Chapitre 1. La gestion des flux dans le système des transports aériens
La question des liens entre contrôle et régulation
p. 145-168
Texte intégral
1Nous utilisons le cadre théorique des macro-systèmes techniques, ou MST, pour l’analyse au niveau macro-sociologique. Nous avons évoqué la mise en place du MST aviation civile dans la première partie de ce document mais un bref rappel sur cette forme particulière de grand système technique parait toutefois nécessaire pour comprendre ce que signifie l’enjeu de la régulation dans ce cadre. Revenons donc brièvement sur le fait MST. Selon Bernward Joerges l’un des grands pionniers de la recherche dans ce domaine, le MST se décrit grossièrement comme un système technique hétérogène composé de machines complexes et de structures physiques qui :
sont matériellement intégrées ou couplées sur un large espace et une longue durée de manière relativement indépendante des habillages socio-culturels spécifiques (politiques, économiques, organisationnels, etc...). Ils ont pour vocation de dépasser, ou briser, les frontières de toutes sortes ;
supportent ou soutiennent le fonctionnement d’un très grand nombre d’autres systèmes techniques (ils sont intermédiaires, transportent, transfèrent, ils font communiquer, échanger, etc.).2
2Si les premiers macro-systèmes s’appellent chemin de fer et électricité, l’aéronautique est un des dernières venues. Ces MST constituent donc l’infrastructure de notre société moderne qu’ils irriguent en réseaux et sur laquelle ils jettent, tels une pieuvre, des mailles tentaculaires.
3Ces systèmes, offrent aussi la particularité de coupler depuis toujours leurs propres objets techniques avec une technologie de l’information qui permet à chaque instant de définir l’état du système (dans le cas du chemin de fer ce fut le fil qui chante, le télégraphe morse, qui très tôt devint indispensable). Ce qui signifie que la surface qu’ils recouvrent est soumise à observation de la part d’un Centre de contrôle ou régulation, institution obligée de tout MST et pas seulement du système aérien qui ne l’a développée que récemment (après la seconde guerre mondiale). Ce fait se comprend tout seul si l’on compare le train ou l’avion à la voiture ou bateau ; le contrôle du trafic dans les deux premiers cas rend le taux des accidents presque égal à zéro alors que l’absence ou la faiblesse de la régulation centrale produit sur la route la catastrophe que l’on sait et qu’en mer, selon Charles Perrow, un navire est perdu chaque jour3. En contrepartie évidemment, la navigation maritime reste relativement libre alors que le survol de l’espace aérien est soumis à des conditions draconiennes.
4Certes le monde pouvait vivre auparavant sans l’appui de ces dinosaures modernes, mais nous ne savons plus nous en passer et ce basculement de l’Occident s’est fait très vite : deux siècles tout au plus. L’histoire de chacun de ces systèmes a inscrit dans son architecture la marque du temps de sa maturité : que l’on compare les gares et les aéroports, les usines à gaz et les centrales nucléaires ! Chacun de ces témoignages est le fruit d’un compromis, une solution trouvée à diverses étapes de la croissance et notamment en réponse au problème du facteur de charge.
5La trame d’un grand système est ainsi faite :
de lignes continue, souvent courbes, qui donnent forme à l’espace, un espace qui de ce fait est discontinu : entre les lignes il y a du vide.
ces lignes ont des intersections en certains points d’où des noeuds, des mailles, des centres dans des tissus à la trame très complexe (réseaux).
les lignes sont parcourues par des fluides, que sont les objets réels ou virtuels en déplacement, sortes de molécules en mouvement.
ces lignes vivent par la présence des fluides, elles relient des centres d’émissions à des centres de réception avec aussi des lieux de stockage situés dans la ligne.
les espaces des divers MST se chevauchent et se rencontrent en certains points particuliers qui jouent le rôle d’échangeurs ou de transformateurs,
ces points particuliers sont des lieux de branchement d’un système sur l’autre, on les nomme souvent interfaces mais la dénomination de transformateurs conviendrait aussi bien si elle n’était pas trop marquée par sa fonction électrique.
6En outre, la "régulation" (regulation ou plus souvent flow-management en anglais) des flux est une nécessité que tout grand système technique rencontre lors de sa croissance. On peut dire dans une analogie biologique que la régulation est un élément vital du système, et si elle ne se réalise pas ou mal le système peut dépérir comme l’organisme meurt d’une maladie. Tom Hughes, on l’a dit en introduction, utilise le terme de reverse salient pour caractériser une phase durant laquelle le système rencontre un problème majeur lié à son développement. C’est souvent la réussite même de son insertion dans le tissu social qui crée ce problème, c’est ainsi que ans les années fastes du trafic aérien les retards augmentèrent de manière continue jusqu’à toucher près de 25 % des vols en 1989 ! Rappelons qu’une de nos hypothèses de base consiste à soutenir que la victoire de l’avion contre le dirigeable n’est pas celle d’une efficacité technique supérieure mais représente l’incapacité d’un système socio-technique (celle du dirigeable) à trouver les moyens de s’insérer dans la niche écologique en s’organisant à tous les niveaux du réel et de l’imaginaire. Actuellement la rivalité avion-TGV en France et en Europe peut s’interpréter aussi de ce point de vue.
7La régulation représente par ailleurs un problème que l’on pourrait qualifier, à la manière de Marcel Mauss, de "phénomène social total". Ceci veut dire qu’il inclut des aspects technologiques évidemment mais qu’aucun des développements technologiques ne peut se concevoir sans tenir compte des interactions à d’autres niveaux, en particulier des obstacles qui se rencontrent souvent à la périphérie du système, en ces points interfaces dont nous venons de parler. Ce qu’illustre parfaitement le tableau suivant :
8Nous ne possédons pas les chiffres pour 1994 mais il est vraisemblable que le temps au sol s’est accru en raison des contraintes de régulation aérienne et qu’ainsi la liaison entre les deux villes prend plus de temps qu’il y a cinquante ans (en laissant de côté le cas particulier, et sans doute provisoire, de la liaison de luxe Inter-City) !
9(in M. Dacharry, Géographie du transport aérien, Paris, Libraires techniques, 1981, p. 302)
1-2 – La construction du réseau et d’un nouvel espace virtuel
10L’innovation technique qui est sensée aider à la solution du problème de la régulation doit aussi tenir compte de la manière dont se construit le réseau car tout développement technique inclut des modifications de rapports de forces entre les centres de décisions, qui sont aussi des noeuds de communication, et des PC de contrôle. En simplifiant, la construction d’un réseau macro-systémique peut se représenter ainsi :
11Commentaire : En France par exemple le train s’est développé dans le Sud, Marseille, au centre, Lyon, et à Paris, sur le modèle de la disjonction (modèle a). Mais rapidement le champ de forces institutionnel l’a oriente vers une étoile centrée sur Paris. L’existence d’un pouvoir fort centré à Paris a organisé l’évolution. D’autres réseaux, l’électrique en Suède, le téléphone et le télégraphe en France ont dés le début suivi le modèle de la fragmentation (b) ou de la diffusion (d).
12Dans le cas du trafic aérien la situation est paradoxale. Sur le plan institutionnel nous sommes aujourd’hui dans le cas n.1 de la disjonction/centralisation puisque chaque nation définit son propre modèle, mais dans le fonctionnement concret du système on se rapprochait depuis les années soixante-dix du cas d de diffusion (pour les Centres de régulation comme on le verra) ou c de dispersion. (pour les centres de contrôle nationaux).
13Nous ferons donc un bref rappel sur l’archéologie du contrôle puisque nous avons présenté l’évolution globale du macro-système dans la première partie.
14La constitution du réseau aérien fut, on le sait, pensé dès le départ comme international, et donc une ensemble soumis à des règles plus ou moins générales. L’air a immédiatement subi un contrôle du sol, si l’on prend le concept de contrôle dans un sens large. Dès 1921 avait été définie la notion de route aérienne, élément de base qui servit de première norme pour la construction du réseau4. On ébaucha ainsi une première géographie des flux. La notion de lignes aériennes se matérialisa ensuite à la fois par des liaisons régulières et par les actions héroïques que furent, en Europe, les grands raids de 1925 à 1935. Et en quelque manière la sortie de terre du contrôle aérien avec l’apparition des Tours et la création du premier centre opérationnel à Baltimore en 1935 marque la naissance visible de la rationalité systémique : auparavant les opérateurs au sol avaient pour fonction principale de renseigner les pilotes (sur leurs positions, la météo) ou de guider les avions en cas de mauvais temps, à partir de ce moment ils vont intervenir dans le parcours lui-même. Par ailleurs, la Convention Internationale de la Navigation Aérienne, CINA, constituait une première institution de standardisation, elle fut remplacée, on l’a vu, après la 2e guerre mondiale par l’OACI, tandis que les transporteurs se réunissaient au sein de l’IATA et les pilotes dans l’IFALPA. LTFATCA, pour les contrôleurs aériens, fut aussi créé sur le même modèle. S’instaure ainsi un outil de communication et de régulation, au sens commun, mondial aussi bien au niveau des responsables que des usagers, qui va réellement faire exister un système monde dès les années 50.
15Or lorsqu’on jette un regard sur la situation actuelle on se rend vite compte que les nouveautés en l’air peuvent bien améliorer la conduite du vol, elles ne répondent pas pour autant aux besoins du système global. Avant les années 90 la croissance atteignait 7 % par an et ceci expliquait les difficultés, mais en 1993 le trafic a même diminué de 1 % dans l’espace français, pourtant la question reste posée puisque 20 % des vols environ subissent des retards. Et l’encombrement reste bien supérieur à celui de la fin des années quatre vingt non seulement parce que les passagers sont plus nombreux mais parce que la forme du trafic a changé (pression des compagnies pour garder les meilleurs créneaux et accroissement du nombre de petits porteurs), etc.. Si les retards aujourd’hui sont donc malgré tout en régression grâce à des interventions de type technique de la part des Etats nationaux5 il reste que la viscosité des flux risque d’annuler le progrès mesuré en gain de temps sur les trajets. Rappelons que depuis les année 1960 le gain en termes de nombre appareils contrôlées en même temps sur un secteur est pratiquement nul. Nous sommes confrontés à un problème que Jacques Villiers nomme le "mur de la capacité" par analogie avec le mur du son6. Il nous faut donc revenir rapidement sur l’historique de la gestion des flux en Europe.
1-3 – L’institution Eurocontrol
16La CEAC (Commission Européenne de l’Aviation Civile- en anglais ECAC) fut créée après la 2e guerre mondiale à l’instar de l’OACI. Elle avait pour objectif l’harmonisation des politiques des transports. La création d’Eurocontrol est plus tardive, 1960, mais sa vocation était bien adaptée à la croissance du grand système, à savoir adapter l’espace aérien à une nouvelle vision de l’espace continental ; malheureusement elle ne fut dotée que de peu de pouvoirs et ne recouvra pas le même territoire que la communauté européenne alors en pleine gestation. De son côté, la CEE mettait donc aussi en place dans le cadre de la DG XIII et de la DG VII des projets d’harmonisation dans ce domaine comme dans tous les autres secteurs industriels, mais avec moins de succès. A la suite des crises répétées de la deuxième moitié des années 80 (où le taux des vols retardés atteignit près de 30 % de l’ensemble), les Ministres décidèrent de réactiver Eurocontrol et prirent la décision d’en faire une institution centrale de régulation avec la création d’une unité de gestion des flux située à Bruxelles (CFMU-Central Flow Management Unit) dont nous parlerons plus loin.
17Eurocontrol, conçu d’abord comme un ornement de la politique européenne, fut en même temps un centre de recherches actif et un outil de contrôle et d’expérimentation en vraie grandeur sur l’Europe du Nord avec les Centres de Maastricht et de Karlsruhe (qui reviendra à l’Allemagne au début des années 80). Toutefois l’intérêt d’Eurocontrol pour gérer l’ensemble du trafic européen ne fut pas évident avant 1988, et cela malgré son nom qui énonçait tout un programme. La décision des Ministres réveilla donc l’institution alors que la régulation avait déjà commencé à être mise en place par les États nationaux, la France, dès 1973 et l’Allemagne peu après.
18L’histoire d’Eurocontrol en tant que partie prenante de l’organisation des flux aériens est donc très récente. L’analyse que l’on peut faire de la situation actuelle ne se fonde donc pas sur des documents officiels (ils existent mais sont purement techniques) mais sur des entretiens réalisés à Bruxelles et Paris, ainsi que sur un travail en cours d’un collègue allemand, Ralf Resch7.
19Le paradoxe que l’on peut relever consiste en premier lieu dans l’existence même d’un énorme réseau technique européen qui sert à "contrôler" des flux sur des segments mais n’a aucun moyen de gestion globale de ces flux. La conception d’un contrôle limité à l’anti-abordage des aéronefs a empêché les acteurs de la navigation aérienne de concevoir celle de régulation dans une perspective d’évolution systémique quasiment naturelle.
20Si cette histoire ne suivit pas ce cours naturel, c’est que de nombreux éléments extérieurs au système en détournaient l’évolution et favorisaient une focalisation sur l’objet avion plutôt que sur l’ensemble. Dans le champ de forces appartenant à l’environnement du système, il y avait pas exemple les prérogatives nationales que seul un coup de force institutionnel européen aurait pu briser sous la pression des événements (une catastrophe par exemple qui en aéronautique sert à faire avancer les choses). Mais cette pression du milieu était faible car le trafic passait assez bien jusqu’à cette croissance rapide de la deuxième moitié des années quatre-vingt qui entraîna cette fois des mini-catastrophes sociales (par exemple la nuit passée par des centaines de passagers en mai 1988 à l’aéroport de Nice au retour du Grand Prix de Monaco).
21Diverses tentatives avaient bien eu lieu mais la CEAC8 par exemple n’avait pas cherché à les transformer en une "institution". Le fait que la CEAC soit composée de responsables, dans leurs pays respectifs, de l’aviation civile et non de la navigation aérienne est une raison parfois avancée, mais sans doute manquait-il une volonté politique de réelle organisation "macro-systémique" de l’espace aérien. Et encore le terme de politique recouvre-t-il des phénomènes bien divers. La construction d’outils de contrôle implique par exemple des choix techniques (type de matériel), des priorités d’investissements, des modalités de gestion (agence gouvernementales ou privées), etc. La différence entre la France et l’Allemagne est, par exemple, ici patente : la première a toujours eu une politique industrielle, la seconde laisse faire le marché. Et les degrés intermédiaires entre l’ultra-liberalisme et le dirigisme se combinent avec des pratiques commerciales qui font préférer un certain type de matériel par simple habitude. Ceci conduit par exemple les organismes de contrôle européen à mettre en place dans les cinq prochaines années plus de matériel différent qu’actuellement9 !
22Eurocontrol ne put donc arriver à imposer la standardisation des équipements, non seulement en partie en raison de la difficulté du consensus et de la faiblesse de ses moyens de contrainte mais encore en raison des mouvances socio-techniques différentes dans lesquelles se trouvent les diverses nations européennes10. L’Allemagne subit depuis la guerre une fascination pour la technologie américaine (le pont aérien sur Berlin fut une réussite extraordinaire sur le plan de l’efficacité du contrôle aérien et le souvenir en est resté vivace), IBM lui fournit le support essentiel du projet de Data-Link de style très "déterministe" CATMAC et MITRE-Corporation y reste l’interlocuteur privilégié. IBM est aussi présent en Grande-Bretagne où il a obtenu le contrat pour le nouveau centre d’Heathrow. Les propositions américaines sont souvent avantageuses car les coûts de mise en forme, pré-opérationnels, sont déguisés en subventions de R & D11. Enfin chaque pays, même petit, opte non seulement pour son système (en Hollande par exemple c’est Raykeon qui équipe l’aéroport d’Amsterdam) mais encore lance des appels d’offres avec des spécifications non coordonnées (par exemple entre Norvège, Pologne, Finlande, Suisse, etc..).
23Or certains de ces pays font partie de la CEAC mais pas d’Eurocontrol. On comprend qu’il soit dès lors difficile d’imposer les règles du jeu pour la standardisation des équipements et au moins la normalisation des logiciels. Il faut donc replacer Eurocontrol dans le contexte européen des autres institutions agissant dans le champ de la navigation aérienne, ce que nous ferons plus loin12. Bien plus que la pression de l’institution, c’est en tout cas la pression du trafic qui a obligé les états à s’entendre13 et le premier résultat tangible fut la CFMU. Nous tracerons donc maintenant les grandes lignes de l’épure "CFMU" cheville ouvrière de l’organisation européenne de l’espace14 en revenant d’abord sur la différence entre contrôle et régulation.
1-4 – Contrôle et régulation.
24Il parait évident que les problèmes actuels concernent tout autant le contrôle que la régulation et il est bien difficile de séparer les deux pour construire l’avenir en théorie comme en pratique. La régulation est le produit d’une viscosité des flux, donc des échanges gérés par le contrôle ; or l’insertion dans le milieu rencontre toujours, comme on vient de le voir, l’obstacle de la surcharge à un moment ou à un autre, et parfois à plusieurs occasions. Ce phénomène n’a rien d’étrange puisque les rythmes de croissance de l’objet et du système associé ne peuvent évidemment se couler dans la même temporalité ni suivre les transformations de l’environnement. Par exemple, le bruit devient un problème grave à partir des années 70, ce qui diminue la durée de l’ouverture des aéroports la nuit et ferme donc une piste vers une solution possible, cette variable est externe par rapport au milieu aéronautique et n’était donc pas prévisible techniquement parlant. Ce problème avait d’ailleurs été fort bien perçu par les socio-prospectivistes et M. Godet concluait dès 1974 que, quelle que soit l’hypothèse d’évolution du trafic aérien retenue, "la saturation du contrôle aérien est l’événement le plus sensible du point de vue de l’évolution du système de transport aérien ". Et du reste à la même époque, les instances de la navigation aérienne s’interrogeaient sur la vraie nature du problème qui était présenté, peu après la création de la CORTA, dans un document rédigé par J.F. Vivier. Celui-ci constatait le caractère normal de cette surcharge aérienne à un moment donné de la croissance du trafic et la comparait à celle des autres transports. Il définissait les grands axes de ce que serait la régulation CORTA associée aux autres centres européens et soulignait que la technique seule était incapable de répondre à l’ensemble des questions soulevées :
25"toutes ces améliorations ne pourront être réalisées en Europe qu’au prix du développement d’une coopération accrue :
entre des administrations responsables du contrôle
entre ces administrations et les exploitants d’aéronefs"
26mais plus intéressant encore est le fait que le "control-flow" était bien pensé comme l’autre face du contrôle, ce qui amenait l’auteur à plaider d’abord pour un contrôle unifié ou homogénéisé avant l’institution d’une régulation européenne :
27"Il convient de signaler que la création d’un organisme capable responsable des actions de régulation au niveau européen avait été envisagée. Un tel organisme serait voué à l’inefficacité s’il ne faisait pas partie intégrante d’une organisation européenne responsable du fonctionnement du système de contrôle. Il est en effet nécessaire de maintenir les relations très étroite entre les organismes chargées de l’exploitation du système de contrôle et l’organisme de la régulation du trafic. Cette création n’est donc pas souhaitable pour l’instant. Elle ne pourra être envisagée qu’au terme d’un processus d’unification des systèmes de contrôle européens" 15.
28La question de la "régulation" nouvelle manière sera à nouveau posée dix ans plus tard par la commission des sages lorsqu’elle formulait des propositions sur les réponses à apporter au malaise du contrôle aérien, qui traversait alors une grave crise. Cette commission avait aussi conscience que cette "régulation" était qu’une forme évolutive du contrôle proprement dit16.
29En réalité, la situation évolua d’abord lentement vers le modèle d de la diffusion (voir ci-dessus) à partir des années 70 avec cinq centres de régulation, Londres, Francfort, Paris, Madrid, Rome
30mais la réalité institutionnelle du contrôle (c.a.d du pouvoir de décision, par exemple le fait de clouer les avions au sol) restait inchangée. La décision de promouvoir Eurocontrol avec la CFMU peut être perçue comme une sorte d’accélération de l’histoire voulue par le pouvoir politique, mais elle rompt avec le modèle d diffusionniste pour se rapprocher de celui c de dispersion centralisée. On comprend alors les problèmes qui surgissent car un tel modèle exige un pouvoir coercitif de normalisation des espaces, des comportements et des moyens techniques, or Eurocontrol pour l’instant peut convaincre mais pas contraindre. Et il n’est d’ailleurs pas certain que dans ce milieu où les aspects humains sont si importants, comme tous nos écrits le démontrent, la contrainte serait une bonne solution.
31On voit ici l’ambiguïté du processus historique qu’a suivi la mise en place de la régulation : une création de cellules, ou centres, qui construisent leur tissu social. Brusquement une décision des Ministres en 1988 fait l’hypothèse de la faillite de ce processus et revient à l’idée d’une centralisation des opérations de gestion des flux.
32Mais revenons un peu en arrière pour nous demander ce qu’est en fait la surcharge dans ce cas précis. Il faut préciser avant tout que surcharge de trafic signifie que trop d’avions sont présents dans un ou des secteurs contrôlés et que leur nombre excède la capacité du contrôleur (qui peut aller jusqu’à la surveillance de quinze ou même dix-sept avions en même temps) à maîtriser la situation, la sécurité étant alors considérée comme menacée. Mais cette surcharge n’est pas visible à l’oeil nu (et beaucoup de pilotes n’y croient pas, ne comprenant pas ce qu’est l’espace macro-systémique), l’espace réel est vide : c’est l’espace virtuel tel qu’il est défini par les espacements horizontaux et verticaux des objets volants qui est surchargé ; dans cet espace par exemple un tel objet correspond à un cube de 10 km de long et de 300 mètres d’épaisseur se déplaçant à la vitesse de 850 km/h17 !
33Le mode spécifique de la surcharge dans l’aviation civile provient donc du fait social qu’est l’espace non pas réel mais virtuel institué par la communauté aéronautique. Cet espace est institué selon des normes et répond à un idéal de sécurité18. En s’interrogeant sur la régulation, on est donc amené à s’interroger sur cet espace où fait technique et fait social sont étroitement imbriqués. Or la sédimentation historique rend parfois difficile la justification technique des normes que la tradition impose. Dans un récent colloque sur l’encombrement du ciel, par exemple, le Chef du CENA a pu démontrer que les contrôleurs sont contraints de ne pas respecter les normes de séparation pour améliorer la fluidité du trafic sans que cela ne mette aucunement en danger les aéronefs19.
34Il convient donc dès l’abord de préciser notre position dans le cadre théorique des macro-systèmes techniques. Avec la prise en compte de l’espace-temps du système comme un espace artificiel régi par des lois internes, le contrôle doit être considéré dès l’origine comme un outil de régulation. L’apparition du terme de régulation et la création d’organismes chargés de la gérer ne doivent pas nous faire oublier cette vérité première que le contrôle des flux représente philosophiquement la même chose que le contrôle des entités qui constituent ces flux. De facto il s’agit de la même réalité matérielle mais la mise au point se fait soit sur un collectif (l’ensemble des unités avions, trains, électrons, etc..) soit sur le constituant ultime de cette réalité matérielle (avion ici). Pour nous l’ATFM (Air Trafic Flow Management) et ATM (Air Trafic Management) constituent une part ignorée mais bien réelle du travail du contrôleur depuis qu’il existe, et l’émergence récente de ces notions dans la prospective technologique ne doit pas faire oublier que l’existence du phénomène qualifié par ces termes anglais est concomitante de l’apparition du contrôle aérien. La différence entre le contrôle et la "régulation" n’est qu’une affaire d’espace-temps. La preuve en est qu’avant la création de la CORTA les chefs de salle jouaient le rôle de régulateurs en bloquant le trafic au niveau des secteurs. L’entrée en scène de la CORTA permit de passer au niveau national ce qui entraîna quelques problèmes de relations entre contrôleurs et nouveaux venus. La CFMU est une extension au niveau européen20.
35C’est pourquoi les modèles de la régulation peuvent en théorie faire appel aussi bien à des modèles statistiques gérant des ensembles, (par exemple pour les voitures les feux aux entrées du périphérique), qu’à des modèles déterministes agissant sur des éléments constitutifs isolables (trains, métro). Le modèle pour l’avion est plutôt pensé dans les termes déterministes pourtant l’objet aéronef ressemble dans certaines de ses caractéristiques à l’automobile autant qu’au train (au sol par exemple mais aussi par son degré de liberté dans l’espace). Cette question de la gestion des flux selon un mode ou l’autre n’a pas été vraiment discutée sur le plan théorique et à notre connaissance l’alternative n’est pas reconnue dans le milieu, même si elle est connue.
L’encombrement de l’espace aérien comme fait social
L’encombrement de l’espace, étant entendu que cet espace est institué par les hommes et qu’il n’est pas naturel, provient de deux situations complémentaires :
– les avions qui rentrent dans les secteurs français viennent du monde entier et on ne peut pas les arrêter en vol
– et pourtant les secteurs ou aéroports surchargés doivent pour éviter l’encombrement intervenir d’une manière ou d’une autre, soit en les retardant (modèle américain) soit en les empêchant de décoller.
Par exemple, l’Europe du sud reçoit les charters venant de Grande Bretagne et de l’Europe du nord, Il se peut que les aéroports ne soient pas encombrés mais dans le secteur de Brest les inter-croisements sont malgré tout intenses. Brest doit donc limiter et pour cela intervenir en amont, c’est à dire sur les départs à Copenhague comme à Francfort ou Paris. On dit alors que l’on donne des créneaux : un certain nombre d’avions sont autorisés à décoller dans l’heure et à chacun est alloué une fourchette de départ (de 15-20 mn en général), s’il la dépasse il risque fort d’attendre une heure au moins un nouveau créneau. Mais le temps de vol n’étant pas le même, il faut tenir compte du décalage "rapport vitesse de croisière/distance du point de départ". Or ce qui est une heure creuse à Copenhague par exemple 6 heures, devient une heure pleine lorsque l’avion survolera Paris à 7, 30 h, ou qu’il entrera dans le secteur de Madrid une heure plus tard. En conséquence, on se trouve souvent dans la situation paradoxale d’un ciel vide ou d’une piste déserte avec pourtant une interdiction de décoller. Les pilotes qui conçoivent mal la complexité du système s’en plaignent amèrement, et les passagers ne peuvent s’expliquer ces retards aberrants qu’ils imputent souvent à des grèves du zèle, alors que c’est bien l’interconnexion efficace entre les flux qui permet de répartir le poids sur l’ensemble des mailles du filet.
Évolution récente de l’activité dite de régulation.
La régulation, au nouveau sens de l’aviation civile, se fait par concertation en trois phases :
– stratégique : jusqu’à 6 mois avant le départ, prévision grossière des flux et choix des routes principales et secondaires (off-load roads). La Commission Européenne de l’Aviation Civile, dont le siège est à Paris, joue un rôle essentiel pour la définition de cette maquette.
– pré-tactique : J-2 à J-1. La prévision est affinée, avec des estimations de flux fondés, jusque récemment en France, sur des statistiques historiques. Elle est aujourd’hui transféré à Bruxelles.
– tactique : de 24 heures à 1 heure avant. L’ajustement et l’allocation des créneaux se fait par le traitement informatique qui utilise les données des plans de vol (3 h. avant le départ). Mais les plans de vol ne fournissent pas une information totalement sûre et les vols extra-européens ne sont pas pris en compte.
1-5 – Esquisse des problèmes de la régulation par la CFMU-Eurocontrol
36Ayant ainsi décrit le contexte de la naissance de la CFMU revenons maintenant sur cet objet spécifique. Il ne s’agit pas ici de redire ce que l’on trouve dans les graphes, les modèles et les brochures d’Eurocontrol mais d’envisager les aspects pratiques et le potentiel de problèmes de l’activité régulatrice telle qu’on peut l’imaginer sur la base de ces documents.
37La CFMU sera donc un lieu de centralisation et de traitement de l’information avant tout.
L’unité centrale ou CFMU (Central Flow Management Unit) alimentée en informations (par exemple plans de vols, horaires prévus, etc.) transmises par les compagnies, et les systèmes nationaux, engrangées dans une énorme banque de données et utilisées dans des modèles prévisionnels allouera sur une base apparemment solide les créneaux de départ (slots). Les modifications nécessaires se feront en temps réel grâce aux correspondants du CFMU dans les Flow Management Position dispersés dans la cinquantaine de centres de contrôle (les cinq centres de régulation nationaux disparaîtront).
38Si l’on adopte la perspective du modèle chemin de fer, la centralisation peut être efficace et se traduire en opérations de régulation en temps réel21. Pourtant le modèle du train, nous l’avons dit, ne nous parait pas vraiment adéquat pour décrire le système aérien où les contraintes ont une historicité bien différente de celle du réseau ferroviaire22. La référence de base pour le contrôle du train est par exemple celui du cantonnement : dès qu’un engin entre dans l’aire de sécurité qui entoure l’objet roulant il est stoppé ou fortement ralenti. Ceci est impossible en l’air. Par ailleurs l’avion est un "individu" plus libre que le train au sol mais tout aussi dépendant de l’environnement (fuel, maintenance, parking, etc.) et bien des contraintes non techniques pèsent encore sur l’exactitude (commerciales : les plateaux repas, sécuritaires : filtrage des passagers par la carte d’embarquement et les pertes de passager qu’elle entraîne ou afflux brutal de passagers au poste de douane, etc.).
39Nous pensons donc que d’une part, comme nous l’avons déjà exprimé, la CFMU introduit une rupture dans un processus historique de constitution d’un réseau qui s’esquissait avec les cinq centres de régulation, mais que cela ne constitue pas un obstacle majeur dès lors que le système aura été conçu comme adaptatif et tolérant à la marge. Plus que le modèle du train ce serait le modèle de réseau électrique qui serait dangereux à prendre comme référence latente. Le modèle électrique, est, en effet, celui de la connaissance complète et de la capacité d’action immédiate sur l’ensemble de l’espace "institué" grâce à un jeu de redistribution des flux. Ce modèle déterministe est évidemment totalement inapplicable dans la circulation aérienne, et il n’est pas mis en avant mais il ne faudrait pas qu’une représentation souterraine de ce type soit supportée par des modèles organisationnels rigides.
40En tout état de cause, la CFMU va commencer, sur le plan opérationnel, par mettre en activité l’ex-cellule CORTA à Bruxelles23 durant l’hiver 199424. Les plans de vol étant engrangés dans la DBU (Data Base Unit) et traitées par l’IFPS (Initial Flight plan Processing System), Toutefois si les Repetitive Flight Plan (50 % des plans de vol25) sont dès maintenant traités, l’IFPS n’est vraiment entrée en fonction qu’en octobre 1994 pour une partie de l’Europe26. A la différence de l’ancien système, la demande de plan de vol entraîne une allocation de créneau, c’est-à-dire l’attribution d’une heure de départ obligatoire à 15 ou 20 minutes prés (d’où le terme créneau, en anglais slot), pour l’avion. Jusque là, les compagnies changeaient les plans de vol en fonction de l’encombrement et demandaient le créneau avant le dépôt du plan de vol définitif. Ces négociations sur les créneaux comportaient d’ailleurs un certain aspect ludique comprenant astuce et marchandage de la part des agents du bureau de prévol des compagnies. Ce petit plaisir sera supprimé aux agents du prévol mais on peut imaginer qu’il se retrouvera sous d’autres formes encore inconnues.
41C’est à ce moment que nous voyons poindre un premier problème du point de vue anthropologique en raison des affinités entre le travail du contrôleur et celui du régulateur. Nous soulignions, en effet, dans notre premier rapport le caractère collectif du travail du contrôleur et Ron Westrum remarquait aussi que l’efficacité du contrôleur passe par la constitution d’une culture organisationnelle adaptée au type de travail27. Nous l’avions bien constaté dans le système français qui est pourtant fort différent de celui américain. Nous avions montré, par exemple, que la salle de contrôle française actuelle est fermée à l’administration ("bureaucratique"), et s’autogère avec un chef que nous avions identifié à un modèle "indien" (dans le modèle des tribus indiennes des plaines, en effet, le "cacique" n’a pas de pouvoir et a pour première fonction de renforcer les liens de solidarité). Cette culture d’organisation s’est constituée peu à peu mais elle est semble-t-il efficace car elle soutient moralement le contrôleur et permet à l’équipe de suppléer à la déficience d’éventuels "bras cassés". Cette situation est-elle spécifique à la France ? Nous manquons de données mais il est certain que la responsabilisation de l’acteur, dans ce que Westrum appelle une " Generative Culture", est très importante pour une organisation qui travaille en temps réel.
42Dans ce collectif comment s’insérera le travail du régulateur ? Comment s’organisera-t-il en salle sur sa position de gestionnaire des flux (Flow Management Position) ? Et quelles seront les relations de l’agent en position de "flow manager" FMP par rapport à ses collègues dans la salle ? Dans un organisation aussi autonome par rapport à la hiérarchie qu’est celle de la salle, il est difficile d’imaginer comment se fera l’évolution du travail du régulateur.
43Et à l’intérieur du groupe des agents "flow managers" c’est dans la gestion en temps réel que les exécutants vont retrouver leur identité. Il faudrait donc voir si ces exécutants lorsqu’ils bâtiront leurs règles du jeu informelles ne vont pas construire un espace hétérogène qui nous fera revenir de l’étoile à la maille polycentrée précédente, mais avec peut-être des centrages différents. On peut imaginer un scénario de ce type :
44Notre objectif n’étant pas de décrire techniquement la situation mais de faire le point sur les fondements souterrains et les fonctions latentes des institutions, nous n’insisterons pas davantage sur ces aspects opérationnels. Notre méthode exige qu’il y ait vraiment une activité de régulation pour que l’on puisse faire des observations pertinentes. Et il faudra attendre au moins l’hiver 95 pour cela. Voyons maintenant ce qu’il en est des organes de gestion mêlés à ce problème.
1-6 – Les organes à l’entour de la CFMU
45Les problèmes essentiels résident techniquement dans la disparité du matériel, mais cette disparité, comme on l’a dit, recouvre une volonté politique de la part des États qui veulent sauvegarder leurs prérogatives nationales. Une théorie des organisation dite de la "governance structure" voit dans cette situation un cas de "regime organisation" 28. Ce terme ambigu en français signifie que cette institution ne possède pas de structure hiérarchique, qu’elle fonctionne donc sur une éthique de la conviction et qu’une énorme énergie est alors perdue dans les négociations.
46On comprend que du coup des tentatives de regroupement parallèles voient le jour avec des expériences comprenant un nombre limité de pays "convaincus" (par exemple sur la région à haute densité du triangle Londres-Paris-Francfort ou bien les pays d’Europe du sud pour lesquels ont été créés des groupes de travail). Le projet ATLAS, qui vient d’être rendu public dans un ensemble de documents décrivant ses objectifs peut être aussi vu comme un moyen de recentrage. Rattaché à la DG XIII (Télécoms) ses objectifs s’inscrivent très clairement dans une perspective macro-systémique puisqu’il prolonge l’action de la CEE en faveur de la normalisation par la réglementation afin d’obtenir, entre autre choses, une norme de contrôle aérien commune d’ici 5 ans. Mais ATLAS se termine en 94 et n’est qu’un catalogue de bonnes intentions, sur la construction de réseaux transeuropéens. On notera que le modèle prospectif de l’évolution possible des relations air-sol utilise notre métaphore de l’opposition entre Icare et l’Oiseau Mécanique pour bâtir ses scénarios au nombre de trois :autonomous control (cad contrôle par le pilote), external contrat (par le sol) et cooperative control (mixte donc)29.
47Rappelons donc comment nous résumons sous la forme d’une typologie idéale30 les tendances technologiques à l’oeuvre dans le développement technologique aéronautique :
Type ICARE :
– décision laissée au pilote
– perception de l’espace ambiant et d’une grande part de l’environnement par le pilote
– règles éventuelles d’évitement mais intra-air (et éventuellement couloirs aériens plutôt que routes)
– "guidage" d’approche
etc.
ceci implique un effort technologique tourné vers :
la visualisation synthétique de l’environnement et sa représentation simplifiée (radars embarqués entre autres, instruments anti-collision de repérage dits aujourd’hui TCAS,...) une communication inter-avions facilitée
une procédure très contraignante réglant les rapports entre les pilotes/avions
une conception statistique du contrôle un peu semblable à celui des PC routiers
etc.
Type OISEAU MECANIQUE
– avion guidé et contraint tout le long de son vol
– routes obligatoires et niveaux décidés au sol
– communication sol-air mais aussi sol-sol pour guider de la meilleure façon
– régulation généralisée
– asservissement de l’avion
ceci implique un effort technologique tourné vers :
– la collecte d’informations sur le vol et aussi le prévol (intentions du pilote par exemple pour maîtriser le temps),
– la standardisation, l’homogénéisation et l’agrandissement de capacité des équipements
– le dialogue direct air-sol via des machines et le développement d’équipements embarqués directement branchés sur le sol.
– etc.
48S’il est clairement indiqué dans le projet ATLAS que le choix de l’asservissement au sol est déconseillé, il reste que la voie médiane privilégiée, dite coopérative, peut facilement inclure un Data-Link qui rendrait l’avion plus dépendant du sol. Comme de coutume le choix de la solution médiane permet de préserver tous les possibles.
1-7 – Le serpent de l’air : Data-Link.
49Dans la perspective de l’alternative évoquée précédemment de gestion des flux par action sur des ensembles (appelée statistique) ou des unités (appelée déterministe), il semble que le second choix ait présidé à l’installation de la CFMU à Bruxelles31. Ce choix est fondé sur une constatation banale : si on ne peut arrêter les avions en vol, on peut en revanche les laisser au sol ou les retarder en l’air mais il accompagne une vision prospective de la tendance technologique : les-moyens de communication sol-bord vont à terme permettre une souplesse de l’intervention grâce à nouveaux moyens de gestion des aéronefs en temps réel. Le Data-Link deviendra dès lors un instrument essentiel dans la régulation des flux mais il sera d’abord un outil de contrôle, or le contrôle s’exerce sur des unités, ceci rend le problème bien plus complexe qu’il n’y parait. Deux variables et deux trajectoires technologiques se croisent ainsi qui devraient se rejoindre dans le Data Link :, celle du contrôle proprement dit et celle du contrôle des flux ou régulation.
50Il reste que le Data-Link synthétise pour nous ce que nous avons depuis le début voulu mettre en avant : la solution des problèmes aéronautiques passe obligatoirement par le tissage d’un nouveau lien entre le sol et l’air. Mais il ne faut pas que cet instrument devienne une solution miracle, entraînant une nouvelle fuite en avant technologique, il doit devenir au contraire le noeud des contradictions du macro-système, le lieu de rencontre dialectique des imaginaires du sol et de l’air. Le Data-Link représente un objet social, miroir de la réalité complexe, humaine et machinique, de l’aviation civile. C’est donc aussi dans cette perspective qu’il faut comprendre la suite de notre exposé.
51La régulation nous fait ainsi connaître les débuts d’une nouvelle version d’Icare et l’Oiseau mécanique dans un contexte systémique air-sol. avec au centre cette question du Data-Link. Du reste, s’il existe de nombreux outils techniques, chacun pose un problème social à sa façon. Le satellite peut se révéler très utile et le mode S permet l’échange de données par l’intermédiaire du radar dit secondaire entre le sol et l’air : mais derrière le choix de l’un ou de l’autre c’est aussi la place donnée au pilote et au contrôleur qui est en jeu. De même le Flight Management System, système de navigation intégré dans l’avion, qui connaît le plan de vol en temps réel de l’avion, devient dans ce cadre un outil de communication indispensable mais se pose alors la question de savoir si l’information fournie par le sol, par exemple, sera traitée via le pilote ou directement par l’ordinateur. On pourrait aussi envisager qu’en raison de la précision de navigation verticale que permettent les nouveaux équipements de bord (trente mètres près pour les militaires, cent mètres pour les civils !) les contraintes soient diminuées, par exemple que les espacement soient réduits. John Wise, dans un recueil de référence sur la question, prend ainsi une position très iconoclaste. Défendant la position "type Icare" avec l’affirmation "lets pilots see where they are going... the final defense against a midair collision is the pilots’eyeballs" (pp.530- 531), il en tire une philosophie non déterministe de la gestion des flux dont il illustre l’efficacité actuelle par une métaphore bien marquée culturellement "the best analogy to the current flow control System would be the requirement for you to call your local fast-food franchise’s flow control office to get a slot time to corne down and buy a hamburger. You can imagine how long that fast food franchise would be in business ! ". Et il poursuit en comparant aussi cette méthode avec la planification des pays de l’Est dont, dit-il, on connaît la réussite ! Mais cette interprétation oublie quelque peu que les règles de sécurité sont des normes sociales.
52Il faut encore mentionner l’échec des projets d’automatisation AREA aux Etats-Unis (où les contrôleurs sont particulièrement renommés pour leur savoir-faire)32, pour comprendre que la fuite en avant technologique doive être remise dans son contexte mais qu’elle peut réapparaître sous une forme atténuée dans des projets de Data-Link33 dont le modèle général est illustré par les deux versions ci-contre.
53L’évocation de ces quelques scénarios tendanciels indique, à court terme, une modification radicale de l’équilibre général du macro-système. Il ne semble pas en tout cas qu’à moyen terme l’homme, pilote ou contrôleur, soit menacé d’être mis hors la boucle. Aucun des automatismes actuels n’est capable de fonctionner en réseau tout seul, c’est à dire sans le savoir faire de l’homme. Entre le sol et l’air se perpétue donc une tension, créatrice de conflits mais aussi d’innovations progressives qui permettent au système d’évoluer. La logique conflictuelle qui se traduit dans les projets des acteurs, principalement pilotes, ingénieurs, contrôleurs, parait constituer un véritable mécanisme d’autorégulation, et se trouver au foyer de la créativité du système (autopoïese).
Le concept de Data-Link de l’administration américaine pour l’an 2010.
54Ce schéma illustre la manière dont est globalement pensé l’avenir de l’aviation civile. Il fournisse une illustration des nombreuses innovations techniques pouvant être mises en oeuvre dans le futur (par ex. la liaison directe entre l’ordinateur au sol et le système de navigation embarqué FMS via le satellite ou le radar mode S), à côté de celles déjà existantes (par ex. la communication par radio). A noter qu’actuellement à Roissy-CDG la "clearance’’ de départ (autorisation) est déjà donnée automatiquement. Le chemin qu’elle suit rend bien compte de l’institution sociale de l’espace pour l’homme moderne : la Tour envoie la "clearance" par le réseau interne des compagnies dont le noeud est à Singapour, le message passe donc par l’Asie du Sud-Est et éventuellement par la stratosphère (satellite) pour revenir à l’avion immobile sur la piste à 300 mètres du contrôleur qui le regarde se mettre en branle.
Conclusion : un éventail de solutions et un puzzle socio-technique. Limites techniques, limites sociales.
55Un balayage des opinions des experts (mais l’enquête porte cette fois sur un objet en train de naître) nous permet de présenter succinctement et d’une autre manière les grands types d’orientations à moyen terme que l’on entend exprimer le plus souvent, étant entendu que les catégories ne sont pas pures mais indiquent simplement la prédominance d’un mode de raisonnement :
56Solutions à caractère technique : (par exemple celles adoptées par les Ministres européens : réseau centré géré par un gros ordinateur, investissement massif dans les équipements, etc.).
57Solutions par redéfinition du réseau : (par exemple repérer les grands flux et proposer des routes sans obligations de trafic, sortes d’autoroutes aériennes réservées aux "riches" tandis que d’autres routes seraient utilisées par les "pauvres", charters entre autres, on jouerait sur l’étalement spatial du trafic et non sur le temps,...)
58Solutions par redéfinition des modes d’intervention : (par exemple créer des couloirs aériens et réguler à partir des aéroports, modèle mixte européen-américain, utiliser le système de navigation embarqué FMS pour intervenir sur la trajectoire de l’avion,...)
59Solutions au sol par amélioration de l’efficacité du contrôleur :
60(par exemple dérouter les flux, accroître la capacité en diminuant le stress du contrôleur selon la doctrine "moins on traite d’information, plus on peut faire passer d’avions.
61Solutions en l’air par extension de la compétence de l’équipage : (par exemple décentraliser ou délocaliser du sol l’anti-abordage, le mettre à bord et donner ainsi au pilote une vision synthétique qui lui permet de prendre la décision d’évitement de lui-même, ce qui exigerait peut-être une nouvelle fonction de contrôleur embarqué !)
62Solutions politico-économiques : (par exemple re-réglementer, taxer inversement à la masse de l’avion et en fonction du créneau horaire,...)
63Ces propositions sont plus complémentaires que conflictuelles et se situent sur des perspectives temporelles différentes mais pour l’instant seule des mesures concrètes en faveur de la première solution ont été prises au niveau européen, tandis que les états nations apportaient des améliorations à leur propre système ou facilitaient les échanges de données et de communication par des accords bilatéraux.
64Il reste que sans aucun doute le macro-système des transports aériens a atteint sur de nombreux points ses limites socio-techniques :
65en capacité
de survol de certaines zones (par exemple le triangle Paris-Londres-Francfort)
des aéroports (on ne peut multiplier le nombre de pistes, la solution vol a décollage vertical parait peu réaliste et ne résoud pas le problème ci-après)
des entonnoirs d’approche (le seuil n’est pas atteint partout en Europe et le trafic international peut-être déplacé vers Bruxelles, Amsterdam, Leipzig par exemple ou bien vers des zones désertes, pourquoi pas le Morvan en France, mais les risques d’engorgement des transports terrestres et de pertes de temps au sol sont grands et le problème de la capacité des zones ne sera pas résolu pour autant).
66en vitesse
67actuellement 0,85 Mach. Le saut au supersonique, qui ferait passer d’un coup à Mach 2 en raison des turbulences, semble difficilement envisageable à moyenne échéance non seulement d’un point de vue économique et technique mais encore en raison de la polémique autour des risques écologiques de destruction de la couche d’ozone.
68Il est certain, ne tout cas, que la solution technique ne fera pas de miracle et que la réponse doit être aussi trouvée à un autre niveau34. La vraie réponse ne suivra pas l’une seulement des deux logiques précitées, celle d’Icare ou de l’Oiseau Mécanique, mais elle les intégrera dans un mixte socio-technique. La régulation pourrait par exemple se faire en amont, c’est à dire au niveau des compagnies, avec des contraintes sur les horaires et le type d’avions car les petits porteurs de compagnies secondaires encombrent l’espace sur certaines directions sans pour autant atteindre un seuil de rentabilité acceptable35. Une telle régulation qui serait une RE-REGLEMENTATION irait évidemment à l’encontre des directives de la CEE sur la concurrence. Les macro-systèmes comme on voit s’imbriquent dans le social de façon parfois inattendue. Ici la politique européenne de déréglementation, copiée sur le modèle américain construit dans un contexte tout différent, interfère avec la manière même dont les objets circulent en l’air alors qu’elle est censée ne concerner que l’aspect économique.
69Le principal problème que nous voyons dès maintenant poindre à l’horizon réside dans la manière dont les contrôleurs opèrent dans un espace en partie hors normes, c’est à dire flexible et tolérant à l’approximation plutôt qu’à l’erreur, alors que la CFMU s’inscrit dans un espace très contraignant. Les contrôleurs jouent avec les règles de manière efficace, or l’automatisation implique déterminisme puisque l’heuristique est fermée sur des règles strictes. Que vont faire les régulateurs, qui sont en général d’anciens contrôleurs ? Comment vont-ils se réapproprier le système technique ?
70Ces questions sont pour nous centrales et détermineront l’évolution générale de la CFMU aussi bien que le choix des orientations à long terme. Le succès de la CFMU dépend ainsi d’une réappropriation réussie de l’outil par les hommes (qui peut modifier profondément les plans initiaux), autant que de son efficacité technique intrinsèque.
71En conclusion, si le système de la navigation aérienne, au sens étroit, est considéré comme un système fermé il s’ensuit que des solutions à caractère essentiellement techniques peuvent se révéler efficaces, en revanche le macro-système de l’aviation civile ou des transports aériens est un système ouvert. Les interfaces sont nombreuses, l’influence de l’environnement est constante. En conséquence, la réponse à la question de la régulation aérienne sera de toute manière longue à trouver et le cheminement du système chaotique, mais la recherche sur les MST trouve ici un passionnant sujet d’expérience historique, une boite noire sociologique. Et cette question de la régulation laisse clairement transparaître que la solution "auto-régulatrice" ne peut être que globale, c’est à dire à la fois technique, économique, juridique, institutionnelle, politique, écologique, et au fond socio-logique !
Notes de bas de page
2 cf. A. Gras, avec S. Poirot-Delpech, Grandeur et Dépendance – Sociologie des macro-systèmes techniques, op.cit.
3 Ch. Perrow, Normal accidents – Living with High-Risk Technologies, Basic Books, New-York, 1984, p. 170. Il ne précise pas le tonnage.
4 Pour la partie contrôle proprement dit voir G. Maignan, le contrôle de la circulation aérienne, PUF, Que Sais-Je, Paris, 1991
5 accroissement du nombre de contrôleurs et amélioration de leurs conditions de travail, accords bilatéraux (d’échanges de données et d’images radars entre la France et l’Espagne ou l’Allemagne par exemple), progrès technique (radar monopulse) par rapport aux années 1980. On verra qu’une solution européenne globale a été préconisée par la CEAC qui a par ailleurs incité les Etats nationaux à intervenir de diverses manières sans attendre.
6 J. Villiers, "Le mur de la capacité" in ITA Magazine, N.55, janvier-février 1987. Voir aussi remarque de l’encadré infra sur l’effet pêrvers de la réduction de taille des secteurs.
7 R. Resch, Institutionnelle Wandel in einem grosstechischen System : Der Fait der Europäischen Flugsicherung, Thèse, Uté de Constance, 1994,
8 Le siège est à Paris et regroupait 23 états membres en avril 1990.
9 Entretien R93/06
10 On oublie facilement que la notion de service public n’a vraiment de sens qu’en France où la technostructure française a produit un droit administratif particulier. Rien de tel en Allemagne ou en Espagne, malgré un droit romain-germanique assez proche. Et quand on passe au "Common Law" anglais hostile à toute conceptualisation théorique cette notion de service public n’a plus aucun sens, bien que l’on convienne parfois de la traduire par "public utillities" (voir une étude récente d’un chercheur de l’EDF Bella Montagner sur "La notion de service public en Europe", Observatoire de l’EDF, Paris, 1993). Ces divergences de fond rendent difficile une définition homogène (nécessaire dans un MST) du service que doivent procurer les institutions de la navigation aérienne en Europe. L’OACI se contentant de définir un cadre général.
11 On sait que le problème se pose de la même manière pour Airbus-Industrie dans les accords du GATT qui prennent comme référence le libéralisme à l’américaine, et négligent complètement la structure industrielle héritée de l’histoire des états interventionnistes européens.
12 La normalisation est pourtant à l’oeuvre dans la collecte des plans de vol par Eurocontrol (IFPS) pour les besoins de la CFMU même si elle s’est avérée difficile pour les raisons évoquées.
13 Le retard moyen des vols ayant un créneau serait de 25-27 minutes alors qu’en 1970 le retard considéré comme normal était de 7 minutes, entretien R93/15.
14 La principale institution européenne qui pense l’avenir du contrôle aérien n’est autre qu’EATCHIP (European ATC Harmonisation and Integration Program) et Eurocontrol est formellement un élément de la stratégie EATCHIP. Pourtant il ne s’agit en fait pour l’instant que d’un énorme programme, lancé par les Ministres sur la base d’un document CEAC. Pour l’instant certains critiques estiment qu’il a construit une "cathédrale de papier". D’autres le décrivent comme une "umbrella" au sens anglais, (l’image du parapluie indique la multiplicité des branches reliées à un centre). La phase 1 consista essentiellement à prendre conscience du problème et à produire "un beau papier glacé". La phase 2 s’est terminée en 1993 avec comme résultat la définition d’un programme de travail commun au sein des Etats sous la houlette d’Eurocontrol et l’établissement d’un plan de convergence (pour 31 états, ce qui inclut beaucoup de pays qui ne sont pas membres d’Eurocontrol). La phase 3 vise une harmonisation fonctionnelle dans les régions à haute densité fin 95 et en 98 dans toutes les régions. La phase 4 vise une intégration opérationnelle au delà de l’an 2.000.
15 M. Godet, De l’anticipation à l’action, Paris, Dunod, 1991, p. 176-1 84, cit. p. 184
16 J.F. Vivier, "Régulation du trafic aérien", DNA/CORTA, décembre 1974, p. 34
17 in Rapport des Sages, DNA, janvier 1985, annexe 7.
18 image fondée sur une moyenne car ce dièdre se déforme : les espacements obligatoires varient en fonction des équipements au sol.
19 voir note suivante
20 De ce point de vue le processus apparaît continu
21 par exemple l’espacement réglementaire de 3 nautiques en approche finale est trop grand pour que l’aéronef atteigne la piste dès que le précédent a dégagé. En réduisant à 2,5 NM l’efficacité est accrue mais le stress du contrôleur augmente !
22 Aux Etats-Unis le CFCF possède une image de l’ensemble du trafic remise à jour toutes les 5 minutes et peut donc intervenir en temps réel.
23 Notons à ce propos que le concurrent du train fut la diligence, que l’on prenait au dernier moment, or ce modèle de comportement resté assez général est battu en brèche par le TGV. Remarquons la contradiction dans laquelle vit le système TGV à la française : il veut être un avion mais il ne se donne pas les moyens de réguler le flux des voyagers en laissant reposer les contraintes sur le passager supposé s’interdire l’accès s’il n’a pas la place réservée. La technocratique SNCF, sous la presson des usagers, a fini par comprendre que cette position était incohérente et commercialement dangereuse. Elle vient de modifier les règles en revenant dans le sens de la tradition ferroviaire.
24 Bruxelles émet déjà les messages de régulation mais les cellules locales ont d’autres moyens de communication qu’elles utilisent de préférence. Cette centralisation restait largement symbolique.
25 Il semble au moment où nous rédigeons ce rapport, mars 94, que des retards soient intervenus dans le transfert de la CORTA à Bruxelles et que l’échéance soit plutôt l’été 95 pour une mise en servive opérationnelle.
26 in G. Maignan, Futuribles, op.cit.
27 R. Westrum, Information and Consciousness in ATC, in J. Wise et al., Automation and Systems Issues in ATC, op.cit., pp.367-380.
28 Voir R. Westrum, op.cit.
29 Voir R. Resch, op.cif.
30 Voir S.C. Pascall, directeur de la DG XIII, "The ATLAS STUDY, Scope, present and future investigations", ATC contrat association,, Geneva, June 1993. Sur Eurocontrol G. Maignan "La régulation du trafic aérien : la stratégie d’Eurocontrol" in Futuribles, juillet-aout 1992, n.167 pp.79-86 en réponse à notre article A. Gras, "La surcharge du trafic aérien et sa régulation, un défi majeur pour l’avenir de l’avation civile", pp.61-78.
31 Aux Etats-Unis l’action se fait plutôt en route par ralentissemnt ou détournement des flux ce qui nous rappoche du modèle statistique
32 J. Wise, V.D. Hopkin, M.L. Smith (ed.), A modest proposal for future Systems, in Automation and Systems Issues in Air Traffic Control, NATO ASI Series, Springer Verlag, 1992, pp.529-539. Dans ce même article à propos des normes de sécurité il se demande d’un ton provocateur comment il se fait qu’un pilote de l’US Air Force, qui n’a parfois que 150 heures de vol, est entrainé à voler avec son aile à un mètre de celle de son voisin alors que les pilotes civils ont besoin de dix kilomètres ! Derrière la boutade se cache un vrai problème de justification des choix faits en matière de sécurité. On retrouvera ce problème en conclusion.
33 L’atterrissage au pilote automatique en catégorie dite trois (les 21 pieds, ou 6 mètres, "hauteur de décision" dans le cas de l’A-320) exige un luxe de précautions qui ralentirait énormément l’écoulement du trafic si le brouillard n’avait pas déjà obligé le Contrôle à dérouter tous les appareils moins bien équipés. Aux Etats-Unis la Fédéral Administration of Civil Aviation (FAA) avait prévu d’automatiser dès 90 les vols en route (à haute altitude) et d’ici la fin du millénaire l’ensemble du contrôle. Or il n’en est rien pour l’instant et les programmes ambitieux sont restés dans les tiroirs ou dans les laboratoires. Cette FAA vit d’ailleurs dans une contradiction permanente : elle voudrait tout informatiser, alors que sa réputation en matière de trafic repose sur le talent des controleurs aériens américains qui sont unaniment admirés pour leur capacité à prendre des risques. Qui n’a pas été impressionné par ces défilés d’avions atterrissant à la queue leu-leu, par exemple à Newark, sur des pistes paralléles (que l’on traverse au roulage) sans attendre que l’autre avion ait dégagé la piste. Une informatisation du processus à sécurité égale diminuerait énormément la productivité du système.
34 Un très récent article utilisant une méthode expérimtentale en laboratoire soutient que l’automatisation, avec strips électronique et contrôleur "monitoring the System", accroît l’efficacaité du contrôleur, en particulier sa mémoire opérationnelle. On nous permettra de nous montrer très sceptiques à l’égard de ces expérimentations qui font de l’homme un chien de Pavlov. Pavlov n’avais pas compris qu’un animal en cage, isolé de ses semblables et stressé par l’expérimentation, n’était plus un animal normal parce que désocialisé, décontextualisé. L’éthologie a mis cinquante ans à se sortir des pièges du scientisme pavlovien, verra-t-on en sens inverse les psychologues du contrôle aérien revenir au contrôleur chien de Pavlov ? On se demande comment ce type de psychologie cognitive peut encore être considéré comme scientifique ; sans doute parce qu’elle propose tout un appareil statistique d’interprétations sur l’homme... qui n’existe pas. O.U. Vortac et al., "Automation and cognition in ATC : an empirical investigation", Applied Cognitive Psychology, Vol. 7, 631-651 (1993).
35 Une étude sur ce thème fournit des chiffres éloquents que nous résumons dans ce tableau sur la liaison Paris-Londres :
in J. Villiers, Concurrence et efficacité – Quelle politique européenne de transport aérien ?, Paris, ITA, Etudes et Documents, Vol. 23, 1991/2, p. 63
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