Introduction
p. 253-256
Texte intégral
1Il est impossible, aujourd’hui, d’écrire l’histoire politique et sociale conformément aux canons historiographiques qui ont gouverné le cœur du xxe siècle. Quand le marxisme dominait la scène intellectuelle et que Labrousse régnait sur les thèses d’histoire économique et sociale, les choses étaient simples et le postulat implicite voulait que les forces politiques fussent l’expression de leur base sociale. Naturellement, les historiens nuançaient ce paradigme au point non seulement de lui retirer tout schématisme, voire même de le dissoudre, mais ils n’évitaient pas cette problématique : étudier le lien entre la politique et la société consistait à se demander comment tel parti représentait telle ou telle classe sociale ou comment les différentes classes s’exprimaient à travers les divers partis. De là des études qui firent autorité en leur temps, comme celle publiée dans la collection des Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques sous la direction de Maurice Duverger : Partis politiques et classes sociales en France (n° 74, 1955).
2Le questionnement a évolué progressivement. L’attention s’est portée d’abord vers le travail d’implantation, c’est-à-dire l’action menée par les partis politiques, et d’abord le Parti communiste, pour conquérir leur électorat. Les études rassemblées par Jacques Girault sur ce thème en 1977 marquent de ce point de vue un premier tournant. Au même moment, on s’intéresse au rapport à la politique de groupes sociaux plus difficiles à situer dans la logique marxiste des classes sociales, comme les classes moyennes, avec l’ouvrage dirigé par Georges Lavau sur L’univers politique des classes moyennes (1983), voire même des groupes interclassistes comme les Anciens combattants. Le lien entre politique et société se complexifie. La montée de la nouvelle histoire fait émerger de nouveaux objets d’études, à la jonction du politique et du social, dans une perspective plus anthropologique, comme les fêtes ou les manifestations. La personnalisation de la vie politique sous la Ve République, l’intervention puissante des médias et le rôle modifié des partis suggèrent d’autres questions. L’effondrement du marxisme, ou plutôt son rejet, achève cette évolution. Nous voici condamnés à repenser sur des bases inédites l’articulation du politique et du social.
3Les études qu’on va lire, comme celles des parties précédentes, n’apportent pas de réponse définitive à cette mise en demeure, mais elles reflètent toutes, à leur façon, de l’hésitation problématique qui est aujourd’hui la nôtre. D’une part, on ne peut penser l’articulation du politique et du social indépendamment des problèmes politiques autour desquels se nouent et se dénouent les configurations changeantes des forces qui composent le champ social. La hausse des prix, par exemple, oblige tous les partis de gouvernement, quels qu’ils soient, et la SFIO tout particulièrement, à opérer des arbitrages dont les effets sur le corps social sont redoutables. L’inflation galopante, le déficit budgétaire massif obligent à différer les mesures salariales que réclament avec de bonnes raisons certains groupes sociaux comme les enseignants : les socialistes se trouvent dans l’impossibilité d’accorder pleine et entière satisfaction à des milieux qui les soutiennent pourtant. Le rapport entre le parti et les groupes sociaux n’est pas une solidarité immuable, indéfectible, donnée une fois pour toutes : il est modulé par les impératifs politiques de l’heure.
4La même remarque vaut pour le rapport entre la SFIO et le MRP : par-delà leurs divergences durables d’ordre idéologique, et, j’ajouterais, culturel, au sens où chacun de ces deux Partis a hérité de cultures politiques très caractérisées, l’effondrement du tripartisme et l’émergence de la Troisième force obligent ces deux formations à un rapprochement qui met en lumière, pour un temps du moins, des proximités imputables à leur enracinement dans des milieux syndicalistes certes différents, mais également soucieux des intérêts à court et moyen terme de leur base et qui partagent un même répertoire de pratiques sociales.
5Une seconde démarche consiste à examiner l’articulation entre le politique et le social à partir de milieux plus restreints qu’une classe sociale, comme les enseignants, ou de milieux aux contours plus flous, comme les classes moyennes. Cette approche est en un sens plus classique, et elle renoue avec une longue tradition. Mais le fait que l’interrogation, ici, s’assigne des frontières chronologiques relativement étroites, l’oblige à mettre en lumière les clivages internes à ces groupes sociaux ; clivages sous-jacents, parfois à peine explicités, comme ceux qui séparent instituteurs et professeurs. L’on retrouve alors, inévitablement, le poids de la conjoncture, politique et sociale sans doute, mais aussi économique. Par où le poids des problèmes politiques du moment confirme son importance.
6L’étude des réseaux socialistes ouvre une troisième perspective, à dire vrai séduisante : pour comprendre l’influence d’un parti comme la SFIO dans le champ social, il faut examiner par quels relais concrets elle procède. A la différence du Parti communiste, qui s’est doté d’un réseau d’associations satellites, courroies de transmission de sa politique qu’il contrôle étroitement, la SFIO s’est entourée d’une série de relais beaucoup plus souples, dont l’articulation aux consignes du parti est pensée selon des formes très différentes, qui excluent l’obéissance aveugle ou la soumission inconditionnelle, mais qui l’entourent cependant de solidarités diffuses, parfois explicites, plus souvent tacites, différentes suivant les lieux et les configurations. Il y a là, me semble-t-il, une orientation de recherche particulièrement féconde, qui demanderait à être confirmée par des monographies locales.
7On le voit, le débat qui oppose parfois les adeptes de l’histoire sociale et ceux de l’histoire politique n’a guère de sens : mieux vaut conjuguer les efforts des uns et des autres pour comprendre de façon plus fine et plus éclairante le lien qui rend ces deux domaines indissociables.
Auteur
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Maurice Halbwachs
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