Les effets d’une épuration de façade : la mise en conformité politique de la haute administration italienne entre fascisme et république (1944-1948)
p. 21-43
Texte intégral
1L’épuration de l’administration italienne ne débute réellement qu’à partir de l’été 19441. Pendant deux ans, jusqu’en 1946, les fonctionnaires des ministères vont devoir rendre compte de leur attitude au cours des vingt années de régime fasciste. Et plus encore de leur comportement après le 8 septembre 1943, car la collaboration active avec la République sociale italienne et avec les Allemands sera, de très loin, considérée comme le délit majeur.
2Au cours de ces deux années, de l’été 1944 à l’été 1946, il y aura bien, au moins en apparence, une vaste entreprise d’épuration de l’administration italienne. L’activité sous le fascisme de l’ensemble des fonctionnaires de l’administration (plus de 350 000) fera l’objet d’un examen systématique. Plusieurs dizaines de milliers d’entre eux seront soumis à des procédures d’épuration. Et il en résultera des milliers de suspensions. Dans un premier temps, l’épuration aura bien une dimension dramatique.
3Puis ce sera le reflux, et le drame se transformera progressivement en une farce : beaucoup de condamnations seront cassées et la plupart des épurés parviendront à échapper aux sanctions prononcées à leur encontre. Ce reflux, qui concernera l’ensemble des secteurs d’activités et plus globalement toute la société italienne, aboutira à la fameuse loi d’amnistie pour les délits politiques, élaborée par le leader du Parti communiste italien, Palmiro Togliatti, alors ministre de la Justice, et promulguée le 22 juin 1946. Ce reflux se conclura par le décret du 7 février 1948, qui annulera la plupart des sanctions prononcées dans la période précédente2. Si bien qu’en 1948, au moment d’en dresser le bilan, les résultats de l’épuration apparaîtront, si l’on veut user d’un euphémisme, bien « modestes ».
4 Sur ce point, l’historiographie s’accorde largement. Les travaux récents consacrés à l’épuration confirment les conclusions que Claudio Pavone formulait, dès 1974, dans une publication dont le titre était sans équivoque : La Continuité de l’État3. Domenico Roy Palmer a récemment publié l’« histoire d’une épuration qui n’a pas eu lieu » (Storia di unepurazione che non c’è stata) et comme le souligne également l’historien Hans Woller : « D’un point de vue exclusivement statistique, le bilan final en Italie, comme du reste dans les autres pays européens qui eurent à affronter des problèmes similaires, apparaît comme un échec complet. En 1948, en effet, presque tous les fascistes et les collaborateurs qui, après 1943, avaient subi, d’une manière ou d’une autre, le processus d’épuration, avaient déjà été réhabilités tant juridiquement que professionnellement...4 » Ce fut tout particulièrement vrai dans la fonction publique, où les premières sanctions, prononcées essentiellement entre 1944 et 1945, furent ensuite, par divers moyens, annulées ou contournées, assurant ainsi la très grande continuité de l’administration traditionnelle en Italie.
5Il faut donc chercher à comprendre pourquoi le dispositif mis en place pour épurer les administrations, au cours de l’été 1944 a produit de si maigres résultats. Et comment les fonctionnaires épurées, puisqu’il y en eut tout de même plusieurs milliers, sont parvenus à se soustraire aux sanctions et même, dans bien des cas, à réintégrer les rangs de l’administration.
Un dispositif qui confie à l’administration la responsabilité de sa propre épuration
6Si l’ampleur de l’épuration administrative fut aussi limitée, c’est déjà, pour une large part, en raison des caractéristiques du dispositif, mis en place au cours de l’été 1944, pour réaliser cette mission... Il était, en effet, entièrement dominé par les fonctionnaires de carrière. Ce qui signifie que l’on avait attribué à l’administration la tâche, pour le moins délicate, de s’épurer elle-même.
7Le dispositif chargé de l’épuration administrative reposait principalement sur trois types d’instances : des commissions de premier degré, une Commission centrale pour l’épuration (devant laquelle pouvaient être déposés des recours) et un Haut-commissariat pour les sanctions contre le fascisme, chargé d’impulser l’opération dans son ensemble.
8Des commissions, dites de premier degré, avaient été instituées dans toutes les administrations publiques. Elles devaient enquêter sur la conduite des personnels, et, dans les cas où elles le jugeaient nécessaire, ouvrir des procédures, puis éventuellement prononcer des sanctions qui pouvaient aller jusqu’à la révocation. Ces commissions, nommées par les ministres, étaient composées de trois membres : un président (qui devait être choisi au sein d’une magistrature qui ne s’était pas caractérisé par son antifascisme), un fonctionnaire de l’administration concernée et un représentant du Haut commissariat pour les sanctions contre le fascisme. En conséquence, l’instance chargée de promouvoir l’épuration, c’est-à-dire le Haut-commissariat, était minoritaire dans ces commissions de premier degré où siégeaient deux fonctionnaires de l’État qui avaient accompli leur carrière sous le fascisme. Elles étaient donc, de fait, dominées par d’anciens membres du parti fasciste, puisqu’il était devenu quasi impossible au cours du ventennio d’exercer des fonctions et plus encore d’obtenir une promotion dans l’administration sans être adhérent du PNE
9Si l’on en croit le « Haut commissaire adjoint pour l’épuration dans l’administration publique », Ruggero Grieco, ces commissions feront preuve d’une « excessive indulgence5 ». En avril 1945, le bilan de leur activité pouvait être ainsi établi : elles avaient examiné environ 200 000 situations (sur plus de 350 000 employés de l’administration)6, mené à leur terme 16 869 procédures, avaient conclu à la révocation dans 2 553 cas, avaient prononcé des sanctions mineures dans 7 312 cas et avaient prononcé un non-lieu dans 7 000 cas7. Elles avaient donc révoqué un peu plus d’1 % des membres de l’administration dont elles avaient examiné les dossiers.
10Ces sanctions n’étaient, par ailleurs, pas définitives. Elles pouvaient faire l’objet d’un recours devant une instance de second degré : la Commission centrale pour l’épuration. Le fonctionnaire sanctionné pouvait, en effet, faire appel de la décision prise à son encontre, tout comme le Haut commissaire s’il considérait, au contraire, que la commission de premier degré avait fait preuve d’une « excessive indulgence ». Cette Commission centrale pour l’épuration, était, elle aussi, très largement dominée par les fonctionnaires de l’État. Elle était, en effet, composée d’un président, de deux magistrats, de deux fonctionnaires de l’administration centrale et de deux représentants du Haut commissariat. Elle assurait donc le contrôle direct de l’administration sur l’épuration de ses propres services. Ce qui ne constituait probablement pas le moyen le plus efficace d’obtenir une épuration effective des éléments les plus compromis avec l’ancien régime fasciste.
11D’ailleurs, son activité contribuera à réduire sensiblement les sanctions (jugées déjà « excessivement indulgentes » par le Haut commissaire Ruggero Grieco) prononcées par les commissions de premier degré. Son bilan, en août 1945, était largement favorable aux fonctionnaires sanctionnés : elle avait accueilli (complètement ou partiellement) plus de la moitié (57 %) de leurs recours alors qu’elle avait rejeté dans les deux tiers des cas (65 %) ceux du Haut commissaire réclamant des mesures plus sévères8.
12Cette Commission centrale pour l’épuration cessera son activité en novembre 1945. Elle sera alors remplacée par une Section spéciale constituée au sein du Conseil d’État. Ce qui constituera un pas supplémentaire dans l’attribution à la (très) haute administration traditionnelle du contrôle du processus d’épuration. La composition de cette Section spéciale n’est pas sans intérêt pour appréhender l’extrême compréhension avec laquelle elle examinera les milliers de recours qui lui seront soumis. À l’été 1946, par exemple, elle est constituée de neuf membres. Or si l’on excepte l’unique représentant du Haut-commissariat pour la punition des délits fascistes, Enrico Di Pietro, qui était avocat, on constate que tous les autres membres de cette Section occupaient déjà de très hautes fonctions dans l’État à la veille de la chute du régime fasciste :
- le Président de la Section spéciale, Montagna Raffaele, était déjà conseiller d’État ;
- Michèle La Torre était conseiller d’État ;
- Tullio Colucci était conseiller d’État ;
- Adolfo Parpagliolo était conseiller d’État ;
- Gaetano Vetrano était conseiller d’État ;
- Ferdinando Carbone était vice-avocat de l’État ;
- Luigi Cesarno exerçait les fonctions de chef de division au ministère des Finances9.
13C’est donc à des représentants de la très haute administration de l’époque fasciste, des agents qui avaient fait carrière et étaient parvenus à gravir tous les échelons de la pyramide administrative sous le précédent régime, que l’on demandait de se prononcer, en dernière instance, sur l’ensemble des procédures d’épuration. Le bilan de cette Section spéciale sera assez édifiant : en 1950, sur les 6 558 recours qu’elle avait examinés depuis sa création, elle en avait reçu 4 664 (71 %), tandis qu’elle n’en avait repoussé explicitement que 724 (11 %) et en avait déclaré 984 irrecevables (15 %)10. En cassant près des 3/4 des sanctions, elle fonctionnera bien, pour reprendre l’expression de l’historien Hans Woller, comme une « véritable centrale de réhabilitation » au sein de laquelle les juges administratifs « pouvaient facilement disculper de toute accusation leurs collègues « serviteurs de l’État » qui avaient été condamnés en première instance pour leur passé fasciste »11.
L’épuration : un contexte favorable à l’élaboration d’un nouveau « pacte » entre élites administratives et élites politiques
14On peut toujours chercher à expliquer l’absence d’une épuration de grande ampleur, la continuité des appareils étatiques entre fascisme et république, par une sorte de déterminisme historique, faisant appel à des raisons d’ordre très général. Ce sont souvent des explications implicitement fonctionnalistes qui sont mobilisées pour rendre compte de la continuité de l’État : « nécessité » de ne pas désorganiser les administrations publiques, « besoin » de maintenir intacte l’entreprise détentrice du monopole de la violence physique légitime etc. ; des explications qui présentent l’inconvénient (ou l’avantage ?) d’être totalement invérifiable d’un point de vue empirique. Il est d’ailleurs difficile de comprendre quels sont les fondements de cette loi d’airain de la continuité des appareils d’État : en quoi le remplacement des hauts cadres de l’administration par un personnel issu de la lutte antifasciste eut-il été incompatible avec la mise en place d’un État républicain efficace et respecté ?
15Des raisons plus « politiques » peuvent être également avancées pour justifier les résultats « modestes » de l’épuration administrative. En effet, si l’épuration fut aussi limitée et si la continuité fut aussi importante, c’est d’abord et avant tout parce qu’il n’y avait pas de réelle volonté politique de sanctionner ceux qui avaient servi le régime fasciste, comme l’illustre assez bien le dispositif tout à fait inefficace mis en place par les autorités politiques pour remplir cette mission. À l’exception du petit Parti d’action et du Parti socialiste qui réclamaient des mesures plus énergiques, les autres formations composant le Comité de libération nationale (CLN) et les premiers gouvernements d’unité nationale s’employèrent à freiner la dynamique de l’épuration. Droite (libéraux et démocrates-chrétiens) et gauche (communistes) avaient, en effet, une même préoccupation : ne pas encourager l’exacerbation des tensions sociales et des tendances révolutionnaires que pouvait favoriser un processus d’épuration radicale dirigé contre les élites administratives et économiques. Comme pouvait le laisser présager l’occupation armée de certaines entreprises du nord de l’Italie, derrière l’épuration se profilait le spectre de la révolution ; et une telle option n’entrait ni dans la stratégie de la droite, bien sûr, ni même dans celle du PCI. Les libéraux étaient liés aux élites traditionnelles, en particulier économiques, qui se sentaient menacées par un éventuel « règlement de comptes » avec l’ancien régime. La Démocratie chrétienne subissait l’influence du Vatican qui, très rapidement, fera pression en faveur de la « réconciliation nationale », et elle cherchait, également, à gagner la confiance des élites dont elle aspirait à obtenir la collaboration et le soutien dans la compétition politique qui allait s’engager avec les forces de gauche composant le « front populaire ». Quant aux communistes, leur attitude était dictée par des raisons de conjoncture nationale et, peut-être plus encore, internationale. Dans le prolongement de la svolta de Salerne, la préoccupation principale de la direction communiste était de ne pas rompre la cohésion du front antifasciste et donc de ne pas ouvrir, sur la délicate question de l’épuration, un conflit insoluble avec les forces modérées. Ce choix stratégique s’inscrivait dans des considérations géopolitiques plus vastes : dans le prolongement de Yalta, l’Italie n’avait pas vocation à devenir, dans l’immédiat après-guerre, une démocratie populaire issue d’une révolution politique et sociale.
16Toutes ces raisons, tous ces calculs ont probablement influé sur le cours des politiques menées en matière d’épuration. Les principales forces du CLN (à l’exception des actionnistes et des socialistes) partageaient bien un même intérêt à ne pas pratiquer l’épuration. Mais cet intérêt, en particulier en ce qui concerne la Démocratie chrétienne, n’obéissait pas uniquement à de grands calculs stratégiques et à des incitations, en quelque sorte, négatives (ne pas exacerber les tensions sociales, ne pas effrayer les élites...). S’il y eut aussi peu de sanctions, y compris dans les plus hauts postes de l’administration, c’est également (et peut-être principalement) parce que les années de l’immédiat après-guerre (1944- 1948) furent l’occasion pour la Démocratie chrétienne de tester, d’expérimenter les avantages qu’elle pouvait retirer de son soutien aux anciennes élites administratives de la période fasciste. Au cours de ces quatre années décisives, fut scellé ce qu’on pourrait appeler, de façon bien sûr métaphorique, un « pacte » entre élites administratives et élites politiques ; un « pacte » reposant sur les termes suivants : adhésion et loyauté politiques contre protection politique.
17Dans cette perspective, réduire la période de l’épuration à une simple farce, dont le déroulement était joué d’avance, serait non seulement inexact sur le plan historique et simpliste, mais rendrait incompréhensibles les dynamiques à l’œuvre au sommet de l’État au cours de cette période. Avant de devenir une farce, l’épuration fut d’abord vécue comme un drame. Personne ne savait, en 1944, dans une période d’instabilité et d’incertitude généralisée, comment se concluraient les enquêtes ouvertes par les nouvelles commissions instaurées dans toutes les administrations publiques. Pendant deux années (entre l’été 1944 et l’été 1946), les fonctionnaires, et tout particulièrement les plus importants d’entre eux, se sont sentis réellement menacés. Leur passé a bien été examiné et ils ont dû rendre compte de leur attitude sous le fascisme. Plusieurs milliers d’entre eux ont fait l’objet de procédures d’épuration, en particulier parmi les plus hauts responsables, qui se sont parfois terminées par une suspension ou une révocation définitive. Le climat d’incertitude dans lequel évoluaient les fonctionnaires, au cours de cette période, est perceptible à la lecture des documents d’archives. Or c’est ce climat qui va favoriser l’élaboration et la mise en œuvre du « pacte » unissant élites administratives et élites politiques.
18Face à la menace, initialement ressentie comme bien réelle, de l’épuration, les fonctionnaires vont chercher à se défendre et à se protéger. Ils vont, tout particulièrement, rechercher la protection du nouveau pouvoir politique. Une protection qui n’était pas acquise dès le départ, comme le révèle, nous le verrons plus loin, la consultation attentive des archives. Pour obtenir le soutien et la protection du pouvoir politique, les hauts fonctionnaires sanctionnés, ou tout simplement menacés, furent contraints de se mettre très rapidement en conformité avec le nouveau contexte politique. Les fonctionnaires, et tout particulièrement les plus hauts grades, devront exhiber et faire reconnaître leur loyauté au nouveau régime, en adhérant à la Démocratie chrétienne, en donnant des preuves de leur disponibilité à servir le nouvel ordre politique, en mobilisant leurs ressources (relationnelles, financières...) en faveur des forces « modérées » dans les dures batailles électorales de l’après-guerre. Les fonctionnaires seront contraints de donner des gages importants de leur conversion politique pour obtenir les protections dont ils avaient besoin. Cette recherche généralisée de patronage politique à laquelle se livreront les fonctionnaires, pour sauver leur emploi, mais aussi pour obtenir des promotions (les changements de régime étant favorables aux promotions accélérées) constituera un puissant mécanisme de repolitisation de l’administration italienne. Le contexte de l’épuration apparaît, dans cette perspective, tout à fait essentiel : il favorise la mise en conformité politique accélérée de l’état-major administratif central.
19Cette reconversion politique de l’état-major administratif et sa recherche de patronage politique seront couronnées de succès, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, récompensées par l’obtention de charges et d’emplois publics. Car les stratégies déployées par les hauts fonctionnaires sont parfaitement accordées aux intérêts de la Démocratie chrétienne. Dans le contexte de compétition pour le pouvoir qui l’oppose aux forces de gauche, le nouveau parti chrétien a besoin des suffrages des centaines de milliers d’employés de l’État et ne peut qu’apprécier la disponibilité d’une fraction significative de la haute administration à le servir, y compris en mobilisant ses ressources sur le terrain de la compétition électorale.
20C’est de cette manière, de façon pragmatique et progressive, dans la période cruciale de l’immédiat après-guerre, qu’un « pacte » de soutien réciproque va se sceller entre hauts fonctionnaires et responsables démocrates-chrétiens. Ce « pacte » ne doit pas être considéré comme le résultat d’une stratégie globale et cohérente menée par des groupes (l’administration, le pouvoir politique) conscients, dès 1944, de leurs intérêts réciproques et qui pendant près de quatre ans (de 1944 à 1948) auraient joué, devant le peuple italien, une farce sinistre, dont ils connaissaient, à l’avance, le dénouement. En réalité, ce « pacte » est le résultat (qui ne s’impose que très progressivement) d’une multitude de calculs, de stratégies et de comportements non coordonnés, mais qui présente de fortes similitudes (et produit donc des effets similaires) parce qu’ils sont ajustés à un même système d’action.
Stratégies déployées et ressources efficaces face à l’épuration : les cas de deux très hauts fonctionnaires de l’État italien
21L’examen des documents d’archives est nécessaire pour vérifier ces hypothèses. Ce travail reste à faire puisque seuls quelques dossiers de fonctionnaires ont, pour l’instant, été dépouillés ; mais quelques dossiers paraissent assez bien confirmer l’interprétation proposée précédemment, comme on pourra s’en rendre compte à partir des exemples de deux très hauts fonctionnaires de l’État italien : Leonida Bonanni et Salvatore Gatti.
Le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations face à l’épuration : Leonida Bonanni
22Le parcours de Leonida Bonanni est, jusqu’en 1943, assez typique de celui d’un fonctionnaire de la haute administration centrale sous le fascisme12. Il est né à Tarano (dans la province de Rieti) le 3 avril 1890. Laureato en sciences économiques, il n’a pas encore atteint l’âge de vingt ans lorsqu’il entre dans l’administration ministérielle le 21 janvier 1910. De 1913 à 1923, il est détaché de son administration d’origine en Libye (alors colonie italienne) où il exercera les fonctions d’enseignant à l’École royale de commerce de Tripoli (1917-1919), de directeur des Affaires civiles à Homs (1920-1921), de Commissaire dans le cadre de la mairie de Tripoli, puis de directeur administratif du Bureau de la Colonisation qui venait juste d’être institué.
23Rentré en métropole en 1923, il est nommé, en 1925, inspecteur du trésor (grade VII). Deux ans plus tard, il est promu inspecteur supérieur (et délégué du ministère des Finances au sein de la Bourse de Rome). L’affirmation du régime fasciste se traduit donc par une importante accélération de sa carrière, ce qui lui sera reproché dans la période de l’épuration.
24Après vingt-quatre ans de carrière, il parvient au sommet de la pyramide administrative : le 8 janvier 1934, il accède aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations et des instituts de prévoyance. Il occupera ce poste jusqu’à la chute du régime fasciste, le 25 juillet 1943.
25Au cours de l’hiver 1944, il fait l’objet d’une procédure d’épuration qui se conclue le 28 décembre 1944 par sa révocation. La Commission de premier degré pour l’épuration du personnel du ministère du Trésor lui reproche, en particulier, d’avoir obtenu d’importantes promotions grâce au soutien de hiérarques fascistes (ce qui expliquerait la spectaculaire accélération de sa carrière à partir de 1925), d’avoir favorisé l’attribution au parti fasciste d’un institut parapublic (l’Opera di previdenza per gli statali), d’être considérablement enrichi, grâce au cumul de nombreuses charges extrêmement lucratives, d’avoir obtenu à des conditions avantageuses un appartement d’une coopérative financée par la Caisse des dépôts et de s’être livré à une activité factieuse au service du fascisme (faziosità fascistd)13.
26La suite des évènements paraît tout à fait emblématique de la manière dont nombre de hauts fonctionnaires sont parvenus à échapper aux conséquences de l’épuration.
27Tout d’abord, Bonanni dépose, le 11 mars 1945, un recours devant la Commission centrale pour l’épuration, auquel il joint quatre-vingt-dix-neuf documents, pour la plupart des attestations en sa faveur de très hauts fonctionnaires. Dans le mémoire qui accompagne ce recours, il conteste vigoureusement toutes les accusations portées contre lui par la Commission de premier degré et insiste sur son refus de servir la République sociale qui lui aurait valu les représailles des fascistes et des Allemands, aurait conduit à son incarcération et à la mise à sac de son domicile. Il se défend, en particulier, d’avoir été soutenu et favorisé dans sa carrière par des hiérarques fascistes :
28« Quelle faveur de hiérarques fascistes ? Qui sont ces hiérarques ? Je n’ai connu aucun hiérarque, avant d’être appelé à la Caisse des dépôts et consignations [...] L’onorevole Jung14 et son chef de cabinet, le Dr Dante Anselmi, peuvent attester qu’il n’y eut aucune ingérence de hiérarques ou de qui que ce soit, en faveur de ma nomination comme directeur général ; ce que, sur mon honneur, je réfute de la manière la plus absolue15. »
29Et s’ il reconnaît s’être enrichi, il le justifie par le cumul des charges publiques afférentes à sa fonction :
« Je n’ai obtenu aucun autre bénéfice, de quelque nature que ce soit, en dehors de celui qui me provenait des charges exercées en tant que directeur général de la Caisse des dépôts (...) Les revenus de telles charges ont constitué, depuis la constitution des enti, un complément de revenu, pour les directeurs de services importants. [...] On me reproche, en réalité, d’avoir assumé les charges qui m’étaient attribuées en raison de mon grade, comme représentant de l’institut, et que mes prédécesseurs avaient déjà occupées. Aurais-je dû refuser ? Je demande si l’on pense, en toute conscience, que quelqu’un d’autre, à ma place, aurait refusé. »
30Pour se justifier de son enrichissement, il insiste également sur son aptitude à épargner qui aurait caractérisé son existence « parcimonieuse » :
« Mon existence très modeste m’a permis d’épargner. J’ai travaillé intensément pendant 35 ans [...] J’ai mené une vie toujours très parcimonieuse, évitant toute dépense superflue, et j’ai pu faire des économies. Aurais-je dû consommer les revenus que je recevais de ma charge ? Revenus qui, s’ils peuvent sembler somptueux par rapport au traitement prévu pour les employés de l’État, n’en restent pas moins modestes, par rapport aux rémunérations que des prestations analogues assurent, pas seulement en dehors de l’administration de l’État, mais aussi dans les enti paraétatiques, à l’administration desquels je participais (...) Mon épargne, résulte plus de ce que je n’ai pas dépensé, que de ce que j’ai perçu. La vie de ma famille est d’une simplicité et d’une modestie assez difficilement égalables16. »
31Leonida Bonanni conclut ce passage en affirmant que les représailles qu’il a dû subir, pour avoir refusé sa collaboration à la République sociale italienne et aux Allemands, lui ont d’ailleurs coûté bien plus (sa demeure a été « dévastée ») que ce qu’il a pu retirer de ses charges publiques.
32Le Haut-commissaire adjoint pour l’épuration dépose, lui aussi, un recours devant la Commission centrale pour l’épuration. Jugeant que la peine prononcée à l’encontre de Leonida Bonanni par la commission de premier degré est trop clémente, il demande que l’ancien directeur général de la Caisse des dépôts soit, en plus des autres sanctions déjà prononcées, privé de sa retraite.
33Comme ce sera souvent le cas, le recours du Haut-commissaire est rejeté alors que celui de Bonanni est, au contraire, pleinement admis : la Commission centrale considère que les « accusations portées contre Bonanni ne sont corroborées par aucun élément de preuve » et conclut en « acquittant » Bonanni « de toute accusation et en le déclarant exempt de toute sanction17. »
34Cette réhabilitation n’est pas du goût du pouvoir politique : le ministre du Trésor, Epicarmo Corbino écrit alors, le 20 décembre 1945, à la présidence du Conseil des ministres pour critiquer la décision de la Commission centrale, dont il affirme qu’elle ne répond en rien aux critiques très précises que la commission de premier degré a portées sur l’activité de l’ancien directeur général de la Caisse des dépôts. Le ministre reprend à son compte l’une des accusations principales portées contre Bonanni, celle d’avoir obtenu des promotions imméritées. Il écrit, en insistant sur ce point, à la présidence du Conseil :
« La carrière et la position économique du Dr Bonanni ne connurent une heureuse évolution qu’en plein régime fasciste seulement, et précisément à partir de l’année 192518. Jusque-là, en seize années de service, il n’était parvenu à atteindre que le grade IX et continuait à évoluer dans de très modestes conditions économiques ; après 1926, en moins de neuf ans, il progressait brusquement jusqu’au grade IV, bien que les observations annuelles faites à son sujet par ses supérieurs directs ne lui aient pas reconnu d’aptitude particulière pour les fonctions dirigeantes. En particulier, comme il ressort clairement des documents présents dans les actes de la procédure, le Dr Bonanni, qui n’appartenait pas à l’Administration financière, puisqu’il était comptable des Travaux publics, put obtenir le grade d’inspecteur du Trésor (VII), en sautant le grade VIII, uniquement grâce à l’intervention décisive du ministre des Finances Volpi, qui réussit à lui faire attribuer un des deux postes disponibles ; dans le déroulement ultérieur de sa carrière, il continua à bénéficier, largement, du soutien du susdit hiérarque ainsi que de celui d’autres personnalités éminentes du régime, jusqu’à ce qu’il atteigne le grade de directeur général et que lui soit confiée la Caisse des dépôts et consignations, dont les services lui étaient complètement inconnus.
De telles opportunités, même en faisant abstraction de toute autre considération, semblent ne pas pouvoir laisser le moindre doute quant aux faveurs obtenues par le Dr Bonanni des hautes hiérarchies fascistes ; lesquelles, comme il est notoire, ne protégeaient que ceux qui pouvaient leur être effectivement utiles19. »
35Le ministre conclut en soulignant que l’ancien directeur général est « impopulaire » au sein de son ministère et insiste pour obtenir qu’il soit mis à la retraite20. Il obtient satisfaction : par un décret, promulgué le 22 janvier 1946, Leonida Bonanni est mis à la retraite. Il va donc devoir (comme nombre de hauts fonctionnaires à cette époque) se battre pour faire annuler cette mesure.
36Il fait opposition à cette décision le 2 mars 1946, en adressant un long mémoire à la présidence du Conseil où il rappelle à nouveau son refus de servir la RSI et les conséquences qu’il eut à en subir21.
37Parallèlement, il recherche activement le soutien de personnalités évoluant dans les milieux démocrates-chrétiens qui puissent exercer une pression efficace sur la présidence du Conseil. Il écrit, par exemple, dès le 17 février 1946, au cardinal Enrico Sibilia pour l’« implorer » d’intervenir en sa faveur : « Je me permets, en tant que diocésain dévoué, de m’adresser à V.E.R., en implorant vivement Votre aide pour conjurer une grande injustice, dont je risque d’être à nouveau victime, alors que depuis vingt-neuf mois ma famille ne connaît plus la paix22. » Il joint à ce courrier sa version concernant les sanctions qui lui ont été infligées.
38Le cardinal Sibilia défend le recours de Bonanni auprès du président du Conseil, Alcide De Gasperi, par un courrier du 9 avril 1946 :
« Excellence,
Qu’il me soit permis de Vous signaler le cas très spécial de mon diocésain, le Dr Leonida Bonanni (...) il a présenté un recours motivé à la présidence du Conseil des ministres et je prie Votre Excellence de prendre en compte le fait qu’il s’agit d’une personne digne et estimée, qui est l’objet de jalousies et de malveillances de la part de personnes intéressées.
Je joins à ce courrier un mémorandum qui pourra faciliter l’examen de ce cas.
Je Vous remercie, Excellence, et je Vous bénis de tout cœur23. »
39Sur le courrier du cardinal, Alcide De Gasperi a écrit : « Répondre de façon générale au Cardinal Enrico Sibilia » ; ce qui sera fait le 24 avril 1946, par une lettre signée du président du Conseil qui affirme que le cas de Leonida Bonanni sera « examiné avec la plus grande attention »...
40L’intervention du cardinal Sibilia auprès de la présidence du Conseil n’est que la première d’une longue série.
41L’avocat Domenico Fiancini, qui est Procuratore dei Sacri Palazzi Apostolici et officier de la Chancellerie apostolique, avait déjà adressé, le 8 mars 1946, à Pio Petrilli (un démocrate-chrétien qui sera député à l’Assemblée constituante et entrera dans le second gouvernement De Gasperi), un courrier où il lui demandait d’intervenir auprès du président du Conseil. Domenico Fiancini est le cousin de Leonida Bonanni et prend, lui aussi, activement sa défense auprès de Pio Petrilli qu’il semble bien connaître :
« Je me permets de te renouveler mes plus vives recommandations en faveur de mon cousin le Dr Leonida Bonanni qui se trouve en attente de la décision du Conseil des ministres concernant son recours contre sa mise à la retraite. [...] Ce serait une grave injustice si le Conseil des ministres n’accueillait pas le recours présenté ces jours-ci par mon cousin Bonanni. Je suis sûr que tu trouveras l’occasion d’expliquer tout cela à S.E. De Gasperi. J’attends une nouvelle favorable de ta part et je t’en remercie dès à présent. Ton ami
Domenico Fiancini24. »
42Un courrier comme celui-ci montre bien que la continuité au sein des élites administratives sera également favorisée par les nombreuses relations (professionnelles, sociales, amicales, voire familiales) dont disposent au sein des milieux politiques, et, en particulier, de la Démocratie chrétienne les personnalités de haut rang ayant subi l’épuration. La permanence du haut personnel administratif ne s’explique pas, ici, par la référence à une « nécessaire continuité de l’État ». Ce n’est pas la « désorganisation des services », par exemple, qui est invoquée dans les dossiers que nous avons consultés. C’est, en revanche, l’appartenance au même milieu social et parfois aux mêmes cercles que ceux dont sont issus les responsables catholiques, et, en conséquence la possibilité de faire jouer, plus ou moins directement, leurs relations auprès du nouveau pouvoir politique, qui va permettre à de très hauts fonctionnaires de récupérer les postes dont ils avaient été destitués par les commissions d’épuration.
43Le 12 mars 1946, Ivo Coccia, qui représente la Démocratie chrétienne à la Consulta nationale (et sera élu à l’Assemblée constituante quelques semaines plus tard) défend, lui aussi, auprès d’Alcide De Gasperi, l’ancien directeur général de la Caisse des dépôts :
« Très cher Alcide,
Je dois te soumettre un cas d’une exceptionnelle gravité.
Il concerne notre ami, Leonida Bonanni, lequel a été révoqué de sa charge de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, alors que non seulement il n’a rien fait de mal mais qu’il dispose de titres exceptionnels en sa faveur. (...) il refusa au contraire « AVEC UNE VOLONTÉ CLAIRE ET DÉCIDÉE » de collaborer avec la RSI comme l’affirme la Commission centrale d’épuration dans la décision d’ACQUITTEMENT COMPLET ET ABSOLU, laquelle prend acte de son REMARQUABLE COMPORTEMENT DE RÉSISTANCE qui lui coûta la PRISON.
Je suis certain que tu voudras bien intervenir auprès du ministre du Trésor et du Conseil des ministres pour supprimer cette très grave injustice25. »
44On remarquera qu’en désignant Bonanni à De Gasperi comme étant « notre ami », Ivo Coccia laisse entendre que l’ancien directeur général est au côté de la Démocratie chrétienne, ce qui dans une période où la concurrence politique devient toujours plus âpre entre les forces antifascistes est un argument qui peut avoir de l’importance.
45Le lendemain, Alcide De Gasperi reçoit d’ailleurs, d’un autre homme politique, démocrate-chrétien lui aussi, Umberto Tupini (membre de la Consulta nationale et ancien ministre de la Justice dans les deux gouvernements Bonomi), une lettre de soutien en faveur de Leonida Bonanni26. À cette lettre, De Gasperi répond le 4 avril, par des paroles encourageantes : « Je peux t’assurer que j’ai attiré l’attention des services compétents sur l’opposition qu’il a présentée contre la mesure évoquée, afin que le cas soit examiné avec la plus grande attention27. »
46Avec de tels protecteurs au sein de la Démocratie chrétienne, la demande de Leonida Bonanni est évidemment bien engagée. Le député à l’Assemblée constituante, Ivo Coccia, à la veille de l’examen de ce recours, prend soin de s’assurer que la « grande attention », promise par le président du Conseil en personne, sera bien effective. Il écrit en ce sens, le 8 juin 1946, au secrétaire particulier de De Gasperi, Francesco Bartolotta :
« Très cher Bartolotta,
Je t’ai parlé plusieurs fois de notre ami Bonanni [...] qui fut révoqué sans aucune raison, et même au mépris des sentences de la Commission d’épuration qui l’avait pleinement acquitté en des termes très élogieux.
J’en ai parlé également au Président ; mais je ne suis pas sûr qu’il s’en souvienne : je te prie, en conséquence, dès que le cas sera sur le point d’être discuté de lui rappeler mon protégé, victime de louches manipulations et méritant d’être réadmis dans les rangs de l’administration28. »
47Malgré un ultime courrier du ministre du Trésor au cabinet de la présidence du Conseil, le 3 avril 1946, pour rappeler que « l’accusation la plus grave est celle d’avoir obtenu des avancements rapides de carrière, grâce, tout particulièrement, à l’intervention décisive du ministre fasciste des Finances Volpi29 » et dans lequel ses « précédents de carrière » sont qualifiés de « scandaleux », le cas de Bonanni sera bien examiné avec la « plus grande attention ». Et par un décret, promulgué le 19 juillet 1946, la mesure de mise à la retraite sera définitivement annulée. Pour Leonida Bonanni, c’est une première victoire. Mais un an plus tard, comme cela était fréquent à cette époque, l’ancien directeur général n’aura toujours pas reçu de nouvelle affectation. Il fait donc à nouveau intervenir ses relations auprès de la présidence du Conseil.
48Le 16 juin 1947, un curé, Mario Altobello, adresse, à ce sujet, une lettre à Alcide De Gasperi qui est à la fois un certificat de moralité et, ce qui est plus important encore, une attestation de conformité politique :
« Excellence,
Je me permets de prendre l’initiative de m’adresser à V.E. pour un acte de justice en faveur de mon paroissien, le Dr Leonida Bonanni, qui depuis un an attend d’être réintégré [...].
Bonanni est une personne honnête (inscrit à la DC) et un fonctionnaire très intègre et de valeur : donc un élément sain qui peut être utilisé dans le but tant espéré de la reconstruction nationale30. »
49Giulio Andreotti, jeune sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil, lui répond, le 4 juillet :
« Révérend Père,
En réponse à votre lettre adressée au président du Conseil, j’ai le plaisir de vous communiquer que le ministère compétent a été contacté afin que la situation du Dr. Leonida Bonanni soit examinée avec la plus grande sollicitude31. »
50Leonida Bonanni sera, peu de temps après, nommé directeur général des dommages de guerre, dans le cadre du ministère du Trésor, avant de retrouver en 1949, la direction générale de la Caisse des dépôts ; poste qu’il occupera jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite en 1956. Sa carrière représente donc un exemple tout à fait remarquable de continuité parfaite dans les plus hautes fonctions étatiques entre régime fasciste et Italie républicaine.
51La manière dont Leonida Bonanni parvient à faire annuler les sanctions qui lui ont été infligées dans la première période de l’épuration n’a, sans doute, rien d’exceptionnel. Au contraire, elle est probablement révélatrice des modalités concrètes, c’est-à-dire des stratégies et des ressources mobilisées par les acteurs concernés, qui ont contribué à produire cette fameuse « continuité de l’État » qui n’avait rien de naturel et d’inévitable. Il faudrait le vérifier à partir d’un nombre de cas significatif. Mais il est d’ors et déjà possible de constater que c’est exactement le même type de stratégie et de ressources que mobilisent d’autres hauts fonctionnaires au cours de cette période, dont le président de l’une des sections du Conseil d’État, Salvatore Gatti.
Un conseiller d’État face à l’épuration : Salvatore Gatti
52Le « passif politique » de ce membre éminent du Conseil d’État apparaît nettement plus lourd que celui de Leonida Bonanni.
53Plusieurs éléments de la longue carrière de Salvatore Gatti peuvent être considérés comme des trophées particulièrement compromettants au moment où débute l’épuration administrative : il a disposé durant tout le régime d’une carte du PNF antidatée à juillet 1922, c’est-à-dire à une date antérieure à la marche sur Rome. Il a été élu député sur les listes du parti fasciste en 1924, puis nommé sénateur en 1929. Il a évolué dans le système corporatif en tant que représentant d’un syndicat fasciste au milieu des années trente. Il s’est vu attribuer des charges lucratives et prestigieuses, dont la présidence de l’institut national des assurances (INA) entre 1925 et 1929 ; une activité qui donnera lieu à de persistantes rumeurs de corruption. Il est, ensuite, devenu président de section du Conseil d’État, en 1934, grâce à une intervention directe du secrétaire du PNF, Achille Starace32. Et il sera même membre du gouvernement pendant quelques semaines, au cours de l’année 1941, en qualité de sous-secrétaire d’État per gli Scambi et per le Valute. Durant la période de la guerre civile, il semble avoir adopté une position attentiste : ne rejoignant pas la République sociale italienne mais ne participant pas, non plus, à l’action des forces antifascistes33.
54Difficile avec de tels états de service d’échapper aux sanctions contre le fascisme. Et pourtant, Salvatore Gatti parviendra non seulement à échapper aux mesures d’épuration, mais obtiendra même une complète réhabilitation matérielle et symbolique. Le cas Gatti révèle, de façon peut-être plus manifeste encore que celui de son collègue Leonida Bonanni, à quel point les réseaux et les amitiés politiques constituent des ressources efficaces pour franchir avec succès les changements de régime et pour rendre crédible les reconversions politiques les plus audacieuses.
55La stratégie adoptée par Salvatore Gatti peut être, a posteriori, décomposée en trois actes.
56Le premier acte est marqué par la prudence. Alors qu’il est soumis à une « procédure d’épuration », il demande lui-même à être mis à la retraite du Conseil d’État. Ce qu’il obtient, par décret du président du Conseil, Ivanoe Bonomi, le 29 janvier 194534. Il échappe ainsi à tout jugement relatif à sa conduite au sein du Conseil d’État dans la période fasciste. Quelques mois plus tard, le 6 juin 1945, par une ordonnance de la Haute Cour de justice, il est déchu de ses fonctions de sénateur. Les comptes que Salvatore Gatti doit rendre pour son attitude durant le ventennio pourraient s’arrêter là.
57Mais le 10 août 1946 Salvatore Gatti ouvre le second acte en faisant opposition au décret de mise à la retraite, pourtant émis à sa propre demande. Il justifie ainsi sa démarche : « La mesure fut prise à la demande de l’auteur du recours, mais celle-ci fut imposée par les circonstances connues de l’époque35 » ; époque qu’il définira, dans un courrier ultérieur, comme la « période la plus orageuse de l’épuration36 ».
58Salvatore Gatti s’est, en effet, aperçu que « la plus grande partie des fonctionnaires de grade élevé, spécialement du Conseil d’État, (...), d’une manière ou d’une autre a été sauvée de l’épuration37 » et, surtout, que l’« époque » avait changé : l’heure n’étant plus au règlement de comptes avec le fascisme mais à la « paix civile ». Le gouvernement vient, en effet, le 22 juin 1946, de concéder une amnistie générale pour les crimes politiques afin de promouvoir cette « pacification ». Ce n’est sans doute pas un hasard si Salvatore Gatti adresse cette opposition à sa mise à la retraite quelques semaines après la mesure d’amnistie.
59L’initiative de Salvatore Gatti provoque une très ferme réaction du président du Conseil d’État le 19 octobre 1946. Se plaçant, tout d’abord, sur le terrain juridique il déclare que l’opposition n’est pas recevable puisque la mise à la retraite a été adoptée à la demande de Salvatore Gatti, puis, élargissant son discours il conclut de manière menaçante : « Il est à peine opportun de relever que la thèse esquissée par l’auteur du recours selon laquelle sa volonté aurait subi une coercition est privée de tout fondement, et qu’au contraire, la mise à la retraite de Gatti peut être considérée comme une véritable mesure de faveur38. »
60Les temps ne sont pas encore mûrs pour l’ancien président de section du Conseil d’État qui, deux jours après ce courrier menaçant, préfère mettre un terme à son initiative39. Comme il l’expliquera par la suite « il renonça à l’opposition, autant au regard de la jurisprudence de l’époque, qui considérait inadmissible une opposition contre une décision prise à la demande de l’intéressé, qu’en raison de la persistance des conditions de coercition personnelle et générale qui avaient déterminé la demande de départ à la retraite40 ». Salvatore Gatti laisse alors s’écouler trois années.
61Mais il ne désarme toujours pas. Ayant accumulé de nouvelles ressources, en particulier des relations importantes pouvant soutenir et donner du crédit à sa démarche et s’étant reconstitué une nouvelle légitimité politique, il demande à nouveau sa réintégration le 23 juin 1949. C’est le début du troisième et dernier acte.
62Il joint à sa requête un mémoire détaillé où il retrace la carrière exemplaire d’un haut fonctionnaire s’étant exclusivement distingué par le mérite, les titres universitaires et les concours et ayant obtenu ses promotions en raison de sa compétence et selon les mécanismes de l’ancienneté41 ; ce qui l’amène à conclure que « le gouvernement doit, en effet, en toute équité, relever que jamais une haute fonction de l’État fut plus manifestement conquise grâce au mérite, que dans le cas ici examiné. [...] La longue permanence au grade d’auditeur, (plus de neuf ans), et à celui de conseiller (quinze ans), attestent une longue et laborieuse progression excluant la chance et les influences politiques42. »
63Il prend soin d’ajouter deux arguments pragmatiques essentiels : accepter sa requête ne créera pas un précédent que d’autres pourraient invoquer car il n’existe pas d’autre cas d’opposition à un décret émis sur la demande de l’intéressé ; et, plus important encore, « il atteindra au mois d’août prochain la limite d’âge ; donc recevoir sa demande a une portée essentiellement morale et ne pourra pas avoir d’incidence sur les positions acquises par d’autres, puisque à la révocation demandée devra suivre immédiatement une autre et définitive mise à la retraite43 ». Par cette précision, il s’agit de désamorcer d’éventuelles hostilités au sein du Conseil d’État en insistant sur le fait qu’il ne revendique pas un emploi déjà occupé.
64La manière dont Salvatore Gatti adresse ce mémoire au gouvernement italien est presque aussi importante que les arguments qu’il contient puisque c’est un moyen, pour l’ancien député du PNF, d’afficher les soutiens dont il dispose dans les milieux catholiques. C’est, en effet, le fameux théologien jésuite Pietro Tacchi Venturi, alors âgé de quatre-vingt-sept ans, qui utilise ses relations pour faire parvenir directement « en mains propres » à Giulio Andreotti, alors très jeune sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil des ministres, l’argumentation de Salvatore Gatti44. La carte de visite d’une personnalité catholique renommée apporte un crédit important aux affirmations de Salvatore Gatti, garantissant la conformité et la loyauté de l’ancien conseiller d’État au nouveau pouvoir politique. L’important n’est pas que l’argumentation de Salvatore Gatti prenne de grandes libertés avec la réalité (ce qu’une vérification superficielle des services de la présidence du Conseil permettrait d’établir sans conteste) mais que cette fiction soit défendue par les réseaux catholiques, ce qui démontre l’intégration et la participation effective de l’auteur du mémoire à la mouvance politique qui exerce désormais son contrôle sur les institutions de l’État italien.
65Pour appuyer sa requête Salvatore Gatti dispose, en effet, de soutiens très influents au Vatican et dans la Démocratie chrétienne. Ainsi le 8 juillet 1949, le cardinal Benedetto Aloisi Masella écrit, lui aussi, directement à Giulio Andreotti pour l’informer qu’il « lui sera reconnaissant s’il veut bien s’employer pour que l’instance adressée à la présidence du Conseil des ministres par Salvatore Gatti soit accueillie favorablement45 ». À cette invitation, le jeune sous-secrétaire d’État répond immédiatement avec la plus grande sollicitude : « Je m’empresse de rassurer Votre Éminence que je ferai en sorte que la position de l’avocat Gatti soit examinée avec la plus grande célérité. Je profite de l’occasion pour renouveler à Votre Éminence l’expression de mes sentiments les plus dévoués46. »
66Les soutiens que reçoit Salvatore Gatti sont la contrepartie de son nouvel engagement politique en faveur de la Démocratie chrétienne. Comme l’écrit le directeur de la bibliothèque du Sénat à Giulio Andreotti : « L’avocat Gatti est un de vos concitoyens, Excellence, inscrit à l’action catholique, qui a travaillé pour la D.C. durant la période électorale47. » Cela signifie, sans doute, que Salvatore Gatti a mobilisé une partie de ses ressources (relations, dons financiers ?) pour contribuer à la victoire décisive de la Démocratie chrétienne lors des élections de 1948 face au « front populaire » constitué par les socialistes et les communistes italiens.
67Parmi les personnages qui font pression auprès de Giulio Andreotti en faveur de Salvatore Gatti on compte également deux hommes politiques de la Démocratie chrétienne : Domenido Francesco, membre du sixième gouvernement de Gasperi en tant que sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères48 et Giuseppe Notarianni, député démocrate-chrétien de Naples.
68Ce dernier écrit à Andreotti le 11 novembre 1950 :
« Cher Andreotti, tu m’as assuré, il y a cinq ou six mois, qu’on avait pris une décision pour le président de section du Conseil d’État, Salvatore Gatti, et je l’ai dit à mon ami. Malheureusement, rien n’a encore été fait. L’ami Gatti est une personne pleine de noblesse et il ne faut pas l’oublier. Je suis mortifié49. »
69À la veille de l’examen du dossier Gatti en conseil des ministres, Notarianni, l’« ami » de Salvatore Gatti, fait parvenir à Giulio Andreotti un billet à en-tête de la Chambre des députés, sur lequel il a griffonné : « Gatti Salvatore, lors de la décision lui donner le grade honorifique de président du Conseil d’État50 ».
70Toute cette campagne et ces suggestions auprès du jeune sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil des ministres ne seront pas sans effets...
71Après qu’une note de synthèse réalisée par le cabinet de la présidence du Conseil des ministres n’ait mis en avant que des difficultés juridiques et techniques pour annuler le décret de mise à la retraite, dans sa réunion du 20 septembre 1950, le Conseil des ministres, sur proposition du chef du gouvernement Alcide de Gasperi, exprime un avis favorable à la demande présentée par Salvatore Gatti. Ce qui conduit à la promulgation de deux décrets.
72Le premier, signé du président du Conseil, Alcide de Gasperi, révoque le décret par lequel Salvatore Gatti avait été mis à la retraite du Conseil d’État ; le second, signé du président de la République, Luigi Einaudi, le met à la retraite à compter du 14 août 1949 (date de ses soixante-cinq ans) et lui confère « le titre honorifique officiel de président du Conseil d’État ».
« Sur la proposition du président du Conseil des ministres
Décrète :
Le Dr Salvatore Gatti, président de section du Conseil d’État, qui à la date du 14 août 1949 a eu soixante-cinq ans accomplis, est mis à la retraite avec effet à partir de cette date, et est admis à faire valoir ses droits pour la liquidation du traitement qui lui revient selon les termes de la loi.
Au susdit Magistrat est conféré, à l’occasion de sa mise à la retraite, le titre honorifique officiel de président du Conseil d’État. »
73Les exemples de Bonanni et de Gatti montrent que la mise en conformité politique, et en particulier l’adhésion à la Démocratie chrétienne, dans une période où la compétition pour le pouvoir avec les partis de gauche s’annonçait difficile, ont pu se révéler des attributs décisifs pour réintégrer l’état-major administratif. C’était, en effet, l’intérêt du nouveau pouvoir que d’attribuer les plus hauts postes de l’administration à des agents donnant des gages de loyauté politique ; que ces agents soient vierges de tout passé ou soient de nouveaux convertis. Le fait que ces agents aient subi réellement la menace de l’épuration, et du discrédit qui l’accompagne, a contribué à accélérer leur reconversion politique au sein des nouvelles organisations politiques dominantes. Ils ont été incités à faire preuve d’un zèle supplémentaire afin d’occulter un passé politique qui n’était pas toujours conforme, loin s’en faut, avec le nouvel ordre politique démocratique. Dans cette perspective, cette épuration, qui ne deviendra que progressivement de façade (après deux années d’une pratique plus rigoureuse), n’aura pas été sans effet politique : elle aura contribué à la mise en conformité politique accélérée d’une partie de l’élite administrative.
74Paradoxalement, c’est une logique sociale de politisation des carrières, héritée directement de la période précédente, que des parcours comme ceux de Leonida Bonanni et de Salvatore Gatti mettent en évidence. Pour échapper aux sanctions qui leur avaient été infligées en raison de leur comportement « factieux » ainsi que des faveurs et des promotions qu’ils avaient obtenues de hiérarques fascistes (d’Achille Starace et de Giuseppe Volpi, par exemple), Bonanni et Gatti se mettent activement au service de la Démocratie chrétienne. Pour effacer les traces du clientélisme fasciste dont ils avaient amplement bénéficié, ils mobilisent les nouvelles ressources clientélaires offertes par la Démocratie chrétienne. En mettant en avant leur nouvel engagement politique, en le faisant valoir comme une ressource légitime et en faisant intervenir de nouveaux protecteurs, ils contribuent à entretenir et à reproduire la pratique des interférences politiques au sommet de l’administration.
75Les mêmes procédés qui leur avaient permis d’accomplir de remarquables carrières au sein de l’administration sous le fascisme vont leur permettre d’échapper aux sanctions prononcées dans le cadre de l’épuration antifasciste. Les termes de la relation entre la haute administration et le nouveau pouvoir politique semblent, dès lors, très proches de ceux qui étaient en vigueur au cours du ventennio : allégeance politique en échange de protections et de faveurs.
Notes de bas de page
1 Le décret qui constituera, jusqu’à l’automne 1945, le texte juridique de référence, dans le domaine de l’épuration, a été promulgué le 27 juillet 1944.
2 Pour tous les fonctionnaires, d’un rang inférieur au grade V, ce décret supprimait la révocation du service ou les autres mesures qui avaient été adoptées à leur encontre.
3 C. Pavome, La continuità dello Stato. Istituzioni e uomini, in Italia 1945-1948. Le ortgini délia Repubblica, Turin, Giappichelli, 1974, p. 267 et suiv.
Sur l’épuration et ses limites : M. Flores, « L’epurazione », dans L’Italia dalla liberazione alla Repubblica, Milan, Feltrinelli, 1974 ; L. Mercuri, L’epurazione in Italia. 1943-1948, Cuneo, L’arciere, 1988. Plusieurs ouvrages récents sont également consacrés à la question de l’épuration : H. Woller, I conti con il fascisme. L’epurazione in Italia 1943-1948, Bologne, Il Mulino, 1997 ; R. Canossa, Storia dell’epurazione in Italia. Le sanzioni contre il fascisme 1943-1948, Milan, Baldini et Castoldi, 1999 ; R.P. Palmer, Processo ai fascisti. 1943-1948 : Storia di unepurazione che non ce stata, Milan, Rizzoli, 1996. Ces auteurs s’accordent tous sur le très maigre bilan quantitatif de l’épuration. Par contre, le jugement qu’ils portent sur le phénomène présente parfois de sensibles différences. Ainsi H. Woller considère que le bilan que l’on peut faire du phénomène en 1948 ne doit pas occulter l’importance des sanctions (emprisonnements, licenciements etc.) qu’eurent à subir, entre 1944 et 1946, de nombreux responsables politiques et administratifs du régime fasciste. Selon cet auteur : « Si on privilégie une approche purement quantitative du bilan final, non seulement on n’accorde pas assez d’importance au fait qu’une, deux, ou trois années de prison ou de suspension de fonctions, peuvent être une peine tout à fait proportionnée à certains délits, mais on sous-évalue également, ou on ne considère pas suffisamment, les effets immunisants produits par la révélation ou la réévocation des méfaits fascistes devant les tribunaux ou les commissions pour l’épuration ; grâce à cette sorte d’examen de conscience collectif, en effet, beaucoup purent se faire une idée précise de la quantité et de l’énormité des crimes commis par les fascistes, ce qui contribua à rendre complètement absurde non seulement l’hypothèse d’une renaissance du fascisme, mais, également, la simple idée d’en faire, en quelque sorte, les louanges » ; I conti con il fascismo, op. cit., p. 550-551. Romano Canossa développe un jugement comparable, ce qui l’amène à conclure : « De nombreux ˂fascistes>, après la Libération, furent soumis à des procédures d’épuration et certains, considérés encore comme dangereux, à des mesures d’internement administratif dans des “camps° établis à cet effet. Même si pour la plupart d’entre eux, après un certain temps, tout se termina sans conséquence, ce furent, en tout cas, des « sanctions » suffisantes pour des comportements qui, dans la très grande majorité des cas, n’en méritaient pas de plus graves », Storia dell’epurazione, op. cit., p. 394.
Comme on peut s’en rendre compte, ici, l’historien se pose en juge des procès et des sanctions de la période de l’épuration. Le fait de considérer que les suspensions et les peines provisoires (suivies de la réhabilitation) de nombre de responsables politiques et administratifs du régime fasciste furent des « peines suffisantes » au regard des crimes commis, ou, au contraire de s’indigner face à l’« impunité » dont auraient globalement bénéficié les élites de la période fasciste, relève, bien sûr, d’un jugement exclusivement politique et moral.
4 I conti con ilfascismo, op. cit., p. 550.
5 Selon Ruggero Grieco, « dans leur travail, elles ont adopté un critère d’extrême indulgence qui a provoqué véritablement des situations de réelle injustice, car elles ont fini par mettre sur le même plan des personnes qui ont donné des preuves de repentir certain (...) avec des personnes qui, à l’inverse, n’ont pas donné de telles preuves, mais qui, au contraire, se sont montrées jusqu’à la fin, y compris durant l’occupation allemande, des fascistes convaincus », ibid, p. 430.
6 Nous ne disposons pas des chiffres précis concernant le nombre de cas examinés ainsi que le nombre d’employés de l’administration en avril 1945. Mais nous pouvons approximativement les déduire du fait que 218 159 cas avaient été examinés par les commissions de premier degré trois mois plus tard (à la date du 15 juillet 1945) et que les employés de l’administration étaient au nombre de 385 465 en janvier 1946.
7 H. Woller dresse un bilan de l’épuration dans l’administration globalement comparable à celui de Guido Melis, dans I conti con il fascisme, op. cit., p. 332 et p. 447-448.
8 G. Melis, Storia dell’amministrazione italiana 1861-1993, Bologne, Il Mulino, p. 432-433.
9 Nous ne sommes pas parvenu à identifier la position occupée par le neuvième membre, Luigi Di Gennaro, en 1942-1943. Pour établir les fonctions des membres de la section à la fin du régime, nous avons consulté l’édition de 1943 de la Guida Monaci.
10 G. Melis, Storia delïamministrazione italiana, op. cit., p. 436.
11 I conti con il fascisme, op. cit., p. 524.
12 Pour reconstituer le parcours de Leonida Bonanni, nous avons utilisé, en plus des annuaires et des bottins administratifs, plusieurs fonds d’archives, consultables à l’Archivio Centrale dello Stato de Rome, le concernant : un dossier se trouvant initialement dans ACS, PCM 1944-1947, fasc. 1.1.2., n° 26485, passé désormais à PCM 1948, fasc. 11.2., n° 12481, plusieurs dossiers relatifs à la période de l’épuration qui se trouvaient à l’origine dans ACS, PCM 1944-1947, fasc. 1.1.26, n° 13503/14.4.7.1. et dans ACS, PCM 1944-1947, fasc. 1.1.26., n° 13503/14.2.8. mais que nous avons retrouvés dans ACS, PCM 1962-1964, fasc. 1.1.26, n° 13503, sottofasc. 14.4.7.1. et dans ACS, PCM 1962-1964, fasc. 1.1.26, n° 13503, sottofasc. 14.2.8.
13 C’est ce qui ressort d’un certain nombre de documents, dont un courrier du ministre du Trésor à la présidence du Conseil des ministres, en date du 20 décembre 1945, dans ACS, PCM 1944- 1947, fasc. 1.1.26, n° 13503/14.4.7.1. (à présent se trouve dans ACS, PCM 1962-1964, fasc. 1.1.26, n° 13503, sottofasc. 14.4.7.1.).
14 Guido Jung est ministre des Finances lorsque Leonida Bonanni est nommé directeur général de la Caisse des dépôts et consignations.
15 In Breve sunto délia Memoria presentata alla Commissione Centrale di Epurazione (Sez. 2a), Dr Leonida Bonanni del Ministere del Tesoro (grado IV), en date du 11 mars 1945, dans ACS, PCM 1944-1947, fasc. 1.1.26., n° 13503/14.2.8. (à présent se trouve dans ACS, PCM 1962-1964, fasc. 1.1.26, n° 13503, sottofasc. 14.2.8).
16 Ibid.
17 Décision de la deuxième section de la Commission centrale pour l’épuration, 13 octobre 1945, bid.
18 Bonanni fut, à cette date, comme nous l’avons exposé précédemment, nommé « inspecteur » au ministère des Finances.
19 Dans ACS, PCM 1944-1947, fasc. 1.1.26, n° 13503/14.4.7.1. (à présent se trouve dans ACS, PCM 1962-1964, fasc. 1.1.26, n° 13503, sottofasc. 14.4.7.1.).
20 Ibid.
21 Le 3 avril 1946, le ministre du Trésor insiste, au contraire, pour que la décision soit confirmée, expliquant que ce n’est pas l’attitude de Bonanni après le 8 septembre 1943 qui est en cause, mais le déroulement de sa carrière et son activité au cours du ventennio.
22 Courrier de Leonida Bonanni au cardinal Enrico Sibilia, 17 février 1946, dans ACS, PCM 1944-1947, fasc. 1.1.26., n° 13503/14.4.7.1. (à présent se trouve dans ACS, PCM 1962- 1964 fasc. 1.1.26, n° 13503, sottofasc. 14.2.8).
23 Courrier du cardinal Enrico Sibilia à Alcide De Gasperi, 9 avril 1946, ibid.
24 Courrier de Domenico Fiancini à Raffaele Pio Petrilli, 8 mars 1946, ibid.
25 Courrier d’Ivo Coccia à Alcide De Gasperi, 12 mars 1946, ibid.
26 Courrier d’Umberto Tupini à Alcide De Gasperi, 13 mars 1946, ibid.
27 Courrier d’Alcide De Gasperi à Umberto Tupini, 4 avril 1946, ibid.
28 Courrier d’Ivo Coccia à Francesco Bartolotta, 8 juin 1946, ibid.
29 Dans ACS, PCM 1944-1947, fasc. 1.1.26, n° 13503/14.4.7.1. (à présent se trouve dans ACS, PCM 1962-1964, fasc. 1.1.26, n.° 13503, sottofasc. 14.4.7.1.).
30 Courrier de Mario Altobelli à Alcide De Gasperi, 16 juin 1947, dans ACS, PCM 1944-1947, fasc. 1.1.26, n° 13503/14.4.7.1. (à présent se trouve dans ACS, PCM 1962-1964, fasc. 1.1.26, n° 13503, sottofasc. 14.2.8).
31 Courrier de Giulio Andreotti à Mario Altobelli, 4 juillet 1943, ibid.
32 Comme le confirme ce courrier retrouvé dans les Archives :
« Roma 20.6.1934. XII
A S.E. l’on. Edmondo Rossoni
Sottosegretario di Stato alla Presidenza del Consiglio dei Ministri
roma
ogetto = gatti salvatore
Caro Rossoni,
ebbi occasione di segnalarti il Fascista senatore salvatore gatti che anche tu conosci.
Egli è uomo di valore e di grande compentenza giuridica ed amministrativa. Iscritto nel P.N.F. dal luglio 1922, è stato in ogni orafedele al Régime. Io ho potuto apprezzare la sua attività e la sua disciplina : anche di recente, egli ha data un notevole contributo corne oratore di propaganda ed ha partecipato efficacemente ad importanti discussioni del Senato.
Credo che tra breve si debba provvedere ad un posta di Presidente di sezione al Consiglio di Stato. Il
camerata Gatti è non soltanto uno dei più competenti Consiglieri, ma è il più vecchio fascista di quel Consesso, che io ritengo meritevole di conseguire la nomina al posta che ti ho innanzi indicato.
Saluti cordiali
il segretario del PNF.
(Achille Starace) », dans ACS, PNF, Fascicoli dei senatori e dei consiglieri nazionali, b. 13, n° 227.
33 Pour une présentation plus détaillée de la carrière et du parcours politique de Salvatore Gatti, je me permets de renvoyer à un article que je lui ai consacré : « Salvatore Gatti (1879-1951). Un haut fonctionnaire italien entre libéralisme, fascisme et république », dans Mélanges de l’École française de Rome, MEFRIM, tome 111-1999 – 1.
34 Décret du président du Conseil des ministres, Ivanoe Bonomi, 29 janvier 1945, dans ACS, PCM 1948-1950, 1.1.26., n° 13503, sottofasc. 15.3.2. (à présent dans PCM 1962-1964, 1.1.26., n° 13503, sottofasc. 15.3.2.).
35 Courrier de S. Gatti à la présidence du Conseil des ministres, 10 août 1946., ibid
36 Mémoire adressé à la présidence du Conseil des ministres, le 23 juin 1949, ibid.
37 Ibid.
38 Courrier du président du Conseil d’État à la présidence du Conseil des ministres, 19 octobre 1946, dans ACS, PCM 1948-1950, fasc. 1.1.26., n° 13503, sottofasc. 15.3.2., à présent dans PCM 1962-1964, fasc. 1.1.26., n° 13503, sottofasc. 15.3.2.
39 « Le soussigné, ˂Salvatore Gatti> déclare renoncer à l’opposition présentée contre la mise à la retraite... », courrier de S. Gatti à la présidence du Conseil des ministres, 21 octobre 1946., ibid.
40 Mémoire adressé à la présidence du Conseil des ministres, le 23 juin 1949, ibid.
41 Ibid.
42 Ibid.
43 Ibid.
44 Sur la carte de visite qu’il a jointe au dossier de Salvatore Gatti, Pietro Tacchi Venturi a écrit : « présente ses hommages au gentilissimo avv. Bottini et le prie de remettre le courrier ci-joint en mains propres à S.E le secrétaire d’État On. Giulio Andreotti. », dans AGS, PCM 1948-1950, fasc. 1.1.26., n° 13503, sottofasc. 15.3.2., à présent dans PCM 1962-1964, fasc. 1.1.26., n° 13503, sottofasc. 15.3.2.
45 Courrier du cardinal Benedetto Aloisi-Masella à Giulio Andreotti, 8 juillet 1949, ibid.
46 Courrier de Giulio Andreotti au cardinal Benedetto Aloisi-Masella, 11 juillet 1949, ibid.
47 Courrier de C. Starace à G. Andreotti, 30 juillet 1949, ibid.
48 Dans un premier courrier adressé à G. Andreotti, le 15 mai 1950, il semble confiant quant à l’issue de l’affaire : « Il s’agit, je le tiens pour assuré, d’une aspiration, [celle de Gatti], qui pourra être satisfaite, surtout si l’on tient compte, si je ne m’abuse, des engagements que tu m’as donnés précédemment ». Il envoie un second courrier, le 12 juillet 1950, où il demande des nouvelles du dossier, ibid.
49 Courrier de Giuseppe Notarianni à Giulio Andreotti, 11 novembre 1950, ibid.
50 Ibid.
Auteur
Maître de conférence en Science Politique, UFR de Science Politique, Université Paris I.
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