Chapitre 7. Du désengagement politique à la lutte anti-subversive
p. 233-262
Texte intégral
1Tout en affirmant dans un premier temps être l’héritier du général Velasco, le nouveau président ne tarde pas cependant à adopter les premières mesures qui le distinguent de son prédécesseur et traduisent l’influence des forces conservatrices, à l’oeuvre tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’institution militaire. Si l’armée a pris le contrôle de l’Etat en 1968 c’était, rappelons-le, parce qu’elle percevait la nécessité d’entreprendre des réformes structurelles afin d’assurer la sécurité nationale. Mais l’abandon de l’expérience réformiste par un gouvernement qui se réclame des forces armées au même titre que le précédent ne doit pas surprendre : l’accomplissement de fonctions extra-professionnelles engendre des tensions et des divisions internes pouvant conduire à une crise institutionnelle.
Aux sources de l’orientation politique des militaires : la défense des intérêts corporatifs
2Derrière la décision de renverser le général Velasco se profilent peut-être des raisons d’ordre idéologique. Mais les intérêts corporatifs dominent manifestement. Les premières ont probablement été le lot de la minorité progressiste. Pour la plupart des officiers, ceux de la tendance modérée et du secteur costrense, elles apparaissent toutefois secondaires. À partir de 1975 en effet, leur action s’inspire bien davantage de préoccupations d’ordre institutionnel : d’un côté sauvegarder et consolider la cohésion interne ; de l’autre restituer leur importance aux fonctions spécifiquement militaires, comme le requiert la situation géopolitique.
3L’analyse des premières mesures imposées par le général Morales Bermúdez permet de faire la lumière sur les modalités de gestion des conflits internes dans le cadre d’une organisation qui, semblable en cela aux autres armées du continent hautement professionnalisées, est d’abord soucieuse de se protéger contre les risques d’éclatement. Aussi l’armée péruvienne observera-t-elle certaines règles de sauvegarde institutionnelle en privilégiant généralement les solutions négociées, à l’intérieur et entre les différentes branches, tout en utilisant les divers mécanismes qui lui sont propres (promotions accélérées, mises à la retraite anticipées, etc.) pour régler ses différends.
4Au cours de la première phase du régime militaire, c’est au Conseil des ministres que se prenaient les décisions politiques importantes. Grâce à la présence des services de renseignements, du commandement conjoint ou des états-majors, les forces armées participaient à la préparation et à la formulation des projets de loi. Mais l’institution proprement dite était tenue à l’écart du processus de décisions politiques. Après le coup d’État d’août 1975, le général Morales Bermúdez octroie à la junte, formée des commandants généraux des trois armes, une participation au pouvoir dont l’avait privée le gouvernement précédent. Presqu’ignorée du général Velasco, la junte se voit attribuer un espace propre de pouvoir. Convoquée chaque semaine par le président, elle se réunit indépendamment du Conseil des ministres dont l’influence politique diminue.
5Cet élargissement du noyau dirigeant aux instances supérieures de l’institution militaire, et notamment au représentant de la marine, a pour conséquence d’altérer le rapport de forces en faveur des secteurs plus conservateurs des forces armées. Tout en étant membres du premier Conseil des ministres du nouveau gouvernement, les généraux Fernández Maldonado, Rodríguez Figueroa, Graham Hurtado, Gallegos et de la Flor Valle jouissent donc d’une marge de manoeuvre considérablement réduite. Car en plus de renforcer le rôle politique de la junte dont les officiers radicaux sont exclus, le général Morales Bermúdez soutient une meilleure représentation du secteur institutionnaliste au gouvernement, en investissant d’un certain pouvoir les commandants régionaux des forces armées1.
6Isolés au Conseil des ministres et exclus de la junte, les généraux Rodríguez Figueroa et Graham Hurtado sont tous deux conviés à se retirer en octobre 1975, deux mois à peine après le coup d’État. Au cours de la première phase du régime militaire, les officiers radicaux avaient réussi à imposer une orientation progressiste à plusieurs secteurs de l’appareil d’État, et ce grâce au soutien de la plus haute autorité institutionnelle, le général Velasco. Maintenant privés de l’appui du président Morales Bermúdez – qui a plus d’affinités avec le groupe costrense ainsi qu’avec les éléments modérés et conservateurs, ils n’ont qu’à s’incliner.
7Rassemblés autour d’un objectif commun, résoudre la crise interne et assurer l’unité corporative, la majorité des officiers de l’armée de terre ainsi que les forces aériennes et navales ont conclu une alliance qui ne laisse guère le choix aux généraux Rodríguez Figueroa et Graham Hurtado. Le premier est contraint de démissionner suite au renvoi de son adjoint, le général Teobaldo Castro – décision prise unilatéralement par le chef de l’état-major sans consultation préalable avec le général Rodríguez. Le second est tout simplement prié de se retirer en vertu d’un règlement adopté par le gouvernement précédent, stipulant que le haut commandement de l’armée peut inviter un officier supérieur à renoncer à ses fonctions.
8Prélude à l’annonce d’un changement d’orientation, cette épuration n’est toutefois qu’un premier pas sur la voie du « recentrage » politique de l’institution. De multiples pressions tant internes qu’externes s’exercent en effet sur le général Morales Bermúdez afin qu’il écarte les derniers représentants de l’aile radicale, soit les généraux Fernández Maldonado, Premier ministre à partir de février 1976, Gallegos Venero, ministre de l’Agriculture, et de la Flor Valle, ministre des Affaires étrangères. Le départ de leurs co-équipiers, les généraux Rodríguez Figueroa et Graham Hurtado, n’a pas dissipé les querelles entre les tenants de l’option progressiste et leurs opposants des secteurs modéré et costrense. Les divisions persistent au sein de l’institution, chaque groupe essayant de se faire des alliés parmi les officiers subalternes.
9D’autre part, dès son arrivée au pouvoir, le général Morales Bermúdez a levé l’interdiction de retour au pays qui pesait sur les personnes déportées et permis la publication des revues, tant de droite que de gauche, fermées par son prédécesseur. Dès lors, les forces conservatrices extérieures au gouvernement conjuguent leurs efforts pour réclamer à leur tour l’exclusion des radicaux. Se référant aux secteurs progressistes tant civils que militaires, une partie de la presse dénonce la présence d’éléments « infiltrés » au sein du gouvernement et demande leur remplacement. Elle reprend la bannière de l’anticommunisme, condamne les grèves et défend la propriété privée, exigeant la privatisation de certaines entreprises d’État, la modification de la communauté industrielle, l’imposition de limites à l’expansion du secteur de propriété sociale et la tenue d’élections. Dès les premiers mois de 1976, profitant d’une certaine ouverture de l’espace politique, les dirigeants des principaux partis réclament également le retrait des militaires du pouvoir et la tenue d’élections générales.
10Du côté du mouvement populaire, l’opposition au nouveau gouvernement est considérable : agitation dans les universités, grèves des mineurs, des employés du secteur bancaire, des pêcheurs, des travailleurs municipaux, etc.2. En juin 1976, le gouvernement adopte ses premières mesures autoritaires : gel des salaires, compression des dépenses publiques, dévaluation de la monnaie, augmentation des prix de l’essence, des transports et de la plupart des biens de consommation, suspension des droits constitutionnels et fermeture de la presse d’opposition.
11La crise atteint l’armée. Le 10 juillet 1976, une tentative de soulèvement militaire se produit sous la direction du général Carlos Bobbio Centurión, directeur du CIMP. L’action de cet officier, chef de la faction conservatrice de l’armée de terre, révélerait l’insatisfaction des secteurs de l’institution militaire partisans d’un durcissement du régime. L’événement sera d’ailleurs suivi de la mise à la retraite du Premier ministre, le général Fernández Maldonado. Le lendemain, le gouvernement annonce un remaniement ministériel qui exclut également les généraux de la Flor Valle et Gallegos Venero. Contraint de faire des concessions tant aux milieux d’affaires qu’aux éléments conservateurs de l’armée, le président Morales Bermúdez rompt les derniers liens qui le rattachaient à la période réformiste en écartant les tenants de l’aile radicale du commandement général de l’armée et du Conseil des ministres.
12Cette épuration n’a pas été sans provoquer de remous au sein de l’institution militaire. Quelques jours après la démission du Premier ministre, un groupe de jeunes officiers identifiés à la tendance radicale aurait tenté, sans succès, d’organiser un coup d’État. Rapidement maîtrisée, l’initiative semble avoir eu peu d’impact sur le cours des événements. Elle servira toutefois de prétexte au ministère de l’Intérieur pour affirmer l’existence d’un complot civil-militaire et justifier l’adoption de mesures répressives. En octobre 1976, seront déportés non seulement des cadres et des journalistes liés au gouvernement précédent, mais également quelques officiers, accusés d’être associés à un mouvement d’extrême gauche et d’avoir fomenté des activités subversives destinées à renverser le général Morales Bermúdez. L’expérience du septennat dont l’orientation radicale était loin de faire l’unanimité parmi les militaires a, en effet, contribué à ébranler sérieusement l’unité des forces armées. En témoignent les manifestations de résistance de certains officiers tant conservateurs que progressistes qui, tout en étant des actes isolés, n’en reflètent pas moins l’état de crise dans lequel l’exercice du pouvoir a plongé l’institution.
13Seul le retrait de la scène publique semble désormais capable de résoudre cette crise. L’ensemble des officiers, principalement le secteur institutionnaliste, mais également les représentants des partis politiques traditionnels, exercent des pressions en ce sens. D’autre part, loin de lui assurer une certaine base d’appui, les mesures décrétées à partir de juillet 1976 (état de siège, suspension des droits constitutionnels, soumission des délits à la juridiction militaire, interdiction de toute réunion de plus de trois personnes, suppression du droit de grève) par le général Morales Bermúdez, avec le soutien des instances supérieures des forces armées, achèvent de discréditer le régime.
14Après l’élimination des derniers vestiges du « vélasquisme »– dont quelques organismes et un certain nombre de civils associés au gouvernement précédent portaient encore le flambeau, le chef de l’État dispose d’une marge de manoeuvre plus étendue pour imposer des mesures qui vont à l’encontre des réformes pour lesquelles ce groupe avait milité. La trajectoire de la contre-réforme est toute tracée : révision en profondeur de la loi de la communauté industrielle ; mise en sommeil de la cogestion ; absence d’appui au secteur de propriété sociale ; reprise en main des organismes créés au cours de la période antérieure, enfin, priorité à la politique extérieure et accroissement du potentiel militaire.
15Menacés de rupture par deux options extrêmes – l’une socialisante, l’autre autoritaire –, les généraux souscrivent finalement à l’adoption d’une ligne politique modérée, probablement dominante depuis le début. À partir de 1975, une recomposition des alliances s’effectue entre les divers secteurs militaires qui se rassemblent autour d’un objectif commun : renforcer le Pérou en cas de conflit avec l’extérieur. Au plan économique, les dirigeants manifestent leur volonté de retourner à une économie plus libérale et font appel aux investisseurs privés, étrangers et nationaux. Certaines nationalisations apparaissent irréversibles ; d’autres, par contre, sont remises en cause3. Lancé en février 1977, le plan Tupac Amaru confirme par ailleurs l’orientation autoritaire du régime. Il met l’accent sur le contrôle des masses : réglementation du droit de grève, surveillance des syndicats, des universités et de la presse. Mais il prévoit simultanément l’élaboration d’une nouvelle constitution, l’élection d’une assemblée constituante en 1978 et le retrait des militaires du pouvoir en 19804.
16Entretemps, les Péruviens devront continuer à supporter le fardeau des mesures d’orthodoxie financière imposées à l’arrière-scène par le FMI et les grandes banques étrangères, comme condition à l’octroi de nouveaux prêts5. Car pour réduire le déficit budgétaire et honorer le service de la dette, les dirigeants ont, à quelques reprises, sollicité l’aide des organismes internationaux de financement. Grâce à l’imposition de mesures draconniennes, ils réussiront finalement à éviter la banqueroute et à rétablir la crédibilité du pays. Mais au plan intérieur, le gouvernement n’encourt qu’un immense blâme. La grève générale de juillet 1977 traduit l’opposition de nombreux secteurs sociaux au démantèlement des réformes et à la situation de l’économie qui, depuis 1974-1975, est compromise non seulement par le marasme des secteurs étatique et privé, le ralentissement des échanges internationaux et la crise pétrolière, mais également par l’importation d’armements.
17Étant par définition « à la charnière du national et de l’international », les forces armées sont en effet perméables à l’évolution de la conjoncture extérieure6. Aussi le gouvernement du général Morales Bermúdez accorde-t-il la priorité à la défense du territoire, potentiellement menacé par ses voisins, alors que son prédécesseur avait mis l’accent sur l’affirmation de la souveraineté nationale face à la toute-puissance des États-Unis. L’analyse de la période précédant l’arrivée au pouvoir du général Velasco a montré que la modernisation professionnelle des forces armées avait été largement soutenue par les programmes d’assistance militaire américains. Tout en entretenant une certaine relation de dépendance, ces programmes, on l’a vu, ne peuvent rendre compte de l’orientation idéologique et politique des militaires péruviens. En témoigne leur volonté d’autonomie à l’endroit de Washington qui s’est traduite par l’adoption d’une politique étrangère plus indépendante, notamment en matière d’acquisition d’armes. Après avoir identifié les principaux conflits opposant le Pérou à ses voisins, nous aborderons la question du poids croissant que ces importations ont fait peser sur l’économie.
Conflits territoriaux et renforcement militaire (1975-1977)
18Tous les appels à la solidarité lancés, au début des années soixante-dix, par le Pérou à l’Amérique latine et ses efforts pour y exercer un certain leodership n’empêchent pas la résurgence des tensions entre le gouvernement de Lima et ceux, plus conservateurs, du Brésil, de la Bolivie et surtout du Chili. Les dirigeants péruviens appréhendent les visées expansionnistes de Brasilia que les États-Unis aimeraient voir à la tête des pays latino-américains. Le Brésil n’est cependant pas seul à porter ombrage à la nouvelle diplomatie liménienne qui entend se tailler une place de choix dans les affaires du sous-continent. Le Vénézuela puis le Mexique aspirent également au rôle de porte-parole de l’Amérique latine. Quant aux relations entre Lima et Santiago, elles se détériorent brusquement. Un mois après le renversement du président Salvador Allende, le général Velasco se fait l’écho de rumeurs voulant que les nouveaux dirigeants chiliens aient acheté du matériel militaire pour une valeur de cinquante millions de dollars7.
19Il n’en faut pas davantage pour voir les forces armées péruviennes intensifier leur programme de modernisation de matériel militaire. La mise en place d’un régime plus conservateur, au sud du Pérou, ne suffit pas toutefois à expliquer la réorientation de sa politique étrangère, pas plus qu’elle ne justifie le choix de ses dirigeants de reléguer au second plan l’action diplomatique qu’ils menaient sur plusieurs fronts, et souvent avec succès, depuis le début de la décennie. La dépendance de plus en plus étroite du pays l’oblige en effet à adopter des positions plus modérées. D’autre part, en juillet 1976, tous les officiers radicaux sont expulsés du cabinet ; le général de la Flor Valle est alors remplacé par José de la Puente Radbill à la tête du ministère des Affaires étrangères.
20Tout en se dissociant progressivement du mouvement des pays non-alignés, le nouveau chef de la diplomatie met l’accent sur les questions régionales, envisagées de plus en plus dans une perspectlve strictement militaire. Depuis le renversement du général Velasco, le gouvernement manifeste d’ailleurs une volonté ferme de contrôler le territoire national d’autant que, depuis l’indépendance, de nombreux conflits territoriaux ont opposé le Pérou à ses voisins et que ses frontières ne sont pas consolidées. Avant d’exposer les raisons qui motivent les forces armées à se renforcer militairement, nous décrirons brièvement les régions en litige ; puis nous tenterons d’identifier les intérêts géopolitiques ainsi que les facteurs politico-économiques ayant influencé l’évolution de la politique étrangère péruvienne dans les années soixante-dix.
Le conflit avec le Chili et la Bolivie
21Le conflit qui oppose le Pérou, la Bolivie et le Chili porte sur le désert d’Atacama, au sud du Pérou. Sous l’administration coloniale, la Bolivie pouvait utiliser les ports du Pacifique pour écouler ses produits. Mais à partir de l’indépendance, le commerce bolivien doit emprunter le petit port de Cobija, seule ouverture du pays sur le Pacifique. Le port étant très éloigné de l’oltiplono et des circuits commerciaux traditionnels, le gouvernement bolivien conteste ce choix dès le départ. Toute la politique étrangère de la Bolivie sera donc dominée par la volonté de retrouver un littoral dont son nouveau statut l’a lésée8. En 1826, un traité fixe la frontière entre le Pérou et la Bolivie. Mais la plupart des auteurs reconnaissent l’imprécision du tracé frontalier. Le Chili ne s’en préoccupe pas jusqu’au jour où l’on découvre, dans la région, du cuivre, du salpêtre et du guano. En 1847, pour mieux en exploiter les richesses, les autorités chiliennes imposent une juridiction de focto sur le désert d’Atacama.
22Le problème frontalier acquiert alors une nouvelle dimension. Les rivalités s’intensifient entre les trois pays et les revendications boliviennes sont désormais liées à la lutte entre le Chili et le Pérou pour le contrôle de la régionl9. De 1846 à 1866, la Bolivie n’enverra pas moins de cinq missions diplomatiques à Santiago pour négocier ses droits sur le désert d’Atacama. En 1866, le Chili cède à la Bolivie un territoire côtier incluant le port de Mejillones, mais dont le tracé est plutôt sommaire : « vers le 24e degré de latitude »10. Entre-temps, le pouvoir change de mains à La Paz et les nouveaux dirigeants demandent une révision du traité. En 1872, ils négocient avec le Chili qui s’engage à payer la moitié du salaire des employés boliviens du littoral, tout en conservant ses droits de prélèvement fiscal et de législation commerciale.
23La nouvelle entente ne satisfait pas toutefois la Bolivie qui se tourne vers le Pérou avec lequel elle signe, dans le plus grand secret, un pacte de défense mutuelle11. En 1874, les gouvernements bolivien et chilien concluent un nouvel accord. Le premier perd pour vingt-cinq ans le droit d’augmenter les contributions et les taxes d’exportation imposées aux Chiliens et à leurs biens ; le second renonce à percevoir la moitié des droits de douane. Quatre ans plus tard, la crise éclate. En échange des nombreuses concessions qu’elles lui accordent, les autorités boliviennes irnposent une nouvelle taxe à la compagnie chargée d’exploiter le nitrate. Appuyée par les dirigeants chiliens, l’entreprise refuse. La Bolivie menace alors d’exproprier la totalité des biens de la compagnie, sans compensation.
24La réponse ne se fait pas attendre : en février 1879, les troupes chiliennes occupent le port d’Antofagasta, s’emparent des territoires cédés en 1866 et envahissent toute la région, du désert d’Atacama jusqu’à la province de Tarapaca, incluant les ports qui s’échelonnent d’Antofagasta jusqu’à Iquique. Son alliance avec La Paz contraint le Pérou à s’engager dans la guerre. Il y perdra tout d’abord les gisements de nitrate du nord de Tarapaca. Le traité d’Ancon, signé en 1883 entre Lima et Santiago, stipule également que les provinces de Tacna et Arica seront occupées par le Chili pendant dix ans ; après quoi, un plébiscite devra décider de leur sort12.
25De son côté, le gouvernement bolivien négocie pendant plus de vingt ans, jusqu’en 1904, pour finalement s’entendre avec le vainqueur de la Guerre du Pacifique. Après s’être efforcé pendant près d’un siècle d’obtenir un port souverain sur le Pacifique, il abandonne maintenant ses territoires côtiers en échange de certaines compensations, notamment la construction par le Chili d’un chemin de fer reliant le port de Arica à La Paz. Quelques années plus tard, les dirigeants boliviens invitent leurs voisins à une conférence tripartite où serait discutée la question de Tacna et Arica ; le Pérou et le Chili déclinent l’invitation. C’est seulement en 1929 qu’ils se mettront d’accord, la province de Tacna revenant au Pérou et celle de Arica au Chili. L’entente prévoit également que le Chili et la Bolivie ne pourront modifier le statut du port de Arica sans l’autorisation du gouvernement péruvien. De son côté, le Pérou s’engage à ne pas céder une portion de son territoire sans le consentement du Chili et vice verso.
26Loin d’apparaître comme satisfaisants et définitifs, ces accords peuvent constamment être remis en cause, la situation étant plus complexe qu’au moment de l’indépendance. Au début des années soixante-dix, le Chili proposait de modifier le statut de la ville de Arica qui, tout en accueillant les entités culturelles et politiques du Pacte andin, deviendrait une zone franche où la Bolivie pourrait concentrer ses installations portuaires Les négociations se sont poursuivies pendant plus de deux ans, mais le projet n’a retenu l’attention ni de la Bolivie ni du Pérou. Le gouvernement bolivien a également rejeté l’offre de Santiago de lui restituer une partie du territoire perdu par le Pérou après la Guerre du Pacifique, soit un corridor situé au nord de Arica, mais excluant la ville elle-même. En échange de sa souveraineté sur cette zone politique et stratégique, la Bolivie devait céder au Chili une partie équivalente de son territoire. Après réflexion, les autorités boliviennes ont refusé : non seulement le territoire réclamé par Santiago en guise de compensation est riche en rminéraux, mais la région qu’on lui offre ne réunit pas les conditions nécessaires à une installation portuaire. Le gouvernement péruvien s’est alors rangé aux côtés de la Bolivie, lui proposant de construire ses installations portuaires à Arica, tout en confiant le territoire à une administration tripartite. Les autorités boliviennes ont accueilli la proposition avec réserve ; le Chili l’a carrément rejeté, craignant une modification du traité de 1929 établissant sa souveraineté sur Arica.
27De novembre 1976 à mars 1977, la tension monte. On assiste à des mouvements de troupes aux frontières et les spéculations au sujet d’une confrontation armée vont bon train car, de part et d’autre, les militaires gardent en mémoire les événements de 1879. Commémorant le retour de Tacna au Pérou, le général Morales Bermúdez n’affirmait-il pas que son pays ne supporterait pas une fois de plus les affronts qu’on lui avait infligés dans le passé ? Deux ans plus tard, le général Mercado Jarrín, alors directeur de l’Instituto Peruono de Estudios Geopolíticos y Estrotégicos, rappelait également aux officiers de l’armée combien la perte des provinces du sud avait été préjudiciable au développement du Pérou pendant près d’un siècle13. En mars 1978, la Bolivie annonçait officiellement la rupture de ses relations diplomatiques avec Santiago et, un an plus tard, le Pérou expulsait l’ambassadeur chilien suite aux activités d’espionnage dont les membres de sa délégation se seraient rendus coupables14. Faisant fi de ces tracasseries diplomatiques, la crise économique a cependant mis entre parenthèses les rivalités belliqueuses et détourné l’attention des autorités politiques, mais surtout militaires, vers des questions plus pressantes que l’ouverture d’un couloir maritime ou le retour de territoires cédés il y a plus d’un siècle.
Le conflit avec l’Équateur
28La Bolivie et le Pérou ne sont pas les seuls pays de la région andine à contester le stotu quo frontalier. Dès la période coloniale, l’Équateur revendiquait une ouverture sur le bassin de l’Amazone. Pendant plus d’un siècle, sa politique étrangère sera d’ailleurs dominée par la résistance aux empiètements de ses voisins, notamment le Pérou. Les nombreux décrets, traités, arbitrages et protocoles qui jalonnent l’histoire de leurs frontières traduisent bien l’état de tension existant entre les deux pays15. En 1829, le Pérou et la Grande Colombie signent le traité de Guayaquil reconnaissant la rivière Marañon, un affluent de l’Amazone, comme leur frontière commune. En 1830, la fédération de la Grande Colombie éclate ; l’Équateur prétend hériter des frontières tracées un an plus tôt, prétention contestée par les autorités péruviennes. Mais le problème reste en suspens pendant plusieurs décennies.
29À la fin du XIXe siècle, les commerçants et les travailleurs du caoutchouc venant du Pérou envahissent le territoire ; la question frontalière refait alors surface. Soumise une première fois à l’arbitrage de l’Espagne en 1887, puis une seconde fois en 1895 mais sans résultat, la question sera ensuite confiée aux É tats-Unis qui échouent à leur tour en 1924. Entre temps, tout un réseau commercial se développe entre Lima et les principaux centres de la région en litige où s’établissent également des colonies de peuplement. L’Équateur proteste contre l’expansion péruvienne et des accrochages se produisent périodiquement. En 1941, l’Argentine, le Brésil et les États-Unis offrent leur médiation dans le conflit. Le Pérou refuse et occupe militairement une partie du territoire ennemi. En 1942, les adversaires signent le Protocole de Rio qui reconnaît non seulement les droits du Pérou sur la région située le long de la rivière Marañon, mais aussi tous les empiètements successifs subis par l’Équateur depuis l’indépendance.
30C’est le début d’une longue période au cours de laquelle le gouvernement de Quito entretient des sentiments d’hostilité envers son voisin. Considérant avoir perdu près de la moitié de son territoire et être privé d’une ouverture sur le bassin de l’Amazone, le pays, à plusieurs reprises, a remis en cause le Protocole de Rio. Jusqu’en 1967, la question des frontières a d’ailleurs occupé les devants de la scène politique équatorienne. Par la suite, une collaboration plus étroite s’est amorcée entre les deux pays tant pour défendre une cause commune, celle de l’extension de la limite des eaux territoriales, que pour travailler à l’intégration économique dans le cadre du Pacte andin. D’autre part, le pétrole découvert dans la région orientale de l’Équateur a convaincu ses dirigeants d’abandonner toute idée d’une révision du Protocole de Rio, par crainte de voir contestée leur juridiction sur les champs pétroliers.
31Mais le conflit resurgit au cours des années soixante-dix. Il semble en effet que les dirigeants équatoriens aient eu intérêt à détourner l’attention des citoyens des problèmes politiques internes. De plus, l’armée a profité des retombées de l’exploitation pétrolière pour faire l’acquisition d’un équipement moderne lui permettant de soutenir une diplomatie plus offensive. Les intérêts en jeu : d’un côté l’existence de gisements pétroliers dont le plus important se trouve en Amazonie sur le territoire cédé au Pérou en 1941 ; de l’autre l’approvisionnement en eau des zones arides de la côte, préoccupation majeure du gouvernement équatorien dont les projets d’irrigation sont peu développés comparativement à ceux de son voisin. Soit un territoire de 78 kilomètres situé dans la Cordillera del Condor, frontière qui ne fut jamais délimitée avec exactitude par le Protocole de Rio. Devant le refus des autorités péruviennes de reconsidérer le dossier, le Brésil offre sa médiation. En juillet 1978, une entente est conclue ; elle reconnaît de nouveau la souveraineté du Pérou sur cette région. La tension monte entre les deux pays et en janvier 1981, à l’issue d’une confrontation armée de cinq jours, les forces péruviennes l’emportent.
32Par la suite, il semble que la lutte se soit poursuivie sur un autre terrain. Dans un ouvrage publié quelques mois après la victoire, le général Mercado Jarrín ne s’inquiétait-il pas des mauvais traitements infligés aux ressortissants péruviens établis dans ce pays, de l’effort de réarmement entrepris par son voisin et enfin, du « processus d’expansion équatorienne », conseillant même au gouvernement de Lima d’adopter rapidement une politique de peuplement ? Mais il rappelait en même temps que l’Équateur est membre du Pacte andin et qu’il existe, entre les deux pays, une volonté réelle de concertation animant le développement des régions frontalières16.
Les relations avec le Brésil
33L’élaboration de projets de mise en valeur des régions frontalières a également soulevé l’intérêt d’un autre pays avec lequel le Pérou partage une frontière : le Brésil. La région n’est pas, comme telle, un objet de discorde entre ces deux États dont les frontières ont été fixées, et sont respectées, par le traité Velarde-Rio Branco de 1909, assurant la libre navigation sur l’Amazone ainsi qu’un droit illimité de passage jusqu’à la mer17. Mais la détermination du Brésil – dont les projets de développement de la région amazonienne se sont faits plus agressifs depuis les années soixante – a été une source d’inquiétude pour le Pérou. Témoin de la pénétration progressive de son voisin dans d’autres régions frontalières, il s’est d’abord préoccupé du déséquilibre qui pourrait résulter de la mise en valeur économique et routière de sa contrepartie brésilienne où se sont implantées des firmes multinationales. Des rivalités de longue date opposent également plusieurs pays de la région. Ainsi le gouvernement péruvien a-t-il craint de voir l’Équateur tirer profit du mouvement d’intégration proposé par Brasilia pour s’implanter dans cette partie de l’Amazone appartenant au Pérou. Tout comme il s’est inquiété de l’infiltration éventuelle du Brésil qui pourrait bien prendre avantage du désir de la Bolivie d’obtenir un débouché sur la mer.
34L’offensive brésilienne s’est donc heurtée, dès le départ, aux réticences des pays membres du Pacte andin, surtout le Pérou et le Vénézuela. Dans un premier temps, ils ont vu leur propre organisation menacée par la volonté de leur puissant voisin de réaliser l’intégration physique et économique des régions frontalières. Leur méfiance s’est toutefois dissipée progressivement. Dès 1973, les gouvernements de Caracas et de Brasilia s’entendaient pour harmoniser leurs réseaux routiers et leurs projets de développement. Par ailleurs, le virage politique amorcé à Lima en 1975 allait également permettre une évolution favorable des relations entre le Brésil et le Pérou. Ses projets de développement étant compromis par la crise, l’État péruvien se penchera en effet avec plus de bienveillance sur les proprositions brésiliennes. En juillet 1978, ses représentants signaient le Traité de coopération multilatérale de l’Amazonie, déclaration de principes établissant les grandes lignes de la coopération avec le Brésil.
35On ne peut toutefois considérer ce traité comme établissant les bases d’une véritable intégration : il n’a pas créé de zones hors-taxes dans les régions frontalières, pas plus qu’il n’a prévu la mise sur pied d’une agence de développement régional ou encore d’un organisme supranational responsable de l’application des règlements. La réalisation des principaux projets dépend donc entièrement de la bonne volonté de chaque pays. La fermeté du Pérou, appuyé par le Vénézuela, aura cependant permis de freiner les prétentions brésiliennes. Ne serait-ce que pour cette raison, le pacte amazonien mériterait d’être porté au crédit de la politique étrangère péruvienne.
La modernisation du matériel militaire
36Ce survol ne saurait être complet sans un rappel des objectifs géopolitiques des militaires péruviens, obiectifs qui sont de trois ordres : la défense de l’intégrité territoriale sur la base du principe uti possidetis de jure ; la protection des richesses nationales de l’exploitation étrangère ; et enfin, le développement économique et politique des régions isolées auxquelles certains secteurs de la société, notamment les intellectuels, les militaires et la bureaucratie, confient l’avenir du pays18. Le regain d’intérêt des dirigeants militaires pour les questions géopolitiques est d’ailleurs étroitement lié non seulement à l’évolution des relations avec les pays voisins, mais également à celle de la situation politico-économique intérieure, évolution qui n’est pas sans influencer l’orientation de la politique étrangère. Ainsi, de 1968 à 1974, l’appui de larges secteurs de la population à l’équipe du général Velasco a laissé au gouvernement toute liberté pour lancer une offensive diplomatique sur plusieurs fronts : diversification de ses relations politiques, économiques et commerciales ; soutien actif aux pays du Tiers-Monde et à l’intégration économique régionale ; défense de la souveraineté nationale contre l’hégémonie américaine. Au cours de cette période, le Pérou n’a donc pas adopté une politique agressive à l’endroit de ses voisins avec lesquels il a entretenu d’assez bonnes relations.
37Mais un changement radical s’est produit entre 1974 et 1978. La population a retiré son soutien aux dirigeants qui, en raison de la crise économique, ont abandonné leur politique réformiste ; l’échec du mouvement d’intégration régionale et la montée du conservatisme dans les pays limitrophes ont également renforcé l’isolement politique du Pérou, menacé en certains points de son territoire par les revendications de la Bolivie et de l’Équateur ; enfin, les difficultés économiques se sont accentuées depuis 1978, jetant le discrédit sur le gouvernement militaire, chargé d’appliquer les politiques d’austérité du FMI. D’où son intérêt à vouloir détourner l’attention des problèmes domestiques en menant une politique agressive de défense du territoire. L’anti-impérialisme des premières années a donc fait place à une vision plus strictement régionale et militaire de la politique étrangère. Cette nouvelle orientation a eu pour avantage, notamment, de justifier le programme de modernisation militaire entrepris peu de temps avant l’arrivée au pouvoir du général Velasco, programme qui a pris de l’ampleur à partir de 1973.
38Jusqu’au milieu des années soixante, les forces armées péruviennes s’adressaient principalement aux États-Unis pour moderniser leur équipement. Mais les restrictions sur les ventes de matériel sophistiqué imposées par Washington aux pays du Tiers Monde ont fait naître chez ces derniers une volonté d’indépendance à l’endroit du fournisseur américain19. Le Pérou s’est alors tourné vers la France, puis vers la Grande-Bretagne. En 1973 cependant, Washington levait l’interdit pesant sur les ventes de matériel sophistiqué. Les pays d’Amérique latine ont dès lors consacré des sommes de plus en plus élevées à l’acquisition de matériel américain, soit 30 millions de dollars par année en moyenne pour la période 1966-1970, 113 millions en 1973 et 191 millions en 1974. De 1972 à 1974, les États-Unis fournissaient aux armées du continent pour 414 millions de dollars d’équipement, soit une somme quatre fois plus élévée que celle des trois années précédentes et deux fois plus élévée que la totalité des ventes effectuées entre 1950 et 196520.
39Le Pérou a suivi sensiblement la même trajectoire. En 1972, ses commandes de matériel américain s’élevaient à 900 000 dollars ; l’année suivante, elles atteignaient déjà plus de 24 millions de dollars et en 1974, 43 millions de dollars, soit une somme plus élévée que la totalité de ses commandes d’armements passées aux États-Unis entre 1950 et 196921. S’ils ont abandonné une part considérable de marché aux pays européens, les États-Unis sont donc restés le principal fournisseur de matériel militaire en Amérique latine. De 1970 à 1976, 29 % des achats d’équipement se faisaient aux États-Unis, 24 % en Grande-Bretagne, 19 % en France el 12 % en République fédérale allemande22. Le Pérou a également continué à s’approvisionner aux États-Unis : entre 1970 et 1976, il y effectuait encore 25 % de tous ses achats d’armements23.
40Cependant, l’anti-américanisme des militaires péruviens les a conduits, contrairement à leurs collègues d’Amérique latine, à se tourner non seulement vers l’Europe, mais également vers l’Union soviétique. Dès 1969, en réaction à la nouvelle politique américaine de ventes d’armes, le général Velasco avait menacé les États-Unis de s’approvisionner en URSS. Mais c’est seulement après deux ans de négociations que Moscou acceptait de vendre au Pérou une vingtaine de chars T-55 et de l’artillerie lourde24. Ce matériel n’arrivera à Lima qu’en novembre 1973, quelques mois après le renversement de Salvador Allende. Par la suite, quinze conseillers militaires soviétiques s’installaient au Pérou dans le plus grand secret, le pays devenant alors, en Occident, le premier bénéficiaire de l’assistance militaire soviétique après Cuba25. En 1974, les deux parties signaient un accord dans lequel Moscou s’engageait à fournir d’autres chars d’assaut ainsi que des missiles sol/air. Au début de 1975, l’armée péruvienne commandait encore une trentaine d’hélicoptères Mi-8, commande renouvelée l’année suivante en même temps que 155 chars d’assaut T-55, 36 bombardiers Su-22, etc.26. Premier pays en Amérique latine à faire l’acquisition d’avions à réaction soviétiques, le Pérou se plaçait, avec cette commande de 250 millions de dollars, parmi les dix clients les plus importants de l’URSS27. En 1976, 35 techniciens de l’aviation péruvienne y étaient entraînés28. En même temps, Moscou et les pays de l’Est envoyaient au Pérou une trentaine de conseillers militaires29.
41Entre temps, en février 1975, Washington suspendait les ventes de matériel militaire au Chili, adoptant la même politique à l’endroit du Pérou qui continuait à s’approvisionner en Union soviétique. Entre 1974 et 1978, les forces armées péruviennes achetaient pour plus d’un milliard de dollars de matériel militaire dont 650 millions en URSS, 270 millions dans d’autres pays et 90 millions seulement aux États-Unis30. De 1955 à 1976, 550 militaires péruviens auraient été formés en Union soviétique, nombre qui aurait dépassé 600 en 197731. La CIA évaluait à une centaine les conseillers militaires soviétiques en poste au Pérou cette année-là, soit un nombre dépassant le personnel envoyé en Amérique latine pour administrer les programmes militaires américains32.
42Les conditions de paiement offertes par Moscou étaient d’ailleurs particulièrement avantageuses : le prix du matériel soviétique était peu élévé ; les taux d’intérêt ne dépassaient pas 2, 5 % ; le pays acquéreur disposait d’un délai de six à dix ans pour s’acquitter de sa dette et pouvait même le faire en nature33. En outre, le délai entre la signature de l’accord proprement dit et la livraison du matériel étant relativement court, les échanges avec l’URSS apparaissaient nettement plus intéressants qu’avec les pays occidentaux, du moins en ce qui a trait au commerce des armes. Les pays qui s’adressaient à Moscou avaient donc l’assurance d’obtenir leur équipement plusieurs années avant ceux qui transigeaient avec les États-Unis. Autre avantage pour les pays du Tiers-Monde à s’approvisionner en URSS : le matériel auquel ils avaient accès était déjà en usage dans les pays de l’Est et, grâce à la standardisation de l’équipement, ils pouvaient en tout temps profiter de l’appui logistique des membres du Pacte de Varsovie. Plus robuste, le matériel fabriqué en Union soviétique leur semblait, enfin, plus facile à entretenir que celui des pays occidentaux.
43Ces considérations suffisent-elles à expliquer pourquoi les autorités péruviennes ont accepté l’aide militaire soviétique ? Elles ne sont certainement pas négligeables, mais des facteurs politico-idéologiques ont également favorisé le développement des relations entre Moscou et Lima. Cette évolution s’inscrivait, en fait, dans le prolongement de la politique étrangère du Pérou dont l’objectif, depuis 1968, était d’acquérir une autonomie accrue à l’endroit des États-Unis en élargissant l’éventail de ses partenaires commerciaux. Ouvertement sympathique à ces pays, le gouvernement du général Velasco a, le premier, manifesté son désir d’intensifier ses échanges avec l’URSS et l’Europe de l’Est. De son côté, tout en voulant tirer profit des restrictions sur les ventes de matériel militaire imposées à diverses reprises par Washington, Moscou, enfin, n’a pu se désintéresser d’un régime qui, se proclamant anti-impérialiste, s’était engagé aux côtés des pays non-alignés34.
44En devenant le principal fournisseur des forces armées péruviennes, l’URSS faisait une première percée sur le marché latino-américain de l’armement. Cette incursion n’a pas été sans éveiller les craintes de certains pays de la région andine dont l’effort de modernisation militaire, sans être négligeable, ne semble pas avoir eu la même importance qu’au Pérou. La presse chilienne s’est tout d’abord fait l’écho des préoccupations suscitées par l’envoi de matériel militaire soviétique au Pérou, évoquant même le danger d’une « pénétration russe ». Quelques mois plus tard, l’agence United Press International reprenait un article publié dans Aviotion ond Technology, suggérant l’existence d’un plan d’attaque péruvien contre les gisements de cuivre situés au nord du Chili35. En septembre 1975, le périodique mexicain Contenido publiait le scénario d’un conflit armé entre le Chili et le Pérou dont les conséquences seraient une guerre américano-soviétique ; une version remaniée prévoyant une réédition du conflit de 1941 qui a opposé le Pérou et l’Équateur aurait également circulé parmi les officiers de l’armée équatorienne36.
45Faisant fi des principes contenus dans la Déclaration d’Ayacucho de 1974, dans laquelle les pays andins manifestaient leur volonté de limiter les dépenses militaires et d’utiliser ces ressources à des fins de développement socio-économique, une « mini-course aux armements » s’amorçait dans la région. De 1976 à 1980, les achats de matériel militaire effectués par le Pérou, le Chili et l’Équateur représentaient plus de 40 % de toutes les importations d’armes de l’Amérique latine37. Le Pérou en a importé la plus grande partie. De plus, alors qu’en Amérique latine les importations de matériel militaire ne dépassaient pas 2, 3 % des importations totales, dans les pays andins, les achats d’armes représentaient un pourcentage croissant des importations38.
46L’effort de modernisation du Pérou ne s’est toutefois pas limité à l’achat de matériel de pointe. C’est bien l’ensemble des dépenses reliées à la défense nationale qui ont augmenté et cette augmentation s’est traduite par une hausse de la part du PNB consacrée aux dépenses militaires39. Au cours de la même période, les effectifs militaires ont aussi augmenté, tout comme le pourcentage de citoyens incorporés dans les forces armées. Enfin, le Pérou n’a pas hésité à faire passer les dépenses militaires per copito de 23 dollars en 1971 à 81 dollars en 1977. Là encore le pays se situe bien au-dessus de la moyenne latino-américaine qui était de 31 dollars en 197740.
47Cette croissance des dépenses reliées à la défense nationale n’a pas été sans conséquence sur l’économie41. De 1968 à 1977, alors que le PNB per copito augmentait de 40 %, les dépenses militaires par tête connaissaient une hausse de plus de 82 %. De 1970 à 1974, les sommes investies dans ce secteur ont progressé en termes réels de 7, 2 % par année ; mais de 1974 à 1977, elles ont connu un rythme d’expansion annuelle de 22 %.
48En plus d’être une source majeure de déséquilibre financier, les nouvelles acquisitions de matériel militaire ont accentué la rareté des devises et limité l’investissement productif. En 1977, les sommes consacrées aux achats d’armes représentaient en effet 25, 3 % de l’investissement brut fixe. Les dépenses militaires drainaient également 39, 3 % du budget du gouvernement central, plaçant le Pérou à la tête des pays latino-américains pour les dépenses militaires calculées en pourcentage des dépenses du gouvernement central42.
49Importations de matériel sophistiqué ; hausse des effectifs ; augmentation sensible des dépenses militaires par tête ; part croissante du PNB et du budget gouvernemental consacrée aux forces armées : l’ensemble des données relatives à la défense nationale témoigne de l’effort de modernisation militaire consenti par les gouvernements au pouvoir de 1968 à 1980. Mais faut-il le rappeler, le Pérou n’a pas été le seul à faire ce « choix des armes ». Nombre de pays du Tiers-Monde ont vu, en effet, leurs dépenses militaires augmenter sensiblement au cours de ces années. Les États latino-américains ont un peu suivi la mêtne trajectoire, bien que l’accroissement des dépenses consacrées à la défense nationale y soit nettement moins prononcé que dans d’autres parties du monde. En mettant en parallèle leurs dépenses militaires per copito ou calculées en pourcentage du PNB avec celles des pays européens ou du Moyen-Orient, on se rend vite compte que l’Amérique latine est un continent relativement désarmé43.
50Même marginales au plan quantitatif, les importations d’armements ont cependant constitué l’un des terrains privilégiés d’affirmation du nationalisme des militaires latino-américains qui, dès les années soixante, ont remis en cause leur dépendance à l’endroit des États-Unis et opté pour une politique de diversification des pays fournisseurs. Les forces armées péruviennes ont certainement été parmi les plus agressives dans la conquête de cette indépendance. Sollicitant l’aide militaire soviétique, elles ont réussi à contourner les restrictions imposées par Washington et à poursuivre leur programme de modernisation militaire à un rythme accéléré depuis 1973. Plusieurs facteurs dont certains ont déjà été mentionnés expliquent pourquoi, à partir de cette date, les dirigeants péruviens ont effectué d’importants achats de matériel militaire. Ouvrant la voie à l’établissement de régimes dont l’orientation politico-idéologique se situait à l’opposé de la sienne, le renversement de Allende et la disparition de Perón ont été des événements qui ont contribué à isoler le gouvernement du général Velasco et à modifier radicalement l’environnement géopolitique. La persistance des conflits territoriaux est apparu également comme l’une des causes de la « mini-course aux armements » dans laquelle se sont engagés les pays de la région andine, habités par la crainte permanente d’une redéfinition de leurs frontières. En choisissant la voie de la modernisation intensive, le Pérou a d’ailleurs pu contribuer, dans une certaine mesure, à aiguiser des conflits potentiels, même s’il ne visait peut-être qu’à tirer profit, au plan diplomatique, d’une certaine supériorité militaire le plaçant en meilleure position pour négocier avec ses voisins.
51On ne peut toutefois imputer à la seule insatisfaction frontalière l’entière responsabilité de ces choix. Le renforcement militaire du Pérou et l’actualisation des conflits régionaux ont coïncidé, en effet, avec l’essoufflement du projet de développement national autonome mis de l’avant par l’équipe du général Velasco. Non seulement ce projet n’avait-il jamais reçu l’aval des États-Unis ni celui des pays voisins, mais encore était-il contesté à l’intérieur même du gouvernement et des forces armées. En 1971, s’adressant aux officiers de l’armée de l’air, le président en avait appelé à leur compréhension : les ressources de l’État étant limitées, elles devaient en priorité être orientées vers le développement44. Dans un premier temps, il avait donc réussi à maintenir les importations d’armements à un niveau relativement stable. Toutefois, devant l’imminence d’une scission interne, les dirigeants ont pu envisager une accélération du programme de modernisation militaire afin de satisfaire certains secteurs des forces armées et d’éviter ou de différer l’éclatement de cette crise45.
52Après le coup d’État de 1975, l’adoption d’une politique étrangère plus musclée a eu pour objectif, entre autres, de neutraliser l’opposition d’une partie des forces armées et d’assurer leur unité au fur et à mesure que le gouvernement militaire gagnait en impopularité. La résurgence de conflits avec les pays limitrophes a également permis aux successeurs du général Velasco de justifier leur maintien au pouvoir. Ayant échoué comme agents de développement économique, ils étaient en quête d’un minimum de légitimité. Aussi se sont-ils retranchés derrière ce qui a toujours été leur fonction première : la dérense de l’intégrité territoriale, seule justification possible o posteriori d’un accroissement significatif des dépenses militaires, au moment où des mesures d’une extrême rigueur étaient imposées à la population. Enfin, les forces armées ont probablement choisi d’intensifier et de concentrer les importations d’armements entre 1974 et 1978 en prévision d’un éventuel retour des civils au pouvoir, retour annoncé en 1977.
53Abandon de la politique tiers-mondiste ; mise à l’écart de l’option réformiste de la première phase ; adoption d’une politique d’austérité économique : ces choix témoignent finalement du peu d’impact des programmes d’assistance militaire étrangers sur l’orientation politique, tant intérieure qu’extérieure, des gouvernement militaires. On a déjà souligné l’importance de relativiser ce facteur dans l’explication du militarisme contemporain. L’expérience du Pérou le confirme : pendant quelques années, l’Union soviétique y a été le principal fournisseur de matériel militaire. Sa présence ne semble cependant pas avoir eu d’incidence sur l’option foncièrement conservatrice du gouvernement du général Morales Bermúdez. Pourtant, des liens privilégiés se sont noués entre les deux pays. Mais si le développement des relations militaires s’est accompagné d’un accroissement des échanges commerciaux et culturels, les programmes d’aide économique ne se sont guère matérialisés, la crise financière péruvienne ayant découragé l’URSS dont la plupart des projets sont restés lettre morte46.
54De leur côté, les États-Unis n’ont pas pris à la légère l’incursion de Moscou en territoire péruvien. Pour contrebalancer les efforts soviétiques, ils n’ont pas imposé au Pérou les coupures financières infligées aux pays consacrant des ressources importantes à l’achat d’équipement moderne47. Au plan militaire, ils ont également fait pression pour que les forces armées péruviennes réduisent leurs achats de matériel soviétique et retournent à leurs fournisseurs habituels. Toute opération de remplacement aurait cependant entraîné des déboursés importants et exigé un surcroît de travail de la part des militaires, obligés de se réadapter à un nouvel équipement ; d’où le risque de s’affaiblir militairement, d’autant plus que les États-Unis n’offraient aucune assurance de fournir le matériel désiré48. Aussi le Pérou a-t-il continué à s’approvisionner à plusieurs sources.
Le désengagement politique des militaires : causes, conditions et limites
55Qu’ils privilégient le rôle d’agents de développement économique, de gardiens de la sécurité intérieure, ou encore celui, plus traditionnel, de protecteurs du territoire contre les agressions possibles de leurs voisins, les militaires forment une élite bureaucratique dont le devenir est indissociable de celui de l’État-Nation. Avec le renversement du général Velasco, un nouveau régime se met en place. II utilise la même rhétorique révolutionnaire, mais ses bases et ses objectifs diffèrent complètement. Mettant l’accent sur l’unité institutionnelle, le gouvernement du général Morales Bermúdez sera dominé par la nécessité de dépolitiser les forces armées et de préparer le retour au pouvoir des civils.
56Plusieurs facteurs influençent la décision des militaires de se désengager politiquement et déterminent les modalités de ce retrait. Les raisons qui, à l’origine, avaient motivé leur intervention ne sont pas étrangères à la décison d’abandonner la gestion directe de l’État. En 1968, les forces armées renversaient les autorités civiles parce que la prise du pouvoir leur semblait l’unique moyen de relever une nation affaiblie socio-économiquement et incapable d’assurer sa propre défense. Sept ans plus tard, ils décident de rectifier leur tir et de restituer leur importance aux fonctions spécifiquement militaires, comme semble l’exiger l’évolution de la situation géopolitique régionale.
57Peu convaincantes, leurs performances économiques et politiques remettent également en cause la perception qu’ils avaient d’être de meilleurs gestionnaires que les civils. La défense des intérêts corporatifs joue par ailleurs un rôle de tout premier plan dans la décision de rendre le pouvoir aux civils. Largement responsables de la réorientation du régime, les considérations institutionnelles – particulièrement la sauvegarde de l’unité interne – amènent les forces armées, honnies de tous et menacées dans leur intégrité, à se libérer progressivement de leur engagement direct dans les affaires de l’État. Les pressions qui s’exercent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’institution et l’existence d’une alternative politique viable déterminent les modalités de ce retrait.
58Après le coup d’État d’août 1975, le président Morales Bermúdez a été soumis non seulement aux pressions d’une partie des forces armées, mais également à celles de l’ensemble des forces conservatrices dont il a tenté de se rapprocher en adoptant les mesures suivantes : retour d’exil des porte-parole de la classe politique ; restauration – provisoire – de la liberté de presse ; éviction des généraux identifiés au « vélasquisme » ; démantèlement des réformes ; enfin, réintégration progressive de quelques civils à l’équipe ministérielle.
59Mais plus qu’une certaine participation politique, c’est le retrait complet des militaires qu’ont réclamé les partis traditionnels immédiatement après la chute du général Velasco. Leur incapacité à formuler un projet politique alternatif a cependant doté le gouvernement d’une certaine autonomie, plus réduite certes que celle de son prédécesseur, mais qui lui a permis de contrôler l’allure du virage et de fixer les modalités ainsi que l’échéancier de son retrait. L’abandon des fonctions politiques était d’ailleurs souhaité par bon nombre d’officiers qui voyaient dans le retour aux casernes la seule issue possible à une crise interne que le changement de gouvernement ne semblait pas vouloir résoudre. Parmi les pressions exercées en faveur d’un transfert du pouvoir aux civils, celles des vélasquistes de la première heure méritent d’être soulignées : en novembre 1976, les généraux L. Rodriguez Figueroa et A. Valdés, maintenant à la retraite, participent en effet à la fondation du Portido Sociolisto Revolucionorio qui se joint aux forces progressistes pour exiger la tenue d’élections49.
60Le gouvernement ne tarde pas à réagir : un communiqué du ministère de l’Intérieur reconnaît que la loi n’interdit pas aux membres des forces armées de se joindre à un parti politique, mais que l’éthique professionnelle recommanderait plutôt qu’ils s’en abstiennent. En janvier 1977, les généraux Rodríguez Figueroa et Valdés seront exilés. L’ordre de déportation précise que le but poursuivi par ces collaborateurs du général Velasco était de projeter une vision déformée du « processus révolutionnaire », particulièrement au sein des forces armées, et que leurs activités politiques auraient contribué à affaiblir la cohésion institutionnelle50. Tout en s’inscrivant dans un climat global de répression des libertés politiques, la sévérité avec laquelle le gouvernement traite ces ex-généraux, devenus militants d’une formation partisane, traduit une réaction de défense institutionnelle face au degré élevé de politisation interne.
61Par ailleurs, s’il est vrai que la nécessité d’un retour à la démocratie s’est d’abord fait sentir au sein même des forces armées et que la décision de remettre le pouvoir aux civils est un problème militaire, les intérêts institutionnels ne sont jamais seuls en jeu51. D’autres causes justifient que les généraux veuillent retourner à leurs tâches plus strictement professionnelles. L’échec partiel du projet de développement et d’intégration nationale qui avait motivé leur mainmise sur l’État ; l’usure du pouvoir ; la crise socio-économique du milieu des années soixante-dix : voilà autant d’éléments qui ont empêché les forces armées de légitimer leur maintien au pouvoir, aux yeux tant de l’institution que de la société, et d’institutionnaliser le système politique qu’elles avaient projeté de mettre en place. Tout en s’inscrivant dans le prolongement des impératifs d’ordre institutionnel, ils n’en constituent pas moins des facteurs non négligeables dans le choix des militaires de rentrer dans leurs quartiers. D’autre part, l’amorce d’un processus de démocratisation dans d’autres pays du continent, processus appuyé ouvertement par Washington, n’a pas été sans conforter l’armée péruvienne dans sa décision d’abandonner la gestion directe des affaires de l’État52.
62Toutefois, entre le début du virage en 1975 et le transfert effectif du pouvoir aux civils cinq ans plus tard, il s’est écoulé une assez longue période de flottement, le gouvernement du général Morales Bermúdez présentant un cas de « lévitation politique sans précédent »53. Sans projet, les successeurs du général Velasco se sont également retrouvés sans appui, rejetés par les secteurs populaires, premières victimes des mesures d’austérité, et par les classes possédantes, qu’une certaine ouverture de l’espace politique n’a pas réussi à séduire. Le régime s’est donc engagé dans une transition lente, prudente et contrôlée, réalisée selon les règles qu’il a lui-même fixées. Cette extension du processus sur plusieurs années met en lumière les obstacles qui ne manquent pas de surgir sur la voie du retour à la démocratie, de même que la volonté des généraux de s’assurer une sortie honorable, tout en réunissant les conditions pour que le passage d’un régime à l’autre s’effectue sans heurt.
63Car l’intention des forces armées de se retirer, si elle est une condition nécessaire, n’est pas suffisante pour mener à terme le projet de redémocratisation. Aux yeux des généraux, d’autres conditions doivent être réunies, notamment l’existence d’une alternative politique viable garantissant la mise en place d’un régime stable et l’adoption d’un ensemble de dispositions protégeant les militaires contre toute tentative de représailles éventuelles54. Cette alternative peut prendre la forme d’une coalition de transition entre les partis politiques les plus importants ; elle peut également émerger de l’identification d’un groupe que les forces armées perçoivent comme le plus apte à assurer leur succession. Le transfert du pouvoir sera donc facilité d’autant si les institutions politiques n’ont pas été trop affaiblies par une répression excessive. De leur côté, les forces démocratiques doivent réussir à maintenir un certain équilibre entre leur volonté de se concilier les dirigeants militaires et celle de s’attirer les faveurs populaires, gage de viabilité politique.
64Au Pérou, le processus de transition démocratique, supervisé directement par les forces armées, s’est déroulé dans des conditions difficiles. Pour le qualifier, certains auteurs ont même parlé de « transition forcée » ou encore « incomplète »55. Ce processus a d’ailleurs été l’un des plus longs en Amérique latine : il aura duré près de six ans. En effet, loin d’abandonner précipitamment leurs fonctions, les généraux se sont engagés prudemment sur la voie de la démilitarisation. La question de la durée de la transition, celle du choix des secteurs civils qui y seraient associés et enfin le degré de tolérance du régime à l’endroit des pressions externes réclamant une accélération du processus n’ont pas manqué de diviser les officiers entre duros et blondos56. Craignant de perdre le contrôle du processus de redémocratisation, certains se seraient opposés sur les modalités du désengagement ; d’autres n’auraient tout simplement pas été d’accord sur le fait même de remettre le pouvoir aux civils.
65Une fois écartés les partisans d’une ligne dure, le gouvernement a choisi d’échelonner sur un an la période préparatoire à l’élection d’une assemblée constituante, prévue pour juin 197857. Ce faisant, il accordait aux formations politiques suffisamment de temps pour se remettre en piste, sans pour autant octroyer de pouvoir réel à cette Assemblée dont il entendait limiter le rôle à la rédaction d’une nouvelle constitution. Ne prévoyant la tenue d’élections générales qu’en 1980, il offrait également au parti de Haya de la Torre, devenu son principal interlocuteur, deux années de plus pour s’organiser. Dès 1976, en effet, le ministre de la Guerre, le général Luis Cisneros Vizquerra, avait pris l’initiative d’un rapprochement avec l’APRA. Même d’accord sur la nécessité de mettre en place un gouvernement stable et de léguer ensuite le pouvoir à une formation capable de contrer la montée des forces de gauche, certains secteurs des forces armées n’auraient cependant pas appuyé le choix de Haya de la Torre comme partenaire privilégié de la transition.
66Par la suite, et même si le gouvernement établit des contacts avec les autres responsables politiques et syndicaux, exception faite des représentants de la gauche, l’APRA et son chef continueront à jouer un rôle central en tant que médiateurs entre les militaires et les forces politiques civiles. Le charisme de Haya de la Torre, la solidité de l’organisation apriste et enfin l’étendue de sa base électorale et syndicale expliquent ce choix. L’anticommunisme traditionnel de l’APRA aurait aussi joué en sa faveur. Au cours de cette première étape, le parti a donc servi de base institutionnelle à la transition démocratique et entretient des relations de plus en plus étroites avec le régime qui appuie manifestement ceux qui se présentent comme les héritiers naturels du réformisme militaire58. De son côté, la gauche a été sévèrement réprimée, ses candidats condamnés à l’exil et ses publications interdites. Après avoir réclamé l’instauration immédiate d’un régime civil, Acción Populor s’est retirée de la course, laissant la voie libre au candidat de l’armée.
67Après la nomination de Haya de la Torre à la tête de l’assemblée constituante, l’APRA jouera un rôle encore plus important. Aux élections de 1980, sa collaboration avec un régime complètement discrédité deviendra une arme entre les mains de l’opposition. De plus, la disparition de son chef, la lutte à la succession et les divisions idéologiques affaiblissent considérablement le parti. Aux yeux des généraux, l’APRA a donc perdu son principal attrait : celui d’être un gage de stabilité politique. Ironie de l’histoire, ils n’auront alors d’autre choix que de se tourner vers F. Belaúnde qu’ils avaient écarté du pouvoir dix ans plus tôt. Peu importe d’ailleurs que leur successeur soit de l’APRA ou d’Acción Populor, pourvu qu’il s’engage à respecter les conditions fixées pendant la phase de transition.
68Si les militaires ont accepté de se retirer formellement du pouvoir, ce n’est pas en effet sans avoir au préalable posé les conditions de leur sortie ni exigé des garanties pour l’avenir. Soumis au contrôle sans faille des généraux, les élus de l’assemblée constituante n’ont pu atténuer l’impact de certaines dispositions contenues dans le nouveau texte constitutionnel. En plus de reconnaître le droit du gouvernement de suspendre les libertés individuelles, ils ont dû affirmer la continuité du « processus révolutionnaire », c’est-à-dire institutionnaliser les réformes – du moins celles qui ont survécu aux modifications imposées par le général Morales Bermúdez. Bien avant leur élection, le chef de l’Etat les avait d’ailleurs prévenus : l’Assemblée serait dissoute si elle remettait en cause les politiques du régime59.
69En outre, quelques mois après la formation de l’Assemblée, le gouvernement introduisait d’importants changements au code de justice militaire. Destinés à les protéger des critiques éventuelles ou de toute contestation de leur autorité, ces changements prévoyaient que tout citoyen accusé d’outrage aux forces armées ou policières et à leurs membres serait traduit devant un tribunal militaire. D’autre part, les officiers reconnus coupables d’un tel délit se verraient imposer de lourdes sanctions, y compris ceux qui mis en disponibilité ou à la retraite et dont les déclarations ou les écrits portant sur des questions d’ordre institutionnel pourraient discréditer les forces armées.
70L’ensemble des mesures adoptées avant le retour des civils le confirment : les militaires devaient être mis en confiance avant de reprendre le chemin des casernes. Le général Morales Bermúdez affirmait d’ailleurs à ses collègues que leur mission ne prendrait pas fin avec la passation des pouvoirs aux civils, avec lesquels ils seraient responsables conjointement du destin national. Le président n’avouait-il pas également son intention d’effectuer « un transfert de gouvernement, non de pouvoir »60 ? Confirmant la volonté de l’institution de se garantir un espace politique propre dans le cadre d’un régime démocratique, ces déclarations traçaient déjà les limites de la démilitarisation.
71Tout en abandonnant aux civils la gestion directe des affaires de l’État, les forces armées entendaient, avant leur départ, s’assurer une certaine autonomie institutionnelle. Quelque temps après l’adoption de la nouvelle constitution, le président a donc pris des dispositions afin de maintenir et même consolider cette autonomie. En plus de réorganiser le secteur de la justice militaire, il a décrété que la Cour suprême serait seule habilitée à statuer sur le cas des membres de son gouvernement accusés de quelque délit61. D’autres dispositions – restées secrètes – ont également été adoptées, garantissant à l’appareil militaire un vaste champ d’action autonome, notamment en ce qui a trait aux importations d’armements. Sur le point de se retirer, les généraux ont pu craindre en effet de voir leurs successeurs réaffecter à d’autres secteurs une partie des ressources consacrées aux salaires et à l’équipement. Ne voulant pas mettre en péril tant les avantages acquis que le renforcement du potentiel militaire de la dernière décennie, ils se sont donc assurés une autonomie complète sur les questions les concernant, et en particulier sur l’acquisition de matériel.
72Deux périodes, 1977 et 1984, apparaissent à cet égard comme des années de forte croissance. En raison des changements survenus en URSS et dans les pays d’obédience soviétique au cours des années quatre-vingts, l’entretien (très coûteux) du matériel acheté à ces fournisseurs est cependant devenu de plus en plus difficile, obligeant les généraux péruviens à s’approvisionner à d’autres sources. Mais leur retrait de l’exercice direct du pouvoir ne fera pas fléchir globalement les sommes consacrées à la défense nationale. Dans un premier temps, une continuité s’est établie entre les forces armées et leurs successeurs civils, ces derniers ne remettant pas en cause la politique d’armement motivée davantage, semble-t-il, par la priorité accordée à la protection du territoire, comme en témoigne le type de matériel acquis au cours de ces années62.
73La perception de menaces potentielles ou réelles aux frontières sud et nord du pays explique cette orientation : à la fin des années soixante-dix, 60 à 70 % du potentiel de combat des militaires péruviens étaient du reste concentrés dans ces régions63. Un coup d’oeil aux articles publiés par les officiers dans les années quatre-vingts le confirme : l’intégrité du territoire national y apparaît comme le défi majeur posé à ces « professionnels de la guerre » qui, vingt plus tôt, s’étaient davantage intéressés aux techniques de lutte anti-subversive. Ce changement de mentalité constituera l’un des facteurs d’explication proposés par les analystes qui tenteront de comprendre l’inefficacité et la « lenteur » des militaires à réagir, au début des années quatre-vingts, aux menaces des guérillas andines.
74En effet, si l’on en croit un représentant de l’armée, au moment où elles ont annoncé leur intention de remettre le pouvoir aux civils, les forces armées n’ignoraient pas le développement du mouvement Sendero Luminoso, le « Sentier Lumineux »64. Mais elles étaient alors à la fois démoralisées et divisées : démoralisées parce que leur projet de transformation et d’intégration nationales avait échoué ; divisées parce que des années d’exercice du pouvoir avaient constamment menacé la cohésion institutionnelle et que certains de leurs membres s’opposaient toujours à la transmission du pouvoir aux civils65. Au cours des années quatre-vingts, ces désaccords vont subsister, même si l’nstitution a abandonné ses fonctions directement politiques.
75Les interprétations divergent toutefois quant aux motifs à l’origine de ces divisions. Pour certains les forces armées ne se se seraient pas entendues sur les moyens à mettre en oeuvre pour contrer la menace terroriste, un premier groupe d’officiers mettant l’accent sur les aspects militaires, un second privilégiant les dimensions politique et socio-économique de la lutte anti-subversive66. Pour d’autres, au contraire, les militaires partagent une même conception de la guerre contre-révolutionnaire, à savoir la mise en oeuvre d’un ensemble de moyens stratégiques à la fois politiques, économiques et psycho-sociaux67. Leur désaccord aurait alors porté sur la capacité des civils de mener à bien cette entreprise et sur l’opportunité pour les forces armées d’en prendre la direction. Le prochain chapitre tentera de faire la lumière sur ces divisions présumées et sur les divers éléments qui ont marqué l’évolution politique du Pérou au cours des deux dernières décennies.
Notes de bas de page
1 Ce groupe aurait joué un rôle décisif dans la décision d’exclure deux des figures les plus progressistes, soit les généraux Rodríguez, commandant les troupes de la capitale, et Graham Hurtado qui, le 1er février 1976. devait accéder au poste de chef d’état-major de l’armée et devenir alors premier ministre. P.S. Cleaves et H. Pease García, op. cit., p. 231. Sur les changements apportés au régime politique, cf. H. Pease García, Los cominos, p. 72-76.
2 On trouvera une liste des conflits de travail qui se sont multipliés entre octobre 1975 et juin 1976 dans C. Collin-Delavaud, « L’évolution du régime », p. 52-58.
3 C’est le cas de l’industrie de la pêche, reprivatisée en juillet 1976. Sur la réorientation politique et économique du gouvernement, voir H. Pease García, Los cominos, p. 193-203.
4 Tupoc Amoru Government Plon, 1977-1980 : the Peruvian Révolution, Lima, 1977.
5 Sur la crise financière et les politiques de rigueur, cf. C. McClintock et A. Lowenthal (éd.), op. cit., chap. 2, 3 et 5 ainsi que C. Collin-Delavaud, « Pérou : vers un régime civil », p. 72- 82.
6 A. Rouquié, Lo Politique de Mors, p. 38.
7 R.H. Swansborough, op. cit., p. 124.
8 Sur le problème territorial bolivien, cf. J.V. Fifer, Bolivia : Land, Location and Politics since 1825, Cambridge, 1972, chap. 2 ; D.H. Shumavon, « Bolivia : Salida al Mar », in E.G. Ferris et J.K. Lincoln, op. cit., p. 179-190 et R.B. St John, « Hacia el Mar : Bolivia’s Quest for a Pacific Port », Inter-American Economic Affairs, n° 31, hiver 1977, p. 41-73.
9 Sur les relations entre le Chili, le Pérou et la Bolivie de 1830 au début du siècle, cf. R.N. Burr, Boloncing of Power in South America 1830-1905, Berkeley, 1974 et R.L. Seckinger, « South American Power Politics During the 1820’s », The Hisponic American Historical Review, LVI, mai 1976, p. 241-267.
10 C. Collin-Delavaud, « Le Pérou et ses frontières non consolidées : les difficultés de l’intégration économique », Problèmes d’Amérique lotine, L111, Paris, 1979, p. 100.
11 J. Pardo y Barreda, Historio del trotodo « secreto » de olionzo defensivo entre el Perú y Bolivia, Lima, 1979.
12 Le plébiscite prévu par le traité d’Ancon devait se tenir en 1893. Mais c’est seulement en 1922 que les États-Unis convoqueront les diplomates chiliens et péruviens pour organiser ce plébiscite qui n’a toujours pas eu lieu. La Bolivie étant exclue de la réunion, l’arbitrage américain sera un échec. J.F. Wilson, The United States, Chile, and Peru in the Tocna and Arica Plebiscite, Washington, 1979.
13 H. Pease García et A. Filomeno, Perú 1976, Cronologío Político, Lima, 1977, p. 2141 et E. Mercado Jarrín, « Campaña de Tarapacá », Estudios Geopolíticos y Estrotégicos, n° 6, avril 1981, p. 90-102.
14 D’après H. Pease García et A. Filomeno, Perú 1979. Cronologío Político, Lima, 1980, p. 3349.
15 Sur le conflit entre le Pérou et l’Équateur cf. B. Wood, Aggression and History. The cose of Ecuodar and Peru, Ann Arhor, 1978 ; S.M. Gorman, « Présent Threats to Peace in South America : The Territorial Dimensions of Conflict », Inter-American Economic Affairs, vol. XXXIII, n° 1. été 1979, p. 51-73 ; D.V. Slaght, « The New Realities of Ecuadorian-Peruvian Relations : A Search for causes », Inter-American Economic Affairs, vol. XXVII, n° 2, automne 1973, p. 3-14 ; et enfin R.B. St John, « The Boundary Dispute Between Peru and Ecuador », American Journal of Internotionol Law, vol. 71, n° 2, avril 1977, p. 322-330.
16 E. Mercado Jarrín (Gén), El conflicto con el Ecuador, Lima, 1981. La collaboration entre les deux pays a pris forme notamment avec la création, en 1971, de la Comision Económico permonente Peruono-Ecuotoriono et s’est traduite par la signature de nombreux accords portant sur l’utilisation des eaux du Puyago-Tumbes, la circulation des personnes et des véhicules dans la zone frontalière, les télécommunications, la coopération énergétique et minière, etc.
17 C. Apestéguy, G. Martinière et H. Théry, « Frontières en Amazonie : la politique du Brésil et l’intégration de l’Amérique du sud », Problèmes d’Amérique Latine, LIII, Paris, 1979, p. 76-98 ; E.G. Ferris, « The Andean Pact and the Amazon Treaty. Reflections of Changing LatinAmericanRelations », Journal of Interamerican Studies and World Affairs, vol. 23, n° 2, 1981, p. 147-175.
18 L’Uti possidetis de jure est un règlement du droit international régional dans lequel les États latino-américains reconnaissent comme frontières les limites tracées par l’administration coloniale. Deux facteurs expliquent l’intérêt des dirigeants péruviens pour la colonisation des régions périphériques : ce sont des réservoirs de richesses dont l’économie a besoin ; d’autre part le développement de ces régions permettrait de soulager les villes côtières de leur surplus démographique, tout en freinant la baisse de la production agricole per copito. S.M. Gorman, « Geopolitics ».
19 Sur la politique de ventes d’armes à l’Amérique latine dans les années soixante et soixante-dix, voir L. Einaudi (éd.), Arms Transfers to Latin America : Toward a Policy of Mutual Respect, Santa Monica, juin 1973 ; H. González, « US Arrns Transfers Policy in Latin America : Failure of a Policy », Inter-American Economic Affairs, vol. 32, n° 2, automne 1978, p. 67-85 ; D. Ronfeldt et C. Sereseres, US Arrns Transfers, Diplomacy, and Security in Latin America and Beyond, Santa Monica, oct. 1977.
20 D’après M.T. Klare, « Arms and Power The Political Economy of US Weapons Sales to Latin America », NACLA, Latin America and Empire Report, vol. IX, n° 2, mars 1975, p. 3.
21 US Department of Defense 1974, cité dans ibid., p. 26.
22 SIPRI, World Armoments and Disormoment, SIPRI Yeorbook 1978, Londres, 1978, p. 232.
23 Ibid
24 SIPRI, Arms Trade Registers, The Arrns Trode with the Third World, Cambridge, 1975, p. 120.
25 J. Theberge, « Moscow turns to Peru », Soviet Anolyst, 19 sept. 1974, p. 5.
26 World Armements and Disormament, 1978, p. 273-274 Seules l’armée de terre et l’armée de l’air se sont approvisionnées en URSS ; la marine, pour des raisons idéologiques, s’est plutôt adressée à la Grande-Bretagne et à l’Italie. V. Villanueva, « Peru’s New Military », p. 164.
27 CIA, Communist Aid to the Less Developed Countries of the Free World, Washington, 1976, p. 22, 25.
28 N.M. Smith (Col), « The Buildup of Soviet Gear in Peru’s Army and Air Force », Armed Forces Journol Internotionol, mai 1977, p. 23.
29 CIA, op. cit., p. 4.
30 USACDA, World Military Expenditures and Arms Transfers 1969-1978, Washington, 1980, p. 162.
31 CIA, op. cit, p. 6 et « Communist Relations with Latin America in 1977 », Inter-American Economic Affoirs, vol. 32, n° 4, printemps 1979, p. 90.
32 « Communist Relations », p. 90 et H. González, op. cit., p. 69.
33 Centro de Investigaciones Económicas y Sociales de la Universidad de Lima, Gostos Militates y Desorrollo en America del Sur, Lima, 1980, p. 51.
34 À partir de 1977, l’URSS s’est taillée la part du lion au sein du commerce international des armes et en 1981, elle a vendu plus d’armements à Cuba et au Pérou que les États-Unis à toute l’Amérique latine. Sur les avantages pour les pays du Tiers-Monde à s’approvisionner en matériel militaire soviétique : USACDA, World Military Expenditures and Arms Transfers 1970-1979, Washington, 1982, p. 28-32.
35 J. Calderón, A. Filomeno et H. Pease García, Perú 1968-1 974, p. 905, 1079-1080.
36 « United States : rumour mongering », Latin America, vol. X, n° 23, 11 juin 1976, p. 178.
37 C.L. Brown, « Latin America Arms : for War ? The expérience of The Period 1971- 1980 », Inter-American Economic Affairs, vol. 37, n° 1, été 1983, p. 63.
38 Le tableau 4 permet d’apprécier l’ampleur de cette augmentation. Les données concernant les dépenses militaires sont imprécises et varient considérablement d’une source à l’autre. Les comparaisons entre les dépenses militaires de divers pays présentent également des difficultés techniques importantes. Les chiffres de USACDA nous semblent toutefois intéressants dans la mesure où ils font ressortir certaines tendances. Sur ce point : J. Fontanel, L’économie des ormes. Paris, 1983, chap. 1.
39 Au Pérou, le pourcentage du PNB consacré aux dépenses militaires est passé de 2, 9 % à 6. 8 % entre 1971 et 1977. Il se situait en moyenne au-dessous de 2 % en Amérique latine. D’après USACDA, World Military Expenditures and Arms Transfers 1971-1980, Washington 1983 et World Military Expenditures and Arms Transfers 1986, Washington, avril 1987.
40 Le tableau 5 fait état de cette progression. De 1974 à 1979, les effectifs militaires sont passés de 90 000 à 125 000 hommes, ces chiffres ne comprenant pas les forces paramilitaires. De 1974 à 1980, le pourcentage de citoyens incorporés dans les forces armées est également passé de 0, 61 % à 0, 87 %, soit une proportion plus élevée que la moyenne latino-américaine de 0, 43 %, mais inférieure à celle du Chili qui, toujours en 1980, s’élevait à un peu plus de 1 %. Ibid.
41 Un débat s’est engagé, dans les années soixante-dix, au sujet des effets positifs ou négatifs des dépenses militaires sur la croissance économique des pays du Tiers-Monde. Cf. E. Benoit, Defense and Economie Growth in Developing Countries, Lexington. 1973 et « Growth and Defense in Developing Countries », Economie Development and Cultural Change, vol. 26, n° 2, janvier 1978, p. 271-280. Pour une critique de ces positions : N. Ball, « Defense and Development : A Critique of the Benoit Study », in Economie Development and Culturol Change, vol. 31, n° 3, avril 1983, p. 507-524.
42 Ces données sont tirées de : R.B. St John, the Foreign Policy of Peru, Boulder et Londres, 1992, p. 204 ; F. Portocarrero, Los combios en lo político económico, lo crisis y lo reorientoción de lo estrotegio industriol en el Perú, Montréal, 22-24 novembre 1979, p. 32- 33 ; USACDA, World Military Expenditures and Arms Transfers 1986, p. 89.
43 A. Rouquié, L’Étot militoire, p. 185. En 1970 et 1980, les dépenses mililaires des pays du Tiers-Monde représentaient respectivement 7,2 % et 16, 1 % des dépenses militaires mondiales. D’après SIPRI, World Armaments and Disormoment, SIPRI Yeorbook, Londres, 1982, in J. Fontanel, op. cit., p. 12.
44 « Discurso del Présidente de la República en la clausura del afio académico de la Escuela de oficiales de la Fuerza aerea peruana », 20 déc. 1971, in J. Velasco Alvarado, Lo político del gobierno revolucionorio, Lima, 1972, p. 144-145.
45 II existait en effet, au sein de l’institution, un fort sentiment anti-chilien qui s’est traduit, en février 1976, par le soulèvement du général Gonzalo Briceño, apparenté à l’aile droite des forces armées, dont certains secteurs croyaient fermement que la faiblesse politico-militaire du Pérou avait grandement facilité la victoire chilienne de 1879 : « Peru : backlash brewing », Latin America, vol. X, n° 11, 12 mars 1976, p. 85-86.
46 En 1976, des deux milliards de dollars accordés sous forme de crédits par les pays communistes à l’Amérique latine, le Pérou n’en a reçu que 269 millions, soit une somme inférieure à celles du Brésil et de l’Argentine. Mais parallèlement, outre le personnel soviétique travaillant à Cuba, les pays communistes ont envoyé, en 1977, 1 300 conseillers économiques en Amérique latine ; le Pérou en a accueilli 355 ainsi qu’une cinquantaine de conseillers cubains. De plus, le nombre d’étudiants péruviens ayant reçu des bourses d’études en URSS et en Europe de l’Est est passé de 60 en 1974 à plus de 1 400 en 1989. CIA, Cominunist Aid, p. 13 et « Communist Relations », p. 90, 92 ; R. Berríos, « Peru and the Soviet Union (1969-1989) : Distant Partners », Journal of Latin American Studies, vol. 23 (2), mai 1991, p. 372.
47 En 1979, avec seulement le vingtième de la population du continent, le Pérou recevait le huitième de l’aide bilatérale accordée par les États-Unis à l’Amérique latine. H. González, op. cit., p. 69.
48 V. Villanueva, « Peru’s New Military », p. 173- 174. En 1982, après avoir accepté de vendre des avions F-16 au Vénézuela, les États-Unis ont refusé d’offrir les mêmes appareils au Pérou en raison de sa situation financière critique. The Andeon Report, oct. 1983, p. 183.
49 C. Astiz. « A Postmortcm of the Insti tu tional Military Regime in Peru », in C.P. Danopoulos (éd.), The Decliné of Military Regimes. The Civilian Influence, Bouldcr et Londres. 1988, p. 185.
50 H. Pease García et A. Filomeno, Perú 1976. p. 2322 et Perú 1977. Cronologío Político. Lima. 1979. p. 2402.
51 A. Rouquié. L’Étot militoire, p. 450.
52 L’ouverture démocratique s’est effectuée sous l’oeil très bienveillant du Département d’État, chaque nouvelle étape vers la démocratisation étant soutenue par une augmentation de l’aide américaine. De plus, l’arnbassade des États-Unis à Lima aurait reçu l’ordre de s’opposer aux éléments de droite – tant civils que militaires – qui auraient manifesté l’intention de se maintenir au pouvoir en suivant les traces des régimes totalitaires du Cône sud. L.A. Abugattas, « Populism and After : The Peruvian Expérience » in J.M. Malloy et M.A. Seligson (éd.), op. cit., p. 132.
53 Selon la formule de A. Rouquié, L’Étot militoire, p. 451.
54 Sur les conditions de la restauration démocratique cf. L.A. Abugattas, op. cit., p. 133-134.
55 P.W. Zagorski, op. cit., chap. 2. Sur les limites et les contradictions de la transition voir également P. Mauceri, « The Transition to “Democracy “and the Failure of Institution Building », M.A. Cameron et P. Mauceri (éd.), The Peruvian Labyrinth, University Park, 1997, p. 13-36.
56 Le processus de transition n’est pas à l’origine de ces divisions qui existaient antérieurement comme l’ont montré les chapitres précédents. Sur ce point voir B.W. Farcau, The Transition to Democracy in Latin America. The Role of the Military, Westport et Londres, 1996, p. 1-14 et 53-86.
57 Sur l’Assemblée constituante cf. S.L. Woy-Hazleton, « The Return of Partisan Polilics in Peru », in S.M. Gorman (éd, ), Post-Revolutionory Peru., p. 33-72.
58 C. Graham, Peru’s APRA. Porties, Politics, and the Elusive Quest for Democracy, Boulder, 1992, p. 62-71.
59 H. Pease García et A. Filomeno, Perú 1977, p. 2778.
60 Ibid, p. 2765-2766 et 2878.
61 V. Villanueva, « Peru’s New Military », p. 177-178.
62 Principalement des avions de combat et autre équipement sophistiqué. D.M. Masterson, Militorism and Politics in Latin America. Front Sànchez Cerro to Sendero Luminoso, Greenwodd Press, New York et Londres, 1991, p. 270-271 et p. 284.
63 Ibid., p. 283.
64 D’après les déclarations du gén. L. Cisneros Vizquerra, in R. González, « Ayacucho : la espera del gaucho », Quehocer, n° 20, janvier 1983. Sur le Sentier Lumineux, voir : C.I. Degregori, Ayocucho 1969-1979 : el surgimiento de Sendero Luminoso. Del movimiento por lo grotuitod de lo enseñonzo ol inicio de lo lucho ormodo, Lima, 1990 ; G. Gorriti, Sendero, historio de lo guerro milenorio en el Perú, Lima, 1990 et D.S. Palmer, Shining Poth of Peru, St. Martin’s Press, New York, 1992.
65 P. Mauceri, Stote under Siege. Development ond Policy Moking in Peru, Westview Press, Boulder, 1996, p. 136.
66 On trouvera cette interprétation, partagée par plusieurs analystes péruviens, dans P. Mauceri, op. cit. et F. Bustamante, Lo modernizoción de los Fuerzos Armodos y los nuevos formos de violencio político de lo décodo de los ochento : el coso de los militores peruonos frente o Sendero Luminoso, Documento de trabajo n° 429, FLASCO (Chili), oct. 1989.
67 F. Rospigliosi, Los Fuerzos Armodos y el 5 de Abril. Lo percepción de lo omenozo subversivo como uno motivoción golpisto, IEP, Lima, 1996, p. 17-21.
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