Aviation et Peak Oil : chronique d’une fin annoncée
p. 273-278
Résumés
Les experts nous prédisent un trafic aérien en croissance rapide au cours des vingt prochaines années. Or le pic du pétrole est déjà là, et l’impact du pic sur le PIB mondial se répercutera directement et indirectement sur l’industrie de l’aviation. D’une industrie en croissance l’aviation se transformera en une industrie en déclin, voire en chaos selon les répercussions sur elle des autres secteurs d’activité (affaires, tourisme, cargo…). Les voyages d’affaires, le tourisme, les parcs à thème, les cafés, hôtels et restaurants perdront des centaines de milliards de dollars et des millions d’emplois à travers le monde.
Il faut envisager la décroissance dans tous les domaines, et donc aussi dans l’aérien, comme une solution à laquelle il faut se préparer.
Experts are predicting a rapid growth in air traffic over the next twenty years. And yet now that the price of petrol is already at a peak, the impact of this peak on world GDP will have repercussions, directly and indirectly, on the aviation industry. From a growth industry, aviation will transform into an industry in decline, or even chaos depending on the backlash from other sectors of activity (business, tourism, cargo…). Business travel, tourism, theme parks, cafes, hotels and restaurants will lose hundreds of billions of dollars and millions of jobs around the world.
We must contemplate the decline in all areas, including aviation, as a solution which we must prepare for.
Texte intégral
Tout semble bien aller…
1Le trafic aérien va connaître une croissance rapide au cours des vingt prochaines années, telle est l’opinion conventionnelle. L’Association internationale du transport aérien (IATA), Airbus, Boeing, Air France, British Airways, Aéroports de Paris, la DGAC... ont tous des perspectives de croissance du PIB mondial, du trafic de passagers, du fret, des lignes nouvelles, des low cost et charters, des avions d’affaires, des profits, des aéroports, des infrastructures... Les seules différences entre ces organismes sont les taux de croissance de ces divers domaines.
2Au salon du Bourget, en juin 2007, Airbus prévoit le doublement de la flotte mondiale en 2025, avec 34000 appareils. En février 2008, se termine la consultation publique sur le projet du gouvernement anglais de construire d’ici 2020 une troisième piste à Heathrow, premier aéroport européen. Le décret d’utilité publique relatif à la réalisation du projet d’aéroport du Grand Ouest à Notre-Dame-des-Landes a été publié au Journal officiel du 10 février 2008. En mars 2008, Pierre Graf, P.-D.G. de ADP, annonce le lancement du projet de satellite d’embarquement S4 et l’extension du terminal 2E à Paris-Charles-de-Gaulle. On n’en finirait pas de trouver des exemples de cette foi en la croissance du secteur aérien.
Mais arrive le Peak oil
3Au tournant de 2010, un événement immense va changer toute notre vie, dans tous les domaines, sur tous les continents : la fin de l’ère séculaire du pétrole bon marché. Cet événement, dont nous apercevons les prémisses, provient de la coïncidence, sur quelques années, de trois situations inédites :
le déclin définitif de la production de pétrole (géologie, c’est le Peak Oil) ;
l’excès structurel de la demande mondiale sur l’offre de pétrole (économie) ;
l’intensification des guerres et du terrorisme pour l’accès aux ressources non renouvelables (géopolitique). Ces trois situations, se renforçant mutuellement, provoquent d’abord une hausse des prix des produits pétroliers, puis du gaz et de l’énergie, enfin de toutes les denrées et services qui en dépendent. Bref, nous entrons dans une période d’inflation, de récession, de tensions internationales, de guerres.
4En 1956, King Hubbert était géologue à la société Shell. Il publia un article peu remarqué affirmant que la production pétrolière des quarante-huit premiers États américains – la plus importante du monde à cette époque – allait croître jusqu’en 1970, puis décliner inexorablement ensuite. Il fallut attendre un peu plus de quatorze années pour lui donner raison : la production américaine ne cesse de décroître depuis 1970. En extrapolant les méthodes de Hubbert à l’ensemble de la planète, on peut estimer que nous avons atteint aujourd’hui – en 2009 – le maximum de la production mondiale de pétrole. Ceci est un évènement exceptionnel dans l’histoire humaine. Pour la première fois, les volumes de la matière première la plus indispensable à l’ensemble de l’économie mondiale auront crû pendant cent cinquante ans pour diminuer ensuite, sans coup férir, année après année. L’image mentale de la « croissance »– du PIB, de la population, du nombre d’automobiles, de la flotte aérienne... – se heurte à la décroissance géologique, inéluctable, irréversible de son plus précieux fluide. La singularité de cet évènement est telle qu’aucun modèle du monde économique, aucune information massive de sensibilisation, aucune politique d’évitement ou d’adaptation n’auront précédé son advenue. Cette ignorance est catastrophique.
Les coûts augmentent
5L’aviation commerciale est le premier secteur économique touché par l’imminence du Peak Oil. Le carburant a dépassé le travail comme première dépense opérationnelle pour les compagnies aériennes. Il représente aujourd’hui entre 25 % et 30 % des coûts opérationnels, soit deux fois sa moyenne historique. Le prix du jet fuel, qui ne supporte aucune taxe, est mécaniquement indexé sur le cours du baril à New York. La compagnie American Airlines, qui consomme plus de pétrole par an que l’Irlande, a payé, en 2006, 2,4 milliards de dollars de plus qu’en 2004 pour ses dépenses de carburant. Pourtant, en 2006, le cours du baril de pétrole était deux fois moins élevé qu’il n’est en 2008. Enfin, contrairement à d’autres modes de transport, l’aviation n’a aucune autre source d’énergie que le pétrole (dans un avenir prévisible).
6L’aviation est le canari dans la mine de charbon. La croissance des prix du pétrole dévastera l’industrie aéronautique. Les voyageurs et les touristes délaisseront bientôt l’avion au profit d’autres modes de transport. Devant cette perspective, certains responsables envisagent des mesures drastiques pour maintenir l’activité : arrêter la construction de nouveaux aéroports, abandonner les vols sur les trajets inférieurs à 500 km, éliminer la business class, utiliser des appareils plus sobres, économiser le carburant par l’amélioration des opérations au sol, du contrôle aérien, des procédures d’atterrissage...
Menaces sur l’industrie aéronautique
7Cependant, bien que les prix du carburant aient triplé depuis cinq ans et que le Peak Oil approche, l’industrie aéronautique semble bien se porter. La croissance du transport aérien est forte depuis trois ans. L’aviation explose en Chine. La plupart des grandes compagnies ont retrouvé les profits. Les nouvelles – Easyjet, Ryanair – sont en croissance. Le Boeing 787 et l’Airbus A380 se vendent énormément. Les problèmes actuels semblent plutôt de savoir répondre à une demande croissante. Qu’en est-il donc de la récession annoncée ?
8En effet, le prix du billet n’est pas encore trop cher pour inverser la tendance. Même à plus de 100 dollars le baril, le pétrole est encore bon marché. Le PIB mondial augmente encore et les revenus des passagers réguliers aussi. Mais plus pour longtemps. Les effets du Peak Oil sur l’aviation seront à la fois directs et indirects. Directs par l’augmentation de la proportion du coût du jet fuel sur le prix du billet, comme on l’observe déjà dans certaines petites compagnies : en mars 2008, les compagnies Aloha Airlines et ATA, qui assuraient des vols réguliers entre le continent américain et l’état de Hawaï, se sont déclarées en faillite. Indirects par les conséquences économiques générales du Peak Oil : décroissance du PIB et décroissance des revenus.
Trois scénarios
9Le consultant international Roger H. Bezdek a élaboré prudemment deux scénarios, l’un qualifié d’optimiste, l’autre de pessimiste, sur le devenir de l’aviation après le Peak Oil, en partant des hypothèses de base que le pic est advenu en 2008 et que le déclin de la production mondiale de pétrole sera d’environ 2 % par an. Dans le scénario optimiste, la décroissance du PIB mondial est d’environ 1 % par an, tandis qu’elle est de l’ordre de 2 % dans le scénario pessimiste. Dans ces deux scénarios, il est convenu que les relations historiques entre le PIB et l’aviation demeurent : le trafic de passagers décline plus vite que le PIB, les revenus des passagers déclinent plus vite que le trafic, le fret aérien décline plus vite que le trafic et les revenus.
10Le graphique ci-dessous montre les résultats de ces scénarios en 2026, comparés à celui des prospectives conventionnelles de croissance. C’est un tout autre monde que celui auquel nous sommes accoutumés. Demain n’est plus la continuation d’aujourd’hui. C’est la décroissance.
Le déclin
11L’impact du pic sur le PIB mondial se répercute directement et indirectement sur l’industrie de l’aviation. D’une industrie en croissance l’aviation se transformera en une industrie en déclin, voire en chaos selon les répercussions sur elle des autres secteurs d’activité (affaires, tourisme, cargo...). Plus de 100 milliards de dollars d’investissements deviendront inutiles. Des compagnies s’effondreront ou devront être subventionnées par les gouvernements. Des projets d’aéroports et d’infrastructures devront être abandonnés. D’autant plus que les effets en cascade du pic sur d’autres secteurs se feront sentir.
12Les voyages d’affaires, le tourisme, les parcs à thème, les cafés, hôtels et restaurants perdront des centaines de milliards de dollars et des millions d’emplois à travers le monde. Les gouvernements orienteront prioritairement les rations de pétrole vers l’agriculture, la santé, l’industrie manufacturière, les services de sécurité et de protection, et non vers le transport aérien.
Conclusions
13Les prévisions actuelles sont irréalistes.
14Le secteur aéronautique basculera bientôt dans le déclin.
15La décroissance n’est pas un choix politique, c’est notre destin.
Auteur
Ex-ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement dans le gouvernement Jospin. Docteur en mathématiques et militant écologiste depuis trente ans, il est aujourd’hui député Verts de Paris.
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