L’après-divorce dans la société soviétique contemporaine
p. 319-340
Texte intégral
1Nous attacher aux incidences diverses du divorce en Union soviétique, observer en quelque sorte la divortialité soviétique vers l’aval et non plus vers l’amont nous a paru intéressant pour la raison suivante : le divorce est devenu en U.R.S.S. comme ailleurs un fait banal. Depuis une dizaine d’années le nombre annuel des dissolutions de mariage dépasse le chiffre de 900 000 (voir tabl. 1 en annexe). Cela signifie qu’au niveau national, plus d’un mariage sur trois conduit actuellement à un divorce. Cette moyenne est largement dépassée dans les grandes villes où l’on compte une désunion pour deux mariages. Or, malgré l’extension de ce phénomène si lourd de conséquences, peu d’études jusqu’à présent ont concerné la situation des principaux intéressés après le divorce, comme si l’histoire d’une famille s’arrêtait avec la dissolution du mariage.
2Plus soucieux de fournir des renseignements susceptibles de prévenir les ruptures d’unions, les sociologues soviétiques se sont surtout penchés sur les facteurs de la divortialité. La presse cependant se fait l’écho des passions suscitées par le partage des « enfants du divorce », le courrier des lecteurs traite des drames de la solitude. Des travailleurs sociaux, pédagogues, psychologues, criminologues, soulignent les effets nocifs des mésententes conjugales sur les enfants. Dans le cadre des « services de la famille » créés depuis la fin des années soixante-dix pour renforcer l’institution familiale, des clubs de rencontre s’ouvrent « pour les plus de trente ans » et sont surtout fréquentés par des divorcés.
3Les réalités de l’après-divorce s’imposent donc. Aussi des enquêtes empiriques commencent-elles à être menées auprès des personnes divorcées pour connaître les répercussions dans leur vie de la rupture du lien matrimonial. Ces sondages touchent essentiellement la partie européenne et citadine de l’Union soviétique, là où l’intensité de la divortialité est la plus forte.
4 Le présent travail a pour objet de faire une synthèse de tous les documents divers et éparpillés que nous avons trouvés ainsi que des données recueillies dans le pays même sur ce nouveau thème de la sociologie soviétique. Plusieurs questions ont guidé notre recherche. Que représentent quantitativement les divorcés et leurs enfants ? Quelles sont les incidences matérielles immédiates du divorce sur les anciens époux ? Comment la dissociation de la famille agit-elle sur l’éducation des enfants ? Combien de divorcés se remarient-ils ? En d’autres termes, pour résumer toutes ces interrogations, quels ont été les pertes ou les gains effectifs à la suite d’un divorce, question à la fois très vaste et très complexe à laquelle nous ne prétendons pas apporter une réponse exhaustive dans les limites de cet article et avec toutes les lacunes que comporte notre documentation, mais simplement des éléments de réponse, riches d’informations inédites sur le monde soviétique d’aujourd’hui.
I. La dimension du phénomène social
5Une des conséquences du niveau élevé des divorces non suivis de remariages est l’augmentation importante du nombre des personnes classées « divorcées » par les recensements. Ainsi le recensement de 1979 dénombre 2,8 millions d’hommes et 7 millions de femmes de cette catégorie, soit un total de près de 10 millions de divorcés sur 61,3 millions de couples mariés1. Cela donne une proportion de 8 divorcés pour 100 personnes mariées.
6Si l’on tient compte des gens qui se sont remariés après une première ou une seconde désunion, on obtient un nombre bien plus élevé encore de personnes qui ont l’expérience du divorce. Il suffit pour s’en convaincre de se rapporter au tableau 1 en annexe et d’additionner les divorces pendant un certain nombre d’années. En 20 ans, par exemple de 1960 à 1979, il y a eu 12,1 millions de divorces enregistrés, autrement dit 24,2 millions de personnes des deux sexes ont divorcé au cours de cette même période. Le recensement qui ne tient compte que de l’état matrimonial de la population à un moment précis occulte par conséquent presqu’autant, sinon plus, de personnes qui ont déjà divorcé.
7La moyenne nationale de 8 % de divorcés en 1979 recouvre des situations très différentes selon les aires géographiques et culturelles2. En Lettonie et en Estonie on compte 12 personnes dans la catégorie des divorcés pour 100 personnes mariées ; ce taux atteint 9 % dans la fédération de Russie, alors qu’il n’est que de 4 % dans les républiques d’Asie centrale, et de 3 % en Arménie. Si on compare les chiffres de 1985 à ceux de 1979, on constate une augmentation générale des taux (voir tabl. 2 en annexe).
8Les plus nombreux à se séparer ont 25-29 ans : en 1986 ils représentaient 26,6 % des hommes divorcés et 25,9 % des femmes divorcées. Trois quarts des divorces ont lieu avant l’âge de 40 ans (74,3 % chez les hommes et 78,7 % chez les femmes en 1986)3.
9Beaucoup de divorcés ont des enfants d’âge mineur. Victor Perevedencev avance une moyenne de 120 enfants pour 100 dissolutions de mariages4, cela veut dire que la population des « enfants du divorce » voit chaque année un afflux supplémentaire de plus d’un million d’enfants. Quand on ajoute à cet effectif les naissances des enfants des mères célibataires (près de 500 000 par an5), on atteint un chiffre tout à fait considérable d’enfants élevés dans des familles monoparentales, dénommées couramment « familles incomplètes » par la terminologie soviétique. Ces foyers peuvent être également composés d’un des deux parents resté veuf avec ses enfants, mais ce dernier cas, bien que non négligeable, est moins fréquent. La dissolution d’un mariage par divorce est en effet de 3 à 4 fois plus habituelle que la rupture par décès, dans les 5 premières années de mariage, et ce n’est qu’après 20 ans d’union conjugale que les décès l’emportent sur les divorces à un âge où de nombreux enfants sont déjà devenus majeurs6. D’après les données de 1968-1971 il a été calculé qu’un quart des enfants risquait de perdre un de leur parents soit par suite de divorce soit par suite de décès avant d’avoir atteint l’âge de 16 ans7.
10Le recensement de 1979 a dénombré un total de 11 millions d’enfants de tous âges non mariés vivant dans 7,8 millions de foyers monoparentaux (5,3 millions en milieu urbain et 2,5 millions en milieu rural)8. En 1985, les familles monoparentales constituaient 12,6 % de l’ensemble des familles comportant des enfants de moins de 18 ans, auxquelles on peut ajouter 2,4 % d’autres foyers « incomplets » composés par exemple d’une grand-mère et de son petit-fils, ou d’une tante avec sa nièce (voir tabl. 3 en annexe). Sachons à titre de comparaison que l’I.N.S.E.E. a calculé que les ménages monoparentaux constituaient à la même époque en France 12,5 % de l’ensemble des familles comprenant des enfants âgés de moins de 25 ans et célibataires.
11Les différences régionales en U.R.S.S. sont très sensibles : l’Estonie et la Lettonie où les taux de divorces et de naissances extraconjugales sont les plus élevés comptent environ un enfant sur 5, élevé dans des foyers incomplets, tandis que dans des sociétés traditionnelles comme l’Arménie, l’Ouzbékistan ou le Tadjikistan, cette moyenne tombe à 1 enfant sur 11, 12 ou 13.
12Les jeunes couples ne sont pas les seuls à divorcer. Depuis quelques années, on observe une progression sensible des désunions dans le groupe d’âge 45-49 ans qui, de 1980 à 1986 a marqué une hausse de 26,5 % chez les hommes et 28,6 % chez les femmes. Ceux qui rompent leur mariage à 45-49 ans représentent respectivement 8,6 % et 7,2 % de l’ensemble des divorcés de 19869. Il est évident que les problèmes soulevés par ces désunions tardives sont différents de ceux des désunions prononcées à un âge plus jeune. Beaucoup d’enfants de ces couples qui divorcent après 20 ans de vie commune ont alors atteint l’âge de la majorité, ce qui donne la possibilité à leurs parents de se séparer sans l’intervention de la justice. La loi actuelle permet en effet s’il y a accord entre conjoints sans enfant mineur de dissoudre leur mariage sur simple déclaration au bureau de l’enregistrement des actes civils. Le sort de ces personnes n’a pas, jusqu’à présent, beaucoup intéressé ni les journalistes ni les sociologues ; leur situation nécessiterait pourtant une analyse spécifique.
13La présence ou non d’enfants chez le couple qui se sépare ainsi que l’âge des ex-conjoints nous semblent des critères essentiels pour mesurer les conséquences du divorce.
II. Les conditions de vie
1. Le logement.
14Les problèmes de logement acquièrent une importance primordiale dans le contexte soviétique. Avoir des domiciles séparés après le divorce n’est en effet pas simple. Faute d’avoir trouvé des données plus récentes, nous citerons les résultats d’une vaste enquête effectuée en 1968 en Ukraine, et dont les résultats ont paru en 1975 dans un ouvrage qui fait figure de classique pour ceux qui étudient l’institution familiale en U.R.S.S., Mariages et divorces de L. Čujko10.
15À l’époque, deux tiers des époux étaient obligés de cohabiter pendant une période plus ou moins longue après la dissolution de leur mariage. Il est certain que la situation s’est améliorée depuis, la crise du logement est actuellement moins aiguë qu’elle ne l’était il y a vingt ans. Les problèmes sont cependant loin d’être entièrement résolus. Personnellement nous avons rencontré des divorcés qui ont dû continuer à vivre avec leur ancien conjoint cinq et huit ans.
16C’est l’État qui attribue les logements par l’intermédiaire des soviets locaux. Divorcer ne donne pas droit à une pièce supplémentaire. C’est au couple de céder son logis contre deux autres plus petits, en s’adressant au service d’échange des appartements. Ce n’est pas toujours chose facile, comme le prouve la publication dans des journaux à grand tirage de lettres de lecteurs telle celle-ci11 :
Regardez combien de familles dissociées continuent à vivre dans des appartements partagés par le juge ! En effet, échanger un 2 pièces de 25 mètres carrés de surface habitable contre deux studios est un problème presque insoluble. J’ai sous les yeux une famille, l’homme et la femme sont juridiquement divorcés, leur surface habitable est divisée, mais la cuisine, la salle de bains avec W.C., le couloir, tout reste commun, et lui, l’ivrogne, il persiste à boire comme auparavant et quand il est ivre il fait le fanfaron et de nouveau ce sont des cris, des bagarres, du vacarme.
17Quand on sait que le motif principal du divorce avancé par les épouses est l’alcoolisme de leur mari (grief invoqué dans la moitié des cas environ12), on imagine facilement les drames de cette cohabitation forcée.
18Quand le couple sans enfant n’occupe qu’une chambre (car la norme est une pièce de moins que le nombre de membres de la famille), plusieurs solutions sont possibles :
- le retour de l’un d’entre eux chez ses parents ;
- la sous-location à prix très cher d’une chambre chez un particulier ;
- la séparation de la chambre par une cloison ou un rideau, au risque de subir la présence de nouveaux partenaires du mari ou de la femme13 ;
- le départ chez quelqu’un avec qui on a peut-être d’ailleurs déjà décidé de refaire sa vie ;
- enfin l’embauche dans un lointain chantier, quitte à loger dans un foyer où les travailleurs sont plusieurs par chambre ; c’est ainsi que la divortialité peut favoriser les migrations14.
19Plusieurs enquêtes sociologiques indiquent que les divorcés disposent en général, au bout d’un certain temps, de davantage de superficie habitable par personne que les gens mariés, mais au détriment de la qualité de l’habitat15. C’est en effet parmi eux que l’on trouve le plus fort pourcentage de locataires d’appartements communautaires16. Une enquête récente auprès des élèves de terminale de la capitale a révélé que près de 30 % des familles incomplètes à Moscou vivaient dans ces conditions. Cette proportion est trois fois supérieure à celle des familles complètes17.
2. Le niveau de vie.
20Un sondage d’opinion effectué en Lettonie en 1979 auprès de 4 000 personnes divorcées montre que les femmes avec ou sans enfant estiment que leur niveau de vie s’est détérioré après leur divorce18. Ceci peut tenir à plusieurs raisons, d’une part au fait que les femmes, en moyenne, ont des salaires inférieurs à ceux des hommes19, d’autre part au fait que, dans un grand nombre de foyers soviétiques, ce sont les femmes qui tiennent les cordons de la bourse20, laquelle se trouve délestée d’un salaire après le divorce.
21Les hommes qui ont à verser une pension alimentaire à leurs enfants éprouvent également des difficultés financières. Par contre, les hommes qui n’ont pas d’enfants jugent que leur situation matérielle s’est amélioriée21. En général, les divorcés se plaignent davantage que les couples mariés d’un manque d’argent (30,7 % d’hommes et 31,8 % de femmes divorcés, contre 23,0 % et 24,2 % d’hommes et de femmes mariés22. Le budget familial est toutefois meilleur dans le cas où l’ex-mari, ivrogne invétéré, non seulement ne rapportait rien à la maison, mais soutirait encore de l’argent à son épouse23.
22Les ressources sont particulièrement modestes dans les familles incomplètes. Une enquête importante portant sur 1 133 000 familles de la région de Moscou, en 1981-1982, a indiqué que le revenu mensuel par tête était pour 53,8 % de ces familles de 51 à 80 roubles, pour 18,8 % moins de 50 roubles et seulement pour 10,5 % plus de 100 roubles24. C’est dire combien ces familles sont pauvres, étant donné que dans la majorité des foyers l’entretien d’un enfant en bas âge s’élève à 50 roubles et celle d’un adolescent à 100 roubles et plus25. Les économistes soviétiques ont récemment estimé le minimum vital à 75 roubles26 en moyenne. Les revenus des familles monoparentales seraient en fait presque deux fois inférieurs à ceux des familles complètes27.
3. Les pensions alimentaires.
23L’article 22 des « Fondements de la législation de l’U.R.S.S. et des républiques fédérées sur le mariage et la famille » fixe le montant de la pension alimentaire (alimenty) au quart du salaire pour un enfant mineur, au tiers pour deux et à la moitié pour trois et plus. Toute une série de mesures est prévue pour obliger les débiteurs défaillants à s’acquitter de leurs obligations : inscription de leur nom sur une liste spéciale envoyée aux employeurs, saisie-arrêt sur les salaires, amendes, peines de prison, etc.
24Malgré ces dispositions, de nombreuses mères de famille divorcées ne percevaient pas jusqu’à une date récente la pension alimentaire prévue pour les enfants ou alors de manière très variable. Les démarches nécessaires pour recouvrer les sommes dues étaient fort longues, aussi beaucoup d’entre elles renonçaient-elles à toute procédure. Pour les mauvais payeurs tous les moyens étaient bons : disparaître sans laisser d’adresse, changer de travail constamment, accepter un petit emploi officiel mal rétribué pour avoir à verser moins, organiser leur insolvabilité en prenant des congés de maladie. Depuis longtemps la presse stigmatisait les « pères fuyards », ainsi que la mollesse des instances chargées d’appliquer la loi.
25Tout un mouvement d’opinion contre le scandale du non-paiement des pensions a abouti finalement à la création d’un « Fonds alimentaire », garantissant un minimum d’allocations (Arrêté du Soviet des ministres de l’U.R.S.S. du 6 février 1984, entrant en vigueur à partir du 1er janvier 1985). Tout d’abord d’un montant de 20 roubles mensuels pour un enfant, 30 roubles pour deux, 40 roubles pour trois et 50 roubles pour quatre et plus, elles sont passées à 20 roubles mensuels pour chaque enfant, depuis le 1er janvier 198728. Ces prestations sont du même montant que celles qui sont allouées aux mères célibataires. Les enfants de divorcés dont les pères oublient de régler la pension sont donc assimilés en quelque sorte à des enfants naturels. Pour les familles monoparentales, ces allocations malgré leur modicité sont loin d’être négligeables. Les organismes de la Sécurité sociale se chargent de faire cette avance en attendant de la recouvrer par tout un système de coercition sur le salaire du débiteur, et ceci après l’avoir majorée de 10 %29.
26Ce système est de création trop récente pour qu’on puisse juger aujourd’hui de son efficacité. Sans doute la possibilité de percevoir ces prestations de soutien exige-t-elle un non-paiement strict pendant plusieurs mois consécutifs, et il est à craindre que les mères qui se trouvent souvent confrontées au problème de l’irrégularité des versements continueront à être lésées dans leurs droits.
27Il est probable qu’il y aura prochainement d’autres modifications concernant les obligations alimentaires, car parallèlement à la campagne de presse lancée contre les pères divorcés indignes, on a vu se développer un mouvement en faveur de la condition paternelle, réclamant un allègement des pensions30. Dans le cadre de ce combat pour l’égalité parentale, on dénonce la conduite intéressée de certaines femmes qui réussissent à épouser successivement plusieurs travailleurs du Grand Nord ou de Sibérie aux rémunérations importantes, et qui ayant chaque fois un enfant de ces différents mariages « se la coule douce », sans travailler grâce à des pensions élevées31.
28Si on exclue ces exemples très particuliers, la situation économique des enfants de divorcés apparaît comme beaucoup plus déterminée par le statut professionnel du parent-gardien que par le montant de la rente alimentaire.
III. L’éducation des enfants du divorce
1. Le droit de garde.
29Seul « l’intérêt de l’enfant » doit compter pour le juge dans l’attribution de la garde à l’un ou l’autre parent. En vertu de ce principe, l’enfant est presque toujours confié à la mère, considérée automatiquement comme une meilleure gardienne, quelle qu’elle soit. Cette pratique est actuellement remise en cause. À ce sujet, un article polémique de l’écrivain publiciste, Leonid Žuxovickij, paru le 10 octobre 1984 dans la Literaturnaja gazeta, a suscité une vive discussion entre défenseurs des pères et défenseurs des mères divorcés32 :
30À l’époux, a-t-il écrit, il reste la liberté, moins l’enfant, moins l’appartement, moins les alimenty. À la femme, il reste la liberté, plus l’enfant, plus l’appartement, plus les alimenty.
31C’est pourquoi il n’est pas étonnant, selon les avocats des pères, que les femmes soient dans 7 cas sur 10 à l’initiative du divorce. Elles ont apparemment tout à gagner33.
32À ces arguments, les féministes rétorquent que les soins accordés aux enfants sont une lourde charge que peu d’hommes sont prêts à assumer. Preuve en est que le pourcentage des hommes divorcés qui réclament la garde des enfants est infime. Ainsi dans 3 000 affaires de divorces jugées en 1982 dans la région de Grodno en Biélorussie, seulement 11 pères ont manifesté le désir de garder leurs enfants avec eux34.
2. Le droit de visite.
33Théoriquement les parents ont des droits égaux dans l’éducation de leurs enfants. Les mères n’ont pas, par conséquent, à s’opposer aux relations entre le père et ses enfants. Cependant la loi reste souvent lettre morte35.
34En l’absence d’une réglementation stricte du droit de visite, les pères sont impuissants à faire respecter leurs droits. Ils peuvent toujours s’adresser aux organes de tutelle, c’est-à-dire à la section de l’instruction publique de leur quartier (le « Rono ») pour demander l’organisation de rencontres à l’école avec leurs enfants, mais dans la plupart des cas les femmes qui y travaillent prennent le parti de la mère et la réponse est négative sous prétexte que ce rendez-vous perturbe les enfants et va donc à l’encontre du bien de l’enfant36. Même dans le cas, où le « Rono » intente un procès à la mère, celle-ci a la possibilité d’ignorer la décision du juge, car elle risque tout au plus une amende minime pour la non-parution de l’enfant au père. En fait, c’est surtout de la mère que dépendra l’existence ou non de contacts entre le père et sa progéniture et leur succès sera subordonné aux relations que les deux ex-époux entretiennent entre eux. Si ces derniers ont réussi à divorcer « humainement », selon la formule consacrée37, ils pourront continuer à exercer conjointement l’autorité parentale38.
35Il semblerait que ce ne soit pas courant. Le droit de visite comme les obligations alimentaires servent souvent de prétexte aux anciens conjoints pour règler des comptes personnels. Dans certains cas la non-présentation de l’enfant par la mère vient en représailles du non-paiement de la pension alimentaire. Dans d’autres cas, c’est la cessation du paiement de la pension alimentaire qui vient en représailles de l’attitude non coopérative de la mère. Les mères, en général, n’accueillent pas volontiers les pères en visite, et on comprend dans ces conditions pourquoi les débiteurs de pensions alimentaires (les alimenščiki) sont parfois considérés avec une certaine indulgence ; dans la réalité ils sont souvent obligés de payer une rente à des enfants qui leur deviennent complètement étrangers quand ils ne sont pas élevés dans la haine de leur père.
36Quelle qu’en soit la raison, de 60 à 80 % de pères divorcés cessent tous rapports avec leurs enfants mineurs39. Le langage populaire donne à ces enfants le nom « d’orphelins de pères vivants » ou encore de « demi-orphelins ». Actuellement, c’est le quasi-monopole de la femme dans l’éducation des enfants de divorcés. D’aucuns parlent de matriarcat40. Mais reste à savoir combien de pères s’occupaient vraiment de l’éducation de leurs enfants avant leur divorce.
3. Les difficultés de l’éducation.
37Un leitmotiv revient dans les écrits soviétiques, celui des insuffisances d’une éducation purement féminine. On lit ainsi dans un journal pédagogique :
38Je suis père et de surcroît instituteur et je reconnais presque infailliblement dans ma classe les garçons qui sont éduqués par leur mère seule ; ils sont plus gâtés, ils ont moins d’autorité dans la collectivité, ils se maîtrisent moins quand ils sont en colère ou vexés...41
39Voici une autre citation typique, tirée d’un manuel « d’éthique et de psychologie de la vie familiale » destiné aux élèves des classes terminales :
Les garçons élevés sans père, de l’avis des psychologues, ont un tempérament inquiet et agressif […], ils deviennent plus souvent que les autres garçons de leur âge délinquants. […] Et pour les filles, l’absence du père ne passe pas non plus sans laisser de trace. Elles sont en principe insuffisamment féminines et éprouvent en devenant adultes des problèmes dans le choix d’un compagnon […] et, fait curieux, le divorce, ces temps derniers devient en quelque sorte... héréditaire.42
40La perte de contact avec le père paraît avoir des conséquences psychologiques plus néfastes pour les garçons que pour les filles car ils se passent difficilement d’une référence à une image masculine pour réussir leur intégration sociale43. L’absence de ce modèle à la maison est rarement compensée par l’environnement extérieur. L’enseignement est en effet presque entièrement féminisé. Parmi les instituteurs on ne compte plus guère que 10 % d’hommes44. Les carences paternelles sont accusées d’être à l’origine d’attitudes asociales chez certains jeunes. La probabilité de comportements déviants chez les enfants des familles incomplètes serait de deux à trois fois supérieure à celle des enfants issus des familles complètes45. Il ressort de plusieurs études effectuées de 1962 à 1983, dans différentes régions de l’Union soviétique – Moscou, Leningrad, Vilnius, Douchanbé, Ivanovo… – que les garçons issus de foyers monoparentaux sont sur-représentés chez les délinquants juvéniles : de 31 à 47 % appartiennent en effet à ces familles46. Les rares filles qui font partie des bandes de jeunes ont souvent, elles aussi, une origine semblable, tel le cas de cette adolescente de quatorze ans qui, traumatisée par l’abandon du foyer conjugal par son père, a trouvé un réconfort affectif auprès de jeunes voyous47.
41Les foyers monoparentaux seraient également un terrain propice au développement de l’alcoolisme chez les adolescents ; une enquête a indiqué que 27 % d’éthyliques avaient été élevés dans ces familles48. Il est à noter à ce propos une montée de l’alcoolisme féminin, plus répandu chez les femmes divorcées ou célibataires, comme si la solitude entraînait chez elles l’intempérance49.
42Enfin il y aurait corrélation entre famille dissociée et échecs scolaires. Les foyers monoparentaux fourniraient le plus fort contingent des élèves en retard, jusqu’à 60 %, selon les données du sociologue Xarčev50. Dans les catégories sociales moyennes, les chances d’entrer dans un institut d’enseignement supérieur seraient deux fois moindres pour les jeunes de ces familles que pour les autres51.
43Troubles psychiques, inadaptation scolaire et sociale pouvant aller jusqu’au risque de délinquance, tels apparaissent les dangers du divorce pour les enfants dans un discours qui dramatise volontiers les situations, en portant l’accent sur les cas sociaux. En réalité, comme le fait remarquer XarČev, il n’existe pas une association fatale entre familles incomplètes et anomalies dans la conduite des enfants52. Tous les enfants ne pâtissent pas de la rupture familiale. Le divorce apparaît comme un bienfait, quand, selon l’expression empruntée à A. Nečaeva : « L’époux alcoolique a cessé d’être l’éducateur de ses enfants, le soutien de sa famille, le mari de sa femme53 ». Un « bon divorce » alors vaut mieux qu’un « mauvais mariage », avec des disputes perpétuelles dans lesquelles les enfants sont impliqués malgré eux.
44Plus que la séparation elle-même, c’est l’addition des facteurs qu’elle entraîne qui trouble les enfants : difficultés matérielles de la mère, manque de disponibilité de celle-ci surchargée de travail, défaut de surveillance...
IV. Les remariages et les non-remariages
45Le tableau de l’après-divorce ne saurait être achevé sans quelques mots sur les remariages.
1. La fréquence des remariages.
46Étant donné que la grande majorité des ruptures d’unions ont lieu à un âge jeune on pourrait supposer que, pour la plupart des divorcés, l’état de divorcé n’est que transitoire. En effet, parler d’union libre dans le contexte soviétique ne va pas de soi comme en Occident, à cause de la pénurie des logements, des tracasseries de l’administration et enfin de l’opinion publique. Pour avoir une idée approximative de la fréquence des remariages, on peut rapporter le nombre de divorcés pendant une certaine période au nombre de remariages pendant ce même temps (voir tabl. 1 en annexe). En 15 ans, de 1970 à 1985, 12,4 millions de couples ont divorcé, soit 24,8 millions d’hommes et de femmes, et, au cours de ces mêmes 15 ans, 12,2 millions de personnes se sont remariées, ce qui donne une moyenne de 49 remariages pour 100 divorces ; cette proportion, déjà faible, est cependant encore surestimée du fait que les statistiques soviétiques rassemblent sans les distinguer les remariages des divorcés et des veufs. Notre hypothèse de départ sur l’état transitoire du divorce ne s’est donc pas vérifiée.
47Il convient toutefois de remarquer une tendance à la hausse du pourcentage des remariages depuis le début des années quatre-vingt, aussi bien pour les femmes que pour les hommes. En effectuant le même rapport que précédemment mais sur une année, on observe la progression suivante : pour les hommes en 1979 : 47,6 % de remariages ; en 1980 : 48,7 % ; en 1981 : 50,9 % ; en 1983 : 55,1 % ; en 1985 : 56,8 % ; pour les femmes les pourcentages sont respectivement : 43,6 %, 44,5 %, 48,2 %, 53,5 % et 57,6 %. Sans doute cette récente évolution s’explique-t-elle en partie par l’augmentation de la proportion des divorces précoces dans l’ensemble des divorces, ce qui a accru le nombre des divorcés plus facilement remariables, en raison de leur jeunesse.
48La moyenne nationale cache naturellement de grandes différences selon l’âge des personnes concernées. D’après les calculs effectués par la démographe Belova sur la base des données de 1978, 3/4 de ceux dont l’union a été rompue (par divorce ou par décès) avant qu’ils aient 25 ans sont remariés au bout de 10 ans ; dans ce même délai, un peu plus d’1/2 de ceux dont l’union a été rompue entre 25 et 30 ans ; et seulement 1/3 de ceux dont l’union a été rompue entre 35 et 40 ans ont contracté un nouveau mariage54. D’après ces mêmes calculs, au bout de 20 ans, moins de la moitié des divorcés et veufs sont remariés, un peu plus chez les hommes et un peu moins chez les femmes ; ces résultats confirment ceux indiqués ci-dessus. L’intervalle moyen entre l’enregistrement du divorce et le remariage serait de 5,5 ans55.
49Si les femmes sont plus nombreuses que les hommes à se remarier avant 30 ans (et plus particulièrement avant 25 ans), ce n’est plus vrai après ; au fur et à mesure qu’elles prennent de l’âge, la probabilité pour elles de se remarier devient de plus en plus faible à cause en partie du déficit numérique croissant des hommes dû à leur surmortalité. D’après la pyramide des âges en 1979 et en 1985, on compte en effet à partir de la tranche 30-34 ans davantage d’hommes que de femmes :
50En 1985, on dénombre 12,6 % de femmes divorcées dans le groupe d’âges 40-49 ans, alors que les hommes de cet âge sont deux fois moins nombreux dans cette situation, ce qui prouve un remariage plus fréquent dans la population masculine (voir tabl. 4 en annexe).
51On constate également une grande différenciation selon les ethnies :
52Ce tableau reflète les résultats d’un vaste sondage effectué à l’échelon national auprès de personnes dont le mariage a été rompu avant l’âge de 30 ans dans la période 1970-1974, et se trouvant à nouveau dans l’état de mariage au moment de l’enquête en 1985. On peut supposer qu’il s’agit là avant tout de remariages de divorcés, puisque la principale cause de dissolution de mariages avant 30 ans, se trouve être le divorce et non le veuvage.
53Si l’on constate partout un plus fort pourcentage de remariages chez les hommes que chez les femmes, on constate également que l’écart entre eux est plus important, pour les populations d’Asie centrale que pour les Slaves ou les Baltes, et il atteint son maximum en Transcaucasie. Les moins nombreuses à se remarier sont les Géorgiennes. Les différences observées renvoient évidemment à des images du mariage et du divorce très diverses selon les sphères culturelles. Dans les sociétés traditionnelles, le divorce entraîne encore pour une femme, donc pour ses enfants, une stigmatisation prononcée.
54Le recensement de 1979 a dénombré 10,2 % de femmes restées divorcées dans la population féminine âgée de 40-49 ans, alors que, chez les hommes, les divorcés non remariés ne constituent que 5,0 % de ce même groupe d’âge (voir tabl. 4 en annexe).
55La probabilité de se remarier est particulièrement faible pour les femmes qui ont des enfants. Sur la base de certaines sources soviétiques, de 10 à 25 % des mères de familles divorcées se remarieraient58 ; sur la base d’autres sources soviétiques 10 à seulement 15 % contracteraient une seconde union59. Se remarier ne garantit pas par ailleurs une meilleure réussite dans la vie conjugale. D’après plusieurs enquêtes, ces nouvelles unions seraient en général plus fragiles que l’ensemble des premiers mariages60.
56Aussi, nombreux sont les divorcés qui hésitent à recommencer une expérience qui pourrait à nouveau se révéler malheureuse. La comparaison des données de 1979 avec celles de 1985 (voir tabl. 4 en annexe) montre une diminution du pourcentage d’hommes mariés âgés de 40-59 ans et des femmes mariées, âgées de 35-54 ans, diminution qui est principalement due à l’augmentation des personnes restées dans l’état de divorce. Beaucoup d’hommes notamment préfèrent avoir des liaisons hors mariage61. La presse soviétique, souvent moralisante, s’en prend à ces sybarites qui, en refusant de fonder un nouveau foyer, « font baisser les taux de natalité et ont une productivité moindre que les hommes mariés62 ». Cependant les hommes divorcés non remariés sont loin d’être tous des célibataires « militants ».
2. La solitude et les efforts pour en sortir.
57La quantité de divorces non suivis de remariages entraîne l’accroissement de l’effectif des personnes solitaires, c’est-à-dire selon la définition soviétique « des personnes vivant seules, non mariées et sans liens matériels réguliers avec une famille ». Le recensement de 1970 en dénombrait 14,2 millions, en 1979 elles atteignaient le nombre de 15,4 millions63, sans compter les millions d’adultes « isolés », non mariés mais vivant avec des membres de leur famille.
58Bien entendu, une forte proportion de ces personnes solitaires ou isolées sont âgées, surtout des femmes. Mais il y a également parmi elles un pourcentage non négligeable de gens plus jeunes. Dans les grandes villes, un tiers des personnes âgées de 25 à 35 ans seraient seules64. On parle à leur propos de la « maladie de la solitude ». Pour aider ces jeunes ou moins jeunes esseulés à trouver ou retrouver un compagnon ou une compagne, plusieurs systèmes ont été mis en place dans les Pays baltes (à Riga, Vilnius, Tallinn...), en Russie (à Leningrad, Moscou...) et en Ukraine (à Kiev...) : des clubs de rencontre, des annonces matrimoniales et des « officines de mariage ». Ceux-ci par rapport à l’immensité du pays ne sont que « goutte d’eau », mais ces expériences méritent d’être signalées. Les clubs de rencontre « pour les plus de 30 ans » qui ont vu leur naissance à Moscou en 1977 sont fréquentés pour plus de 50 % par des divorcés, 70 % d’entre eux ont au moins un enfant65. Les femmes y sont en excédent ; la moyenne est souvent d’un homme pour 4, 5, ou même 6 femmes aux soirées organisées par ces clubs66. Les billets d’entrée sont généralement payant pour les femmes (1,80 rouble dans certains clubs), mais gratuits pour les hommes67. Ces derniers qui selon toute apparence n’aime pas beaucoup la solution des clubs recourent par contre volontiers aux annonces matrimoniales ; ces annonces payantes sont surtout publiées dans les journaux de Vilnius et de Riga et proviennent de l’Union soviétique entière, même de Khabarovsk et de Sakhaline.
59Je voudrais faire la connaissance d’une femme de moins de 25 ans, qui mesure moins d’1,70 m, et de préférence blonde. J’ai 32 ans et je suis brun.
60J’aimerais faire connaissance d’une femme de 38 à 42 ans qui mesure 1,65 m, je n’ai pas de mauvaises habitudes68.
61On comprend qu’avec des souhaits et des renseignements sur soi aussi laconiques, il soit difficile de trouver le partenaire souhaité.
62Les « officines de mariage » semblent plus sérieuses. Pour six roubles, on peut ainsi consulter dans une cartothèque de Riga la fiche d’un ou d’une fiancé(e) potentiel (le), où de multiples informations sont consignées69. À Moscou, rue Tchekhov, un psychiatre, A. Egides, a également constitué une cartothèque de ce type, mais seuls ont droit de consulter les fiches ceux qui ont été autorisés à faire partie du « club du Petit Prince », or pour cela, il faut auparavant travailler bénévolement à l’aménagement des locaux du club, quatre heures par semaine, pendant un semestre ; l’obligation est lourde mais elle peut être l’occasion de rencontres agréables. Et l’astucieux médecin trouve là un moyen de soigner ses clients névrosés dont une bonne partie est constituée de divorcés70.
63Alors que l’accent était surtout mis jusqu’à ces dernières années sur les femmes, victimes du divorce, on s’est aperçu depuis peu que les hommes supportaient en général moins bien que les femmes la solitude, suite à un divorce71. Ces dernières quand elles ont des enfants arrivent à compenser leur vide affectif grâce à la maternité, mais en revanche les enfants sont un obstacle à leur remariage.
64De nombreuses femmes qui auraient l’occasion de « refaire leur vie » y renoncent devant l’attitude hostile de leur rejeton72.
3. Les familles biparentales composées.
65Un certain nombre de mères de famille contractent cependant une nouvelle union et parmi celles-ci surtout des femmes âgées de moins de 30 ans. Il n’est pas rare non plus que les enfants de divorcés aillent passer leurs vacances chez leur père remarié. La question des relations avec le beau-père ou la belle-mère (et éventuellement leurs enfants) se pose donc. Nous pensons qu’elles peuvent être bonnes, preuve en est que maints enfants sont adoptés par « le deuxième père », principalement quand ils sont en bas âge73. Mais les écrits soviétiques insistent surtout sur les difficultés de la cohabitation. Les adolescents en particulier ont du mal à s’adapter au nouveau conjoint qu’ils considèrent comme un intrus et ils en veulent à leur mère à laquelle ils manifestent de l’agressivité74. Les relations entre la mère et ses enfants seraient meilleures dans le cas de non-remariage75.
66Cependant, il faut se garder de généraliser. Les lecteurs de la Literaturnaja gazeta ont sans doute encore à l’esprit la lettre émouvante de Slava, douze ans, un petit garçon de Sibérie :
Maman et moi nous vivons à deux. Mon père buvait, était bagarreur, il offensait maman. Nous l’avons chassé et après nous sommes partis. Nous vivons ici depuis trois mois, nous n’avons pas ici de parents. À la maison c’est le calme et l’ennui. Combien de fois j’ai dit à maman qu’elle se remarie. Maman me dit : « Pourquoi ? Nous sommes bien tous les deux », et moi j’ai tant envie d’un père... Je vous écris pour que vous écriviez à notre sujet ; peut-être quelqu’un voudra-t-il être mon père...76.
67Des centaines de réponses ont suivi ; nous ignorons la fin de l’histoire, mais ce qui est significatif, c’est d’une part le désir de l’enfant d’un père de « substitution » et d’autre part le grand nombre d’hommes qui ont répondu à l’appel de Slava.
68Dans le cas d’un remariage à un âge jeune, il n’est pas rare que le couple décide d’avoir un enfant. L’arrivée d’un demi-frère ou d’une demi-sœur soulève de nouveaux problèmes.
69Les démographes ont des avis divergents quant aux conséquences de la divortialité sur la natalité. Pour certains comme Sysenko, elle entraînerait une diminution des naissances77 ; pour d’autres comme Borisov, elle n’aurait aucune influence78.
70Ce qui est sûr, c’est que la forte divortialité, observée tout au moins dans la partie européenne de l’U.R.S.S., provoque une transformation de la cellule familiale. Avec la multiplication des familles monoparentales, et à un moindre degré celle des familles biparentales composées ; on s’éloigne de plus en plus du modèle traditionnel d’un couple stable et de ses enfants79.
Conclusion
71La nébuleuse de l’après-divorce cache des réalités très diverses. Il est impossible de mesurer toutes les incidences psychologiques et économiques d’un divorce. Tout est fonction de l’âge, du sexe, de la situation matérielle, du caractère, du système de valeurs des principaux intéressés, enfin de l’aide des proches et de celle de l’État. Cela n’empêche pas cependant la plupart des divorcés de rencontrer à des degrés différents les mêmes difficultés.
72S’il est vrai que la vie d’une famille avec des enfants ne s’arrête pas avec la rupture du lien conjugal, les situations familiales après le divorce sont très variables : familles où les ex-conjoints continuent d’entretenir des contacts amicaux, familles où les ex-conjoints sont en conflit, familles – et elles semblent être les plus nombreuses – où toute relation avec l’un des parents – le père le plus souvent – a effectivement cessé.
73Les conséquences du divorce dépendent également des réactions de l’entourage. Les préjudices sont plus ou moins importants selon que le divorce est plus ou moins frappé de stigmatisation sociale et que les membres de la famille dissociée se sentent plus ou moins culpabilisés et marginalisés. Il est certain que les chocs émotifs liés au divorce risquent d’être plus graves dans un village arménien que dans une grande ville comme Moscou. Mais le fait qu’ici et là, la procédure du divorce ait lieu obligatoirement au tribunal populaire, si le couple a des enfants mineurs, le fait que les conjoints soient mêlés aux autres justiciables, qu’il n’existe pas de juge aux affaires matrimoniales, et qu’enfin le procès doit revêtir un « caractère éducatif », tout ceci prouve que le divorce pour les ménages avec enfants mineurs est encore considéré officiellement comme un délit, bien que la pratique sociale contredise sans cesse la norme juridique.
74Dans ce contexte où l’image officielle du divorce est négative, le discours soviétique sur les effets des désunions a tendance à n’en retenir que les aspects catastrophiques. Ce constat très pessimiste risque de rendre plus pénibles les épreuves inhérentes à tout divorce.
Annexe
Notes de bas de page
1 L.L. Rybakovskij (éd.), Vosproizvodstvo naselenija i demografičeskaja politika v SSSR (La reproduction de la population et la politique démographique en U.R.S.S.), Moskva, Nauka, 1987, p. 99.
2 H. Yvert-Jalu, « L’état matrimonial de la population dans les diverses républiques de l’Union soviétique », Population, 3, 1982, p. 671.
3 Vestnik statistiki, 1986, n° 11, p. 76.
4 V. Perevedencev, « Brak vdogonku » (Le mariage à la suite d’une grossesse), Nedelja, n° 34, 1987, p. 12.
5 M.S. Bednyj, Demografičeskie faktory zdorov’ja (Les facteurs démographiques de la santé), Moskva, 1984, p. 94.
6 E.K. Vasil’eva, Sem’ja v socialističeskom obščestve (La famille dans la société socialiste), Moskva, Mysl’, 1985, p. 145 (« Sovetskij obraz žizni »).
7 A.G. Volkov, « Kak izmenjaetsja naSa sem’ja » (Comment se transforme notre famille), in Naši ženščiny (Nos femmes), Moskva, Finansy i statistika, 1984, p. 22.
8 Čislennost’ i sostav naselenija SSSR (Effectifs et composition de la population de l’U.R.S.S.), Moskva, Finansy i statistika, 1985, p. 252.
9 H. Yvert-Jalu, « L’évolution de la divortialité en Union soviétique depuis 1965 : aspects démographiques », in : B. Kerblay (éd.), L’Évolution des modèles familiaux dans les pays de l’Est européen et en U.R.S.S., Paris, Institut d’études slaves, 1988, pp. 123-138.
10 L.V. Čujko, Braki i razvody (Mariages et divorces), Moskva, Statistika, 1975, pp. 147-148.
11 M. Ljašenko, « Vsë ostaëtsja detjam » (Tout reste aux enfants), Izvestija, 14 juil. 1985, p. 3.
12 A.M. Nečaeva, Brak, seim’ja, zakon (Mariage, famille, loi), Moskva, Nauka, 1984, p. 60.
13 L. Ivčenko, « Žiliščnyj konflikt » (Conflit de logement), Izvestija, 9 sept. 1985.
14 D.I. Valentej (éd.), Gorodskaja i sel’skaja sem’ja (Famille urbaine et famille rurale), Moskva, Mysl’, 1987, pp. 228-229.
15 I. Zarin’š, « Povsednevnaja žizn’ v ocenke razvedënnyh gorodskix žitelej Latvijskoj SSR » (La vie quotidienne dans l’évaluation des citadins divorcés de Lettonie), in Celovek posle razvoda (L’individu après le divorce), Vilnius, 1985, p. 133.
16 L. A. Zubenko, V. S. Jazykova, Rol’ sem’i v sisteme kommunističeskogo vospitanija (Le rôle de la famille dans le système de l’éducation communiste), Moskva, Moskovskij rabočij, 1984, p. 23.
17 A. Demidov, « Čto za ciframi ? » (Qu’y a-t-il derrière les chiffres), Učitel’skaja gazeta, 1er nov. 1986, p. 3.
18 Zarin’š, art. cit, p. 132.
19 H. Yvert-Jalu, « Les femmes et l’emploi en Union soviétique », Revue d’études comparatives Est – Ouest, déc. 1984, pp. 38-43.
20 V.S. Stešenko, éd., Trudovaja aktivnost’ ženščin (L’activité professionnelle des femmes), Kyïv, Naukova dumka, 1984, p. 148.
21 Zarin’š, art. cit., p. 132.
22 Eod. loc.
23 N. Jurkevič, S. Burova, « Ètot lëgkij razvod » (Ce divorce facile), Literaturnaja gazeta, 1er oct 1975.
24 Zubenko et al., op. cit., n. 17.
25 L. Velikanova, Z. Balajan, « 70 millionov sem’ej » (70 millions de familles), Literatumaja gazeta, 24 oct. 1983, p. 14.
26 S. Ermočenkova, N. Lakomova, « Po trudu li zarabotok ? » (Est-ce que le salaire correspond au travail ?), Argumenty i fakty, n° 161, 1989, p. 2.
27 Demidov, art. cit.
28 M. Barščevskij, « Kto zaplatit alimenty ? » (Qui va payer la pension alimentaire ?), Izvestija, 10 nov. 1986, p. 3.
29 « Alimenty » (Les pensions alimentaires), Izvestija, 16 déc. 1987, p. 3.
30 Perevedencev, « Otcy i alimenty » (Les pères et les pensions alimentaires), Literaturnaja gazeta, 13 juin 1984, p. 13.
31 O.O. [Otec-odinočka (Un père célibataire)], « Počemu ja ne ženjus’ » (Pourquoi je ne me marie pas), Komsomoïskaja pravda, 3 déc. 1986, p. 3.
32 L. Zuxovickij, « Kuda isčezajut nastojaščie mužčiny ? » (Où disparaissent les vrais hommes ?), Literaturnaja gazeta, 10 oct. 1984, p. 12.
33 I. Mamaladze, « Poslednjaja privilegija » (Le dernier privilège), ibid., 23 janv. 1985, p. 11.
34 N. Sergeevna, L. Kuznecova, « Otec est’ – Otca net » (Père présent – père absent), ibid., 3 avr. 1985, p. 12.
35 Eod. loc.
36 N. Djačenko, « Papa osirotel » (Papa est devenu orphelin), Izvestija, 8 avr. 1985, p. 3.
37 Afanas’eva, Sem’ja (La famille), Moskva, Prosveščenie, 1985, p. 202, chapitre consacré au divorce sous le titre « Razvod po-čelovečeski ».
38 E. Kondratov, « Radi syna » (Pour l’amour du fils), Izvestija, 27 janv. 1983, p. 6.
39 Ju. A. Konusov, « Vozmožnost’ kompensacii negativnyx posledstvij razvoda dlja detej » (La possibilité d’une compensation des conséquences négatives du divorce sur les enfants), in Sem’ja kak ob’ekt social’noj politiki (La famille, objet de la politique sociale), Moskva, Institut des recherches sociologiques de l’Académie des sciences de l’U.R.S.S., 1988, p. 159.
40 Žuxovickij, Pomogi svoej sud’be (Aide ton destin), Moskva, Izd. političeskoj literatury, 1987, p. 162.
41 M. Kondrat’ev, « Roditel’skoe sobranie » (Une réunion de parents), Učitel’skaja gazeta, 1er nov. 1986, p. 3.
42 G. Razumixina, Mir sem’i (Le monde de la famille), Moskva, Prosveščenie, 1986, pp. 196-197.
43 V. Solodnikov, « Deti razvoda » (Les enfants du divorce), Sociologičeskie issledovanija, 1988, n° 4, pp. 58-62.
44 M. S. Bednyj (éd.), Sem’ja – zdorov’e – obščestvo (Famille – santé – société), Moskva, Mysl’, 1986, p. 73.
45 G. M. Min’kovskij, « Neblagopolučnaja sem’ja i protivopravnoe povedenie podrostkov » (Famille perturbée et conduite délinquante des adolescents), Sociologičeskie issledovanija, 1982, n° 2, p. 106.
46 V. Titarenko, « Vospitatel’naja uščerbnost’ nepolnoj sem’i » (Les préjudices de l’éducation dans la famille incomplète), in Čelovek posle razvoda, op. cit., p. 92.
47 B. Xrapov, « Učitelja i roditeli » (Maîtres et parents), Izvestija, 25 août 1986, p. 3.
48 Titarenko, art cit., p. 91.
49 B. Levin, M. Levin, « Èliksir obmana » (L’elixir du mensonge), Literaturnaja gazeta, 4 juil. 1979.
50 Konusov, art cit, p. 153.
51 Titarenko, ait cit., p. 92.
52 Konusov, art cit, p. 155.
53 Nečaeva, op. cit., p. 60.
54 A. G. Volkov, Sem’ja – ob’ekt demografii (La famille, objet de la démographie), Moskva, Mysl’, 1986, p. 155.
55 M. S. Tol’c, « Razvody i sovremennyj uroven’ roždaemosti » (Les divorces et le niveau actuel de la natalité), in Problemy vosproizvodstva i zanjatosti naselenija, Moskva, Institut de recherches sociologiques de l’Académie des sciences de l’U.R.S.S., 1984, p. 26.
56 Rapports effectués d’après les données de Naselenie SSSR 1987 (La population de l’U.R.S.S., 1987), Moskva, 1988, p. 49..
57 Materialy vyboročnogo social’no–demografičeskogo obsledovanija naselenija SSSR 1985 g. (Données du sondage sociodémographique de la population de l’U.R.S.S. en 1985), source citée par G.P. Kiseleva et A.B. Sinel’nikov dans leur communication dactylographiée présentée à la Rencontre franco-soviétique de l’I.N.E.D., Bordeaux, oct. 1988, p. 18.
58 P. Zvidrin’š, « Stabil’nost’ brakov i roždaemost’ » (Stabilité des mariages et natalité), in Roždaemost’ : izvestnoe i neizvestnoe, Moskva, Finansy i statistika, 1983, p. 63.
59 N. Ja. Solov’ev, « Ženščina i rebënok v poslerazvodnoj situacii » (La femme et l’enfant après le divorce), in Social’nye posledstvija razvoda, Moskva, Institut de recherches sociologiques de l’Académie des sciences de l’U.R.S.S., 1984, p. 53.
60 A. Volkov, op. cit., p. 147.
61 Žuxovickij, op. cit., p. 232.
62 Berton-Hogge, « La crise de la famille soviétique », Problèmes politiques et sociaux, série U.R.S.S., 4 juil. 1980, p. 8.
63 Demografičeskij ènciklopedičeskij slovar’ (Dictionnaire encyclopédique de démographie), Moskva, Sovetskaja ènciklopedija, 1985, p. 297.
64 V.S. Ševčenko, « Sem’ja v zerkale perestrojki » (La famille dans le miroir de la perestroïka), Kommunist Ukrainy, 1988, n° 10, p. 22.
65 A.F. Severina, G. Zaikina, « Služba sem’i i voprosy eë dal’nejšego soveršenstvovanija » (Le service de la famille et les questions de son perfectionnement ultérieur), Sociologičeskic issledovanija, 1983, n° 3, p. 89.
66 O. Fin’ko, « Prixodite svatat’sja » (Venez vous chercher un époux/une épouse), Komsomol’skaja pravda, 14 oct. 1980, p. 4.
67 Žuxovickij, op. cit., p. 198.
68 Ibid., p. 202.
69 T. Celms, « Vam nevestu » (Voilà pour vous une fiancée), Literaturnaja gazeta, 10 juin 1987, p. 10.
70 Zuxovickij, op. cit., pp. 240-246.
71 N. Solov’ev, « Čelovek v poslerazvodnoj situacii kak predmet sociologičeskogo issledovanija » (La personne après le divorce, objet de recherche sociologique), in Čelovek posle razvoda, op. cit., p. 10.
72 E. Svetlova, « On, ona i prepjatstvie » (Lui, elle et l’obstacle), Moskovskij komso– molec, 23 janv. 1988, p. 2.
73 M. Ju. Barščevskij, « Usynovlenie » (L’adoption), Izvestija, 13 mai 1987, p. 3.
74 Titarenko, art. cit., p. 101.
75 A.G. Xarčev, M.S. Mackovskij, Sovremennaja sem’ja i eë problemy (La famille actuelle et ses problèmes), Moskva, Statistika, 1978, p. 117.
76 Slava, « Mne nužen papa » (J’ai besoin d’un papa), Literaturnaja gazeta, 9 févr. 1977 ; échos à cette lettre, ibid., 6 avr. 1977.
77 V.A. Sysenko, Ustojčivost’ braka (La stabilité du mariage), Moskva, Finansy i statistika, 1981, p. 106.
78 S.I. Golod, Stabil’nost’ sem’i (La stabilité de la famille), Leningrad, Nauka, 1984, p. 113.
79 J. Commaille, « Contribution à une problématique pour une recherche internationale sur les enfants de familles dissociées », in Actes du VIe Colloque du Groupe international de recherche sur le divorce, I.N.E.D., 1979, pp. 60-75.
Auteur
(Université de Paris I – Panthéon-Sorbonne)
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