Don Salvador, ses quatre femmes et ses treize enfants1
p. 251-259
Texte intégral
1Don Salvador Moreno Davila s’était marié avec doña Salvadora de la Corte y León, à Cadix, au mois de juillet 1744. Le même jour, son frère aîné, don Benito, prenait pour femme doña Maria Margarita de la Corte y León1. Les deux frères s’étaient mariés avec deux sœurs, en présentant comme témoins le père, une tante et un frère des jeunes filles. Les mariés avaient tous entre vingt et vingt-cinq ans, et faisaient là un bon mariage, au bon moment de la vie, encouragés par les familles respectives. Les parents se connaissaient, en effet, depuis longtemps, étaient devenus amis et voisins, et leurs enfants avaient été élevés ensemble. Nous ne savons pas ce que faisait Bartholomé Moreno, le père des garçons, mais seulement que lors du baptême de ses enfants il ne portait pas de titre de noblesse ou d’anoblissement. N’empêche, il avait pu s’offrir le luxe et l’honneur de faire étudier le droit à ses rejetons, dans les prestigieuses universités de Grenade et de Séville. Avocats frais diplômés, don Bernardo et don Benito étaient de bons partis pour doña Salvadora et doña Maria Margherita, issues d’une famille d’officiers de l’armée de terre.
2Un mariage bien comme il faut, le premier des quatre qu’enchaîna don Salvador. Puisque doña Salvadora mourut sept ans après son mariage, à vingt-huit ans, quarante jours après avoir accouché de son quatrième enfant, qui ne survécut à sa mère que pendant deux ans2. Comme il le dira dans ses testaments, don Salvador n’aimait pas le deuil et encore moins son rituel ; pour lui-même, il demandait à « être enterré au couvent de San Juan de Dios [hôpital pour hommes], invocation de la Sainte Miséricorde, avec un office de medias honras, sans l’assistance d’aucune confrérie, sans voiture respectable, sans enlever les décorations de la maison ni les rideaux, et qu’il n’y ait aucun repas ni avant ni après l’enterrement qui ne soit l’ordinaire de tous les jours3 ». Il appliqua ce principe d’abord vis-à-vis de sa première femme : même pas deux mois après la mort de doña Salvadora, il se maria avec doña Francisca de Herrera. Un mariage célébré en secret4, pour ne pas scandaliser les paroissiens. Une vie matrimoniale qui dura seulement neuf mois, puisque doña Francisca mourut en couches avec son bébé. Par-delà les sentiments, ce second mariage avait fait reculer la position économique de don Salvador, comme il le signale crûment dans l’un de ses testaments : « Entre les frais de noces, ceux occasionnés pour acheter des nouveaux meubles et la décoration de la maison, les cadeaux à sa femme et à sa parentèle, quelques vacances en dehors de la ville, la préparation du trousseau pour l’enfant, et les dépenses d’accouchement et de funérailles5. »
3Don Salvador fit aussi le deuil de sa seconde femme assez rapidement, car il se maria une troisième fois sept mois après, le 18 août 17526. Alors que pour les deux premières il avait pris femme chez des Espagnols, sinon des Gaditans de souche, il se maria en troisièmes noces avec une descendante d’Anglais, née à Cadix, doña Rosa Grant y Estrange. Son troisième mariage dura plus longtemps que les précédents, et doña Rosa mourut de tuberculose le 3 février 1763, après lui avoir donné quatre enfants7. Elle lui donna aussi la migraine, et cinq ans après leur mariage don Salvador déposa une demande en séparation auprès du tribunal ecclésiastique8.
4Il en était arrivé là, « constatant l’impossibilité de vivre en compagnie d’elle sans une cohabitation tellement désagréable qu’elle devenait insupportable, au point de rendre désirable la séparation comme seul remède pour avoir la quiétude de l’esprit et une vie de paix ». Pourtant, il avait fait tout son possible pour la rendre heureuse : il lui avait remis toutes les clefs de la maison, confié le pouvoir sur les domestiques, laissé à son arbitre les courses et la cuisine, permis qu’elle sorte quand elle voulait et qu’elle reçoive les amis de son goût, aussi bien femmes qu’hommes. Il sortait souvent avec elle se promener et l’amenait au théâtre, il lui avait ouvert un compte auprès d’un cordonnier et d’un tailleur, et « à chaque Pâque et aux jours de son Saint il lui avait offert des cadeaux, sans jamais être remercié, au contraire en lui disant que ses cadeaux ne valaient rien, ne servaient à rien, en les lui jetant à la figure ». Don Salvador tolérait que doña Rosa « sur les épaules de sa souffrance fabrique le palais de ses goûts ». Ce qu’il lui « demandait était seulement de ne pas ameuter la maison, de ne pas se disputer sans cesse avec les domestiques, qu’au moins quand il était là qu’elle fasse montre d’être, sinon contente, au moins supportable : ce que jamais il n’avait réussi à obtenir, ni avec des flatteries, ni avec des reproches, ni en faisant la sourde oreille, ni en la secondant en tout, car sur les sept jours de la semaine elle était de mauvaise humeur au moins les six, en se mettant dans son alcôve quand je montais la voir, souvent sans me dire ni bonjour ni bonne nuit, sans venir à table lorsque je l’appelais, et quand elle y venait, elle s’asseyait sans dire un mot à personne ni regarder quelqu’un en face, la plupart du temps en quittant la table sans manger, et quand elle parlait c’était pour s’en prendre à quelqu’un ». Le mauvais caractère de sa femme, dont faisait état don Salvador, s’accompagnait de crises dépressives : « Son superbe entêtement à ne jamais céder amenait souvent doña Rosa, pour le moindre motif, à rester trois, quatre ou cinq heures sans arrêter de pleurer, criant cent mille absurdités, des mots sans aucun sens, et chacun d’eux capable de provoquer l’homme le plus patient. »
5 En pensant que la cohabitation dans une famille recomposée heurtait la jalousie de son épouse, don Salvador essaya plusieurs solutions. Il mit d’abord les enfants issus du premier mariage, avec sa belle-sœur qui s’en était toujours occupée et une servante, dans l’« entresol un peu obscur de la maison ». Ils les plaça ensuite au couvent de la Candelaria. Puis il loua la maison contiguë à la sienne pour mieux les loger, et enfin il les casa dans une maison qu’il avait achetée à Puerto Real, faisant pendant un an, toutes les fins de semaine, le voyage à l’autre bout de la baie de Cadix pour aller voir ses enfants.
6Mais rien n’y fit, aucun arrangement n’était suffisant pour amener la paix au foyer. Aussi, après avoir consulté deux religieux, don Salvador et doña Rosa décidèrent de se séparer. À l’amiable, sans faire de bruit. Finalement, doña Rosa et sa petite fille allèrent s’installer dans la maison de Puerto Real, les enfants du premier lit et la belle-sœur de don Salvador revenant à Cadix. En mari attentionné, don Salvador tint à assurer à doña Rosa « un train de vie de la plus grande décence, avec les plus grandes commodités de maison, une nourrice, une cuisinière, une servante et un serviteur, et tout l’argent qu’elle voulait à son gré ; ce qui ne lui évita pas, quatre ou cinq jours après, lorsqu’il alla la voir, d’être accueilli avec le plus grand desamor ». Les choses ne devaient pas s’arranger, pendant les quelques mois que doña Rosa résida à Puerto Real, déterminant don Salvador à poser sa demande officielle de séparation, appuyée par les témoignages de six domestiques, qui confirmèrent ses affirmations, son récit de la vie conjugale, et les griefs qu’il faisait à sa femme.
7À lui-même, don Salvador ne faisait aucun reproche. Comme il se peignait à la fin de son réquisitoire au juge, « il était de caractère doux, suave, altruiste et attentionné envers toute sa famille ». Il ajoutait que, « pendant qu’il avait vécu avec ses deux premières femmes, on n’entendait pas dans la maison un mot de travers, sinon une union et une entente enviables, alors qu’en compagnie de cette dernière c’est toujours et partout la rumeur et l’émeute ». La description qu’il faisait de sa vie quotidienne corroborait cette image d’honnête homme, aimant la tranquillité, entouré par ses êtres chers. « Ma vie consiste en me lever le matin à six heures, aller dans mon bureau, sortir à la Bourse de commerce (Casa de contratación), revenir à dix heures aux occupations de mon cabinet, déjeuner, faire la sieste dans une chambre où se couche un serviteur, au réveil retourner dans mon bureau, sortir très tard au jeu des boules, aller à l’heure de la prière à la maison de don Diego de la Corte [son beau-frère] pour jouer aux cartes, revenir chez moi à dix heures du soir, prier, dîner, et aller me coucher en compagnie d’un de mes frères ou d’un serviteur. » La routine, sagement remplie, d’un homme « à qui on ne connaissait, ni chez lui ni à l’extérieur, aucun loisir illicite ».
8 Une semaine avant de présenter sa demande de séparation au tribunal épiscopal, don Salvador avait écrit une lettre à sa femme, qu’il joignit au dossier. Suite à un préambule dans lequel il manifestait à « Rosa, fille, combien il désirait qu’elle revienne vivre avec lui, d’une part pour éviter les incommodités des voyages récurrents, la nécessité de diminuer les frais d’entretien de deux maisons, et aussi parce qu’il était raisonnable de vivre ensemble comme Dieu le veut », il lui faisait une proposition. Elle aurait habité la plus grande partie du rez-de-chaussée de la maison de Cadix, avec tout le confort qu’elle désirait, tandis que sa mère, sa belle-sœur et ses enfants du premier mariage habiteraient l’appartement à l’étage, lui-même se réservant la portion congrue du bas pour son bureau et sa chambre, donã Rosa aurait été libre de monter à l’étage pour prendre ses repas, ou de se les faire apporter dans son appartement ; en plus de tous ses frais payés, elle aurait eu 5 pesos par mois pour son propre compte. Ainsi « tout le monde vivrait ensemble, la rumeur publique s’arrêterait, on éviterait des dépenses inutiles, et il aurait une certaine quiétude ».
9Quinze jours après, doña Rosa faisait parvenir au tribunal ecclésiastique une lettre dans laquelle elle faisait sa propre proposition d’accord. Elle demandait un appartement indépendant et confortable, où vivre et fréquenter qui bon lui semblait, sans aucune obligation envers la famille de son mari, 15 pesos par mois pour elle, plus 5 autres pour la nourrice de sa fille, laissant à son mari, et seulement à lui, la possibilité d’entrer chez elle quand il voulait, doña Rosa disait que cet accord avait été conclu en commun avec son mari, bien qu’il n’y eût que sa signature en bas de l’écrit. Passa une autre semaine et, le 31 juillet 1757, don Salvador fit une nouvelle proposition d’accord à sa femme, en présence de deux religieux. Après avoir souligné, quelques jours auparavant9, que les termes de l’accord conclu entre eux comportaient la « séparation seulement en ce qui concerne l’habitation commune10 », il réitérait son offre de lui laisser la plus grande partie du rez-de-chaussée de la maison, la pension et le confort promis, mais à condition de vivre voisins dans la même maison, « étant proches pour l’union dans le lit conjugal (quoad thorum), ce que tu sais j’ai toujours sollicité, et pourquoi je me suis obligé à te payer une maison indépendante, quant tu avais proposé la séparation absolue, et d’aller vivre avec ton beau-frère ». doña Rosa ne voulut pas, dans un premier moment, accepter cet accord, mais, au milieu du mois d’août, elle finit par regagner Cadix et la partie de la maison que lui avait assignée son mari.
10 L’accord définitif avait été paraphé le 2 septembre 1757. Il comportait des modifications importantes par rapport aux précédents. Quant à doña Rosa, elle alla s’installer dans l’appartement à l’étage de la maison, « qu’elle avait toujours convoité », et, « considérant que l’allocation de 15 pesos mensuels était faible, mon mari doit me donner 30 pesos par mois pour mon entretien, dont je ferai ce que je voudrai, avec la seule obligation de recevoir mon époux à déjeuner ou à dîner quand il le voudra ». Par ces élargissements, don Salvador obtenait l’engagement de sa femme « qu’elle prenne soin de mes habits de couleur, et qu’elle maintienne notre union quoad thorum, restant à mon plein arbitre de monter chez elle à n’importe quelle heure, et laissant à la susdite la possibilité de descendre dans mon bureau et dans mon alcôve quand elle le désirera ». Là, ils signèrent tous les deux, et l’Église donna sa bénédiction.
11Deux mois après leur réconciliation en ces termes, le 11 novembre 1757, don Salvador se plaignait encore, devant le juge ecclésiastique, qu’en dépit de toutes ses générosités, sa femme persévérait dans son mauvais caractère, insultant sa famille et les domestiques. Baroud d’honneur d’un homme qui ne supportait décidément pas sa femme, en dehors des moments passés ensemble au lit. Des relations sexuelles qui, outre le plaisir, donnèrent naissance à quatre enfants, dont trois moururent en bas âge, une seule fille, dona Salvadora, survivant à sa mère, qui succomba de tuberculose en 1763. C’est ce que nous apprend le premier pouvoir testamentaire, dicté par don Salvador en 176511. À quarante et un ans, veuf de trois mariages, il lui restait trois enfants du premier lit : doña Michaela, âgée de dix-neuf ans, célibataire, doña Maria Eusevia, dix-huit ans, mariée à don Vicente Pulciani, avocat des Reales Consejos, don Jayme, dix-sept ans, cadet du régiment de Séville. Et la petite doña Salvadora Moreno y Grant, âgée de huit ans. Onze ans plus tard, en 1776, lors de son second pouvoir testamentaire12, don Salvador n’avait plus que deux héritiers directs, doña Maria Eusevia et don Jayme Moreno y la Corte, devenu lieutenant-colonel de l’armée royale, ses deux filles ayant fait les vœux d’entrer en religion, laissant leur légitime à leur père.
12Cependant, un an après, don Salvador s’empressa de légitimer une liaison amoureuse qu’il entretenait depuis quelques années déjà. Ayant obtenu la dispense de la publication des trois bans, il se maria en secret, au soir du 3 avril 1777, avec doña Antonia Segni y Yzquierdo13. Pour son quatrième mariage, don Salvador avait pris pour épouse la fille d’un Génois installé à Cadix, de vingt-trois ans sa cadette, qu’il fréquentait, d’après les dires des témoins, depuis huit ans, et dont il avait eu, quatre ans auparavant, un enfant. Alors, le II avril 1773, il fit baptiser le petit Salvador comme « son fils naturel, et de mère célibataire inconnue ». Maintenant, par le mariage, don Salvador légitimait en même temps son fils et donnait un nom à sa mère. À son épouse, don Salvador donnait aussi une dot composée de la coquette somme de huit mille pesos et de bijoux de valeur, « de ma libre volonté et en juste compensation de sa virginité, son honneur, son âge de mineure, et d’autres bonnes qualités14 ».
13Doña Antonia fut investie par son époux, deux ans plus tard, du pouvoir de tester à son nom15. Elle avait accouché d’un petit Manuel Moreno y Segni et par la suite donna deux autres enfants à don Salvador. Mais sur les quatre enfants, l’un mourut huit jours après sa naissance, Salvador (l’enfant naturel légitimé) décéda d’une mort soudaine à ses quatorze ans, et doña Antonia également précéda son mari dans le tombeau. Quand il rédigea son testament, en 1790, il avait déjà enterré une de ses filles du premier mariage, doña Maria Eusevia, morte en 1786. Si bien qu’à part la madre Michaela et la madré Salvadora, moniales, ne lui restaient comme héritiers qu’un enfant du premier lit, don Jayme Moreno y la Corte, et Manuel et Felipa Moreno y Segni, enfants mineurs âgés de dix et onze ans au moment du testament paternel.
14Don Salvador Moreno Davila finit lui aussi par mourir, dans l’après-midi du 5 février 1791, à soixante-sept ans. Le notaire qui, accompagné de témoins et d’un juge civil, pénétra dans son alcôve, « l’appela trois fois, à haute voix, par son nom et surnom, et comme il ne répondit à aucune d’elles ni donna signe de vie, il décréta qu’il était bien mort ». L’ouverture de son testament révéla un peu plus la fortune qu’il s’était bâtie, cachée dans ses précédents pouvoirs testamentaires derrière le renvoi à « une mémoire secrète » qu’il conservait dans un coffre de sa chambre. Le diplômé en droit de l’université de Grenade, qui n’avait apporté aucun capital lors de ses deux premiers mariages, avait fait une brillante carrière d’avocat d’affaires, et avait obtenu la charge d’agent fiscal de la douane de Cadix. Quand, peu avant sa mort, il avait cédé ce bénéfice à son gendre, don Vicente Pulciani, il l’avait évalué à trente ou quarante mille pesos. À cette rente, et peut-être aussi en profitant de la position qu’elle lui conférait, don Salvador avait pu ajouter les gains d’importantes transactions commerciales, avec les Indes en particulier. Deux mentions de crédits de plusieurs milliers de pesos, objets de contentieux avec ses associés ayant financé l’expédition de marchandises aux Indes, figurent sur son testament. Mais ce ne sont que des indices de sa fortune, que don Salvador garda cachée toute sa vie, et dont seuls ses exécuteurs testamentaires devaient prendre connaissance après son décès. Dans le codicille à son testament, qu’il dicta quelques jours avant sa mort16, il signalait que dans le coffre en fer de sa chambre, outre l’inventaire de ses biens, on trouverait également des bijoux incrustés de brillants, d’or et d’argent, ainsi que des horloges valant plusieurs milliers de pesos. Il possédait au moins deux grandes maisons à Cadix, trois à la Isla de León, une à Chiclana de la Frontera et une autre à Puerto Real. Pour être juste envers ses enfants du dernier mariage, encore mineurs, il faisait état dans son testament d’avoir donné en dot à sa fille doña Maria Eusevia, outre meubles et bijoux, deux maisons à Cadix, et d’avoir aidé son fils don Jayme dans sa carrière militaire pour la valeur de soixante mille pesos.
15En plus de l’importance de sa fortune, don Salvador cachait très probablement autre chose. Dans son testament, il disait qu’il entretenait depuis deux ans une petite fille de huit ans, Maria de los Dolores, dans un couvent du Puerto de Santa Maria. Il indiquait que c’était la fille d’un petit épicier marié à une ancienne servante de sa maison, doña Augustina Ramirez, et qu’en raison de l’affection qu’il lui portait, il voulait qu’elle jouisse d’une rente de onze pesos par mois durant toute sa vie. D’autre part, l’une des premières clauses de son testament disait « qu’il fallait retirer de son capital un cinquième et le mettre à disposition de son frère, don Pedro Moreno Davila, qui l’aurait distribué selon les fins qu’il lui avait communiquées oralement, sans que personne d’autre le sache, car il s’agissait de questions d’acquits de conscience, de son honneur et de celui d’autres individus ». Il avait payé, cher, « pour ça », toute sa vie, il continuait à le faire même après sa mort.
16Quant à la descendance légitime de don Salvador, nous savons que son fils don Jayme Moreno y la Corte était devenu capitaine d’infanterie de l’armée royale à Madrid, continuant sa vie de célibataire, comme sa sœur et sa demisœur moniales, et que don Manuel Moreno y Segni était mort à vingt ans, en 180017. Après quatre femmes et treize enfants, nous ne lui connaissons qu’un seul petit-enfant : doña Maria de los Dolores Moreno y Moreno. Elle était née en 1796 de la dernière fille de don Salvador, doña Felipa Moreno y Segni, qui s’était mariée à quinze ans avec son cousin germain, don Salvador Moreno y Balado, fils d’un des frères de son père, don Pedro18. Sa mère, qui s’était empressée de tester en 1803, après la mort de son frère don Manuel, suivie par celle de son mari, en 1800, était très riche, possédant quatre belles maisons à Cadix, deux à Chiclana de la Frontera, et une ferme sur le finage de cette ville. Elle vécut longtemps après, puisque sa fille Maria de los Dolores Moreno y Moreno n’ouvrit son testament qu’en 185119, héritière de biens considérables et de surnoms traduisant l’unité familiale d’un lignage un peu plus compliqué.
Notes de bas de page
1 Archivo Diocesano de Cadiz [désormais ADC], Expedientes matrimoniales, leg. 302, año de 1744.
2 Archivo Historico Provincial de Cadiz [désormais AHPC], Protocolos Cadiz, 1b. 2195, fol. 27- 34 (12 janvier 1779) : « Poder para testar : don Salvador Moreno Davila à doña Antonia Segni ».
3 AHPC, Protocolos Cadiz, 1b. 1856, fol. 637-640 (15 juin 1765) : « Poder para testar : don Salvador Moreno Davila à don Benito Moreno Davila y otros ».
4 ADC, Expedientes matrimoniales, leg. 330, año de 1751, Matrimonio secreto. Tellement secret que le dossier de mariage, daté du 28 avril 1751, ne comporte que l’acte de sépulture de doña Salvadora de la Corte (22 mars 1751), et l’acte de baptême de doña Francisca de Herrera (14 décembre 1719), sans toutes les autres pièces figurant normalement dans l’instruction du mariage auprès de l’évêché.
5 AHPC, Protocolos Cadiz, 1b. 2195, fol. 27-34 (12 janvier 1779).
6 ADC, Expedientes matrimoniales, leg. 334, año de 1752. Ce dossier de mariage a été largement dévoré par les vers, et est devenu malheureusement illisible.
7 AHPC, Protocoles Cadiz, 1b. 1856, fol. 637-640 (15 juin 1765).
8 ADC, Varios, Divorcios, leg. 1198, año de 1757, fol. 75-v.
9 Pièce versée au dossier le 27 juillet 1757, signée par lui.
10 La formule de séparation entre époux, dictée par le droit canonique, était d’être séparés quoad thorum et mutuam cohabitationem.
11 AHPC, Protocolos Cadiz, lb. 1856, fol. 637-640 (15 juin 1765).
12 AHPC, Protocolos Cadiz, lb. 2190, fol. 1463-1472 (2 octobre 1776).
13 ADC, Expedientes matrimoniales, leg. 433, año de 1777 : « Matrimonio secreto ».
14 AHPC, Protocolos Cadix, 1b. 2227, fol. 197-225 (ig avril 1790) : « Testament » de don Salvador Moreno Devila ».
15 AHPC, Protocolos Cadiz, lb. 2195, fol. 27-34 (12 janvier 1779).
16 AHPC, Protocolos Cadiz, lb. 2227, fol. 132-136 (27 janvier 1791).
17 AHPC, Protocolos Chiclana, lb. 231, fol. 464-465 (4 novembre 1800) : « Poder para testar : don Salvador Moreno y Balado à don Pedro Moreno y otro ».
18 AHPC, Protocoles Cadiz, 1b. 416, fol. 313-318 (23 mars 1803) : « Testamento de dona Felipa Moreno y Segni ».
19 Ibid., en marge du fol. 313.
Notes de fin
1 Quand, voici vingt ans, j’avais demandé à Christiane Klapisch-Zuber de diriger mes études, je lui disais qu’en réalité j’aurais voulu écrire un roman historique. Elle m’avait répondu que c’était une bonne idée, et que j’aurais pu commencer par dépouiller des registres fiscaux. Depuis, la passion historique a eu le dessus sur mes velléités littéraires, et j’ai écrit de manière scientifique, c’est-à-dire souvent pédante et indigeste pour les non-initiés. Cependant, à chaque fois que l’un de mes amis non historiens me dit la difficulté qu’il éprouve à me lire, le désir enfoui d’essayer d’écrire l’histoire pour le plus grand monde refait surface dans ma conscience. Je me permets ici d’offrir à Christiane ce bref essai de récit historique, écrit avec une rigueur méthodologique ne laissant la place à rien d’autre qu’aux documents et aux informations qu’ils contiennent, sauf pour des raisons de style et de liaison logique. Il s’agit d’une dizaine de pièces d’archives, comportant au total 136 feuillets écrits sur les deux faces, que j’ai cherchés et trouvés aux archives de Cadix, lus et transcrits pour l’essentiel. Je me suis collé au plus près des sources, tentant de raconter simplement ce que j’ai appris de l’histoire d’un don Salvador et de ses femmes. Cela fait partie d’une étude plus vaste, que j’ai entreprise, sur les relations entre hommes et femmes au sein du couple. Mais, à ce stade, je me suis interdit de faire le moindre commentaire analytique sur les sexualités, les liens d’amour, de droit ou d’intérêt, le rôle de l’Église, de la famille ou du voisinage, ou d’entrer dans le débat historiographique, anthropologique ou d’actualité concernant ces sujets. Ici, je donne la voix aux sources elles-mêmes.
Auteurs
École des hautes études en sciences sociales,
Paris
CNRS – Centre de recherches historiques, Paris
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