Dénazification et décommunisation dans la fonction publique allemande : deux politiques d’épuration ?
p. 45-70
Texte intégral
1La dénazification a fait l’objet de très nombreuses études qui, bien que souvent limitées à une région1 ou à une dimension de cette politique2, permettent cependant de comprendre la façon dont l’Allemagne a pris ses distances par rapport au régime national-socialiste. La « décommunisation3 », a également suscité l’intérêt des chercheurs bien que dans une moindre mesure, l’objet étant plus récent. Cependant presque aucune recherche n’a porté sur une comparaison entre ces deux politiques ; sans doute ce sujet est-il « politiquement incorrect »4 puisque le gouvernement ouest-allemand n’a jamais utilisé l’expression « épuration » pour qualifier les politiques de recrutement d’agents administratifs originaires de la RDA5. Ce constat nous invite à nous interroger sur ce qu’on entend par politique d’épuration.
2 Pour l’homme de la rue, les politiques d’épuration sont vouées à punir des personnes particulières qui auraient commis des actes répréhensibles pendant le régime antérieur, en les écartant de la sphère du nouveau pouvoir. Ce registre explicatif entraîne des discours récurrents selon lesquels les politiques de dénazification et de décommunisation ont « échoué »6, autrement dit elles n’ont pas atteint leur objectif qui aurait été d’écarter toutes les personnes trop impliquées dans le IIIe Reich ou dans la RDA Pourquoi ces « échecs » répétés ? Ces politiques seraient-elles destinées, par une sorte d’inéluctabilité ou par manque de volonté politique, à passer nécessairement à côté de leur objectif ?
3Comme tout autre policy, les politiques d’épuration sont une action étatique. Si, à ce titre, elles ont pour but de produire un mode d’organisation autant qu’une vision du monde7, elles peuvent comporter des mesures ou reposer sur des logiques qui sont en décalage partiel avec leur esprit général. On comprend alors l’intérêt qu’il y ait, selon l’historien C. Vollnhals8, à distinguer la logique de l’épuration de celle de la punition. « En droit pénal, la punition pour un crime requiert une culpabilité individuelle qui puisse être prouvée et [cela] constitue un cas classique pour la justice9. » Ce schème du droit pénal est identique à celui utilisé par l’homme de la rue car il se fonde sur une vision morale selon laquelle toute faute doit être expiée. Toutefois, il diffère profondément de celui à l’œuvre dans les politiques d’épuration puisque, dans ces dernières, l’action répréhensible consiste à avoir été un rouage d’un mécanisme et/ou à s’être trop identifié à une idéologie étatique désormais décriée. Dès lors, « l’épuration politique doit être distingué des poursuites judiciaires contres des personnes individuelles reconnues coupables. Elle est un instrument de pouvoir politique en vue de l’établissement d’une nouvelle couche dirigeante ; tout du moins, son objectif est d’écarter les représentants de l’ancien régime et de placer dans les positions clés des personnes politiquement fiables de la même couleur politique10 ». Cette définition appelle quelques commentaires. Tout d’abord, elle inscrit les politiques d’épuration dans une logique particulière. Il ne s’agit plus seulement d’écarter certaines personnes des postes sensibles dans le seul but de les punir mais également de permettre à d’autres d’accéder à ces mêmes postes. Elle légitime donc un renouvellement de personnel. Par ailleurs, ces politiques concourent à une stratégie de légitimation et de consolidation du nouveau système de domination. Dès lors, si l’étude de ces politiques nous renseigne un peu sur les régimes déchus, elle nous informe surtout sur le nouveau régime et sur la manière dont il perçoit le régime antérieur. Étudier en parallèle la dénazification et la décommunisation permet donc de mieux comprendre les acteurs ayant mené ces politiques et, plus particulièrement, la RFA, acteur commun à ces deux politiques.
4La RFA a connu deux politiques d’épuration, ce qui constitue une expérience très rare puisque ce type de politique est activé lors de l’instauration d’un régime – phase unique par définition. Cette particularité historique entraîne une démarche méthodologique tout aussi particulière. Parce que la dénazification et la décommunisation sont successives et impliquent en partie les mêmes acteurs, il ne peut s’agir d’une comparaison « simple », mais davantage d’une recherche de « filiation » dans le but de comprendre dans quelle mesure la seconde est l’héritière de la première. Pour ce faire, nous avons opéré un découpage séquentiel permettant de comparer ces politiques dans leur phase d’élaboration puis leur mise en application.
Aux origines de la dénazification et de la décommunisation
5Chaque nouveau régime est confronté à la question de l’épuration. Les deux phénomènes sont liés, qu’il s’agisse d’une transition vers l’autoritarisme (la mise en place du IIIe Reich ou de la RDA) ou vers la démocratie (la mise en place de Weimar, de la RFA en 1949 ou de la nouvelle RFA en 1990). Dans de nombreux cas, les transitions sont des processus internes11, même s’ils comportent parfois des logiques d’importation. Rien de tel en RFA puisqu’en 1945 le contexte de sortie de guerre déposséda l’État allemand de sa souveraineté et qu’en 1990, l’État est-allemand disparut lors de l’unification. Dans ces deux cas, les États allemands subirent, dans une plus ou moins large mesure, la volonté d’États tiers, ce qui s’est avéré décisif dans l’élaboration des politiques d’épuration. Dès lors, identifier les acteurs en présence s’avèrent être une étape préalable incontournable pour comprendre les conceptions qui ont sous-tendu ces politiques.
Des politiques exogènes et endogènes
6La fin du IIIe Reich ayant coïncidé avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, la capitulation sans condition a été un élément déterminant dans l’élaboration de la dénazification. En effet, ce sont les quatre puissances d’occupation qui ont pris en charge les débuts de l’épuration, chacune dans sa zone respective. Les autorités allemandes ne furent que progressivement autorisées à conduire cette politique, comme en témoigne la « loi sur la libération du nationalisme et du militarisme12 » entrée en vigueur le 5 mars 1946 dans les Länder sous occupation américaine – la Bavière, la Hesse et le Wurtemberg-Bade. Plus globalement, il fallut attendre les années 1946 (zone américaine), 1947 (zone britannique), voire 1948 (zones française et soviétique), pour que les Alliés donnent un coup d’arrêt à leurs politiques de dénazification, laissant les Länder puis, à partir de 1949, les deux États allemands continuer seuls. Du côté des puissances alliées, on dénombre donc quatre acteurs étatiques principaux et du côté allemand, on peut en dénombrer deux. Ce décompte, reposant sur l’unité « État », est moins précis qu’il n’y paraît. En effet, la dénazification a été entamée dès la fin de la guerre, de façon très décentralisée, non seulement entre les gouvernements militaires d’occupation qui ont chacun procédé à leur manière, mais aussi au sein des zones13. L’uniformisation intra-zonale ne s’est produite que progressivement, l’homogénéisation inter-zonale est restée lettre morte ou presque.
7La situation fut très différente en 1990. Bien que les anciennes puissances alliées soient intervenues dans la phase de rapprochement des deux Allemagnes14, elles ne sont pas intervenues dans la décommunisation. Par ailleurs, la RDA, qui devait disparaître à l’issue du processus d’unification, n’a eu le temps de participer que d’une manière minimale – mais symbolique – à la décommunisation. Ainsi, les députés du dernier Parlement élu ont voté, le 24 août 1990, un texte dont l’objet était de créer un service spécial qui conserverait les archives du ministère est-allemand de la Sécurité d’État et les tiendrait à la disposition des citoyens. Ce texte est l’une des principales sources de légitimité brandie par ce service archivistique qui a joué un rôle majeur dans la décommunisation (cf. infra). Par ailleurs, les deux États Allemands furent tous deux signataires du Traité d’unification dans lequel figurent les dispositions cadre concernant les modalités de reprise des personnels administratifs de la RDA dans les administrations de l’Allemagne unifiée. Après l’Unification, les Allemands de l’Est ont été associés au processus de décommunisation à divers niveaux. En 1997, le personnel des services Gauck, par exemple, était composé à 95 % d’Allemands de l’Est15. Ou encore, certaines commissions ministérielles chargées du recrutement et donc de l’examen des dossiers de candidats est-allemands étaient composées pour moitié d’agents publics originaires des nouveaux Länder 16.
8Au-delà d’une similarité contextuelle de surface, on note toutefois une grande différence entre l’expérience de l’après-1945 et celle de l’après-1990. Si, dans le premier cas, les deux futurs États allemands ont tout d’abord subi l’épuration conçue par les Alliés puis en ont progressivement assumé seuls la responsabilité, c’est l’inverse qui a caractérisé la décommunisation. La RDA, sombrant dans l’histoire, n’a pu que participer aux toutes premières étapes, qui plus est de façon très modeste, tandis que la RFA a pris en charge l’essentiel du processus de sélection. Ainsi, alors que la dénazification peut être qualifiée de politique à la fois exogène et endogène (plus précisément exogène puis endogène), la décommunisation ne fut que symboliquement endogène, elle fut surtout exogène. En tout état de cause, la présence d’acteurs extérieurs nous impose de chercher à comprendre leur poids respectif dans la mise en œuvre des procédures d’épuration. Nous nous efforcerons d’isoler les enjeux particuliers auxquels ils ont été confrontés.
9La politique de dénazification procéda d’une série de rencontres interalliées dont la conférence de Casablanca peut être considérée comme l’impulsion initiale17. Une conception générale fut formalisée en février 1945, lors de la conférence de Yalta. Tel qu’il figure dans le communiqué, son objectif était d’« écarter toute influence nazie et militaire des institutions publiques, et de la vie culturelle et économique du peuple allemand18 ». On notera qu’il s’agissait d’une épuration à spectre large puisque tous les secteurs de la société étaient concernés et pas seulement l’État et son administration. Malgré la volonté d’uniformiser les politiques d’occupation19, partant, celles d’épuration, des divergences apparurent sur le terrain dès le début. Cela nous semble être dû à trois grandes séries de facteurs. On mentionnera en premier lieu des contraintes pratiques : la situation d’urgence et de chaos dans laquelle se trouvaient les militaires chargés de l’épuration, leur connaissance souvent très limitée de l’Allemagne et, enfin, les exigences parfois irréalistes des premiers textes de dénazification.
10Les situations politiques internes aux puissances d’occupation constituent la deuxième série de facteurs comme l’illustrent les cas américain et français. La politique menée en zone américaine s’expliqua notamment par « l’opinion publique ». Ainsi, dans un premier temps, suite à une attitude trop tolérante envers les anciens nazis20, elle réclama un durcissement de la dénazification. Puis, le contexte général changea. Avec le début de la guerre froide, les États-Unis changèrent d’ennemi : l’URSS prit la place de l’Allemagne nazie. Face au danger du communisme, il fallait aider l’Europe à se reconstruire, ce qui incluait l’Allemagne qui devint, à cette occasion, un nouvel allié. Par ailleurs, la dénazification ralentissait la reconstruction économique, or les États-Unis finançaient les zones ouest pour couvrir les pénuries alimentaires. De leur point de vue, si l’Allemagne pouvait devenir autosuffisante, elle leur coûterait moins cher. Enfin, les politiques de dénazification, perçues comme trop clémentes, affaiblies par la corruption et le « blanchissement21 » des nazis actifs, semblaient manquer leur but. L’ensemble de ces facteurs contribua à un retournement de l’opinion publique qui réclama désormais l’arrêt de la dénazification. La politique française de dénazification, un peu improvisée22, s’articula autour de trois buts qui, eux aussi, s’expliquent largement par le contexte politique intérieur. Elle devait tout d’abord assurer la prétention de la France à redevenir une grande puissance. Ensuite, comme pour l’URSS, la dénazification servait un but de sécurité nationale : l’Allemagne ne devait plus constituer un danger pour la France et, pour cela, sa puissance devait être contrôlée et affaiblie. Enfin, et ici aussi la politique hexagonale rejoint celle des Soviétiques, elle participait d’une logique d’exploitation des ressources économiques allemandes. À cela s’ajoute une méfiance profonde des dirigeants français à l’égard des Soviétiques. Ceci les conduisit à adopter une attitude d’obstruction à la politique interalliée de dénazification qui est tenue pour responsable de l’échec de l’administration du Conseil de contrôle23. On voit, à l’exemple des zones française et américaine, comment les situations politiques internes ont pu à la fois influencer les conceptions sous-tendant la dénazification et aboutir à la poursuite d’objectifs incompatibles. Ainsi, alors que les Américains étaient soucieux de ne pas trop affaiblir économiquement l’Allemagne occidentale de façon à ce qu’elle résiste à la tentation d’une révolution socialiste, les Français, désireux de faire payer des réparations de guerre à l’Allemagne, leur ennemi séculaire, étaient peu sensibles à cet aspect politique et visaient un objectif économique opposé à celui des Américains.
11Enfin, troisième et dernière série de facteurs explicatifs, les mesures de dénazification s’inscrivaient aussi dans des processus de transition visant à instaurer des régimes particuliers. Sur ce point s’opposèrent, d’un côté, les trois zones de l’ouest et, de l’autre, la zone soviétique. Dans les premières, les puissances alliées articulèrent leur politique d’occupation à la mise en place d’une démocratie libérale pluraliste. Il s’agissait donc d’un processus exclusivement politique à l’occasion duquel les structures économiques ne devaient pas subir de modification substantielle. L’expérience weimarienne n’ayant pas été jugée totalement incompatible avec le nouveau modèle libéral démocratique, les nouvelles administrations purent puiser parmi l’ancien personnel de Weimar en reproduisant l’essentiel du spectre politique de l’époque24. La situation était très différente en zone d’occupation soviétique puisqu’il s’agissait d’y implanter un régime socialiste. La transition politique n’était plus qu’un aspect d’une transformation sociétale totale qui touchait l’État, l’économie, la culture, les rapports sociaux, etc. Dès lors, l’éloignement des élites étatiques nationales-socialistes était l’occasion à la fois de les remplacer, autant que possible, par des membres du parti communiste puis du SED25 et de remplacer les grands propriétaires terriens et la grande bourgeoisie par des personnes d’extraction ouvrière, rurale ou encore des petits employés. En 1950, 49 % du personnel de l’appareil d’État était d’origine ouvrière et ne disposait quasiment pas d’expérience administrative26.
12La situation était, d’une certaine manière, beaucoup plus simple en 1990, du fait du plus petit nombre d’acteurs en présence. Les possibilités de divergences d’un Land à l’autre étaient d’autant plus limitées (mais cependant réelles) que la décommunisation fut réalisée dans un cadre juridique et institutionnel uniforme dès le départ – celui de la RFA. Les plages de divergences se situaient dans l’interprétation des normes et non pas, comme en 1945, dans leur définition.
13L’épuration consécutive à l’Unification s’est produite dans un contexte historique inédit au sein duquel il importe de discerner trois principales facettes. Tout d’abord, sur le plan idéologique, la RFA avait hérité de son histoire une méfiance profonde et séculaire à l’égard des communistes. On se souviendra que la Cour constitutionnelle fédérale avait prononcé la dissolution du parti communiste (KPD) en 1956 et qu’il fallut attendre 1968 avant qu’il ne renaisse de ses cendres. Ensuite, l’État allemand retrouvait son statut d’État « normal » sur la scène internationale. Enfin et surtout, l’Unification marquait la fin d’une rivalité entre les deux États sous la forme d’une victoire du modèle ouest-allemand. Sur le plan intérieur, ceci entraînait un triple défi. Social tout d’abord, puisqu’elle impliquait un processus de fusion de deux sociétés qui avaient évolué de façon très différente pendant quarante ans. Politique et économique ensuite, puisqu’elle imposait l’extension des modèles étatiques et économiques ouest-allemands dans les nouveaux Länder. Au fond, un peu comme la dénazification en zone soviétique, la décommunisation s’est inscrite dans un processus de transformation globale de la société est-allemande. Il fallait, en quelque sorte, défaire ce qui avait été fait ; ironie de l’histoire, donc, l’Allemagne de l’Est basculait du socialisme réel et de l’économie planifiée vers une démocratie libérale et l’économie de marché. L’ensemble de ces facteurs et peut-être principalement la contrainte sociale explique sans doute que la politique de décommunisation fût limitée à la sphère stato-administrative. La transformation du secteur économique se bornait à une restructuration des modes de production, et ne comportait pas de politique d’épuration27.
14De ce qui précède ressort l’idée que les politiques d’épuration ne dépendent pas tant des personnes visées par les mesures de sélection politique que des acteurs les réalisant et du contexte historique qui leur donne naissance. S’il semble convaincant de considérer « qu’on ne peut rendre compte de l’histoire de l’épuration politique en Allemagne qu’en concevant la dénazification à la fois comme une fonction de la politique d’occupation, en en faisant par là même une variable dépendante de processus décisionnels internationaux, et comme la résultante de nombreuses impulsions [...]28 », il l’est tout autant de considérer la politique de décommunisation à son tour comme un aspect des politiques de réalisation de l’Unification et comme la résultante de nombreux facteurs liés à la société ouest-allemande. Cependant, une donnée de fond distingue ces deux politiques et fournit une explication au fait que la dénazification s’est assumée comme telle, tandis que l’État allemand unifié se défend toujours d’avoir épuré l’appareil d’État est-allemand. Alors que la dénazification fut largement menée par des acteurs extérieurs, la décommunisation fut mise en œuvre par un État initialement tiers ayant cependant vocation à devenir l’État légitime des personnes qu’il soumettait à une sélection politique. Si les Américains pouvaient concevoir une politique d’épuration dans laquelle « la fraternisation avec les fonctionnaires et la population allemande [serait] sévèrement entravée29 », l’État ouest-allemand devait tout mettre en œuvre pour que les deux sociétés puissent désormais « croître ensemble », comme l’exprima Willy Brandt au lendemain de l’ouverture du Mur. Par ailleurs, la différence historique entre les deux Allemagnes entraînait une autre conséquence sur les modalités de réalisation de la décommunisation. La RFA de 1990 avait déjà accumulé une lourde expérience en matière d’épuration, lorsqu’elle fit face à la nécessité de mettre sur pied des administrations dans les nouveaux Länder, ce qui n’était pas le cas des Alliés au sortir du second conflit mondial. Au-delà du fait que les politiques de 1945 et de 1990 furent élaborées dans un contexte de transition démocratique, la diversité des acteurs en présence, dotés d’expériences inégales et faisant face à des enjeux particuliers, s’est transposée dans les conceptions qui ont sous-tendu l’élaboration de ces politiques.
Entre purge et loyalisme : deux logiques de sélection pour un même résultat ?
15L’analyse des politiques publiques a montré que celles-ci véhiculent et catalysent des visions (sectorielles) du monde. Il est intéressant en soi d’analyser les politiques d’épuration sous cet angle, mais cela nous permet aussi, dans le cadre de notre comparaison, d’utiliser un paramètre supplémentaire pour étudier le lien entre dénazification et décommunisation. La recherche des référentiels de justification qui sous-tendent et sont portés par ces politiques révèle rapidement plusieurs niveaux de sens. En nous inspirant de M. Walzer, il nous semble possible de hiérarchiser ces niveaux de sens dans un continuum allant d’un sens « fin » vers un sens « épais »30.
16Défini comme minimal, le sens fin est par essence fédérateur. N’entrant pas dans le détail des mots et des idées, il en reste à un niveau de généralité tel qu’il semble valable dans de multiples contextes et peut ainsi susciter l’adhésion d’acteurs nombreux et variés. Transposé dans le domaine des politiques publiques, le sens fin correspondrait à celui que l’État diffuse vers l’extérieur pour présenter ses politiques (à ses citoyens, aux médias, aux segments sociaux directement concernés, etc.). Il permet de présenter l’esprit général d’une politique, sans entrer dans le menu détail de sa mise en œuvre. De ce point de vue, les politiques de dénazification et de décommunisation, au nom de la démocratie, de la liberté, de l’État de droit et des droits de l’homme, visent d’un côté à punir des coupables et de l’autre à se prémunir contre d’éventuels futurs chevaux de Troie. La décommunisation intégra en outre la dénazification comme critère de positionnement : la première pouvait aussi être vue comme une occasion de ne pas « rater » ce qui l’avait été par la seconde31. Bien qu’accordant un poids inégal à ces registres de justification32, elles se sont toutes deux placées dans un double registre, à la fois moral et stratégique. À ce niveau d’analyse, elles semblent donc procéder d’une même logique, et l’idée que l’une serait l’ancêtre de l’autre peut paraître convaincante.
17En revanche, chercher à saisir le sens d’une politique dans toute son épaisseur complique les choses car cela conduit à dissocier le sens énoncé de celui induit par les mesures concrètes. Autrement dit, il ne s’agit plus de rechercher la justification globale d’une politique mais les référentiels des actions publiques constitutives de cette dernière. Or, en 1945 comme en 1990, l’action publique obéit à une grammaire propre, élaborée au fil du temps. Elle s’est fondée sur des règles de jeu supposées connues. Dans un environnement revendiquant une culture d’État de droit : 1) tout n’est pas permis ; 2) chaque acte étatique doit être accountable notamment au regard des normes juridiques – quitte à produire des normes ad hoc. Pour des raisons que nous avons déjà évoquées, la dénazification a reposé sur une politique conçue par plusieurs acteurs collectifs, parmi lesquels les Américains ont eu une influence prépondérante. Or, ces derniers avaient peu d’expérience dans ce domaine. Par ailleurs, malgré son expérience en matière de sélection politique, l’État allemand, vaincu et démantelé, n’avait aucune légitimité pour contribuer à fournir un cadre de référence aux Alliés – au contraire, les Allemands se voyaient imposer les décisions de ces derniers. Pour ces raisons, les mesures de dénazification ont été orientées à partir de principes généraux (démocratie, libéralisme, éviction et punition des coupables, etc.). Leur élaboration et mise en œuvre ont répondu à une logique largement incrémentale évoluant à la fois différemment dans chacune des zones et administrations d’occupation et au gré des frictions entre les puissances alliées au sein du Spécial Branch, service du Conseil de contrôle chargé de la dénazification. De surcroît, la structure administrative interalliée était d’une telle complexité qu’elle aboutit à une production très imposante de normes en un laps de temps somme toute très court, ce qui contribue à brouiller la recherche d’un référentiel unique. L’ensemble de ces facteurs explicatifs semble interdire de parler d’une politique de dénazification – sauf par commodité de langage. On peut également soutenir l’idée qu’il s’agit d’une politique sans tradition ni mémoire, car elle fut essentiellement élaborée ad hoc.
18La situation s’est présentée de façon très différente en 1990. La RFA, nous l’avons vu, s’est trouvée seul maître à bord à partir du 3 octobre pour organiser la sélection politique. Nous avons pu, dans le cadre de recherches menées sur les politiques de recrutement d’agents publics en Brandebourg et en Saxe après l’unification33, avoir accès à une circulaire émanant du ministre fédéral de l’Intérieur qui répond sans équivoque à la question qui nous intéresse ici. Cette circulaire, datée d’octobre 199034 a été rédigée à l’attention des « plus hautes autorités administratives des Länder ». Elle expose les principes qui devaient être appliqués pour recruter des fonctionnaires originaires des nouveaux Länder dans les administrations publiques fédérales35.
19Ce document comporte plusieurs parties. Il est sans doute significatif que la première porte sur les exigences de compétences professionnelles spécialisées et sur le statut juridique à partir duquel les candidats pouvaient postuler. Mais c’est surtout la seconde partie qui nous intéresse puisque c’est elle qui aborde la question politique. Le texte rappelle que les candidats devaient « offrir la garantie qu’ils s’engageraient] [...] en faveur de l’ordre libéral démocratique ». Cette formule est une reprise presque mot pour mot d’une disposition figurant dans la Loi fondamentale36, dans la loi-cadre sur la fonction publique37 et dans la loi fédérale sur la fonction publique38. La circulaire de 1990 explique ensuite comment cette formule doit être comprise et renvoie pour cela à la très célèbre jurisprudence du Tribunal constitutionnel fédéral du 22 mai 197539. Or, cette jurisprudence concerne l’examen de loyauté auquel sont soumis tous les candidats à la fonction publique allemande. Cette référence est donc cruciale car elle indique que, pour ce qui est de la conception de la sélection politique, la décommunisation ne s’est pas basée sur la dénazification mais sur une autre tradition, beaucoup plus ancienne, celle de l’obligation de loyauté – la Treuepflicht, introduite dès la fin du xviiie siècle dans la fonction publique. Par ailleurs, cette jurisprudence est fortement liée à un contexte politique particulier. Pour comprendre la décision de la cour de Karlsruhe, il faut sans doute remonter au moins à 1972, époque à laquelle les gouvernements fédéral et des Länder ont adopté une décision commune qui a provoqué une grande émotion en Allemagne et à l’étranger : le fameux « décret des radicaux40 ».
20La décennie soixante-dix, sans doute du fait des vagues de terrorisme de la Fraction armée rouge, a été l’occasion de nombreuses prises de position, discours et autres décisions émanant des gouvernements (fédéral ou régionaux), du chancelier, du Bundestag ou encore du Tribunal de Karlsruhe qui révèlent les tentatives de l’État fédéral d’affiner son attitude historiquement hostile à l’égard des opposants politiques candidats à la fonction publique. Un long chemin politique a été parcouru au cours de cette décennie. La sévérité initiale du décret de 1972 s’inscrivit dans un contexte particulier qu’illustre bien cet extrait d’une déclaration télévisée de Willy Brandt, alors chancelier : « Il faut [...] être d’accord sur le fait que nous ne pouvons ni accepter ni tolérer les violences. Ce serait une méprise que de croire que la démocratie libérale que nous avons bâtie sur les gravas de la dictature et de la guerre serait un État mou41. » À partir du décret de 1972, une procédure routinisée fut mise en place pour traiter des centaines de milliers de cas42. Mais les inquiétudes, en Allemagne ou à l’étranger, sur un retour à des pratiques autoritaires, ont incité le gouvernement fédéral à multiplier les déclarations rassurantes et à assouplir son attitude qui s’était avérée plus néfaste qu’autre chose. Le gouvernement finit par admettre que sa dureté avait surtout contribué à saper la confiance que les citoyens et les fonctionnaires avaient développée à l’égard de la RFA En 1979, le gouvernement fédéral s’exprimait ainsi : « ceci était – comme nous le savons aujourd’hui – une mauvaise réponse aux dangers de noyautage de la fonction publique par l’extrême droite ou gauche. » Cette procédure a « plutôt affaibli que renforcé la substance démocratique » de la RFA et « en particulier, cette procédure a éloigné la jeune génération de notre Constitution43 ». Entre ces deux dates, le texte de 1972 a surtout été battu en brèche par la jurisprudence de 1975 qui rappelait l’État au respect des libertés publiques reconnues dans la Loi fondamentale. Dans la tradition allemande, l’obligation de loyauté impose aux administrations de ne recruter un candidat que si elles ont la conviction que celui-ci sera loyal. Cette jurisprudence a fixé les principes et règles que les administrations doivent respecter lors de l’examen de la loyauté des candidats à la fonction publique. Elle ne règle sans doute pas toutes les interrogations suscitées par cet examen, mais en balise fermement la procédure. Ainsi, son objectif est de porter sur un candidat un « jugement » qui est en même temps un « pronostic » pour l’avenir. Cet examen ne doit pas être disproportionné et requiert un traitement au cas par cas. Les méthodes de recueil d’information sont l’entretien (essentiellement celui précédant le recrutement) et l’observation du candidat lors des deux stages (Vorbereitungsdienst et Probezeit). L’administration ne peut se fonder sur l’opinion du candidat, il lui faut des agissements. À ce titre, si l’appartenance à une organisation constitue un indice fort, elle ne peut en aucun cas être utilisée comme un critère automatique. De plus, l’examen de la loyauté est réalisé lors des périodes de stage mais une fois examinés tous les autres critères de recrutement, notamment celui de la compétence professionnelle. Enfin, l’administration de recrutement ne peut s’adresser aux services de renseignements (Verfassungschutz) qu’en cas de doutes sérieux, donc pas de façon systématique, et doit être particulièrement attentive à ne pas sanctionner avec excès les « péchés de jeunesse » (sic).
21Cette jurisprudence, dont nous verrons ultérieurement les implications pratiques, a été le fruit d’un contexte particulier. Elle montre comment la RFA, instaurée deux décennies auparavant, a fait face à une menace politique particulière – le terrorisme – en s’efforçant de canaliser son action et sa rhétorique dans les espaces définis par les règles du jeu traditionnelles, en acceptant tout au plus d’adapter ces espaces. À son tour, le renvoi du ministère fédéral de l’Intérieur de 1990 à cette jurisprudence fondamentale portait en lui tout le travail politique fait par la RFA autour de ces questions. Il indique clairement que la décommunisation est l’héritière d’une politique de sélection politique visant à se protéger contre des opposants et « extrémistes » politiques au nom de l’obligation de loyauté. De ce point de vue, la décommunisation s’est très clairement inscrite dans une logique de path dépendance, s’éloignant ainsi de la dénazification.
22À l’issue de cette analyse de l’élaboration de la dénazification et de la décommunisation, on constate tout d’abord qu’aucune d’entre elles ne peut être analysée comme un bloc de sens cohérent. Des discordances apparaissent à la fois du fait de la multiplicité des acteurs concourant à leur réalisation, mais d’autre part du fait qu’elles se décomposent en segments dotés d’une certaine autonomie de sens. Dès lors, la décommunisation apparaît comme l’héritière d’une trajectoire séculaire de la fonction publique allemande tout en comportant des éléments qui la rapprochent de la dénazification. Mais la tension entre la continuation d’une tradition et l’héritage d’une expérience hors du commun est au plus fort dans les techniques d’épuration mises en œuvre dans le cadre de la dénazification et de la décommunisation.
La sélection politique au concret : les techniques d’épuration
23Une sélection politique ne saurait être réduite à une seule procédure politique, elle comporte aussi et nécessairement une phase technique de traitement de l’information. Pour atteindre leur objectif, la dénazification comme la décommunisation devaient recourir à des techniques permettant, dans un premier temps, de collecter des informations biographiques sur certaines catégories de personnes et, dans un second temps, d’évaluer les informations recueillies.
Les techniques de recueil d’information : l’expérience perfectionnée
24À la fin de la seconde Guerre mondiale, des « enquêtes » de réputation par bouche-à-oreille ont été utilisées pour recruter, avec plus ou moins de bonheur, un personnel administratif fonctionnel. Mais la véritable technique de recueil d’informations utilisée par les gouvernements militaires d’occupation a été celle des questionnaires d’identification détaillés. Le régime de B. Mussolini s’étant effondré avant celui d’A. Hitler, les Italiens avaient été confrontés à l’épuration avant les Allemands. Pour éliminer les fascistes du nouveau régime, ils eurent l’idée d’utiliser des schede personale – « fiches personnelles ». Il semblerait que la section spéciale du QG des forces expéditionnaires alliées (SHAEF), qui avait commencé à réfléchir à la dénazification très tôt, comme en témoigne la mise en circulation dès l’été 1944 du Public Safety Manual of Procedures44, se soit inspirée de l’expérience italienne45. La directive de l’USFET46 du 7 juillet 1945 imposa la technique des questionnaires qui resteront célèbres sous l’appellation allemande de Fragebogen. Très détaillés, ils comportaient cent trente et une questions et visaient à établir le degré d’implication dans le IIIe Reich à partir de la position professionnelle (quelle position hiérarchique occupée dans quelle administration) et de l’engagement politique (quelle position occupée et quelles responsabilités endossées dans quelle organisation politique, NSDAP ou autres organisations parapartisanes). Ils devaient être remplis par chaque fonctionnaire. À la mi-mars 1946, en zone américaine, 1,2 million des 1,39 million de questionnaires remplis avaient été traités ; la moitié concernait des fonctionnaires ou candidats à la fonction publique47. Cette technique de recueil d’information comportait cependant une faiblesse évidente dans la mesure où elle reposait sur l’honnêteté des réponses et donc sur la capacité des individus à s’autoaccuser. Elle n’en a pas moins été reprise en 1990, mais associée, cette fois, à une source d’information inédite qui donna une toute autre dimension aux questionnaires.
25Également précédés par le « bouche-à-oreille » pour les premiers recrutements, les Fragebogen ont fait leur apparition dans les administrations des nouveaux Länder très rapidement après l’Unification. Les questionnaires distribués dans le Land de Saxe auxquels nous avons eu accès demandent, comme après 1945, des informations biographiques sur la profession et les engagements partisan ou associatif du temps de la RDA Toutefois, dans leur première version comme dans leur seconde, ils sont sans commune mesure avec les questionnaires de l’après-guerre : ils comptent une dizaine de questions, pas davantage. Par ailleurs, des indications méritant quelque attention figuraient sur la dernière page. Dans la première version, elles mettaient premièrement en garde contre toute réponse erronée précisant que c’était là un motif de rupture du contrat de travail. Deuxièmement, elles comportaient une déclaration du candidat donnant son accord pour que soient consultées et utilisées ses données personnelles contenues, notamment, dans les dossiers du ministère de la Sécurité de Berlin-Est. Il fut précisé, dans la seconde version de ce questionnaire, que des réponses positives « n’[entraînaient] pas nécessairement un rejet de la fonctionnarisation » mais permettaient « à l’employeur de procéder à un examen au cas par cas, juste et auquel chaque candidat a droit ». Cette précision montre à quel point le Land de Saxe était conscient du degré de perversité de ces questionnaires (qui s’accuserait sachant – ou croyant – qu’il encourt un licenciement ?) et qu’il a cherché à désamorcer les stratégies de dissimulation d’information en rassurant les candidats.
26À notre connaissance, la technique des questionnaires n’a pas été utilisée dans la fonction publique allemande avant 1945. Nous pensons donc pouvoir avancer l’idée que son utilisation dans les nouveaux Länder procède de l’expérience de la dénazification. Mais le peu d’informations demandées dans les questionnaires de 1990 ne laisse pas de surprendre et invite à s’interroger sur leur raison d’être. Nous émettons ici l’hypothèse que ces questionnaires étaient particulièrement succincts parce que les administrations disposaient d’une autre source documentaire beaucoup plus volumineuse et qu’elles considérèraient comme bien plus fiable : les archives du ministère est-allemand de la Sécurité d’État48. Il est extrêmement rare qu’un État ait un accès quasiment illimité aux archives des services de renseignement d’un autre État. Disposant d’une telle richesse d’informations, tout porte à croire que les questionnaires remplissaient désormais un rôle très différent. En effet, pour chaque candidat à un emploi dans l’administration, les services du personnel recueillaient un questionnaire et interrogeaient le BstU, chargé de la gestion des archives du MfS49, sur l’existence éventuelle d’un dossier au nom de la personne concernée. Ainsi, entre l’Unification et l’été 1997, presque 1,5 million d’enquêtes sur des personnels de la fonction publique avaient été ouvertes, dont 79 % dès 1993. À l’été 1997, 97 % de ces demandes avaient été traitées50. En janvier 1997, le ministère de l’Agriculture du Land de Saxe avait déposé, au total, 3 383 demandes de dossiers. À cette même date, 93,2 % avaient été traitées dont 93,3 % étaient revenues sans mention de collaboration avec le MfS51. Lorsque les services Gauck trouvaient un dossier portant le nom du candidat, les informations de ce dossier étaient comparées à celle fournies dans les questionnaires. Toute contradiction ou information suspecte donnait lieu à une confrontation avec le candidat. Selon le cas, celui-ci était maintenu en poste ou licencié. Il n’y avait donc pas de licenciement automatique. Dans ces conditions, les questionnaires constituaient une première source d’information en attendant la réponse du BStU. Confrontés aux résultats de la recherche menée par ce service, ils constituaient de surcroît un redoutable test d’honnêteté – aspect crucial dans une fonction publique qui impose une obligation de loyauté à ses fonctionnaires. Enfin, ils constituaient une potentielle preuve écrite en cas de conflit porté devant un tribunal.
27La comparaison entre les deux techniques de recueil d’information mises en œuvre en 1945 et en 1990 révèle tout d’abord une similarité évidente pour ce qui est du recours aux questionnaires. Ensuite, on observe que les enquêtes biographiques de l’après-Unification comportaient une consultation systématique des archives des services de renseignement est-allemands. En cela, elles ont évidemment différé de l’expérience de 1945. Cependant, ceci tient au fait que les administrations de 1990 ont bénéficié d’un moyen historiquement exceptionnel pour pousser encore plus loin la logique d’investigation développée un demi-siècle auparavant. Mais avant tout, ces enquêtes se sont très clairement écartées des principes prônés par la jurisprudence de 1975 pour laquelle le recours aux informations des services de renseignement doit rester exceptionnel. Ces éléments tendent à établir que sur le point précis du recueil d’informations, la décommunisation s’est non seulement inspirée de la dénazification mais qu’elle l’a perfectionnée. Par là même, elle s’est éloignée des pratiques traditionnelles de sélection politique fondée sur l’obligation de loyauté.
Le traitement des informations biographiques : l’apprentissage par l’erreur
28Les mesures de sélection politique devaient résoudre la question du traitement des informations biographiques recueillies : comment utiliser ces informations pour écarter certaines personnes et en maintenir d’autres ? La réponse comporte deux dimensions liées mais distinctes. La première, et la plus évidente, semble être l’élaboration de catégories et de critères définissant des degrés d’implication dans le régime passé. Ceux-ci permettent de dire « en toute objectivité » qui a été trop impliqué et qui ne l’a pas été. L’évaluation de ces informations soulève alors le problème de l’utilisation de critères automatiques. La seconde dimension tient aux effets du classement dans telle ou telle catégorie. Quelle sanction est encourue ? Est-elle d’ordre strictement professionnel ?
29Le Public Safety Manual of Procedures du SHAEF avait préconisé quatre catégories pour classer les fonctionnaires allemands. La catégorie « mandatory removal » concernait les nazis actifs qui devaient être impérativement écartés. La catégorie « discretionary removal » visait les personnes pour lesquelles une activité nazie avait été prouvée, mais dont la gravité n’était pas suffisante pour justifier un retrait obligatoire. La catégorie « no objection » signifiait qu’aucune activité nazie n’avait été prouvée. Enfin, dans les cas où une preuve d’activité anti-nazie avait pu être prouvée, la personne était classée dans la catégorie « employment recommended » 52 La directive américaine JCS 1067, adoptée en avril 1945 par les Joint Chiefs of Staff, posa trois principes de traitement de l’information : 1) tout membre du NSDAP qui était plus qu’un membre nominal devait être écarté ; 2) celui qui avait occupé un poste ou avait été actif dans le parti ou dans une organisation satellite à un niveau local ou national devait être considéré comme plus qu’un membre nominal ; 3) les nécessités administratives ne pouvaient être considérées comme une raison pour ne pas écarter une personne. Cette directive posa donc le principe de critères automatiques d’arrestation, principe qui fut renforcé et élargi par une autre directive américainedu 7 juillet 1945 (restée en vigueur jusqu’en juin 1946), suite à la crise d’Aix-la-Chapelle et en réponse à la crainte d’une guérilla nazie53. La directive n° 24 sur le retrait des nazis et personnes hostiles aux intérêts alliés, adoptée le 12 janvier 1946 par le Conseil de contrôle, devait rendre ces deux directives obligatoires dans les quatre zones. Finalement, la catégorie des « retraits obligatoires » fut définie par 125 critères dont, le fait d’avoir été membre du NSDAP avant le 1er mai 1937 et, indépendamment de toute appartenance partisane, l’occupation de positions élevées dans la fonction publique en remontant hiérarchiquement à partir des chargés de mission (Referent), pour ce qui est des administrations ministérielles54. Début août 1945, les autorités américaines estimèrent que 80 000 personnes avaient été arrêtées sur la base des « arrestations automatiques » et 70 000 fonctionnaires avaient été mis à pied pour activisme national-socialiste55. En septembre, les autorités américaines commencèrent à croire que les catégories d’arrestation étaient peut-être trop larges...56 À la fin de l’année 1945, 118 000 personnes avaient été internées57. Fin mars 1946, 23 % des fonctionnaires relevaient de la catégorie des retraits obligatoires et 8 % de celle des retraits conseillés58. Au total, en zone américaine, la fonction publique a connu un taux de mise à pied de 42 %59. La politique américaine de dénazification, après avoir suscité un scandale du fait de son laxisme initial60, suscita par la suite de nombreuses critiques en raison de sa sévérité. À titre de comparaison, à la fin de l’année 1945, une personne sur cent quarante-deux avait été internée en zone américaine, une sur cent quarante-quatre en zone soviétique, une sur deux cent soixante-trois en zone française et une sur deux cent quatre-vingt-quatre en zone britannique61. Mais en fait, les Allemands ne reprochèrent pas tant la quantité de personnes concernées que le recours aux critères automatiques qui ne permettaient pas de distinguer les « suiveurs » sans réelle fonction ou ayant eu un rôle minime des activistes qui n’avaient pas leur carte du NSDAP62. Cette « grave faute politique et psychologique63 » reposait sur la croyance que seuls des Allemands qui connaissaient le IIIe Reich disposaient des connaissances nécessaires pour distinguer les activistes des « suiveurs » – croyance qui était sans doute fondée. Les réponses négatives que reçut cette politique entraînèrent une nouvelle réorientation qui se caractérisa par un adoucissement et par l’instauration de l’examen au cas par cas.
30Pendant que les Alliés tentaient de dénazifier la société allemande, les Allemands de la zone américaine travaillaient à l’élaboration d’un texte qui devint la loi sur la libération du nazisme et du militarisme du 5 mars 1946. Cette loi fut élaborée dans des conditions particulièrement houleuses non seulement du fait du désaccord entre Américains et Allemands, mais aussi parce que ces derniers ne partageaient pas tous la même vision de la dénazification. Alors que les Allemands croyaient avoir terminé leur projet de loi sur la dénazification, que les Américains jugeaient trop imprécis, partant trop conciliant, le Conseil de contrôle adopta la directive n° 24 dont l’objectif était de renforcer et d’uniformiser la politique de dénazification64. La directive définissait notamment une catégorie de personnes passibles d’une mise à pied obligatoire à partir d’une liste extrêmement détaillée de fonctions occupées dans des organisations partisanes du IIIe Reich considérées incompatibles avec le maintien en poste après 194565. Lorsque les Américains transmirent la directive aux Allemands, ceux-ci, une fois le premier choc passé, la rejetèrent. Il fallut un ultimatum des Américains pour qu’ils acceptent d’aligner leur projet de loi sur cette nouvelle directive66. Ils considérèrent la liste des sanctions comme un diktat américain, mais la loi allemande finit par être adoptée, sans doute parce que les Américains acceptèrent des compromis de taille : les Allemands se virent confier l’interprétation et l’application de la loi, des formules « élastiques » furent autorisées67, ce qui permit de transformer des personnes qualifiées formellement de nazies en « suiveurs ». Ce « troc » s’explique sans doute par l’importance que les Américains accordaient à l’existence de cette loi : cette dernière devait confier aux Allemands la responsabilité de la dénazification et permettre un désengagement américain. Au total, cette loi apparaît surtout comme « un appareil institutionnel fournissant un cadre dans lequel les anciennes différences de conceptions pouvaient perdurer sous une autre forme agrégée68 ». Concrètement, la loi du 5 mars 1946 était très proche des mesures de dénazification pratiquées jusqu’alors. Elle imposait à tous les Allemands de plus de dix-huit ans de remplir (à nouveau !) un questionnaire (qui ne comportait plus que quatorze questions). Reprenant le principe de catégorisation des textes américains, elle définit cinq catégories permettant de déterminer les « coupables » (principaux coupables – Hauptschuldige, personnes impliquées – Belastete, personnes peu impliquées – Minderbelastete, suiveurs – Mitlàufer, disculpés – Entlastete). Une annexe particulièrement détaillée énumérait toutes les positions et fonctions correspondant à chacune des cinq catégories, mais assouplit la directive n° 24 en distinguant les « coupables » et « activistes » d’une part, et les « suiveurs » de l’autre, faisant ainsi disparaître les catégories intermédiaires69. La loi innova en instaurant des instances judiciaires spéciales (Spruchkammer) chargées de se prononcer sur les dossiers. Les sanctions possibles étaient nombreuses et comportaient, dans les cas les plus graves, un internement en camp de travail pendant dix années. Mais au fond, la loi allemande de dénazification poursuivait un double but. Elle devait permettre de trouver les « vrais coupables » tout en concentrant ses efforts sur les possibilités de réhabilitation70. Le zèle déployé pour atteindre ce second but ainsi que de nombreuses faiblesses constitutives du dispositif allemand de dénazification transformèrent ce cadre juridique en une « usine à fabriquer des suiveurs71 ».
31Le traitement des informations biographiques fut moins chaotique (mais certes pas parfait) après l’Unification allemande à la fois du fait de l’unité et de la stabilité du cadre institutionnel et du fait de l’expérience de la dénazification. Ici aussi, la circulaire du ministre fédéral de l’Intérieur de 1990 permet d’éclairer les modalités d’évaluation des informations biographiques. Trois « catégories72 » sont distinguées. La première reprend en fait les dispositions du Traité d’unification. Elle vise les personnes ayant porté atteinte aux droits de l’homme73 du temps de la RDA et/ou ayant exercé une activité pour le MfS (ou son successeur l’AfNS). La seconde catégorie regroupe les « candidats qui se sont exposés dans le système politique de la RDA » en occupant des fonctions au sein du SED. ou dans des organisations de masse74. La troisième catégorie est ouverte et vise les personnes ayant occupé d’« autres fonctions importantes [...] dans le système de la RDA », ce qui traduit la grande prudence du ministre fédéral de l’Intérieur et, sans doute, une incertitude ambiante concernant la délimitation du cercle des personnes indésirables. La circulaire ne met pas sur un pied d’égalité ces catégories dans la mesure où la première dépasse la question de l’examen de la loyauté (le registre de l’atteinte à des droits constitue une passerelle vers l’institution judiciaire induisant une pénalisation de la « faute » et de la sanction encourue), alors que les autres permettent d’établir un doute sur la loyauté des candidats à la fonction publique, et partant de bloquer le recrutement. Par ailleurs, la circulaire affine le critère positionnel en introduisant des sous-critères dont l’ambition explicite est de permettre un examen au cas par cas. Ceci montre clairement que le ministre de l’Intérieur a suivi l’esprit de la jurisprudence de 1975. Il fut ainsi recommandé aux administrations de prendre en compte : a) la hauteur de la fonction exercée ; b) le nombre de fonctions exercées ; c) la distinction entre les fonctions exercées à titre principal et celles à titre secondaire ; d) la nature de la fonction au sein du SED La circulaire apporte une autre indication : un candidat qui était refusé exclusivement parce qu’il existait un doute sur sa loyauté devait être entendu et avoir la possibilité de convaincre son futur employeur public qu’il avait « pris ses distances par rapport au système communiste ». Cette précision confirme la différence déjà évoquée entre les candidatures qui restaient une affaire interne à l’administration et celles qui relevaient de l’institution judiciaire. Si les administrations fédérales et les Länder ont appliqué avec plus ou moins de sévérité cette circulaire75, on retrouve effectivement dans les administrations allemandes quelques personnes (certes très peu nombreuses) qui ont soit travaillé officiellement pour le MIS76, soit été répertoriées comme collaborateurs officieux par le MfS ou encore des personnes ayant occupé des fonctions mineures dans le SED ou dans d’autres organisations mais qui ont toutes pour point commun d’avoir réussi à convaincre leur employeur de les recruter et/ou de les maintenir en poste77. On peut donc émettre l’hypothèse que, sur la question du recours aux critères automatiques, l’expérience de la dénazification a été l’occasion d’un apprentissage par l’erreur.
32Les sanctions résultant d’une implication jugée trop grande avec le régime est-allemand ont fondamentalement différé de celles prononcées après 1945, qui marquaient la fin d’un conflit militaire. La sévérité des sanctions a été sans commune mesure avec celle de 1990. En effet, les fonctionnaires jugés trop proches du IIIe Reich pouvaient, dans le meilleur des cas, être mis à pied, dans le pire des cas, être internés – parfois dans des conditions très difficiles, notamment en zone soviétique. À l’inverse, il n’y a pas eu de mesures de privation de liberté massives après 1990 ; la mise à pied constitua dès lors la sanction la plus sévère. Sur le plan juridique, le Traité d’unification a posé les bases de deux régimes de licenciements, ce qui constitue une « innovation » exceptionnelle dans la fonction publique78. Les administrations pouvaient prononcer un licenciement dit « ordinaire » pour des raisons en principe non politiques telles que le démantèlement d’une administration est-allemande par disparition totale et définitive ou par absorption dans une administration ouest-allemande, ou encore l’absence de besoin de service qui rendait un employé superflu ou, enfin, le manque de compétence. La possibilité de prononcer un licenciement pour défaut de « qualités personnelles » (persönliche Eignung) ouvrait la porte à des licenciements politiques non avoués79. Par ailleurs, le Traité instaura des licenciements extraordinaires pour les cas où un candidat aurait porté atteinte aux droits de l’homme ou aurait eu une activité pour le MfS – première catégorie visée dans la circulaire de 1990. Mais cette dernière recommande également le recours à ce type de licenciement pour les personnes relevant de la seconde catégorie (appartenance au SED ou à des organisations de masse). Le Traité a donc doté les administrations d’instruments juridiques exceptionnels leur permettant, entre autres80, d’écarter les profils indésirables. En tout, 16 655 fonctionnaires fédéraux originaires de la RDA ont été licenciés sur la base d’un licenciement « ordinaire » et 1 342 sur la base d’un licenciement « extraordinaire »81, à quoi il faut rajouter 15 695 employés est-allemands qui ont quitté l’administration fédérale sur la base d’un « contrat de dissolution82 ».
33Par ailleurs, des documents que nous avons obtenus auprès des ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture en Saxe ont révélé une gradation de sanctions plus subtile que le licenciement pur et simple. Selon le type de responsabilité endossée en RDA, une personne pouvait éventuellement être recrutée dans l’administration, mais se voir refuser la fonctionnarisation ou se la voir refuser dans la catégorie la plus élevée. La sanction pouvait aussi consister en une rétrogradation ou en une mutation dans une administration de rang inférieur. La différence entre la gamme de sanctions possibles en 1945 et en 1990 n’est pas seulement intéressante à titre anecdotique. Le fait que la Saxe, qui a pourtant épousé une vision classique de la fonction publique allemande83, ait développé des sanctions graduées permettant le maintien en poste, ou du moins dans les rangs de l’administration, d’agents publics ayant été impliqués, certes de façon minime, dans le régime est-allemand, voire ayant parfois appartenu au SED, témoigne d’une évolution historique. En effet, la contrainte de l’Unification a, pour la première fois, permis le recrutement massif de personnels d’obédience communiste. La gamme de sanction appliquée après 1990 révèle de ce point de vue une double rupture, tant par rapport à l’expérience de 1945 que par rapport à l’instrumentalisation traditionnelle de l’obligation de loyauté par l’État allemand pour écarter les communistes de la fonction publique.
34Malgré les efforts pour intégrer des Allemands originaires des nouveaux Länder à divers niveaux de la procédure de sélection, les fonctionnaires et employés administratifs est-allemands ont souvent considéré que les dossiers de candidature avaient été traités par des Allemands de l’Ouest qui ignoraient tout ou presque de la RDA En même temps, ils reconnaissaient qu’il fallait absolument procéder à un tri afin d’écarter les personnes qui avaient été trop proches du régime est-allemand. Il convient alors d’attirer l’attention sur la question de la légitimité des personnes ou autorités non-nationales participant aux procédures d’épuration. Leur manque de connaissances est très fréquemment soulevé et évoqué pour remettre en question la pertinence et l’efficacité des mesures prises. Ceci se vérifie après 1990 comme après 1945, les Alliés ayant largement manqué de connaissances détaillées sur le fonctionnement de l’État sous le IIIe Reich et les Allemands de l’Ouest sur la RDA Par ailleurs, à la critique des Alliés formulée par les Allemands de l’après-guerre a répondu celle des Allemands de l’Ouest, notamment de gauche, qui ont reproché l’absence de résultats de l’épuration menée par les Allemands à partir de 1946. Cette « usine à fabriquer des suiveurs », décriée par l’historien Lutz Niethammer, montre bien que les autorités nationales ne sont pas nécessairement plus à même que les tiers d’épurer efficacement. Si ces derniers pèchent par ignorance, les premiers pèchent par indulgence. Au fond, la réception de ces politiques d’épuration, exogène ou endogène, témoigne surtout de la difficulté d’une société à rompre avec un passé qu’elle ne peut plus accepter mais qui fait partie de sa mémoire collective comme des mémoires individuelles.
35Qu’il s’agisse de la phase d’élaboration ou de la phase de mise en œuvre, les politiques de dénazification et de décommunisation révèlent tantôt des similarités tantôt des différences. Le contexte historique est sans doute le facteur le plus ambivalent. Alors que les deux politiques sont apparues dans une période de transition démocratique, il s’agissait dans le premier cas de la conséquence d’un conflit militaire particulièrement traumatisant et dans le second cas d’une fusion pacifique d’États, qui était une conséquence lointaine mais heureuse de ce conflit militaire. Ceci explique sans doute la différence dans les sanctions appliquées aux personnes considérées comme trop impliquées dans le IIIe Reich ou dans la RDA Par ailleurs, si la dénazification fut marquée par de nombreuses hésitations en raison de la pluralité des acteurs impliqués et du manque d’expérience, la décommunisation, à l’inverse, a bénéficié à la fois d’un cadre institutionnel stable, du précédent de 1945 et, surtout, d’une tradition séculaire de sélection politique qui a guidé les acteurs politiques et administratifs dans leurs choix, limitant ainsi les hésitations, les contradictions et les réorientations brutales qu’avait connues la politique des Alliés. En revanche, les liens de filiation entre dénazification et décommunisation apparaissent très fortement dans ce que nous avons appelé la phase de mise en application. L’étude des procédures de recueil d’information le montre à double titre. D’une part, la technique du questionnaire a été reprise et, d’autre part, l’esprit d’investigation a été perfectionné grâce à l’utilisation d’une source d’information inédite. Mais on peut également dire que la décommunisation est l’héritière de la dénazification lorsqu’on considère les techniques d’évaluation de ces informations puisque la seconde semble avoir fonctionné comme un contre-exemple pour la première. La mise en évidence de ces ressemblances entre dénazification et décommunisation est importante. Elle permet d’affirmer que cette dernière est une politique hybride. Elle relève par certains aspects d’un mode de sélection politique traditionnel dans l’histoire de la fonction publique allemande. En revanche, par d’autres aspects – et non des moindres – elle apparaît bien comme une politique d’épuration.
Notes de bas de page
1 Voir, par exemple, les études de L. Niethammer, Entnazifizierung in Bayern, Säuberung und Rehabilitierung unter amerikanischer Besatzung, Frankfort, S. Fischer, 1972, 709 p. ; K-D. Henke, Politische Säuberung unter französischer Besatzung. Die Entnazifizierung in Würtemberg-Hohenzollern, Stuttgart, Deutsche Verlags-Anstalt, 205 p. ; I.D. Turner, « Dénazification in the British Zone », dans Reconstruction in Post- War Germany. British Occupation Policy and the Western Zones. 1945-1955, Ian D. Turner, (éd.), Oxford, Berg Publishers Ltd., 1989, p. 239-267.
2 C. Vollnhals, Evangelische Kirche und Entnazifizierung. Die Last der nationalsozialistischen Vergangenheit, Munich, 1989 ; E. Wolfrum, Französische Besatzungspolitik und Deutsche Sozialdemokratie. Politische Neuansatze in der « vergessenen Zone » bis zur Bildung des Südweststaates 1945-1952, Düsseldorf, Droste Verlag, 1991, 366 p.
3 Ce terme s’est diffusé après l’écroulement du bloc soviétique pour désigner les politiques et pratiques visant à écarter les communistes du pouvoir dans certains pays d’Europe centrale et orientale. Bien que ce ne soit pas usuel, nous emploierons également ce terme dans le cas allemand.
4 À tout le moins, on notera que les notions d’« unification » et d’« épuration » renvoient à des registres politiques incompatibles. En effet, la première met deux partenaires égaux face à face tandis que la seconde est la sanction appliquée au vaincu par le vainqueur ; la première résulte d’une association volontaire et la seconde d’un conflit.
5 Le PDS (parti communiste est-allemand rénové) a interrogé le gouvernement fédéral allemand sur ses réactions à un rapport du Comité des droits de l’homme des Nations unies le mettant en cause pour avoir « permis » des licenciements politiques. Les termes exacts employés par le Comité sont : « Le Comité constate avec préoccupation que les critères appliqués pour décider de maintenir en fonction ou de renvoyer des fonctionnaires de l’ex-RDA [...] sont peu précis et risquent de conduire au renvoi d’un poste en raison de convictions politiques ou d’opinions politiques exprimées. Il suggère donc de formuler plus précisément les critères de renvoi de fonctionnaires de l’ex-RDA, afin que nul ne soit démis de ses fonctions en raison de ses convictions ou opinions politiques. » CCPR/C/79/Add. 73, point n° 17, 18 novembre 1996 (traduction officielle de l’ONU). Dans une rhétorique étonnamment positiviste sous la Seconde République allemande, le Gouvernement fédéral a estimé que les licenciements prononcés ne l’ont pas été pour motif politique puisqu’ils « se fondent sur une disposition juridique de l’annexe I [...] du Traité d’unification » laquelle comporte « des critères suffisamment différenciés ». Anwort der Bundesregierung auf die Grofβe Anfrage der Gruppe der PDS – Drucksache 13/8369, Bundestag Druclcsache 13/10809, 27 mai 1998, p. 115.
6 L. Niethammer parle ainsi d’« échec », d’« usine à fabriquer des suiveurs » (Mitläuferfabrik), 1972, p. 335 et 617 ; I. Turner de « fiasco total », 1989, p. 240.
7 Ce que les analyses des politiques publiques ont largement montré. Voir A. Faure, G. Pollet et P. Warin, La Construction du sens dans les politiques publiques, notamment les contributions d’A. Faure, p. 70 et suiv., de P. Muller, p. 157 et suiv. Voir également, pour l’accent cognitiviste, P. Muller, « L’analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie politique de l’action politique », Revue française de science politique, vol. 50, n° 2, 2000, p. 199.
8 C. Vollnhals (dit.), Entnazifizierung. Politische Sduberung und Rehabilitierung in den vier Besatzungszonen 1945-1949, Munich, dtv dokumente, 1991, 359 p. Sauf indication contraire, toutes les traductions sont de nous.
9 Ibid., p. 7.
10 Ibid., p. 8.
11 Les cas sont trop nombreux pour être cités, mais on pense ici, pour se limiter au cadre européen, tant aux transitions survenues en Europe centrale et orientale, comme en Pologne, Républiques tchèque et slovaque, en Hongrie ou dans la CEI, qu’à celles survenues dans l’Europe du Sud, comme en Espagne, au Portugal ou encore en Grèce.
12 Gesetz zur Befreiung von Nationalsozialismus und Militarismus. Mit den Ausfilhrungsvorschriften und Formularen, édition présentée et commentée par Erich Schullze, Munich, Biederstein Verlag, 1946, 281 p.
13 W. E. Griffith, The Dénazification Program in the United States zone of Germany, Harvard, thèse, 1955, 416 p. ; K.-D. Henke, op. cit. ; I. Turner, op. cit.
14 Notamment en vue de la préparation du Traité « deux-plus-quatre » signé le 12 septembre 1990 à Moscou entre l’ancienne RFA, la RDA, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et l’URSS.
15 Dritter Tätigkeitsbericht des Bundesbeauftragten für die Unterlagen des Staatssicherheitsdienstes der ehemaligen Deutschen Demokratischen Republik (BStU), 1997, p. 99. Le BStU, plus connu à l’époque sous le nom de « services Gauck », du nom de son directeur éponyme d’alors, le pasteur est-allemand Joachim Gauck, est un service strictement archivistique. Il conserve et transmet des dossiers, mais n’est en aucun cas habilité à porter un jugement sur les dossiers. Il a, par ailleurs a) une mission éducative dont l’objet est de faire savoir ce qu’était le régime politique de la RDA, notamment en ouvrant ses portes aux chercheurs ; b) une mission de conseil ; c) une mission d’information consistant – entre autres – à mettre des dossiers à la disposition des personnes qui en font la demande. Il peut s’agir de personnes privées qui souhaitent consulter leur propre dossier ou encore d’administrations ou services publics demandant l’obtention d’éventuels dossiers sur leurs agents.
16 M. Gravier, Identité et Loyauté. Étude des processus de recomposition identitaire des agents ministériels du Brandebourg et de la Saxe depuis l’Unification allemande, Thèse, Université Paris I, 2000, p. 182.
17 Le principe de la reddition inconditionnelle du IIIe Reich fut énoncé à l’occasion de cette conférence réunissant, en janvier 1943, F.D. Roosevelt et W. Churchill. Les Américains et les Britanniques posèrent les jalons d’un plan d’occupation. Ils le soumirent aux Soviétiques qui l’acceptèrent. Les trois puissances alliées créèrent ensuite la Commission consultative européenne (European Advisory Commission – EAC). En janvier 1944, l’EAC décida la future dissolution du NSDAP et commença à élaborer une politique de purge.
18 Document partiellement reproduit dans C. Vollnhals, Entnazifizierung..., op. cit., p. 98.
19 Le communiqué de Yalta indique que « le plan [d’occupation] prévoit une administration et un contrôle coordonnés par le biais d’une commission de contrôle centrale », ibid., p. 97.
20 Notamment lors de la « crise » d’Aix-la-Chapelle : après la chute de la ville, l’autorité militaire américaine, moins intéressée par la dénazification que par la mise en place d’une administration municipale allemande efficace, se laissa guider par l’évêque local (respectant en cela les consignes qui invitaient à consulter le clergé local avant toute nomination). Elle forma un personnel administratif composé de nazis à hauteur de 30 % mais dépourvu de personnes d’obédience sociale-démocrate ou communiste, alors que les élections de 1933 avaient accordé 25 % de voix au SDP et au KPD. Se trompant d’ennemi politique, on chercha à écarter sociaux-démocrates et communistes, quitte à favoriser des anciens nazis, certes peu impliqués... La même « erreur d’appréciation politique » se produisit à Munich, où, suivant également les conseils de l’évêque local, le gouvernement militaire américain nomma presque exclusivement des membres du Bayerische Volkspartei, parti d’obédience conservatrice, nationaliste et cléricale, ayant sympathisé avec le NSDAP sous le IIIe Reich. W. E. Griffith, op. cit., p. 28 et 51 et suiv.
21 Les acteurs de l’époque ne tardèrent pas à utiliser l’expression pour le moins provocatrice de Persilschein, « certificat [de blancheur] Persil »... expression qui réapparut en 1990 avec une connotation toutefois différente. M. Gravier, op. cit., p. 318-319.
22 K.-D. Henke, op. cit., p. 18.
23 L. Niethammer, Entnazifizierung in Bayern..., op. cit., p. 45-46.
24 C. Vollnhals, Entnazifizierung..., op. cit., p. 48. Il nous semble toutefois qu’il faille rappeler, afin de dissiper tout malentendu, que la fonction publique de la Première République allemande reflétait très inégalement les tendances présentes dans l’échiquier politique de l’époque, notamment du fait d’une réticence à recruter des sociaux-démocrates et, surtout, des communistes.
25 Sozialistische Einheitspartei Deutschlands – Parti socialiste unifié d’Allemagne (de l’Est).
26 D. Staritz, Die Grilndung der DDR. Von der sowjetischen Besatzungsherrschafi zum sozialistischen Staat, Munich, dtv, 3e éd., 1995, p. 110-111.
27 La loi sur les archives du ministère de la Sécurité permet aux entreprises du secteur privé de demander des informations sur certains de leurs collaborateurs (à la condition qu’ils occupent actuellement des postes à responsabilité). Toutefois, le BStU a constaté que ces entreprises ont peu sollicité ses services – à peine quelques milliers de demandes par an, dont une grande partie n’est pas recevable. Dritter Tätigkeitsbericht des Bundesbeauftragten für die Unterlagen des Staatssicherheitsdienstes der ehemaligen Deutschen Demokratischen Republik (BStU), 1997, p. 33 ; Zweiter Tätigkeitsbericht des BStU, 1995, p. 28.
28 K.-D. Henke, op. cit., p. 9.
29 JCS 1067, partiellement reproduite dans C. Vollnhals, Entnazifizierung..., op. cit., p. 99.
30 En fait, dans Thin and Thick, M. Walzer oppose ces deux niveaux de sens, mais il nous semble plus heuristique de les considérer comme les deux pôles d’un continuum. M. Walzer, Thick and Thin : Moral Argument at Home and Abroad, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 1994, passim.
31 Ainsi ces propos de l’ancien ministre fédéral de la Justice, K. Kinkel : « Le système de la RDA doit également être délégitimé dans la tête des gens. Nous ne pouvons faire silence sur quarante années. Ce qui a, avec raison, été décrié après 1945 ne doit pas se reproduire : le silence, le refoulement, le reniement de son propre passé. Cette fois-ci, nous devons au moins essayer d’agir vite et mieux. », 40 Jahre Unrecht, 1991, p. VII.
32 La dénazification insiste, par exemple, davantage sur la notion de culpabilité tandis que la décommunisation thématise davantage les notions de droits de l’homme et d’ordre libéral démocratique (élément fondamental de l’idéologie d’état de la RFA qui, par la force des choses, n’existait pas au moment de la dénazification).
33 M. Gravier, op. cit., chapitre 3.
34 Ce texte est en fait la version plus formelle d’une circulaire interne datée du 4 septembre 1990 soit moins d’une semaine après la signature du Traité d’unification (le 31 août 1990) mais un mois avant l’unification du 3 octobre 1990. Cela montre donc, si besoin était, que les réflexions sur l’intégration d’Allemands de l’Est dans la fonction publique ont été entamées dès que l’Unification a constitué un horizon certain.
35 En attendant l’adoption de législations propres, c’est le droit fédéral qui s’est appliqué dans la fonction publique des nouveaux Länder.
36 Article 21.
37 La loi-cadre comporte cette formule en indiquant explicitement qu’elle doit être entendue « au sens de la Loi fondamentale ». Beamtenrechtsrahmengesetz, paragraphe 4.
38 La loi fédérale sur la fonction publique reprend mot pour mot la même formule que celle de la loi-cadre. Bundesbeamtengesetz, paragraphe 7.
39 Sur la page 3 de ce document est écrit : « Les candidats doivent offrir la garantie qu’ils s’engageront à tout moment en faveur de l’ordre libéral démocratique au sens donné par la Loi fondamentale » (§7, al. 1, n° 2 de la loi fédérale sur la fonction publique).
40 Ce « décret », qui est lui-même une reprise d’un texte de 1950, justifie un refus de candidature lorsqu’un engagement politique semble pouvoir susciter un conflit de loyauté avec l’idéologie libérale-démocratique de l’État allemand envers laquelle tout fonctionnaire doit s’engager lors de sa prestation du serment de loyauté. Cette arme juridique permettait donc d’écarter, si besoin était, des candidats appartenant à des organisations extrémistes. Alors que ces dernières étaient explicitement nommées dans le texte de 1950, elles ne le furent plus dans celui de 1972. G. Braunthal, Political Loyalty and Public Service in West Germany : the 1972 Decree against Radicals and its Conséquences, Amherst, The University of Massachusetts Press, 1990, passim ; D.L. Bark et D.R. Gress, Histoire de l’Allemagne depuis 1945, Paris, Robert Laffont, 1992, p. 743-744.
41 Bulletin – Presse und Informationsamt der Bundesregierung, 8 février 1972, n° 17, p. 162.
42 Bulletin – Presse und Informationsamt der Bundesregierung, 17 janvier 1979, n° 6, p. 46.
43 Bulletin – Presse und Informationsamt der Bundesregierung, 17 janvier 1979, n° 6, p. 46-47.
44 Ce manuel comportait les premières lignes de la politique de dénazification.
45 W. E. Griffith, op. cit., p. 5 et suiv. I. Turner indique de son côté que les Anglais connaissaient aussi cette technique pour l’avoir utilisée sur le sol britannique en 1940. I. Turner, op. cit., p. 245.
46 United States Forces, European Theater.
47 L. Niethammer, Entnazifizierung in Bayern..., op. cit., p. 248, 252 et 254.
48 Il peut paraître surprenant que la RFA ait considéré ces archives comme fiables. Les services Gauck considèrent cependant qu’elles le sont à de très rares exceptions près. Dritter Tätigkeitsbericht des Bundesbeauftragten für die Unterlagen des Staatssicherheitsdienstes der ehemaligen Deutschen Demokratischen Republik, 1997, p. 20.
49 Ministerium für Staatssicherheit (MfS). Le ministère est-allemand de la Sécurité d’État est plus connu sous le nom de « Stasi ».
50 Dritter Tätigkeitsbericht des BStU der ehemaligen DDR, 1997, p. 22.
51 Données chiffrées obtenues auprès du ministère saxon de l’Agriculture.
52 W. E. Griffith, The Dénazificationprogram..., op. rit., p. 6 et suiv.
53 Ibid., p. 40-50.
54 C. Vollnhals, Entnazifizierung..., op. rit., p. 11.
55 Ibid., p. 10.
56 L. Niethammer, Entnazifizierung in Bayern..., op. cit., p. 256.
57 Ibid., p. 254.
58 Ibid, p. 252.
59 L. Niethammer, Deutschland danach : Postfaschistische Gesellschafi und nationales, Gedächtnis, Bonn, Dietz, 1999, p. 54.
60 La question de la perception de la dénazification, comme toute rumeur, est difficile à exploiter scientifiquement. L. Niethammer montre par exemple que le « scandale bavarois », fondé sur le laxisme « observé » dans ce Land, doit être relativisé (mais pas nié) car, chiffres à l’appui, la Bavière a été la région la plus sévère de la zone américaine. L. Niethamer, Entnazifizierung in Bayern..., op. cit., p. 251.
61 L. Niethammer, Deutschland danach..., op. cit., p. 54. Le « mauvais score » de la zone britannique s’explique par l’esprit qui a dominé l’occupation dans cette zone. La politique britannique de dénazification fut caractérisée par la croyance profonde qu’il y avait une antinomie entre les Allemands et la démocratie, comme en témoigne un rapport interne : We know thatyou appreciate that Nazism is not an isolated phenomenon, but must really be considered to be the logical culmination of the trends ivhich hâve dominated German thought for at least the past 150years. Ourproblem is the-refore of far greater import than whether Nazis can become democrats, if we consider the Word « democrat » to be synonymous with what we understand as the British way of life [...]. As the disease is far more deep-seated than Nazism, it is dangerous to assume that we can always accept unconditionally the views of any German body, no matter how carefully we may hâve chosen the members, with regards to what we believe to be their understanding of the ideals we are seeking to inculcate. On comprend, à la lecture de cet extrait, que la politique anglaise de dénazification, à la différence de celle des Américains, n’a pas accordé une trop grande importance à la sélection politique car les Anglais ne croyaient pas à l’efficacité du remplacement des élites du IIIe Reich par d’autres Allemands. Elle se concentra sur le retrait de personnes jugées trop hostiles à l’occupation britannique. PRO/FOI010/27, 13 Régional Intelligence Staff to Detachment 120, Military Government, 22 juin 1946, reproduit dans I. Turner, 1989, op. cit., p. 243.
62 Dans le camp de Garmisch, en octobre 1945, 93 % des internés l’avaient été sur la base des critères automatiques. Or, ceci avait conduit à arrêter en masse (80 %) des personnels des administrations locales et employés de petites entreprises publiques ou semi-publiques mais très peu de dirigeants du Reich (1,4 %). L. Niethammer, Reconstruction in Post-War Germany..., op. cit., p. 258.
63 C. Vollnhals, Entnazifizierung.., op. cit., p. 15.
64 Si les Soviétiques suivirent la position américaine, les Anglais la considérèrent excessive et réussirent à faire ajouter une clause autorisant les autorités alliées de chaque zone à tolérer des exceptions lorsque la situation économique l’exigeait.
65 L. Niethammer, Entnazifizierung in Bayern..., op. cit., p. 298.
66 L. Niethammer, ibid., p. 314 et suiv.
67 L. Niethammer, ibid., p. 316.
68 L. Niethammer, ibid., p. 328.
69 L. Niethammer, ibid., p. 317.
70 L. Niethammer, ibid., p. 317.
71 L. Niethammer, ibid., p. 617.
72 C’est nous qui les labellisons « catégories » et non la circulaire. Cette précision est cruciale étant donné l’enjeu autour de l’utilisation de « catégories » et de « critères » dans les politiques allemandes d’épuration et de sélection politique.
73 Il ne s’agit pas de ceux figurant dans la Loi fondamentale ouest-allemande, mais de ceux reconnus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.
74 La circulaire comporte en annexe une liste des organisations concernées.
75 La Saxe et le Brandebourg ont, ici aussi, adopté des mesures opposées. Dirigé de 1990 à 2002 par le social-démocrate est-allemand M. Stolpe que les services Gauck ont essayé de « faire tomber » en raison d’activités politiques douteuses en RDA, le Brandebourg s’est toujours vanté de ne pratiquer l’examen qu’au cas par cas. À l’inverse, la Saxe a établi une liste de postes considérés comme rédhibitoires pour un recrutement dans ses administrations... rigidifiant quelque peu l’esprit de l’examen au cas par cas qu’elle a cependant pratiqué, puisqu’elle y était contrainte.
76 Les services Gauck ont dû faire face à plusieurs reprises aux questions du Bundestag en raison des quatorze anciens employés du MfS qu’ils ont employés. Ils ont justifié ces recrutements par le fait que ces personnes, qui ont « spontanément » proposé leurs services, disposaient de connaissances indispensables pour déchiffrer les archives du MfS. C’est donc l’argument des « besoins de service » qui a été mobilisé.
77 Nous avons interviewé quelques agents ministériels saxons qui étaient dans ces cas-là et nous ont raconté les entretiens répétés avec des responsables du service du personnel de leur ministère afin d’expliquer l’activité qui suscitait de la suspicion.
78 Traité d’unification, Annexe I. Einigungsvertrag, dans M. Ingo dir., Die Verträge zur Einheit Deutschlands, Munich, C.H. Beck, 1992, p. 43-570.
79 U. Battis, « Entwicklungstendenzen und Problème der Einführung des Dienstrechts in den neuen Ländern », Neue Justiz, 1991, n° 3, p. 89-136.
80 Il serait faux d’affirmer que ces instruments ont uniquement servi un but de sélection politique. Le processus d’extension du modèle administratif ouest-allemand dans les nouveaux Länder a aussi soulevé de « simples » problèmes de gestion du personnel. Les administrations est-allemandes étaient pléthoriques par rapport au standard ouest-allemand. 14,5 % de la population travaillait dans l’administration en RDA contre 7,9 % en RFA. Ne serait-ce que de ce point de vue, une réduction du personnel était jugée nécessaire. Chiffres tirés de : Anwort der Bundesregierung auf die Grofie Anfrage der Gruppe der P.D.S. – Drucksache 13/8369, Bundestag Drucksache 13/10809, 27 mai 1998, p. 114.
81 À titre indicatif, en 2000, la fonction publique fédérale ne représentait qu’environ 500 000 des 4,5 millions de fonctionnaires allemands. En 1997, 17 773 fonctionnaires fédéraux étaient originaires de la RDA, soit 13,4 % de la totalité des fonctionnaires fédéraux. Seulement 910 fonctionnaires fédéraux est-allemands occupaient un poste dans la catégorie supérieure. Anwort der Bundesregierung auf die Grofβe Anfrage der Gruppe der PDS – Drucksache 13/8369, Bundestag Drucksache 13/10809, 27 mai 1998, p. 114 ; Statistisches Jahrbuch für die Bundesrepublik Deutschland, Stuttgart, Metzler-Poeschel, 2000, p. 516.
82 Les employés administratifs ne sont pas soumis au même droit que les fonctionnaires. Le « contrat de dissolution » est la procédure d’interruption des contrats de travail pour cette catégorie de personnel. Il semblerait qu’il ait permis aux administrations de se séparer « à l’amiable » de certains employés au profil problématique.
83 Ceci s’explique en large partie par le fait qu’elle fut dirigée, de 1990-2002, par l’Allemand de l’Ouest K. Biedenkopf et gouvernée par un personnel majoritairement chrétien-démocrate. Le Brandebourg, davantage tourné vers l’expérience est-allemande (cf. note 75), développa une position très différente sur la fonction publique. En effet, dans un premier temps, certains ministres se sont opposés à toute fonctionnarisation de leur personnel ministériel.
Auteur
Docteur en Science Politique.
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Maurice Halbwachs
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