Ce que la mondialisation fait au terrain
Pratiques et relations d’enquête Nord-Sud
What globalisation is doing to the field. North-South research practices and relationships
p. 37-56
Résumés
Les travaux méthodologiques consacrés à l’étude de la mondialisation se sont souvent focalisés sur les problèmes soulevés par l’articulation du « local » et du « global », laissant de côté les enjeux concrets qui pèsent sur l’ethnographe engagé-e sur des terrains mondialisés. À partir d’un travail portant sur les artistes africains du spectacle vivant (danse contemporaine et théâtre), cet article revient sur la redéfinition des sites et modalités d’enquête qu’implique la circulation des enquêtés dans un espace transnational. Il resitue également la pratique ethnographique au sein des rapports de pouvoir qui structurent pour partie l’économie artistique internationale. La manière dont sont mises en jeu dans la relation d’enquête l’identité de genre, l’appartenance ethnique et de classe de l’ethnographe actualise les rapports de domination Nord-Sud qui traversent la pratique artistique mondialisée.
Methodological studies of globalisation have often focused on the issues raised by the connection between the “local” and the “global”, neglecting the practical challenges confronting the engaged ethnographer in globalised territories. Starting from a study of African performing artists (contemporary dance and theatre), this paper first redefines research sites and modalities as required by the movement of the respondents across borders. It also resituates ethnographical practice within the power relationships that to some extent structure the international artist economy. The way the research relationship involves the ethnographer’s gender identity and ethnic and class membership is a contemporary example of the relationship of North-South dominance that underpins globalised artist practices.
Entrées d’index
Mots-clés : mondialisation, ethnographie, Afrique, art contemporain, relations Nord-Sud
Keywords : globalisation, ethnography, contemporary art, africa, north-south relations
Texte intégral
1Le développement des études sur les migrations a contribué, depuis le travail pionnier de William Thomas et Florian Znaniecki en 1920 sur les paysans polonais immigrés aux États-Unis (Thomas et Znaniecki, 2005), à repenser la pratique anthropologique du terrain. Par définition, l’objet « migration » se laissant difficilement saisir par l’ethnographie unisite de tradition malinowskienne, des méthodes de recherche originales ont accompagné le développement de ce nouveau champ de la sociologie. En France, dans le prolongement du travail fondateur d’Abdelmalek Sayad, les recherches sur les migrations se sont efforcées de rendre compte de la globalité du processus migratoire, c’est-à-dire de sa double nature de phénomène d’émigration et d’immigration (Sayad, 1977). Dans cette perspective, la conduite d’un travail empirique dans les pays de départ aussi bien que dans ceux d’arrivée est apparue appropriée.
2L’émergence plus récente des recherches liées au phénomène de mondialisation a contribué à la production d’une réflexion renouvelée et approfondie sur l’ethnographie. De fait, l’anthropologie – américaine dans un premier temps –, prenant acte de l’intensification des relations sociales à l’échelle planétaire, a formulé des propositions concernant la méthodologie à mettre en œuvre dans l’étude de la mondialisation (Appadurai, 2001 ; Burawoy et al., 2000 ; Kearney, 1995 ; Marcus, 1995). Cependant, si ces travaux ont soulevé l’importance de la méthode ethnographique dans la compréhension des phénomènes globaux – en élaborant notamment des approches théoriques de l’articulation du « local » et du « global » –, ils se sont rarement intéressés aux enjeux concrets que fait peser sur le chercheur une telle ethnographie de la mondialisation. De quelles redéfinitions du terrain celle-ci fait-elle l’objet ? Quelle place le chercheur occupe-t-il sur ces sites d’enquête singuliers ? En quoi sa position est-elle tributaire de l’économie symbolique mondialisée dans laquelle s’inscrit sa recherche ?
3À partir d’un travail portant sur les pratiques artistiques contemporaines en Afrique (théâtre et danse), cet article propose quelques pistes de réflexion pour répondre à ces questions. Il s’agira, d’une part, de revenir sur la manière dont ces objets de recherche, impliquant la circulation des enquêtés dans un espace artistique international, ont dessiné les contours de sites d’enquête temporaires et multilocalisés. Il conviendra, d’autre part, de resituer la pratique ethnographique au sein des rapports de pouvoir qui structurent pour partie l’économie artistique internationale. La manière dont sont mises en jeu, dans la relation d’enquête, l’identité de genre, l’appartenance ethnique et de classe de l’ethnographe, constitue à cet égard un enjeu majeur. Ainsi, les sollicitations d’ordre intellectuel, sexuel et financier dont j’ai pu faire l’objet sur le terrain en tant que femme blanche, très diplômée, actualisent les rapports de domination Nord-Sud qui traversent aussi la pratique artistique contemporaine.
Quel(s) terrain(s) pour une pratique mondialisée ?
4La progressive institutionnalisation de la danse contemporaine et du théâtre en Afrique, comprise comme un double mouvement de structuration d’un marché artistique sur le continent et de professionnalisation des artistes africains, doit beaucoup aux institutions et aux acteurs internationaux de la coopération (Despres, 2016).
5À l’échelle des États-nations, les opérateurs comme CulturesFrance ou Africalia sont par exemple deux importants bailleurs de fonds de l’activité artistique contemporaine en Afrique1. Plusieurs de leurs initiatives encouragent la mobilité des artistes entre les pays du continent africain, mais aussi, plus largement, entre l’Europe et l’Afrique : c’est le cas, pour s’en tenir à l’exemple français, des programmes Visas pour la création et Azalaï de CulturesFrance. Le premier octroie des bourses pour effectuer une résidence artistique en France ou dans un pays africain. Le second encourage la coopération intra-africaine à travers le soutien financier à des projets réunissant des artistes et/ou des opérateurs africains issus d’au moins trois pays de l’espace sahélien. Au-delà de ces programmes, l’appui de CulturesFrance à la mobilité des artistes peut se traduire plus indirectement par le financement de festivals ou de formations chorégraphiques qui rassemblent des danseurs issus des quatre coins du continent africain.
6À l’échelle internationale, les organisations non gouvernementales (ONG) et les fondations privées prennent également part au financement de projets artistiques en Afrique. Ainsi l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) propose par exemple des bourses destinées à la formation des artistes africains. Les fondations privées, principalement présentes dans les États anglophones du continent, participent quant à elles pour une large part au financement du secteur artistique et culturel. Surtout, l’Union européenne est devenue, en quelques années, un partenaire institutionnel majeur du développement artistique en Afrique. Le programme ACPCultures+2, dans le cadre de sa mission de soutien aux opérateurs culturels des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, a par exemple financé – notamment par l’intermédiaire du Fonds européen de développement (FED) – le projet de formation chorégraphique Chrysalides. Cette initiative, dont la réalisation s’est étalée sur deux ans (2010-2011), a permis à vingt jeunes chorégraphes de bénéficier d’une formation itinérante en trois étapes : au Sénégal, au Kenya et au Burkina Faso.
7L’étude de pratiques artistiques telles que la danse contemporaine ou le théâtre en Afrique impose donc d’emblée une échelle d’analyse internationale. D’une part, parce que l’institutionnalisation de ces pratiques s’inscrit dans l’histoire des relations culturelles euro-africaines et dans celle des institutions internationales de la coopération qui soutiennent largement son développement. D’autre part, parce que l’économie du travail artistique – a fortiori dans le domaine du spectacle vivant – est profondément inscrite dans la mobilité. Les danseurs, comédiens, metteurs en scène se déplacent de ville en ville, de pays en pays, à l’occasion des tournées de leurs spectacles dans des théâtres ou des festivals (fig. 1 et 2). Une part importante de leurs déplacements concerne aussi l’activité de formation et de création qui les conduit à circuler entre les cours et les stages, ou à investir les théâtres ou les studios de danse lorsqu’ils sont en période de création. Ainsi, la danse contemporaine et le théâtre en Afrique apparaissent bien comme des pratiques multiterritorialisées, à la fois du point de vue des échelles d’intervention des entités institutionnelles qui prennent part à leur développement (locale, nationale, régionale, internationale) et du point de vue des lieux d’accueil, au Nord comme au Sud, entre lesquels circulent les artistes africains.
8Cette imbrication de territoires et cet enchevêtrement d’acteurs – associés entre eux, du reste, par des liens souvent temporaires, qui se dissolvent et se recomposent au gré des événements, des projets artistiques et des opportunités de financement – soulèvent des enjeux ethnographiques importants. Il s’agit en effet de concevoir une enquête à même de saisir un objet mondialisé, c’est-à-dire de déployer un dispositif empirique attentif à la diversité, à la multiterritorialité et à la temporalité spécifique des pratiques qu’il recouvre.
9Dans un article daté de 1995, intitulé « Ethnography In/Of the World System: The Emergence of Multisited Ethnography », George Marcus souligne l’importance de l’ethnographie dans l’étude de la mondialisation, qu’il s’agisse des dynamiques migratoires, de la circulation des marchandises et des capitaux, ou de la transnationalisation des identités et des productions symboliques. Du point de vue méthodologique, l’ethnographie multisituée construit des espaces de recherche dispersés dont les connexions émergent au fur et à mesure (Marcus, 1995). Les enquêtes ethnographiques que j’ai menées, à cheval entre l’Afrique et la France, participent de cette démarche inductive et multisituée. Au départ conçu comme des monographies – une école de danse contemporaine à Bamako au Mali, un festival de théâtre au Burkina Faso –, le travail de terrain s’est progressivement fragmenté dans l’espace et dans le temps (voir l’encadré). De fait, la mise au jour, au sein de ces espaces localisés, des enjeux liés à la mobilité internationale des artistes et l’importance de leurs liens avec d’autres lieux a considérablement infléchi le dispositif d’enquête initial. Le choix qui a été le mien d’organiser le travail empirique autour des pratiques des artistes eux-mêmes – ce qui revient, suivant les termes de George Marcus, à suivre les individus et les objets (en l’occurrence, ici, les spectacles) – m’a rapidement conduite à circuler, entre le Mali, le Burkina Faso et la France, entre les espaces de formation, de création et de diffusion fréquentés par les danseurs et les comédiens africains.
Une enquête multisituée
Février à juin 2008 (cinq mois) : Bamako (Mali)
10J’ai mené une observation participante dans un centre de formation à la danse contemporaine. À l’occasion de la création d’un spectacle prévu pour une tournée en Europe, j’ai occupé les fonctions d’assistante de la chorégraphe qui dirige l’établissement.
Mai 2008 (10 jours) : Tunis (Tunisie)
11J’ai accompagné l’un des danseurs du centre de formation à Tunis où son solo était programmé dans le cadre du concours des Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien3.
Juin-juillet/octobre 2008 (un mois) : Marseille, Montpellier, Lyon, Paris (France)
12Dans le cadre de l’observation participante, j’ai accompagné la compagnie en France où s’est déroulée la résidence technique du spectacle ainsi que la première phase de la tournée. Alors que ma collaboration avec les membres de l’équipe du spectacle a pris fin en juillet, je leur ai rendu visite à Lyon. J’ai négocié à cette occasion un retour sur le terrain bamakois pour l’année suivante.
Février et mars 2009 (deux mois) : Bamako (Mali)
13Retour sur le terrain bamakois en « simple observatrice ». J’ai assisté, d’une part, à un atelier de formation dispensé aux danseurs du centre par un pédagogue issu d’une prestigieuse compagnie de danse française. Les observations ont porté, d’autre part, sur les cours de la section danse du Conservatoire des arts et métiers multimédia (CAMM) de Bamako ainsi que divers projets de création de jeunes danseurs bamakois.
Décembre 2009 (un mois) : Ouagadougou (Burkina Faso)
14Observation ethnographique au centre de développement chorégraphique La Termitière. J’ai suivi une session de formation dédiée à l’« écriture chorégraphique », à laquelle participaient une vingtaine de jeunes chorégraphes africains – dont certains rencontrés sur le terrain à Bamako et à Tunis.
Novembre 2010 (un mois) : Bamako (Mali)
15Observation participante à l’occasion de la 8e édition des Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien qui se déroulait cette année-là à Bamako. J’ai été chargée de l’organisation de deux débats ainsi que des rencontres publiques avec les chorégraphes programmés dans le concours.
Février 2014 (un mois) : Ouagadougou (Burkina Faso)
16Par l’intermédiaire d’un chorégraphe burkinabé rencontré dans le cadre de l’enquête sur la danse contemporaine, j’ouvre un nouveau terrain sur le théâtre. Observation ethnographique des ateliers de formation au jeu d’acteur, à l’écriture dramaturgique et à la mise en scène, organisés dans le cadre du festival de théâtre les Récréâtrales4, auxquels participaient une trentaine de jeunes artistes issus de divers pays du continent africain.
Février 2014 (un mois) : Ouagadougou (Burkina Faso)
17Observation participante à l’occasion de la plateforme du festival des Récréâtrales. J’ai été chargée, avec d’autres collègues chercheuses, de l’organisation d’un colloque sur les pratiques artistiques contemporaines en Afrique, intégré à la programmation du festival.
Une ethnographie multisituée : investir les sites temporaires
18Dans un article au titre évocateur, « Being There… and There… and There ! », Ulf Hannertz présente, en s’appuyant sur l’enquête qu’il a réalisée sur les correspondants étrangers dans les médias d’information, les enjeux méthodologiques liés à l’ethnographie multisituée (Hannertz, 2003). S’agissant du choix et de la définition des sites d’enquête, Ulf Hannertz rappelle qu’une telle démarche consiste d’abord en une opération de sélection de sites parmi une multitude de terrains d’enquête potentiels. Il poursuit :
La diversité des sites effectivement associés dans une enquête doit bien sûr quelque chose aux problèmes particuliers ou aux points de comparaison ciblés par le schéma de recherche initial. Mon choix d’investir ces sites passablement exotiques que sont Jérusalem, Johannesburg et Tokyo, renvoyait à mon intérêt pour le travail des reporters lorsqu’il implique une certaine distance culturelle. J’aurais été moins attiré par des reporters travaillant par exemple entre Bruxelles et Stockholm ou entre Londres et New York. Cela dit, je me demande si l’une des caractéristiques récurrentes de l’ethnographie multisituée n’est pas la suivante : la sélection des sites se fait, dans une certaine mesure, progressivement et de façon cumulative, au fur et à mesure que de nouvelles idées apparaissent, que de nouvelles opportunités se font jour – et à la limite, par hasard. (ibid. : 207, traduction de l’auteur)
19Comme dans le cas d’Ulf Hannertz, si les différents sites de mon enquête ont été tributaires d’un certain nombre de choix raisonnés – ils étaient en particulier connectés entre eux par l’activité artistique qu’y réalisaient concrètement les enquêtés que j’avais décidé de suivre –, ils ont aussi été pour partie déterminés par les opportunités qui ont pu surgir ici ou là, et s’imposer en quelque sorte d’eux-mêmes.
20Il faut toutefois ajouter que, en dehors de ces « heureux hasards », des contraintes et/ou des connexions extérieures à la relation d’enquête – comme par exemple mon agenda d’enseignante, les moyens dont je pouvais disposer pour des périodes de terrain en Afrique coûteuses en temps et en argent, les connaissances et les liens concrets établis au Mali par ma directrice de thèse, etc. –, ma présence sur les différents sites d’enquête a dépendu de façon décisive de mon degré d’investissement et de participation en tant qu’ethnographe. L’enquête multisituée impliquant potentiellement la multiplication des négociations dans l’accès aux différents terrains, l’observation participante a de fait facilité l’exploration de nombreux sites. Soit parce que ma position participante justifiait presque « naturellement » ma présence – en tant qu’assistante de la chorégraphe, il était légitime que je prenne part à la tournée du spectacle ; en tant qu’organisatrice du colloque, il était normal que je prenne part au festival –, soit, de façon plus indirecte, parce que les liens forts tissés pendant la phase d’observation participante pouvaient être mobilisés a posteriori dans d’autres lieux de l’enquête. Dans ces conditions, le choix et la définition des différents sites de l’enquête multisituée doivent aussi s’envisager en relation avec le régime d’engagement de l’ethnographe et son insertion dans le réseau d’interconnaissance propre à son objet de recherche.
21Si Bamako a constitué le terrain principal et le point d’entrée de cette recherche, il n’a donc pas été le seul. Adoptant autant que possible une pratique mobile du terrain, j’ai en particulier régulièrement investi ce que Ulf Hannertz appelle des temporary sites (ibid.). Ces « sites temporaires » – qui marquent les trajectoires des artistes de manière inégale, en fonction de leur statut symbolique, de leur localisation et du temps qu’ils y passent – constituent en quelque sorte l’ordinaire de la vie des artistes. Dans le cadre de l’observation participante, j’ai ainsi suivi la compagnie de danse dans un théâtre de Marseille à l’occasion de la phase de création technique du spectacle et je l’ai accompagnée lors des premières dates de la tournée française.
22Les liens d’intimité noués avec la chorégraphe du spectacle m’ont également ouvert la porte d’autres terrains. Sur son invitation, je me suis par exemple rendue à Tunis à l’occasion d’une importante biennale de danse contemporaine africaine dans laquelle l’un de ses spectacles était programmé. La participation à ce type d’événement artistique s’est révélée particulièrement riche du point de vue du matériau ethnographique. Dans l’organisation de la vie artistique, les festivals représentent des opportunités assez rares et intenses de rencontres entre artistes et professionnels de la culture. La concentration, sur une même période et dans un espace restreint, de personnalités venus des quatre coins du continent, offre au chercheur les moyens de cultiver son capital social en se faisant connaître auprès des compagnies et d’étendre largement son panel d’enquêtés. Concrètement, j’ai pu réaliser à Tunis lors des Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien, comme à Ouagadougou lors des Récréâtrales, de nombreux entretiens avec des danseurs, comédiens, metteurs en scène d’origines variées et observer les modes de sociabilité propres à ce type d’événement.
23C’est également grâce à la confiance que m’a accordée la chorégraphe au moment de l’observation participante en 2008 que j’ai pu retourner dans son centre de formation à Bamako, deux années de suite, pour partager avec les danseurs une session de formation et plusieurs projets de création (en 2009), et à la 8e édition des Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien dont elle avait alors la charge de l’organisation (en 2010).
24Les rencontres effectuées sur ces différents terrains offrent à leur tour des opportunités d’investir d’autres sites. L’occasion de séjourner à Ouagadougou dans un centre de développement chorégraphique (CDC), qui fait référence auprès des enquêtés, se présente à moi lorsque l’un des danseurs maliens, de passage à Paris en 2009, m’informe qu’une formation doit s’y dérouler, réunissant plusieurs artistes rencontrés à Bamako et à Tunis. L’obtention d’un financement par mon laboratoire de recherche – qui m’accorde le remboursement de mon billet d’avion pour le Burkina Faso5 – me permet d’explorer un nouveau terrain, concrètement connecté aux autres par l’expérience directe qu’en font les enquêtés rencontrés sur d’autres sites. De la même manière, c’est par l’entremise d’un chorégraphe burkinabé rencontré dans le cadre de ma recherche sur la danse contemporaine que je fais la connaissance du directeur du festival de théâtre, lequel deviendra le terrain d’enquête de ma recherche à venir (fig. 3).
Le « voyage » comme terrain d’enquête
25Entre 2007 et 2014, les artistes que j’ai rencontrés sur les différents terrains africains ont eu plusieurs fois l’occasion de se rendre en France, dans le cadre de tournées de spectacles, de stages de formation ou de résidences de création. Ces déplacements – que les enquêtés appellent des « voyages6 » –, qui constituent, eux aussi, des pratiques ordinaires de la vie artistique, ont parfois pu être pour moi des « sites temporaires » d’enquête. En termes de pratiques de terrain, deux types de voyages doivent être distingués. Ceux auxquels j’ai pris part avec les artistes dans le cadre de l’observation participante et ceux qui, en dehors des phases intensives de terrain, m’ont permis de les revoir à l’occasion de leurs passages à Paris. Dans un cas comme dans l’autre, cela signifiait pour moi prolonger l’enquête. Dans le cas de l’observation participante, il s’agissait de façon évidente de « suivre les enquêtés », c’est-à-dire de traverser avec eux les différents sites autour desquels s’organisait leur activité. Dans le second cas, il s’agissait de me joindre à eux lorsque leur itinéraire professionnel les conduisait à Paris.
26De manière générale, j’ai veillé autant que possible à me tenir informée des activités que menaient les enquêtés, aussi bien dans leur pays d’origine qu’à l’étranger. Lorsque j’apprenais leur passage à Paris, je m’efforçais de leur rendre visite sur leur lieu de travail (répétitions ou spectacles) ou au moins de partager un verre pour prendre de leurs nouvelles et m’enquérir de l’avancement de leurs projets. Ces rencontres pouvaient, selon les opportunités, donner lieu à de véritables séances d’observation, ou à la réalisation d’entretiens, plus ou moins formels. Je pouvais alors recueillir des informations biographiques dont nous n’avions jusqu’alors pas eu l’occasion de parler, connaître les lieux et les personnes qu’ils fréquentent en France, augmenter les informations dont je disposais pour chacun d’entre eux et ainsi préciser la cartographie du champ artistique contemporain africain, en en découvrant de nouveaux espaces et de nouveaux agents. Je me suis ainsi déplacée, à de nombreuses reprises, dans les théâtres de Paris et de la région parisienne pour assister aux spectacles auxquels ils participaient, qu’il s’agisse de projets d’envergure – des créations présentées dans des salles parisiennes prestigieuses – ou d’événements plus modestes – la présentation publique d’un atelier donné à des enfants de la banlieue parisienne.
27Au fil du temps, la proximité avec certains enquêtés – les liens d’amitié développés – et la familiarité avec leur milieu professionnel d’interconnaissance m’ont construit un statut particulier d’« interlocutrice privilégiée » lors des séjours des uns et des autres à Paris. J’ai ainsi pu être sollicitée, par les artistes eux-mêmes ou par l’administration de leur compagnie, pour fournir un hébergement, aider un artiste à effectuer un transfert d’un aéroport à un autre, entamer des démarches administratives, etc.
Il y a quelques jours, Mos7 m’a appelée. Il a besoin d’être hébergé en France pendant une semaine. Il est en tournée avec la compagnie de Magsen [chorégraphe installé à Toulouse] et ils ont un « creux » entre deux dates de tournée, c’est pourquoi, plutôt que de le renvoyer, lui et Hassan, pour une semaine à Bamako, la compagnie cherche à les faire héberger en France. Comme Mos m’a laissé le numéro de téléphone de l’administratrice de la compagnie, je l’appelle pour lui confirmer qu’ils peuvent venir à partir de dimanche. (Notes ethnographiques, Paris, octobre 2008)
Salah m’a envoyé un mail il y a quelques jours pour me demander s’il pouvait passer la nuit à la maison le 9 mars car il serait alors en transit pour Rome où il doit aller pour donner une formation de 15 jours à l’Académie de danse de Rome. L’administratrice de la compagnie m’envoie un message dans la journée pour me dire que l’avion de Salah doit arriver à 19 h 45. (Notes ethnographiques, Paris, mars 2010)
28Comme le note Sarah Pink à propos de ses recherches sur les migrants espagnols qualifiés en Angleterre, auxquels elle est personnellement liée, certains terrains se caractérisent par une « déconstruction des frontières entre le personnel et le professionnel » (Pink, 2000 : 96, traduction de l’auteur). Ce que l’on appelle alors la « recherche » est, dans ce type de cas, la « décision du chercheur de s’engager dans l’activité de production d’un savoir anthropologique ; c’est-à-dire de (re)qualifier l’interaction en recherche » (ibid. : 99). Si les exemples ci-dessus ont été intégrés à mon journal de terrain, c’est bien parce que les événements qui y sont transcrits me semblaient à l’époque intéressants pour la recherche que j’étais en train de mener. Dans les deux cas, outre les danseurs, je suis en contact avec l’administration de leur compagnie car leur séjour à Paris dépend de leur activité professionnelle – laquelle m’intéresse moi aussi du point de vue professionnel. Pourtant, je n’étais alors pas particulièrement « sur le terrain ». La possibilité d’envisager ces voyages en France comme des séquences de terrain repose, in fine, sur trois raisons.
29La première, qui participe comme le rappelle Sarah Pink de la volonté du chercheur, c’est d’observer les échanges à travers les « lunettes » de la recherche. Concrètement, cela signifie notamment consigner dans un journal un ensemble de notes relatives aux échanges qui ont lieu à ces occasions, ce qui ne va pas de soi, surtout lorsque ceux-ci prennent place à son propre domicile. La deuxième raison dépend cette fois-ci non plus de la seule décision du chercheur mais de la place qu’il occupe dans le milieu d’interconnaissance dans lequel il effectue sa recherche. De fait, ce ne sont pas seulement les liens d’amitié que j’entretiens avec les danseurs qui rendent possibles ces séquences – sinon pourquoi passer systématiquement par les administrations ? –, mais aussi ceux que j’ai construits, plus diffusément et à travers d’autres terrains, avec le milieu de la danse contemporaine africaine. Et qui font que je suis aussi une interlocutrice possible pour les administratrices des compagnies – parce que je connais leurs difficultés liées aux tournées, les impératifs liés à leurs activités, etc. –, et que je peux constituer un relais utile pour les danseurs lors de leurs voyages en France. Enfin, la troisième raison pour laquelle ces voyages en France ont constitué des terrains d’enquête tient, comme on va le voir, à certaines de mes propriétés de genre, de classe et de race et aux ressources auxquelles celles-ci ont pu correspondre pour les danseurs dans la construction de leur carrière internationale.
Genre, classe, race dans la relation d’enquête
30La critique de l’ethnographie entreprise depuis les années 1980, dans le sillage de l’ouvrage de James Clifford et George E. Marcus, Writing Culture (1986), par les postcolonial et subaltern studies et les études féministes notamment, a porté sur les rapports de domination qui s’exercent entre le chercheur et ses enquêtés, du point de vue de la relation d’enquête elle-même ou de la production du texte ethnographique. Le travail réflexif visant à mettre au jour ces relations asymétriques d’autorité s’est imposé depuis comme une condition de la constitution de la connaissance anthropologique8.
31La visibilité progressive acquise par la danse et le théâtre contemporains africains dans le champ artistique international a suscité des velléités de recherches dont la mienne ne constitue pas, loin s’en faut, le seul exemple9. Dans des disciplines diverses (anthropologie, études de danse ou études théâtrales, science politique ou de gestion, etc.), force est de constater que les pratiques artistiques contemporaines en Afrique intéressent les chercheurs, de plus en plus nombreux à investir les sites temporaires que sont notamment les festivals. En 2010, pour la Biennale de danse contemporaine de Bamako, comme en 2014, pour les Récréâtrales, nous n’étions à chaque fois pas moins de quatre chercheuses à y réaliser une enquête de terrain. Si cet intérêt pour la danse et le théâtre contemporains en Afrique signale sans doute le processus de légitimation que connaisssent ces pratiques artistiques, il invite aussi à s’interroger sur les rapports de pouvoir qui se jouent lors de l’investissement de ces terrains par des chercheurs de manière générale, et par des femmes, blanches, très diplômées en particulier.
32Le travail de terrain est ainsi traversé par des rapports de domination qui ne sauraient être subsumés sous la dialectique chercheur dominant versus enquêtés dominés. D’une part parce que les enquêtés eux-mêmes ne forment pas un groupe homogène face auquel le chercheur occupe une position stabilisée tout au long de l’enquête. Les rapports que j’ai sur le terrain bamakois avec la chorégraphe et avec les danseurs ne sont pas les mêmes, et ceux que j’entretiens avec les danseurs eux-mêmes sont différenciés. D’autre part parce que mon identité de genre, mon appartenance ethnique et de classe travaillent continuellement la relation d’enquête, de telle sorte que la combinaison de ces identités rejoue, aussi, les rapports de domination. L’agencement permanent de ces rapports de pouvoir (au bénéfice de l’enquêtrice ou des enquêtés) structure la relation d’enquête et doit, à ce titre, faire l’objet d’un travail d’objectivation10. Cet effort de mise au jour ne doit toutefois pas se réduire à signaler le « point de vue situé » à partir duquel les données ethnographiques ont été produites. À cet égard, il ne doit pas être l’occasion d’une simple description, pour elle-même, des hiérarchies que l’imbrication de ces rapports sociaux construit et déconstruit dans l’interaction. Il doit permettre, au contraire, d’apporter un éclairage nouveau sur l’objet de recherche lui-même.
L’économie sexuelle Nord-Sud à l’épreuve du terrain
33Je suis frappée à mon arrivée au Mali, en 2008, par l’instantanéité avec laquelle je me découvre « blanche ». Cette identité n’est pas qu’une marque d’altérité ; elle est, dans ce contexte, consubstantielle à une position sociale dominante, celle d’Occidentale. En particulier, la possession de capital économique à laquelle cette position est associée entraîne sur le terrain des sollicitations financières régulières de la part des enquêtés. En 2008, au cours de la création du spectacle, je donne régulièrement de l’argent pour alimenter les comptes de la compagnie, alors exsangues en raison des délais de versement des diverses subventions. Une somme minimale est nécessaire chaque jour pour payer les repas, le transport, l’essence, les cartes de téléphone, le parking, l’eau potable, les salaires, etc. Distribué quotidiennement au compte-gouttes, l’argent personnel que j’injecte dans la création s’élèvera au final à plus de 1 000 euros11. Au-delà de ces dépenses engagées pour la compagnie, sur les différents terrains investis (aussi bien au Mali qu’au Burkina Faso), les enquêtés s’adressent aussi individuellement à moi pour obtenir de quoi payer le taxi pour se rendre sur le lieu de répétition, les demandes de visas, les défraiements, la location d’un studio d’enregistrement, l’achat de matériel technique, ou, comme dans ce cas, l’achat d’une moto :
Ce matin, je reçois un texto de Mahamoudi [danseur burkinabé] : « Salut comment va ? Ya une bonn nouvel y a un gar qui vent sa moto a 150 000 fca sil te plaît je veut te demandé de m’aidé a avoir cette moto ! c’es une très bonn moto ok ! Merci pour ta compréhension bisous bye. » (Notes ethnographiques, Ouagadougou, février 2014)
34Si j’ai répondu de bonne grâce à certaines de ces sollicitations, j’ai opposé une fin de non-recevoir à beaucoup d’autres, même lorsqu’elles s’accompagnaient des chantages les plus retors, comme l’illustrent les extraits qui suivent :
Yoro m’envoie un sms vers 19 h : « Desoler altair ce yoro la jai vrainent besoin de ton aide jai mon fils dans mes bra il es gravement soufran il fau k je voi un docteur urgenment, apret il fau k je dise une chose tre important ont vera stp répon moi sur c numero. » (Notes ethnographiques, Bamako, mars 2009)
Vers 20 h, petit Issa [danseur malien] sonne à la villa et demande à ma colocataire si je suis là. Quand je sors, Issa me demande presque immédiatement de l’argent : 25 000 [francs cfa] pour son petit frère très malade. Je lui réponds que je ne dispose pas de cette somme (c’est faux mais je ne veux pas trop entrer dans ce jeu-là avec Issa) et il négocie aussitôt : « Même 10 000 ou 15 000. Parce que là, on m’a appelé tout de suite pour dire que mon petit frère est à l’hôpital. J’ai essayé de joindre l’administrateur de la compagnie mais il ne répond pas. Ici à l’hôpital le problème est qu’ils ne te soignent pas tant que tu ne donnes pas l’argent. » (Notes ethnographiques, Bamako, février 2009)
35La facilité avec laquelle les artistes se tournent vers moi pour obtenir ces sommes – et la possibilité concrète que j’ai, du reste, de pouvoir les donner – montre bien qu’à mon statut de Blanche est attaché un pouvoir économique qui n’est pas questionné12.
36L’asymétrie des positions sociales, au regard du capital économique en particulier, trouve dans les relations de genre un puissant moyen de s’actualiser. De fait, certaines des sollicitations affectives et sexuelles dont j’ai pu faire l’objet sur le terrain sont aussi à resituer dans ce rapport d’asymétrie. Autrement dit, certaines des avances qui m’ont été faites l’ont été parfois à des fins purement économiques, comme le montre cet extrait de mon journal de terrain :
Lorsque Lena et Djiri [mes colocataires] vont se coucher, Yoro me fait une grande déclaration : « Il y a quelque chose que j’ai sur le cœur et que je ne peux plus garder pour moi. Voilà Altaïr je suis amoureux de toi depuis l’année dernière. Je sais pas comment t’expliquer mais c’est comme ça, il fallait que je te le dise. »
Je lui réponds que je suis très flattée mais que « mon cœur est déjà pris ». Je pressens que comme je l’ai éconduit, la seconde étape sera de me demander directement de l’argent. Ce qu’il ne manque pas de faire : « C’est pas grave de toute façon, je me sens mieux de te l’avoir dit. Bien sûr je suis déçu de ta réponse mais au moins je me sens plus léger. Tu sais c’est vraiment la galère en ce moment… Cette bourse qui n’est pas tombée [il avait déposé un dossier pour obtenir une bourse de la coopération française]… J’ai utilisé mon dernier billet de 10 000 [francs cfa] pour le loyer et là j’ai une ordonnance de 13 000 pour le petit [son fils] qui a des boutons sur le visage tu vois, à cause de la chaleur… Je sais pas quoi faire je t’assure, je ne sais pas… » (Notes ethnographiques, Bamako, mars 2009)
37Cette tentative avortée d’instaurer une relation amoureuse rend visible les enjeux économiques qui apparaissent d’autant plus explicitement que la relation n’est pas « consommée ». Ces formes de « sexualité transactionnelle13 » hétérosexuelle entre femmes blanches et hommes noirs sont encore peu étudiées. Dans la littérature française, les travaux, principalement menés par Christine Salomon, ont concerné les pratiques de sexualité vénales entre de jeunes hommes noirs pauvres et des femmes blanches plus âgées et relativement plus fortunées, saisies sous l’angle du « tourisme sexuel » (Salomon, 2009) ou des lieux de rencontre parisiens (Salomon, 2007). Elles s’inscrivent dans un champ de recherche plus vaste, qui s’intéresse aux formes de sexualité transactionnelle, notamment les pratiques de « drague intéressée » et qui concernent aussi bien les hommes cherchant à obtenir une compensation financière pour les faveurs sexuelles qu’ils accordent à des femmes blanches, que les jeunes femmes africaines qui entretiennent des relations amoureuses et sexuelles avec des sugar daddies – des hommes plus âgés de milieux favorisés – grâce auxquels elles peuvent accéder à des biens de consommation (vêtements, bijoux, coiffures, sorties au restaurant, etc.) (Biaya, 2001 ; Grange Omokaro, 2009 ; Salomon, 2009 ; Hunter, 2002).
38L’interaction relatée plus haut n’a pas pour vocation de revenir sur le débat qui traverse les études sur ce type de sexualité transactionnelle, et qui consiste, schématiquement, à se demander s’il y a ou non une rupture dans le « continuum de l’échange économico-sexuel » tel que Paola Tabet l’a conceptualisé (Tabet, 2004). Il s’agit plutôt d’envisager le développement des pratiques artistiques en Afrique sous l’angle de l’économie sexuelle qui l’accompagne et dans laquelle je me trouve prise en tant que chercheuse blanche.
39La danse ou le théâtre contemporains, qui sont souvent désignés par les Africains comme des pratiques « de Blancs », de « Toubabs », ne sont pas que des activités artistiques qui évoquent, à travers leur forme, l’esthétique occidentale. Leur développement sur le continent africain a également entraîné l’apparition d’espaces de sociabilité mixtes concrets, où se côtoient artistes noirs et professionnels blancs. Les uns venant de milieux souvent modestes, les autres, au contraire, issus des couches les plus favorisées de la société occidentale. Sur le territoire africain, les festivals constituent de ce point de vue des espaces privilégiés d’échanges sexuels rétribués. Pendant plusieurs jours, les artistes africains interagissent avec un nombre important de festivaliers (journalistes, programmateurs, chercheurs, etc.), blancs pour la grande majorité, en situation de célibat – ces déplacements professionnels en Afrique sont rarement effectués avec sa/son conjoint-e –, et bénéficiant d’un logement à l’hôtel qui garantit un relatif anonymat. Ces événements offrent ainsi un cadre particulièrement propice aux pratiques sexuelles entre artistes et festivaliers en général, aux formes de sexualité transactionnelle en particulier.
40Au-delà du festival qui représente un exemple paradigmatique, d’autres situations liées aux pratiques artistiques contemporaines en Afrique favorisent les sollicitations sexuelles et/ou financières de la part des artistes. La situation d’enquête dans laquelle je me suis trouvée en est une. Bien que mes recherches n’aient pas spécifiquement porté sur l’économie sexuelle de la danse ou du théâtre contemporains en Afrique, les récits, nombreux, que j’ai recueillis d’une part, l’expérience que j’en ai faite d’autre part, montrent qu’il ne s’agit pas de pratiques marginales14.
Le capital culturel de l’ethnographe dans la division sexuelle du travail
41La majorité des danseurs et des comédiens et metteurs en scène africains étant des hommes, hétérosexuels, issus de milieux modestes, peu (voire pas) scolarisés – ces deux dernières caractéristiques concernant essentiellement les danseurs –, les femmes blanches constituent un enjeu important d’accumulation de capital (Despres, 2015). En effet, dans un contexte local de crise économique – renforcé par la précarité de l’emploi artistique –, les aventures amoureuses avec les femmes blanches peuvent fonctionner comme un moyen d’acquérir une position sociale respectable, d’autant plus si elles s’accompagnent d’une possibilité de voyager en Europe. À cet égard, les danseurs en couple avec des femmes blanches sont systématiquement perçus comme ayant « réussi » : « Ah, Djiri il s’est bien débrouillé. Il a une femme blanche, maintenant un bébé, il vit en France… » ; « Mais Dadis c’est celui qui a le plus réussi. Il a trop réussi lui. Il a marié une blanche, hein ! » De fait, si les femmes blanches constituent un moyen d’obtenir, notamment par le mariage, a White ticket to Babylon (cité par Salomon, 2009 : 227), elles sont aussi celles qui, par leur soutien financier mais surtout logistique et culturel, peuvent supporter la carrière de ces danseurs. À l’instar de la chorégraphe chez qui j’ai effectué mon terrain à Bamako, nombreux sont ceux qui savent ce que la réussite professionnelle de certains danseurs africains doit à leur union avec une femme blanche :
« Des fois je me dis que tout ça est vain et qu’il ne restera rien de tout ce que j’ai mis en place ici. Sauf s’ils [les danseurs] trouvent une femme qui pourra les emmener ailleurs. Comme la femme de X. [chorégraphe africain installé en France]. C’est elle qui fait qu’aujourd’hui X. il s’en sort. Parce qu’elle est derrière lui pour tout. C’est elle qui a monté son école à Paris, c’est elle qui fait toute l’administration, c’est même elle qui était à l’accueil pour vendre les tickets des cours ! Y. [autre chorégraphe] c’est pareil. Z. c’est pareil. » (Notes ethnographiques, Bamako, mai 2008)
42Les relations entre les artistes africains et les femmes blanches, sans être nécessairement aussi formalisées que le mariage ou l’installation en France, s’inscrivent dans des rapports de pouvoir combinés qui sont à même de fonctionner comme un soutien, voire un « accélérateur » de carrière. Comme me l’explique Hassan lors d’un séjour à Paris, « [il] aimerai[t] une femme blanche, parce qu’elles sont bien éduquées et qu’elles comprennent mieux [leur] travail, elles acceptent mieux ». D’un côté en effet, les femmes blanches – à tout le moins celles qu’ils sont amenés à rencontrer dans le cadre de leur activité de danseur contemporain – possèdent un capital économique et culturel dont les artistes – les danseurs en particulier – sont très souvent dépourvus et qui peut facilement être converti dans le champ artistique. De l’autre, la division sexuelle du travail organise et soutient l’investissement des femmes dans les activités professionnelles de leur conjoint (Kergoat, 2004). De ce point de vue, les artistes ont toutes les chances de penser que les femmes – dont je fais partie en tant qu’ethnographe – sont plus disposées à faire preuve de sollicitude et constituent dès lors des interlocutrices décisives dans la gestion des besoins culturels liés à leurs activités professionnelles.
43Et de fait, de manière systématique au cours des divers terrains que j’ai traversés, les artistes africains ont sollicité mon aide pour les tâches courantes que réclame leur activité. Bien que mon statut d’universitaire ne soit pas toujours bien compris – un danseur me dira par exemple : « ton travail là, ça ressemble à des congés » –, les compétences culturelles qui y sont attachées sont, elles, clairement perçues. De « coups de main » ponctuels (faire réviser à un danseur les noms en français des cinq doigts de la main ; rédiger ou actualiser des curriculum vitae) à des engagements plus conséquents (rédiger un dossier de présentation d’un spectacle), j’ai joué pour de nombreux artistes le rôle d’une administratrice et d’une conseillère artistique, comme en témoignent les deux exemples suivants, qui concernent un comédien rencontré à Ouagadougou et un danseur à Bamako :
Je reçois régulièrement des nouvelles par mail des comédiens dont j’ai suivi la formation à Ouagadougou. Aujourd’hui, c’est Abderrahmane qui m’écrit pour que je l’aide à monter un dossier : « bon je partage avec toi un de mes soucis majeurs. j’ai un projet sur l’échange inter culturel entre le canada et 3 pays de l’Afrique, notamment le Burkina Faso, le Congo Kinshasa, autour d’une recherche scénique qui va permettre a un auteur d’écrire un texte sure lequel nous allons travailler. mais mon auteur est en France pour ces études en mise en scène il s’agit de X. [auteur guinéen] je ne sais pas si tu le connais ? il me demande de venir pour qu’on fasse le projet labas et rencontré des comédiens de son université et je trouve vraiment super si j’arrive a le faire. aussi je m’attèle a faire mes dossiers pour le CITF [Commission internationale du théâtre francophone] pour le financement du projet avant fin janvier. je sais que c’est difficile mais si tu peux faire quelques chose en ce sens je ne saurai comment te remercier. » (Notes ethnographiques, Paris, janvier 2015)
Bachir [danseur nigérien] vient de terminer sa résidence au CND [Centre national de la danse]. Il me sollicite aujourd’hui par mail pour que je lui donne un coup de main dans la rédaction du rapport qu’il doit remettre à ses bailleurs de fonds : « Je dois absolument envoyer mon rapport de résidence le plus tôt possible. Je ne sais pas si possible me corrigé sur l’orthographe, grammaire et aussi la forme. Bien sûr si tu es un peu disponible ! » (Notes ethnographiques, Paris, juillet 2011)
44Ce type de relation, à l’intersection d’attentes liées à mon identité de genre et au capital culturel qui est associé aux Blancs, présidera à de nombreux échanges que j’aurai avec les artistes africains sur le terrain. L’attention portée aux rapports qui se construisent autour des catégories de genre, de race et de classe dans la relation d’enquête ouvre ainsi la voie à une compréhension de ces enjeux à un niveau plus général. Ainsi, les sollicitations d’ordres sexuel et financier dont j’ai pu faire l’objet en tant que femme blanche rappellent que l’économie artistique en Afrique s’inscrit dans celle plus globale des rapports de domination Nord-Sud, dans laquelle les rapports de genre et la sexualité peuvent fonctionner comme une stratégie d’accumulation de capital. De la même manière, l’usage intensif et systématique, par tous les enquêtés, des ressources scolaires et intellectuelles apportées par ma présence sur le terrain rend d’autant plus visible l’importance du capital culturel dans le champ artistique. Il en dit long sur la position objective des Africains dans le champ artistique international et sur les enjeux liés à l’acquisition de ce capital dans la réussite des carrières.
Conclusion
45Dans un article consacré aux enjeux d’une « ethnographie globale » (global ethnography), Zsuzsa Gille et Seán Ó Riain insistent sur quelques-unes des questions spécifiques que pose le phénomène de globalisation à la définition de l’enquête ethnographique : « Quels sites l’ethnographe choisit-il ? Où place-t-il les frontières de chaque site ? Quels événements et quels processus informent le récit de l’ethnographe, et à quelle échelle géographique ? » (Gille et Ó Riain, 2002 : 285). La présentation faite dans cet article des enquêtes que j’ai menées témoigne de la prégnance de ces questions et de la régularité avec laquelle elles se posent à nouveau tout au long du travail ethnographique.
46En effet, l’étude de pratiques artistiques mondialisées comme la danse ou le théâtre contemporains implique d’une part de définir des terrains d’enquête adaptés à l’économie transnationale dans laquelle elles s’inscrivent. La mobilité de l’ethnographe et l’investissement de sites temporaires comme les festivals et les tournées constituent de ce point de vue des modalités d’engagement ethnographique renouvelées. D’autre part, la relation d’enquête reflète l’état des rapports Nord-Sud dans lesquels celle-ci est prise et dont elle est pour partie le produit. Au-delà des enjeux de réflexivité que soulève la question de la place du chercheur sur le terrain, l’ethnographie de la mondialisation nécessite dès lors une attention particulière à l’imbrication des relations enquêteur/enquêtés liées à l’identité de genre, à l’appartenance ethnique et de classe, lesquelles rejouent sur le terrain des rapports de pouvoir qui l’excèdent largement.
47Considérée sous ce double point de vue – celui de la redéfinition de sites d’enquête multiterritorialisés et celui de la « consubstantialité » et « coextensivité » des rapports sociaux15 –, la mondialisation cesse d’apparaître comme un phénomène à la fois externe, insaisissable et uniforme. Elle met au contraire l’ethnographe aux prises avec un ensemble d’enjeux concrets – liés par exemple à la mobilité (possibilité de circuler d’un site à l’autre, etc.) et aux intérêts spécifiques des enquêtés pour et dans la relation d’enquête – qui se recomposent au gré des configurations locales. C’est précisément l’attention à ces recompositions, telles qu’elles apparaissent notamment dans le travail de terrain, qui fonde le caractère heuristique du concept de mondialisation pour penser la transformation des rapports de pouvoir à l’échelle globale.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Appadurai, Arjun, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot, 2001 [1996].
Biaya, Tshikala Kayembe, « Les plaisirs de la ville : masculinité, sexualité et féminité à Dakar (1997-2000) », African Studies Review, 44/2, 2001, p. 71-85.
10.2307/525575 :Bourdieu, Pierre, « Comprendre », dans Id. (dir.), La misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p. 1389-1447.
Burawoy, Michael et al., Global Ethnography: Forces, Connections, and Imaginations in a Postmodern World, Berkeley, University of California Press, 2000.
Céfaï, Daniel (dir.), L’enquête de terrain, Paris, La Découverte, 2003.
Clifford, James, Marcus, George E., Writing Culture: The Poetics and Politics of Ethnography, Berkeley, University of California Press, 1986.
10.1525/9780520946286 :Despres, Altaïr, « Des migrations exceptionnelles ? Les “voyages” des danseurs contemporains africains », Genèses. Sciences sociales et histoire, 82, 2011, p. 120-139.
10.3917/gen.082.0120 :Despres, Altaïr, « Et la femme créa l’homme. Les transactions culturelles intimes dans la danse contemporaine africaine », Sociologie, 6/3, 2015, p. 263-278.
Despres, Altaïr, Se faire contemporain. Les danseurs africains à l’épreuve de la mondialisation culturelle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2016.
10.4000/books.psorbonne.72032 :Gille, Zsuzsa, Ó Riain, Seán, « Global Ethnography », Annual Review of Sociology, 28, 2002, p. 271-295.
10.1146/annurev.soc.28.110601.140945 :Grange Omokaro, Françoise, « Féminités et masculinités bamakoises en temps de globalisation », Autrepart, 49, 2009, p. 189-204.
10.3917/autr.049.0189 :Hannertz, Ulf, « Being There… and There… and There! Reflections on Multi-site Ethnography », Ethnography, 4/2, 2003, p. 201-216.
Hunter, Mark, « The Materiality of Everyday Sex: Thinking beyond “Prostitution” », African Studies, 61/1, 2002, p. 99-120.
10.1080/00020180220140091 :Kearney, Michael, « The Local and the Global: The Anthropology of Globalization and Transnationalism », Annual Review of Anthropology, 24, 1995, p. 547-565.
10.1146/annurev.an.24.100195.002555 :Kergoat, Danièle, « Division sexuelle du travail et rapports sociaux de sexe », dans Helena Hirata et al., Dictionnaire critique du féminisme, Paris, PUF, 2004, p. 35-44.
10.3406/genre.1992.879 :Kergoat, Danièle, « Dynamique et consubstantialité des rapports sociaux », dans Elsa Dorlin (dir.), Sexe, race, classe, pour une épistémologie de la domination, Paris, PUF, 2009, p. 111-125.
Marcus, George E., « Ethnography In/Of the World System: The Emergence of Multisited Ethnography », Annual Review of Anthropology, 24, 1995, p. 95-117.
10.1146/annurev.an.24.100195.000523 :Marcus, George E., « Au-delà de Malinowski et après Writing Culture : à propos du futur de l’anthropologie culturelle et du malaise de l’ethnographie », Ethnographique.org, 1, avril 2002 (en ligne : http://www.ethnographiques.org/2002/Marcus, consulté le 9 mars 2016).
Pink, Sarah, « “Informants” Who Come “Home” », dans Vered Amit (dir.), Constructing the Field: Ethnographic Fieldwork in the Contemporary World, Londres, Routledge, 2000, p. 96-119.
10.4324/9780203450789 :Salomon, Christine, « Jungle fever. Genre, âge, race et classe dans une discothèque parisienne », Genèses. Sciences sociales et histoire, 69/4, 2007, p. 92-111.
10.3917/gen.069.0092 :Salomon, Christine, « Vers le nord », Autrepart, 49, 2009, p. 223-240.
10.3917/autr.049.0223 :Sayad, Abdelmalek, « Les trois “âges” de l’émigration algérienne en France », Actes de la recherche en sciences sociales, 15, 1977, p. 59-81.
Tabet, Paola, La grande arnaque. Sexualité des femmes et échange économico-sexuel, Paris, L’Harmattan, 2004.
Thomas, William, Znaniecki, Florian (éd.), Le Paysan polonais en Europe et en Amérique. Récit de vie d’un migrant, Paris, Armand Colin, 2005 [1920].
Notes de bas de page
1 CulturesFrance – aujourd’hui rebaptisé Institut français – et Africalia sont, respectivement, les opérateurs de la coopération culturelle française et belge.
2 Il s’agit d’un programme financé par la Commission européenne, mis en place et géré par le secrétariat du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Il est ouvert aux 79 pays du groupe ACP et aux États membres de l’Union européenne signataires du 9e Fonds européen de développement dans le cadre de l’accord de Cotonou conclu le 23 juin 2000.
3 Il s’agit d’une biennale panafricaine de danse contemporaine initiée par la coopération française et aujourd’hui mise en œuvre par les opérateurs culturels africains, qui s’organise autour d’un concours qui réunit une vingtaine de chorégraphes africains (une dizaine dans la catégorie « pièce collective » et une dizaine dans la catégorie « solo ») et d’une plateforme de diffusion de la création africaine contemporaine.
4 Les Récréâtrales, résidences panafricaines de théâtre, sont un événement qui réunit tous les deux ans à Ouagadougou près de deux cents artistes africains de théâtre (auteurs, metteurs en scène, comédiens et scénographes) à l’occasion d’une plateforme de diffusion de spectacles. À l’instar des Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien, les Récréâtrales sont pour une large part financées par les organismes européens de coopération culturelle.
5 À cet égard, il est important de signaler que la possibilité concrète d’effectuer ce type d’enquête multisituée doit beaucoup aux capacités de financement de l’ethnographe. Pour ma part, j’ai bénéficié de deux bourses de terrain qui ont permis mon second terrain à Bamako en 2009 et mon séjour à Ouagadougou la même année. Mon investissement bénévole auprès de la chorégraphe dans le cadre de l’observation participante a été compensé par la prise en charge par la compagnie malienne des frais liés à mon séjour auprès d’elle en 2008. Les deux terrains effectués en 2014 à Ouagadougou dans le cadre de ma recherche postdoctorale sur le théâtre contemporain ont été quant à eux financés par le Laboratoire d’excellence Création, Arts et Patrimoines (Labex CAP). Seule une faible part des frais occasionnés par ces terrains est ainsi restée à ma charge.
6 Le « voyage », terme localement en usage dans les pays d’Afrique de l’Ouest, désigne toutes les formes de déplacements hors de sa région ou de son pays, quel qu’en soit le motif (séjour professionnel, visite familiale, etc.). Dans le cadre de l’activité chorégraphique, ces voyages sont le plus souvent des déplacements liés à la diffusion de spectacles, à la formation ou à la création. Sur les enjeux liés à la mobilité internationale des danseurs africains, voir Despres (2011).
7 Tous les noms des enquêtés ont été anonymisés.
8 Sur ce point, voir par exemple Céfaï (2003) et Marcus (2002).
9 Parmi celles et ceux dont les recherches ont donné lieu à des publications et/ou que j’ai pu rencontrer personnellement sur le terrain, on peut citer, entre autres : Sarah Andrieu, Annie Bourdié, Laurence Brisard, Élise Fau, Mahalia Lassibille, Marie Lortie, Gérard Mayen, Julie Peghini, Amélie Thérésine.
10 Il faut également signaler les vertus proprement éthiques d’un tel travail d’objectivation. L’attention permanente à la distance sociale – de quelque ordre que ce soit : âge, genre, origines ethnique et sociale, etc. – dans la relation d’enquête est aussi une manière de tenter de « réduire au maximum la violence symbolique qui peut s’exercer à travers elle » (Bourdieu, 1993 : 1393). Je me suis ainsi efforcée d’établir avec les enquêtés une « communication “non violente” » (ibid. : 1392), d’être attentive autant que possible aux effets d’imposition que ma position d’universitaire et d’Occidentale pouvaient exercer.
11 Cette somme me sera intégralement remboursée l’année suivante par la compagnie lors du second terrain à Bamako.
12 L’augmentation de ces sollicitations financières entre le premier et le second terrain bamakois m’a conduite, en prévision du terrain ouagalais à venir, à réfléchir aux moyens d’y répondre fermement. L’un d’eux a consisté à y répondre en bambara. J’ai ainsi mis à profit les cours de bambara que je prenais alors à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) en apprenant les expressions wari bana et wari té (« l’argent est fini », « je n’ai pas d’argent »).
13 Cette notion, empruntée aux travaux anglo-saxons, est notamment utilisée pour envisager les échanges économico-sexuels dont les analyses en termes de « prostitution » ne peuvent rendre compte dans leur complexité. « La sexualité transactionnelle a un certain nombre de points communs avec la prostitution. Dans les deux cas, des relations sexuelles extra-conjugales, impliquant souvent plusieurs partenaires, s’accompagnent de dons d’argent ou de cadeaux. Cela dit, la sexualité transactionnelle se singularise sous plusieurs aspects : les participants sont considérés comme des “petites copines” et “petits copains” et non comme des “prostitué-e-s” et des “client-e-s”, et l’échange de cadeaux contre du sexe s’inscrit dans un ensemble plus large d’obligations qui n’impliquent pas forcément une forme de paiement prédéterminé » (Hunter, 2002 : 100-101, traduction de l’auteur).
14 Un danseur de Bamako m’a par exemple confié au début de mon enquête que le festival Dialogues de corps, qui a lieu tous les deux ans à Ouagadougou, avait été rebaptisé « Dialogues de culs ».
15 J’emprunte ici à Danièle Kergoat les notions de « consubstantialité » et de « coextensivité » pour insister sur la dynamique de construction réciproque et de coproduction des rapports sociaux de genre, de classe et de race (Kergoat, 2009).
Auteur
Altaïr Despres est docteure en sociologie. Sa thèse, Se faire contemporain. Les danseurs africains à l’épreuve de la mondialisation culturelle, a été soutenue sous la direction de Catherine Quiminal à l’université Paris Diderot en 2012. Ses domaines de recherches sont la sociologie de l’art et de la culture, la sociologie des migrations, le genre et la sexualité, la mondialisation culturelle, la socio-histoire des relations culturelles Nord-Sud. Elle est l’auteure de Se faire contemporain. Les danseurs africains à l’épreuve de la mondialisation culturelle, Publications de la Sorbonne, 2016.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La construction des patrimoines en question(s)
Contextes, acteurs, processus
Jean-Philippe Garric (dir.)
2015
Au-delà de l’art et du patrimoine
Expériences, passages et engagements
Jean-Philippe Garric (dir.)
2017
Les dimensions relationnelles de l’art
Processus créatifs, mise en valeur, action politique
Jean-Philippe Garric (dir.)
2018
Questionner les circulations des objets et des pratiques artistiques
Réceptions, réappropriations et remédiatisations
Jean-Philippe Garric (dir.)
2020