L’interprétation byzantine de l’expansion occidentale (XIe-XIIe siècles)
p. 163-179
Texte intégral
1 Au cours des XIe et XIIe siècles, les rapports entre Byzance et l’Occident se sont sensiblement développés. Des questions politiques et ecclésiastiques demandaient des solutions ; d’où des contacts, des échanges d’ambassades, des conflits, une invasion même de l’Italie sous le règne de Manuel Comnène. Des empereurs byzantins, et certains membres de leurs familles ont pris des épouses (parfois des époux) de provenance occidentale : il y a donc une politique matrimoniale qui amène à Byzance des princesses de l’Occident, avec tout ce qui suit, en termes d’influences culturelles et sur les moeurs de l’aristocratie. Des mercenaires normands ou francs entrent dans l’armée byzantine, ou viennent prêter secours, contre un salaire, bien entendu, aux empereurs1. Tout ceci a provoqué des commentaires positifs, de la part de Guillaume de Tyr, ou négatifs de la part de Nicétas Choniatès2. Mais le contact le plus important du point de vue historique, ainsi que dans l’esprit des contemporains, était le contact massif, si j’ose dire. Il s’agit de la présence, passagère ou non, à Byzance, des croisés et des marchands italiens. Il s’agit donc des formes principales de l’expansion occidentale en Orient, sous ses deux aspects, politico-religieux et économique. Pour les byzantins, ceci a posé des problèmes d’ordre politique, économique et idéologique.
2 Le premier contact massif risque d’être hostile dès le début : dans la conscience des byzantins, dont le témoignage, il faut l’avouer, est écrit beaucoup plus tard, la première croisade est une entreprise dangereuse pour Byzance, car elle est liée à l’invasion de Byzance par Robert Guiscard et Bohémond, quelques années avant (en 1081)3. Anne Comnène, il est vrai, constate une divergence entre les projets de Bohémond croisé et ceux des autres membres de la première croisade, les pauvres surtout, mais aussi quelques uns des autres chefs de l’armée. Dans le cas de Bohémond, on perçoit dans son comportement pendant la croisade une continuité avec la première et la seconde invasion de l’empire en 11074. D’ailleurs les Byzantins ne sont pas les seuls à le croire. Les chroniqueurs proches de Bohémond, comme Geoffroi Malaterra5, parlent de ses intentions presque dans les mêmes termes qu’Anne Comnène ; de même, l’Histoire Ecclésiastique d’Orderic Vitalis, en principe très positive envers Bohémond, suggère que l’empereur Alexis Ier se méfiait de Bohémond, à cause des hostilités antérieures. Il avoue aussi qu’en 1097 le sagax (sage, rusé) Bohémond a conseillé aux croisés de prendre Constantinople6.
3La réaction des Byzantins face au danger politique et militaire que représentent les Occidentaux, surtout les Normands, est bien connue. La guerre pour répondre à la première invasion, la guerre aussi, terminée par un traité de type féodal (le traité de Dévol, 1108), pour faire face à la deuxième. Quant à la première croisade, il y a eu des accords, des serments de fidélité de la part des croisés, ainsi que la promesse de restituer à l’empereur toutes les terres qui avaient jadis appartenu à l’empire, et de la part de l’empereur des dons très considérables et une promesse, peut-être, d’aider les croisés, en tout cas, il y eut des opérations militaires en commun jusqu’au désaccord (et la diffidatio de la part des croisés) qui a suivi la conquête d’Antioche. Les relations politiques se sont détériorées à chaque fois qu’une croisade prenait la route terrestre, jusqu’à l’explosion de la IVe croisade. Or les historiens byzantins (Anne Comnène, Jean Kinnamos, Nicétas Choniatès, Jean Zonaras) ont tous écrit après la rupture provoquée par les événements d’Antioche, et, dans le cas de Choniatès, après l’attaque normande contre Thessalonique en 1185 et la chute de Constantinople en 1204. Leur prise de position idéologique sur les Occidentaux est conditionnée par ces événements.
4Je ne veux pas faire le bilan des rapports byzantins avec l’Occident dans la période charnière que représentent les XIe-XIIe siècles, mais brosser le portrait de l’expansionnisme occidental d’après le regard des Byzantins, sans oublier celui du conquérant et du marchand, aussi bien du point de vue politique qu’économique.
5Le portrait du conquérant est surtout celui de Bohémond et, si l’on veut, aussi de son père, Robert Guiscard, et ceci parce que Anne Comnène, pour qui la première croisade est un événement passionnant, a dressé des portraits inoubliables :
« Ce Robert, Normand d’origine et de naissance obscure, joignait à une grande ambition une finesse extrême (τν ψυχν πανουργότατος) sa force musculaire était remarquable ; tout son désir était d’atteindre la fortune et la haute situation des hommes puissants ; rien ne pouvait le détourner de l’exécution de ses plans, et il prenait ses mesures pour atteindre ce but d’une manière irréfragable. Sa haute stature dépassait celle des plus grands guerriers ; son teint était coloré, sa chevelure blonde, ses épaules larges... Quant à sa voix... le cri de ce guerrier... mettait en fuite des milliers d’hommes »7.
6Et quant à Bohémond, « on n’avait jamais vu auparavant sur la terre des Romains homme pareil à celui-là, barbare ou grec, car sa vue engendrait l’admiration, et sa renommée l’effroi ». Il était haut de stature, mince, aux épaules larges, parfaitement proportionné, tout blanc de peau, blond, aux yeux bleus.
« Il se dégageait de ce guerrier un certain charme, en partie gâté cependant par un je ne sais quoi d’effrayant qui émanait de son être. Car tout cet homme, dans toute sa personne était dur et sauvage... Il avait l’esprit souple, τυεό [τό δέ φρόνημα αύτῶ παντοδαπόν καί πανοιῦργον] et riche en subterfuges en toute occasion. Ses paroles étaient, en effet, calculées et ses réponses, toujours ambiguës. Cet homme, à ce point supérieur, ne le cédait qu’à l’autocrator sous le rapport de la fortune, de l’éloquence et des autres dons de la nature »8.
7La puissance physique est admirable en elle même, surtout combinée avec la beauté, mais elle sert aussi de symbole aux traits moraux de ces hommes. Ils étaient, selon Anne Comnène, des gens forts, des grands guerriers, à l’esprit rusé ; ils aimaient l’argent et les possessions des autres. Bohémond, surtout, est comparé à un animal, magnifique évidemment, mais animal tout de même. Robert Guiscard était ambitieux et ne permettait pas d’opposition ; il avait les dispositions d’un tyran. L’épithète « barbare » leur est à tous les deux attribuée : pour les Byzantins du XIIe siècle, c’est le signe des gens qui n’obéissent pas aux normes, qui sont, par contraste avec les Hellènes, terme qui devient commun au cours du XIIe siècle, des esclaves par leur nature même, des gens qui aiment la guerre pour la guerre9. Les sources du XIIe siècle adoptent ce point de vue pour décrire les Occidentaux en général, toujours dans un contexte de conflit politique10. Anne Comnène parle, à titre d’exemple, du noble « franc », l’orgueilleux et impudent Latin (τόν ύφηλόφρονα Λατίνον έκεῖνον καί άναιδη̃) qui a osé s’asseoir sur le trône de l’empereur Alexis Comnène, et qui raconta ses exploits : pendant des années il guettait à un carrefour de son pays en attendant que quelqu’un se batte avec lui, sans trouver de preneurs11. La prouesse, mais aussi le manque de sagesse des guerriers francs, est décrite de façon laconique et claire par Zonaras, dans son portrait de Robert Guiscard, « homme rusé et très martial » (άνήρ πανοῦργος τε χαὶ πολεμικώτατος)12
8Ce qu’Anne Comnène reproche aussi à Bohémond, ainsi qu’à son père, est le fait qu’ils étaient des parvenus, et non pas nobles de race :
« Par nature cet homme [Bohémond] était un coquin, plein de souplesse devant les événements, supérieur en fait de friponnerie et d’audace à tous les Latins qui traversaient alors l’empire... Il surpassait tout le monde par le degré de sa perversité ; l’inconstance, caractéristique naturelle des Latins, était aussi bien son propre... Il était en effet mal intentionné : parce qu’il ne possédait pas le moindre apanage, il quittait son pays, en apparence pour vénérer le Saint-Sépulcre, en réalité dans l’intention de se tailler une principauté, et mieux, si cela lui était possible, de s’emparer de l’empire des Romains... »13.
9Ce trait de parvenu est, pour Anne Comnène, non seulement un trait négatif, mais aussi une explication du comportement de Bohémond et d’autres Occidentaux : l’envie, l’amour de l’argent, l’ambition immodérée, la convoitise pour les biens d’autrui. C’est un trait que nous allons retrouver dans d’autres circonstances.
10Le portrait de Bohémond peut servir de modèle pour celui du conquérant : il s’agit d’un homme grand, beau, blond, d’une voix et d’un rire impressionnants et effrayants ; d’un homme de famille inconnue, sans fortune, sans scrupules ; qui veut saisir les terres d’autrui ; qui est un soldat magnifique, mais qui aime l’argent ; un homme rusé, mais pas sage14. C’est parce qu’il n’a pas de passé, parce qu’il est un homme nouveau, qu’il désire conquérir les terres des autres. Si les Byzantins (surtout, mais pas seulement, Anne Comnène) insistent sur ce trait, on retrouve parfois des traces parallèles chez les historiens occidentaux. Tel est l’échange entre Bohémond et quelques uns de ses compagnons après l’échec de l’expédition contre l’empire byzantin, en 1108. Il leur avait promis des « grands roiaumes » (maxima regna pollicitus fueraf), mais l’entreprise, selon ses compagnons, était trop audacieuse (temeritas) et Dieu n’a pas permis le succès. Les paroles de ses compagnons, telles que les présente Orderic Vitalis, sont une sorte de portrait du conquérant du point de vue occidental ; c’est, bien sûr, un portrait renversé, puisque l’entreprise avait failli :
« Ce n’est pas le droit héréditaire qui nous a conduit à entreprendre des actes aussi audacieux, ni un prophète de Dieu avec un message envoyé du ciel ; c’est plutôt la cupidité et le désir de gouverner les terres d’autrui qui t’ont persuadé d’initier une entreprise tellement difficile. De notre part, c’est l’envie du gain qui nous a attiré... »15.
11 L’homme nouveau, donc, pour qui toute la terre est à conquérir, est décrit par les Byzantins et les Occidentaux, qui lui donnent, naturellement, un poids moral différent.
12Pour résumer les sources byzantines, on peut dire que ce qui est présenté comme le comble des méfaits de Bohémond résulte de ses traits moraux ainsi que de sa cupidité. C’est le stratagème dont il s’est servi pour s’échapper d’Antioche et se rendre en Occident afin de lancer une quasi-croisade contre les Byzantins. Anne Comnène est stupéfiée par « cette ruse tout à fait indigne et d’une rouerie achevée ». En fait, Bohémond a prétendu qu’il était mort, et a voyagé dans un cercueil, en compagnie d’un coq étranglé, répandant une odeur fétide. « Par là », dit la princesse,
« j’ai appris que toute la race barbare renonce difficilement à l’objet de ses aspirations, et qu’il n’y a rien de si pénible qu’elle n’endure une fois qu’elle a choisi spontanément de souffrir... Inouïe et unique en notre monde est apparue la ruse de ce barbare, dont le but était le renversement de l’hégémonie romaine. Avant cela, ni barbare ni Hellène n’osa jamais pareille machination contre des ennemis, et je crois que dans la suite aucun vivant chez nous n’en verra jamais plus »16.
13De cette affaire, donc, Anne Comnène tire des leçons sur le comportement politique des conquérants occidentaux.
14Dans un livre récent, R. Bartlett parle de « L’image du conquérant », et retrouve les mêmes traits, à savoir, le courage, les vertus militaires, la hardiesse, la strenuitas (vigueur, énergie), l’amour du pouvoir et des biens d’autrui17, la cupidité, l’ambition chez les auteurs normands ou normano-philes, ainsi que chez les Byzantins et les musulmans18. En gros, l’observation est juste, et parfois les similitudes sont frappantes : par exemple, l’auteur des Miracles de saint Léonard met dans la bouche de la femme d’un émir turque les paroles suivantes tenues à l’égard de Bohémond : « Les Francs ne cherchent pas à thésauriser l’or, mais plutôt à dominer ceux qui le possèdent ». C’est tout à fait ce qu’a dit Bohémond selon Anne Comnène, quand l’empereur lui offrit des cadeaux qui remplissaient toute une salle : « Si je possédais tant de richesses, je serais depuis longtemps seigneur de bien des pays »19. Il y a, tout de même, des nuances qui aboutissent à des différences qualitatives.
15L’épisode de la captivité de Bohémond par l’émir danishmendide de Sébastée, Malik Ghazi, peut mettre en lumière quelques différences de tout premier ordre. Bohémond et son cousin, Richard du Principal, furent capturés en 1100, à la suite d’une défaite de l’armée franque. Tous les deux ont été libérés en 1103. En Europe occidentale, la captivité de Bohémond, sa libération et son voyage en Occident, où il est allé chercher du secours pour son invasion de Byzance (1105-1107) prennent un aspect martyrologique. Albert d’Aix, il est vrai, ainsi que Guibert de Nogent, présentent l’affaire sans trop de fanfare et sans ce caractère de martyr. Mais pendant le voyage de Bohémond en Occident, sa libération de la captivité devient un miracle. Selon les miracles de saint Léonard, qui de Noblat protège les captifs, ce même saint Léonard apparut à Malik Ghazi pour le persuader de suivre les conseils de sa femme et libérer Bohémond : Christi et meus Boimundus miles est ; meae commissus est custodiae. Voluntas Dei est ut exeat de captivitate...20. Quand l’émir exigea la cession de la ville d’Antioche pour libérer Bohémond, ce dernier préféra le sort d’un martyr :
« Ce que tu feras de moi, fais-le vite, la prison, les chaînes, le feu, le froid, la famine ; mais, même si tu me tues par des supplices exquis, et que tu menaces de jeter [mon corps] aux bêtes fauves, les habitants d’Antioche ne te livreront jamais la ville pour obtenir ma libération »21.
16D’ailleurs, il faut se rappeler que l’auteur anonyme des Gesta Francorum fait parer Bohémond à ses soldats du bellum spirituale dans lequel ils étaient engagés, et qu’il le traite de martyr ainsi que de guerrier preux dans la lutte pour la conquête d’Antioche22 Quant à la narration des miracles de saint Léonard, elle fut composée au début de 1106, à une époque toute proche du voyage de Bohémond à Noblat, où se trouvaient les reliques de saint Léonard23. L’histoire de l’intervention de saint Léonard à Sébastée a sans doute servi tant à l’expansion du culte de saint Léonard qu’à la légitimation de la quête de Bohémond, surtout si l’on considère que le Liber aller miraculorum implique l’empereur Byzantin (toujours Alexis Comnène) dans les mésaventures de Bohémond. Selon cette version, Alexis, ayant appris la nouvelle de la captivité de Bohémond et de son cousin, fut content et envoya de riches cadeaux à Malik Ghazi ; en échange, il reçut Richard et le jeta en prison à Constantinople. C’est toujours par l’intervention miraculeuse de saint Léonard qu’Alexis s’est décidé d’oublier les méfaits des Normands, et a libéré Richard24. Plus tard, Orderic Vitalis fait tout un roman de cette aventure, avec un ton nettement anti-byzantin25. C’est, peut-être, sous l’influence de ces événements qu’Orderic Vitalis fait tenir les propos suivants à Robert Guiscard qui, en mourant, compare Bohémond et Roland : « Ö noble champion Bohémond, qui en art militaire est comparable au Thessalien Achille ou au Franc Roland, es-tu vivant, ou mort par trahison ? »26
17Les sources byzantines ne connaissent pas grand chose de cette histoire. Il est sûr qu’elles ne présentent jamais ni Bohémond, ni son neveu Tancrède, ni son cousin Richard du Principat avec l’auréole du saint, du martyr ou du guerrier pour la foi. Au contraire, la seule source byzantine à parler de cet épisode n’établit aucune différence entre les Normands et les Turcs. Il s’agit d’une lettre de l’archevêque d’Achride, Théophylacte, datée de l’été 1103 et adressée au général Grégoire Taronitès pour célébrer sa victoire contre « deux peuples », les Francs et les Turcs : « tu as brisé l’arrogance de deux peuples : tu as détruit à la fois la citadelle de la folie perse et la cime de la folie franque... ». C’est, en effet, Taronitès qui a forcé les Turcs à livrer le « Franc », vraisemblablement Richard du Principat, à l’empereur byzantin. Il n’y a sûrement pas d’intervention miraculeuse et pas une trace de l’idée que Bohémond, ou Richard, étaient des guerriers pour la foi chrétienne27. Au contraire, l’archevêque célèbre la juste punition d’un homme trop ambitieux (Bohémond), qui « se prétendait le libérateur de tout l’Orient ».
18 Il me semble que nous nous trouvons devant une différence importante en ce qui concerne le portrait que les Occidentaux conquérants dressaient d’eux mêmes, et celui que dressaient pour eux les sources byzantines. Le guerrier de la guerre sainte est une image occidentale plutôt que byzantine, en dépit du fait que les classes dirigeantes byzantines et occidentales partageaient déjà des valeurs essentielles, telles la prouesse, le courage, les vertus militaires. Ce n’est pas par hasard qu’Anne Comnène a comparé, en l’admirant, un jeune aristocrate byzantin à un Normand28. Il est bien vrai que les byzantins avaient déjà adopté le modèle de l’empereur guerrier depuis le Xe siècle, au moins depuis l’empereur Nicéphore Phokas, et surtout pendant les XIe et XIIe siècles29. Il est aussi vrai, comme l’a bien démontré Paul Magdalino, que les panégyriques qui célèbrent les victoires ou chantent les louanges des empereurs acquièrent un aspect nettement militaire avec le règne de Jean II Comnène, ce guerrier infatigable, qui a guerroyé dans l’est et l’ouest pendant presque toute sa vie, et qu’ils continuent à le faire pendant le règne de son fils, Manuel. On trouve même des sources, surtout des panégyriques, où l’empereur est présenté comme combattant avec l’aide de Dieu et même pour Lui30. Il reste que ni les sources narratives, ni les panégyriques, ni les romans n’achèvent jamais ce mélange de la religion et de la guerre que l’on trouve dans les sources occidentales. Le héros byzantin (je crois que le mot convient mieux que le mot « conquérant ») est un guerrier qui se bat surtout et avant tout pour la restauration de l’empire, pour sa défense, pour redresser les injustices commises par les ennemis, surtout quand les ennemis rompent leurs serments ou violent les traités. Même dans des oraisons où l’empereur (Manuel Ier) est comparé à Dieu, il dit à ses soldats :
« nous guerroyons... par piété, et pour Dieu. Nous ne possédons pas les villes des barbares, nous ne cherchons pas [à conquérirl les biens des autres. Nous ne faisons pas d’injustice aux autres, c’est pour nos propres biens que nous nous battons »31.
19La religion des ennemis n’est pas cause de guerre, même si elle entre dans la discussion une fois la guerre commencée. Le héros est aussi de bonne famille : les panégyriques, y compris le panégyrique en guise d’histoire comme est l’Alexiade, ainsi que le roman de Digénis Akritès, insistent beaucoup sur les antécédents et les relations familiales de leurs héros : c’est une société aristocratique où la noblesse de sang est recherchée et célébrée. D’où le mépris d’Anne Comnène pour les parvenus tels Robert Guiscard et Bohémond.
20Il faut avouer que les Occidentaux qui sont passés par Byzance, surtout pendant les croisades, se sont comportés de façon à renforcer les idées des Byzantins sur les objectifs de ces « hommes nouveaux ». On se trouve ici devant deux idéologies différentes de la conquête. Parfois, et pour des actes spécifiques, par exemple, la décision de ne pas rendre Antioche aux Byzantins, malgré les serments, ou la proposition présentée par l’évêque de Langres d’attaquer Constantinople pendant la IIe Croisade, ou l’attaque manquée de Frédéric Barberousse pendant la IIIe croisade, les Occidentaux recourent à des justifications spécifiques elles aussi. Mais au moment de la conquête, ils ont la perception que la ville ou le pays est un territoire qui leur appartient par droit religieux. De la part des conquérants occidentaux c’est une idée étroitement liée à celle de la guerre de religion, qui fait des autres, qu’ils soient musulmans, orthodoxes, ou païens, des gens qui n’ont pas droit aux pays qu’ils détiennent et qui doivent entrer dans le monde chrétien (occidental). C’est pourquoi chaque fois qu’une armée occidentale considère la possibilité de prendre Constantinople, on recourt au fait qu’elle n’est pas en vérité une ville chrétienne, que ses habitants sont des hérétiques, qu’ils empêchent le progrès de vrais chrétiens, des idées qu’on retrouve depuis l’époque de Bohémond jusqu’à la IVe croisade. Ce droit historique religieux embrasse, outre l’empire byzantin, les lieux saints, et même le monde païen du nord de l’Europe : la Livonie, par exemple, est considérée comme le domaine de la Vierge. Les Byzantins apprécient différemment l’ordre des choses. Pour eux, il s’agit de retenir leurs terres et de reprendre celles qui étaient jadis byzantines. Ce projet de reconquête étatiste s’accomplit aussi bien par voie diplomatique que belliciste32. La conquête est perçue comme une réparation des injustices commises envers l’État. Ainsi retrouvons nous dans les sources du XIIe siècle l’effort de démontrer que c’est l’ennemi qui a pris l’offensive, qui a violé son serment, qui pose un danger à l’empire33. Même à l’époque des grandes expéditions des Comnènes en Asie Mineure et dans les Balkans, les Byzantins rappellent sur un ton nuancé les buts de ces expéditions. On mentionne la domination byzantine sur l’ancien empire romain, ou bien le monde en général34, mais Nicétas Choniatès traite cette idée de ridicule. Sur l’expédition de Manuel Ier en Italie, il écrit que « les Romains se moquaient de lui car ils considéraient qu’il nourrissait des ambitions ultramontaines à cause de son amour propre, et qu’il jetait ses regards jusqu’aux extrémités du monde ». Le même auteur, en parlant des ambitions d’Isaac II, dit que tout le monde le détestait, car il se donnait des airs de monarque, en imaginant qu’il ferait joindre l’est et l’ouest et deviendrait ainsi le maître du monde35. D’autre part, pour les Byzantins l’expansion des Occidentaux, surtout sur les territoires byzantins s’explique par l’arrogance, l’envie, la cupidité, et ce, depuis l’invasion de Robert Guiscard jusqu’à la IVe croisade36. L’arrogance et les ambitions excessives des Occidentaux trouvent une juste punition, comme le dit bien Eustathe de Thessalonique dans une oraison pour Manuel Comnène: έπιπτε κατασειόµενον Εύρωπαῖοκ ὀφρυόεν ἐθνιχὸv ἐπαvάστημα, χαὶ ὁ φóβoς εἰς ’Aσίαv διέβαιvε χαὶ χατέσειε τό άλλόφυλον, καί τό τοῦ βασιλέως έπ, άµφοτέρας βλέµµα ὅσα χαὶ θεοῦ χαί ταύτην χάχείνην τρέµειν έποίει37.
21En ce qui concerne le domaine politique, la réaction byzantine face à l’expansion de l’ouest revêt un aspect idéologique intéressant. On distingue les guerriers « barbares », parvenus sans science et sans prudence38, des guerriers byzantins, nobles, astucieux, sages, cultivés, habiles à conjuguer théologie, rhétorique aussi bien que l’art de la guerre, sans oublier leur sens de la ruse (πανουργία), ici naturellement positif39. D’autre part, le contact et la réaction tendent à renforcer l’idéalisation du noble guerrier à Byzance.
22L’autre contact massif fut celui avec les marchands, surtout ceux des villes italiennes. Le portrait du marchand n’est pas encore tout à fait celui d’un vainqueur, car la domination des marchands italiens en Méditerranée orientale n’était pas achevée à la fin du XIIe siècle. Toutefois, la présence de ces marchands était visible, en province, d’où nous n’avons pas de témoignages sur la réaction de la population locale, mais aussi à Constantinople. Les marchands italiens dont parlent nos sources sont, à cette époque là, surtout les Vénitiens, les premiers à recevoir des privilèges commerciaux, et de loin les plus visibles. En plus, ils étaient quelque peu difficiles à classer, puisqu’ils furent, par le passé, des sujets byzantins, et, à l’époque considérée, des alliés épisodiques de l’empire40. C’est surtout dans les privilèges impériaux que l’on retrouve cette mémoire d’un passé et d’un présent fondé sur l’amitié et l’alliance, mais aussi parfois dans les sources narratives41.
23En ce qui concerne les réalités, la réaction byzantine à la présence des marchands italiens fut sans doute nuancée. Certes, les privilèges accordés aux Vénitiens par Alexis Ier et confirmés et augmentés par ses successeurs, ainsi que ceux accordés aux autres marchands italiens, avaient créé un groupe de marchands, répandus dans les provinces de l’empire, qui opéraient sous des conditions tout à fait privilégiées, leur assurant une marge de profit plus élevée que celle des marchands autochtones. Ils s’adonnaient donc au commerce intérieur, c’est-à-dire dans l’empire byzantin, ainsi qu’au commerce international. J’ai essayé de montrer ailleurs qu’au début, et pendant quelques décennies, leurs activités n’étaient pas forcément contradictoires avec les intérêts des marchands byzantins, qui avaient sûrement la possibilité de coopérer avec les Vénitiens, au profit de tous les deux42. Mais il me semble que par la logique même des choses, les désavantages des marchands byzantins seraient devenus évidents à la longue, au fur et à mesure que se multipliaient les activités des Vénitiens. Les informations que nous avons sur ce sujet permettent une telle interprétation. Les marchands byzantins même en voyages de longue distance pendant le XIe et le XIIe siècle est une certitude : les témoignages de Benjamin de Tudèle (ca. 1170) et des documents de la Geniza de Caire sont formels, et on peut y ajouter celui d’Orderic Vitalis qui, en décrivant la suite de la conquête de Ramleh par l’armée égyptienne en 1102, fait mention de la présence au Caire de très riches marchands Constantinopolitains, qui, selon la description, n’avaient plus l’habitude de ce marché important43. D’autre part, en 1192, des marchands byzantins ont envoyé leurs cargaisons au Caire sur un navire vénitien44. Exemple de coopération, ou bien du développement inévitable des rapports entre marchands byzantins et occidentaux, et de la substitution des uns par les autres ? Sur le niveau des rapports entre particuliers, nous constatons des exemples de coopération pendant la quatrième croisade, quand Nicéphore Choniatès a trouvé refuge chez un marchand vénitien qui l’a aidé à échapper à la fureur de l’armée franque45.
24Toutefois, quand les chroniqueurs se livrent à des descriptions qui pourraient dresser le portrait du marchand occidental, surtout vénitien, les traits qui se dégagent sont surtout négatifs. Les Vénitiens sont des gens malveillants, mornes et arrogants (δυσνοῦν καὶ δύστροπον τò Οὺεννέτων χατανοήσας ἔθνος... όφρύος... τῆς Ούεννέτν)46. Ce n’est pas un peuple libre (marque de barbarisme), c’est un peuple aux moeurs et au comportement barbares47.
25Les mots qu’on retrouve dans la description des Vénitiens désignent un peuple vantard (άλαζονεία), imposteur (ἀγύρτης), fourbe (πανοῦργοι), arrogant, (τύφος) présomptueux (αύθάδης) impudent (άναίδεια) Les Vénitiens sont ambitieux et expansionnistes : ayant profité de la bienveillance des empereurs byzantins envers eux, ils sont devenus arrogants et audacieux ; le doge Enrico Dandolo, « cet imposteur subtil », était d’une ambition singulière, envieux, qui haïssait les Byzantins, et désirait leur nuire48. Ce sont là, nous pouvons le constater sans difficulté, les mêmes attributs que nous trouvons dans le portrait byzantin du conquérant normand ou croisé : l’orgueil, l’ambition immodérée et mal placée, la présomption, l’envie, l’audace sans sagesse49, la cupidité, la malveillance envers l’empire. C’est, on peut dire, un portrait sans nuances qui nous est proposé. Il ne retient pas les traits séduisants de Bohémond, comme sa prouesse et sa beauté physique.
26Dans le même état d’esprit les Vénitiens sont présentés comme des parvenus, des gens sans nom et sans passé glorieux : en 1171, l’empereur Manuel Comnène leur reproche, dans une adresse, d’être « un peuple qui, auparavant, ne méritait même pas de nom, qui est devenu visible à cause des Romains »50. Leur arrogance se manifeste surtout, pour les deux historiens de la période, Nicétas Choniatès et Jean Kinnamos, par le fait qu’ils n’observent pas les normes du monde byzantin, c’est-à-dire, civilisé : encore un signe de barbarisme, même si le mot « barbare » est rarement employé à l’égard des Vénitiens. Ils se comportent envers l’empereur et l’aristocratie byzantine, même les parents des empereurs, sans respect, avec effronterie. Par ce mépris pour la bonne forme et pour l’ordre social ils ressemblent à ces barons francs qui étaient les premiers à engager l’intérêt de nos sources.
27Comme ceux-là, d’ailleurs, les Vénitiens font partie de cette « panspermie » de peuples (ou peuplades) (πανσπερµία τῶν έθνῶν), terme par lequel les Byzantins parfois décrivaient la totalité des peuples étrangers avec qui ils étaient en contact51. Ce sont des « nations occidentales dispersées, pour la plupart débiles et inconnues » (παρά γενῶν έσπερίων σποραδικῶν, άφαυρῶν τά πλείστα καί άνωνύμων)52 qui ont pris Constantinople en 1204. Les Vénitiens, d’autre part, se sont disséminés (διασπαρέντες] dans l’empire, à la suite de leur alliance avec Byzance, et des privilèges obtenus par eux53. Les mots sont importants et significatifs, et, ce n’est pas difficile de le voir, ne constituent pas du tout un compliment. Ils sont employés, avec tout le mépris possible, pour désigner un pêle-mêle de peuples non constitués, sans passé ou héritage qui leur soit authentique. Utilisant des mots différents, Anne Comnène renvoie à cette même perception quand elle parle de l’immense quantité des croisés, des « innombrables armées franques », de la participation à cette expédition de « l’Occident entier, tout ce qu’il y a de nations barbares habitant le pays situé entre l’autre rive de l’Adriatique et les colonnes d’Hercule », et quand elle s’excuse du fait qu’elle utilise « ces noms barbares qui souillent la trame de l’histoire ; car Homère lui même ne dédaigna pas de désigner par leur nom les Béotiens ainsi que certaines îles barbares... »54. Des hommes inconnus, des nations inconnues, des hommes neufs, et par conséquent instables, tout ce qui était la négation de Byzance, voici la réalité des croisés perçue par les intellectuels du XIIe siècle. Le fait que les Vénitiens soient aussi traités de peuple inconnu, même s’ils avaient longtemps appartenu au monde byzantin suggère que leur description se greffe sur celle des autres Occidentaux, surtout les Normands, qui ont posé des graves problèmes politiques à l’empire.
28Cette lecture ne doit pas surprendre, puisque l’ensemble des sobriquets négatifs appliqués aux Vénitiens se rapportent à des périodes de crise aiguë dans les relations vénéto-byzantines, crises qui sont précédées ou suivies par des engagements militaires. Les textes auxquels nous avons fait allusion se réfèrent aux malentendus et hostilités entre Vénitiens et Byzantins à Corfou, en 1149, ou bien servent à justifier l’expulsion des Vénitiens en 1171 lors des crises politiques. Les Vénitiens mentionnés dans les sources le sont en tant qu’ennemis de l’état et il n’est pas surprenant de les voir assimilés au portrait du baron occidental jetant un regard cupide sur l’empire, sur ses terres et ses richesses55.
29Il faut cependant noter que le portrait proposé de ces deux conquérants n’est pas identique dans tous ces aspects particuliers, et de loin. Nos sources, surtout Anne Comnène, estiment et même admirent la prouesse des chevaliers occidentaux, leur maîtrise de l’art militaire qui a poussé Manuel Comnène à introduire des boucliers et des lances à la française56 et Nicétas Choniatès dresse un portrait favorable de Frédéric Barberousse, qui était bien né, le souverain de maintes nations par droit héréditaire, et pieux au point d’endurer des grandes souffrances au nom de Jésus Christ et dans son service57. Mais les Vénitiens n’ont pas les traits chevaleresques, estimés par les Byzantins du XIIe siècle. Si leur comportement politique se rapproche de celui des autres Occidentaux, leurs traits moraux sont différents.
30Ce sont les traits du négociant. Les Vénitiens sont des imposteurs, άγύρται, κατά Φοίνικας άγύρται, πανοιῦργοι τό φρόνηµα58. Des gens, dit Kinnamos, « aux moeurs corrompues, vulgaires au possible et perfides, et pleins de la grossièreté des marins »59. Le reproche que leur fait Manuel Ier, d’être des vagabonds (άλῆται) des gens pauvres qui sont venus dans l’empire byzantin à cause de leur pauvreté, et s’y sont enrichis, s’inscrit dans la même catégorie : nous n’avons plus affaire à la cupidité généralisée des Occidentaux, mais à la cupidité du marchand. Il en va de même avec l’invective d’Eustathe de Thessalonique, qui décrit les Vénitiens comme « la bulle de l’Adriatique, le serpent amphibie, la grenouille de marécage... la race... de pirates, [race] trompeuse et malveillante »60. Le portrait du Vénitien incorpore les aspects négatifs des marins et des commerçants, car la tromperie, les mensonges, la vulgarité, sont des traits qui, dans l’Antiquité grecque, ont été considérés comme le propre des négociants61. Au XIIe siècle, les choses sont plutôt nuancées en ce qui concerne les négociants et les marchands byzantins. L’idée de courir des risques et de voyager dans les mers inconnues à la recherche du profit ne choquait pas62. Il y avait par ailleurs toute une série de clichés auxquels on pouvait avoir recours, qui condamnaient l’αίσχροκέρδεια, le turpe lucrum, les gains sordides63. L’idée d’associer dans la conscience des gens ainsi que dans le langage, les marchands avec le mensonge, la vulgarité, la ruse, remonte loin dans l’histoire et dépasse ou les suit, avec un décalage considérable, les mutations sociales. Il semble, en tout cas, que l’image négative du Vénitien doit quelque chose à sa profession de marchand mais surtout au fait qu’il s’agit d’un marchand étranger nourri de prétentions, qui se permet d’attaquer l’empire ; acte criminel en son principe, et inouï pour des marchands.
31Dans les deux cas, les portraits sont dressés par les lettrés de la capitale, qui expriment les sentiments des classes dirigeantes. L’image du conquérant occidental est surtout celle des Normands, qui devient celle de tous les Occidentaux, avec, cependant, des nuances. Les Byzantins ont vu les Occidentaux comme des gens immodérés en tout : attitude que nous pouvons interpréter comme l’image de celui qui a un monde entier à conquérir. Quant à la classe dirigeante byzantine, elle se sentait riche, puissante, avec un état d’une histoire longue et glorieuse, bref, avec un monde à sauvegarder. Les Byzantins ont eu leur propre expansion au XIIe siècle, mais cependant uniquement dans des régions et des pays contigus, qui avaient jadis appartenu à l’empire, que ce soit l’Italie ou les Balkans ou l’Asie Mineure et la Cilicie64. Les rhéteurs ont eu beau parler de la domination byzantine sur le monde entier ; en réalité, cette idée ne fut pas poursuivie, et les Byzantins ont eu du mal à comprendre l’expansion occidentale dans des terres lointaines. Le contraste est évident dans les paroles de Nicétas Choniatès :
« Les maudits Latins estiment que cette terre qui nous a été donnée pour que nous l’habitions et l’exploitions, est comme un Paradis ; par convoitise pour nos biens ils détestent notre peuple et nourrissent des mauvaises intentions envers nous... Entre eux et nous-mêmes s’est formé un abîme énorme »65.
32C’était un abîme fait de perceptions aussi bien que de réalités.
Notes de bas de page
1 Voir par exemple le secours porté à Alexis Ier par le comte de Flandre et ses chevaliers.
2 Guillaume de Tyr, A History of the Deeds Done Beyond the Sea, trad. E.A. Babcock, New York, 1943, II, p. 461 ; Cf. J.L. VanDieten (éd.), Nicetae Choniatae historia recensait loannes Aloysius Van Dieten, Berolini ; Novi Eboraci (i.e.), éd. W. de Gruyter, New York, 1975, p. 204-5. Référence citée par : Choniatès.
3 L’invasion et la croisade sont longuement décrites par Anne Comnène, Alexiade, éd. B. Leib. vol I. II (Paris, 1937. 1943) et v. III.viii (vol. I. 11ss), et brièvement mentionnées par Zonaras. Cf. lôannes Zônaras, loannis Zonarae Epitomae Historiarum libri XVIII, ex recensione Mauricii Pinderi, Tomus III, Libri XIII-XVIII. éd. Theodorus Büttner-Wobst, Bonn, p. 734-736 et p. 742-743. Cité désormais par : Zonaras.
4 Anne Comnène, X.viii.9 (vol. II, 220-21) ; XII.viii.3-5 (vol. III, 79-80) ; Zonaras, p. 749-50. Voir aussi M. Balard, « Les Normands vus par les chroniqueurs byzantins du XIIe siècle ». dans Les Normands en Méditerranée dans le sillage de Tancrède (colloque de Cerisy-la-Salle), Caen, Presses universitaires de Caen. 1993, p. 225-234.
5 E. Pontieri (éd.), De rebus gestis Rogerii.. auctore Gaufredo Malaterra, RIS 5.1, Bologne, 1927, p. 102 : Boamundus autem, qui jam dudurn cum Guiscardo pâtre Romaniam pervaserat et semper eam sibi subjugare cupiens erat, videns plurimam multitudinem per Apuliam, (sed sine principe), illorsum accelerare fieri volens, signum eiusdem expeditionis, crucem videlicet, vestibus suis apponit.
6 Par contre, les Gesta Francorum qui, comme l’a bien démontré K.B. Wolf, tiennent à présenter la participation de Bohémond à la croisade comme un pèlerinage, et le héros comme un miles Christi, évitent le rapprochement avec le passé : K.B. Wolf, « Crusade and Narrative : Bohémond and the Gesta Francorum », Journal of Médiéval History, 17 (1991), p. 207- 216.
7 Alexiade, I.x.4 (vol. I, p. 37-38).
8 Alexiade, XIILx.4-5 (vol. III, Paris, 1945, p. 122-124). Cf. Zonaras, Bonn. III, p. 735 et p. 750.
9 Sur ces notions, voir en dernier lieu A.E. Laiou, « The Foreigner and the Stranger in 12th Century Byzantium : Means of Propitiation and Acculturation » dans M.T. Fögen (sous la direction de), Fremde der Gesellschaft, Frankfort, 1991, p. 74 et suiv.
10 Alexiade, X.vi, X. x-xi (Leib, vol. II, p. 210-11, p. 227-30, p. 232-4).
11 Alexiade, X.x.7 (vol. II, p. 229-30).
12 Zonaras, Bonn, III, p. 735.
13 Alexiade, X.xi.6-7. Par contre. Malaterra, p. 9. décrit Tancrède de Hauteville comme miles... praeclari admodum generis, mais cf. Orderic Vitalis. The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, IV, éd. M Chibnall, Oxford. 1973, p. 33.
14 Par contre, voir l’épithète sagax et prudens donné à Bohémond par des sources latines : Orderic Vitalis IX. 6, et Gesta Francorum, éd. L. Brehier, 37. Albert d’Aix, RHC Occ. IV, p. 611 et p. 613. désigne Bohémond comme virum astutum et magni consilii adiuventorem, » et « belligerus et astutus.
15 Orderic Vitalis, XI. 24, vol. VI, p. 102 : Ad tantos ausus nec hereditarium ius nos illexit, nec prophetarum aliquis a Deo destinatus coelesti nos oraculo exciuit, sed cupiditas in alterius dicione dominandi ardua te incipere persuasit, et nos nichilominus appetitus lucrandi ad intolerabilem sarcinam laborum et discriminum sustinendam pertraxit... Deus...[non] subuertit quod iustum est preces iustorum qui contra nos ad eum in Grecia clamant benigniter exaudiuit..., p. 102-103. Quelques uns. toujours selon Orderic Vitalis, ont trahi et livré Bohémond aux Byzantins d’où leur mort subite et méritée.
16 Alexiade, XI. xii. p, 1-3.
17 Référence à Malaterra, p. 8 et p. 48 (semper dominationis avidi), 60 : à rapprocher avec Anne Comnène. vol. II, p. 220-221.
18 R. Bartlett. The Making of Europe : Conquest, Colonisation and Cultural Change, 950-1350. Princeton. 1993, p. 85-90.
19 Noli Boimundum habere ut hostem, sed studeas ilium asciscere inter amicos ; nec studiosus esto eius exigendi pecuniam, sed fidem. Thésaurus inestimabilis amicus fidelis, dives et bellicosus. Franci aurum non contendunt coarcervare, sed habentibus imperare : AASS Novembris III, p. 166. Cf. Anne Comnène, X.xi.5.
20 AASS Novembris III, p. 166.
21 Ibid., p. 167 : De me quodfacis, fac citius, carcere, catenis, flagris, frigore, inediis ; denique, si exquisitis necandum suppliciis, bestiis me obiciendum esse commineris, omnino pro mea redemptione Antiocheni urbem non reddent... Cf. ibid., p. 179.
22 K.B. Wolf, op. ait., p. 209 et p. 214. Sur la question des martyrs de la première Croisade, voir J. Flori, « Mort et martyre des guerriers vers 1100 ; l’exemple de la première Croisade », CCM, 34/2, (1991), p. 120-139.
23 Voir à ce propos M. Bull, Knightly Piety and the Lay Response to the First Crusade, The Limousin and Gascony, c. 970-C.1130, Oxford, 1993, p. 242 et suiv., et A. Poncelet, « Bohémond et Saint Léonard », AB, 31 (1912), p. 24-44.
24 AASS Novembris III, p. 159-60. Même information dans Mathieu d’Edesse, RHC, Docum. arméniens, I, p. 70.
25 Livre X. 23.
26 Orderic Vitalis, VII, 7 : Nobilis athleta Buamunde, militia Thessalo Achilli seufrancigenae Rollando equiparande, uiuisne an detineris pemicie ?
27 P. Gautier (éd.), Théophylacte d’Achrida. Lettres, Thessalonique, 1980, lettre 81, p. 426 et p. 430 (été 1103).
28 Alexiade X.iii.5 (B. Leib, op. citvol. II, p. 197).
29 Voir A.P. Kazhdan, « The Aristocracy and the Impérial Idéal, » dans M. Angold (sous la direction de), The Byzantine Aristocracy, IX to XII Centuries, 1984 (BAR International Sénés, 221), p. 43-57, et Id., « O réXetoç noAepuorpc xat ô réXeioç (lovayôç », Dodone, 15 (1986), p. 211-216.
30 Neos Ellenomnemon, 5 (1908), p. 329-331 : poésie célébratoire dédiée à Manuel Comnène en 1175.
31 Voir A.E. Laiou, « On Just War in Byzantium, », dans TO EΛΛHNIKON, Studies in Honor of Speros Vryonis, Jr., I (New York), New Rochelle, 1993, p. 154-77 ; K.G. Mpones, Εύθυµίου τοῦ Μαλάκη τά σφζόµενα, II, Athènes, 1949, p. 31.
32 H. Ahrweiler, L’idéologie politique de l’empire byzantin, Paris, 1975, chap. IV, V.
33 A.E. Laiou, « Just War », op. cit., passim.
34 W. Hërandner, Theodoros Prodromos, Historische Gedichte, Vienne, 1974, XIX, p. 122-130 ; XXIV, p. 91-95 ; XI, p. 71 ; XV, p. 61-70 ; Nicola Callicle Carmi, éd. R. Romano, Naples, 1980, p. 15 et p. 35-39 : NE 5, p. 331. Je ne peux partager l’opinion de Paul Magdalino selon laquelle il faut prendre au sérieux ces excès oratoires (Manuel, I, p. 422, note 23, p. 95 et suiv.).
35 Choniatès, op. cit., p. 203 et p. 558-559.
36 Voir, par exemple, Choniatès, op. cit., p. 301-302.
37 W.V. Regel, Fontes Rerum Byzantinarum, I.1, Petropolis, 1892, p. 34.
38 Mais il faut nuancer : Anne Comnène admire la connaisance de la science optique ainsi que les cuirasses des Occidentaux : Alexiade. XIII.iii.9-10 (B. Leib, op. cit., vol. III, p. 98 et p. 114).
39 Par exemple, l’oraison de Malakès à Manuel Ier, où Manuel est « empereur et général, soldat et rhéteur, plus sage que Solomon » : K.G. Mpones, op. cit., p. 53.
40 Sur ce sujet A.E. Laiou, « The Foreigner and the Stranger », op. cit., p. 85 et suiv.
41 Ibid., p. 85, avec référence à J. et P. Zepos, JGR, I, p. 139, 260, 437 et 438 ; Choniatès, op. cit., p. 173 et Kinnamos Iôannes, Ioannis Cinnami Epitome rerum ab loanne et Alexio Comenis gestarum : ad fidem codicis Vaticano, recensait Augustus Meineke, Bonnae : impensis, éd. Weberi, Bonn, 1836, p. 230, 281. Cité dorénavant Kinnamos.
42 A.E. Laiou, « Byzantine Traders and Seafarers », dans Sp. Vryonis (sous la direction de), The Greeks and the Sea, New Rochelle. New York, 1993, p. 83 et suiv.
43 Orderic Vitalis, X. 23 (vol V, p. 350-352) : multisque diuitiis affluebant. Ni Albert d’Aix, ni Guibert de Nogent, qui décrivent les mêmes événements, ne mentionnent les marchands byzantins, mais leur description est beaucoup plus brève que celle d’Orderic Vitalis.
44 F. Miklosich, J. Müllier, Acta et diplomata graeca Medii Aevi, Vienne, 1865, III, 37- 40. La valeur des marchandises était de 39 000 hyperpères.
45 Choniatès, op. cit., p. 588. Voir aussi les objections de Choniatès à la politique des empereurs byzantins qui n’observaient pas les traités signés avec les Vénitiens et les Pisans : ibid., p. 537-538.
46 Kinnamos, op. cit., p. 170.
47 Kinnamos, op. cit., p. 280 ; Choniatès, op. cit., p. 85-86. sur l’affaire de Corfou.
48 Kinnamos, op. cit., p. 280-285 ; Choniatès, p. 171 et p. 538.
49 Choniatès, op. cit., p. 538, toujours sur Enrico Dandolo : φρονιμώτερον τῶν φρονίµων έαυτὸν όνοµάζων, à comparer avec maints textes sur les participants de la première croisade, par exemple le noble Franc vanteur : supra, n. 11.
50 ἔθνος πάλαι µὲν ούδὲ όνόµατος ἄξιον. διὰ ’Ρωµαίους δε νῦν τέως έμφανές. Kinnamos 285. Cf. Choniatès, op. cit., p. 171, Kinnamos, op. cit., p. 281.
51 Choniatès, op. cit., p. 204, sur la politique attribuée à Manuel Ι « : ταῖς τῶν έθνῶκ µεταγγιζόµενα (il s’agit de l’argent perçu des impôts) πανσπερμίαις χαὶ μάλιστα ταῖς Λατινικα έκρέοντα όµηγύρεσι.
52 Choniatès, op. cit., p. 585 ; ils sont aussi traités de brigands ou pirates (ληστρικόν).
53 Choniatès, op. cit., p. 171.
54 X. v.4, X. viii.1 (vol. II, p. 206, 207 et 215).
55 Même observation sur l’invective contre les Vénitiens dans le panégyrique d’Eustathe de Thessalonique à Manuel Comnène, daté le 6 décembre. 1174 : W.V. Regel, Fontes, op. cit., p. 36.
56 Kinnamos, op. cit., p. 125.
57 Choniatès, op. cit., p. 416.
58 Choniatès, op. cit., p. 171 et 538 ; cf. la caractérisation des Occidentaux par Anne Comnène, XIII.x.l (B. Leib, op. cit., II, p. 222 : τὸ άνώµαλον), XIV.iv.4-6 : άναίσχυντον ίταµόν, έρασιχρήµατον, άχρατές, πολυρρήμον, όργίλον
59 Kinnamos 280 : « ἔστι δὲ τὸ ἔθvoζ ἤθει μὲv διεφóζ, βωμoλóν εἴπερ τι χαὶ ἀνελεύθερον, ἄτε χαὶ ἀπειροπαλίας µεστὸν ναυτικῆς
60 W.V. Regel, op. cit., p. 36.
61 L. Soverini, « Parole, voce, gesti del commerciante nella Grecia classica », Annali délia scuola normale superiore di Pisa, Classe di lettere e filosofia, ser. III, vol. 22.3, Pise, 1992, p. 811-883.
62 O. Mazal, Der Roman des Konstantinos Manasses : Überlieferung, Rekonstruktion, Textausgabe der Fragmente (Vienne. 1967), p. 209, Lib. IX. Fr. 178, cité par A.E. Laiou, « Byzantine Traders », op. cil., p. 79.
63 A.E. Laiou, « God and Mammon : Crédit, Trade, Profit and the Canonists », dans N. Oikonomides, Byzantium in the 12th Century, Athènes, 1991, p. 283 et suiv. ; il est à noter, tout de même, que les clichés cachaient mal la participation même d’ecclésiastiques au commerce. Sur les clichés, voir aussi A. Giardina, « Modi di scambio e valori sociali nel mondo bizantino (IV-XII secolo) », dans Mercati e mercanti nell Alto medioevo : L’area euroasiatica e l’area mediterranea. Spolète. 1993, p. 579-584.
64 La seule exception étant l’expédition fantasque en Egypte, conçue en commun avec le roi de Jérusalem.
65 Chômâtes, op. cit., p. 301-302.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Byzance et le monde extérieur
Contacts, relations, échanges
Michel Balard, Élisabeth Malamut, Jean-Michel Spieser et al. (dir.)
2005
La Cappadoce (ive-vie siècle)
Une histoire provinciale de l’Empire romain d’Orient
Sophie Métivier
2005
Évêques, pouvoir et société à Byzance (viiie-xie siècle)
Territoires, communautés et individus dans la société provinciale byzantine
Benjamin Moulet
2011
Grégoire Antiochos. Éloge du patriarche Basile Kamatèros
Texte, traduction, commentaire suivis d’une analyse des œuvres de Grégoire Antiochos
Marina Loukaki
1996