La communication gouvernementale
p. 153-159
Texte intégral
1En guise d’introduction, je voudrais revenir sur la découverte d’une partie de l’objet de ma thèse et par suite, sur les questions qui l’ont progressivement accompagnée. C’est dans le cadre d’une recherche documentaire pour un mémoire de maîtrise portant sur les discours de politique générale des Premiers ministres (de 1981 à 1992) que j’ai découvert l’existence du Service d’Information et de Diffusion du Premier ministre (SID)1. Ont alors également été menés un certain nombre d’entretiens avec les dirigeants de l’époque, lesquels mettaient en avant et en valeur l’idée d’une véritable politique d’information et de communication gouvernementales dont le SID était sinon le maître d’œuvre, du moins le chef d’orchestre éclairé et nécessaire.
2La recherche sur ce service du Premier ministre – rattaché au Secrétariat général du gouvernement2 – a véritablement été engagée dans le cadre du mémoire de DEA, en travaillant plus particulièrement sur les modalités de la « création » de ce service. Les guillemets sont importants et ils appellent deux remarques. D’abord, ce service n’était pas inédit : seuls les promoteurs de la transparence de l’action gouvernementale et des relations entre administrations et administrés avaient intérêt à le faire croire. Ensuite, cet argument d’un renouvellement des relations entre l’État et les citoyens était concomitant d’un oubli du passé, lequel se trouvait essentiellement objectivé par un renouvellement sémantique : désormais on allait parler d’information de service, de communication publique et surtout pas de propagande.
3À partir de ces observations liminaires, il s’agissait de comprendre comment avait été permise l’institutionnalisation d’un ensemble de pratiques et d’acteurs dont on avait toujours normativement réprouvé le principe en France. La réponse a consisté à montrer que la communication gouvernementale est un véritable instrument de gouvernement, un en jeu de pouvoir et plus précisément, un dispositif de pouvoir. Autrement dit, la communication gouvernementale constitue la forme contemporaine – sophistiquée parce rationalisée – de ce que nous avons appelé le Dispositif d’information d’État.
4Sous ces termes, on regroupe l’ensemble des formes et des modalités d’interventions de l’État en matière d’information : la gestion et le contrôle des médias, la politique d’information sur l’action des pouvoirs publics, la production d’information sur les citoyens ainsi que l’organisation interne de l’information à l’échelle gouvernementale. Ces quatre logiques, distinguées par l’analyse, forment un dispositif de pouvoir ; elles peuvent évidemment être superposées, l’une ou l’autre étant dominante à un moment donné. C’est à la mise en évidence de la communication gouvernementale comme logique actuellement dominante que notre travail est consacré.
Principales ressources théoriques
5Pour étayer cette démonstration d’un point de vue théorique, différents appuis ont été sollicités.
6En premier lieu, ce travail est fondé sur une conception idéologique de la communication, ici transposée au secteur politique. Les ouvrages de Lucien Sfez3, de Philippe Breton4, mais aussi les analyses anthropologiques de la communication politique5, ont ainsi largement sous-tendu la réflexion.
7Ce travail repose sur un second point essentiel : une conception problématique de la démocratie. À la suite de Pierre Rosanvallon6 et de Bernard Manin7, on a considéré la démocratie non comme une solution et une évidence politique, mais comme une suite de problèmes : celui des citoyens à se sentir concernés par la chose publique, mais encore celui des gouvernants à comprendre l’émergence du collectif sur la scène politique. C’est dans ce cadre théorique que la communication gouvernementale peut apparaître comme une réponse, une solution circonstanciée.
8Parallèlement, il nous fallait encore comprendre les conditions du retournement de la tradition républicaine à la française et le fait que gouvernants et institutions gouvernementales s’adressent directement aux citoyens. On rappellera à cet égard que si la Constitution de la Ve République légitime explicitement ce type de pratiques, elle ne les a en aucun cas « inventées » et s’est plutôt vue précédée, voire permise, par des initiatives en la matière8. Pour pouvoir prendre en considération un certain nombre de faits sans être arrêté par une chronologie institutionnelle et politique, on s’est donc appuyé sur une conception dynamique du discours, telle que l’a développée Michel Foucault9. Le discours est non seulement considéré comme le mode d’expression d’un conflit mais aussi comme son objet même ; il est ce par quoi et ce pour quoi on lutte.
9Enfin, afin de sortir des associations réifiées entre communication et démocratie d’une part, et propagande et régime totalitaire d’autre part, on s’est attaché à rejeter toute forme de substantialisme 10pour adopter un mode d’analyse relationnel et à caractère sociologique.
Des hypothèses au plan de la thèse
10La thèse est organisée autour de deux axes à valeur d’hypothèse :
La généalogie de la communication gouvernementale
11Il s’agit d’abord d’analyser et de mettre au jour le processus d’émergence, de reconnaissance et d’institutionnalisation de la communication gouvernementale au sein de l’appareil d’État. Autrement dit, de dégager les grandes étapes des transformations du Dispositif d’information d’État, ceci depuis 1939 jusqu’à 1996.
12Le choix des bornes temporelles, toujours délicat et sujet à discussion, mérite quelques éclaircissements. Il ne s’agissait pas de trouver un véritable point de départ pour la recherche. On a plutôt cherché à dégager un moment où l’entrée dans les questions posées était pertinente et justifiée. Or l’année 1939, caractérisée par la création d’un Commissariat Général à l’Information auprès de la présidence du Conseil, pouvait être cette entrée : s’y manifestait ainsi une préoccupation qui allait trouver une objectivation continue sous la forme d’organes administratifs successifs.
13Cette généalogie peut être modélisée comme suit :
Dispositif d’information d’État | ||
Actualisation centralisée | Actualisation complexe | |
Ministère de l’information | État « annonceur » | |
Service public de l’audiovisuel | Information de service | |
Monopole gouvernemental | Communication publique | |
« Propagande démocratique » | « Communication gouvernementale » | |
Logique d’autorité | → | Logique de rationalisation |
L’économie de la communication gouvernementale
14On s’est ensuite attaché à analyser les conditions de fonctionnement de la communication gouvernementale afin de mettre en évidence qu’elles relèvent d’une logique de rationalisation et de régulation.
15Il s’agit ici de montrer que la communication gouvernementale ne fonctionne pas comme échange entre deux flux d’information réciproques – ascendant et descendant – entre l’institution gouvernementale et la société, mais qu’elle constitue un outil et un enjeu de régulation et de pouvoir.
16Différents outils méthodologiques ont été mis en œuvre.
17Pour la généalogie, l’essentiel des informations provient de la consultation d’archives ministérielles et du dépouillement de la littérature grise portant sur les questions d’information. Ont également été dépouillés les débats parlementaires portant notamment sur le vote du budget du ministère de l’Information. Une revue de la littérature à caractère scientifique de la période a été réalisée. Des témoignages des acteurs ont également été recueillis, soit par des sources livresques, soit par le biais d’entretiens.
18Le travail sur l’économie de la communication gouvernementale procède essentiellement d’une enquête de terrain. De nombreux entretiens ont été réalisés avec des acteurs administratifs et politiques, ainsi qu’avec des prestataires de service en matière de communication et de sondages d’opinion. Parallèlement était menée une observation participante puisque j’exerçai une activité professionnelle au sein du SID pendant deux ans. Cette démarche a permis une empirisation forte de la thèse, ce qui était selon moi une condition essentielle au travail de recherche sur un sujet généralement abordé avec force de polémiques... et de généralités.
19Une enquête par questionnaire a également été réalisée auprès de tous les responsables de communication des ministères et secrétariats d’État, en tant qu’interlocuteurs obligés et privilégiés du SID et du SIG. Il est important de faire remarquer ici que cette enquête s’est révélée au moins aussi intéressante par ses résultats que par les réactions suscitées par sa mise en œuvre.
20Enfin, les nombreux messages et productions générés par le SID et le SIG n’ont pas été systématiquement analysés. Pour certains – comme La Lettre de Matignon et La Lettre du Gouvernement –, ils n’ont été pris en considération qu’en tant qu’ils permettaient de répondre à des hypothèses précises.
La vie de la thèse
21L’ensemble de ces remarques procède bien évidemment d’une reconstruction a posteriori et d’un exercice de réflexivité parfois bien délicat, sinon douloureux à mener pendant le déroulement de la thèse elle-même. Celui-ci s’avère nécessaire au moment de la soutenance. Il devient même systématique lors de l’écriture des articles ou de l’ouvrage qui donneront une actualité toute relative au pavé qui est allé alourdir les étagères de quelques bibliothèques universitaires.
22Autant que faire se peut, la réalisation d’une thèse de doctorat est un travail de rigueur méthodologique. Elle est donc par là même une suite de difficultés et d’écueils qu’il convient ici de présenter avec quelques-unes de leurs « solutions ».
Le sujet vertigineux
23D’un point de vue véritablement chronologique et comme un défaut de jeunesse, l’une des premières difficultés de la recherche est de vouloir englober un champ et une problématique trop vastes. Pour ce qui nous concerne, il s’avéra ainsi particulièrement délicat de déterminer les bornes temporelles de notre sujet. Passagère fut par exemple la tentation de remonter aux libéraux-doctrinaires, en vertu de leur conception instrumentale de la liberté de la presse.
24Le travail de bibliographie est particulièrement important pour sortir de cet écueil. Autant que pour faire le point sur ce qui s’est déjà dit et écrit sur le sujet, cette activité laborieuse et parfois ingrate permet aussi de tracer des frontières, comme pour définir son territoire par la comparaison et par l’exclusion d’autres travaux.
25On ne doit pas non plus hésiter à toujours se soupçonner de faire preuve de rétrodiction : une fois corrigé ce défaut d’appréciation historique et contextuelle, on est souvent conduit à réduire les phénomènes qui paraissaient auparavant nécessaires à l’épanouissement de la réflexion alors qu’ils n’y étaient qu’abusivement convoqués.
Perdu sur son terrain
26Ou comment passer de l’écriture de son terrain, de son objet, de ses recherches sur archives, à leur mise en sens ?
27On évoquera ici le souvenir cuisant de ce que l’on croyait être un chapitre. C’était au mieux un texte à caractère ethnographique ; au pire, une description trop détaillée et ennuyeuse. En d’autres termes, une monographie ne saurait à elle seule constituer le cœur d’un mémoire ou d’une thèse en sciences humaines.
28À cet égard, le regard du lecteur, c’est-à-dire dans la majorité des cas du directeur de thèse, est impitoyable... et éclairant. Par ailleurs, le temps et l’oubli s’avèrent également des correcteurs efficaces et utiles : sa propre relecture ultérieure, une fois qu’on s’est éloigné du terrain, fait prendre conscience des longueurs et du superflu.
29Il n’en reste pas moins que les coupures peuvent s’avérer difficiles. Il en est d’abord ainsi parce que le matériel recueilli résulte le plus souvent d’un fort investissement personnel dans la recherche, de rencontres et d’un travail de fourmi quotidien. Ensuite parce que le sentiment que tout peut être probant tenaille inlassablement le thésard anxieux de convaincre son lecteur. Enfin parce qu’il est extrêmement délicat d’émerger d’un terrain que l’on connaît très et trop bien pour en dégager ce qui sera réellement utile au lecteur.
La stabilisation de la problématique ou la tentation désespérante de la thèse infinie
30Une fois le terrain – l’objet, le corpus, selon les méthodologies – sensiblement arpenté, annoté, analysé, décrypté, et une fois les concepts et fondements théoriques appropriés, il convient de construire la thèse. En d’autres termes, il convient de stabiliser un plan qui a subi moult ajustement au gré des lectures, des découvertes sur le terrain, des intuitions plus ou moins fondées.
31Ainsi ont commencé pour moi les affres du travail réflexif que j’évoquai précédemment et auquel je me heurtai quelques mois avant d’achever la thèse. Le rassemblement de l’ensemble des matériaux dont je disposais dans le but de construire un édifice qui tienne debout et dans lequel j’étais capable de diriger le lecteur s’avéra particulièrement problématique. Deux types de doute, aussi désagréable l’un que l’autre, animent généralement cette étape. Le premier, c’est que le travail entrepris – depuis quelques années généralement – n’a pas de réelle pertinence : en d’autres termes, que la thèse n’en est pas une. Le second repose sur le phantasme que la thèse ne pourra jamais être achevée. La vraie difficulté fut en fait pour moi de me convaincre qu’il fallait achever le travail, au sens figuré et au sens propre du mot.
32Le temps est alors un nécessaire et cruel allié. Pour la première fois, j’abandonnai l’ouvrage durant plusieurs semaines. Dans le même temps, il fut très utile de refaire le point sur les ultimes délais. Le directeur de thèse, parfois secondé par l’entourage de l’impétrant, devient alors le gardien d’un calendrier au cœur duquel les concours de recrutement sont comme des balises, indiquant à la fois le danger et la manière de s’en préserver.
33À mon sens, ce n’est ni par hasard, ni par négligence ou simple retard que tant de thèses sont soutenues aux mois de décembre et janvier : c’est plutôt parce que beaucoup de thésards ne peuvent se résoudre à terminer en avance.
Le rapport à l’écriture
34Enfin, comment et quand écrire la thèse ? Ce dernier élément, s’il n’a pas été réellement problématique dans mon cas, mérite toutefois quelque approfondissement.
35D’aucuns attendent pour rédiger – ce dont j’étais personnellement incapable. Les autres, dont je fais partie, commencent à écrire relativement tôt et reprennent la prose... autant de fois qu’il s’avère nécessaire.
36Le risque concomitant à cette méthode est de bâtir une thèse interminable, comme animée par un inconscient probabiliste : plus j’en écrirai, plus il y aura de chance que j’écrive des choses intéressantes. Or la thèse est un exercice de clarté, d’explicitation et même, de lourdeur.
37J’évoquais tout à l’heure le plan de circulation dans l’édifice : c’est aussi par une écriture plus maîtrisée qu’abondante que seront données – et non vaguement suggérées – les clés de lecture et de positionnement dans la restitution de votre recherche et de votre réflexion.
Notes de bas de page
1 Devenu Service d’Information du Gouvernement depuis janvier 1996.
2 À l’instar d’un certain nombre d’autres organes administratifs consacrés à l’information des citoyens : le Journal Officiel, la Documentation Française, le Service Juridique et Technique de l’Information et de la Communication (SJTIC).
3 Critique de la communication, Paris, Seuil, 1988.
4 La parole manipulée, Paris, La Découverte, 1998.
5 Cf. Georges Balandier, Claudine Haroche, Michèle Vogel.
6 Cf. Le sacre du citoyen, Paris, Gallimard, 1992 ; Id., Le peuple introuvable, Paris, Gallimard, 1998.
7 Cf. Principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy, 1995.
8 Cf. Brigitte Gaïti, De la IVe à la Ve République. Les conditions de réalisation d’une prophétie, Paris, Presses de Science Po, 1998.
9 Voir notamment L’ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971.
10 Cf. Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, Paris, Éditions de l’Aube, 1991.
Auteur
Maître de conférences à l’Université Paris XII
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