Chapitre 4. Le coup d’État militaire de 1948 et la crise de l’État oligarchique
p. 105-136
Texte intégral
1Au cours de la dernière décennie, les militaires ont laissé les forces politiques civiles s’exprimer librement. Pour la première fois, l’APRA a conquis le pouvoir légalement. Ce bref moment de liberté met cependant en perspective l’inadéquation des institutions politiques nationales et la faiblesse du régime. Mise à l’épreuve par l’élection de Bustamante y Rivero, la tolérance de l’armée s’épuise au moment où les rivalités entre l’Exécutif et le Congrès paralysent le gouvernement. L’opposition entre l’une et l’autre instances de pouvoir est totale. L’échec de la gestion présidentielle tient à plusieurs causes : adoption de mesures protectionnistes qui attaquent de plein fouet les intérêts exportateurs ; développement d’une scission au sein de l’APRA ; enfin, développement de la syndicalisation et politisation croissante des masses qui inquiétent les classes possédantes.
2Jamais en effet le nombre de syndicats reconnus n’aura été aussi élévé : 88 chaque année entre 1945 et 1947 ; plus de 162 en 1946 seulement1. Ouvriers et paysans passent à l’offensive et déclenchent une série de grèves revendiquant des hausses de salaires et une amélioration des conditions de travail. Mais le parti de Haya de la Torre s’entre-déchire : d’un côté la direction tend à renforcer de plus en plus ses liens avec les groupes dominants locaux et le capital nord-américain ; de l’autre les militants de la base exercent des pressions croissantes pour une radicalisation du parti. D’où la formation d’un Comondo de Defenso. Organisation semi-clandestine et para-militaire formée des éléments les plus radicaux du parti – étudiants, travailleurs saisonniers et quelques chefs syndicaux, le commando entetient des contacts avec certains secteurs des forces armées.
L’armée et l’APRA : complicités et déchirements
3Une fois connu le résultat des élections de 1945 qui ouvrent le Parlement au contrôle de l’APRA, l’armée, institutionnellement, reste dans l’attente. Le parti est officiellement rejeté par l’estoblishment militaire et les hauts gradés ne cachent pas leur inquiétude. Mais sur le plan individuel, il existe d’étroits contacts et de fortes sympathies entre les apristes et les jeunes officiers qui partagent l’allégresse des secteurs anti-oligarchiques. A leur yeux, l’APRA devient l’instrument de moralisation de l’armée. Il se produit même, dans bien des cas, une adhésion officielle de certains militaires au parti. La revolución sin bolos de 1945 s’apparenterait même au mouvement de 1930 ayant porté au pouvoir Sánchez Cerro, représentant les aspirations des officiers subalternes2. L’écart entre les hauts gradés de l’institution et les officiers subalternes s’accentue. La disparition du général Benavides et le retrait du général Ureta ont également laissé l’armée sans direction politique. Par ailleurs, la stabilité des structures hiérarchiques n’a pu empêcher le développement de divisions et de conflits internes.
4Souhaitant renouveler l’institution, bon nombre d’officiers de la garnison de Lima présentent au chef de l’APRA un ensemble de revendications : unification doctrinaire, administrative et technique des trois armes, chapeautée par un ministère de la Défense nationale ; projet de loi organique de l’armée relative au service militaire ; projet de loi réglementant les promotions des cadres ; enfin, formation technico-civile des recrues militaires pour les préparer à occuper une fonction sociale dans les secteurs de l’agriculture, de la médecine vétérinaire, des communications, etc. Ce dernier volet avait pour objectif de rendre l’armée plus apte à participer au développement de l’économie nationale.
5Conscient de l’importance du soutien militaire, Haya de la Torre adopte une politique de rapprochement avec l’armée. Sur le plan individuel, Il est assuré de l’appui de plusieurs officiers – notamment les ministres de la Guerre, les généraux del Carmen Marín et Barco, considérés comme des amis. Mais le chef de l’APRA souhaite aussi conquérir l’armée-institution. Aussi fait-il pression sur le Congrès pour qu’il entérine un grand nombre de promotions d’officiers supérieurs. Dominé par l’APRA, le Congrès ne rejettera aucune des promotions proposées par l’Exécutif ; il nommera même des officiers qui ne répondent pas aux critères établis selon la loi de l’avancement militaire. D’où la réprobation des autorités gouvernementales et des milieux militaires, en particulier celle des officiers subalternes déçus de tels procédés.
6Autre motif de frottement entre les forces armées et l’APRA : les représentants du parti au Sénat reprennent à leur compte les revendications de plusieurs officiers de différents niveaux hiérarchiques relativement à l’élaboration d’un projet de loi sur la défense nationale. Préfigurant le « nouveau professionalisme » militaire, le projet entendait développer une conception plus globale de la défense et associer plus activement l’armée au développement national ; il espérait également pallier à l’absence de législation et d’organisation des forces armées. Piloté par le colonel César E. Pardo – membre en vue de l’APRA- et adopté par les Chambres, le projet devait avoir force de loi en mars 1946.
7Mais les ministres de la Guerre, de la Marine et de l’Aviation s’y opposent, en raison de la perte d’autonomie qu’impliquerait la réunion des trois armes en un seul ministère. D’où la formation d’un front commun composé des officiers membres du cabinet auxquels se joint le chef de l’État. Leur opposition souligne le clivage existant entre la bureaucratie militaire formée de généraux investis de tâches proprement politiques et les officiers subalternes, souvent éduqués à l’étranger, et qui ont acquis un expérience des activités plus spécifiquement militaires. Qui plus est, toute ingérence d’un groupe civil, en l’occurence l’APRA, dans l’organisation des institutions militaires suscite généralement méfiance et hostilité au sein des forces armées. Jamais plus d’ailleurs le parti n’interviendra sur ces questions, considérées comme du ressort exclusif de l’institution. De leur côté, les sénateurs et parlementaires opposés à l’APRA déclarent une guerre ouverte au parti : refusant de siéger, ils réussissent à paralyser les Chambres.
8Suite à l’assassinat, en janvier 1947, du directeur de Lo Prenso, – assassinat attribué à l’APRA – les ministres de Haya de la Torre sont contraints de démissionner. La crise amène le chef de l’État à s’en remettre de plus en plus aux forces armées. Dans un premier temps, sur onze membres, le cabinet ne compte que trois civils. En février 1948, l’Exécutif désigne un cabinet entièrement formé de militaires, ces « hommes au-dessus des tendances politiques, dont les traditions d’honneur écartent toute menace de répression mesquine ou injustifiée, dont la formation disciplinée assure le maintien de l’ordre public... »3. À cette occasion, Bustamante y Rivero dresse une fois de plus, l’un contre l’autre, l’armée et l’APRA. Faisant allusion au parti de Haya de la Torre, il affirme que « rien n’est plus étranger à l’histoire et à l’existence des forces armées que les tendances internationalisantes dont le seul objectif est une négation de la mère-patrie », l’armée étant, « par essence », une institution nationaliste.
9La suspension des travaux parlementaires permet au président de gouverner par décret et lui confère tous les pouvoirs d’un dictateur. Il déclare être au-dessus des partis : « ... dans un pays qui n’a pas l’habitude du multipartisme pouvant canaliser l’opinion de tous les citoyens et, considérant ma position d’homme n’appartenant à aucun parti (…), je ne pouvais, à ce moment-ci, former un cabinet civil, ... »4. Craignant l’émergence de nouveaux conflits, Bustamante y Rivero entend garder ses distances à l’endroit de tous les groupes politiques. Aussi fait-il appel à une assemblée constituante, formée des sénateurs et des députés élus en 1945, auxquels se joindraient des représentants nationaux élus au vote populaire. Les parlementaires opposés à l’APRA se sont regroupés au sein de l’Alionzo Nocionol, constellation de petits groupes de droite dont le seul programme politique est d’éliminer ce parti et de restaurer la liberté de change. Toujours divisées, les classes possédantes n’ont pas encore réussi à s’organiser à l’échelle du pays. Même l’ex-président Manuel Prado n’a pas de véritable organisation politique nationale. Aussi le mode habituel de fonctionnement de la société politique demeure-t-il le complot.
10À partir d’une définition très large, « tout acte qui, à l’encontre de la constitution ou de la loi ou non inscrit dans la constitution ou la loi, introduit des changements non prévus par l’une ou l’autre »5, l’historien E. Chirinos Soto identifie trois coups d’Etat en marche au cours de 1948 : celui du président de la République dont la décision de convoquer une assemblée, non prévue par la constitution, est une dénégation juridique et effective du Congrès élu en 1945 ; celui de l’APRA, préparé par les secteurs radicaux du parti sous la direction de quelques officiers de la marine ; celui des généraux, enfin, dirigés par le général Manuel Odría, ministre de l’Intérieur dans le dernier cabinet, appuyé par les secteurs les plus traditionnels des groupes dominants. Sans compter les nombreux conciliabules tenus par le groupe des « jeunes Turcs », généraux ou chefs prestigieux qui occupent des postes élevés dans la bureaucratie militaire. Leur objectif : dissoudre le Parlement par un coup d’État et accorder les pleins pouvoirs au président Bustamante afin de contrer l’influence grandissante de l’APRA. Mais le général Odría et le contre-amiral Saldfas, ministre de la Marine, adressent un ultimatum au chef de l’État : retour à la clandestinité de l’APRA, fermeture des locaux et des journaux du parti, emprisonnement ou exil de ses dirigeants. Devant le refus du président d’obtempérer, le cabinet militaire présente sa démission.
11La « lune de miel » entre l’armée et l’APRA a pris fin ; les appuis que le parti de Haya de la Torre avait suscités chez les officiers se font de plus en plus rares. Le parti est également en rupture avec le chef de l’État. D’autre part, la paralysie du Congrès lui a enlevé sa base de pouvoir et son influence s’effrite. Ce qui l’amène à envisager le coup d’État comme la seule issue possible à son exclusion totale du pouvoir. Les éléments les plus radicaux du parti s’orientent vers une action militaire, appuyée par la population en armes. Les dirigeants de l’APRA donnent leur aval au projet, tout en souhaitant voir les généraux en prendre la direction.
12Une relecture du soulèvement « militaro-apriste » d’octobre 1948 a été proposée ; elle met en perspective le clivage interne divisant les hautes instances du parti et la base, clivage qui se retouverait chez les militaires6. Ce découpage sur la base d’intérêts de classes aurait permis un recoupement horizontal : la direction du parti et certains généraux d’un côté ; les militants de la base et les échelons subalternes des forces armées de l’autre. Ceux qui occupaient des fonctions dirigeantes au sein de l’APRA seraient issus des couches aisées de la société ; les dirigeants syndicaux et étudiants assurant le contrôle du parti sur les masses seraient généralement d’origine petite-bourgeoise ; la base proviendrait des couches petite-bourgeoise, prolétaire et parfois paysanne. Un clivage serait également perceptible au niveau de la direction, partagée entre, d’un côté un groupe restreint d’individus, et de l’autre l’ensemble – plus nombreux et en voie de radicalisation – des opposants à la politique officielle de l’APRA. Cette opposition aurait surtout joué au sein du commando de défense.
13Une division similaire existerait au sein des forces armées, officiers et soldats de la troupe n’étant généralement pas de même souche. Les premiers seraient d’origine petite-bourgeoise ; les seconds prolétaires urbains, mais surtout paysans de la sierro. D’autres nuances hiérarchiques seraient également identifiables à l’intérieur de ce clivage plus général. L’origine modeste de certaines catégories d’officiers et de sous-officiers expliquerait ainsi le rapprochement entre un secteur des forces armées et la base militante de l’APRA. Comme le souligne V. Villanueva, l’infiltration du parti s’effectue dans des conditions différentes selon les armes et le niveau hiérarchique. Au cours des préparatifs devant conduire au soulèvement, des divergences profondes apparaissent entre les chefs du commando de défense et le général Juan de Dios Cuadros, mandaté à la tête des forces apristes par la direction du parti, effrayée de la radicalisation du groupe. Prévue pour février 1948, l’opération est suspendue. Mais le 3 octobre, des militants de la base se soulèvent à Callao sous la direction du commando. Des cadres subalternes des forces armées se joignent à eux7. Favorable à un pronunciomiento institutionnel, Haya de la Torre demande toutefois aux généraux del Carmen Marín et Cuadros de prendre le commandement du groupe. Ils refusent. Le parti est mis hors-la-loi ; ses locaux sont fermés et ses dirigeants emprisonnés.
14Loin de baisser pavillon, les dirigeants du commando de défense rassemblent de nouveau les survivants du Callao et des militaires (colonels, majors, commandants) rattachés à différents corps armés. Les jeunes officiers-conspirateurs n’auront cependant pas le temps de passer à l’action : un autre coup d’État est en marche, dirigé cette fois par un membre en vue de l’estoblishment militaire, le général Manuel Odría. Qu’ils se portent à la défense des intérêts dominants ou s’allient aux forces anti-oligarchiques ; qu’ils soient le résultat d’une alliance entre des généraux et la haute direction d’un parti ; ou encore la manifestation, au niveau de la base, d’une convergence d’intérêts individuels, professionnels ou politiques, ces divers mouvements ou complots confirment le rôle clé de l’institution militaire dans un système politique incapable d’intégrer les forces d’opposition.
Le coup d’État militaire de 1948 et la crise de l’État oligarchique
15Le 27 octobre 1948, le général Odría prend le pouvoir avec l’appui de quelques généraux et d’un jeune commandant, Alfonso Llosa, soupçonné de diriger une loge militaire secrète et d’entretenir des activités subversives. Le groupe avait déjà tenté de se soulever en juillet, à Juliaca. Le pronunciomiento d’octobre était donc prévisible. À l’origine, le mouvement était de tendance anti-apriste8. Parmi les personnalités y ayant participé se trouve la famille Miró Quesada, résolue à liquider l’APRA9. Quelque temps plus tôt, Lo Prenso avait lancé une violente campagne contre le parti de Haya de la Torre, l’accusant de préparer une insurrection armée à l’échelle du pays. La filiation entre le groupe du général Odría et celui du commandant Llosa est directe et leur objectif identique : anticommunisme et rejet de l’APRA. Publié le jour même du coup, le manifeste en expose les motifs politiques et militaires. C’est au nom des forces armées et pour les préserver de l’infiltration apriste, que le général Odría prend le pouvoir.
16« On a non seulement mené la Nation à la ruine, mais de plus, on a tenté à tout instant, par divers moyens, d’affaiblir le pouvoir (…) des Forces Armées, soit par légèreté et même par complaisance devant les manoeuvres subversives de la démagogie apriste, soit par une action directe et délibérée du gouvernement (…). Le dernier soulèvement de Callao a été le résultat de cette politique, condamnable pour avoir laissé l’APRA mener sa campagne criminelle de décomposition des Forces Armées, laissant l’entière liberté aux agitateurs de cette secte internationale pour mener à terme, impunément, leurs projets inavouables de se gagner l’appui des catégories subalternes et les encourager à l’assassinat de leurs officiers et de leurs chefs (…). Malgré l’évidence que l’APRA conspirait pour instaurer un régime totalitaire, le gouvernement, avec une négligence inqualifiable, n’a rien fait pour connaître les fils conducteurs d’un complot qui n’était un secret pour personne »10.
17Le manifeste justifie également le coup d’État aux yeux des forces armées en dénonçant les réductions de dépenses et d’effectifs qui laissent la défense nationale « dans des conditions lamentables d’infériorité ». De 1945 à 1948, les effectifs militaires ont cependant augmenté, tout comme les dépenses consacrées à la défense, l’armée de terre en étant la principale bénéficiaire. Les explications officielles masquent une autre réalité : l’économie est sur le point de s’ouvrir à un processus de concentration du capital étranger, surtout dans l’industrie. D’où la mise en place d’un pouvoir fort, chargé de réaménager les rapports au sein des groupes dominants et de contrôler politiquement les autres secteurs sociaux.
18La sévérité des mesures adoptées par le général Odría soulèvent plusieurs interrogations sur la nature de la crise à laquelle prétendent répondre les auteurs du coup d’État. Le gouvernement décrète de nouveau l’exclusion totale de l’APRA et la dissolution de la Confederoción de Trobojodores Peruonos (CTP) dont la création, en 1944, avait permis d’élargir la base politique du parti. De plus, le chef de l’État impose une loi de la sécurité intérieure comparable à la suspension permanente des droits de la personne11. Particulièrement répressives, ces mesures dirigées contre le parti de Haya de la Torre – ou tout autre mouvement d’opposition potentielle – seront assorties de plusieurs dispositions, destinées à faciliter le processus de restructuration de l’économie sous l’égide du capital nord-américain.
19Prédominant dans l’exportation, l’industrie et les finances, le capital étranger connaît, au cours de cette période, un processus de concentration qui transforme la structure de classe locale. Jusqu’à maintenant, l’industrie péruvienne se limitait à quelques entreprises de biens de consommation non durables. Mais la réorientation des capitaux nord-américains va encourager le développement d’un groupe d’industriels locaux. Les intérêts agro-miniers sont encore hégémoniques. Cependant, dès 1950, les premiers signes de crise apparaissent. La diversification des classes possédantes, l’émergence de nouveaux groupes sociaux et l’expansion des couches urbaines remettent en cause la domination absolue de l’oligarchie.
20Parallèlement, le soutien de l’État au capitalisme urbain et à l’agriculture d’exportation entraîne la marginalisation croissante des secteurs traditionnels de la sierro. La mise à l’écart progressive des propriétaires terriens de l’intérieur coïncide, par ailleurs, avec le renforcement de la présence nord-américaine, principalement dans les mines. Tout en ne heurtant pas de front les investisseurs nationaux, la présence des grandes sociétés américaines modifie la situation des groupes miniers locaux. Aussi l’État s’accorde-t-il une marge d’autonomie plus étendue lui permettant d’intervenir dans la réorganisation de ces intérêts.
21En plus de remettre en cause les rapports dominants, les nouvelles politiques économiques ont des incidences sur les mouvements sociaux. L’établissement des grands centres miniers, agro-industriels et manufacturiers, l’expansion des activités tertiaires et de la construction, enfin l’innovation technologique transforment la classe ouvrière. Dans le secteur rural, le processus de concentration des capitaux s’accompagne d’une paupérisation accrue de la paysannerie. Capables de s’offrir une main d’oeuvre salariée et une technologie plus avancée, les agro-exportateurs renoncent peu à peu aux rapports de production traditionnels. L’exode croissant des ruraux vers les villes constitue l’un des principaux défis du gouvernement. Le regroupement d’une partie de la population, antérieurement dispersée, encourage en effet la prise de conscience et la mobilisation politiques de ces catégories sociales de plus en plus importantes, numériquement et en termes d’organisation. Leur contrôle exige non seulement l’imposition de mesures répressives, mais également l’adoption de politiques destinées à les apprivoiser politiquement.
22Le général Odría identifie trois secteurs susceptibles de l’appuyer : les habitants des borriodos (quartiers pauvres) ; une partie de la petite bourgeoisie dont l’essor est lié au gonflement de l’État ; enfin, certaines catégories de travailleurs industriels et d’autres groupes choisis parmi les plus vulnérables de la population. C’est dans cet esprit que sera créé, en mai 1949, le ministère du Travail et des Affaires indiennes. Grâce à l’expansion économique des premières années, le chef de l’État peut soutenir une politique salariale progressiste dans les mines, le pétrole et l’industrie manufacturière. Il accorde une prime hebdomadaire qui s’ajoute au salaire de l’ouvrier et met sur pied un programme de participation des travailleurs aux profits de l’entreprise.
23Ce clientélisme utilise l’État comme intermédiaire : le budget de 1949 était de 45 % plus élévé que celui de l’année précédente12. Toutes ces mesures – qui valent au général Odría le surnom de mild dictoto13 – s’accompagnent d’une stratégie de cooptation syndicale des secteurs les plus faibles, les travailleurs saisonniers par exemple. Mais à partir de 1952-1953, les difficultés budgétaires causées par la baisse des revenus d’exportation empêchent le général Odría de poursuivre sa politique. Plusieurs arrêts de travail se produisent, et si l’État intervient directement dans le règlement des conflits, il ne dissout pas les syndicats. Pour contrer l’influence de la CTP dominée par l’APRA et empêcher l’organisation autonome des travailleurs, il s’oriente plutôt vers la formation d’une centrale parallèle, le Congrès du travail. Toutefois, malgré ses efforts, le coudillo n’a pas réussi à générer un mouvement politique propre. Il n’a pu compter que sur des appuis ponctuels, en particulier celui des habitants des borriodos. Son populisme, en ce sens, constitue un demi-échec.
24Deux ans à peine après le coup d’État, la liberté de change a été restaurée et l’APRA maîtrisé. Les groupes dominants souhaiteraient donc renvoyer les militaires dans leurs quartiers. Mais c’était ignorer la volonté du chef de l’État de se maintenir au pouvoir. Des élections générales sont convoquées pour juillet 1950. Un front commun s’organise. Il est composé de sept partis politiques, sans existence réelle, sauf peut-être le Portido Restourodor, mis sur pied par Odría et dont le membership est assuré par les fonctionnaires, son seul appui institutionnel. Délaissé par le groupe qui l’a porté au pouvoir, le général ne peut davantage s’appuyer sur les secteurs progressistes des classes possédantes qui se sont regroupés au sein de la Ligo National Democrático et présentent la candidature du général Montagne. Cette candidature est cependant rejetée par le Jury national des élections qui soupçonne l’officier de servir de couverture au parti de Haya de la Torre.
25D’autre part, on interdit à l’APRA, au PC et au parti socialiste de participer au scrutin. Une partie de l’opposition se tourne donc vers l’action violente, circonscrite à la région d’Arequipa et au milieu étudiant. Alertée par l’action des forces de l’ordre contre les étudiants, la population se soulève à son tour. Maître de la ville pendant quelques jours, le peuple sera ensuite violemment réprimé par l’armée. Seront arrêtés en vertu de leur prétendue responsabilité dans les événements d’Arequipa : le général Montagne et le chef de la Ligo National Democrático. Désormais seul en lice, le général Odría est assuré de la victoire. Sans être négligeables, les appuis dont il disposait ne pouvaient lui permettre la tenue d’élections vraiment démocratiques. Fortement teintés de racisme, les commentaires de l’attaché britannique rappellent l’esprit dans lequel se déroulent ces élections.
26« ... le véritable Péruvien est de sang hispano-indien, sans autre mélange. La cruauté ainsi que l’indifférence à la vie et à la souffrance humaines sont les caractéristiques de cette race qui se distingue également par la superstition et la perspective politique la plus étroite, tant sur le plan national qu’international. Il est absurde de croire qu’un tel peuple pourrait comprendre la démocratie. Le Général Odría, après avoir emprisonné, exilé ou disposé d’une façon ou d’une autre de ses opposants politiques, reste le seul candidat aux élections, si on peut encore parler d’élections ; celles-ci auront lieu surtout pour satisfaire l’opinion publique et pour obtenir des fonds des États-Unis »14.
La montée de l’opposition et l’élection de 1956
27L’autonomie politique relative que s’est octroyée le général Odría et son acharnement à réprimer toute forme d’opposition ont eu pour effet de multiplier les conspirations et les tentatives de soulèvements, civils ou militaires. Paradoxalement, ce sont les militaires plus que les civils qui, dans un premier temps, se sont opposés au régime. Au cours des derniers mois de 1949, pas moins d’une vingtaine d’officiers sont emprisonnés. Tous les généraux, à tour de rôle, deviennent les chefs virtuels de mouvements subversifs. Le ministre de la Guerre, le général Noriega, et le général Merino, commandant la Ve division à Iquitos, ont bien tenté de se soulever, mais sans succès. Chez les civils, les arrestations se comptent par douzaines. Par contre, l’APRA s’abstient de critiquer le gouvernement et reste à l’écart de ces mouvements. Depuis 1948, toutes les révoltes militaires se produisent d’ailleurs sans l’appui de la population. À partir de 1952, toutefois, la politisation croissante des travailleurs renforce l’opposition au gouvernement. Des grèves éclatent au complexe sucrier Casa Grande. Arequipa, Cuzco et d’autres villes du sud sont paralysées. Les travailleurs des chemins de fer et du pétrole, enfin, déclenchent des arrêts de travail prolongés dans le nord du pays. Parallèlement, la situation économique se détériore en même temps que s’effrite le soutien des classes possédantes au régime.
28Loin d’être malléable, le général Odría s’est attribué une autonomie politique de plus en plus étendue à l’endroit de tous les secteurs de la société. Il ne tolère aucune forme de contestation, pas même celle de la droite. Sans autre moyen de s’exprimer, l’opposition, civile ou militaire, s’emploie sans relâche à comploter. Même les forces armées sont un foyer de contestation. En témoigne la révolte, en août 1954, du général Noriega, appuyé par plusieurs officiers, dont les commandants des unités les plus importantes de la garnison de Lima. Au moins douze haut gradés de l’armée passent en cour martiale. La même année, sont également arrêtés et déportés pour avoir critiqué ou conspiré contre le régime, Enrique et Carlos Miró Quesada, des députés et d’autres personnalités dont un militaire et deux civils, soupçonnés d’avoir participé à un complot
29Ces personnalités ont-elles réellement conspiré ? N’ont-elles pas plutôt voulu organiser un groupe d’opposition politique ? Quoiqu’il en soit, les mesures prises par le général Odría traduisent sa volonté de décourager tout effort en ce sens. Six mois seulement avant les élections, le nom d’un seul candidat retient l’attention : Manuel Prado, en exil depuis de nombreuses années. Contrairement à l’APRA, la droite n’a ni organisation politique, ni programme et encore moins de base populaire. Tout comme au début du siècle, elle doit trouver un candidat d’envergure nationale, accepté tant par les forces pro-gouvemementales que par l’opposition. Mais comme elle n’a pas de véritable formation politique, ce candidat serait nommé par les seuls représentants des partis, du moins de ceux qui se réclament comme tels. Le problème semble donc le même qu’il y a un demi-siècle : seule la personnalité du candidat pourrait éveiller la curiosité d’un public qui, par ailleurs, se désintéresse complètement de l’élection.
30De son côté, le général Odría tente d’imposer son propre candidat. Ses manoeuvres sont la cause du dernier soulèvement militaire avant les élections. En février 1956, le général M. Merino Pereira, ministre de la Justice dans le premier cabinet militaire, se révolte à Iquitos avec ses troupes, estimées à 5 000 hommes. Le manifeste du groupe dénonce le chef de l’État pour avoir converti l’armée en un instrument de terreur et imposé son propre processus électoral. Principal porte-parole de la critique antigouvernementale, Lo Prenso a tenu à diffuser le communiqué des rebelles. Le journal est fermé ; son propriétaire, P. Beltrán, ainsi que plusieurs personnalités, sont arrêtés sous prétexte d’être partie prenante dans le complot. Entre cent et deux cents personnes sont emprisonnées. Parmi elles se trouvent les leaders de la Coolición Notionol, regroupement des forces d’opposition, formé peu de temps après la publication, en juillet 1955, d’un manifeste réclamant la suspension de la Loi de la sécurité intérieure et la tenue d’élections. Cette arrestation met fin aux prétentions du groupe de rallier tous les partis d’opposition.
31À la veille des élections, même le parti gouvernemental se fractionne en une douzaine de petits groupes. D’autre part, l’appui de l’armée est loin d’être acquis. La révolte du général Merino, qui met en lumière l’absence de consensus des généraux, semble en effet avoir eu un certain impact chez les militaires. En février 1956, un remaniement important s’effectue au niveau du haut commandement des forces armées ; il traduit la méfiance du chef de l’État à l’endroit de ses pairs. Tout en conservant leurs fonctions ministérielles, deux généraux sont écartés du commandement direct de leurs troupes, parmi les plus importantes de Lima : le général Félix Huaman, ministre de la Justice, et le général Juan Mendoza, ministre de l’Éducation. Leurs successeurs sont connus pour leur entière loyauté au général Odría. Privé de base institutionnelle et sans appui populaire, il ne reste plus au dictateur qu’à tenter de renouer avec l’APRA, ce que fera également Manuel Prado. Deux mois avant les élections, cinq personnalités – dont deux généraux – sont entrées dans la course. Mais aucun candidat d’envergure n’émerge. Le parti gouvernemental désigne H. Lavalle comme candidat officiel ; la Coolición National choisit Manuel Prado et Acción Populor, Fernando Belaúnde Terry, dont le parti est né de la montée des secteurs moyens et populaires.
32Les premiers mouvements d’appui au candidat Belaúnde, entre autres le Frente de lo Juventud Democrático, apparaissent dans la région d’Arequipa qui, à plusieurs reprises, s’est mobilisée contre le gouvernement militaire. Ils se fondent sur des bases autres que celles de l’APRA : nouveaux segments des classes possédantes, petite-bourgeoisie de province, secteurs ouvriers, étudiants, professionnels et même paysans. Le « nouveau réformisme »15 qui émerge poursuit les objectifs suivants : soutenir l’industrialisation, élargir le marché interne et démocratiser la vie politique. Divers mouvements prennent forme et deviennent les porte-parole de ces nouvelles tendances : le Movimiento Sociol Progresisto, le Portido Demócroto-Cristiono et enfin, Acción Populor, qui obtiendra déjà plus de 36 % des voix en 195616.
33Grâce au support électoral de l’APRA, c’est cependant Manuel Prado qui l’emporte. Le parti de Haya de la Torre refait son entrée sur la scène politique officielle ; son existence légale ne sera d’ailleurs plus contestée. La convivencio, ou coexistence entre l’APRA et une partie des classes possédantes représentée par M. Prado, confère au parti un pouvoir réel grâce au contrôle exercé sur le mouvement syndical. L’APRA n’est plus, à partir de ce moment, le porte-parole exclusif des forces anti-oligarchiques. L’apparition de nouveaux partis offre toutefois une alternative : celle du réformisme démocratique. De plus en plus mobilisés politiquement, les groupes nés du développement économique et de l’urbanisation transposent maintenant leurs exigences sur la scène politique. Leurs revendications portent sur tous les plans : la santé, le logement, l’éducation, la terre, les routes.
34L’importance croissante des classes moyennes et le développement des idées réformistes ne sont pas sans influencer l’apparition, au sein des forces armées, d’un courant opposé au pouvoir oligarchique. Les rapports entre le pouvoir militaire et les intérêts agro-miniers exportateurs sont devenus plus complexes depuis l’intervention de 191417. Les difficultés qui ont surgi entre le général Odría et cette fraction des classes possédantes illustre l’ambiguïté de leur alliance. Conçu, au départ, comme un palliatif transitoire, le régime militaire risque en effet de se prolonger et de s’institutionnaliser, parfois contre la volonté des groupes dominants. En témoigne le comportement du dernier coudillo de l’histoire péruvienne, qui cherchera à se légitimer auprès des masses marginalisées des borriodos, à la fois pour endiguer un secteur de la population potentiellement dangereux et pour s’assurer une base de pouvoir personnel.
35Au milieu des années cinquante, ce « personnage du coudillo à vocation politique » s’efface cependant devant le technicien de la défense nationale. Interrompue avec la Deuxième Guerre mondiale, la modernisation des forces armées reprend à la fin du conflit sous l’égide, cette fois, des États-Unis dont la présence économique se renforce dans toute l’Amérique latine. C’est également au cours de cette période que le Pérou souscrit au Mutual Security Act signé, selon le cas, entre 1952 et 1955 par Washington et ses alliés du sud. D’un côté le Pérou reçoit des armes dans le cadre des programmes d’assistance militaire ; de l’autre les États-Unis installent des bases en territoire péruvien et pourront continuer à s’approvisionner en produits miniers.
36La professionnalisation des forces armées a, par ailleurs, des incidences directes sur les relations qu’elles entretiennent avec les classes possédantes. L’armée commence à acquérir plus de poids à l’occasion du conflit avec l’Équateur. Ses effectifs augmentent alors de 45 % en 1941 ; quatre ans plus tard, cette augmentation atteindra 132 %18. Mais ce sont surtout les transformations techniques, matérielles et organisationnelles qui convertissent peu à peu l’institution en un groupe de pression dont les intérêts risquent d’entrer en conflit avec ceux de l’oligarchie. « Les relations de subordination/domination qu’entretiennent l’oligarchie et l’armée sont chaque fois plus égalitaires et même concurrentielles, comme en témoignent les réajustements qui se font chaque année au budget de la défense et qui mettent en danger l’équilibre budgétaire »19. Les sommes consacrées aux forces armées représentent 22, 5 % et 27, 6 % du budget national en 1941 et 1949 ; elles monopolisent 2, 18 % du PNB en 1942, 2, 59 % en 1943 et 3, 03 % en 194720. Cette augmentation des dépenses militaires leur permet d’acquérir un poids spécifique tant au sein de l’État que de la société, ainsi qu’une autonomie accrue à l’endroit de l’oligarchie.
37Rarement engagées dans un conflit avec l’extérieur, mais soumises à un processus de modernisation continue, les forces armées apparaissent en effet de plus en plus comme un appareil bureaucratique permanent. Esprit de corps et valeurs institutionnelles se renforcent, faisant de l’armée une organisation non seulement moderne – comparativement aux autres appareils d’État, mais surtout plus autonome. La création du Centro de Altos Estudios Militores (CAEM) s’inscrit dans le cadre de cette modernisation. Perçu par certains analystes comme étant à l’origine de l’intérêt des officiers péruviens pour les questions de développement socio-économique, l’enseignement dispensé par le Centre constitue l’un des éléments fréquemment proposés pour expliquer la distance que prendront de plus en plus les militaires à l’endroit des classes possédantes.
Le Centro Altos Estudios Militares et la professionnalisation des forces armées
38Bien que sa création remonte officiellement à 1950, le CAEM avait déjà, quelques années plus tôt, fait l’objet d’un projet de loi. Présenté par le colonel César E. Pardo, membre de l’APRA, il avait pour objectif de développer, chez les militaires, une conscience politique qui les mettrait au service de la démocratie21. Par la suite, sous la pression du général José del Carmen Marín – sympathisant du parti de Haya de la Torre, le général Odría accepte le projet afin, semble-t-il, d’écarter momentanément les éléments contestataires qui se font jour au sein des forces armées. La création du CAEM n’est cependant pas un fait isolé. Elle coïncide notamment avec la réouverture du Wor College de Washington et avec la mise sur pied du Centro de Altos Estudios del Ejército en Argentine. De son côté, la Escolo Superior de Guerro du Brésil adopte, en 1949, un programme d’études similaire à celui du centre péruvien.
39Une étude comparée des forces armées péruviennes et brésiliennes a mis en perspective les points communs et les différences qui ont marqué leur développement institutionnel respectif22. Elle a posé, à juste titre, non pas la question de l’impact de ces écoles sur l’orientation politique ultérieure des militaires, mais bien celle du contexte historique et socio-économique dans lequel s’inscrit l’intervention des forces armées de ces pays. La création presque simultanée des centres de formation militaire ne serait d’ailleurs pas une simple coïncidence chronologique23. Elle se rattacherait plus globalement au mouvement de modernisation professionnelle qui s’est poursuivi après la Deuxième Guerre mondiale.
40À l’instar de son homologue brésilien, le CAEM entend tout d’abord se dégager de l’influence européenne et redéfinir les stratégies de défense nationale. Le Centre – où civils et militaires se penchent sur les questions de logistique – devient alors rapidement le lieu d’éclosion d’un ensemble de principes généraux relatifs à la sécurité nationale. Le lien y est établi entre l’étude du potentiel national et les possibilités d’action des forces armées dans le secteur de la défense. En 1953, la mission militaire américaine introduit au CAEM une version espagnole de l’ouvrage Foundotions of National Power24 qui, tout en proposant une méthode d’analyse des problèmes de logistique, fait une incursion dans les secteurs politique, économique et social, bases du pouvoir national. Ainsi le Centre s’ouvre-t-il, dès le départ, à des activités dépassant les compétences militaires traditionnelles.
41Quelques années plus tard, la révolution cubaine et la réorientation de la politique étrangère des États-Unis en Amérique latine encouragent l’armée à développer ses activités extra-professionnelles. En réponse à l’expansion du mouvement communiste international, une partie de l’aide américaine s’oriente vers la formation idéologique des forces armées. Washington leur propose un nouveau type d’engagement : l’action civique et la lutte anti-insurrectionnelle. C’est le CAEM qui, au Pérou, se fera l’écho de cette nouvelle orientation. Rappelant l’expérience américaine entreprise dix ans plus tôt, il ouvre ses portes à des civils, professionnels et fonctionnaires rattachés en particulier aux ministères des Affaires étrangères, des Finances et du Développement.
42Afin d’éclairer les militaires sur l’évolution, le fonctionnement et les besoins du pays, la direction du Centre confirme également sa volonté d’associer les administrateurs publics à ses activités ; l’inscription de civils aux cours offerts par l’école faciliterait, en effet, la coordination entre la politique générale de l’État et les objectifs de la défense nationale. D’autre part, à partir de 1957, tout en imposant des critères de sélection plus rigoureux, le CAEM accueille des officiers de la marine, de l’armée de l’air, de la Guordio Civil et de la police. Au même moment, le CAEM cesse d’être lié au seul commandement de l’armée de terre pour passer sous le contrôle du commandement conjoint des forces armées, créé en 1957.
43Parallèlement à cette rationalisation de l’organisation militaire, le Centre se consacre à l’élaboration d’un appareil conceptuel qui restera, cependant, à l’état embryonnaire. La notion de « bien-être général de la nation » fait désormais partie intégrante de la défense nationale. Leur identification progressive suggère d’emblée la prise en charge par les forces armées, principal instrument de la défense nationale, de tout projet de développement. L’un et l’autre aspects ne pourront plus être dissociés. Par ailleurs, le développement national étant étroitement lié à la sécurité de l’État, le CAEM introduit la notion de « sécurité intégrale », reconnaissant implicitement le contrôle de l’État sur l’ensemble de la vie sociale. Dans une conférence prononcée en 1959, le directeur du Centre, M. Romero Pardo, aborde enfin le thème de la souveraineté nationale, indissociable du bien-être collectif et de la sécurité intégrale ; il y affirme notamment l’indépendance absolue de la nation à l’égard de tout autre pouvoir ainsi que l’inviolabilité de son patrimoine25.
44Après de tels propos, on s’attendrait à voir le CAEM prendre position sur les liens de dépendance qu’entretiennent les forces armées avec les États-Unis. Pourtant, sans être ignorée des autorités militaires locales, la domination américaine n’a fait l’objet d’aucune étude. Seul le général del Carmen Marín, directeur du Centre en 1955, s’est permis de souligner qu’une augmentation des dépenses militaires dépassant les ressources financières du pays pourrait compromettre son développement économique. D’où l’urgence d’accroître le potentiel national26. Mais c’est seulement plus tard que la dépendance des forces armées en matière d’armement se fera véritablement sentir : tout d’abord en 1965, avec le refus des États-Unis d’approvisionner en napalm les troupes anti-guérillas ; puis en 1967, quand ils interdiront la vente d’avions supersoniques au Pérou. Ces faits, parmi d’autres, contribueront à tracer le cadre d’émergence d’une politique étrangère péruvienne relativement plus indépendante, qui connaîtra ses déploiements les plus significatifs entre 1968 et 1975.
45Entre-temps, l’esprit « desarrolliste » des militaires commence à poindre. Déjà le rapprochement des notions de défense nationale et de développement permettait d’anticiper cette nouvelle orientation. Mais à partir de 1959, l’importance accordée aux études socio-économiques amène d’emblée le CAEM sur le terrain de l’intervention politique. Bien-être, progrès, liberté économique et souveraineté : tels sont les objectifs nationaux identifiés par le général del Carmen Marín27. Sa volonté de diriger les officiers d’état-major vers la prise en charge du développement national se précise ; il souhaite développer l’esprit de gestion des forces armées et adopter une politique de planification.
46Ce voeu ne restera pas lettre morte : la junte militaire qui prend le pouvoir en 1962 jette les bases d’un Institut national de la planification. D’autre part, au cours de cette période, le CAEM tente de justifier l’incursion des forces armées dans le champ des études non militaires. L’examen des questions socio-économiques compléterait la formation des officiers ; du même coup, le haut commandement serait plus apte à collaborer efficacement avec les organes supérieurs de l’État où s’enracine la politique de défense. D’ores et déjà, il paraît exclu de confiner les officiers supérieurs à des préoccupations strictement militaires.
47Commune à la plupart des écoles de formation des armées latino-américaines, cette évolution semble toutefois particulièrement marquée dans le cas du CAEM qui revendique explicitement un rôle de tout premier plan dans la conduite des affaires de l’État. Souhaitant participer directement et de manière décisive à l’élaboration des politiques gouvernementales, le Centre propose même, en 1959, de se convertir en un organisme permanent de coordination, l’Institut de la défense nationale. Toutes les activités d’un pays étant rattachées plus ou moins directement à la défense, la réalisation d’un tel projet aurait pu avoir un impact considérable sur les institutions politiques. D’où la réserve du président Manuel Prado qui aurait déclaré : « Avec la création de l’Institut de la défense nationale, je resterais les bras croisés, sans occupation »28. Encouragées par le CAEM à jouer un rôle à tous les niveaux de la vie politique – rôle qu’elles assumeront pleinement à partir de 1968, les forces armées peuvent, toutefois, se percevoir déjà comme l’élite chargée du développement national.
48Par ailleurs, au moment où surgissent les premiers foyers de guérillas, les militaires péruviens sont déjà familiarisés avec l’idée de « développement préventif » comme moyen de lutte contre la subversion29. Couramment utilisées au CAEM depuis 1958, les notions d’« ennemi intérieur », de « guerre révolutionnaire » et de « frontières idéologiques » sont désormais indissociables de la « défense de la structure politico-administrative et de l’ordre social »30. L’intérieur du pays devenant leur nouveau champ de bataille, les forces armées luttent maintenant pour la défense du front interne et contre la désintégration de l’ordre social. À aucun moment le Centre ne remet donc en cause l’orientation capitaliste de l’économie. Il glorifie, au contraire, les valeurs démocratiques et chrétiennes qui ont façonné l’histoire du pays. D’ailleurs le directeur du CAEM fait sienne la préoccupation des États-Unis concernant l’expansion du communisme qui, depuis la victoire cubaine, apparaît comme une menace plus immédiate. Aussi, le moment venu, souscrit-il d’emblée à la politique de défense interaméricaine. Après avoir rappelé comment la politique des États-Unis en Amérique latine a évolué au cours des années soixante, nous tenterons d’évaluer la portée des programmes d’action civique au Pérou ainsi que la formation reçue par les forces armées dans le cadre des programmes d’assistance militaire. Nous analyserons, enfin, les conséquences de la réorientation de la politique américaine de ventes d’armes dans le sous-continent.
Les programmes d’assistance militaire américains (1960-1968)
49Avec la victoire cubaine qui établit un régime prosoviétique aux portes des États-unis, l’Amérique latine devient un enjeu de la guerre froide. Washington modifie sa politique de défense. D’abord conçu pour affronter une agression extérieure, le système de sécurité hémisphérique devient un outil au service de la « défense du front interne ». L’aide militaire s’institutionnalise et prend de l’ampleur. En 1959, le Mutual Security Act identifie les forces armées comme les principaux agents de modernisation dans les pays du Tiers-Monde et affirme qu’elles doivent se consacrer aux travaux d’infrastructure et aux activités liées au développement économique31. Les relations entre Washington et les forces armées latino-américaines deviennent plus étroites : dès le début des années soixante, les militaires américains sont présents dans la plupart des pays du sous-continent. En 1963, le département de la Défense des États-Unis et l’Agence internationale de développement reconnaissent que les programmes d’aide militaire poursuivent des objectifs nettement politiques32. Parallèlement se met en place l’Alliance pour le Progrès qui prétend s’attaquer aux causes des mouvements révolutionnaires, tout en éloignant les forces armées du champ politique et en renforçant la démocratie. En plus de développer chez les militaires une « mentalité civile et désarrolliste », l’Alliance devait réduire, à moyen terme, les conflits et la course aux armements dans le Tiers-Monde.
50Les promoteurs de ces programmes n’ont pas manqué d’en faire valoir les avantages. Grâce à l’action civique, le personnel militaire étranger devait accroître sa compétence technique, mettre à l’épreuve son sens des responsabilités et faire l’apprentissage d’un leodership démocratique33. En élevant le niveau de vie des pays moins développés, l’action civique devait augmenter la confiance de la population envers son gouvernement et son armée, seule institution suffisamment stable pour résister au communisme34. Disposant d’une main d’oeuvre bien disciplinée, de moyens de transport et de communication et ayant fait la preuve de leur compétence administrative et technique, les militaires du Tiers-Monde sont perçus par leurs homologues nord-américains comme beaucoup plus aptes à jouer un rôle sur le plan intérieur qu’à faire face à une agression extérieure35.
51Au début des années soixante, les dictatures militaires traditionnelles ont disparu. Mais les risques d’intervention des forces armées dans le champ politique apparaissent d’autant plus élévés que les programmes d’assistance militaire ont renforcé leur autonomie institutionnelle. Après l’échec de l’Alliance pour le Progrès, le processus se poursuit : avec ou sans développement, l’armée continue d’être un acteur permanent de la vie politique. Une nouvelle étape s’amorce dans l’évolution du militarisme latino-américain : en Argentine, au Pérou, au Brésil et en Bolivie, les forces armées prennent le pouvoir pour une période indéterminée. Parallèlement, le département de la Défense joue un rôle plus actif dans l’élaboration de la politique étrangère américaine. Les programmes d’assistance militaire connaissent un nouvel essor, mais l’aide économique décroît. De plus, à partir de 1966, les crédits octroyés à l’achat d’armements augmentent et les ventes se substituent en partie aux dons. Le rapport entre les uns et les autres s’inverse progressivement : en 1953, les dons s’élevaient à 1,96 milliards de dollars et les ventes à seulement 230 millions ; en 1968, par contre, les dons n’atteignent plus que 466 millions de dollars, mais les ventes représentent 2 milliards de dollars par année36. Résultat des pressions exercées par certains groupes d’intérêts dont l’objectif est de mettre fin à la politique de cession de matériel, ce renversement confirme le relâchement du contrôle gouvernemental sur les ventes d’armes.
52Par ailleurs, la finalité des programmes d’assistance militaire américains étant d’assurer la sécurité intérieure des pays bénéficiaires, Washington adopte certaines mesures pour les contraindre à abandonner l’acquisition de matériel sophistiqué et à s’orienter vers l’équipement anti-subversif. Considérant qu’un pays latino-américain risque peu de s’engager dans un conflit avec l’extérieur, les partisans de cette politique attirent l’attention sur les liens existant entre sécurité intérieure et développement ; les dépenses encourues à l’entretien de forces militaires de type conventionnel devraient donc être affectées au développement socio-économique37.
53Aussi les États-Unis se réservent-ils désormais le droit de suspendre l’aide économique des pays qui détourneraient des fonds consacrés à des programmes sociaux urgents vers l’acquisition d’équipement militaire sophistiqué. Soumises à ces contraintes, les forces armées n’en ont pas moins réussi à réduire leur dépendance à l’endroit de Washington, en reprenant à leur compte et en reformulant les thèmes de sécurité et de développement, et ce à partir des trois axes de rayonnement de l’aide militaire américaine : l’action civique, la formation technique et idéologique et enfin, les ventes de matériel.
54Comparativement à sa superficie et à sa population, le Pérou a été l’objet privilégié de l’aide américaine accordée aux pays d’Amérique latine dans le cadre de l’action civique. Mais il n’a pas attendu le feu vert de Washington pour mettre en marche des programmes de développement pris en charge par les militaires. Dès 1925, des garnisons travaillaient, en effet, à relier, par courrier aérien, certaines régions de la sierro et de la selvo aux centres importants de la côte. En 1949, l’action civique devient partie intégrante du service militaire obligatoire. Elle s’oriente alors vers des projets de développement régional : réseau routier, colonisation, irrigation, encadrement des communautés paysannes. Le haut commandement militaire se préoccupe d’ailleurs de revaloriser les forces armées aux yeux de la population. Ministre dans le gouvernement Odría, le général J. Mendoza déclarait relativement au rôle des militaires : « leur mission (…) n’est pas d’inspirer la crainte, mais de se faire respecter et admirer pour leur dévouement au service de la patrie et de la communauté »38. Les associant à la mission préventive de l’armée qui consiste à assurer la sécurité intérieure et collective, le général se fait donc l’ardent défenseur de l’action civique. Perçus comme un facteur de développement et d’intégration nationale, ces programmes allaient permettre l’ouverture de nouvelles aires de production et encourager l’investissement privé, en plus d’entretenir en permanence un réservoir de main d’oeuvre spécialisée39.
55Cet intérêt pour l’action civique a d’ailleurs fait du Pérou un précurseur et un promoteur de ces projets. En 1958, délégué à la Junte interaméricaine de la défense, le général Mendoza propose aux armées latino-américaines de créer des unités spéciales affectées au développement économique40. L’ouverture de voies de communication dans la selvo, l’exécution de certains travaux portuaires et surtout la lutte contre le communisme constituent des arguments de poids : après la révolution cubaine, le Junte interaméricaine de la défense adoptera, à l’unanimité, le projet soumis par le Pérou deux ans plus tôt. Particulièrement réceptif à cette formule de mise au travail des militaires, le pays devient, de 1962 à 1966, l’un des principaux bénéficiaires de l’aide consacrée à l’action civique. L’éducation et le développement en sont les champs d’intervention les plus significatifs, l’expérience acquise sur le terrain étant, simultanément, un facteur de modernisation des forces armées.
56Adhérant pleinement aux principes de l’action civique, certains représentants des forces armées péruviennes ont, à l’époque, identifié le défi à relever : s’engager dans des activités qui, sans les éloigner de leur finalité première, contribuent à élever le bien-être général de la population. Parmi ces activités, la création de centres de formation professionnelle semble avoir suscité beaucoup d’intérêt. En plus d’y former des techniciens en télécommunications, en électronique et en équipement lourd, l’armée y a préparé le personnel de troupe à l’exercice de divers métiers : menuiserie, serrurerie, mécanique. S’adaptant aux besoins et à l’économie de chaque région, ces centres ont eu pour fonction, entre autres, de développer le sens du travail communautaire chez les stagiaires et de créer la réceptivité nécessaire au moment où s’amorçait l’étape de l’industrialisation.
57D’autre part, la modernisation et l’efficacité de l’état-major, « modelé à l’image et à la ressemblance de l’entreprise industrielle des pays développés »41, plaçaient les militaires en situation d’avant-garde et justifiaient leur prétention à exercer une influence sur le développement national. Au début des années soixante, l’armée péruvienne s’est donc résolument engagée dans un processus de modernisation, associée au renforcement de son rôle dans le développement socio-économique et la prévention de la guerre révolutionnaire. « Les objectifs de l’État, bien-être et sécurité, sont interdépendants ; ce qui se fait pour promouvoir le bien-être a des incidences sur la sécurité et réciproquement (…). D’autre part, nous reconnaissons la nécessité de travailler par tous les moyens à élever le niveau de vie de la population afin de combattre le communisme qui exploite les contradictions sociales des régions sous-développées »42.
58La conscience d’avoir à jouer un rôle dans la promotion du « développement intégral » de la nation s’exprime – pour la première fois peut-être de manière aussi radicale et explicite – dans un ouvrage publié par le CAEM en 1963, mais tout aussitôt interdit : El Estodo y su político generol : determinoción de objetivos nocionoles43 . Préparé par un groupe de civils inscrits au Centre, le document dénonce le libéralisme économique, la politique de « bon voisinage » et l’Alliance pour le Progrès. Il prend à partie les grands propriétaires terriens, les exportateurs et les entreprises nord-américaines. Il se fait même le porte-parole des pays latino-américains et exprime leur volonté de suivre l’exemple cubain. Enfin, et surtout, le document met l’accent sur l’urgence de réformer l’État et ses appareils administratifs.
59Quelques années plus tôt, le directeur du CAEM avait lui-même adopté une position similaire. Deux facteurs, selon lui, menaçaient la sécurité nationale : tout d’abord, l’impérialisme ; ensuite, l’influence néfaste de certains groupes locaux « qui demeurent aveugles, insensibles et indifférents devant les problèmes nationaux et qui, au lieu de coopérer pour atteindre le degré le plus élevé de bien-être pour tous les citoyens, se préoccupent uniquement de la satisfaction de leurs propres intérêts »44.
60Du coup, les classes possédantes s’alarment d’un tel radicalisme ; le gouvernement de Manuel Prado réclame la dépolitisation des forces armées et la direction du CAEM doit réaffirmer la subordination de ses troupes. Toutefois, les travaux, discussions et prises de position de l’école ou de ses représentants n’ont pas été sans influencer les milieux militaires. En 1962, les forces armées reprennent le pouvoir. En tant qu’institution, le Centre ne participe pas au coup de force, ni à l’élaboration des politiques des nouveaux dirigeants. Mais certains textes, contenant en germes les mesures adoptées par ce gouvernement, pourraient bien être l’oeuvre de personnalités liées au CAEM45.
61Entretemps, les guérillas éclatent et l’évolution du Centre s’en trouve modifiée. On assiste au retour en force du concept de défense nationale qui éclipse celui de bien-être collectif. La sécurité de l’État est alors conçue en termes strictement militaires. En 1965, l’accent est mis sur la préservation de l’ordre public et les études relatives à la défense nationale. La subversion est attribuée non seulement à des causes d’ordre interne, mais également à une véritable déclaration de guerre du bloc soviétique. À partir de ce moment, le CAEM réduit sensiblement le temps consacré aux études non militaires46.
62Mais c’est seulement en 1966 que le Centre se penche avec le plus d’attention sur le phénomène de la guerre anti-subversive. L’apparition du concept de « défense totale » – qui a une dimension à la fois militaire, civile, politique, économique et psychologique – traduit bien la hantise suscitée par l’explosion des guérillas, un an plus tôt. Tout en réajustant certains de ses enseignements théoriques, le CAEM continue toutefois à établir un lien entre action anti-subversive et développement socio-économique. Un an avant l’instauration du régime dont il sera l’une des personnalités marquantes, le général Edgardo Mercado Jarrín, alors commandant de l’École militaire de Chorillos, réaffirme l’interdépendance de l’un et de l’autre, rejoignant la thèse soutenue par le CAEM.
63« Toute action préventive contre la subversion (…) exige la réalisation d’importants programmes de développement politique, économique, social et psychologique. La stratégie militaire ne peut alors demeurer à l’écart. La lutte contre-révolutionnaire a, en effet, resserré les liens entre stratégie politique et militaire et leur interaction ne peut désormais se limiter au seul moment des opérations contre-insurrectionnelles, mais doit se poursuivre en tout temps... »47.
64En plus de reconnaître que la persistance des écarts socio-économiques alimente un état de subversion, le général dénonce la timidité des réformes entreprises par certains gouvernements et propose déjà une série de mesures, notamment la transformation des structures agraires. Comment l’un des représentants les plus en vue de l’armée péruvienne en vient-il à prendre une telle position ? Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer la remise en cause de l’ordre existant par une institution qui, juqu’à maintenant, s’était portée à la défense de l’oligarchie. Les courants d’idées transmis par le CAEM viennent d’être évoqués. D’autres facteurs cependant interviennent dans cette évolution. Le fait qu’en 1965, l’armée soit confrontée aux mouvements de résistance paysanne n’est pas étranger à cette prise de conscience en faveur d’un changement socio-économique.
65L’entraînement reçu dans le cadre du Military Assistance Program (MAP) porte fruit : les militaires écrasent les guérillas. Mais, parallèlement, les réticences de Washington à leur vendre du matériel sophistiqué conduisent les forces armées à diversifier leurs sources d’approvisionnement et ouvrent la voie au relâchement des liens de dépendance à l’endroit des États-Unis. Tout en rappelant quelques données permettant d’évaluer l’aide militaire américaine au Pérou, la section suivante retracera l’origine du conflit qui éclate entre Washington et Lima, peu avant la prise du pouvoir par les généraux réformistes.
66Au début des années soixante, la réorientation de la politique d’assistance militaire américaine aux pays du Tiers-Monde se traduit par une augmentation des sommes consacrées à l’entraînement des forces armées. L’impact de ces programmes de formation sur la trajectoire politique des militaires est difficilement mesurable48. Signalons toutefois quelques données situant le Pérou dans l’ensemble latino-américain49.
Tableau 2. Programme international d’éducation et de formation militaires, 1950-1972*
Argentine | 10 622 |
Bolivie | 9 893 |
Brésil | 13 794 |
Chili | 14 227 |
Colombie | 10 267 |
Équateur | 10 170 |
Nicaragua | 8 496 |
Pérou | 13 800 |
République dominicaine | 6 766 |
Vénézuela | 10 735 |
Source : USA Defense Security Assistance Agency, Foreign Military Sales, Foreign Military Construction Sales and Military Assistance Facts, Washington, sept. 1982, p. 65.
67En 1959, 4 700 000 dollars étaient affectés à l’entraînement des militaires du sous-continent aux États-Unis. Cette somme atteignait 8 700 000 dollars en 1960, 10 000 000 en 1961 et 18 900 000 en 196250. La prise du pouvoir, au Pérou, cette année-là, par des officiers ayant fréquenté les grandes écoles américaines aurait amené les responsables des programmes de formation à s’interroger sur leur capacité à développer le sens des valeurs démocratiques chez les militaires. Dès l’année suivante, on donnera la préférence à une formation sur le terrain, par des équipes mobiles. Les fonds destinés à l’entraînement des armées latino-américaines passent alors de 19 600 000 dollars en 1963 à 13 000 000 en 1964, à 12 000 000 en 1965 et à 14 200 000 en 196651. Le nombre de militaires inscrits comme stagiaires aux États-Unis ou à Panama est de 31 632 entre 1950 et 1965, mais il s’élève déjà à 63 019 en 197252.
68Par ailleurs, le Pérou est l’un des premiers bénéficiaires de l’aide américaine. Il se situe en effet parmi les trois pays latino-américains ayant reçu les sommes les plus importantes dans le cadre du programme de formation militaire. Il occupe également le second rang, après le Brésil, pour le nombre de militaires entraînés par les États-Unis au cours de cette période, bien que leurs populations et leurs effectifs ne soient nullement comparables. Entre 1947 et 1967, 324 officiers péruviens et 80 % des lieutenants et capitaines ont suivi les cours de la US Army School for Latin America à Fort Gulick53 ; de 1960 à 1965, 49 % des généraux péruviens en service actif avaient reçu une formation à l’étranger dont 75 % aux États-Unis et le reste en France, en Italie, en Grande-Bretagne et en Belgique54 ; entre 1950 et 1969, 562 techniciens de l’aviation péruvienne ont fréquenté l’ Inter-American Air Force Academy de Panama qui, depuis la révolution cubaine, prépare des spécialistes de la lutte anti-subversive55.
69D’autre part, le Pérou obtient une part importante de l’assistance financière et militaire accordée par Washington aux pays d’Amérique latine. Entre 1950 et 1965, il reçoit ainsi du matériel militaire, sous forme de dons, pour une valeur de 59, 3 millions de dollars ; il se situe alors au troisième rang après le Brésil (171, 6 millions) et le Chili (66, 1 millions)56. Comme pour le nombre de militaires entraînés dans les écoles nord-américaines, l’aide varie suivant les pays et n’est pas nécessairement proportionnelle à la taille des armées. Ces variations sont attribuables soit à la capacité d’un pays d’autofinancer son développement militaire (c’est le cas de l’Argentine), soit à l’appréciation par le Pentagone des menaces potentielles qui pèsent sur lui – c’est le cas du Pérou et de la Colombie où l’émergence des guérillas expliquerait l’importance de l’aide reçue57.
70Enfin, si l’on considère la dépendance budgétaire de certains pays latino-américains pour la période 1953-1966, on voit que le Pérou occupe le second rang avec 18, 9 % de ses dépenses militaires couvertes par l’aide américaine58. On ne peut cependant établir une correspondance immédiate entre ce type de variables et le nombre d’interventions militaires se produisant dans un pays donné. Avec moins de 3 % de leur budget financé par les États-Unis, certaines dictatures comme l’Argentine sont aussi peu dépendants à cet égard que le Mexique ou le Vénézuéla59. Quel que soit le niveau de l’aide reçue, celle-ci ne garantit donc pas la fidélité des militaires. En 1965-1966, conformément à leur politique de ne vendre aux armées du continent que des armes légères, les États-Unis refusent au Pérou le droit d’acheter des avions F-5. L’armée se tourne alors vers l’Europe et fait l’acquisition de 78 chars d’assaut AMX-30 et de dix Mirage français, d’une valeur de 30 et de 25 millions de dollars respectivement.
71Dans les années cinquante, la crise du système de domination commence à ébranler l’ensemble de la société. Voulant se garantir des conditions optimales leur permettant de défendre la nation et de maintenir l’ordre interne, les forces armées ne sont pas indifférentes à ces tensions. Les premières mesures adoptées par le gouvernement militaire qui prend le pouvoir en 1962 constituent un indice des changements à l’oeuvre au sein de l’armée. Avant d’aborder cet aspect, il convient toutefois de situer les transformations affectant l’économie entre 1950 et 1968, transformations qui annoncent un déplacement des intérêts d’une partie des groupes dominants.
La crise économique
72Au cours des années trente et quarante, la production minière a connu un certain déclin. L’adoption, en 1950, du Codigo de minerío a pour objectif de freiner la crise qui menace l’ensemble du secteur et d’encourager à la fois la pénétration des capitaux étrangers et l’expansion des entreprises nationales60. Les nouvelles mesures garantissent aux compagnies minières qu’elles ne subiront aucune hausse de taxes au cours des vingt-cinq prochaines années. Les incitations gouvernementales ne tardent pas à porter fruit. Le capital étranger investi au Pérou passe de quatre millions de dollars en 1950 à 42 millions en 1951 et à 69 millions l’année suivante, dont les deux-tiers s’orientent vers les mines et le pétrole61. Le secteur des classes possédantes intéressé à l’exploitation minière tire également avantage de l’assouplissement du système de taxation qui lui permet de réinvestir une plus grande partie de ses profits.
73L’emprise croissante des sociétés nord-américaines sur les gisements miniers les plus importants ne suscite aucune opposition de la part des entrepreneurs locaux, majoritairement associés à l’exploitation du zinc et du plomb. De 1949 à 1953, sur 24 nouvelles compagnies de taille significative, seulement deux ne sont pas contrôlées et financées localement ; en 1956, les entreprises péruviennes contrôlent 62 % de la production de plomb et 47 % du zinc62. Le capital étranger domine toutefois l’exploitation des gisements qui requièrent d’importants investissements à long terme. C’est le cas du cuivre de Toquepala, mis en valeur par Southern Peru Copper Corporation (SPCC), établie en 1952. C’est le cas également du fer exploité par Marcona Mining Co., fondée la même année avec une participation minoritaire de la famille Prado.
74Parallèlement, la mainmise étrangère sur le développement minier se confirme. En 1950, 49 % de la production des métaux relèvent des cinq entreprises étrangères les plus importantes ; en 1960, leur part est de 73 %. Les compagnies Marcona et SPCC augmentent leur production de zéro à 45 % entre 1950 et 1960. De 1957 à 1970, les capitaux étrangers participe majoritairement au développement de 14 des 20 nouveaux complexes miniers dont seulement trois peuvent être qualifiés d’entreprises nationales63. En 1968, enfin, les trois-quarts environ de la production minière sont directement contrôlés par SPCC, Marcona et Cerro de Pasco qui assurent également près de 85 % de la transformation et de la mise en marché64. À partir de 1950, on assiste cependant à un arrêt des investissements, à la fois dans les entreprises étrangères et dans le secteur contrôlé par des nationaux. Reflet de la crise, le taux de croissance annuel de la production qui se situait entre 13 % et 20 % au tout début des années soixante, retombe ensuite à seulement 2 % ou 3 %65. L’État, par l’intermédiaire de Banco Minero, entreprend alors de se substituer au capital privé péruvien.
75Dans le secteur pétrolier, suite à l’épuisement des ressources, aucun nouveau gisement ne sera exploité au cours des deux prochaines décennies. Mais pour relancer l’industrie, le gouvernement du général Odría adopte certaines réglementations. À partir de 1952, l’État peut octroyer de nouvelles concessions et en fixer les modalités d’opération. Les compagnies étrangères ne seront pas les seules bénéficiaires de ces mesures. Les entreprises nationales – dont deux des plus importantes sont propriété des familles Gildemeister et Beltrán – profiteront également de certains privilèges. Cependant, la politique gouvernementale ne réussira pas à protéger l’industrie des contrecoups d’une mise en valeur intensive et de l’absence de nouvelles exploitations. En 1964, le pétrole ne représentera plus que un pourcent des exportations péruviennes ; quatre ans plus tard, le pays est devenu importateur d’or noir et le commerce extérieur est déficitaire de 12, 4 millions de dollars66.
76Parallèlement, les capitaux péruviens se retirent. Empreso Petrolero Fiscol (EPF) devient la seule entreprise nationale rentable en opération. L’État se durcit progressivement à l’endroit des compagnies étrangères et des désaccords surgissent, en particulier au sujet des prix de vente du pétrole sur le marché local. En réaction à l’augmentation de taxes décrétée en 1959, les compagnies préparent visiblement leur sortie. De chef de file des exportations, l’industrie pétrolière est devenue un simple fournisseur du marché local. D’où un réaménagement des intérêts des groupes qui lui sont liés et une baisse de leur influence politique.
77Deux étapes marquent l’évolution du secteur agricole à partir de 1950. La première (1952-1962) se caractérise par la réalisation de vastes projets d’irrigation ; la production sucrière augmente alors de 63 % et celle de coton de 59 %. La seconde (1962-1967) voit la production totale de sucre baisser de 4 % et celle de coton de 34 %. D’où une diminution progressive des exportations de sucre qui, de 87 % du total des exportations au début des années trente, n’en représente plus que 60 % au début des années soixante et moins de 50 % dix ans plus tard. D’autre part, les terres consacrées antérieurement à la culture du coton s’orientent désormais vers la production vivrière. Le développement des textiles synthétiques contribue également à la décroissance du secteur. D’où une chute significative des exportations : la production de coton baisse de plus du tiers de 1960 à 197067.
78Deux autres raisons expliquent le déclin des cultures traditionnelles : d’un côté la priorité accordée, au cours des années soixante, aux projets d’infrastructure routière au détriment de l’irrigation et de l’expansion de l’agriculture côtière ; de l’autre l’internationalisation du secteur agricole d’exportation, les grands propriétaires terriens entretenant des liens étroits avec les entreprises étrangères. Une enquête de 1969 montre, en effet, que des dettes importantes ont été contractées auprès des banques américaines et que seulement deux des grandes plantations sont alors entièrement contrôlées par des nationaux68.
79Parmi les activités qui profitent des politiques adoptées par le gouvernement du général Odría, l’industrie de la pêche connaît une expansion remarquable : sa production augmente de cinq à six fois entre 1948 et 1956. Mais après la guerre de Corée, les mesures protectionnistes réduisent de 80 % à 44 % les exportations péruviennes de poisson vers les États-Unis. Pour compenser cette perte, les entreprises de pêche se tournent vers la production de nourriture animale et d’engrais industriels, fabriqués à base d’anchois. Le projet soulève toutefois l’opposition des exportateurs qui utilisent de préférence le guono et exercent un monopole sur le marché des fertilisants. Dans un premier temps, le gouvernement de Manuel Prado restreint les importations et limite la création de nouvelles entreprises. Mais de 1959 à 1962, pour équilibrer la balance des paiements, il adopte certaines politiques d’appui au secteur de le pêche, dont les exportations passeront de moins de 10 % à 20 % du total des exportations péruviennes entre 1956 et 196269.
80Cependant, à partir de cette date, plusieurs signes de crise apparaissent. L’anchois a été exploité au maximum et des contraintes naturelles limitent sa capacité de reproduction. De plus, une offre excédentaire de produits péruviens a fait baisser les prix sur le marché mondial. D’autre part, la participation des capitaux étrangers aurait augmenté de 10 % en 1963, à 20 % ou 30 % en 1967. Certains y voient l’amorce d’un processus de dénationalisation ; d’autres, au contraire, croient que l’apparition de quelques multinationales n’a pas réussi à déplacer les entreprises nationales. Loin de refléter un affaiblissement du capital local, la disponibilité et la rapidité avec laquelle les capitaux nationaux s’engouffrent dans le secteur des pêcheries confirmeraient ainsi la thèse selon laquelle le blocage progressif des autres secteurs d’exportation ne serait pas d’origine financière, mais relèverait de facteurs structurels, externes ou tout simplement de contraintes naturelles70.
81La crise qui survient en 1963 favorise la concentration de l’industrie. Plus directement touchées par la chute des prix internationaux et les pressions exercées par leurs créanciers, les petites entreprises sont progressivement éliminées : leur nombre diminue de 25 % entre 1965 et 196971. Et malgré une reprise de la production au cours des années subséquentes, les tendances déjà notées se renforcent : en 1969, les cinq plus grandes entreprises se partagent environ la moitié de la production dont le tiers est sous contrôle étranger72. L’industrie tire également avantage de la hausse croissante de la valeur des produits de la pêche. L’exploitation intensive permet aux dirigeants de maintenir l’équilibre précaire de la balance des paiements et de masquer, du moins provisoirement, la crise qui menace l’ensemble de l’économie.
82À la fin des années cinquante, la crise de l’ensemble des produits d’exportation finit par vaincre la résistance à l’égard des politiques d’industrialisation73. En 1957, en effet, le taux de croissance stagne ; le volume total des exportations n’augmente que de 3 % – comparativement à 8 % en 1956 – et l’investissement privé ne croît que de 10 % – comparativement à 40 % en 195674. Les importations continuent toutefois d’augmenter malgré le déclin du secteur exportateur. La balance des paiements se détériore rapidement. Initialement, l’industrialisation se développe dans le cadre de certaines activités de soutien et de transformation rattachées à l’exportation. La réorientation partielle des investissements et la promotion de l’industrie manufacturière ne sont pas, cependant, le résultat d’un projet cohérent qui refléterait explicitement les priorités d’un groupe.
83Pour sa part, le gouvernement du général Odría adopte progressivement une attitude plus souple à l’endroit des industriels. Malgé des restrictions imposées à Banco Industrial dont la participation baisse comparativement aux autres activités bancaires appuyées par l’État, la part du secteur manufacturier dans le PNB croît légèrement de 1950 à 195575. Le taux annuel de croissance industrielle atteint alors 8 %, mais l’essentiel des activités industrielles reste étroitement lié à l’exportation. De 1945 à 1950, les biens de consommation manufacturés représentent toujours 15 % des importations totales, proportion qui tend à augmenter au cours des années cinquante76. On ne peut donc encore parler d’un processus d’industrialisation par substitution d’importations ; il ne s’amorcera qu’à la fin de la décennie.
84Dès le milieu des années cinquante, les entreprises sont toutefois suffisamment diversifiées pour qu’il soit possible de tracer une ligne de démarcation plus nette entre intérêts exportateurs et industriels. Conjointement ou séparément, capitaux étrangers et nationaux se tournent vers le secteur industriel. En 1960, le tiers des activités manufacturières est encore lié à l’exportation, mais une réorientation vers la substitution de biens intermédiaires (produits chimiques, papier, ciment) et de biens d’équipement (secteurs des mines et de la pêche) est déjà perceptible.
85Adoptée par le Congrès en 1959, la Loi de la promotion industrielle ne cache pas la communauté d’intérêts entre classes possédantes locales et capitaux étrangers, favorables à un certain développement industriel. Le programme d’exemptions des droits de douane à l’importation d’équipement et de biens intermédiaires ainsi que les suppressions de taxe sur le réinvestissement des profits ne dissocient pas les entreprises nationales des sociétés étrangères. La volonté d’accueil à l’endroit des capitaux étrangers est manifeste. Dans le secteur manufacturier, elle se traduit par l’ouverture du crédit local aux entreprises non péruviennes. Du coup, on assiste à la mainmise des capitaux étrangers sur le secteur bancaire : 36 % du total des actifs bancaires sont sous contrôle étranger en 1960 et 62 % en 196877.
86D’autre part, en 1960-1966, la pénétration des investissements directs étrangers s’accompagne d’une très forte concentation de presque tout le secteur manufacturier. Plus de la moitié de la production totale (bière et imprimerie exceptées) sont sous contrôle étranger ainsi que plus des trois-quarts de la production de biens intermédiaires (produits métalliques manufacturés, instruments et appareils électriques, équipement de transport)78. En 1968, les 79 entreprises manufacturières les plus importantes contrôlent environ la moitié des ventes et des actifs fixes du secteur manufacturier. Seulement 20 d’entre elles appartiennent entièrement à des nationaux ; 41 sont propriété étrangère79. Peut-on alors parler d’un déplacement du capital national par le capital étranger ? Pas vraiment car, des 242 sociétés étrangères dénombrées dans le secteur manufacturier en 1969, pas moins de 68 % existent depuis 1960 ; 5 % seulement ont pris la relève de compagnies péruviennes. Le dynamisme du capital étranger est du reste le premier responsable de l’accélération du taux de croissance industrielle : 9 % par année entre 1960 et 1965 ; la part de l’industrie dans le PNB atteint 17 % en 1960, 17,6 % en 1963 et 19,4 % en 1967. La participation de l’industrie apparaît d’autant plus significative si on la compare à la décroissance du secteur agricole qui, de 18, 1 % du PNB en 1963, passe à 15, 6 % en 196780.
87Dernière conséquence de la nouvelle orientation de l’économie où la présence active des capitaux étrangers est décisive : l’accroissement de la dépendance technologique et l’augmentation des importations de biens d’équipement et de produits intermédiaires industriels. À court terme, le drainage financier qui en résulte au chapitre de la dette externe conduit à une crise structurelle à laquelle tenteront de répondre les réformes entreprises à partir de 1968. Avant d’analyser le noyau dur de cette crise, nous nous attarderons maintenant à l’un de ses signes avant-coureurs : le coup d’État militaire de 1962. Pour la première fois, l’armée semble vouloir s’écarter de sa ligne politique traditionnelle. Le programme de la junte au pouvoir en 1962-1963, ses balbutiements et ses incohérences, constituent un indice du bouillonnement qui agite la société et gagne les forces armées sur lesquelles continuent de s’exercer les pressions des forces politiques civiles.
Notes de bas de page
1 D’après D. Sulmont, op. cit., p. 189.
2 Ce parallèle est de V. Villanueva, El APRA y el ejército, p. 74-75.
3 Discours de J.L. Bustamante y Rivero. Great Britain, Correspondence of the Foreign Office, 29 février 1948.
4 Ibid.
5 E. Chirinos Soto, « La política peruana en el siglo XX », in J. Pareja Paz Soldán (éd.), op. cit., p. 72.
6 V. Villanueva, El APRA y el ejército.
7 Pour une description des événements : V. Villanueva, Lo revolución opristo del 1948 : Trogedio de un pueblo y un portido, Lima, 1973.
8 Id., El APRA y el ejército, p. 67. Un entretien de l’auteur avec un officier ayant participé au complot confirme l’orientation anti-apriste du groupe.
9 La rédaction du manifeste de Juliaca est généralement attribuée à Carlos Miró Quesada. Sur les activités de ce groupe, cf. : Correspondence of the Foreign Office, 1948 et 4 avril 1949.
10 Manifeste du général M.A. Odría, 27 octobre 1948, V. Villanueva, El APRA y el ejército, p. 97-99.
11 Le caractère hautement répressif de cette loi en vigueur de 1948 à 1956 ne trouverait pas d’équivalent ailleurs en Amérique latine, tout au moins jusqu’en 1955, date à laquelle la Conférence latino-américaine des libertés a effectué une étude comparée des législations répressives du continent. V. Villanueva, Ejército peruono, p. 254.
12 J. Cotler, op. cit., p. 293.
13 Selon H.L. Matthews, « Peru’s President says he will quit », New York Times, 14 avril 1955.
14 Correspondence of the Foreign Office, 28 juin 1950.
15 Selon la formule de D. Sulmont, op. cit., p. 234.
16 J. Cotler, op. cit., p. 301.
17 H. Favre, « El desarrollo », p. 93-94.
18 V. Villanueva, Ejército peruono, p. 235.
19 H. Favre, « El desarrollo », p. 94.
20 V. Villanueva, Ejército peruono, p. 240.
21 D’après une entrevue accordée par V.R. Haya de la Torre en octobre 1970. V. Villanueva, El CAEM, p. 29.
22 L.R. Einaudi et A. Stepan, op. cit.
23 Contrairement à ce que laisse entendre V. Villanueva, El CAEM, p. 37.
24 H. Sprout (éd.), Foundotions of National Power : A Syllobus, Princeton, 1945. Une copie de l’ouvrage, en langue espagnole, aurait circulé parmi les étudiants inscrits au CAEM. Ibid., p. 45.
25 M. Romero Pardo, Conferencio de Arequipo (1959). Ibid., p. 63.
26 J. del Carmen Marín, Exposición del Generol Director del CAEM con ocosión de lo visito del Colegio Nocionol de Guerro de los Estodos Unidos de Norteomérico (14 mai 1955). Ibid., p. 71-72.
27 Id., Síntesis doctrinorio del proceso de preporoción y ejecución de lo defenso nocionol (1960). Ibid., p. 84.
28 V. Villanueva, El CAEM, p. 120.
29 C. Astiz, « El ejército peruano en el poder : contrainsurgencia, desarrollo o revolución », Aportés, n° 26, oct. 1972, p. 21-22.
30 M. Romero Pardo, Discurso de clousuro del oño ocodémico del CAEM (1959). V. Villanueva, El CAEM, p. 126.
31 Report of the President ’s Committee to Study the US Military Assistance, Draper Committee Report, vol. I. Washington, 17 août 1959.
32 Proposed Mutual Defense and Assistance Programs Fiscal Year 1964, Washington, 1963.
33 Sur les objectifs des programmes d’action civique, cf. W.F. Barber et C. Neale Ronning. Internal Security and Military Power. Counterinsurgency and Civic Action in Latin America, Colombus, 1966.
34 Heorings hefore the Committee on Appropriotions, US Senate, 88th Congress, Ist Session, Washington, 1963 ainsi que Heorings before the Committee of Foreign Relotions, US Senate, 88th Congress. 1st Session, Washington, 1963.
35 Speech given by Col. W.R. Swonn, Commondont of the US Army Civil Affoirs School, annual conférence of the Military Government Association. Hartford, 12 juin 1962.
36 G. Thayer, The Wor Business. The Internotionol Trode in Arms, New York. 1969, p. 186.
37 R. McNamara, The Essence of Security. Reflections in Office, New York, 1968, p. 28-29.
38 Cité dans L. Valdez Pallete, « Antecedentes de la nueva orientación de las Fuerzas Armadas en el Perú », Aportes, janvier 1971, p. 164.
39 Ibid., p. 165.
40 J. Mendoza Rodríguez (Gén.), « Ponencia del Pérú en la Junta Interamericana de Defensa », Revisto de lo Escuelo Superior de Guerro, n° 2, avril-juin 1961, p. 112-114.
41 E. Mercado Jarrín (Gén.), « El ejército de hoy y su proyección en nuestra sociedad en período de transición (1940-1965) », Revisto Militor del Perú, n° 685, nov.-déc. 1964, p. 6. Pour une analyse plus critique, cf. C. Astiz, « El ejército peruano ».
42 Ibid., p. 14.
43 CAEM, Lima, 1963. On peut en lire des extraits dans V. Villanueva, El CAEM, p. 85-87.
44 J. Aroseña, Discurso de clousuro del oño ocodémico de 1960, Centro de Altos Estudios Militares, Lima, 1960. Ibid., p. 129.
45 V. Villanueva, El CAEM, p. 206-210. L’un des directeurs du CAEM, le général Romero Pardo, assisté de cinq de ses professeurs, présentera également un projet recommandant, entre autres, la création d’un Institut national de la planification, projet qui fut adopté par le gouvernement militaire.
46 En 1965, le temps consacré aux études non militaires passe de 38 % à 22 %, alors qu’il représentait 28 % en 1958, 47 % en 1959 et qu’on prévoyait même leur allouer les deux tiers du temps disponible. Ibid., p. 108 et 141.
47 E. Mercado Jarrín (Gén.), « Insurgency in Latin America : Its Impact on Political and Military Strategy », Military Review, vol. 49, n° 3, mars 1969, p. 16-17. Au Pérou, le lien entre lutte anti-subversive et développement est apparu avant les années soixante. Dès 1957, en effet, le directeur du CAEM – qui faisait un séjour en Algérie pour y observer les techniques françaises – soulignait l’importance des dimensions socio-politiques de la guerre anti-subversive. En 1962, le lieutenant-colonel M.A. de la Flor Valle – l’un des officiers identifiés au réformisme militaire et qui a suivi les cours de l’état-major de l’armée française – publiait également un article, « La guerra en Argelia », Revisto de lo Escuelo Superior de Guerro, n° 9, oct.-déc. 1962, p. 19-44, où il reprochait à la France d’avoir négligé les aspects socio-économiques de la lutte anti-subversive.
48 A. Rouquié, L’Étot militoire, p. 164 et suiv. Sur les programmes de formation militaire. cf. W.D. Wolpin, op. cit. et NACLA, US Training Programs for Foreign Military Personnel. The Pentogon’s Protégés, vol. X, n° 1, janvier 1976.
49 Pour un compte rendu des programmes américains d’aide au Pérou avant 1960, cf. USA House, Committee on Government Operations. Foreign Operations and Monetary Affairs Committee. United States Aid Operations in Peru : Hearings. November 14, 1960-May 18, 1961. 87th Congress, 1st Session, Washington, 1961.
50 R.P. Case, « El entrenamiento de militâtes latinoamericanos en los Estados Unidos », Aportes, n° 6, oct. 1967, p. 48.
51 Ibid., p. 51.
52 USA Defense Department, mai 1967, ibid., p. 55 et USA Defense Security Assistance Agency, Foreign Military Sales, Foreign Military Construction Sales and Military Assistance Facts, Washington, sept. 1982, p. 27.
53 L. Einaudi, Peruvian Military Relations with the United States, Santa Monica, juin 1971, p. 37.
54 Ibid., p. 36-37.
55 Ibid.
56 USA Department of Defense, Military Assistonce Facts, mars 1966 et US Congress House, Committee on Foreign Affairs, Foreign Assistonce Act, 1966 : Heorings, part I, p. 1040, tableau publié par USA Department of the Army, Latin America and the Caribbeon ; onolyticol survey of literoture, Washington, 1969, p. 291.
57 A. Rouquié, L’Étot militoire, p. 167.
58 D’après A. Joxe, Los Fuerzos ormodos en el sistemo político de Chile, Santiago, 1970, p. 103.
59 D’après A. Rouquié, L’Étot militoire, p. 176-177.
60 Sur la crise de l’industrie minière cf. E. Dore, « Crisis and Accumulation in the Peruvian Mining Industry, 1968-1974 », Latin American Perspectives, vol. IV, n° 3, été 1977, p. 77- 102.
61 R. Thorp, « Inflation and Orthodox Economic Policy in Peru », Bulletin of the Oxford University Institute of Economics and Stotistics, vol. 29, n° 3, août 1967, p. 188.
62 R. Thorp et G. Bertram, op. cit., p. 210.
63 Ibid., p. 212, 217 et 221.
64 E.V.K. Fitzgerald, The Politicol Economy of Peru, 1956-1978, Cambridge, 1979, p. 111.
65 R. Thorp et G. Bertram, op. cit., p. 221.
66 Ibid., p. 224.
67 Ibid., p. 231,234, 238.
68 Ibid., p. 235-236.
69 D’après B. Caravedo Molinari, « The State », p. 107 et 112.
70 R. Thorp et G. Bertram, op. cit., p. 247-251.
71 D’après B. Caravedo Molinari, « The State », p. 114-115.
72 D’après E.V.K. Fitzgerald, The Politicol Economy, p. 114.
73 Sur la crise de l’industrie péruvienne cf. E.V.K. Fitzgerald, The Politicol Economy, p. 260-292 et J. Weeks, « Backwardness, Foreign Capital, and Accumulation in the Manufacturing Sector of Peru, 1964-1975 », Latin American Perspectives, vol. IV, n° 3, été 1977, p. 124-145.
74 R. Thorp, op. cit., p 190-191.
75 En termes de pourcentage, la participation de Banco Industrial dans le total des prêts octroyés par les banques minière, agricole et industrielle est effectivement passée de 27, 2 % en 1951 à 9, 5 % en 1955, indiquant très clairement les priorités du gouvernement du général Odría. R. Thorp et G. Bertram, op. cit., p. 407.
76 Ibid., p. 261.
77 Ibid., p. 266.
78 Ibid., p. 267 et 409.
79 E.V.K. Fitzgerald, The Stote and Economie Development : Peru Since 1968, Cambridge, 1976, p. 19.
80 R. Thorp et G. Bertram, op. cit., p. 267 ; The Economist Intelligence Unit, Quorterly Economic Review of Peru, Bolivia, Annual Supplement 1969, Londres, p. 3.
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