Introduction
p. 1-4
Texte intégral
1L’idée de consacrer une journée d’étude aux partis politiques est née d’un double constat et d’une interrogation.
2D’une part, on assiste depuis un certain nombre d’années dans tous les pays européens à l’émergence de nouveaux partis dont les objectifs se distinguent à première vue de ceux que poursuivent les partis traditionnels. Il s’agit, en effet, pour ces formations politiques soit d’assurer la représentation de groupes sociaux ou territoriaux spécifiques ou d’intérêts particuliers, soit – comme ce fut le cas à l’origine pour les écologistes – de défendre une cause qui pour être limitée n’en est pas moins de nature à intéresser un large public. La caractéristique de ces partis tient à ce que, dans la majeure partie des cas, ils ne se positionnent pas officiellement à droite ou à gauche sur l’échiquier politique et que les premiers d’entre eux ou ne prétendent pas défendre des valeurs et des intérêts à caractère universaliste, ou n’entendent représenter ce type de valeurs qu’en ce qu’elles concernent les régions géographiques dont ils disent être les porte-parole.
3D’autre part, dans les États membres de la Communauté européenne, le renforcement de l’intégration, dont l’élection directe des députés au Parlement européen et le traité de Maastricht ont notamment constitué des moments clés, a d’un côté mis en lumière les profondes divergences de vue qui existaient au sein des partis traditionnels au sujet de cette intégration, mais a aussi suscité la création de nouveaux partis – expressions soit de la dissidence par rapport aux positions officielles pro ou anti-européennes des précédents, soit de stratégies dont l’intégration fournit le moyen de les mettre en œuvre.
4L’apparition sur les scènes politiques nationales de ces diverses formations conduit évidemment à se demander si elle affecte le système de partis caractéristique des différents pays concernés. Ce qui implique que l’on s’intéresse à la viabilité de ces organisations, à leur capacité à attirer une proportion significative d’électeurs – se traduisant dans le nombre de sièges obtenus dans les instances représentatives nationales –, aux alliances qu’elles négocient éventuellement avec d’autres partis pour soutenir le gouvernement, soit au contraire à leur posture anti-système.
5Mais une question plus fondamentale est également posée : celle de savoir pourquoi des revendications de type communautaire ou s’apparentant à celles que soutiennent habituellement des groupes d’intérêt s’expriment par le truchement de partis strictement dévoués à une cause particulière. En effet ce phénomène tend à attester, d’un côté, que pour être prise au sérieux toute revendication doit être véhiculée par une organisation partisane de préférence à toute autre forme d’association ; mais il semble également signifier que les partis traditionnels ont perdu leur capacité d’attraction ou, au moins, que leur vocation universaliste et/ou leur centralité au niveau national les privent désormais de la possibilité de défendre des intérêts étroitement circonscrits à une catégorie sociale, à une région ou à un objet particulier.
6La banalisation de ce phénomène de multiplication des partis suggère de procéder à une comparaison entre les pays d’Europe où ont été créés ces types de partis afin d’en comprendre les ressorts ; les modes de scrutin applicables aux élections nationales et/ou locales, les règles du financement – public ou non – des partis, notamment, constituent des variables pouvant contribuer à expliquer certaines situations. Par ailleurs, constatant qu’aux États-Unis les deux partis – démocrate et républicain – sont toujours seuls sur la scène politique, on est conduit à analyser les raisons pour lesquelles n’émergent pas des formations poursuivant, comme en Europe, des objectifs spécifiquement ciblés ; ceci d’autant plus que la communautarisation de la société y est plus forte qu’ailleurs et que la défense des intérêts particuliers y a toujours été érigée en enjeu politique.
7De manière plus générale, cette étude pour être pertinente implique que le phénomène auquel elle s’intéresse soit resitué dans une perspective plus large. En faisant, d’une part, retour à l’histoire de l’institutionnalisation des partis à la fin du XIXe siècle et, d’autre part, aux théories explicatives du pouvoir du parti politique et de l’évolution de son rôle dans les démocraties, des éléments nous sont fournis permettant non seulement d’évaluer la capacité réelle de survie des nouvelles formations mais aussi de comprendre les mutations qu’ont opérées celles dont l’ambition ne se limitait pas à rester hors système. Enfin en analysant, plus particulièrement, les caractéristiques des partis dans les régimes consociatifs, la démonstration est faite que les logiques communautaire et universaliste ne sont pas forcément antagonistes, et qu’elles peuvent d’ailleurs également se combiner avec profit au sein d’une organisation n’opérant pas dans le cadre d’un régime de consociation.
8Finalement en ambitionnant modestement de poser les jalons d’un programme de recherche plus vaste, de nouvelles perspectives ont été ouvertes. L’analyse de l’éventuelle recomposition du système de partis liée tant au développement des partis régionaux qu’à l’intégration européenne, la forme qu’elle peut revêtir au niveau de chaque État et à celui de l’Union européenne, doit faire l’objet de recherches dans la longue durée afin que puisse être effectivement mesuré ce que représentent pour les citoyens ces nouveaux enjeux supra et infra nationaux. De même, l’apparition des partis catégoriels devrait conduire à réfléchir sur ce qu’en France, au moins, on qualifie de désintérêt à l’égard de la politique ; en effet le choix en faveur de la constitution d’organisations partisanes plutôt que d’associations chargées de défendre des intérêts particuliers tend à démontrer que, dans l’imaginaire social, se donner les moyens d’investir les instances où se prennent les décisions politiques demeure la méthode la plus efficace pour faire aboutir ses revendications ; autrement dit, la dévalorisation du politique semble largement démentie par l’émergence de partis qui, pour poursuivre des objectifs limités, n’en entendent pas moins se positionner sur le terrain politique et tenter d’y occuper une place à la mesure de leur capacité de mobilisation des électeurs. Enfin, la question est également posée de savoir si, pour réduire la concurrence imposée sur le marché électoral par les nouveaux partis, les formations traditionnelles n’auront pas tendance à intégrer de plus en plus les revendications catégorielles dans leurs programmes en vue de maintenir ou d’améliorer leurs positions sur la scène publique.
9Ces interrogations sont celles qu’a pointées, à l’issue de cette journée d’études, Jean-Luc Parodi que je remercie d’avoir bien voulu conclure nos discussions.
Auteur
Professeur au département de science politique de l’Université Paris I, directeur du CACSP
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Maurice Halbwachs
Espaces, mémoire et psychologie collective
Yves Déloye et Claudine Haroche (dir.)
2004
Gouvernement des juges et démocratie
Séverine Brondel, Norbert Foulquier et Luc Heuschling (dir.)
2001
Le parti socialiste entre Résistance et République
Serge Berstein, Frédéric Cépède, Gilles Morin et al. (dir.)
2001