Organisations paysannes et professionnalisation de l’agriculture en Afrique Noire
p. 197-214
Texte intégral
1Alors que s’accroît le pessimisme relativement à l’Afrique, ces dernières années ont vu poindre un nouveau concept appliqué au développement des paysanneries africaines – celui de professionnalisation de l’agriculture –, concept novateur et prometteur pour certains, nouvelle mode des développeurs pour d’autres. En fait, ce concept est moins nouveau qu’il n’y paraît car il avait été largement utilisé, en tout cas dans le contexte français, pour caractériser les mutations de l’agriculture au cours des trente glorieuses, en particulier au niveau des organisations agricoles qui ont soutenu, et même souvent initié, ce changement, organisations englobées sous le vocable général de "Profession agricole" et même parfois seulement de "la Profession". Mais il convient de se garder de transposer au Sud les réalités du Nord ; on cherchera plutôt à mettre en évidence en quoi ce concept, dans la situation actuelle de l’Afrique, peut être positif et mobilisateur.
2Ce serait une attitude réductrice de rapporter le concept de professionnalisation de l’agriculture à la seule structuration du monde paysan, car ce n’est que l’une des dimensions, nécessaire mais insuffisante, de la démarche de professionnalisation. Le concept – démarche plutôt que modèle-est en effet beaucoup plus riche et complexe. La professionnalisation ne se décrète pas ; elle oriente toute action visant à valoriser le potentiel des sociétés locales et à induire des évolutions durables, mettant en jeu des aspects culturels et technico-économiques, individuels et collectifs, relativement au développement de l’agriculture.
3Concernant l’individu et les familles paysannes, cette démarche de professionnalisation s’inscrit, sur le plan du travail agraire, dans la mutation culturelle des sociétés africaines, notamment rurales. Pour le paysan, on l’a souvent explicité ainsi, elle correspond à une transformation de l’activité agricole qui d’état de vie devient métier, métier que l’on perfectionne, que l’on adapte aux besoins (nourrir la famille, mais aussi vendre), que l’on apprend et qu’un jour peut-être on choisira. Pourvu que les conditions sociales et économiques – mais aussi l’accès au foncier – le permettent, on peut espérer que dans l’avenir nombre de jeunes d’origine rurale, happés par la ville et les mirages de la modernité, feront le choix du métier d’agriculteur, gérant de petites entreprises agricoles, elles-mêmes provoquant un effet d’entraînement sur le milieu...
4Parallèlement, la professionnalisation de l’agriculture poursuit un objectif d’amélioration quantitative et qualitative de la production agricole, en vue de satisfaire les besoins des ruraux et ceux – croissants – des citadins, et de participer efficacement à l’économie nationale. Ceci implique que les rôles et les fonctions nécessaires à la production agricole soient redéfinis avec réalisme entre tous les partenaires concernés : l’Etat, qui doit s’effacer après l’échec des décennies de politique autoritaire, sans renoncer à son rôle d’orientation et de coordination ; les partenaires extérieurs et nationaux du développement (services de coopération, ONG, organismes d’appui, etc.), dont l’action de stimulation et d’accompagnement est indispensable, mais qui doivent se garder de compenser durablement le vide laissé par l’Etat ; les opérateurs économiques privés, qui constituent à tous niveaux, y compris celui du village, un vaste espace encore peu développé, d’initiatives entrepreneuriales (approvisionnement, transformation, commercialisation, etc.), indispensables à l’activité agricole ; enfin les paysans, devenant partenaires à part entière des autres acteurs du développement. Mais la reconnaissance des paysans, longtemps dominés, en tant qu’acteurs créatifs et autonomes, suppose aussi qu’ils soient organisés et que leurs organisations, du village au niveau national – voire international – soient compétentes et fiables, prenant également leur part de responsabilité dans la gestion des fonctions nécessaires à la production agricole, et capables d’exprimer les besoins et, si nécessaire, les revendications despaysans. Ici se rejoignent l’individuel et le collectif dans la démarche de professionnalisation de l’agriculture.
5Aujourd’hui, en Afrique Noire, les conditions semblent réunies pour que l’on s’engage dans cette voie, chaque pays selon ses particularités, ses possibilités et ses rythmes. En effet, des organisations paysannes et rurales polymorphes, parfois imposées, souvent tolérées, sont nées depuis une ou deux décennies dans la plupart des pays ; les Etats se désengagent et la tendance à la démocratisation entraîne une reconnaissance plus explicite de ces nouvelles organisations ; Les intervenants extérieurs, et jusqu’à la Banque mondiale, prônent la responsabilité des paysans. Alors qu’un regard dans l’espace et dans le temps montre qu’il y a rarement eu développement sans une participation active et structurée des masses paysannes, les actuelles organisations paysannes et rurales en Afrique vont-elles dans le sens d’une professionnalisation de l’agriculture ?
6L’analyse qui suit s’appuie sur les enseignements d’un programme de recherche-action mené depuis quelques années dans plusieurs pays d’Afrique Noire : Sénégal, Cameroun, Togo, Guinée1. Après avoir présenté les principaux éléments d’un constat en termes d’atouts mais aussi de faiblesses de ces organisations dans leur diversité, elle tentera de dégager les enjeux actuels à ce niveau, avant d’ouvrir quelques pistes dans le sens de la démarche de professionnalisation.
Une grande diversité des formes de groupements
7En effet, dans un premier temps, il paraît plus opportun de parler de groupements – ou groupements villageois – pour recouvrir cette diversité, que certains jugeront excessive, alors que l’expression "organisations paysannes et rurales " contient déjà en germe l’idée de professionnalisation et ne s’applique pas nécessairement à tous les groupements. Par groupement, on entend un ensemble de villageois, et parfois d’originaires expatriés (travailleurs émigrés, élites urbaines, etc.) qui ont en commun une certaine vision du développement souhaitable du village (ou de plusieurs villages) et qui mettent en oeuvre des actions à caractère social, culturel et économique. Dans les deux premiers domaines, l’action peut être en continuité avec les groupes traditionnels préexistants ; par contre, hormis les anciennes formes d’entraide agricole, l’objectif économique paraît nouveau, qu’il soit recherché pour lui-même, ou en vue de la réalisation d’objectifs sociaux (équipements collectifs pour le village) et culturels.
8Les dénominations utilisées à l’intérieur comme à l’extérieur des groupements sont révélatrices des référentiels et des intentions qui sous-tendent ces expériences2. Elles sont de deux ordres. Tout d’abord, celles relatives aux formes de groupements : amicale, association villageoise, comité villageois, initiative locale de développement, organisation paysanne (et rurale), cette dernière plus usitée par les analystes et les développeurs que par les acteurs locaux. Ensuite, celles propres aux initiateurs d’un groupement qui vont rechercher à travers une expression synthétique une dynamique mobilisatrice pour les membres : Ufulal (sortons de la forêt sacrée), FAMAH (Femmes actives de Mahole), NSU (Nous Sommes Un), etc. Notons cependant que souvent le groupement porte seulement le nom du village ou du quartier, et que parfois les noms – et les sigles – expriment une visée moderniste du statut du groupement : COPIDER (Comité pilote de développement rural d’Ewot), PCIDRK (Promotion collective des initiatives de développement de l’arrondissement de Kar Hay), etc.
9La diversité actuelle des groupements est plus ou moins directement, selon les cas, le produit ou l’héritage d’un faisceau de mouvances historiques et de références du Sud (expériences d’autres régions ou d’autres pays africains : cf. l’influence des groupements Naam au-delà du Burkina Faso) ou du Nord (d’où l’intérêt porté par des paysans africains à l’expérience des agriculteurs européens) : le mouvement de type coopératif, qui a pris de nombreuses formes, fréquemment directives à l’égard des paysans, avant et après les indépendances ; la mouvance communautaire, qui s’était particulièrement épanouie dans les pays anglophones selon un mode plus libéral et qui a été en quelque sorte rejointe et amplifiée par le courant humaniste, souvent d’influence chrétienne, des créateurs de l’auto-promotion paysanne, notamment à travers des organismes d’appui tels que le CESAO, INADES Formation, APICA, etc. ; les formes associatives, plus ou moins explicitement inspirées de la loi française de 1901 sur les associations et des lois de même nature dans certains pays africains ; enfin les formes variées d’organisations de producteurs spécialisés, voisines des groupements de producteurs.
10Ces origines diverses et parfois entrecoupées, ainsi que les conditions historiques et sociales relatives à chacun des pays, expliquent le polymorphisme actuel des groupements. Des typologies sont parfois élaborées pour tenter de clarifier une réalité aussi complexe. Au risque d’être simplificateur, on retiendra ici quatre familles de groupements, sachant que chacune d’elles correspond à une gamme plus ou moins étendue de variantes :
- Les groupements, y compris les néo-groupements hérités du passé, initiés et contrôlés par les instances administratives : comités villageois de développement, groupements féminins, organisations de jeunes, etc. ;
- Les groupements à caractère économique incités et/ou soutenus par les sociétés de développement ou par les projets, liés à des productions spécifiques (coton, riz, café, cacao, ...) ;
- Les groupements d’initiative locale, à dimension villageoise ou intervillageoise, dont les modes d’émergence sont très diversifiés et dont beaucoup ne sont pas strictement d’initiative villageoise ;
- Les nouvelles organisations de défense des intérêts paysans qui apparaissent dans certains pays (Mali, Côte d’Ivoire, ...) et se structurent sous une forme et une appellation de syndicat.
11Mais il convient de compléter cette esquisse de typologie par une autre approche plus fonctionnelle, et donc plus directement en rapport avec la démarche de professionnalisation. A cette fin l’on distinguera les groupements polyvalents, ayant une finalité de développement global, souvent référée à une vision philosophique, et les groupements spécialisés, notamment agricoles, et, dans ce cas, ils peuvent également être mono- ou pluri-fonctionnels selon la nature des activités (une production, ou l’ensemble des productions végétales et animales). De même, sans chercher à promouvoir un modèle idéal comme certains partenaires le souhaitent parfois, on pourra différencier les groupements selon leur dimension (étendue spatiale et nombre des membres) : groupements larges, qui sont plutôt pluri-fonctionnels, et groupements restreints, correspondant à des groupes d’entraide agricole, des ateliers micro-collectifs de production, etc.
12Devant une telle diversité des groupements villageois – de ces multiples formes d’organisations paysannes et rurales –, il est donc utile dans une optique de professionnalisation d’appréhender sans complaisance les principaux éléments d’évaluation, même non exhaustifs, et d’en retirer des enseignements sur le devenir de ce vaste mouvement social dans les paysanneries africaines.
Des atouts incontestables
13Le premier point très positif réside justement dans l’existence de ces organisations paysannes et rurales, multiples et diverses selon les initiatives qui les ont fait naître. Pour de nombreuses raisons, organisationnelles et économiques notamment, beaucoup ne survivront peut-être pas, mais elles constituent à ce stade un terrain d’expérimentation, impliquant directement des ruraux, d’où surgiront progressivement par décantation des formes d’organisation, plus adaptées et fiables. Pour l’instant, les groupements existants sont un signe de refus du fatalisme de la pauvreté et de l’immobilisme en milieu rural – comme parfois sous d’autres formes en milieu urbain –, et ils témoignent d’une capacité de mobilisation de nombreux membres à la recherche d’une amélioration de leur condition, collective et surtout individuelle.
14Car derrière un groupement, il y a souvent un projet plus ou moins explicite, dans lequel se rejoignent de nombreuses aspirations : accroître son revenu, améliorer le village, retenir les jeunes, favoriser la "bonne entente", ... Lorsqu’il s’agit d’un groupement polyvalent, selon les moyens humains et financiers mis en oeuvre – lesquels ne dépendent pas uniquement de l’importance des aides extérieures –, le projet se traduira par des actions concrètes (ateliers communautaires, équipements collectifs, ...) qui motiveront les membres à poursuivre leur engagement. Dans le cas de groupements spécialisés, les effets sont plus immédiatement sensibles au niveau du paysan individuel, mais encore plus dépendants de la conjoncture économique, y compris internationale.
15Les groupements constituent également une véritable innovation sociale et culturelle au sein du village, sans qu’il y ait généralement rupture avec le système traditionnel. Ceci tient à plusieurs raisons internes et externes : structure du groupement, existence fréquente d’un statut et d’un règlement intérieur, adaptation des formes de solidarité, création de nouveaux lieux de pouvoir, développement et diversification des relations avec des instances extérieures. Il est vrai, cependant, qu’une observation fine de chaque groupement devrait montrer comment il se situe par rapport à la différenciation sociale (ethnique, familiale, religieuse, économique, etc.) et au système de pouvoirs pré-existant au village, et aussi comment peuvent s’articuler, s’ignorer, ou se concurrencer, plusieurs groupements à l’intérieur d’un même village.
16Dans ce vaste ensemble d’organisations paysannes et rurales, apparaissent de nombreux signes encourageants, cachés ou médiatisés selon les cas : l’existence de groupements villageois réellement spontanés, menant des actions concrètes sans aucun appui extérieur ; des groupements qui, en plus des actions collectives, cherchent à promouvoir des micro-projets économiques individuels ; le rôle croissant des femmes qui apportent aux groupements leurs qualités de dynamisme, d’intégrité et d’opiniâtreté ; les prises de conscience collectives du pouvoir de défense et de revendication des paysans à partir des problèmes du quotidien. Ce ne sont là que quelques exemples significatifs de ce mouvement paysan à l’état naissant.
17Mais ce constat est à mettre en rapport étroit avec une seconde grande caractéristique qui tient à l’émergence dans les masses paysannes de leaders et de nombreux responsables de ces organisations, dont le pouvoir s’impose rapidement au village et, pour certains d’entre eux, bien au-delà du groupement de base. En effet, à l’origine d’un groupement, il y a souvent un leader potentiel qui prendra l’initiative ou sera le relais d’une incitation externe ; son charisme entraînera d’emblée nombre de villageois pour constituer le groupement et, souvent, il inspirera de fait le projet initial de celui-ci. Les fonctions prévues dans les statuts nécessiteront le choix, quelquefois hâtif, d’autres responsables parmi les membres, y compris des jeunes "lettrés" pour certains postes (secrétariat, comptabilité).
18Beaucoup de ces leaders et principaux responsables présentent des traits communs, même si leurs itinéraires antérieurs diffèrent quelque peu. Ce sont le plus souvent de petits paysans, confrontés aux mêmes difficultés que leurs semblables, d’âge moyen (autour de quarante ans), qui ont pu connaître des opportunités de formation, initiale, ou sous d’autres formes, telles que la participation à différents mouvements du type JAC dans les régions christianisées3. De nombreux leaders parmi les plus engagés ont vécu antérieurement des expériences qui, de retour au village, leur ont servi de référentiel : travail à l’extérieur, en Europe ou en Afrique, voyages dans d’autres régions, occasions de confrontation avec d’autres milieux sociaux, etc. Certains ont pu se préparer ainsi à l’exercice des responsabilités, mais la plupart se forment sur le tas à l’ensemble des compétences – organisationnelles, techniques, économiques – que requièrent leurs fonctions ; les formations spécifiques viendront plus tard lorsque le groupement sera constitué et fera appel à des organismes d’appui. Dans le cas des groupements nés d’une initiative externe, par exemple ceux liés à une société de développement, la situation est quelque peu différente car il convient alors, en même temps que l’on crée le groupement, de repérer les responsables potentiels, puis de les former, ce qui suppose une connaissance préalable assez fine du milieu pour que la structure proposée soit progressivement appropriée par ses membres.
19Quelle que soit la situation, lorsque les nouveaux responsables ne recherchent pas d’abord un accroissement de leur pouvoir personnel au détriment du groupement, l’exercice des responsabilités nécessite en permanence des qualités d’adaptation, d’écoute, d’abnégation aussi, notamment à l’égard de leur famille, ce qu’exprimait ainsi l’un d’eux :
20"Il faut des volontaires qui aient conscience d’eux – mêmes et qui aient le souci du bien commun. Cela demande de la volonté et du courage. Il y a beaucoup de réunions, de voyages. On ne cultive pas ses champs comme avant. On le fait bénévolement. C’est donc un sacrifice. C’est même un travail plus fort que les fonctionnaires souvent".
21Enfin, troisième grande caractéristique qui représente un atout important du jeune mouvement paysan, des liens nombreux se nouent entre groupements de base, et des synergies se développent de diverses manières. Ce phénomène est déjà ancien dans certains pays comme le Sénégal et le Burkina Faso, plus récent dans d’autres à l’exemple de ces pays, à peine amorcé dans d’autres encore. Des unions et des fédérations se constituent au niveau micro-régional et national, facilitant la confrontation des besoins et des expériences, la recherche commune de solutions appropriées, y compris au plan économique, et un début d’expression unitaire du monde paysan. C’est également dans cette voie que s’engagent les nouveaux syndicats. Très vite, souvent avec l’aide d’organismes extérieurs, des échanges et des relations plus structurelles s’instaurent entre pays. Cette évolution sans doute nécessaire, dans laquelle sont engagés les principaux leaders, peut se traduire toutefois par des risques de dépérissement des groupements de base entraînés de fait dans cette fuite en avant, à laquelle leurs propres rythmes et la nature de leurs problèmes ne les prédisposent pas d’emblée.
Et des faiblesses évidentes mais peu explicitées
22Effectuer seulement l’apologie des groupements et de leurs leaders serait leur rendre un très mauvais service... Aussi est – il nécessaire, et dans certains cas urgent, d’analyser les principales faiblesses de ceux-ci, qu’elles aient des causes internes ou externes aux groupements. On retiendra essentiellement quatre types de faiblesses, sans tenir compte ici de celles liées plus strictement à l’environnement administratif et économique des organisations paysannes et rurales.
23Certains germes de fragilité existent dès la naissance des groupements, à l’insu de tous, particulièrement dans deux cas qui peuvent d’ailleurs se recouvrir. Il y a tout d’abord celui du groupement quasiment imposé aux villageois par un leader à forte personnalité. Son influence et son pouvoir de persuasion font que le groupe va très vite s’agréger autour de lui, sans respecter les rythmes nécessaires d’intériorisation de la démarche, aboutissant à une identification du groupement au seul leader. Alors, que les responsables en soient conscients ou non, le leader imprime sur le groupement sa vision personnelle et son projet, non contestés par les membres, et la vie démocratique du groupement s’en trouve compromise jusqu’à ce que les membres commencent à s’en détacher, si après quelques années leurs attentes ne sont pas satisfaites. Les exemples foisonnent dans ce sens, tel ce groupement de Casamance dont les membres étaient collectivement nommés par le prénom du leader, "les Benedict".
24Par ailleurs, indépendamment des conditions de création du groupement, il a été maintes fois observé que la phase initiale d’élaboration des textes juridiques – statuts et règlement intérieur – et de reconnaissance officielle par les autorités administratives pouvait être démobilisatrice pour les membres qui souvent attendent des résultats concrets et rapides des premières actions entreprises. Or, cette phase peut être longue et empreinte de formalisme excessif, donc décourageante pour les membres. L’exemple extrême est celui d’un groupement de jeunes ruraux, mort-né car il n’a jamais dépassé cette phase. Mais ceci ne signifie évidemment pas que des outils juridiques ne soient pas nécessaires – en particulier le règlement intérieur – pour se prémunir de toutes les déviances possibles : absences ou retards pour les travaux collectifs, non-paiement des cotisations, détournements, etc.
25Différent est le cas des groupements constitués – certains diront imposés – pour organiser les producteurs dans le cadre des sociétés de développement et des projets. Ici les résultats sont plus rapidement tangibles pour les paysans. L’incertitude tient davantage aux difficultés plus grandes d’appropriation du groupement par ses membres, qui lui permettrait de perdurer lorsque l’encadrement se retire et de devenir une organisation autonome. Sans doute conviendrait-il de prendre davantage en compte les systèmes sociaux et les rythmes locaux – ce qui peut amener à modifier la programmation des actions –, à susciter des formes d’organisation différenciées, adaptées aux besoins et coordonnées aux groupements pré-existants, et à se garder de la tentation, parfois constatée, des bilans statistiques de groupements, flatteurs mais trompeurs.
26Lorsque le groupement est créé, une seconde faiblesse potentielle est liée à son mode de fonctionnement réel, et donc aux difficultés de gestion sociale, interne et externe, du groupement. Fréquemment, les actions d’appui et de formation ont porté prioritairement sur les questions techniques (vulgarisation agricole) et économiques (comptabilité notamment), beaucoup moins sur les aspects organisationnels liés à la conduite des groupements. C’est pourtant dans ce domaine que l’on constate aussi de nombreuses défaillances possibles, mais dont les effets ne se manifestent que progressivement, entraînant un lent, mais parfois irréversible, dépérissement du groupe : concentration du pouvoir et de la parole en la personne du leader, faible mobilité des responsables, peu de partage des responsabilités selon les compétences des membres, difficultés – ou manque de volonté – de circulation de l’information et donc de communication. Les problèmes sont de même ordre dans certaines fédérations. Toutes ces difficultés, mal identifiées et non maîtrisées, conduisent donc à des blocages, voire à des échecs dommageables pour l’action et pour la crédibilité du groupement et sa survie.
27Une des principales causes de fragilité des groupements, en particulier des groupements d’initiative locale, tient au choix et aux résultats des actions qui concrétisent leur raison d’être et sont censées répondre aux attentes des membres.
28D’abord, les conseils extérieurs, puis, de plus en plus, le mimétisme entre groupements, ont conduit ceux-ci à promouvoir des activités communautaires engageant la totalité de leurs membres. Dans leur projet initial, les mobiles sont à la fois idéologiques et économiques : idéologiques, car l’atelier collectif (agricole, artisanal, etc.) est perçu comme un lieu de mobilisation des énergies individuelles vers un objectif commun et une preuve visible de l’existence du groupement ; économiques, car les résultats financiers attendus devront permettre des investissements collectifs au profit du village et, plus tard, une mythique redistribution de tout ou partie des bénéfices entre les membres.
29Force est de reconnaître que les résultats sont bien en-deçà des attentes et que, souvent, il y a échec sur les deux plans, ce qui n’empêche pas les responsables de lancer d’autres initiatives communautaires. Les raisons en sont multiples, certaines indépendantes du groupement : priorité donnée par les membres aux champs individuels sur les ateliers collectifs, vols, problèmes sanitaires, difficultés de conservation et de commercialisation, d’autant plus que le mimétisme pousse également les groupements à pratiquer les mêmes activités (maraîchage, aviculture, pisciculture, etc.). Cette situation est révélatrice du décalage – peu perceptible au départ – entre le projet des initiateurs du groupement et les attentes individuelles des membres. Elle montre que le groupement n’est pas une fin en soi : le paysan y participe s’il a de bonnes raisons d’en faire partie, conformément à ses intérêts et aux besoins de sa famille. Sinon, il se désengage progressivement jusqu’à quitter le groupement.
30Pourtant, dans une démarche de professionnalisation, le principe de l’atelier collectif n’est pas à rejeter systématiquement. Plutôt qu’attendre trop d’une hypothétique fonction économique – hormis les cas où existerait un créneau porteur en matière de production –, l’utile fonction sociale serait confortée si elle se combinait à une fonction technique où l’atelier collectif deviendrait un lieu d’expérimentation, de démonstration et d’échange sur les systèmes productifs au village, au profit des membres et, plus largement, de l’ensemble des villageois. Certains exemples, en Guinée notamment, montrent que cette voie est possible. L’atelier collectif peut alors devenir un relais et un outil de la formation et de la vulgarisation, en vue de la confrontation des savoir-faire et de l’adaptation des pratiques paysannes.
31Une autre cause possible de faiblesse des groupements provient paradoxalement du mode de relation avec les organismes de financement et d’appui quels qu’ils soient (bailleurs de fonds, sociétés de développement, ONG, etc), supposés apporter aide et encadrement en vue de la réalisation de leurs projets. Dans ce cas, le risque ne dépend le plus souvent ni de la nature, ni de la dimension, ni de l’origine de l’intervenant extérieur, mais du rapport déséquilibré entre des groupements presque toujours demandeurs et prêts à se soumettre aux orientations qui accompagnent l’appui et des organismes qui ont la compétence pour élaborer un projet et le financement pour le mettre en oeuvre. Il en résulte plusieurs conséquences néfastes pour l’évolution du groupement.
32Premièrement, de fait, sans qu’il y ait une volonté explicite de la part des organismes d’appui, les groupements et les paysans, fantassins du développement, sont assistés (même si l’on a banni généralement l’expression d’assistance technique) et maintenus en état de dépendance et parfois d’infériorité, ce que ressentent certains de leurs leaders :
33"La situation des paysans par rapport aux ONG est une situation d’exploitation. On a toujours dit que les paysans n’étaient pas capables de gérer. Des formations sont réalisées, mais on juge toujours les paysans incompétents (...). On ne croit pas au paysan. Tout ce qu’on émet est sujet au doute, on nous dénigre".
34Deux autres exemples vont dans le même sens. Lors d’une assemblée générale de groupement où les enjeux financiers étaient difficiles à débattre avec l’intervenant extérieur, un paysan commente ce qu’il ressent auprès de ses voisins : "Le faible plie toujours devant le fort". Ailleurs, dans une réunion entre paysans en langue locale, les seuls mots français utilisés sont ceux de "groupement", de "projet", et aussi de "compagnie" à propos de la société d’intervention (comme en des temps révolus).
35Secondement, trop d’actions ponctuelles, non coordonnées, limitées dans le temps – aussi justifiée soit chacune d’entre elles –, n’aident pas les paysans et leurs groupements à élaborer progressivement, et souplement, leur propre projet à moyen et long terme, et à en acquérir la maîtrise : une des conditions pour que les organisations paysannes gagnent en autonomie et en fiabilité.
36Enfin, sur un autre plan, du fait du manque de coordination et souvent de la concurrence entre une multitude d’intervenants, il existe de très grandes disparités entre groupements par rapport aux aides reçues. Certains "groupements-vitrines" drainent des aides multiples parce qu’ils sont bien placés géographiquement ou bien introduits auprès des bailleurs de fonds ; alors que d’autres – leurs voisins parfois – n’ont jamais bénéficié d’aucune aide. Car, dans certains cas, les groupements peuvent aussi devenir les instruments involontaires d’accroissement du pouvoir des organismes d’appui, africains ou étrangers.
37L’analyse des points faibles relatifs aux organisations paysannes et rurales ne doit cependant pas occulter tout ce qu’elles portent en elles de positif et de prometteur pour l’amélioration de la vie paysanne et l’intériorisation d’une modernité adaptée aux désirs et aux besoins de leurs membres. Elle doit surtout ouvrir à une question essentielle dans la perspective de professionnalisation de l’agriculture : dans quelle mesure et à quelles conditions ces organisations sont – elles, ou peuvent-elles être, productrices d’un développement économique réel et durable, pour l’individu et pour la collectivité ?
Des enjeux actuels au sein des organisations paysannes
38La question précédente amène donc à repérer quels sont les enjeux et les choix sur lesquels se détermineront les organisations pour promouvoir à terme le développement des économies locales.
Quelle finalité pour les groupements ?
39Une telle interrogation semble masquer un doute sur la capacité, voire la volonté, des groupements de toute nature à décider et à agir en vue de développement, ce qui serait faire injure à la détermination de beaucoup de leurs initiateurs. Elle appelle plutôt à élucider les ambiguïtés, dont la principale réside dans la confusion entre une finalité de développement rural global et une finalité de développement agricole.
40De nombreux groupements d’initiative privée sont nés en effet d’un double vide : l’inadaptation des structures traditionnelles à faire face à des situations et des besoins nouveaux, et la quasi-absence des services étatiques en milieu rural, par manque de moyens et peut-être aussi de volonté réelle. Les nouvelles organisations ont donc été tentées dans la plupart des cas de prendre en charge la totalité des problèmes en élaborant des projets ambitieux dans lesquels le volet agricole, mené sous forme d’activités collectives, n’est qu’un des moyens de parvenir à des objectifs globaux. La philosophie communautaire qui inspire ces choix tend alors à privilégier le collectif sur l’individuel, le social sur l’économique.
41De ce fait les priorités du développement de l’agriculture ne sont pas abordées pour elles-mêmes et l’on tend vers des formes de groupements qui conjuguent les fonctions qui sont normalement celles de collectivités territoriales et les fonctions d’organisations à caractère professionnel. N’est – ce pas la voie la plus complexe et la plus difficile à mettre en oeuvre pour aboutir à des résultats qui confortent les membres dans leur engagement ? Dans cette voie, les progrès sont lents dans le sens d’une professionnalisation de l’agriculture et souvent décourageants ; sans doute nécessite-t-elle le plus de compétences multiples.
42A l’inverse, la plupart des groupements issus des sociétés de développement et des projets sont créés dans une optique professionnelle, bénéficiant d’un appui technique et économique cohérent, et s’intègrent de plus en plus dans la constitution de filières de production. Beaucoup de conditions paraissent réunies pour que ces organisations de producteurs évoluent positivement. La grande incertitude tient cependant à leur pérennité après désengagement de la société ou du projet, ce qu’un coopérant, passionnément engagé dans l’action, exprimait ainsi : " en quelques dizaines d’années de travail, aucun projet n’a résisté". Comme on l’a évoqué précédemment, ceci suppose que les instigateurs des groupements cherchent moins à se référer à un modèle idéal d’organisation qu’à s’adapter à l’existant dans chaque situation locale, à l’écoute des aspirations villageoises : coordination ou fusion avec les groupements déjà constitués (y compris polyvalents), détection des compétences révélées ou potentielles, mais libre choix des responsables, relation établie avec les structures traditionnelles, formations spécifiques, y compris à l’élaboration et à la maîtrise des projets locaux, etc. Ce mode d’intervention est exigeant, notamment dans sa phase préparatoire, et plus lent à mettre en route, mais probablement plus sûr quant à la fiabilité durable des groupements.
Complémentarité ou opposition entre stratégies collectives et stratégies individuelles
43Là aussi, la philosophie communautaire tend à occulter les motivations individuelles et à projeter sur elles le grand dessein d’un projet collectif au bénéfice de tous. Aussi, rares sont les cas, notamment dans les groupements d’initiative locale, où les objectifs incluent des actions à caractère individuel, soit pour soutenir des activités agricoles ou artisanales, soit pour en susciter de nouvelles à l’échelle familiale. On voit même des cas extrêmes tel ce village du Togo où un jeune entrepreneur villageois était considéré comme déviant et concurrent par le groupement.
44Au contraire, les organisations paysannes et rurales ne doivent-elles pas être des instances où s’articulent les stratégies individuelles et collectives et des instruments du développement au service de tous et de chacun ? Ainsi, le groupement, par les fonctions professionnelles qu’il assume ou dont il est le relais, peut agir pour l’ensemble des paysans au-delà des seuls membres engagés dans celui-ci. Il est aussi amené à encourager, et parfois à susciter, des initiatives entrepreneuriales en son sein ou à l’extérieur, également à considérer les initiatives indépendantes comme des stimulants à son action. Au lieu de se considérer comme une fin en soi et le champ clos du développement local, le groupement devient un outil professionnel au service des paysans et le creuset des synergies susceptibles de générer de multiples initiatives. Il est alors une organisation ouverte, souple et adaptative, et non un lieu d’enfermement sur le projet initial – le projet de ses promoteurs –, voué tôt ou tard au dépérissement.
Rapports sociaux et enjeux de pouvoir
45Quels que soient son origine, sa forme et son projet, le groupement naît et se développe dans une société locale – le village ou un ensemble de villages – structurée, avec sa différenciation sociale, ses normes idéologiques et culturelles, son système de pouvoirs hérité du passé. Durant les dernières décennies, ces sociétés ont souvent connu des transformations sociales importantes : émigration d’adultes vers les villes et l’étranger, exode des jeunes, effets économiques et culturels des innovations matérielles (création d’une route goudronnée, électrification et introduction des nouveaux médias, réalisation de grands équipements collectifs, etc.). Mais ces transformations ont rarement altéré les structures de pouvoirs très notabilisés sur lesquels s’appuie la puissance publique.
46La création d’un groupement et l’émergence de nouveaux responsables viennent donc perturber cet équilibre, de même que le lancement d’un projet novateur pour le village. Car tout nouveau pouvoir tend à empiéter sur les pouvoirs et les systèmes relationnels pré – établis et à susciter de nouvelles zones d’incertitude. Plusieurs cas sont possibles. Fréquemment, les leaders des groupements cherchent à ménager les notables traditionnels, voire à les faire entrer dans leur jeu en leur confiant des postes honorifiques ; mais la réalisation de leur projet va de toute manière se heurter à certaines contraintes, dans le domaine foncier, par exemple si l’Etat n’intervient pas par une législation plus adaptée. Parfois des leaders déterminés n’hésitent pas à pousser jusqu’au conflit pour faire éclater les contraintes. Enfin, il arrive aussi que les notables en place suscitent et contrôlent les nouvelles organisations pour mieux conforter leur pouvoir.
47En fait, cette nouvelle dynamique sociale entraînée par les groupements ne concerne pas seulement les tenants des pouvoirs, traditionnels ou non, mais l’ensemble des relations internes et externes au système villageois. Par les actions menées dans le cadre du projet du groupement, et aussi par son mode de fonctionnement réel, il s’opère une certaine recomposition sociale dont l’ampleur dépendra de la représentativité du groupement au niveau des membres et de ses responsables. Ceci nécessite donc cette vigilante attention des initiateurs lors de la constitution du groupement et dans son évolution, eu égard aux aspirations et aux attentes des villageois.
Groupements professionnels ou/et mouvement paysan ?
48A ce stade de l’histoire des paysanneries africaines, il était sans doute nécessaire que prolifèrent les organisations paysannes et rurales aux formes les plus diversifiées, à l’image des multiples initiatives qui ont contribué à leur naissance. Aujourd’hui, alors qu’apparaissent de nouveaux types de groupements à caractère syndical et que l’ensemble des organisations jouit dans la plupart des pays d’une reconnaissance plus affirmée, plusieurs voies s’ouvrent pour l’avenir.
49La première serait le statu quo, c’est-à-dire le maintien, voire le renforcement, du foisonnement des organisations en milieu rural, avec ses réussites et ses faiblesses, et les risques d’usure et de dépérissement liés au découragement ou au retrait de leurs premiers leaders sans que la relève ait été suffisamment préparée et motivée.
50La seconde voie consisterait en une décantation de cette multiplicité de groupements, et parfois en la création de nouveaux plus adaptés, afin de prendre en charge à l’échelle locale certaines des fonctions nécessaires au développement des activités agricoles, en liaison avec d’autres partenaires (services publics, organismes d’appui, opérateurs économiques privés, etc.). Ces dernières années, de nombreux signes montrent que les intentions des partenaires et certaines des actions menées, concernant par exemple la fonction épargne-crédit, vont dans le sens d’une professionnalisation des organisations paysannes. Mais la réalité est encore très contradictoire et fragile ; des fédérations paysannes elles-mêmes discernent difficilement quel type de structuration peut faciliter la prise en charge des différentes fonctions entre les partenaires concernés à tous les niveaux territoriaux depuis le village.
51A vouloir trop rapidement planifier une professionnalisation du monde paysan et de ses organisations, on introduirait probablement de nouveaux risques de fragilité. Une certaine durée est nécessaire pour intérioriser une démarche novatrice et concilier les logiques culturelles locales et celles de la modernité. Mais les besoins évoluent rapidement, pas seulement chez les jeunes, et ce ne sont probablement pas les difficultés de financement des actions ni celles de communication qui constituent les principales entraves à cette démarche, contrairement au discours spontané de beaucoup de responsables locaux. Trois conditions au moins paraissent indispensables pour s’engager plus avant dans cette voie : une convergence des volontés et des actions des divers partenaires, y compris paysans ; une vision coordonnée et à long terme des priorités concrètes du développement qui, le plus souvent, est rendue difficile dans la mesure où les groupements se trouvent enfermés dans le cycle de projets partiels à court/moyen terme ; une spécialisation des tâches au sein des organisations et de leurs unions, impliquant que des agents, distincts des leaders, soient formés aux compétences nécessaires à la gestion des diverses fonctions.
52Par ailleurs, un débat est ouvert sur l’existence d’un mouvement paysan en Afrique Noire, à l’instar des paysanneries d’autres continents. Certains signes ici et là semblent bien être en effet les prémisses d’un engagement dans cette troisième voie, c’est-à-dire la naissance dans tel ou tel pays d’un mouvement paysan structuré et autonome, qui se constitue de la base jusqu’au niveau national en force d’analyse et d’expression des besoins paysans, de défense des intérêts de tous ordres – notamment économiques –, de proposition et de négociation avec les partenaires publics et privés de l’agriculture. Lorsqu’un conflit éclate avec une société de développement ou même avec un organisme d’appui du type ONG, c’est une preuve de l’émergence probable d’un tel mouvement, encouragé par les évolutions politiques récentes. Sans doute ces jeunes mouvements paysans seront-ils confortés dans la durée s’ils peuvent en même temps s’appuyer sur des organisations paysannes fortes et suffisamment professionnalisées.
Pour un renouvellement des modes d’appui aux organisations paysannes et rurales
53Très nombreux, trop nombreux peut-être, sont aujourd’hui les organismes d’intervention et d’appui aux groupements et fédérations de ce très jeune mouvement paysan, que ces organismes soient publics ou privés, africains, étrangers ou internationaux. Certes, le contexte n’a jamais été aussi favorable. Alors que s’est constitué dans la plupart des régions ce tissu assez serré de groupements de toutes natures, et qu’il continue à s’en créer de nouveaux, les conditions politiques et économiques vont dans le sens d’une démocratisation et d’une libéralisation de l’économie, susceptibles d’entraîner un désengagement des structures étatiques et des possilibiltés de transferts de compétences au profit de partenaires privés, dont les organisations paysannes et rurales. Toutefois ces opportunités devraient quitter la sphère du discours pour celle de l’action concertée dans de nouveaux rapports et de nouveaux mécanismes entre les partenaires concernés, et l’acceptation de nécessaires changements pour chacun d’entre eux.
54Pour l’ensemble des partenaires autres que les organisations paysannes et rurales, et tout particulièrement pour les Etats, il est maintenant envisageable de passer d’une simple tolérance à leur égard, ou d’un parrainage quelque peu dominateur et parfois incrédule, à une reconnaissance explicite de ces organisations respectueuse de leur indépendance, même si un soutien s’avère encore indispensable dans la plupart des cas. Ceci suppose notamment l’existence d’outils juridiques souples et adaptés qui leur assurent cette reconnaissance dans la durée.
55Parallèlement, la démarche de professionnalisation implique des mêmes organisations paysannes et rurales une (re)structuration efficiente à tous niveaux, depuis les groupements de base, pour prendre en charge et gérer utilement pour la paysannerie les fonctions nécessaires aux activités de production agricole, sans prétendre nécessairement être les détenteurs exclusifs de ces nouvelles fonctions, compte tenu de l’existence actuelle ou prévisible d’opérateurs et d’entrepreneurs privés.
56Une telle évolution, dont certains signes sont déjà perceptibles ici et là, nécessite également que les multiples organismes intervenant auprès des groupements de manière permanente ou temporaire adaptent les stratégies et les modalités concrètes d’appui à ceux-ci, notamment dans le domaine de la formation : gestion sociale et économique des groupements, acquisition des compétences liées aux nouvelles fonctions, capacité d’élaboration et de maîtrise d’un projet adaptatif de développement dans la durée. De plus, le moment semble enfin venu pour que se constituent des coordinations, et mieux, des synergies dans l’action, entre de multiples intervenants souvent juxtaposés ou concurrents. Si l’on peut constater des avancées dans ce sens au niveau global de tel ou tel pays, celles-ci deviendront réellement significatives lorsqu’elles se transformeront en actes concertés au niveau local4 avec une répartition plus équitable des aides financières.
57Vision utopiste et voeu pieux que d’envisager une telle évolution, alors que les intérêts des principaux partenaires, quels qu’ils soient, tendent parfois au verrouillage des positions et à l’autojustification des choix ? Malgré toutes leurs faiblesses, les organisations paysannes et rurales ont déjà fait la preuve de leur détermination et de leur dynamisme. Par ailleurs, l’ensemble des structures d’appui recèle un potentiel considérable d’expérience et de compétences. La mutation vers une professionnalisation apte à générer un développement durable exige aujourd’hui de la part de tous les partenaires la même disponibilité, mais aussi une certaine abnégation et une capacité à se remettre en cause et à adapter ses orientations et ses modes d’action dans des démarches concertées.
Bibliographie
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Bibliographie
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Reseau GAO, "Professionnalisation de l’Agriculture", Lettre du Réseau, n° 10, 4ème trimestre 1991 – 1er trimestre 1992.
Notes de bas de page
1 Ce programme, animé par la Chaire de sociologie rurale de l’INA P – G, est financé par le Ministère de la Coopération et réalisé avec l’Association Française des Volontaires du Progrès.
2 Cf. (P.), Rambaud, "Pour une sociologie de la dénomination, " Sociologie rurale, Mouton, 1976.
3 JAC : Jeunesse Agricole Chrétienne.
4 Des observations ont montré qu’à l’échelle du canton ou de l’arrondissement peuvent co – exister plusieurs dizaines d’acteurs de développement qui n’ont jamais eu l’occasion, ni la volonté, de se rencontrer et de confronter leur interventions dans la recherche d’orientations concertées.
Auteur
Professeur, INA – PG, Paris.
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