalisation du processus de production scientifique ?
9Beveridge n’avait pas particulièrement fait preuve d’originalité en s’intéressant, après la Première Guerre mondiale, à l’histoire des prix, puisque à peu près au même moment d’autres chercheurs se lançaient, à travers tout le monde occidental, dans des entreprises similaires. De même, le fait de rassembler autour de lui une poignée de collaborateurs n’avait rien de révolutionnaire, si par contre l’était la façon dont il organisa leur travail commun. À cette première rupture opérée au début des années 1920, Beveridge en ajoute une seconde en lançant, en janvier 1929, le projet d’un Comité scientifique international pour l’histoire des prix40. La novation tient ici bien sûr à la volonté de sortir l’histoire des prix du cadre national dans lequel elle était enfermée depuis ses origines, et qu’avaient notamment illustré Thorold Rogers et d’Avenel41. Mais, là aussi, l’idée était dans l’air du temps, et ce non pas seulement parce que certains historiens des prix avaient déjà, pour leurs travaux personnels, adopté un cadre européen (Simiand, puis Abel)42.
10En effet, c’est le projet même d’une collaboration internationale autour de cet objet que, exactement au même moment que Beveridge, Lucien Febvre lance lui aussi, en collaboration avec Simiand43. Si les protagonistes des deux bords vont rapidement s’apercevoir que leurs entreprises font double emploi, puisque c’est vers Simiand que se tourne tout de suite lui aussi, pour « les questions de statistique générale et de méthodes comptables », Henri Hauser, « commissaire » de la branche française du Comité (et par ailleurs membre du comité de rédaction des Annales)44, et que donc à l’annonce, dans les Annales de janvier 1930, de l’enquête voulue par Febvre et dirigée par Simiand, succédera dès la livraison de juillet 1930 la présentation par Hauser du Comité45, cela toutefois ne peut suffire à expliquer que le projet issu des Annales soit finalement resté mort-né. En effet, d’une part, Hauser ne semble avoir aucunement pris ombrage du projet concurrent46, ce qui aurait immanquablement obligé ses « jeunes » et strasbourgeois collègues Bloch et Febvre à y renoncer, puisqu’ils ne pouvaient se passer du soutien du premier détenteur de la chaire d’histoire économique et sociale de la Sorbonne pour leurs projets de rapatriement parisien qui les obsédaient tant. D’autre part, il est plus que douteux, vu le peu d’estime que nourrissaient Bloch et Febvre pour leur aîné47, qu’ils aient considéré que son projet rendait superfétatoire le leur48 ; preuve en est que, malgré leur vif intérêt pour l’histoire des prix49, ils ne participeront pas aux travaux de la branche française du Comité, dont ils jugeaient sévèrement non seulement le « commissaire » mais aussi certains des collaborateurs dont il s’était entouré – Bloch et Febvre ont ainsi identiquement éreinté la thèse de l’une des collaboratrices de Hauser, et particulièrement tout ce qui y concernait l’histoire des prix dans la mesure où elle ignorait complètement la nécessaire sérialité50. Enfin, on peut difficilement penser qu’une entreprise concurrente eût à elle seule pu suffire à faire reculer, et de façon aussi rapide et complète51, un homme tel que Lucien Febvre, pas précisément caractérisé par sa propension à abandonner ses projets52.
Marc Bloch et l’histoire des prix Marc Bloch n’a cessé, dès ses plus jeunes années puis tout au cours de son engagement dans les Annales, de manifester un intérêt fort pour l’histoire des prix, intérêt cependant largement méconnu dans la mesure où il ne s’est jamais traduit que par l’écriture de recensions. Je les rassemble ici pour mettre en lumière ce pan important de ses préoccupations, qui apparaîtrait encore plus marquant si l’on y rajoutait ses très nombreux travaux relatifs à l’histoire monétaire. C’est dès ses années à la fondation Thiers qu’il commence à s’intéresser au sujet, avec son compte rendu de W. T. Layton, An Introduction to the Study of Prices, with Special Reference to the History of the Nineteenth Century, Londres, Macmillan, 1912, dans la Revue de synthèse historique, 25, 1912, p. 105-107. Il y revient dès la fondation des Annales, pour s’y consacrer alors massivement, s’intéressant aussi bien, en la matière, aux phénomènes historiques qu’aux phénomènes contemporains : « Les nombres-indices », Annales d’histoire économique et sociale, 3, juillet 1929, p. 429 (compte rendu de R. Picard, « L’observation des prix de gros et de détail, l’élaboration des indices, leur valeur », Revue des études coopératives, 8, 1929, p. 25-50) ; « Prix et mesures : un exemple de recherche critique », art. cité (compte rendu de Beveridge, « A Statistical Crime of the Seventeenth Century », art. cité) ; « Comment recueillir les anciens prix », art. cité (compte rendu des « Instructions pour les collaborateurs français » du Comité, rédigées par Hauser) ; « Histoire d’un prix », art. cité (compte rendu de P. Raveau, « Coup d’œil sur le prix du froment du xive siècle à nos jours », Revue d’histoire économique et sociale, 18/3, 1930, p. 330-365) ; « Loyer de l’argent et crédits », Annales d’histoire économique et sociale, 5/1, janvier 1933, p. 100 (compte rendu notamment de F. Köppler, Die «inflatorische» Wirkung der von Deutschland seit der Annahme des Dawesplanes im Auslande aufgenommenen Kredite, Greifswald, Bamberg [Greifswalder staatswissenschaftliche Abhandlungen, 35], 1929) ; « L’expérience monétaire allemande », Annales d’histoire économique et sociale, 5/2, mars 1933, p. 211 (compte rendu notamment de F. D. Graham, Exchange, Prices, and Production in Hyper-Inflation: Germany, 1920-1923, Princeton, Princeton University Press, 1930) ; « La morale économique, le droit et la pratique : actions et réactions », Annales d’histoire économique et sociale, 5/3, mai 1933, p. 295-299 (compte rendu de S. Hagenauer, Das «justum pretium» bei Thomas von Aquino: ein Beitrag zur Geschichte der objektiven Werttheorie, Stuttgart, Kohlhammer [Vierteljahrschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte : Beiheft, 24], 1931, et de A. Sapori, « Il giusto prezzo nella dottrina di San Tommaso e nella pratica del suo tempo », Archivio storico italiano, 18, 1932, p. 3-56) ; « Le salaire et les fluctuations économiques à longue période », Revue historique, 173, janvier 1934, p. 1-31 (compte rendu notamment de F. Simiand, Le salaire, l’évolution sociale et la monnaie. Essai de théorie expérimentale du salaire, Paris, Alcan (Nouvelle bibliothèque économique : économie politique positive, statistique, histoire économique), 1932, et de Simiand, Recherches sur le mouvement général des prix…, op. cit.) ; « Prix normands », Annales d’histoire économique et sociale, 7/1, janvier 1935, p. 109-110 (compte rendu notamment de R. Jouanne, « Les monographies normandes et l’histoire des prix », Normannia. Revue bibliographique et critique d’histoire de Normandie, septembre 1931, p. 69-104) ; « À travers l’histoire des prix et des monnaies », Revue de synthèse, 56/3, décembre 1936, p. 233-237 (compte rendu notamment de W. T. Layton, An Introduction to the Study of Prices, Londres, Macmillan, 1935 [2e éd.], et de F. Simiand, Inflation et stabilisation alternées. Le développement économique des États-Unis des origines coloniales au temps présent, Paris, Domat-Montchrestien, 1934) ; « Documents sur les prix », Annales d’histoire économique et sociale, 9/1, janvier 1937, p. 110-111 (compte rendu de R. Latouche, « Mélanges d’histoire dauphinoise 1. Le mouvement des prix en Dauphiné sous l’Ancien Régime : étude méthodologique », Annales de l’université de Grenoble. Section lettres-droit, 11, 1934, p. 5-19). Significativement, ses dernières recensions d’histoire des prix, avant que l’éclatement de la guerre ne le détourne vers d’autres préoccupations, portent sur les premières publications du Comité international d’histoire des prix : « L’histoire des prix : Quelques remarques critiques », Annales d’histoire sociale, 1/2, avril 1939, p. 141-151 (compte rendu de Hauser [dir.], Recherches et documents sur l’histoire des prix en France…, op. cit., de Elsas, Umriss einer Geschichte der Preise und Löhne in Deutschland…, t. 1, op. cit., et de Hamilton, Money, Prices, and Wages 1351-1500…, op. cit.). On ajoutera enfin à cet ensemble la publication posthume de son « Prix, monnaies, courbes », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 1/4, octobre 1946, p. 355-357. |
11Si les Annales ont renoncé à leur projet, ce ne peut donc être que pour des raisons plus essentielles que la simple existence d’une entreprise concurrente. Il s’agit d’une part, entre Simiand et Febvre, de divergences de fond (certes sans doute redoublées d’un conflit d’ego) quant à ce que l’histoire des prix doit être, Simiand ne se reconnaissant pas dans les principes méthodologiques énoncés par Febvre (sans que ce dernier l’ait consulté) dans la livraison des Annales qui annonçait leur « enquête » commune53. Mais surtout, si Febvre s’efface si facilement, c’est vraisemblablement qu’il a perçu combien le projet de cet autre entrepreneur scientifique qu’était Beveridge54 avait de bien plus grandes chances de s’imposer face au sien, non pas seulement parce qu’il était déjà concrètement plus abouti55 mais surtout parce qu’il paraissait principiellement supérieur en raison des formes novatrices d’organisation du travail international qu’il proposait. Sur ce point, les deux projets se distinguaient aussi bien par les objectifs qu’ils se fixaient que par les moyens, intrinsèquement liés à ces objectifs, par lesquels ils se proposaient de les atteindre.
12Pour Febvre, le problème à résoudre était le suivant : « la recherche [en histoire des prix] demeurera, comme par le passé, stérile, si tous ceux qui s’en chargent ne se pénètrent pas d’un esprit commun56 ». Il s’agissait ainsi d’une part de définir cet « esprit commun », c’est-à-dire de s’entendre sur une méthodologie et des objectifs partagés (sans volonté particulière de formalisation de ces éléments, dans la mesure où il ne s’agissait pas de les rendre contraignants57), et d’autre part de l’insuffler chez les personnes concernées – en aucune façon donc il n’était question de mettre en place des structures de recherche dédiées, ce qui permettait d’éviter toute interrogation sur leur mode de financement. Pour atteindre simultanément ces deux objectifs, Febvre entendait recourir, outre à la revue dont il disposait et qui se prêtait à merveille et au débat et à la diffusion (si par contre elle ne pouvait jouer aucun rôle dans la formation du consensus), à la forme d’organisation de la collaboration scientifique internationale alors usuelle, développée déjà bien avant la Première Guerre mondiale : le Congrès international58. L’épuisement de la formule toutefois, dû à son institutionnalisation et à sa routinisation croissantes, la rendant de moins en moins apte à être quoi que ce soit d’autre qu’une simple grand-messe, n’échappait pas à Febvre, quoiqu’il fût incapable de lui trouver un remède autre que de façade, purement verbal : « un Congrès ou – ce mot de Congrès est si discrédité par tant d’entreprises hasardeuses et en grande partie inutiles – une Conférence technique internationale d’historiens59 ». On le voit, Febvre avait en fait défini les objectifs de son entreprise en fonction des moyens qu’il avait à sa disposition (les Annales) ou qui plus généralement étaient à la disposition de la communauté des historiens (la forme « Congrès international »), sans méconnaître la limitation de ces derniers, mais sans imaginer qu’il pût être possible de tenter la dépasser.
13Tout au contraire, Beveridge fixe d’abord les objectifs qu’il entend atteindre, pour à partir de là inventer des formes d’organisation de la recherche qui leur soient ajustées60. Beveridge, en effet, ne cherche pas, comme l’habitude s’en était alors ancrée, à faire collaborer à travers différents pays, en les amenant à se connaître et à s’entendre, des personnes qui jusque-là menaient de façon indépendante des recherches sur le même objet, ceci parce que son but était bien plutôt d’initier une série de travaux afin de mieux pouvoir les contrôler en les maîtrisant dès leur conception même61. À cet égard, le fait que, des personnes qu’il pressent comme ses commissaires nationaux62, aucune, en un apparent paradoxe, ne se soit précédemment illustrée dans le domaine de l’histoire des prix, renvoie vraisemblablement moins et au caractère cloisonné des historiographies nationales et à la faiblesse des réseaux académiques de cet ancien civil servant qu’est Beveridge (il n’appartient alors au milieu universitaire que depuis une dizaine d’années, et plutôt comme économiste que comme historien), qui se seraient conjugués pour lui rendre impossible le repérage des personnes les plus qualifiées, qu’au caractère contingent (voire néfaste), par rapport à ses objectifs, de la qualification préalable de ses commissaires dans le domaine. En effet, il attend surtout d’eux qu’ils acceptent la méthodologie qu’il propose, et qu’ils la fassent appliquer par les collaborateurs dont ils sont appelés à s’entourer63. Or, pour ce faire, il est justement préférable de recourir à des personnes qui, faute d’expérience dans le domaine, n’ont pas d’idées particulièrement arrêtées sur le sujet – et la réticence de Beveridge et Gay face aux financements que, une fois au courant de l’existence du Comité, demanderont d’une part le Polonais Franciszek Bujak et d’autre part le Suédois Gösta Bagge afin de leur permettre d’avancer leurs travaux déjà entamés en histoire des prix, est à cet égard on ne peut plus révélatrice de ce que le but de notre duo n’était pas l’encouragement des études d’histoire des prix en général, mais la réalisation d’un type bien précis, par eux contrôlé, d’histoire des prix64. L’inconvénient toutefois de cette façon de procéder, inconvénient que Beveridge vraisemblablement n’avait pas prévu, est que ces personnes, à force d’être extérieures au champ d’études, risquent de ne plus être en mesure ni de repérer les points nodaux de la méthodologie proposée par Beveridge, ni encore moins d’en comprendre les raisons, et ainsi ni capables ni désireuses de les mettre en œuvre. Ce fut clairement le problème qui se posa avec Pribram et Hauser, or le choix comme commissaire national d’un Henri Hauser – mais la même démonstration pourrait être effectuée à propos de Pribram – montre combien Beveridge cherchait moins à s’assurer une collaboration intellectuelle (qu’il eût plutôt trouvée en France chez Simiand ou Labrousse, voire Bloch ou Febvre) qu’une position institutionnelle – Hauser, professeur à la Sorbonne, et détenteur de la seule chaire française d’histoire économique, était alors la personne de référence en France pour ce qui était de l’histoire économique en général65. En effet, le but de Beveridge n’était que de se procurer un commissaire disposant et des réseaux permettant de recruter des collaborateurs compétents, et d’une autorité suffisante pour plier ces derniers à ses exigences méthodologiques66, qui devaient elles-mêmes être reprises de Beveridge67.
14Mais c’est dans le choix initial des commissaires des pays vaincus, par rapport auxquels sans doute il était moins nécessaire de ménager les susceptibilités nationalo-académiques, que s’exprime le plus clairement le fait que Beveridge attend avant tout obéissance des personnes qu’il intègre à son Comité ; en effet, avec Friedrich Hertz pour l’Autriche et Moritz Elsas pour l’Allemagne, deux Privatgelehrte, docteurs sans postes universitaires, il s’assurait des personnes à sa main, ne serait-ce que par leur dépendance financière complète à son égard. Que les deux aient été juifs ne doit par contre pas être interprété comme une caractéristique qui aurait été volontairement utilisée par Beveridge pour s’assurer des collaborateurs d’autant plus attentifs à ses desiderata qu’ils auraient été en voie de marginalisation croissante dans leur champ académique, et donc désireux de s’ouvrir des perspectives à l’étranger (tous deux seront d’ailleurs finalement contraints à l’exil) ; en effet, cela serait par trop contradictoire avec le fait qu’en 1933 Beveridge fut le principal initiateur de l’Academic Assistance Council, créé pour aider les universitaires forcés à l’exil par les nazis68. En revanche, cette caractéristique sociale explique leur difficulté à s’insérer dans le milieu académique germanique de l’entre-deux-guerres, et peut donc être considérée, puisqu’elle déterminait leur statut de Privatdozenten, comme cause médiate du choix de Beveridge – qui n’a toutefois pas été jusqu’à choisir comme commissaires des femmes, catégorie sociale faisant alors l’objet d’un plus fort ostracisme encore dans le champ académique, et ce pas seulement en Allemagne. Enfin, pour Elsas, l’étude des prix était loin d’être un terrain inconnu (si l’analyse des prix historiques, elle, l’était) puisqu’il s’était fait connaître des cercles économiques en publiant, chaque mois de 1919 à 1923 (donc y compris pendant l’épisode hyperinflationniste), Der Stand der Kosten der Lebenshaltung : Indexziffern über die Kosten der Lebenshaltung einer vierköpfigen Familie69 ; il présentait donc l’avantage de paraître combiner une docilité matériellement garantie avec une compétence spécifique, toutefois suffisamment extérieure au champ de l’histoire des prix pour ne pas devoir interférer avec les choix méthodologiques de Beveridge.
15Beveridge ne cherchait donc pas tant à accumuler le capital symbolique de collaborateurs prestigieux70 – mais que ce prestige même rendait autonomes – qu’à se former une équipe qui appliquerait ses plans. Pour cela, le plus simple (et le plus congruent avec l’habitus de haut fonctionnaire de Beveridge) était encore d’en recruter les membres parmi des personnes dont l’infériorité hiérarchique ne ferait aucun doute ; et à défaut, lorsque les usages académico-politiques du temps, qui faisaient de la recherche organisée internationalement une coopération entre États-nations71 menée sur un pied d’égalité72 (particulièrement lorsqu’il s’agissait des vainqueurs), empêchaient de procéder ainsi73, la contrainte qui en résultait de s’adjoindre des pairs était tournée de façon à la transformer en atout permettant d’accéder aux ressources académiques locales, tandis que les effets potentiellement néfastes de cette contrainte se trouvaient neutralisés par le choix d’historiens peu engagés dans le champ de l’histoire des prix, et donc non susceptibles d’y occuper des positions incompatibles avec celles que Beveridge entendait promouvoir74. Tout cela, bien sûr, dans l’idéal – mais l’on verra dans la dernière partie que la réalité des rapports entre Beveridge et ses commissaires nationaux fut souvent fort différente de ce qu’il avait pu en espérer.
Financement privé, ou non-financement public ?
16La rupture qu’introduit Beveridge dans l’organisation internationale du travail scientifique revient donc à y appliquer des formes de subordination qui jusque-là n’existaient qu’à l’échelon national ; en effet, de telles formes semblaient impossibles au niveau international, qui ne pouvait être que collaboratif dans la mesure où les échanges scientifiques n’y étaient compris que comme un décalque des rapports politiques entre nations souveraines, puisqu’ils n’étaient effectivement que l’un des aspects de la politique culturelle de ces dernières75. L’élément déterminant de la rupture beveridgienne réside dans sa capacité à assurer à son entreprise un financement lourd (250 000 dollars sur cinq ans, soit en valeur d’aujourd’hui environ 3 millions et demi de dollars)76, vecteur de la subordination des branches nationales au Comité. Beveridge avait en effet pris soin de préciser, dans sa demande de financement à la fondation Rockefeller, que si the body providing the funds can either grant separate funds to each of the countries to be covered, or make a single grant for all the countries, la seconde solution lui paraissait nettement préférable77. Non seulement sa suggestion fut entérinée, mais le financial representative du Comité78 refusa de se lier les mains en quelque manière que ce soit pour tout ce qui concernait l’affectation des fonds entre les pays, afin de conserver à l’égard des différentes branches nationales ce moyen de pression79. Cette maîtrise totale de la répartition du financement entre les pays servait à rendre possible le contrôle sur l’affectation des sommes à l’intérieur de chaque pays, contrôle affirmé au titre de principe dès le « Memorandum on the Financial Arrangements for the International Study of Price History » de 193080, et principe effectivement réalisé dès la première année comptable81. Or, si cette mise sous tutelle des branches nationales par le biais du financement put leur être imposée, c’est qu’aussi bien ce même financement assurait, à l’intérieur de chacune d’entre elles, la subordination des collaborateurs vis-à-vis du commissaire ; les commissaires nationaux, donc, n’acceptaient de renoncer à leur pouvoir (vis-à-vis du Comité) que parce que ce renoncement fondait leur pouvoir (vis-à-vis de leurs collaborateurs).
17Mais surtout le remplacement de la collaboration internationale par la division internationale hiérarchisée du travail (avec un Beveridge édictant des principes de méthode que les différents projets nationaux se devaient ensuite d’appliquer), permis par ce financement, n’était lui-même acceptable qu’en raison de la nature particulière, tout aussi nouvelle, de ce financement, soit son caractère anational. En effet, c’est à la fondation Rockefeller82 qu’était due la manne, d’origine privée donc, et qui plus est américaine, c’est-à-dire largement abstraite des conflits intra-européens. Seule cette double extériorité par rapport au contexte national(iste) européen rendait (relativement, on le verra) acceptable l’abandon de la souveraineté scientifique des parties prenantes, puisqu’elle permettait de ne plus poser l’organisation internationale du travail scientifique en termes politiques.
18En dernière instance donc, la capacité de novation de Beveridge, pour ce qui est de l’organisation internationale de la recherche, renvoie à son accès privilégié aux fonds Rockefeller. Celui-ci est l’effet d’une double détermination, liée d’une part à la politique propre à la fondation, et d’autre part aux caractéristiques distinctives de Beveridge dans le champ académique. Pour ce qui est de la première, si le soutien aux Social Sciences ne représente qu’une partie des financements octroyés par la fondation, son activité dans ce domaine est guidée par des buts par rapport auxquels le type de recherche proposé par Beveridge ne peut qu’être encouragé. Il s’agit en effet, dans le cadre d’une conception technocratique, prétendument dépolitisée, déniant le caractère conflictuel des choix de gouvernement, le fait qu’ils renvoient à des intérêts antagoniques, de faire émerger des décisions sociopolitiques comprises comme inévitables, naturelles ; dans ce cadre, le type d’evidence mis en avant par Beveridge, factuelle et servant de base à un raisonnement inductif, assure à la naturalisation des choix une force beaucoup plus grande que des conclusions tirées de raisonnements hypothético-déductifs, dans la mesure où celles-ci peuvent toujours être remises en cause par le biais de la critique de leurs prémisses, qui peuvent être dénoncées comme idéologiques83. Que Beveridge s’inscrivît pleinement dans le type de recherches que cherchait à promouvoir la fondation Rockefeller, en témoigne le soutien constant qu’avait accordé celle-ci, depuis sa fondation en 1920, au National Bureau for Economic Research (NBER), qui se consacrait au rassemblement de données quantitatives sur l’économie états-unienne84. Serait-il alors exagéré de dire que Beveridge n’avait finalement proposé à la Rockefeller que de financer un projet visant à faire pour le passé ce qu’elle encourageait déjà pour le présent, projet que pour cette raison même elle avait accepté puisque the studies conducted at the NBER in the 1920s and 1930s formed the model for the kind of empirical research Day (directeur des Social Sciences à la Rockefeller à partir de 1929, soit l’année même où Beveridge soumet son projet) sought to encourage in Europe85 ? Certainement pas, si l’on considère que Beveridge d’une part s’adjoint, pour représenter le Comité côté américain, le premier président du NBER, E. F. Gay (qui en était alors codirecteur de la recherche)86, et que d’autre part il s’intéressait lui-même beaucoup aussi au rassemblement de données conjoncturelles contemporaines87. Ce qui est intéressant réside alors dans l’écart des formes organisationnelles choisies pour ces deux types d’entreprise, puisque aux instituts de conjoncture pérennes s’oppose le caractère temporaire du Comité international d’histoire des prix, prévu pour ne durer que cinq ans88. La raison n’en est vraisemblablement pas dans l’aspect thématiquement limité du projet de Beveridge (c’est-à-dire le fait qu’il porte sur les seuls prix, et non sur l’ensemble des indicateurs conjoncturels), qui en aurait rendu l’exécution plus aisée à circonscrire dans le temps ; elle tient bien plutôt au caractère nécessairement circonscrit de l’objet d’une investigation historique, par opposition à une conjoncture contemporaine qui ne cesse de se transformer et exige donc en permanence d’être réétudiée à nouveaux frais. Mais surtout, cette différence signifie clairement une hiérarchie des objets d’étude, et par là permet d’apercevoir que l’étude des conjonctures anciennes n’était comprise que comme un moyen de mieux appréhender le présent, qui seul était le véritable objectif des programmes de la fondation Rockefeller.
19Il serait cependant erroné de considérer que la capacité de Beveridge à accéder aux financements Rockefeller tenait exclusivement à son aptitude à formuler des projets de recherche s’insérant parfaitement dans le programme de cette fondation ; en effet, quelqu’un comme Febvre était tout aussi capable, et tout autant soucieux, de justifier son programme de recherches international en histoire des prix par les enseignements qu’il recelait pour le présent89. Mais quelle était, alors, la distinction caractéristique de Beveridge qui, dans le champ scientifique, le rapprochait de la fondation Rockefeller ? Bien sûr il avait l’avantage d’être Anglais, mais il ne faut pas surestimer l’intégration des réseaux académiques anglophones à cette époque, notamment parce que les universitaires états-uniens étaient alors largement autant attirés par les grands centres universitaires du continent – ainsi était-ce à Berlin, auprès de Schmoller, qu’un Gay avait fait sa thèse (qui portait pourtant sur l’Angleterre !)90, c’était Paris que la fondation Rockefeller avait choisi comme siège de sa représentation européenne91, et c’est l’allemand qui devint rapidement la, si l’on peut dire, lingua franca du Comité92. Plus profondément, si, dès son premier contact avec la fondation, en 1923, Beveridge obtint de très importantes subventions, en l’occurrence pour la LSE qu’il dirigeait (il lui fut attribué au total pas moins de 1,115 million de dollars jusqu’en 1927, soit le troisième plus important financement consacré par la fondation à une institution universitaire, et le plus important attribué à une institution universitaire non états-unienne – le tout représentant 25 % des revenus de la LSE)93, la raison en est vraisemblablement à chercher dans son habitus d’entrepreneur académique. L’atout de Beveridge tenait donc à ce qu’il n’appartenait au monde académique qu’à la marge, et parce qu’il y apportait des façons d’agir structurées dans un autre champ, administrativo-politique, qui correspondaient aux postes exclusivement gestionnaires qui lui furent confiés dans le monde académique94. Par là, son habitus était structurellement adapté à une institution para-académique telle qu’une fondation privée, qui plus est une fondation qui ne consacrait au monde académique qu’une partie de ses financements95. Beveridge, universitaire d’un nouveau type, faiblement professionnalisé et autonomisé – non pas parce que, comme jusqu’au dernier tiers du xixe siècle, les carrières universitaires étaient encore peu stabilisées (en raison de la rareté des postes, qui obligeait souvent à saisir d’autres opportunités), mais au contraire parce que les universités s’étaient tellement institutionnalisées qu’elles requéraient désormais des gestionnaires –, était parfaitement ajusté aux modalités de financement universitaire nouvelles que représentait l’émergence massive de fondations dotées de leur politique propre, en lieu et place du traditionnel mécénat individuel laissant aux universités le libre emploi des fonds légués96.
20Mais si Beveridge a pu avoir accès, pour le Comité, au financement Rockefeller, c’est aussi, plus circonstanciellement, en raison de l’alliance qu’il a su nouer avec Gay, dans la mesure où les liens de ce dernier avec la fondation étaient aussi anciens que forts – c’est en effet dès la création de cette dernière, avant la Première Guerre mondiale donc, que sur les conseils de Gay la fondation Rockefeller avait créé son département d’études économiques97. Ainsi s’explique l’importance du rôle attribué à Gay par Beveridge au sein du Comité98, et ce alors même que Gay n’apportera pas de contribution directe à l’enquête99 ; non seulement en effet Gay était le representative des États-Unis auprès du Comité, mais Beveridge le laissa choisir l’un de ses élèves (Cole) comme chargé des finances (signe irréfutable du rôle joué par Gay dans l’obtention de ces dernières), de même que Gay put placer un autre de ses disciples, Hamilton, comme delegate du Comité pour la partie espagnole de l’enquête, et ce alors même que Hamilton présentait des caractéristiques personnelles fortement distinctes de celles privilégiées par Beveridge dans son choix des responsables nationaux du Comité100. Au total, Gay faisait de facto fonction de codirecteur du Comité101, tant et si bien que dans certaines recensions états-uniennes des publications du Comité il alla jusqu’à être présenté comme son directeur102. Mais il faut bien voir que si Beveridge put si pleinement s’entendre avec Gay, c’était parce qu’en raison de leurs propriétés sociales ils représentaient comme les deux faces de la même pièce, puisque si Beveridge était un administrateur devenu universitaire, Gay était, lui, un universitaire devenu administrateur. En effet, si Gay avait dès avant la Première Guerre mondiale été le premier directeur de l’alors encore embryonnaire Harvard Business School, c’est surtout pendant la guerre, mais cette fois hors du champ académique, qu’il développa son activité administrative, en mettant ses compétences d’économiste au service des ministères liés à l’effort militaire ; il y prit l’habitude de se faire aider dans la réalisation de ses travaux statistiques par de nombreux assistants, expérience qu’après-guerre il transposa dans ses entreprises académiques – et que l’on peut rapprocher de l’habitus administratif de Beveridge103. Gay après 1918 reconvertit son capital administratif nouvellement acquis en s’investissant dans des fonctions d’organisation académique, où sa principale réalisation fut, outre la fondation du NBER, celle du Council on Foreign Relations. La conséquence de ce surinvestissement administratif fut qu’il ne publia par contre au cours de sa carrière, en tout et pour tout, que 9 articles scientifiques. On le voit, Gay comme Beveridge, quoique par le biais de trajectoires différentes, joignaient identiquement les deux identités professionnelles contradictoires d’administrateur et d’universitaire, qui les assignaient aux fonctions de gestionnaires de la recherche et des rapports entre celle-ci et la sphère du pouvoir104 – et qui expliquent leur accès privilégié au financement Rockefeller.
21Et c’est bien sans doute en raison de la force provoquée par cette convergence entre l’habitus d’un individu (résultat de sa trajectoire et de sa position dans le champ), une source de financement massive, et les modalités spécifiques d’organisation du travail international que permettait ce financement, que Febvre ne chercha pas à concurrencer Beveridge sur son terrain. En effet, il était quant à lui doté d’un habitus académique beaucoup plus classique dans la mesure où il incarnait comme paradigmatiquement une belle carrière d’historien français de l’époque – normalien, d’abord en poste en province, ensuite nommé dans la plus prestigieuse des universités non parisiennes, avant d’accéder enfin au Collège de France105. Or c’était précisément cet habitus académique qui, de même qu’il ne facilitait pas son intégration aux réseaux des fondations106, lui rendait plus difficile de se plier aux contraintes nouvelles liées au financement par des fondations, ainsi que l’on peut l’observer, mutatis mutandis, avec le cas de Hauser (lui aussi, comme Febvre, parfait exemple d’une belle carrière académique107), qui n’hésita pas à essayer de faire voter par le Comité une motion condamnant les pressions exercées par la fondation Rockefeller108. Or, si justement c’étaient son parcours et sa position dans le champ académique qui sur ces points handicapaient Febvre, par contre ils lui étaient un atout pour l’accès à d’autres ressources – celles qui traditionnellement structuraient la recherche, et qui étaient moins financières qu’humaines (réseaux de collaborateurs). Ainsi peut s’expliquer ce fait apparemment paradoxal que, quoiqu’il ait désormais eu connaissance du mode de fonctionnement initié par Beveridge, et de sa force (qui l’avait obligé à reculer), il n’ait pas cherché par la suite à l’imiter dans les projets de recherche qu’il lança ; en effet, cela aurait exigé de lui un trop grand investissement, et d’un rendement trop incertain, là même où l’organisation d’autres formes d’entreprises collectives était pour lui beaucoup plus rentable et certaine, quoique pas de même échelle. Le cas le plus parlant à cet égard, parce qu’il concerne un objet proche de l’histoire des prix (ou plus exactement : englobant cette dernière), est la « commission [internationale] de recherches statistiques historiques » lancée par Simiand en septembre 1930, soit juste après qu’il a (le 5 août) renoncé au projet monté en commun avec Febvre, et donc pour s’y substituer. Simiand utilise pour ce faire le cadre traditionnel du Congrès international de statistique109 (dont il était vice-président de l’une des trois sections), et ce qu’il se propose est, de façon non moins traditionnelle, de rassembler dans une structure pérenne110 les efforts existants afin de les coordonner – et non pas, comme Beveridge, de les susciter aussi bien que de les contrôler en les finançant temporairement111. De même – mais ceci cette fois nous éloigne quelque peu de l’histoire des prix – lorsque Febvre, en 1934, crée une Commission des recherches collectives, dans un cadre en l’occurrence purement national et avec pour objet cette fois le « folklore » (on dirait aujourd’hui : l’ethnographie de la France), il organise son fonctionnement autour d’un volontariat presque général112. En effet, les observateurs sur lesquels repose tout le travail d’enquête sont des amateurs bénévoles (professeurs d’écoles normales, instituteurs, érudits locaux), recrutés par le biais des réseaux de chacun des universitaires, souvent provinciaux ou à fortes attaches provinciales (comme Febvre), qui forment la direction (bénévole) du projet, et coordonnés par un secrétaire scientifique qui est le seul employé permanent113. Ainsi était rendue impossible l’instauration de rapports hiérarchiques de contrainte entre ceux qui définissaient les normes de l’enquête et ceux qui les appliquaient, comme en témoigne d’ailleurs le titre même de « Conseils aux observateurs114 » que portait le document rédigé par les directeurs du projet ; de ce fait, la production de résultats standardisés, c’est-à-dire cumulables, devenait difficilement atteignable – soit cela même qui était justement, au contraire, au cœur du projet de Beveridge.
22Comme le propre d’un habitus est d’être aconscient115, il faut voir dans ces décisions des deux Français moins un choix stratégique issu de la pesée réfléchie de leurs atouts et de leurs handicaps relativement à différentes formes d’organisation de la recherche collective, que d’une part l’expression d’un attachement incorporé à un type de collaboration (et par contraste la répugnance pour d’autres), type de collaboration identitaire pour l’ethos académique classique en tant que basé sur les notions de parité, de gratuité et de liberté, et d’autre part, pendant négatif de cette raison positive, la retraduction dans les termes d’une impossibilité ontologique de ce qui n’était en fait qu’une détermination positionnelle116.
23Les deux novations introduites par Beveridge dans le processus de production des faits historiographiques – la division hiérarchisée du travail, et une internationalisation qui cesse d’être basée sur la simple collaboration d’égaux souverains – vont connaître, dans le cadre du Comité, un succès très inégal117. Si la première est reprise sans difficulté dans tous les pays où Beveridge trouve des collaborateurs (ce qui ne signifie toutefois pas que d’autres historiens, et pas des moindres – Abel, Labrousse – ne continuent pas au même moment à organiser leur travail selon le modèle individuel le plus classique118), puisque aussi bien elle ne représentait qu’un approfondissement des structures déjà fortement hiérarchiques du monde académique (celui-ci ayant pour caractéristique fondamentale sa division forte entre d’une part les pairs et d’autre part leurs subordonnés, exclus de l’appartenance formelle audit monde – ce qui change au cours du temps n’étant que le niveau où s’opère la démarcation), l’adoption de la seconde sera en revanche beaucoup plus incomplète, et ne laissera pas d’être génératrice de conflictualité – ce qui est d’autant moins étonnant qu’elle n’était pas pleinement assumée, au niveau du discours, par Beveridge, certainement parce qu’il en sentait toute la difficulté. Aussi bien ne pouvait-il en aller autrement dans le monde académique des années 1930, dont les structures étaient parfaitement contradictoires avec un tel fonctionnement hiérarchique de la collaboration internationale. En effet, dans la mesure où l’organisation académique (à distinguer de la réalité des échanges intellectuels) restait strictement centrée sur le niveau national, dans la mesure donc où rien, du système de rétributions indissolublement matérielles et symboliques (soit essentiellement l’organisation des carrières), ne se décidait au niveau international, d’une part les différents responsables nationaux ne pouvaient tendanciellement que se considérer comme des pairs et donc juger anormale toute contrainte exercée sur eux-mêmes par l’un d’entre eux (dans la mesure où manquait, au niveau international, cette hiérarchie des positions du cursus honorum qui faisait qu’au niveau national les pairs ne l’étaient que formellement, le sorbonnard Hauser, par exemple, n’étant pas tout à fait l’égal du strasbourgeois Febvre au-delà de leur statut professoral commun), et d’autre part aucun levier n’était disponible, en dehors de l’adhésion à ses objectifs intellectuels, pour faire se plier ces pairs aux exigences du travail collectif international, vu l’absence de toute possibilité de sanction ou de récompense. En effet, l’arme du contrôle du financement n’en était en fait pas vraiment une, paradoxalement parce qu’elle était trop efficace, puisque l’utiliser n’aurait pu que signifier l’arrêt de l’enquête dans l’un des pays, ce qui eût été contraire aux objectifs mêmes du programme de recherche. On voit ici que la difficulté à laquelle était affronté Beveridge tenait au caractère international de l’objet de sa recherche, et non pas seulement de sa réalisation (l’internationalité de celle-ci n’étant d’ailleurs que la conséquence du caractère international de l’objet), ce qui rendait les différents responsables nationaux non substituables, et donc de facto difficilement contrôlables. Or ces responsables nationaux étaient d’autant moins enclins à abandonner de leur pouvoir, et d’autant plus capables d’imposer leurs volontés, que leur pouvoir précisément se trouvait au même moment accru par l’instauration (voulue par Beveridge), au sein de chaque branche nationale, d’une division hiérarchisée du travail.
24Cette incapacité pratique de Beveridge à contrôler étroitement ses différents commissaires a eu des conséquences essentielles. En effet, certains des choix méthodologiques que Beveridge, par le biais du Comité, entendait imposer quant à la façon de constituer les prix historiques comme faits scientifiques, avaient de trop grandes implications quant à la compréhension même de ce qu’est un prix, quant à la théorie, donc, de la formation des prix, pour qu’ils ne suscitent pas de confrontations au sein de l’équipe réunie par Beveridge, parce que l’homogénéité de cette dernière ne tenait qu’à l’intérêt partagé par tous pour une approche empirique de l’économie, intérêt qui n’impliquait par contre pas de communauté de vues quant à la compréhension même des mécanismes économiques. Or il s’agissait ni plus ni moins que de décider, à travers la façon dont seraient constitués les faits scientifiques, des conclusions de leur analyse. Comme Beveridge n’était pas pleinement en mesure d’imposer le respect de ses choix, à la fois pratiques et théoriques (ou plutôt de ses choix pratiques et de leurs conséquences théoriques), les solutions nationalement adoptées furent diverses, ce qui rendit partiellement incomparables les résultats et de ce fait vida largement l’entreprise de son sens. C’est vers ces causes intellectuelles de l’échec du Comité international d’histoire des prix, causes intellectuelles dont l’expression fut rendue possible par des causes pratiques que je viens de détailler, que je vais maintenant me tourner.
Notes de bas de page
1 L. Febvre, « Le problème historique des prix », Annales d’histoire économique et sociale, 5, janvier 1930, p. 67. La brutale déflation des années 1930, si elle va complètement remettre en cause ces problématiques, n’en continuera pas moins à mettre au premier plan de l’analyse économique l’évolution des prix, ce qui permettra à Hamilton de justifier ainsi ses études d’histoire des prix (justification qui ne prend tout son sens que lorsque l’on sait que Hamilton gravitait autour de Keynes) : minute investigations of monetary policy and price behavior under widely diverse circumstances of time and place may help to provide a basis for the rational control of currency and credit (now being essayed in various countries) (Hamilton, Money, Prices, and Wages 1351-1500…, op. cit., p. ix).
2 J.-P. Rioux (éd.), « Une correspondance entre Lucien Febvre et François Simiand à l’aube des “Annales” », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 23, 1989, p. 108.
3 Son projet de recherche avait déjà fait en 1913 l’objet d’une présentation devant le congrès de l’Institut international de statistique. Voir pour cet exposé F. Simiand, « Sur le mouvement général des prix du xvie au xviiie siècle », Bulletin de l’Institut international de statistique, 20/2, 1915, p. 770-772, et pour sa discussion par les congressistes « Le mouvement général des prix du xvie au xviiie siècle », Bulletin de l’Institut international de statistique, 20/1, 1915, p. 194-195.
4 M. N. Borghetti, L’œuvre d’Ernest Labrousse. Genèse d’un modèle d’histoire économique, Paris, EHESS (Recherches d’histoire et de sciences sociales, 106), 2005, p. 91.
5 Je ne mentionne pas, toujours pour la France, P. Raveau, érudit local et propriétaire terrien, quoique ses travaux (on citera particulièrement « La crise des prix au xvie siècle en Poitou », Revue historique, 162, 1929, p. 1-44 et 268-293), aient été encensés par Bloch et Febvre (voir sa nécrologie par M. Bloch : « Paul Raveau », Annales d’histoire économique et sociale, 10, avril 1931, p. 245 ; voir également le compte rendu, par le même, d’un article de Raveau : M. Bloch, « Histoire d’un prix », Annales d’histoire économique et sociale, 12, octobre 1931, p. 552). En effet, aussi solidement érudits qu’ils puissent être, ils n’en témoignent pas moins d’un état pré-quantitatif (sans même parler de sérialité !) de l’histoire des prix que déjà Thorold Rogers et d’Avenel avaient su dépasser, comme en témoigne leur souci d’une présentation tabulaire des données, ignorée par contre par Raveau, dont les prix ne sont jamais présentés qu’au fil du texte.
6 Il indique en 1930 dans une lettre à J. Van Sickle (alors assistant director des Social Sciences à la Rockefeller Foundation) travailler sur l’histoire des prix polonais depuis six ans (Report 5 : « Polish Study of Price History »), et effectivement sa biographe fait remonter le début de ses travaux en ce domaine à 1924 (Anita K. Shelton, The Democratic Idea in Polish History and Historiography: Franciszek Bujak [1875-1953], Boulder, East European Monographs, 1989, p. 200).
7 Le premier ouvrage issu de l’enquête polonaise est S. Hoszowski, Ceny we Lwowie w XVI i XVII wieku [Les prix à Lvov aux xvie et xviie siècles], Lwów, Skład glówny (Badania z Dziejów Społecznych i Gospodarczych [Recherches d’histoire économique et sociale], 4), 1928 (pour la réception contemporaine de cet ouvrage, voir : J. Rutkowski, « Les prix en Pologne aux xvie et xviie siècles », Annales d’histoire économique et sociale, 5, janvier 1930, p. 151-153 ; cet ouvrage sera traduit en français en 1954, et publié par le Centre de recherches historiques de la VIe section de l’EPHE ; pour la recension de cette traduction, voir L. Febvre, « Les prix à Lwow aux xvie et xviie siècles », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 10/2, avril 1955, p. 292-293). Suivent sur le même modèle des monographies consacrées aux prix à Cracovie du xive au xviiie siècle (nos 323 et 400 de la bibliographie), à Lvov à nouveau mais cette fois pour les xviiie-xixe siècles (no 235 de la bibliographie, dont l’auteur est à nouveau Hoszowski), à Lublin aux xvie-xviiie siècles (no 10 de la bibliographie), à Gdansk du xvie au xixe siècle (nos 324 et 162 de la bibliographie), et enfin à Varsovie du xvie au xixe siècle (nos 11, 366 et 367 de la bibliographie) – la dernière des monographies de cette entreprise collective est parue en 1949.
8 E. J. Hamilton, « American Treasure and Andalusian Prices (1503-1560): a Study in the Spanish Price Revolution », Journal of Economic and Business History, 1, novembre 1928, p. 1-35.
9 À Harvard, sous la direction d’A. P. Usher – et non sous celle de Gay, comme on le lit souvent. Sur Hamilton, voir R. B. Emmett, « Earl J. Hamilton », dans J. A. Garraty, M. C. Carnes (dir.), American National Biography, New York/Oxford, Oxford University Press, 1999, t. 9, p. 917-918 ; D. N. McCloskey, s. v. « Hamilton, Earl Jefferson (born 1899) », dans J. Eatwell, M. Milgate, P. Newman (dir.), The New Palgrave: A Dictionary of Economics, Londres, Macmillan, 1987 [1re éd.] (http://www.dictionaryofeconomics.com/article?id=pde1987_X000997).
10 En effet, cette année il fait une demande de financement à la fondation Rockefeller pour les poursuivre (Report 14 : « Report of Conference held at the LSE on May 19th and 20th, 1930 ») – voir d’ailleurs toujours cette même année la description que fait Hauser dans les Annales de la collection rassemblée par Posthumus de prix-courants des grandes places de commerce européennes (H. Hauser, « Les archives privées et l’histoire : les archives d’histoire économique de La Haye », Annales d’histoire économique et sociale, 8, octobre 1930, p. 559), collection qui formera la base de sa publication.
11 F. W. Henning, « Agrargeschichte als wichtiger Bestandteil der Wirtschafts- und Sozialgeschichte unter besonderer Berücksichtigung der Forschungsansätze Wilhelm Abels », dans M. A. Denzel (dir.), Wirtschaft - Politik - Geschichte: Beiträge zum Gedenkkolloquium anläßlich des 100. Geburtstages von Wilhelm Abel, Stuttgart, Steiner (Studien zur Gewerbe- und Handelsgeschichte der vorindustriellen Zeit, 24), 2004, p. 14.
12 En tout cas l’article de Simiand de 1915 n’est jamais cité.
13 E. Labrousse, « Le prix du blé en France dans la seconde moitié du xviiie siècle d’après les états statistiques du Contrôle général », Revue d’histoire économique et sociale, 19, 1931, p. 133-211 ; E. Labrousse, « Comment contrôler les mercuriales ? Le test de concordance », Annales d’histoire sociale, 2/2, 1940, p. 117-130. Pour une étude détaillée du rapport de Labrousse aux sources : Borghetti, L’œuvre d’Ernest Labrousse…, op. cit., p. 133-170.
14 Dans cette analyse fournie par G. Lefebvre de l’Esquisse à sa parution, c’est avec Simiand qu’est effectué le rapprochement épistémologique : G. Lefebvre, « Le mouvement des prix et les origines de la Révolution française », Bulletin de la société d’histoire moderne, 14, 1936, p. 198-214, repris dans Annales historiques de la Révolution française, 82, 1937, p. 289-329, et dans Annales d’histoire économique et sociale, 9-2, mars 1937, p. 139-170, en l’occurrence p. 154.
15 C’est dans le cadre de son rapport fait en 1930 sur les « possibilités de recherches statistiques historiques » devant le congrès de l’Institut international de statistique qu’il tient ce propos : F. Simiand, « Des possibilités de recherches statistiques historiques », Bulletin de l’Institut international de statistique, 25/3, 1931, p. 828 – je souligne. M. Bloch, la même année, fait lui aussi de la conversion métrologique l’une des tâches essentielles de l’historien des prix : « Un texte ancien donne le prix d’une terre ou d’une denrée […] Première difficulté : traduire en unités qui aient pour nous un sens concret et fixe – pratiquement en unités métriques – les mesures de surface, poids ou volume indiquées par le document » (M. Bloch, « La vie rurale : problèmes de jadis et de naguère », Annales d’histoire économique et sociale, 5, janvier 1930, p. 116). Abel enfin, dans l’édition originale de son habilitation (Abel, Agrarkrisen und Agrarkonjunktur…, op. cit.), convertit toutes les données en mesures et monnaies actuelles – ce qu’il corrigera dans la réédition de 1966.
16 Simiand, Recherches sur le mouvement général des prix…, op. cit., p. 88-202. Il considère en effet qu’une critique et une élaboration statistiques de leurs données peut suffire à pallier les faiblesses de la critique documentaire initiale (Simiand, « Des possibilités de recherches statistiques historiques », art. cité, p. 831). Mais plus profondément encore c’est que Simiand ne voit nullement la nécessité de la sérialité documentaire pour fonder la factualité scientifique des prix ; ainsi écrit-il à Febvre, pour le morigéner de l’éloge qu’il avait fait de Hamilton : «“Recherches locales” [par opposition à la mise en série, chez un d’Avenel ou un Thorold Rogers, de données provenant de lieux, et donc de sources, différents] pour éviter de recommencer d’errer et être plus sûr de reconnaître toutes les causes et conditions spéciales, etc. À cela je dis non, non et non ! » (Rioux [éd.], « Correspondance entre Febvre et Simiand », art. cité, p. 110). De même, le titre de l’ouvrage publié par Hauser, Recherches et documents sur l’histoire des prix en France, suffit à dire combien il reste attaché à une factualité fondée sur le rapport direct aux sources, quelles qu’elles soient (les travaux qu’il publie sur des sources de l’histoire des prix portent d’ailleurs exclusivement sur des documents non sériels : H. Hauser, « Les “coutumes” considérées comme source de l’histoire des prix d’après Jean Bodin », Revue d’histoire économique et sociale, 19, 1931, p. 125-132, notamment p. 132 où les coutumes sont caractérisées comme « une source non négligeable pour l’histoire des prix » ; H. Hauser (éd.), La réponse de Jean Bodin à M. de Malestroit. La vie chère au xvie siècle, Paris, Armand Colin, 1932).
17 Ainsi d’Avenel avait-il relevé 50 000 à 60 000 prix (voir p. 36), et Thorold Rogers analysé 80 000 documents (J. E. Thorold Rogers, A History of Agriculture and Prices in England, t. 4, 1401-1582, Oxford, Clarendon Press, 1882, p. 212).
18 « Assurément il n’est pas question de prétendre retrouver en documents inédits […] des éléments d’élaboration présentant, à beaucoup près, les conditions d’établissement – notamment l’extension effective à l’intégralité des cas de grands ensembles […] – auxquelles s’impose de satisfaire l’œuvre statistique proprement dite, et pleinement digne de ce nom. Mais, même dans le présent […] les discussions toujours ouvertes sur la statistique dite représentative, ou tout au moins sur l’utilisation méthodique des atteintes de faits partielles ou imparfaites, suffisent à indiquer qu’on recourt encore aujourd’hui à ce pis aller » (Simiand, « Des possibilités de recherches statistiques historiques », art. cité, p. 823).
19 La seule mention que je connaisse de l’emploi de machines à calculer se trouve dans le rapport de Hamilton de 1930 (Report 6 : « Spanish Price Study: Sources, Personnel and Methods », § 2) : The statistical work will be done in the United States, where calculating machines will be available. Il y fait à nouveau référence, parlant de this age of “machine statistics”, dans sa recension de Beveridge, Prices and Wages in England…, op. cit., parue dans l’Economic Journal, 205, mars 1942, p. 56.
20 « Simiand s’est tué à la peine », dira Febvre dans sa nécrologie, tout entière consacrée justement à la dénonciation de cet état de fait : L. Febvre, « François Simiand ou des conditions faites à la recherche en 1936 », Annales d’histoire économique et sociale, 8/1, janvier 1936, p. 42.
21 Ainsi Labrousse fait-il, après avoir fini sa thèse (de droit) en 1932, une « neurasthénie » – le terme poli de l’époque pour dire dépression – qui l’empêche de passer l’agrégation du supérieur (ce qui l’obligera, pour devenir professeur d’université, à repasser une thèse de lettres) et qui perdurera jusque 1938 (B. Müller [éd.], Marc Bloch, Lucien Febvre et les « Annales d’histoire économique et sociale » : correspondance, t. 2, 1934-1937, de Strasbourg à Paris, Paris, Fayard, 2003, p. 196 et 422, et t. 3, 1938-1943, les « Annales » en crises, Paris, Fayard, 2003, p. 42).
22 Comme ce n’est qu’en 1938 que sera créé à la Sorbonne, par M. Bloch et M. Halbwachs, l’Institut d’histoire économique et sociale (C. Fink, Marc Bloch. Une vie au service de l’histoire, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1997, p. 173, n. 68), on comprend que le travail mené en solitaire ait été jusque là nécessairement le lot des historiens des prix français.
23 En tant qu’Assistent de Skalweit pour la rédaction du dernier volume des Acta Borussica (l’une des grandes entreprises de la historische Schule der Nationalökonomie, lancée par Schmoller), paru en 1931 : A. Skalweit, Die Getreidehandelspolitik und Kriegsmagazinverwaltung Preußens 1756-1806: Darstellung mit Aktenbeilagen und Preisstatistik, Berlin, Parey (Acta Borussica : Getreidehandelspolitik, 4), 1931.
24 Voir sa lettre du 30 avril 1930 à J. Van Sickle (dans Report 5) – je conserve le français un peu abrupt de Bujak : « Je confierais tout cet œuvre à mes élèves qui sont bien versés dans les problèmes, ils ont ecrit de dissertations là dessus et possèdent des connaissances suffisantes de paléographie […] Tout ce travail serait éxécuter dans le delai de trois ans, si 5 personnes y participeraient, comme étude d’un siècle exige en moienne le travail annuel d’un jeune homme [était prévue l’étude de trois villes, chacune sur cinq siècles] […] Toute la subvention servirait exclusivement à payer les jeunes rechercheurs aux archives. » On voit que l’incapacité à établir une véritable division du travail renvoie à l’absence de prise en compte de la démarche statistique dans l’élaboration de la factualité, puisque le seul travail envisagé est le dépouillement en archives. Pour les publications des 5 élèves de Bujak, portant finalement sur 4 et non pas 3 villes, pour une période oscillant entre 3 et 5 siècles, et s’étant au total étalées sur non pas 3 mais 21 ans, voir p. 39, n. 7.
25 Ceux-ci furent relativement limités tant que Beveridge ne fit pas financer son projet d’histoire des prix par la fondation Rockefeller, c’est-à-dire jusque 1929, même s’il avait antérieurement reçu un grant du Department of Scientific and Industrial Research britannique (Beveridge, « Weather and Harvest Cycles », art. cité, p. 429 n. 2), et avait en tant que directeur un accès privilégié aux fonds de la LSE.
26 It is essential that those who undertake the work […] shall between them combine all the necessary techniques of the archivist, the statistician and the economist (Report 1 : « Memorandum on Suggested History of Prices and Wages » (4 mars 1929), § 4 ; le soulignement est de mon fait).
27 Concrètement une secrétaire, mais dont les fonctions correspondent à ce que l’on appelait « un secrétaire » et non pas « une secrétaire ».
28 Report 2 (« Memorandum on Organisation of Work on English Price History », F. J. Nicholas, 31 décembre 1929), § 1 ; Report 13 : « Memorandum on Forms and Methods Evolved During the Course of the Study of English Price History » (F. J. Nicholas, 10 juin 1930).
29 De même, Hamilton se charge lui-même du travail en archives (avec l’assistance d’un native archivist working full time) tandis qu’il délègue l’élaboration statistique des données à sa femme (pour un mi-temps) et à une native girl qui aide cette dernière (on notera que contrairement au collaborateur masculin les deux collaboratrices ne sont pas désignées par des termes les définissant professionnellement, comme si leur tâche pour être spécialisée n’était que faiblement professionnalisée) ; voir Report 6 (Earl J. Hamilton, « Spanish Price Study : Sources, Personnel and Methods », 6 mai 1930), § 2. Elsas quant à lui mentionne 10 collaborateurs masculins pour la verantwortungsvolle Aufgabe, die archivalischen Quellen zu exzerpieren (je souligne), et deux femmes pour la Bearbeitung des Materials (Elsas, Umriss einer Geschichte der Preise und Löhne in Deutschland…, op. cit., t. 1, p. v) – activités sexuées très clairement hiérarchisées, comme le montre l’énumération des collaborateurs sur la page de garde du deuxième volume, qui aux hommes fait succéder les femmes (M. J. Elsas, Umriss einer Geschichte der Preise und Löhne in Deutschland vom ausgehenden Mittelalter bis zum Beginn des neunzehnten Jahrhunderts, Leyde, Sijthoff, 1940, t. 2, p. i). Enfin, c’est son épouse que Posthumus remercie for the many pains she has taken in connection with the statistical part (Posthumus, Inquiry into the History of Prices in Holland…, op. cit., t. 1, p. x). Et si par contre A. F. Pribram, Materialien zur Geschichte der Preise und Löhne in Österreich, Vienne, Ueberreuter (Veröffentlichungen des internationalen wissenschaftlichen Komitees für die Geschichte der Preise und Löhne [Österreich], 1), 1938, p. vi mentionne comme collaborateurs d’une part R. Geyer (qui travaillait aux archives de Vienne) et d’autre part F. Koran (du Bundesamt für Statistik), ils ne sont toutefois pas sur le même plan puisque seul le premier est docteur.
30 Sur l’importance centrale des recensions dans les pratiques académiques de l’époque : B. Müller, « Critique bibliographique et stratégie disciplinaire dans la sociologie durkheimienne », Regards sociologiques, 5, 1993, p. 9-23 ; et surtout Müller, Lucien Febvre, lecteur et critique, op. cit., p. 23-42, 115-138, 201-218-320.
31 Le « Memorandum on Forms and Methods Evolved During the Course of the Study of English Price History » de Nicholas, en date du 10 juin 1930 (Report 13), permet de voir jusqu’à quel degré de détail pouvaient aller les instructions : 3) Work on raw material prior to tabulation. The complete sets of raw material together with a detailed report by the palæographist who has made the extracts are handed to Miss Nicholas. The first step is to give the dominical years equivalent to regnal years; these and all other notes not in the original accounts are entered in a distinguishing ink. Pricing: this is the process of calculating the price per unit, where total quantity and value only are given; of converting to the most common unit throughout where several are used, and of checking the prices per unit where total quantity, price per unit and total value are all available; these prices are entered on the raw material sheets, again in a distinguishing ink; all the calculated prices are checked (if possible by a second computor). On voit par ailleurs dans ce texte que, si les problèmes de contrôle impliqués par la division du travail aboutissent à la production d’un discours de la méthode, les problèmes de coordination qu’elle engendre aussi bien entre chercheurs de spécialités différentes ont eux pour conséquence, sous la forme de rapports d’étape, un discours des résultats (a detailed report). Autant dire que le processus de production nouveau initié par Beveridge a pour conséquence indirecte une production documentaire qui transforme profondément le travail de l’historien de l’historiographie, qui n’a plus pour seules sources des publications à partir desquelles il doit inférer, plus ou moins hypothétiquement, les méthodes et les choix qui ont présidé à leur confection.
32 Jeder Arbeitsgang der Untersuchung unterlag der Kontrolle (Elsas, Umriss einer Geschichte der Preise und Löhne in Deutschland…, op. cit., t. 1, p. 90).
33 Hauser va jusqu’à reproduire textuellement ses « Instructions pour les collaborateurs français » dans son introduction aux Recherches et documents sur l’histoire des prix en France…, op. cit., p. 5-19 en l’occurrence.
34 Report 2 : « Memorandum on Organisation of Work on English Price History » (F. J. Nicholas, 31 décembre 1929), § 3.
35 Report 6 : « Spanish Price Study : Sources, Personnel and Methods » (E. J. Hamilton, 6 mai 1930), § 3.
36 Elsas, Umriss einer Geschichte der Preise und Löhne in Deutschland…, op. cit., t. 1, p. 87.
37 Pribram, Materialien zur Geschichte der Preise und Löhne in Österreich, op. cit., p. XII.
38 Hauser (dir.), Recherches et documents sur l’histoire des prix en France…, op. cit., p. 16-17.
39 Gerhard, Engel, Preisgeschichte der vorindustriellen Zeit…, op. cit., p. 29.
40 Par une réunion à laquelle participent, à l’Institut britannique de Paris, Sir William Beveridge (School of Economics, England), Professor E. F. Gay (Harvard University, United States), Dr. Moritz Elsas (Frankfort [sic], Germany), Professor Henri Hauser (University of Paris, France) and Dr. Friedrich Hertz (Vienna, Austria). Professor Aftalion of the University of Paris was also present (Report 1 : « Memorandum on Suggested History of Prices and Wages [4.3.1929] », § 5). Aftalion était alors titulaire de la chaire de statistique de la faculté de droit. L’indication de H. Hauser, « Un comité international d’enquête sur l’histoire des prix », Annales d’histoire économique et sociale, 7, juillet 1930, p. 384-385, selon laquelle c’est en février 1929 que Beveridge et Gay auraient pris contact avec lui pour qu’il articipe au Comité, et qu’ensuite aurait eu lieu la réunion de Paris, est donc à corriger d’au moins un mois.
41 G. Wiebe, Zur Geschichte der Preisrevolution des XVI. und XVII. Jahrhunderts, Leipzig, Duncker & Humblot (Staats- und Socialwissenschaftliche Beiträge, 2-2), 1895, qui s’appuyait sur les différents travaux nationaux publiés pour étudier la situation au niveau européen, était à cet égard l’exception qui confirmait la règle.
42 Beveridge lui-même avait également d’abord mené son enquête propre à l’échelle européenne, avant de préférer pour ce faire un travail en collaboration. En effet, dans sa « Note on Prices and Wages Enquiry in England » (s. d., entre mai 1927 et janvier 1928) il affirmait que the results of this work […] will include […] comparative information as to wheat prices at least in other countries of Europe (Report 1, Appendix A). Ses premiers articles d’histoire des prix portaient en effet sur l’Europe occidentale dans son intégralité : Beveridge, « Weather and Harvest Cycles », art. cité ; id., « Wheat Prices and Rainfall in Western Europe », art. cité.
43 La lettre par laquelle Febvre demande à Simiand de bien vouloir assumer, en lien avec les Annales naissantes, la direction d’une enquête sur l’histoire des prix, n’est pas datée, mais le 24 septembre 1929 Febvre n’avait pas encore écrit à Simiand, dont il doutait de la capacité à mener le projet (B. Müller [éd.], Marc Bloch, Lucien Febvre et les « Annales d’histoire économique et sociale » : correspondance, t. 1, 1928-1933, la naissance des « Annales », Paris, Fayard, 1994, p. 212), et la réponse de Simiand (qui s’excuse de son retard à répondre) est du 19 novembre 1929 (Rioux [éd.], « Correspondance entre Febvre et Simiand », art. cité, p. 105-107-108) ; quant à la première ébauche, encore très floue, d’une « enquête » des Annales sur l’histoire des prix, elle remonte à septembre 1928 (Müller [éd.], Marc Bloch, Lucien Febvre : correspondance…, op. cit., t. 1, p. 82). Si dans cette proposition épistolaire faite à Simiand Febvre ne fait aucune mention du caractère international de l’enquête qu’il envisage (pas plus, d’ailleurs, que d’une limitation nationale), celui-ci est par contre très clairement exprimé dans les articles par lesquels Febvre, une fois l’accord de Simiand obtenu, rend public son projet : Febvre, « Le problème historique des prix », art. cité, et surtout L. Febvre, « L’afflux des métaux d’Amérique et les prix à Séville : un article fait, une enquête à faire », Annales d’histoire économique et sociale, 5, janvier 1930, p. 68-80. Curieusement, Pribram, dans son introduction au volume autrichien du Comité, fera de ces articles l’élément déclencheur du Comité (Pribram, Materialien zur Geschichte der Preise und Löhne in Österreich, op. cit., p. viii), alors qu’il aurait dû être bien placé pour savoir que ce n’était pas le cas puisqu’il avait été contacté dès février 1929 pour faire partie du Comité (Report 1, Appendix B, lettre de F. Hertz du 22 février 1929).
44 Report 7 (« Note sur l’organisation du travail en France » [12 avril 1930], par H. Hauser) : « par une coïncidence curieuse, M. Simiand, au moment où je l’ai entretenu de nos projets, venait d’accepter de diriger une enquête, précisément sur l’histoire des prix, dans la revue intitulée Annales d’histoire économique et sociale ».
45 Hauser, « Un comité international d’enquête sur l’histoire des prix », art. cité.
46 Report 7 : « on peut donc prévoir entre cette revue [les Annales] et le groupe français [du Comité] un constant et fécond échange de services ». On peut même penser que Hauser accordait plus de crédit au projet des Annales : « les commissaires [du Comité] feront sagement, s’ils ne veulent retomber dans les erreurs passées, de travailler en étroit accord avec les organismes scientifiques comme les Annales » (ibid., p. 385). Ceci sans doute parce qu’il était contrôlé par deux historiens et non (comme le Comité) par deux économistes (Beveridge et Gay), mais aussi parce qu’il faisait appel à un mode d’organisation de la recherche plus traditionnel, structuré autour de cette institution éprouvée qu’était la revue scientifique, et non autour d’une recherche sur « vaste projet, dont l’ampleur l’avait d’abord inquiété » (ibid., p. 384).
47 Ainsi Febvre, en juin 1928, critique-t-il son « besoin de vouloir être toujours de tout », tandis qu’en septembre 1930 il le traite de « polygraphe effrayant », au printemps 1931 « le trouve un peu léger depuis quelque temps », et en mars 1932 est « ahuri » par l’un de ses articles qui « est du roman », « fait de chic », « monstrueux ». Quant à M. Bloch, il considère en mai 1934 que le volume publié par Hauser dans la collection Peuples et Civilisations est « assez insignifiant » (Müller [éd.], Marc Bloch, Lucien Febvre : correspondance…, op. cit., t. 1, p. 28, 253, 276-310 ; t. 2, p. 97).
48 Voir cependant les remarques positives formulées par M. Bloch à propos des « Instructions pour les collaborateurs français » rédigées par Hauser : M. Bloch, « Comment recueillir les anciens prix », Annales d’histoire économique et sociale, 10, avril 1931, p. 227-228. Mais en 1933 encore Febvre, avec le soutien de Bloch, tentait d’obtenir de Simiand une « instruction sur les prix » (c’est-à-dire sur la manière de les étudier) qui aurait fait pièce à celles de Hauser, ce à quoi Simiand se refusa, non que sur le fond il n’ait partagé les réticences de Febvre, mais par correction vis-à-vis de celui qui lui avait demandé sa collaboration (Müller [éd.], Marc Bloch, Lucien Febvre : correspondance…, op. cit., t. 1, p. 382 et 442).
49 Largement aussi grand chez Bloch que chez Febvre – si, d’ailleurs, c’est Febvre qui prit en main le projet d’enquête sur les prix, la conception en avait en fait été commune aux deux (« il nous semble depuis longtemps, à Bloch et à moi, qu’une “enquête” s’imposerait », écrivait Febvre à Simiand : Rioux [éd.], « Correspondance entre Febvre et Simiand », art. cité, p. 106), et c’est d’ailleurs Bloch qui lança ce projet et qui eut l’idée de recourir à Simiand (Müller [éd.], Marc Bloch, Lucien Febvre : correspondance…, op. cit., t. 1, p. 82 et 203). De l’intérêt de Bloch et Febvre pour l’histoire des prix témoignent notamment tous les articles et comptes-rendus de plumes autres que les leurs qu’ils ont fait paraître dans les Annales sur ce sujet – pour un rassemblement commode de ces références : M.-A. Arnould, V. Chomel, P. Leuilliot et A. Scufflaire, Vingt années d’histoire économique et sociale. Table analytique des « Annales » fondées par Marc Bloch et Lucien Febvre, 1929-1948 ; augmentée des tables et index 1949-1951, Paris, Armand Colin, 1953, p. 227-229. Pour une présentation rapide de l’intérêt des Annales, et particulièrement de leurs fondateurs, pour l’histoire des prix : A. Burguière, L’École des Annales. Une histoire intellectuelle, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 118-124.
50 Il s’agit de la thèse de Y. Bézard, La vie rurale dans le sud de la région parisienne de 1450 à 1560, Paris, Firmin-Didot, 1929 – thèse que pour sa part Hauser considérait « très bonne » (Report 7) ; pour les recensions de Febvre et Bloch, voir L. Febvre, Revue critique d’histoire et de littérature, 96, 1929, p. 544-549 ; Bloch, « La vie rurale », art. cité, p. 116-120 ; on peut se demander si la critique de nos deux universitaires normaliens ne tenait pas notamment au fait qu’ils avaient affaire à une archiviste chartiste. De même Febvre parlait-il de cet autre collaborateur de Hauser, H. Sée (ancien professeur d’université, qui à l’époque tenait le « Bulletin d’histoire économique et sociale » de la Revue historique), comme d’un « crétin » (Müller [éd.], Marc Bloch, Lucien Febvre : correspondance…, op. cit., t. 1, p. 275). Febvre et Bloch, toutefois, consacreront aussi bien des notices très positives à des articles d’histoire des prix dus à la plume de ces collaborateurs de Hauser qu’étaient R. Jouanne et R. Latouche, tous deux archivistes, dont ils n’omettront d’ailleurs pas de rappeler leur collaboration au Comité : Febvre, « Chiffres faux, courbes vraies ? », art. cité (compte rendu de Jouanne, « Les monographies normandes et l’histoire des prix », art. cité) ; Bloch, « Prix normands », art. cité (compte rendu du même travail) ; id., « Documents sur les prix », art. cité (compte rendu de Latouche, « Le mouvement des prix en Dauphiné sous l’Ancien Régime… », art. cité). Enfin, Bloch et Febvre publieront dans les Annales la brève note technique d’un dernier collaborateur de Hauser, lui aussi archiviste : A. Mirot, « Prix de grains et prix de rentes en grains », Annales d’histoire économique et sociale, 3/4, 1931, p. 551-552. Les personnes dont s’est entouré Hauser sont listées dans la « Note sur l’organisation du travail en France » de ce dernier (12 avril 1930).
51 La rubrique « Le problème historique des prix » disparaîtra des Annales dès 1931.
52 Que l’on pense à sa candidature maintes fois renouvelée au Collège de France ou à la brutale obstination avec laquelle, en dépit des objurgations de Bloch, il continua à faire paraître les Annales dans la France occupée. Voir respectivement C. Charle, C. Delangle (éd.), « La campagne électorale de Lucien Febvre au Collège de France (1929-1932) : lettres à Edmond Faral », Histoire de l’éducation, 34, mai 1987, p. 49-69 ; et Müller (éd.), Marc Bloch, Lucien Febvre : correspondance…, op. cit., t. 3, p. xx-xxv.
53 Pour la réaction de Simiand, en date du 5 août 1930, voir Rioux (éd.), « Correspondance entre Febvre et Simiand », art. cité, p. 109-110 : « Vous m’avez demandé si j’aurais accepté en principe la charge de diriger, m’aviez-vous dit, des recherches sur l’histoire des prix. J’avais compris que diriger voulait dire donner des directions. […] Votre article introductif aux études sur l’histoire des prix contient une suite de jugements sur les travaux passés, d’abord, et, plus gravement, une série de “directions” recommandées aux chercheurs, qui sont, je dois le dire, assez différents et, pour certains décisifs, exactement contraires à ceux que je voulais présenter. » L’opposition intellectuelle entre Febvre et Simiand ne se borne d’ailleurs nullement à ce seul projet, et paraît bien principielle, puisque à propos d’un projet d’article de Simiand dans les Annales, portant sur la matière de ce qui formera en 1932 son Le salaire, l’évolution sociale et la monnaie, projet qui avait été initié par Febvre avant qu’il ne le retoque, Simiand note : « Telle ou telle de vos remarques qui vous paraissent rendre ces fragments impubliables sont justement les conclusions auxquelles je tiens et qui sont les conditions de preuve auxquelles, pour aboutir à des conclusions valables, il est indispensable de se soumettre » (ibid., p. 110). Simiand ne donnera d’ailleurs jamais d’article aux Annales.
54 Les parallèles entre les deux hommes sont frappants – et l’on peut notamment considérer que, mutatis mutandis, Febvre a refait après 1945, en créant la VIe section, ce qu’avait réalisé Beveridge après 1919 en réorganisant de fond en comble la LSE, les deux, significativement, s’appuyant pour ce faire et sur le même contexte d’immédiate-après-guerre mondiale, et sur le même financement (Rockefeller). Cette proximité ne doit pas pour autant amener à ignorer tout ce qui pouvait opposer le haut fonctionnaire devenu économiste à l’historien de profession – et notamment le rythme de leur carrière, celle de Febvre, tout entière effectuée dans le champ académique, s’y étant déplacée progressivement des fonctions les plus intellectuelles vers les fonctions les plus organisatrices (déplacement qui se perçoit aussi bien à l’intérieur même de ce dernier registre, avec d’abord la création des Annales, puis la direction de l’Encyclopédie française, et enfin la création de la VIe section), tandis que l’activité académique de Beveridge, de nature intellectuelle mais surtout organisatrice, fut encadrée par un long début et une longue fin de carrière tout entiers consacrés à l’administration non académique.
55 La question du financement du Comité était réglée depuis février 1930 (Report 3 : W. Beveridge, « Letter of Invitation to Join the Committee », 4 février 1930).
56 Febvre, « L’afflux des métaux d’Amérique et les prix à Séville… », art. cité, p. 79.
57 On ne peut que mesurer l’ampleur de l’écart entre « l’esprit commun » recherché par Febvre et les « instructions aux collaborateurs » dont j’ai déjà décrit le rôle central dans l’entreprise de Beveridge.
58 Le premier congrès international des sciences historiques date de 1898, et si celui de statistique remonte à 1853 ce n’est toutefois qu’en 1886 qu’est apparu sous sa forme « moderne » le congrès international de statistique. On se reportera respectivement à : K. D. Erdmann, Die Ökumene der Historiker : Geschichte der Internationalen Historikerkongresse und des Comité International des Sciences Historiques, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht (Abhandlungen der Akademie der Wissenschaften in Göttingen, Philologisch-Historische Klasse ; 3e sér., 158), 1987 ; É. Brian, « Transactions statistiques au xixe siècle : mouvements internationaux de capitaux symboliques », Actes de la recherche en sciences sociales, 145, 2002, p. 34-46, particulièrement p. 43-46, pour le premier âge des congrès internationaux de statistique ; et enfin à J. W. Nixon, A History of the International Statistical Institute (1885-1960), La Haye, International Statistical Institute, 1960, pour le second âge des congrès internationaux de statistique.
59 Febvre, « L’afflux des métaux d’Amérique et les prix à Séville… », art. cité, p. 80.
60 La différence entre ces deux approches tient bien évidemment au fait que, si Febvre n’avait jamais préalablement au lancement de l’enquête des Annales mené de travaux en histoire des prix, Beveridge par contre s’y consacrait depuis de longues années, et savait donc avec précision ce qu’il désirait atteindre.
61 Beveridge établit très clairement, lors de la première conférence plénière du Comité, qu’il conçoit celui-ci avant tout comme l’instrument de son contrôle personnel (en tant que président) : for the purpose of controlling international coordination, samples of all original extracts should be sent to the Scientific Committee [c’est-à-dire à son siège à la LSE], copies of all tabulations from these extracts into lists of prices […] should also be sent. […] He [the Chairman] and the Secretary [Nicholas] should be available to visit the representatives in their own countries when this seems desirable (Report 14 : « Report of Conference Held at the LSE on May 19th and 20th, 1930 »).
62 Voir p. 46, n. 40.
63 Ainsi la première conférence plénière du Comité (19-20 mai 1930) stipule-t-elle que as to the form the extracts were to take, it was decided to circulate a full description of the method used in the case of the English study (Report 14 : « Report of Conference held at the LSE on May 19th and 20th, 1930 »). Il s’agira du Report 13 (sic), le « Memorandum on Forms and Methods Evolved During the Course of the Study of English Price History » de 48 pages terminé par F. J. Nicholas le 10 juin 1930 ; l’inversion de l’ordre des reports par rapport à l’ordre chronologique est sans doute liée au fait que le compte rendu de la conférence n’a pas été finalisé avant que Nicholas ait terminé le memorandum qui lui avait été demandé lors de la conférence.
64 À propos de Bujak, qui travaillait avec ses assistants depuis déjà six ans sur l’histoire des prix polonais, the chairman [Beveridge] advanced the view that it was not certain if any funds would be available ; he did not think Poland could be added to the investigations as a separate country (Report 14 : « Report of Conference Held at the LSE on May 19th and 20th, 1930 »). Aussi bien Bujak, dans sa demande initiale de financement, avait-il manifesté un refus assez net d’adapter sa méthode de travail aux exigences du Comité : « Le programme générale [sic] des recherches américaines [sic] serait à accepter si cela etait [sic] à souhaiter » (Report 5, lettre de F. Bujak à J. Van Sickle [assistant director des Social Sciences à la fondation Rockefeller], 30 avril 1930). Le refus de Beveridge est d’autant plus significatif que Bujak ne demandait que 5400 $ (soit 2 % du financement total), que ses travaux étaient recommandés par Malinowski, collègue de Beveridge à la LSE (Report 5, lettre de J. Van Sickle à Beveridge, 13 mai 1930), et qu’il était un personnage fort influent (après avoir été délégué de la Pologne à la conférence de Versailles, il était devenu ministre de l’Agriculture : Shelton, The Democratic Idea in Polish History and Historiography…, op. cit., p. 81-85 et 114). Effet peut-être d’une division du travail (et des décisions désagréables à appliquer) entre les deux codirecteurs, c’est Gay qui se charge au même moment de retoquer la demande de subvention de G. Bagge, et ce d’une manière qui exprime clairement que toute demande de soutien de projets extérieurs sera appelée à subir le même sort, sauf s’ils renoncent à leur autonomie méthodologique : Those who originated the scheme of the present study hoped that it might succeed in setting up, first, new critical standards […] Wherever offers come from outside, or requests for cooperation arrive, he thought the chairman should be free to inform the applicants of the committee’s desire to obtain comparable materials and ask them to cooperate by using the same methods (Report 14 : « Report of Conference held at the LSE on May 19th and 20th, 1930 »). Ce refus n’empêchera pas G. Bagge pas de publier à partir de 1933 ses Wages in Sweden 1860-1930, fort qu’il était du soutien de l’Institut de sciences sociales de l’université de Stockholm, dans le cadre du projet mené au sein de ce dernier sur Wages, cost of living and national income in Sweden (projet auquel participait également G. Myrdal).
65 Raison pour laquelle Gay lui avait demandé de participer au comité de rédaction du Journal of Economic and Business History qu’il avait fondé en 1928, en tant que l’un des deux membres non anglophones (l’autre étant Allemand – il s’agissait d’intégrer ainsi les deux plus grands pays universitaires non anglophones). Il est d’ailleurs vraisemblable que ce soit par l’entremise de Gay que Beveridge connaissait Hauser, les liens de Hauser avec les États-Unis ayant toujours été plus forts qu’avec l’Angleterre – ainsi avait-il été en 1899 le premier non-anglophone à publier dans l’American Historical Review, et en 1904 l’université de Chicago lui avait proposé un poste de visiting professor, ce qu’aucune université états-unienne n’avait encore fait à l’égard d’un historien français ; mais si Hauser avait en 1923 été exchange professor à Harvard, où il avait entre autres enseigné dans le département d’économie, il n’est pas certain qu’il ait à cette occasion fait la connaissance de Gay, qui en ces années avait renoncé à sa chaire (mais était néanmoins resté membre du conseil de surveillance de l’université – il retrouvera d’ailleurs sa chaire dès l’année suivante). Sur les rapports de Hauser avec les États-Unis : J. L. Harvey, « Henri Hauser et les historiens américains pendant l’entre-deux-guerres », dans S.-A. Marin, G.-H. Soutou (dir.), Henri Hauser (1866-1946). Humaniste, historien, républicain, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne (Mondes contemporains), 2006, p. 249-252 ; sur la carrière de Gay en ces années : Hamilton, « Memorial: Edwin Francis Gay », art. cité, p. 411. Ni H. Heaton, A Scholar in Action: Edwin F. Gay, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1952, qui ne traite quasiment pas de l’investissement de Gay dans le Comité – voir p. 213-214 –, ni I. Lescent-Giles, « Henri Hauser et la Grande-Bretagne », dans Marin, Soutou (dir.), Henri Hauser…, op. cit., p. 211-231 (p. 218-225 sur le Comité), peu informative, et qui doit être lue avec précaution, ne permettent de trancher la question de l’origine des rapports entre Hauser et Beveridge, c’est-à-dire de leur caractère direct ou au contraire médiatisé par Gay.
66 Comme l’écrit F. Hertz à Beveridge le 16 février 1929 : a Professor is in a much better situation because he can make use of the work of his pupils. […] He [= Pribram] would be excellent for selecting the right people and he is very much respected by everybody (Report 1, Appendix B).
67 Ainsi Pribram commence-t-il son premier rapport, sur l’Organisation der österreichischen Preis- und Lohnstatistik (11 mai 1930 = Report 8), par cet avertissement, qui sera ensuite rappelé à propos de points précis : Allgemeine Grundsätze : die wissenschaftliche Leitung sowie die Erhebung und Aufarbeitung der Daten erfolgt [sic] in der Hauptsache nach den Bestimmungen des «Memorandum on organisation of work on English price history » de F. J. Nicholas, l’assistante de Beveridge (celui-ci, qui est du 31 décembre 1929, forme le Report 2). De même la première phrase de la « Note sur l’organisation du travail en France » de Hauser (12 avril 1930 = Report 7) est-elle la suivante : « J’ai réfléchi à l’organisation du travail en ce qui concerne la France, compte tenu des conditions propres à ce pays, et tout en m’inspirant néanmoins du plan britannique exposé dans la note du 31 XII 29 de Miss F. J. Nicholas ». Ces deux déclarations de principe sont l’effet de l’action de Beveridge, qui avait pris soin, dès l’acceptation du projet par la fondation Rockefeller, d’envoyer aux différents responsables nationaux non seulement ce memorandum mais aussi trois de ses articles d’histoire des prix, en guise de modèle à suivre (Report 3 : W. Beveridge, « Letter of Invitation to join the Committee », 4 février 1930).
68 D. Zimmerman, « The Society for the Protection of Science and Learning and the Politicization of British Science in the 1930s », Minerva, 44/1, mars 2006, p. 25-45.
69 U. Scheurle, s. v. « Elsas, Moritz Julius », dans H. Hagemann (dir.), Biographisches Handbuch der deutschsprachigen wirtschaftswissenschaftlichen Emigration nach 1933, Munich, Saur, 1999, p. 138-139.
70 Comme le fera au contraire Simiand avec sa « commission des statistiques historiques », organisée à partir de septembre 1930 dans le cadre du Congrès international de statistique, et pour laquelle il s’adjoindra Willcox, vice-président de l’Institut international de statistique, le comte Yanagisawa (président de la Commission du budget à la chambre des pairs japonaise, président du Conseil municipal de Tokyo, et président du Comité d’organisation du Congrès de 1930 : T. Hasegawa, « Yasutoshi Yanasigawa [1870-1936] », Bulletin de l’Institut international de statistique, 28/1, 1938, p. 253-255), et… Beveridge ! Voir F. Simiand, « Des possibilités de recherches statistiques historiques », Bulletin de l’Institut international de statistique, 25/1, 1932, p. 144.
71 Ce qui se repère bien dans l’organisation du Comité, où chaque commissaire est là non au titre d’une aire géographique de recherches mais en tant que représentant d’un État-nation souverain, auquel il se doit donc d’appartenir – raison pour laquelle Hamilton, citoyen états-unien, est dépourvu pour l’Espagne du statut de representative qui était celui des autres responsables sectoriels, et n’est de ce fait formellement pas membre du Comité. Voir Report 4 (A. H. Cole, « Memorandum on the financial arrangements for the International Study of Price History », 17 février 1930) : The representative of each country on the International Committee (and, in the case of Spain, Dr. Hamilton) ; Report 14 (« Report of Conference held at the LSE on May 19th and 20th, 1930 ») : Following representatives were present: Professor Gay (America), Professor Pribram (Austria), Professor Hauser (France), Dr. Elsas (Germany). Were also present: Dr. Hamilton (delegate [of the Committee] for Spain).
72 Voir n. précédente l’ordre d’énumération des representatives, énumération faite en fonction de l’ordre alphabétique des pays qu’ils représentent.
73 Ce qui ne vaut en fait que dans le cas de Hauser, le remplacement du Privatgelehrter Hertz par le professeur à l’université de Vienne Pribram s’expliquant autrement – en l’occurrence par le fait que la fondation Rockefeller avait pour représentant en Autriche Pribram, et qu’il était donc, pour espérer obtenir le soutien (financièrement essentiel) de celle-ci, difficile de l’ignorer, parce que ce oldest and without doubt most famous of our [= Austrian] historians aurait sans doute mal accepté de se voir préférer son inférieur en âge et en grade. Voir pour tout ceci Report 1, Appendix B, lettres de F. Hertz à W. Beveridge en date du 16 février 1929 et du 22 février 1929.
74 Le cas de Hamilton est intermédiaire, et à vrai dire quelque peu spécifique. En effet, s’il était fort jeune (il n’avait que 30 ans au moment du lancement du projet) il était déjà en poste (à l’université Duke) ; surtout, il avait une expérience préalable en histoire des prix, ce qui le distinguait de tous les autres responsables de projets nationaux choisis par Beveridge. C’est qu’il était impossible à Beveridge d’ignorer ce protégé de Gay (at whose suggestion the present study was undertaken, dira Hamilton dans la préface de son American Treasure and the Price Revolution in Spain…, op. cit., p. xi), dont la thèse avait été dirigée par un élève de Gay, Usher (sur la filiation Gay-Usher-Hamilton : E. S. Mason, T. S. Lamont, « The Harvard Department of Economics from the Beginning to World War II », The Quarterly Journal of Economics, 97/3, août 1982, p. 405).
75 Pour une étude détaillée de la politique française en la matière : C. Charle, La république des universitaires (1870-1940), Paris, Seuil (L’Univers historique), 1994, p. 345-368.
76 Pour la répartition prévisionnelle de cette manne entre les pays et les années, voir Report 14 (« Report of Conference Held at the LSE on May 19th and 20th, 1930 »). Pour la conversion : S. H. Williamson, « Purchasing Power of Money in the United States from 1774 to Present » (https://www.measuringworth.com/ppowerus/, consulté le 3 mai 2017). Pour comparaison, le premier financement qu’avait obtenu le National Bureau for Economic Research (NBER) états-unien, en 1920, était de 45 000 $ sur trois ans, et la même année 1929 il obtint de la Rockefeller Foundation 375 000 $ sur cinq ans (M. Rutherford, «“Who’s Afraid of Arthur Burns?” The NBER and the Foundations », Journal of the History of Economic Thought, 27/2, juin 2005, p. 112 et 115).
77 Report 1, Appendix C : « Note on Finance ».
78 C’est en l’occurrence A. H. Cole qui était ainsi chargé de la gestion quotidienne des finances. Son autonomie en la matière devait être d’autant plus restreinte que, s’il était alors certes déjà en poste à Harvard, ce n’était toutefois encore qu’en tant qu’associate professor, en tant donc que subordonné de son maître Gay.
79 Ainsi Cole stipule-t-il clairement lors de la première conférence plénière du Comité que there is no necessity […] of equal division of funds among the several countries […] Secondly there is no relationship other than that suggested by the progress of the work between the allocation of one year to that of the succeeding year, a new deal should be made each year without consideration of the past (Report 14 : « Report of Conference held at the LSE on May 19th and 20th, 1930 »).
80 A. H. Cole, 17 février 1930 (Report 4) : the representative of each country […] would distribute the money in accordance with the scheme worked out in collaboration with the International Committee.
81 Report 14 (« Report of Conference held at the LSE on May 19th and 20th, 1930 ») : Professor Cole said that he would like to hold that sum, pending the receipt of more detailed plans of procedure, methods, personnel and control of both France and Germany.
82 Plus exactement au Laura Spelman-Rockefeller Memorial.
83 Le rapport sur les Social Sciences commandé en 1923 par le directeur du Laura Spelman-Rockefeller Memorial deplored the lack of funding for properly scientific social science research, by which he meant work that was “investigational” or “experimental”. These scientific methods he contrasted with those of speculative theorizing and library based research, the dominance of which had resulted in […] the failure [of the social sciences] to separate itself from political partisanship (Rutherford, «“Who’s Afraid of Arthur Burns?” The NBER and the Foundations », art. cité, p. 113).
84 Ibid., p. 111-128 particulièrement.
85 E. Craver, « Patronage and the Directions of Research in Economics: The Rockefeller Foundation in Europe (1924-1938) », Minerva, 24/2-3, juin 1986, p. 214.
86 Rutherford, « “Who’s Afraid of Arthur Burns?” », art. cité, p. 111 et 114.
87 Il avait été en 1923, avec (entre autres) Keynes, l’un des éléments moteurs de la création du London and Cambridge Economic Service (dont il fut ensuite l’un des quatre codirecteurs), qui visait à pallier l’insuffisance des publications statistiques officielles en matière économique (G. Dostaler, Keynes et ses combats, Paris, Albin Michel [Bibliothèque de l’histoire], 2005, p. 135).
88 Report 3 : W. Beveridge, « Letter of Invitation to Join the Committee », 4 février 1930. Une autre différence réside dans l’opposition entre une structuration nationale et une structuration internationale de la recherche. Cette opposition s’explique par l’importance pratique de la recherche conjoncturelle contemporaine, qui servait notamment de base à des décisions de politique économique, à un niveau national donc ; sa maîtrise était donc pour chaque nation un enjeu, ce qui rendait la coopération difficile, au contraire des recherches conjoncturelles historiques.
89 Voir la citation p. 37-38. L’insistance sur le caractère non exclusivement historien du lectorat visé par les Annales se retrouve dans toute la correspondance entre Bloch et Febvre, chez l’un comme chez l’autre.
90 C. A. de Rouvray, Economists Writing History: American and French Experience in the mid 20th Century, PhD dirigé par Mary Morgan, LSE, Londres, 2005.
91 Le désavantage de Febvre tenait donc peut-être moins au fait qu’il était Français (et non pas Anglais), qu’à sa résidence alors strasbourgeoise (et non pas parisienne).
92 Cole, Crandall, « The International Scientific Committee on Price History », art. cité, p. 382.
93 Rutherford, « American institutionalism and its British connections », art. cité, p. 316. Dahrendorf, LSE: A History of the London School of Economics…, op. cit., p. 159-169.
94 Beveridge, dans le monde académique, fut, et ne fut que, directeur de la LSE puis master de l’University College d’Oxford ; significativement, lorsqu’il demanda à la Rockefeller un financement qui devait lui permettre de quitter la direction de la LSE au profit d’une research chair (qu’il aurait entre autres consacrée à ses travaux d’histoire des prix), celui-ci lui fut refusé (Dahrendorf, LSE: A History of the London School of Economics…, op. cit., p. 310-314).
95 L’engagement de la Rockefeller dans le domaine caritatif était très important.
96 Ainsi la Carnegie Corporation a-t-elle été fondée en 1911, et la fondation Rockefeller en 1913.
97 M. Bulmer, J. Bulmer, « Philanthropy and Social Science in the 1920s: Beardsley Ruml and the Laura Spelman Rockefeller Memorial (1922-1929) », Minerva, 19/3, septembre 1981, p. 350. Gay présentait par ailleurs pour Beveridge l’avantage de connaître celui qui était le directeur des Social Sciences au sein de la fondation Rockefeller au moment où Beveridge recherchait pour le Comité le financement de cette dernière ; en effet, Day et Gay avaient été collègues avant la première guerre mondiale au sein du département d’économie de Harvard.
98 Jouait aussi, bien sûr, la surface institutionnelle qui était alors celle de Gay, puisqu’en 1929, au moment donc de la fondation du Comité, il était à la fois président de l’American Economic Association et vice-président de l’Economic History Society anglaise ; il venait par ailleurs de fonder le Journal of Economic and Business History. Sur les multiples activités de Gay en ces années, voir Heaton, A Scholar in Action: Edwin F. Gay, op. cit., p. 191-218. Il ne faut pas non plus sous-estimer le fait que Gay, en raison de ses préférences méthodologiques aussi bien que thématiques, était pour Beveridge, intellectuellement, un allié évident, puisqu’en 1927 il pouvait être présenté en ces termes par l’un de ses anciens élèves : Without ignoring qualitative evidence, he has shown a preference from early studies down to the present for quantitative data. To him the exchange of goods and services – that is, marketing – has seemed a fundamental part of economic life (N. S. B. Gras, « The Rise and Development of Economic History », The Economic History Review, 1, janvier 1927, p. 26).
99 Aucune des publications de la branche états-unienne ne se fera sous son nom.
100 Voir p. 58, n. 74. La conséquence en fut que c’est avec Hamilton que Beveridge connut les conflits les plus marqués. Si Hamilton, dans les remerciements qui ouvrent ses deux livres d’histoire des prix antérieurs à la Seconde Guerre mondiale, mentionne le Comité, et nommément Gay et Cole, par contre pas une fois le nom de Beveridge n’apparaît, et dans sa nécrologie de Gay Hamilton dira de ce dernier, en matière de coup de pied de l’âne à Beveridge, que, assisted by Sir William Beveridge, he organized the International Committee (Hamilton, « Memorial: Edwin Francis Gay », art. cité, p. 412).
101 Le montre bien, dans les documents du Comité, l’ordre d’énumération de ses membres, lorsque celui-ci n’est pas alphabétique (qu’il s’agisse de l’ordre alphabétique des personnes ou des pays qu’elles représentent), puisque Gay est alors mentionné immédiatement après Beveridge – voir par exemple le « Memorandum on Suggested History of Prices and Wages (4.3.1929) » (dans Report 1). Sur le fait que Beveridge s’assurait de l’assentiment de Gay lorsqu’il prenait des décisions importantes, voir par exemple le Report 14 : The chairman [= Beveridge] […] stated that, with Professor Gay’s consent, he had asked Miss Nicholas to act as Secretary for the Committee.
102 N. S. B. Gras, recension de Beveridge, Prices and Wages in England…, op. cit. : The American Economic Review, 30/1, mars 1940, p. 139-141. Gras était un élève de Gay.
103 Le cas d’Edmund Day est exactement identique à celui de Gay.
104 Cette jonction et cette assignation se faisaient chez l’un comme chez l’autre sur un mode identiquement malheureux (sans doute lié à la forte autonomie qui caractérisait alors le champ académique, et qui rendait comme impossible ce genre de positions), particulièrement bien exprimé par Gay, qui se décrivait lui-même comme a scholar who might have been a scholar, an administrator who might have been an administrator (Mason, Lamont, « The Harvard Department of Economics from the Beginning to World War II », art. cité, p. 406-407).
105 Certes Febvre fut aussi un entrepreneur académique hors pair, mais c’était là alors un aspect de sa carrière qu’il venait à peine, avec la fondation des Annales, d’entamer. Et, de toute façon, contrairement à Beveridge et Gay, l’activité administrative de Febvre ne le mènera jamais en dehors du monde académique, sans doute parce que, contrairement à ces deux derniers qui n’ont laissé aucune œuvre intellectuelle marquante, le capital sur lequel Febvre s’appuyait (et que pour cette raison, de Philippe II et la Franche-Comté au Problème de l’incroyance au xvie siècle en passant par La Terre et l’évolution humaine, il prit toujours grand soin d’entretenir) était avant tout d’ordre intellectuel.
106 Il n’est, dans la correspondance entre Bloch et Febvre, jamais fait mention de la fondation Rockefeller, et « aucune démarche ne fut entreprise, ni par eux, ni par la fondation Rockefeller, pour une quelconque collaboration » (B. Mazon, Aux origines de l’École des hautes études en sciences sociales. Le rôle du mécénat américain [1920-1960], Paris, Cerf [Thèses, 22], 1988, p. 67). L’homme qui, dans les années 1930, contrôlait l’emploi des fonds accordés en France par la fondation Rockefeller, était, significativement, C. Bouglé (ibid., p. 53 et 55), dont non seulement la carrière oscilla entre le monde académique et la sphère publique (longtemps vice-président de la Ligue des Droits de l’Homme, il fut plusieurs fois candidat à la députation), mais dont par ailleurs l’investissement académique fut fortement marqué par les tâches administratives (en tant que directeur adjoint, puis directeur, de l’École normale supérieure) – voir sur ce personnage W. P. Vogt, « Durkheimian Sociology Versus Philosophical Rationalism: the Case of Célestin Bouglé », dans P. Besnard (dir.), The Sociological Domain: the Durkheimians and the Founding of French Sociology, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 231-247. Ce n’est qu’une fois que Febvre aura, avec les Annales et l’Encyclopédie française, accumulé une expérience d’organisateur, qu’il sera en mesure, après la Seconde Guerre mondiale, de recourir avec succès au financement Rockefeller pour établir la VIe section (sciences économiques et sociales) de l’EPHE.
107 Sur la carrière de Hauser : P. den Boer, Henri Hauser: Traditie en vernieuwing in de franse geschiedschrijving, thèse, université de Leyde, 1975.
108 Dumoulin, « Aux origines de l’histoire des prix », art. cité, p. 514. Hauser n’hésitera pas plus à écrire dans l’introduction au volume français : « Suivant une coutume d’outre-Atlantique, dont on peut contester l’efficacité scientifique, la durée de la subvention était fixée à cinq ans » (Hauser, « Introduction », art. cité, p. 3). Les universitaires autrichiens avaient d’emblée exprimé des réticences identiques quant aux contraintes temporelles du financement sur projet : All experts whom I consulted […] agree that it is quite impossible to fix a number of years for finishing the work (Report 1, Appendix B, lettre de F. Hertz à W. Beveridge du 16 février 1929). On voit toute la différence avec un Beveridge, qui dans sa demande de financement à la Rockefeller avait lui-même posé cette limite temporelle, sans doute à la fois parce qu’il était convaincu de sa pertinence, et parce qu’il savait que tout autre arrangement serait refusé par la fondation (Report 1, Appendix C : « Note on Finance »).
109 Pour la présentation de son projet : Simiand, « Des possibilités de recherches statistiques historiques », art. cité ; pour les discussions et l’approbation qu’il suscite, voir le procès-verbal des séances : Bulletin de l’Institut international de statistique, 25/1, 1932, p. 142-144 et p. 169-170. Pour les comptes-rendus par Simiand, devant les congrès suivants, de l’activité de la commission : F. Simiand, « Recherches statistiques historiques : rapport provisoire », Bulletin de l’Institut international de statistique, 26/2, 1931, p. 673-693 (pour la discussion de ce rapport : Bulletin de l’Institut international de statistique, 26/1, 1936, p. 112-123) ; F. Simiand, « Tâches envisagées et tâches à envisager pour la commission des recherches statistiques historiques », Bulletin de l’Institut international de statistique, 28/2, 1935, p. 490-502 (pour la discussion de ce rapport : Bulletin de l’Institut international de statistique, 28/1, 1938, p. 110).
110 Mais qui ne le sera pas : dès le premier Congrès qui suit le décès de Simiand, celui de 1936 donc, il n’est plus question de sa Commission de recherches statistiques historiques : Bulletin de l’Institut international de statistique, 29/1, 1938 (sic).
111 C’est justement parce que le modus operandi choisi par Simiand est autre que sa Commission peut n’être pas concurrente mais complémentaire du Comité de Beveridge – ceci d’autant plus que Simiand a choisi un objet moins précisément défini (choix qui aussi bien est la conséquence du caractère beaucoup moins directif de son entreprise). Ainsi, dans ses rapports devant le Congrès international de statistique, Simiand présente-t-il toujours, entre autres, les travaux du Comité, qui ne sont pour lui que l’une des entreprises que sa Commission a pour but de rapprocher et coordonner (voir notamment la présentation par Beveridge du Comité, en annexe au rapport de Simiand pour le Congrès de 1934 : W. H. Beveridge, « The International Scientific Committee on Price History », Bulletin de l’Institut international de statistique, 28/2, 1935, p. 500-502). D’une certaine façon, Simiand a réalisé ce que Febvre et lui planifiaient initialement, mais en le déportant à un niveau plus général afin de faire cesser la situation de concurrence par rapport à Beveridge, grâce à l’inclusion de ce dernier comme simple partie du tout.
112 Sur cette entreprise, voir B. Müller, F. Weber, « Réseaux de correspondants et missions folkloriques : le travail d’enquête en France vers 1930 », Gradhiva. Revue d’histoire et d’archives de l’anthropologie, 33, 2003, p. 43-55.
113 Ibid., p. 48-49.
114 Je souligne.
115 Je parle d’aconscient pour éviter toute confusion avec la notion psychanalytique d’inconscient, parce que la non-conscience produite par l’habitus est d’un ordre différent de celle dont la psychanalyse fait son objet. En effet, l’inconscient psychanalytique est le produit d’un refoulement alors que l’aconscience liée à l’habitus est le résultat de l’incorporation individuelle des logiques sociales ; il y a donc d’un côté volonté d’élimination, et de l’autre volonté d’intégration. Pour le dire autrement, l’inconscient est une nécessité négative (il a pour objet, même s’il n’y parvient pas et entraîne au contraire des effets pervers, de permettre à l’individu de ne pas dysfonctionner) tandis que l’aconscient est une nécessité positive (il permet à l’individu un meilleur ajustement aux logiques sociales qu’il lui faut respecter).
116 Ainsi Febvre dit-il en février 1929 d’un article de Hamilton qu’il a « quelque chose d’effrayant : nous ne tiendrons jamais le coup devant le dollar ; ce n’est pas vous ni moi qui pouvons nous payer les auxiliaires que ce travail nécessite » (Müller [éd.], Marc Bloch, Lucien Febvre : correspondance…, op. cit., t. 2, p. 196 et 422 ; t. 3, p. 130). Si à cette date il est vrai que la devise états-unienne était, contrairement à un franc régulièrement malmené sur les marchés des changes, particulièrement forte, reflet de l’extraordinaire prospérité de l’économie des États-Unis dans les années 1920, il n’en reste pas moins que Beveridge était Anglais et non pas citoyen des États-Unis, et que vu l’état désastreux de l’économie britannique dans ces années, ainsi que les difficultés chroniques de la livre, il n’avait à cet égard aucun avantage par rapport à Febvre, dont l’explication n’explique donc rien.
117 La question de l’adoption de la troisième novation, soit celle portant sur le mode de financement, ne se pose évidemment pas : aucun des collaborateurs n’a refusé l’argent de la Rockefeller.
118 On peut également penser en Italie à Giuseppe Parenti.
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