Choix atlantique ou Troisième force internationale ?
p. 157-166
Texte intégral
1Au cours de l’année 1946 beaucoup de gens étaient préoccupés par la possibilité qu’un système formé de deux blocs, l’un organisé autour des États-Unis et l’autre ancré à l’Union Soviétique, devienne une réalité politique. La plupart des partis politiques français continuaient à espérer que les quatre grandes puissances tomberaient d’accord sur le contenu d’un traité de paix avec l’Allemagne et, au niveau le plus général, qu’ils élaboreraient un règlement nouveau pour l’Europe. Quant au Parti socialiste SFIO, il s’était prononcé en faveur de l’établissement d’un système de sécurité collective fondé sur une Organisation des nations unies (ONU) plus démocratique et moins dominée par les grandes puissances que celle établie par la Charte issue de la Conférence de San Francisco en 1945. En outre, il a proclamé la nécessité d’une organisation économique mondiale – par la coopération des nations – pour une solution des problèmes communs. Mais il a porté une attention toute particulière à la question allemande et a demandé une réglementation stricte du pays vaincu ; parmi les mesures proposées se trouvaient l’imposition d’une occupation militaire de longue durée par l’ONU, le désarmement de l’Allemagne, le contrôle international de la Ruhr et de la Rhénanie et un système de réparations dans lequel la France obtiendrait des ressources de la Sarre et du charbon de la Ruhr. En même temps, il s’était opposé à tout partage de l’Allemagne et à toute annexion de son territoire1.
2En dépit du fait que cette politique reflétait une appréciation réaliste des intérêts de la France de cette époque et s’accordait bien avec l’action du gouvernement français, elle était fondée sur des arguments et des suppositions très optimistes. A la fin de 1946, il était trop évident qu’il y avait peu de chance de réformer les institutions de l’ONU et de réduire les pouvoirs du Conseil de Sécurité où chacun des grands détiendrait un droit de veto. De plus, une série de conférences entre ministres des affaires étrangères des Quatre Grands n’avait pas réduit sérieusement les difficultés qui découlaient de l’élaboration d’un traité de paix avec l’Allemagne. L’unification économique des zones d’occupation américaine et britannique en décembre 1946 avait montré que la division de l’Allemagne en deux territoires, l’un occidental et l’autre oriental, était devenue une possibilité. Enfin, selon les partis socialistes français et belges, l’emprise du British Labour Party – lors des conférences en vue de la reconstruction de l’Internationale Socialiste – et la répugnance de quelques partis socialistes à sanctionner l’admission du SPD à ces réunions2 avaient retardé la formulation d’une politique spécifiquement socialiste dans les débats sur l’avenir de l’Europe.
3Au fond, beaucoup de socialistes français n’étaient pas d’accord avec la politique américaine en Europe tout en admirant le rôle que les armées américaines avaient joué pendant la guerre et la contribution de la diplomatie américaine dans la construction de l’ONU et l’élaboration d’une paix juste. Ils émettaient des doutes sur l’action américaine dans la formation de la bi-zone anglo-saxonne en Allemagne et avaient éprouvé le sentiment que le relèvement du vieux continent devait être pris en charge par des Européens seuls. D’où leur réaction défavorable au discours du président Truman au Congrès demandant, le 12 mars 1947, une aide économique pour la Grèce et la Turquie ; discours jugé comme un défi à l’Union soviétique3. Si les rapports entre les Etats-Unis et l’URSS continuaient d’empirer, et si un système de blocs opposés prenait une forme définitive, il était tentant pour les socialistes français de chercher un autre terrain et de refuser d’admettre la division de l’Europe comme une fatalité.
4L’année 1947 a été ponctuée par une succession de conférences et d’initiatives offrant l’espoir qu’un accord fût encore possible entre les grands, mais ces efforts se soldaient toujours par un échec. Le premier de ces événements a été la réunion du Conseil des ministres des Affaires étrangères à Moscou, du 10 mars au 24 avril, sur les questions allemandes et autrichiennes. Bien que les délégations aient examiné beaucoup de problèmes, comme ceux des réparations et du règlement économique de l’Allemagne, l’entente était insuffisante pour procéder à l’établissement des traités de paix avec les deux anciens pays ennemis. La prochaine réunion du Conseil était prévue pour novembre mais le désaccord avait augmenté la valeur des stratégies alternatives pour achever une stabilité politique et économique en Europe. Pour Charles Dumas, journaliste au Populaire, les difficultés deviendraient de plus en plus sévères tant que la solution du problème allemand serait retardée.
« Et le plus grave serait que chacun profitât entre temps des circonstances susceptibles d’améliorer ses propres positions, ce qui dresserait l’un contre l’autre les deux blocs antagonistes. »4
5Les réactions divergentes des pays européens à l’offre américaine d’aide économique et financière rendirent plus vives les différences entre l’Ouest et l’Est de l’Europe. Au début, le Plan Marshall était adressé à toutes les nations de l’Europe, y compris l’URSS. Mais la conférence de Paris réunissant les ministres des affaires étrangères de la France, de la Grande-Bretagne et de l’URSS a pris fin avec le refus soviétique de participer, arguant du fait que l’organisation du système d’aide proposé constituerait une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures des pays bénéficiaires. A la suite de quoi, les gouvernements français et anglais envoyèrent une invitation à vingt-deux États européens pour assister à une conférence sur le Plan Marshall mais, sous la pression soviétique, les pays de l’Europe orientale refusèrent de s’y rendre. Néanmoins, les seize pays participants tombèrent d’accord sur une organisation provisoire pour formuler une réponse collective à l’offre américaine.
6Tout en regrettant que les pourparlers avec l’URSS « se soient terminés par une rupture », le Conseil national de la SFIO, dans sa réunion du 5-6 juillet 1947, a exprimé l’opinion que le plan Marshall offrait une occasion de réaliser la reconstruction de l’Europe5. Cette décision a fait l’unanimité mais dans les semaines suivantes, il allait devenir évident que des sensibilités internes au Parti différeraient sur leur manière d’appréhender les problèmes de la politique internationale. Bien que les luttes de tendance acharnées des années trente fussent révolues, il y avait en 1947 des conflits d’opinion et même des courants de pensée parmi les militants socialistes. Guy Mollet, le secrétaire général, a été opposé à la participation socialiste au gouvernement après le départ des ministres communistes du ministère Ramadier en mai 1947 et, avec ses amis, pensait qu’une telle tactique n’était opportune que si le gouvernement adoptait un programme progressiste. D’autres courants se formaient autour du groupe molletiste et ont présenté des motions en vue du 39e Congrès national du Parti socialiste qui devait se tenir à Lyon, du 14 au 17 août 1947. Quoique les motions attribuées aux molletistes et à un autre groupe centriste (la motion Jaquet-Verdier) aient fait des allusions favorables au Plan Marshall6, celles des groupes de militants situés plus à gauche ouvraient une perspective tout à fait différente. Pour les auteurs de la Motion de fidélité à la doctrine socialiste, le Plan Marshall « représente une tentative de l’impérialisme américain d’étendre son hégémonie sur l’économie européenne » et ils demandaient :
« Le Parti doit-il se laisser enfermer dans ce dilemme : Choisir entre le plan Marshall et les intérêts de la bureaucratie soviétique ?
Nous disons non.
Le Parti doit combattre pour constituer un troisième front. Celui des travailleurs regroupés au sein d’une véritable Internationale de lutte.
C’est dans cette voie que nous forgerons la seule force capable de faire échec à la préparation de la troisième guerre mondiale que nous préparent les deux blocs. »7
7Plus modérée que celle-ci, la motion de la tendance dite la Bataille Socialiste, reprenant le sigle du courant animé par Jean Zyromski avant-guerre, proposait la formule suivante :
« Le parti ne veut pas que la France adhère à un bloc – soit économique, soit idéologique – recherchant la destruction d’un autre bloc.
La proposition Marshall, comme le plan qu’elle incite les Européens à dresser ne vaudront que par létat d’esprit avec lequel on abordera le difficile problème de la reconstruction de l’Europe...
Seul le socialisme est capable d’édifier une construction internationale qui ne serve pas d’abord des intérêts particuliers, des intérêts privés...
8Pour accomplir cette tâche, elle a préconisé la reconstruction de l’Internationale Socialiste »8.
9Ces propos étaient un peu utopiques (le rapport sur l’Internationale que Salomon Grumbach avait préparé pour le Congrès National a démontré les divisions qui subsistaient entre les délégués à la conférence des partis socialistes à Zurich en juin)9 mais ils reprenaient les thèmes et la rhétorique de la tradition pacifiste des années vingt et trente ; ils exprimaient probablement également un sentiment très répandu parmi les militants socialistes.
10Au Congrès national de Lyon, les délégués se sont surtout préoccupés de la politique économique et sociale ainsi que du problème de participation gouvernementale. Mais la situation internationale est devenue parfois le centre de leur attention. Une des invitées étrangères, Marianne Pollak, a fait des parallèles entre le rôle du mouvement socialiste en Autriche et l’action socialiste d’autres pays et au niveau international.
« C’est l’indépendance du mouvement socialiste autrichien qui sauvegardera l’indépendance de l’Autriche, (applaudissements).
Camarades, n’en est-il pas de même pour les autres pays ? n’en est-il pas de même pour l’Europe ? pour le monde tout entier ? Et ce que l’on est arrivé à désigner par le nom de la Troisième Force, entre les extrêmes, cette Troisième force pourrait devenir une puissance mondiale. Elle pourrait devenir irrésistible dans le monde si elle parvenait à unir toutes ces influences dans les différents pays, sous une condition, il est vrai, en aucun cas il ne faut oublier que la réaction nous guette. En aucun cas nous ne devons nous laisser attirer dans une coalition avec la réaction contre les communistes. »10
11Plus tard, Marceau Pivert a répondu à cet appel et a parlé de l’importance de « l’internationalisme prolétarien »11 mais il était déjà évident qu’on ne pourrait pas faire une comparaison juste entre le rôle de l’Internationale socialiste avant la Première Guerre mondiale, quand il y avait des Partis socialistes dans tous les États opposés, et celui de la prétendue Troisième force, étant donné qu’il n’y avait pas de Parti socialiste ni aux États-Unis ni en URSS. De plus, on aurait des doutes sur la soi disant indépendance des Partis socialistes dans les pays de l’Europe de l’Est, si une confrontation entre les blocs se produisait.
12Il n’était facile pour personne de justifier l’argument qu’un règlement pacifique de la situation de l’Europe avec l’accord de toutes les grandes puissances était encore possible, mais Ramadier a tenté de le faire dans son discours au congrès. En particulier, il a essayé de développer l’idée que le Plan Marshall était une force pour l’intégration de l’Europe et non pour sa division.
« Nous nous résignons trop facilement à une lutte inévitable entre les deux grandes puissances du monde. Mais cette lutte est-elle inévitable ? Elle ne l’est que si l’Europe n’est plus en état de jouer son rôle. Nous devons reconstituer l’Europe. Le plan Marshall nous en fournit une occasion, et nous l’avons saisie, car elle entraîne l’Europe à revivre par ses propres forces. Il doit être valable aussi bien pour l’Europe occidentale que pour l’Europe orientale. La conférence des Seize est un premier pas, avec, peut-être, l’hésitation que renforce la diplomatie. Mais nous n’avons pas voulu renoncer [...] La place de la Russie et des autres pays de l’Europe orientale est toujours réservée. »12
13Guy Mollet et ses amis étaient les vainqueurs de ce congrès national. Pour la première fois, ils réussissaient à obtenir la majorité absolue des sièges dans le Comité directeur du Parti. De plus, la motion d’orientation politique générale adoptée par les délégués a inclus leurs propositions pour une politique plus radicale que celle suivie par le gouvernement Ramadier. A propos de la politique extérieure, cette motion a présenté une version modérée de l’idée de la troisième voie, tout en retenant la notion qu’une Internationale socialiste reconstituée en serait la force agissante.
« Le Parti socialiste considère que l’offre Marshall doit être prise en considération, mais, en même temps, qu’elle doit s’accompagner plus que jamais d’une lutte de classe à l’échelle internationale, en direction des objectifs socialistes : la classe ouvrière européenne doit donc renforcer son action autonome et utiliser les possibilités nouvelles d’action commune qui lui seront offertes en vue de reconstituer une internationale socialiste efficace, seule capable de guider les luttes des travailleurs vers une Europe socialiste. »13
14Les propositions principales de cette motion, dite « programme de Lyon », étaient expliquées en détail au cours du mois du septembre. D’abord le Comité directeur autorisait le bureau à rédiger un manifeste, puis Guy Mollet développait des parties de ce document dans une série d’articles dans Le Populaire. En traitant le sujet de la politique extérieure, il présentait une interprétation de la Troisième force qui était beaucoup plus explicite que les discours prononcés lors du congrès national. Pour lui, la question du choix était le fond du problème politique posé.
« De toutes parts, on nous presse de choisir entre les blocs : mais le Socialisme ne choisit pas et ne doit pas choisir. Ou, plus exactement, il choisit une politique autonome basée sur la sécurité collective et la solidarité des peuples. Et tant qu’il y aura des hommes qui ne choisiront pas la guerre, mais l’organisation de la paix, le Socialisme sera à leurs côtés et affirmera ainsi sa suprême raison d’être. »14
15Il avait trouvé dans le socialisme internationaliste la force de transformation qu’il faudrait susciter, même en Allemagne.
« Le seul moyen de désintoxiquer le peuple allemand du nazisme et de le démocratiser consiste à encadrer l’Allemagne dans une Europe démocratique et à favoriser l’essor du Socialisme allemand... »15
16Au fond, l’appel aux peuples en vue de créer une Troisième force était un cri contre la guerre, c’est-à-dire un appel adressé à la gauche tout entière et pas seulement aux socialistes. Cette tactique était fondée sur la supposition que les Partis communistes européens dans l’Europe occidentale, et même quelques-uns dans l’Europe orientale, ne suivraient pas l’URSS dans toutes les circonstances et que leurs membres feraient cause commune avec les socialistes en résistant à un glissement vers un conflit des blocs. Cet optimisme fut mis en question par une révélation inattendue le 5 octobre 1947 : les représentants des Partis communistes de neuf pays européens, y compris ceux de France et d’Italie, avaient participé le mois précédant à une conférence en Pologne et constitué un Kominform, sous prétexte de faciliter l’échange de l’information entre les intéressés. Lors de cette conférence une déclaration affirmait que le monde était déjà divisé en deux camps, l’un pour réaliser « la domination mondiale de l’impérialisme américain et l’écrasement de la démocratie » et l’autre visant « à saper l’impérialisme, à renforcer la démocratie, à liquider les restes du fascisme »16. La première réponse de la SFIO fut de réaffirmer son attachement à la formule de Troisième force17 mais bientôt il devint évident que la solidarité des Partis communistes était à peu près totale et que quelques-uns des Partis socialistes en Europe orientale, comme ceux de la Pologne et de la Hongrie, s’aligneraient sur leurs partenaires communistes18. Quoique les tentatives pour maintenir l’unité du mouvement socialiste international continuèrent un temps19, il n’y avait plus beaucoup d’espoir pour que ce dossier puisse servir d’avant-garde à une Troisième force.
17Les dirigeants socialistes, pris au dépourvu par ces changements de perspective, furent obligés d’admettre que la Troisième force était soutenue par un rassemblement de groupes sociaux divers, se situant entre deux extrêmes, plutôt que par un mouvement avec un caractère socialiste ou de gauche affirmé. Après la formation du Kominform, Auriol dit à Ramadier :
« Il faudrait dire au pays que nous voulons que la France sauve la paix et qu’elle ne soit pas prise entre les deux Grands, divisés l’un contre l’autre, mais toutes les forces de paix pour la réconciliation de tous les peuples. »20
18Dans la campagne pour les élections municipales des 19 et 26 octobre, quelques orateurs socialistes établirent une symétrie entre la Troisième force internationale et la Troisième force qu’ils voulaient fonder en France, entre les communistes et les gaullistes, comme si une réaction centriste contre les deux extrêmes devait être basée sur le même processus social et politique. Cette assimilation de l’une à l’autre était évidente dans les discours prononcés par Guy Mollet et Léon Blum lors de la réunion socialiste au Vélodrome d’Hiver à Paris au soir du 16 octobre. Mollet présentait l’image du militant moyen refusant de se ranger dans un bloc ou dans l’autre. A la question pertinente concernant le soutien d’un tel rassemblement contre ces blocs, il donnait la réponse suivante :
« Nous ne sommes pas seuls. La Grande-Bretagne socialiste... n’est pas prête non plus à accepter les deux blocs ! Non plus les dominions du Commonwealth ! Et tant de petits pays en Europe !
Troisième bloc ? Non ! Nous voulons quelque chose de plus puissant : rassemblement d’idées qui ira pénétrer jusque dans les deux blocs. Ce n’est pas impuissance, c’est conscience de la réalité.
Il y a en Europe orientale même des socialistes qui refusent de s’intégrer dans les deux blocs. Il y en a aussi en Amérique du Sud... Il ne s’agit pas seulement de condamner sentimentalement la guerre. Si nous savons grouper dans le monde ces forces, nous imposerons nos solutions : celles du Parti, celles de l’Internationale. »21
19Dans son discours, Léon Blum présentait des arguments semblables. Ayant rejeté la possibilité d’une participation socialiste à un bloc anticommuniste au niveau national, il refusait, de même, de préconiser un choix entre l’un ou l’autre et tout aussi nettement d’accepter la guerre comme une fatalité. Au contraire, il affirmait la nécessité d’une autre voie :
« (...) le devoir le plus urgent du socialisme international et spécialement du socialisme européen, à l’heure présente, c’est de rassembler ses forces, de définir clairement sa pensée, d’agir de tout son pouvoir et du pouvoir de tous les gouvernements qu’il inspire, sur l’Organisation des Nations Unies pour insuffler en elle son âme, pour en faire l’interprète et l’instrument des peuples qui veulent la paix. »
20Ensuite il insistait sur la question des choix :
« Nous ne voulons être ni américanisés ni soviétisés. Le peuple français veut rester lui-même, libre de vivre à son gré et selon son propre génie. »22
21En conclusion, il s’excusait :
« (...) de cette fausse symétrie entre l’entreprise gaulliste et la démocratie anglo-saxonne qui ne présentent aucune espèce d’analogie réelle. Mais je dirai cependant que la majorité des citoyens français ne veulent être ni communistes ni gaullistes, tout comme la majorité des citoyens du monde ne veulent être ni des protégés américains ni des sujets soviétiques. »23
22Au cours des mois suivants, l’intérêt pour l’idée d’une Troisième force internationale diminua au fur et à mesure que le conflit entre l’URSS et ses anciens alliés devenait de plus en plus intense. Le premier événement dans ce processus fut la révélation de l’incapacité du Conseil des ministres des Affaires étrangères à trouver une solution au problème allemand lors de la réunion du 25 novembre au 15 décembre 1947 à Londres. En conséquence, au cours de Tannée 1948, la division de l’Allemagne devenait définitive : en juin, l’URSS protestait contre la réforme monétaire instituée en Allemagne occidentale et imposait le blocus de Berlin ; ensuite, les alliés établirent un pont aérien pour le ravitaillement de cette ville. L’emprise de l’URSS sur les Etats de l’Europe de l’Est se resserrait, et le « coup de Prague » en février 1948 sonnait le glas du mouvement socialiste tchèque qui avait suscité tant d’espoir parmi les socialistes français.
23Avec des réserves, le Parti socialiste avait donné son consentement à l’idée d’une Troisième force au plan national pour quelques années, mais le thème similaire d’une Troisième force internationale eut une existence très brève, limitée à la fin de l’année 1947. L’attrait principal de cette deuxième idée était l’expression – à l’occasion d’une situation très instable dans l’évolution vers la Guerre froide – d’un refus d’accepter la perspective d’un conflit armé comme une fatalité. Pour un moment, la Troisième force internationale a représenté la vieille tradition pacifiste de la gauche française. En 1948 cependant, les modalités de la Guerre froide – avec ses confrontations de longue durée, ses provocations fréquentes mais prévisibles, et ses campagnes de propagande – deviendraient compréhensibles sinon acceptables. Il y avait aussi dans la Troisième force un élément d’attentisme, une répugnance à faire un choix tant qu’on avait une liberté d’action étendue. Mais, une fois la division de l’Allemagne réalisée et les régimes communistes dans les États de l’Europe consolidés, les socialistes français acceptèrent l’idée que la France devait s’aligner sur le bloc occidental. Néanmoins, la notion que l’Europe occidentale pourrait devenir une entité fédérale, et peut-être socialiste, a survécu à la Troisième force. Elle allait devenir un des piliers essentiels des programmes de la SFIO dans les années cinquante.
Notes de bas de page
1 Problèmes d’aujourd’hui : programme d’action du Parti Socialiste 1946, Paris, Éditions de la Liberté, 1946, p. 66-72. Cf. chapitre VI (Programme international) du « Programme d’action adopté par le Conseil national du Parti socialiste SFIO », Le Populaire, 8 décembre 1946, p. 4.
2 Voir Guillaume Devin, L’Internationale socialiste. Histoire et sociologie du socialisme international (1945-1990), Paris, Presse de la Fondation nationale des sciences politiques, 1993, p. 15-26.
3 Voir la réaction de Vincent Auriol en conversation avec Henri Bonnet, l’ Ambassadeur de France à Washington, in Journal du septennat 1947-1954, I : 1947, Pierre Nora et Jacques Ozouf (ed.), Paris, Armand Colin, 1970, 17 mars 1947, p. 143- 144.
4 Charles Dumas, « Pour qui travaille le temps ? », Le Populaire, 30 avril 1947, p. 4.
5 Bulletin Intérieur du Parti Socialiste SFIO, n° 26, mai-juin 1947, p. 4.
6 Voir « 39e Congrès national du Parti socialiste SFIO, août 1947 » [la motion Mollet] (Paris, n.d.), p. [2] ; « Motion pour le 39e Congrès national du Parti socialiste SFIO », [la motion Jaquet-Verdier] (n.d.), p. [2].
7 « Motion de fidélité à la doctrine socialiste », Lyon, (n.d.), p. [3].
8 La Bataille Socialiste (Paris), nouvelle série, n° 1, 15 juillet 1947, p. [4],
9 Voir Rapports, Parti Socialiste SFIO, 39e Congrès national, Lyon, 14-17 août 1947, Paris, Librairie du Parti, [n.d.], p. 145-158.
10 39e Congrès national du Parti socialiste SFIO, Lyon, 14-17 août 1947, sténotypie, le 15 août 1947, p. 211.
11 Ibid., 16 août 1947, p. 487-488.
12 Le Populaire, 17-18 août 1947, p. 5.
13 Bulletin intérieur du Parti socialiste SFIO, Paris, n° 27, août 1947, p. 6.
14 Guy Mollet, « Une seule issue : l’Internationale », Le Populaire, 18 septembre 1947, p. 1.
15 Le Populaire, p. 4. Voir aussi une autre résolution sur la situation internationale publiée dans Le Populaire, 26 septembre 1947, p. 1.
16 Le Monde, 7 octobre 1947, p. 1.
17 Voir Guy Mollet, « Premières réflexions sur le nouveau Komintern », Le Populaire, 10 octobre 1947, p. 1 et 4 ; « Est-il possible de ne pas choisir ? », Le Populaire, 12-13 octobre 1947, p. 1 et 4.
18 Voir Robert Verdier, PS/PC : une lutte pour l’entente, Paris, Seghers, 1976, p. 169-170.
19 Voir Guillaume Devin, L’Internationale socialiste, op. cit., p. 29-30.
20 Vincent Auriol, Journal du Septennat, op. cit., tome I : 1947, 7 octobre 1947, p. 463.
21 Le Populaire, 17 octobre 1947, p. 3.
22 L’Œuvre de Léon Blum, op. cit., volume : 1947-1950, Paris, Albin Michel, 1963, p. 103.
23 Ibid., p. 104.
Auteur
Research Professor of Politics, University of Sussex.
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