Le transport aérien de voyageurs face au défi énergétique et écologique
p. 279-293
Résumés
Nous nous sommes habitués à un transport aérien important, accessible depuis presque tous points, relativement bon marché, en oubliant vite qu’il n’en a pas toujours été ainsi, et que la croissance du transport aérien a été spectaculaire au cours des dernières décennies.
Les facteurs qui ont conduit à une croissance forte, presque ininterrompue, du transport aérien au cours de ces cinquante dernières années semblent, sauf crise majeure, devoir rester présents au cours des deux prochaines décennies, mais le secteur devra s’assurer d’une capacité aéroportuaire et de la navigation aérienne suffisante dans le respect du plus haut niveau de sécurité et de sûreté.
De même le défi énergétique et écologique est une réalité de plus en plus présente avec le bruit aérien et la pollution atmosphérique, la dépendance pétrolière, et l’impact de l’aviation sur l’effet de serre. Mais il existe des pistes d’amélioration, et des progrès ont déjà été réalisés.
C’est ainsi que la productivité énergétique s’est considérablement améliorée : la consommation par passager au kilomètre s’est réduite de 60 % entre 1960 et 2000.
À l’avenir il nous faut une politique des transports assumée, en vue notamment de développer l’intermodalité air-fer, et un fort encouragement à la recherche, permettant de produire des avions et des systèmes de navigation aérienne beaucoup plus efficaces encore pour l’économie d’énergie et l’environnement. En outre on peut s’attendre à un rôle croissant des instruments économiques, tels que l’inclusion de l’aviation dans les échanges de permis d’émission.
We are accustomed to considerable air transportation, accessible from almost anywhere, relatively cheap, quickly forgetting that it was not always like this, and that the growth in air transportation has been spectacular over the last decades.
The factors that have led to a strong, almost uninterrupted, growth in air transportation during the past fifty years must it seems, except for major crisis, remain present in the next two decades, nevertheless, the sector must ensure that airport capacity and adequate air navigation comply with the highest level of security and safety.
Similarly, the energy and ecological challenge is a reality increasingly present with airborne noise and air pollution, petrol/oil dependency, and the impact of aviation on the greenhouse effect. There exists, nonetheless, ways to make improvements and progress has already been made in this respect.
This is how energy productivity has been considerably improved: consumption per passenger-km has been reduced by 60 % between 1960 and 2000.
In the future we need an endorsed/accepted transport policy, in particular with regard to the development of intermodal air-iron, and a strong incentive for research, enabling the production of aeroplanes and air navigation systems even more effective in terms of saving energy and the environment. In addition, we can expect economic instruments to play an ever increasing role, such as the inclusion of aviation in the trading of emission allowances.
Texte intégral
La demande de transport aérien : une croissance qui paraît inexorable
1Nous nous sommes habitués à un transport aérien important, accessible depuis presque tout point, relativement bon marché, en oubliant vite qu’il n’en a pas toujours été ainsi, et que la croissance du transport aérien a été spectaculaire au cours des dernières décennies.
2Le trafic aérien commercial a véritablement commencé après la Seconde Guerre mondiale. Au niveau mondial, le trafic a été multiplié par 225 en soixante ans, passant de 9 millions de passagers en 1945 à 2 milliards en 2005, avec un taux de croissance annuel de 9,4 %. Cette croissance peut sans doute être comparée à celle du trafic ferroviaire au xixe siècle, ou du transport routier au vingtième : elle a suivi étroitement l’intense développement du réseau avec un nombre toujours plus grand de villes desservies par les compagnies aériennes et de fréquences proposées, permis notamment par la densification parallèle des infrastructures aéroportuaires et de navigation aérienne.
3Le graphique ci-dessous représente l’évolution du trafic mondial au cours des vingt dernières années (en milliards de passagers au kilomètre). Cette période ne correspond pas à une percée technologique majeure comme celle qui, au cours des décennies précédentes, a vu l’arrivée, puis la domination des avions à réaction. Pourtant le trafic a encore doublé, avec un cercle vertueux de productivité : accroissement des taux de remplissage, et une attractivité toujours plus grande grâce à ce qu’il est coutume d’appeler une « connectivité » croissante tant en liaisons directes, y compris vers les destinations les plus lointaines, qu’en correspondances aisées dans les « hubs ».
4La baisse de prix, résultat naturel de cet accroissement de productivité et d’une concurrence fortement promue par les pouvoirs publics à partir des années 1970, est estimée à 1 % par an. On estime qu’elle explique près du tiers de l’accroissement du trafic.
5Une autre constatation à laquelle amène l’observation de ce graphique est la part croissante du trafic international, passée en passagers au kilomètre de 50 % en 1986, à 67 % en 2004 : les flux transatlantiques, et plus récemment vers ou depuis l’Asie, ont pris le relais du trafic intérieur des États-Unis.
6Cette croissance a connu des heurts, relativement vite absorbés. Sur la période récente, on pourra citer :
le premier choc pétrolier, qui a seulement ralenti la croissance du trafic mondial (4,6 % entre 1973 et 1975) ;
le deuxième choc pétrolier, plus sévère (croissance presque stoppée avec 0,5 % de taux annuel seulement de 1979 à 1982) ;
la première guerre du Golfe, qui a provoqué la première baisse de trafic (– 0,7% entre 1990 et 1993) ;
les évènements récents (11-Septembre, sras, deuxième guerre en Irak…) ont stoppé la croissance du trafic entre 2000 et 2003, mais celui-ci s’est très vivement repris depuis.
7Ces accidents de parcours ont affecté la santé financière des compagnies traditionnelles qui pratiquent de faibles marges et ont des programmes d’investissements qui ne peuvent se rentabiliser qu’avec une croissance soutenue. Mais le fait majeur est bien une grande résilience de la croissance, qui révèle un marché important et encore loin de la saturation.
8L’évolution du trafic relative à la France est tout à fait comparable à la perspective mondiale. Le tableau suivant (trafic en millions de passagers sur les aéroports de métropole) le montre de manière éclatante, avec une multiplication par vingt-cinq du trafic sur le troisième quart du xxe siècle, et une nouvelle multiplication par quatre sur le quart suivant.
9Le graphique ci-après détaille l’évolution des flux de passagers (en comptant une fois, et non deux comme dans le « trafic aéroport » le trafic entre deux aéroports intérieurs) en France métropolitaine de 1986 à 2005, avec une forte croissance de 1986 à 2000, ralentie entre 1990 et 1995 par la crise du Golfe et ses conséquences économiques, et son interruption entre 2000 et 2002, suivie par une forte reprise jusqu’à 2005. La mise en place du hub de Roissy a eu un effet d’entraînement très important : il a permis un renforcement global de l’offre et donc de l’attractivité du transport aérien au départ de ou vers la France, en pérennisant des liaisons dont le taux de remplissage est assuré par les passagers en correspondance. Il a en outre apporté un trafic de correspondance très important de passagers transitant par la France (un sixième du trafic de Paris-CDG, si on compte une seule fois les passagers en transit).
10Cette croissance est d’autant plus frappante qu’elle s’accompagne d’une stagnation du trafic intérieur, sous l’effet de la concurrence avec le TGV. Une analyse détaillée du trafic dépasserait le cadre de cet article. On renverra, sur ce point, les lecteurs à l’Observatoire de l’aviation civile, publié par la DGAC et disponible à l’adresse http://www.aviation-civile.gouv.fr/html/publicat/oacdast.htm.
11La croissance du trafic de passagers, au moins sur la période la plus récente, consécutive à la mise en place en Europe de grandes compagnies positionnées sur de grandes plates-formes jouant le rôle de hubs et sur un réseau d’alliances, s’est accompagnée d’une croissance moindre du nombre de mouvements d’avions, grâce à un taux de remplissage meilleur et l’utilisation de plus gros modules. Ce facteur important des gains de productivité et des baisses de prix intervenues au cours de la période est favorable en termes de capacité et d’environnement, comme nous le verrons plus loin. Il est comparable à ce qu’on observe sur les modes de transport dynamiques, transport routier de marchandises ou TGV, comme sur Paris-Lyon où les rames doubles à deux niveaux de 1000 places ont supplanté les rames simples de 400 places de l’origine.
12Le transport aérien vit donc, dans la période actuelle de forte reprise économique au niveau mondial, tant pour les passagers que pour le fret, sur lequel des développements similaires auraient pu être faits, une croissance exceptionnelle. La France en bénéficie tout particulièrement, avec, comme figure emblématique, son numéro 1 mondial en termes de trafic (à condition d’ajouter les passagers et le fret) qu’est Air France-KLM, et sa plate-forme de Paris-CDG, désormais la deuxième en Europe. Mais cela va-t-il durer ?
Quelle évolution possible ?
13Tous les acteurs du secteur prévoient une poursuite de la croissance.
14Les facteurs qui ont conduit à une croissance forte, presque ininterrompue, du transport aérien au cours de ces cinquante dernières années semblent, sauf crise majeure, devoir rester présents au cours des deux prochaines décennies : la croissance économique reste le moteur principal, sans que des effets de saturation n’apparaissent du fait des taux de pénétration du secteur aérien encore faibles dans les pays émergents d’Asie, à la croissance économique forte. L’accroissement des distances parcourues pour les déplacements touristiques paraît également une tendance durable. La diminution des coûts unitaires et des prix, qui pourrait expliquer entre le tiers et le quart de la croissance observée jusqu’à présent, ralentira sans doute, mais la tendance restera présente, favorisée par les efforts conjugués de tous les opérateurs.
15Le segment « bas coût » devrait, en particulier pour la France, voir sa part de marché continuer à augmenter pour se rapprocher d’une moyenne européenne elle-même en augmentation (on évoque une part de marché de l’ordre de 25 % à 30 % dans vingt ans). De nouvelles liaisons en « point à point » où excelle l’exploitation à bas coût pourront en effet se développer grâce à l’accroissement général du marché. On peut anticiper en particulier que des liaisons à bas coût en long-courrier verront enfin le jour de manière pérenne. Un phénomène intéressant, mis en évidence par l’autorité de l’aviation civile britannique, sur la base d’enquêtes auprès des passagers, est la flexibilité des voyageurs sur le choix de destination : la multiplication des possibilités de voyages, permise notamment par les compagnies à bas coût, crée des comportements opportunistes : on voyage là où c’est possible au moindre coût.
16Le rythme de croissance envisagé au niveau mondial par les organisations professionnelles converge : 5,3 % par an pour Airbus, 4,8 % par an pour Boeing d’ici à 2025 en passagers au kilomètre ; un peu moins pour l’Association des aéroports (ACI) : 4,1 %, il est vrai en passagers, l’allongement de la distance moyenne des voyages expliquant en réalité l’écart.
17Les segments les plus dynamiques resteraient ceux qui concernent l’Asie (en particulier la Chine), avec des taux annuels de 7 à 8 % tant pour le trafic intérieur que pour le trafic international ; le trafic au départ de ou vers l’Europe, en partie tiré par les « nouveaux pays » de l’Union, pourrait également rester soutenu, à un rythme moindre cependant.
18Ce tableau d’une croissance continue et sans nuages doit évidemment être nuancé : il est naturel d’envisager une inflexion de la croissance. Mais la tendance semble solidement installée, avec un centre de gravité se déplaçant progressivement vers l’Orient ; le plus intéressant est du reste plus à rechercher dans les évolutions qualitatives que quantitatives : développement du choix et de la vente de billets en ligne, poussant les passagers à choisir leur itinéraire et leurs correspondances, services de plus en plus différenciés, y compris dans les aéroports, développement de hubs et peut-être de champions internationaux au Moyen-Orient et en Asie et (peut-être) afflux de touristes chinois vers l’Europe. En France, on peut envisager que les aéroports régionaux, dont la vocation est de plus en plus internationale, comme l’a montré la DGAC dans une note publiée en 2006, pourraient retrouver un nouveau dynamisme, reconquérant des liaisons directes au détriment relatif des grands hubs européens en voie de saturation : la construction du nouvel aéroport de Notre-Dame-des-Landes, comme certains projets de développement (par exemple à Lyon Saint Exupéry) s’appuient sur cette analyse.
Les fragilités
19Un tel développement du trafic, pour autant qu’il se produise, ce qui suppose l’absence de rupture économique ou géopolitique majeure que nul n’est en mesure de prévoir, exposera encore plus qu’aujourd’hui le secteur à des fragilités susceptibles de ralentir les évolutions tendancielles.
La sécurité et la sûreté
20La sécurité aérienne est extrêmement élevée, la plus élevée de tous les modes de transport. On ne voit pas de risque structurel pour le secteur ici, sinon peut-être celui qui pourrait survenir dans certains pays émergents développant (trop vite ?) leur activité.
21La mobilité est croissante et, avec elle, le risque de se déplacer dans des zones peu sûres. Le journal Le Parisien citait dans son édition du 2 mars 2007 une carte comportant cinquante zones (autant de pays) à risque sur l’ensemble du globe, nombre d’entre elles étant des destinations touristiques très attractives : l’insécurité globale du monde où nous vivons sera peut-être un jour un frein à la mobilité.
22Enfin la sûreté est un sujet brûlant pour le secteur, notamment depuis le 11-Septembre. Pour l’instant, les contraintes qu’elle engendre (formalités, attentes dans les aéroports, surcoûts pour les passagers par le jeu de prélèvements tels que la taxe d’aéroport en France), n’ont pas eu pour effet de dissuader les voyageurs.
La capacité aéroportuaire et de la navigation aérienne
23Selon une récente communication de la Commission européenne sur la capacité aéroportuaire en Europe, les aéroports européens devraient augmenter de 60 % leur capacité d’ici à 2020. Malgré cela, plus de 60 % des aéroports devraient arriver à saturation au moins huit à dix heures par jour en raison du déséquilibre de la demande.
24Il est normal pour une infrastructure d’être en utilisation maximale pendant une partie du temps : les aéroports et la navigation aérienne ne font pas exception à la règle.
25Mais dans les grands aéroports et à leurs approches, l’utilisation de nombreuses composantes est proche de leurs limites ; c’est le cas des terminaux et des points de stationnement dont l’adaptation est généralement possible, au prix d’investissements parfois coûteux. Ainsi, plus de 1,5 milliard d’euros sont prévus à ce titre pour l’aéroport de Paris-CDG, permettant la construction de nouveaux terminaux (outre la reconstruction du 2E et la rénovation du T1) comme le S3 (d’une capacité de 3 millions de passagers) et une forte augmentation du taux de « contact » entre avions et terminaux au stationnement. L’exemple de Paris-CDG montre aussi qu’il est nécessaire d’investir, pour adapter l’offre à la demande, non seulement dans les terminaux ou, éventuellement, les voies de circulation, mais également sur les systèmes de tri de bagages et les systèmes internes d’acheminement des passagers par des transports guidés.
26Les grands aéroports mondiaux ont des projets majeurs d’extension de capacité : on peut citer l’exemple de Madrid Barajas qui vient d’inaugurer deux nouvelles pistes, avec une capacité d’accueil de 70 millions de voyageurs et 120 mouvements par heure ; il vise une capacité de 110 millions de voyageurs à l’horizon 2015. Heathrow, Francfort ou Munich sont dans des situations comparables.
27La réalisation de telles infrastructures, qui devront être acceptées par la population, pose un grand défi en termes de délais et de financement ; c’est une fragilité potentielle pour la croissance à long terme, que l’on peut relativiser cependant, au moins à court et moyen terme, par l’existence de flexibilités, par exemple sur les horaires ou l’utilisation accrue des aéroports régionaux.
La navigation aérienne
28La navigation aérienne doit, elle aussi, relever le défi de la capacité. C’est l’une des ambitions principales du projet européen de recherche SESAR, qui a vocation à être la « brique technologique » du ciel ouvert européen qui se met en place, ou aux États-Unis du projet de système aérien de nouvelle génération (NGATS). On pourra sur ce sujet, se reporter utilement aux publications de la DGAC (DTI) mentionnées dans la bibliographie.
Le défi énergétique et écologique
29L’aviation, comme toute activité humaine, produit des impacts, parfois négatifs, sur l’environnement. Parmi ceux-ci, on citera, parce qu’ils sont particulièrement sensibles, le bruit, la pollution atmosphérique, et la question énergétique.
Le bruit aérien
30Le bruit aérien est d’évidence le sujet le plus sensible pour les riverains des aéroports situés en Europe dans des zones urbanisées. De grands progrès ont été réalisés dans ce domaine, comme l’illustre la comparaison des « empreintes sonores », en forte réduction, de deux avions produits à vingt ans d’intervalle. Néanmoins la sensibilité au bruit aérien a elle aussi beaucoup augmenté et la pression foncière autour des aéroports n’a pas été totalement maîtrisée : on peut en effet estimer que près de 500 000 personnes en France (dont 350 000 peuvent bénéficier d’aides au titre des plans de gêne sonore) sont affectées sensiblement par le bruit aérien.
31Des possibilités de nouvelles réductions de bruit à la source doivent être recherchées et l’OACI, actuellement timide sur le sujet après les grands succès accomplis il y a quelques années, doit absolument reprendre l’initiative dans le domaine, en liaison avec les constructeurs. Pour un aéroport comme Roissy, la contrainte de capacité pourrait être celle qui provient du bruit émis avant celle qui résulte des limitations physiques.
La pollution atmosphérique
32La perception du transport aérien comme générateur de pollution locale, susceptible de créer un risque sanitaire, est assez récente, mais émerge dans l’opinion. En Île-de-France, selon le récent Plan de protection de l’atmosphère, l’aviation produit environ 4 % des oxydes d’azote et 1 % des particules. L’attente sociale est celle de progrès comparables du secteur à ceux dont a été capable l’automobile, ce qui sera possible en réduisant les émissions à la source (l’OACI produit tous les six ans une norme plus sévère que la précédente) et en réduisant les émissions au sol, comme celles qui sont produites par les unités auxiliaires de puissance (APU).
La dépendance pétrolière
33La question énergétique est pour le transport aérien essentielle à double titre. D’abord pour son poids financier pour le secteur lui-même, d’autre part parce que le secteur représente une part de moins en moins négligeable des importations pétrolières, accroissant la dépendance de nos économies à cette matière dont l’utilisation se traduit par des externalités négatives, notamment par les déséquilibres géopolitiques qu’elle peut provoquer et les risques de marée noire, pour ne mentionner que ces exemples.
34C’est d’abord, évidemment, une préoccupation majeure pour les compagnies. Le poste carburant – qui ne supporte pas de taxe, la convention de Chicago qui régit l’aviation civile l’interdisant pour le transport international en l’absence d’accord entre les états concernés, mais inclut un coût de raffinage fortement croissant – représentait en moyenne 13 % des charges des compagnies en 2003. Il dépassait 20 % en 2006 et pourrait aller bien au-delà, si les prix restent aux niveaux actuels, l’effet des couvertures sur l’achat des carburants étant de plus en plus faible à l’approche de la fin des contrats conclus en période de prix bas – de surcroît nombre de compagnies n’ont aucune politique de couverture. Ces hausses de coût (répercutées en partie ou en totalité sur le prix) n’ont pas, pour l’instant, entraîné une baisse du trafic pour un ensemble de raisons liées au dynamisme économique général et aux gains de productivité réalisés par les compagnies, qui semblent compenser l’effet « prix du pétrole ».
35Au séminaire sur le sujet organisé en décembre 2005 par la DGAC, les orateurs ont exprimé des vues nuancées sur les risques pour le secteur d’un prix qui resterait durablement élevé, au-delà de l’euphorie ambiante, peut-être conjoncturelle. C’est ainsi que Frédéric Baule, de la société Total, indiquait que (au-delà de l’amortissement actuel de l’effet prix du pétrole dû aux politiques de couverture et au prix de l’euro) « en cas de prix du pétrole durablement élevé, le secteur aérien devra envisager d’autres politiques pour gérer les années à venir ».
L’impact de l’aviation sur l’effet de serre
36Dans la mesure où, au moins pour les deux prochaines décennies, la source d’énergie principale de l’aviation restera le pétrole, la responsabilité de l’aviation au réchauffement climatique est étroitement liée au sujet précédent. Le transport aérien contribue au réchauffement climatique en produisant du CO2, mais également par d’autres émissions dont l’effet réel n’est pas entièrement connu : il s’agit des oxydes d’azote, qui produisent de l’ozone en altitude mais détruisent du méthane ; le deuxième effet compense partiellement le premier, mais le solde est une augmentation modérée de l’effet « CO2 » sur le réchauffement global. Il s’agit également des traînées de condensation et d’une contribution à la formation de cirrus qui (comme tous les nuages) « piègent » le rayonnement et contribuent à l’effet de serre. Le sujet donne lieu encore à d’intenses débats dans la communauté scientifique : le multiplicateur (par rapport au CO2) à prendre en compte étant plus faible à long terme qu’à court terme, du fait de la durée de vie dans l’atmosphère bien plus importante du CO2.
37Aujourd’hui, on estime à 2,5 % la part de l’aviation dans les émissions de CO2. Elle pourrait augmenter sensiblement au cours des prochaines décennies, malgré les progrès que l’on peut attendre en matière de productivité énergétique. Ainsi, à très long terme (2050), avec l’estimation faite par l’OACI d’une croissance annuelle de 1,7 %, bien inférieure à celle du trafic (3 %), les émissions de CO2 de l’aviation tripleraient par rapport au niveau de 1990 ; on voit là l’importance de l’enjeu, surtout si l’on compare cette tendance avec l’objectif de division par deux des émissions totales de CO2 qui serait nécessaire pour stabiliser le changement climatique.
38Pour la France, c’est environ 20 millions de tonnes de CO2 qui sont émises par le transport aérien, à comparer par exemple à un peu plus de 150 millions pour l’ensemble du secteur des transports. Parmi celles-ci, le quart (4,9 millions de tonnes) résulte du trafic intérieur et est pris en compte au titre du protocole de Kyoto (dont le transport international est exclu). La moitié des émissions du trafic intérieur se fait avec l’outre-mer, ce qui fait que le huitième seulement des émissions du transport aérien – auxquelles on peut sans doute ajouter celles qui résultent de quelques liaisons européennes proches – pourrait se stabiliser ou diminuer grâce à un report vers le TGV.
Les pistes d’amélioration et les progrès déjà réalisés
39Le secteur améliore de façon constante sa productivité énergétique, ne serait-ce que pour répondre aux impératifs économiques ; l’arrivée probable du Peak oil et les périodes de prix très élevé auxquelles on peut s’attendre dans l’avenir seront des aiguillons puissants dans ce domaine.
40Le passé a montré de tels efforts : la consommation par passager-km s’est réduite de 60 % entre 1960 et 2000. Sur une période plus récente (1990 à 2003), pour la France, la consommation d’énergie par passager au kilomètre s’est réduite de 18 %, avec l’arrivée dans les flottes d’avions beaucoup plus performants dans ce domaine. Les pistes technologiques envisagées sur les avions et moteurs, évoquées dans l’article de Georges Ville ou dans les actes du séminaire de la DGAC sur « Transport aérien et pétrole » ne seront pas détaillées ici. L’enjeu d’une nouvelle division par deux, d’ici à vingt ans, annoncée dans le programme de recherche ACARE est très ambitieux, et devra, aussi, mobiliser l’optimisation de la navigation aérienne (dont on attend 5 à 10 % sur l’objectif de 50 % d’économies).
41Des coûts énergétiques élevés amèneront en outre les compagnies aériennes à affiner la segmentation de leur offre commerciale en tenant compte de ce nouveau paramètre, avec, comme le font les compagnies low cost, des incitations financières à voyager avec peu de bagages. Le surcoût énergétique des étapes très longues en vol direct sera également sans doute répercuté dans le prix, ce qui pourrait refaire émerger une offre alternative moins coûteuse de vols avec escale, pour autant que la capacité aéroportuaire le permette.
42Pour le très long terme, l’industrie envisage les carburants alternatifs. Sans faire ici la discussion des avantages et inconvénients de l’hydrogène ou du méthane cryogéniques, on indiquera seulement que l’on sait fabriquer du kérosène de synthèse, ce qui est intéressant pour l’effet de serre s’il est produit à partir de biomasse.
Quelles réponses apporter ?
43Pour concilier la satisfaction d’une demande croissante en transport aérien et le défi écologique et énergétique, des réponses devront être apportées par un bon équilibre des transports et par des efforts propres du secteur, notamment le développement de la recherche et la mise en œuvre d’instruments économiques.
44Une politique des transports assumée, c’est, notamment, une réflexion sur les domaines de pertinence du train et de l’avion. Le développement du TGV en France et en Europe, à condition de se concentrer sur des projets ayant un sens économique, sans quoi ils peuvent aussi être un contresens écologique, peut déplacer quelques millions de voyageurs supplémentaires de l’avion vers le train (les grands projets comme le TGV Méditerranée, le TGV Est ou Tours-Bordeaux ont – ou auront – chacun déplacé environ 2 millions de voyageurs). L’aviation y trouverait son compte, notamment par l’allégement de la saturation aéroportuaire.
45C’est aussi un développement des accès terrestres, par modes « doux » aux aéroports : un projet comme CDG Express permettrait de diminuer de plusieurs milliers les déplacements quotidiens en voiture pour se rendre à Roissy.
46L’encouragement à la recherche pour l’aviation est impératif pour trouver des solutions à moyen et long terme au défi écologique et celui de la saturation. Les projets SESAR pour la navigation aérienne, ou Clean Sky, ou le développement de la filière composite, pour l’industrie, vont exactement dans ce sens.
47Enfin, les instruments économiques écologiques, comme les échanges de permis d’émission sont un moyen d’intégrer dans les raisonnements économiques des acteurs les préoccupations environnementales, comme cela a été mis en place sur le bruit.
48La Commission européenne a publié le 20 décembre 2006 une proposition de directive visant à intégrer les activités aériennes dans le système communautaire des quotas de permis d’émission de gaz à effet de serre. Cette proposition a suivi un long travail préparatoire où la France a joué un rôle actif, avec, en 2005, l’envoi d’un mémorandum préconisant une telle solution. Il s’en est suivi une communication de la commission datant du 27 septembre 2005, rappelant notamment qu’un nouvel instrument fondé sur le marché était préférable, sur les plans économique et environnemental, à l’instauration d’une taxe. La justification est que le secteur aérien est prêt à payer un coût élevé pour se développer, donc avoir le droit de produire du CO2. Une même dépense du secteur se traduirait donc en plus forte réduction des émissions globales par l’achat sur le marché de droits que du fait de la réduction de trafic, par le jeu de l’élasticité prix, résultant de la répercussion d’une taxe éventuelle sur le carburant sur les tarifs.
49La Commission propose un système « semi-ouvert » : les compagnies aériennes (qui seraient les titulaires des droits) pourraient acheter les droits nécessaires sur le marché européen des droits (« EU-ETS »), mais l’inverse n’est pas vrai : les quotas aviation ne pourraient être acquis par les installations fixes ; il est vrai que l’aviation est tendanciellement un acheteur net du fait de la croissance de son trafic et qu’il est donc peu probable qu’elle soit « vendeur net » de droits.
50Les exploitants se verraient allouer, pour les années 2011 et 2012, un montant de droits correspondant à une période historique, moyenne des années 2004, 2005 et 2006, alloués gratuitement ou, pour une petite part, aux enchères. Le « champ géographique » est le sujet le plus délicat : la proposition actuelle est un phasage ; seuls les vols intra-européens seraient concernés en 2011 ; tous les vols au départ et l’arrivée le seraient l’année suivante. Seules les émissions de gaz carbonique seraient prises en compte.
51Le système n’a pas encore fait l’objet de véritables négociations entre les États et la date d’approbation souhaitée par la commission – fin 2007 – est incertaine. Sa mise en œuvre pratique sera très complexe. En outre l’extension à tous les vols – qui signifient d’imposer aux compagnies non européennes d’entrer dans le système – se heurte à une forte opposition, pour l’instant, des compagnies concernées.
52Au-delà de 2012, l’aviation internationale pourrait, sous une forme à définir, faire partie des engagements pris dans le cadre de l’accord qui succédera à « Kyoto » et dont les modalités ne sont pas connues à ce jour.
53Dans l’hypothèse, qui paraît cohérente avec la philosophie du « facteur 4 » adoptée en France et en Europe (elle impose, on le rappelle, une réduction d’au moins 20 % en 2020 par rapport à 1990 des émissions de gaz à effet de serre) où le système mis en place en 2012 se prolongerait sans augmentation des quotas, l’impact, au départ très faible, du système sur l’économie du secteur pourrait, au-delà de 2020, devenir significatif, surtout si le prix de marché de la tonne de CO2 se renchérit par rapport à la valeur (il est vrai très faible) actuelle. Une baisse de trafic par rapport à la tendance en résulterait, sans remettre en cause fondamentalement la croissance : une grande partie de la réduction des émissions de CO2 se ferait dans d’autres secteurs, grâce au financement apporté par le secteur aérien.
Conclusion
54Quel est l’équilibre souhaitable, quel équilibre possible ?
55La question du souhaitable est souvent posée pour le développement de l’aviation, en étant plus clairement formulée par ceux qui s’en défient, que par ceux qui veulent le promouvoir. Pour ces derniers, la question ne mérite pas d’être posée : la croissance du trafic aérien traduit une demande du consommateur, et la satisfaire est un bien en soi qu’il ne faut même pas discuter. Les autres mettent en avant les effets négatifs du transport aérien, supportés par les riverains qui subissent le bruit aérien ou les observateurs vigilants du changement climatique, constatant une responsabilité qui a cessé d’être négligeable de l’aviation.
56Pour ceux-ci, la légitimité même de certains déplacements aériens est posée : faut-il consommer des aliments hors saison importés de l’autre hémisphère ? Le tourisme lointain ne se fait-il pas au détriment de nos propres ressources touristiques ? L’afflux de voyageurs en low cost dans nos régions ne provoque-t-il pas des excès dans les prix immobiliers ? Ne serait-il pas justifié en cas de pic de pollution de restreindre l’avion au profit du TGV pour un déplacement entre Paris et les régions, comme cela a pu être envisagé dans les conclusions de l’enquête publique du plan de protection de l’atmosphère de l’Île-de-France ?
57Il est, en apparence, assez aisé de réfuter la plupart de ces contestations : le commerce international, facilité par la diminution du coût et du temps de transport, permet le développement des avantages comparatifs et favorise l’enrichissement collectif. L’afflux de touristes britanniques dans les régions desservies par les low cost a permis de restaurer des bâtiments dont l’état déclinait et de stimuler l’emploi local. La proposition de substituer, avec un préavis bref, les avions « navettes » par des TGV en cas de pic de pollution se heurte à d’innombrables difficultés pratiques et n’est peut-être pas favorable en termes de pollution.
58Malgré tout, ces objections renvoient à un malaise plus profond, lié au double mouvement actuel : croissance très rapide du trafic aérien (ce qui est une des formes de la « mondialisation ») et prise de conscience écologique plus accentuée.
59Pour répondre aux contradictions et montrer que le développement du transport aérien, qui répond à une demande profonde de mobilité de la société, est légitime et respectueux de l’environnement, ses responsables devront amplifier encore leurs efforts en intensifiant la recherche en faveur d’un transport aérien plus économe en pétrole et moins bruyant : à cet égard, le taux effectif de renouvellement des flottes vers ces nouvelles technologies devra être étroitement examiné et accompagné par des mesures incitatives, voire de restriction si nécessaire, comme le retrait des générations d’appareil les plus polluants, au moins dans les pays développés dans un premier temps. D’autre part, l’intégration de l’aviation dans les systèmes d’échange de permis d’émission devra être mise en place, en surmontant les difficultés actuelles : le secteur pourra montrer ainsi qu’il se préoccupe d’« internaliser les coûts externes ».
60Les acteurs du transport aérien ont en la matière une vision bien plus responsable et à long terme qu’on ne l’imagine parfois, et sont favorables à une croissance maîtrisée. Ils ont pris à cet égard des engagements concrets suite au Grenelle de l’environnement tels que le relèvement des trajectoires, l’accélération du renouvellement des flottes, la diminution des émissions de carbone sur les aéroports, ou l’augmentation des ressources pour l’insonorisation. Une régulation modérée par les instruments économiques, le développement du TGV pour les déplacements à courte distance et le renforcement des normes environnementales devraient permettre de maîtriser les coûts directs et indirects de cette croissance. C’est à ce prix que le transport aérien conservera, sur le long terme, l’image très positive qu’il a aujourd’hui.
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L’avion
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