Présentation
p. 7-10
Texte intégral
1Au lendemain de la Seconde guerre mondiale et dans l’euphorie de la Libération, le socialisme apparaît, selon la forte expression de Léon Blum, comme « le maître de l’heure ». Qu’on en juge ! Les socialistes occupent de solides positions au sein du gouvernement provisoire et dans les organes issus de la Résistance, Conseil national de la résistance, comités départementaux et locaux de libération, Assemblée consultative. Bien souvent, entre un communisme dynamique et conquérant et des non-communistes méfiants et sur la défensive, ils apparaissent comme des médiateurs auxquels il est naturel de faire appel pour arbitrer les débats et maintenir l’équilibre. Si bien que ce sont tout naturellement des socialistes qui cumulent les présidences, celles des assemblées constituantes avec Félix Gouin ou Vincent Auriol, celles du gouvernement où Félix Gouin succède au Général de Gaulle avant que Léon Blum, puis Paul Ramadier occupent la fonction, celle de la République enfin à laquelle Vincent Auriol accède en 1947.
2Au-delà des hommes qui se réclament de l’appartenance au Parti socialiste, il y a plus et mieux, l’existence d’un sentiment diffus qui paraît partagé par une très large partie des Français et qui traduit une large aspiration à un socialisme humaniste. Dans cet état d’esprit socialisant, qui n’est pas sans rappeler l’élan du Front populaire, coexistent de manière imprécise les souvenirs de la Révolution française, l’épopée des soldats de l’an II portant la liberté au monde, la volonté de châtier les traîtres, l’aspiration à la justice dans une société fraternelle, l’ardeur à combattre l’égoïsme des nantis, la résurrection du vieux solidarisme républicain décidé à procurer à tous, et d’abord aux plus démunis, la sécurité face aux aléas de l’existence. Cette vulgate « socialiste » s’exprime au fond par le sentiment récurrent des après-guerres, qui fait suite aux insupportables tensions des temps de conflit, le droit des êtres humains au bonheur. Et la force de ce socialisme réside incontestablement dans le fait qu’il est porté par les hommes et les idées de la Résistance. Son programme est celui du Conseil national de la résistance et une grande partie de ceux qui sortent de la clandestinité et de la France libre sont prêts à en assumer la pratique, pour peu qu’il renonce à l’anticléricalisme agressif et militant qui a écarté de lui les chrétiens, à la stricte obédience marxiste qui a marqué l’action de ses congrès de l’entre-deux-guerres, à une conception étroite de la lutte des classes fort éloignée de l’esprit de fraternisation qui marque la nouvelle illusion lyrique de 1944.
3Le socialisme ainsi perçu est bien le maître de l’heure. Mais le Parti socialiste SFIO, ressuscité des cendres de sa faillite de 1940 et revivifié par le baptême de l’action résistante ? En fait, il se trouve à la croisée des chemins et deux voies s’offrent à lui. Il peut s’appuyer sur le vaste courant socialisant issu de la Résistance et tenter de le canaliser à son profit. Cependant, il lui faut pour cela accepter de renoncer à ce qui a fait une part essentielle de son identité depuis 1905, l’adhésion à la conception révolutionnaire du marxisme, pour se transformer en un parti travailliste à l’anglaise comme le souhaitent, hors du parti, nombre de cadres du combat clandestin. Il peut aussi tenter de reconstituer ses réseaux d’antan, rassembler ses adhérents de l’avant-guerre, grossis des hommes de la résistance, et affirmer haut et fort sa fidélité aux idéaux traditionnels, réputés toujours valides pour affronter les défis des temps nouveaux. C’est l’histoire du choix entre ces deux voies que retrace le présent volume.
4En fait, entre 1944 et 1948, le Parti socialiste voit son destin déterminé par deux types d’évolution qui apparaissent largement contradictoires. La première peut se résumer comme le refus du Parti socialiste de procéder à la rénovation nécessaire pour devenir l’appareil politique capable de canaliser et d’articuler l’aspiration au socialisme humaniste qui baigne la société française. Ses principaux dirigeants de l’après-guerre, son maître à penser Léon Blum et le secrétaire général du Parti, Daniel Mayer, tentent de jouer cette carte d’une rénovation contrôlée. Mais ils vont se heurter à la culture politique des militants qui retrouvent leurs réflexes d’antan. Ceux-ci reprochent durement à Daniel Mayer l’énergique épuration des cadres du Parti qui les prive d’une bonne part de leurs dirigeants locaux, coupables de complaisance ou de passivité face au régime de Vichy, mais qui conservent une notoriété et des réseaux de relations précieux pour les élections qui s’annoncent ; ils n’acceptent pas l’élargissement doctrinal vers un socialisme humaniste que leur propose Blum ; au lieu d’accueillir chaleureusement des hommes venus des mouvements de résistance, ils jugent douteux leur socialisme trop récent, soulignent leurs réticences, refusent leurs suggestions ou leurs critiques et les soumettent à un noviciat décourageant. Le renouvellement du Parti socialiste SFIO provoqué par la guerre s’arrête donc assez vite : refermé sur son identité d’avant-guerre, il manque l’occasion de s’ouvrir à la vague socialisante dont une partie était prête à se fondre en son sein ; comme le lui reprochera Léon Blum, il ne sait pas accueillir « ce qu’il y a de neuf et de jaillissant » dans la France de l’époque. Crispé sur son identité de parti révolutionnaire marxiste, il préfère réactiver ses anciens réseaux militants et négocier avec le Parti communiste l’improbable « unité organique » dont ses dirigeants admettent cependant qu’elle n’a aucune chance d’aboutir tant que son partenaire demeurera étroitement assujetti à l’Etat soviétique et refusera de pratiquer une véritable démocratie ouvrière. Le Parti socialiste choisit ainsi de n’exprimer qu’une part du socialisme français, celle qui se réclame de l’orthodoxie doctrinale, laissant en dehors de ses structures de multiples courants en quête de voies nouvelles.
5Cette évolution interne de la SFIO est parfaitement antithétique du contexte politique national dans lequel elle s’inscrit. Pour les raisons déjà indiquées, ce parti marxiste révolutionnaire participe au pouvoir et, fréquemment, en position centrale. Ses hommes sont au cœur de l’appareil d’Etat, ils gèrent d’importants portefeuilles, ils définissent la politique nationale. Mais leur action s’exerce dans le cadre d’un Etat de démocratie libérale et d’économie capitaliste. Comme Léon Blum à l’époque du Front populaire, ils gouvernent et défendent une société dont ils dénoncent dans leurs congrès les tares et les injustices et qu’ils entendent en théorie remplacer par une future société sans classes, tout comme les communistes, mais par des moyens démocratiques. En attendant, dans le contexte de la rivalité entre les deux super-grands qui va bientôt donner naissance à la Guerre froide, ils se rangent de plus ou moins bon gré, et avec une certaine mauvaise conscience, dans le camp atlantique conduit par les Etats-Unis. En France même, leur partenaire privilégié est le MRP, issu de ce courant chrétien que la SFIO de 1944 refusait d’accueillir et c’est à Léon Blum que l’on doit l’acte de baptême d’une Troisième force destinée à lutter sur deux fronts, à la fois contre le Parti communiste, représentant en France du totalitarisme stalinien, et contre le gaullisme derrière lequel se profile le spectre du césarisme. Et, succédant aux débats sur l’unité organique avec le Parti communiste, une profonde vague anticommuniste submerge la SFIO, les socialistes et les syndicalistes socialisants se trouvant à la tête du combat contre les grèves insurrectionnelles organisées par le Parti communiste. En fait, le communisme – avec lequel la SFIO de 1946 souhaitait s’entendre et réaliser l’unité d’action à défaut de l’unité organique – apparaît bien vite comme l’adversaire principal. Il est le grand concurrent dans la tentative de conquête d’une classe ouvrière qui, pour les deux partis, est le moteur de l’histoire et l’artisan de la révolution future. Or, dans ce combat, ce sont les communistes qui l’emportent. Ils conquièrent la grande centrale ouvrière qu’est la CGT, contraignant les « confédérés » à faire scission et ils vont imposer leur image de « parti de la classe ouvrière », rejetant les socialistes vers une base encore étroite de fonctionnaires, d’enseignants, de membres des classes moyennes.
6En 1948, tout paraît donc joué. Le Parti socialiste a raté le coche d’une possible modernisation de son identité au profit d’un repli sur les valeurs de son passé. Or celles-ci s’avèrent impossibles à mettre en œuvre dans le contexte national et international de l’après-guerre, poussant la SFIO à pratiquer au pouvoir une politique que désavouent ses militants dans les congrès ou à tenter de sauver son unité en se réfugiant dans une opposition stérile. Ainsi se noue une crise profonde du Parti socialiste français qui va mettre près d’un quart de siècle à se relever de cette contradiction, cependant que rénovation et modernisation s’élaborent en dehors de lui et souvent contre lui.
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