Introduction
p. 245-258
Résumés
Aujourd’hui, l’industrie du transport aérien a pleinement pris conscience de l’importance du phénomène de l’effet de serre pour la planète et de sa responsabilité en la matière. Elle conduit d’importants plans d’action pour maîtriser son impact : mise en service d’appareils moins polluants, optimisation des procédures opérationnelles, amélioration de l’utilisation de l’espace aérien.
S’il est légitime que la société demande au transport aérien de s’engager dans la réduction de ses nuisances, il faut être vigilant en veillant à ne pas introduire de distorsion de concurrence entre les opérateurs tout en préservant le rôle déterminant de cette industrie dans la croissance mondiale et locale.
The airline industry is fully aware of the importance of the greenhouse question for the future of our planet and acknowledges its responsibility. It is engaged in a significant number of actions to minimize its impact: introduction of less polluting aircrafts, optimization of standard operational procedures to reduce fuel consumption, better utilisation of airspace...
However, a great care should be taken when designing new regulations to reduce gas emissions of the airline industry in order to prevent any biased competition between operators and to preserve as much as possible the positive contribution of air travel to both global and local economic development.
Texte intégral
1Permettez-moi de commencer mon exposé par une remarque sur le texte introductif du sujet que je vais développer ici, je cite : « […] les experts du trafic aérien semblent imperturbables, l’aéronautique apparaît comme une sorte de domaine à part, hors du champ de la remise en question par la critique écologique et l’épuisement des ressources fossiles. » Or, je peux affirmer que nous ne sommes plus imperturbables, nous n’avons plus aucune arrogance, et sommes pleinement conscients des enjeux actuels et futurs.
2À cet égard, il convient de noter que dans les 6 groupes de travail du Grenelle, nous n’avons essuyé aucun reproche sur notre disponibilité à travailler sur le sujet. Rappelons qu’au salon du Bourget en 2005 personne ne parlait d’environnement alors qu’en 2007, tout le monde était conscient du défi écologiste à relever. La prise de conscience est déjà inscrite dans les préoccupations des constructeurs, des exploitants, et dans les services de la navigation aérienne.
3Certes les profanes doivent nous alerter, et nous serons extrêmement vigilants, mais nous avons des craintes plutôt que de l’arrogance.
4Puisque nous sommes mis à l’index, revenons à la place qui nous revient, concernant la part relative d’émission de CO2.
5Par secteur d’activité, le secteur de l’énergie compte pour 40 % des émissions mondiales : 15 % pour l’industrie, 22 % pour le transport routier, et environ 3 % pour le transport aérien.
6Pour Air France, la part de l’aérien est de :
0,43 % en domestique (0,9 % en incluant les DOM) ;
1,5 % en intra-Europe ;
2,5 à 3 % en long-courrier.
7Ensuite, il faut savoir que depuis 2006, le carburant est devenu le premier poste de coût de notre industrie, et pour la première fois dans l’histoire du transport aérien. Auparavant il pesait 40 milliards d’US$ par an dans les comptes de l’industrie, un peu plus de 10 % des coûts opérationnels dans les années 2000, et, d’après IATA en 2008, 149 milliards d’US$, soit 30 % de nos coûts opérationnels.
8Évidemment, ce chiffre présente de fortes disparités entre types d’activité :
sur le moyen-courrier 13 à 15 %
long-courrier et Europe 28 à 30 %
cargo, environ 35-37 %
9La disparité est également forte selon les modèles. Prenons par exemple les modèles moyen-courriers Europe Air France ou Lufthansa (13 à 15 %), et Ryanair (40 %). En ce qui concerne Ryanair, l’explication est la politique des bas coûts menée par l’entreprise, ce qui rend la part de pétrole plus importante.
10Enfin, les disparités s’expriment selon les régions du monde : long-courriers Europe (28 à 30 %), et Singapore et China Airlines (37 %).
11Pour ce qui concerne les low cost, il s’agit d’une conjonction entre les bas coûts et l’absence de couvertures de pétrole au même niveau que les nôtres.
12Il faut noter aussi que les sensibilités à ces données sont très variables car les résultats d’exploitation ne sont pas liés à ces facteurs, paradoxe reposant sur le fait, par exemple, que la marge d’Air France est de 7 % alors que celle de Ryanair se situe entre 20 et 25 %.
Structures de coûts
13On peut voir que les postes « frais de personnel » et « carburant » représentent pratiquement la moitié de nos coûts. L’évolution des frais de personnel s’élève à 4 ou 5 %, alors qu’en ce qui concerne le pétrole, nous sommes confrontés à une explosion et nous estimons qu’il va falloir prévoir, à l’échelle du groupe, environ 300 millions d’euros supplémentaires chaque année.
14Le carburant constitue notre principale source d’émission de CO2. Notre politique est désormais axée sur une diminution des émissions de gaz à effet de serre, et ce dans trois grands domaines :
15– l’équipement en appareils moins gourmands en carburant. Notre bonne santé permet de soutenir un objectif de renouvellement de la flotte. Nous avons investi 2 milliards d’euros par an jusqu’à maintenant (nos avions ont un âge moyen de huit-neuf ans, la flotte mondiale étant plus proche de 12), et nous visons pour 2012 une performance moyenne de 3,7 litres aux 100 km (alors que le chiffre est actuellement de 3,85), objectif assigné en fonction du remplacement de notre flotte, sauf crise financière qui nous obligerait à retarder nos investissements. Nous sommes d’ores et déjà en train de planifier l’arrêt d’exploitation de nos 747/400, pourtant très modernes, et espérons y parvenir au début des années 2010, si les résultats économiques le permettent. Il faut également noter, parmi les éléments décisifs, que si en 2006-2007, la croissance de mouvements d’avions est de 2,7 % alors que le trafic augmente de 6,7 %, c’est du fait de l’augmentation de la taille des avions.
16– l’optimisation des procédures opérationnelles. Notre objectif étant 3 % de consommation en moins, donc une réduction de 3 % d’émission de CO2 (depuis 1990, les émissions totales dans le monde ont augmenté de 64 % alors que le trafic s’est accru de 122 %). Pour ce faire, les moyens sont bien connus des pilotes : décollages à poussée réduite, plans de vol optimisés, procédures particulières. Le contrôle aérien est également un acteur partenaire de cette stratégie, en collaboration avec la DSNA (Direction des services de la navigation aérienne), l’objectif envisagé étant d’amener à 12 % l’émission de CO2. Il faut garder à l’esprit que c’est un travail qui ne peut se faire qu’au niveau de la Commission européenne, avec le projet SESAR, et que nous pourrons difficilement atteindre seuls cet objectif sur le territoire national sachant que 45 % à 50 % des survols, autrement dit des mouvements d’avions, ne concernent pas les liaisons de et vers la France.
17– La réduction des dessertes du transport intérieur. Nous pouvons nous permettre d’afficher – 20 %, et cela va continuer, car nous allons arrêter ou réduire drastiquement certaines dessertes : Orly-Strasbourg et Orly-Lyon. En ce qui concerne Lyon, avec 80 passagers journaliers Lyon-Antilles, nous optons pour le maintien d’un avion le matin. En revanche, pour la liaison Lyon-Réunion, nous ne pouvons nous permettre d’immobiliser un appareil jusqu’au soir pour assurer la correspondance. Par conséquent, 5 fréquences seront supprimées dès la fin avril.
18Je tiens également à souligner que, dans une période où les résultats d’Air France sont positifs, nous procédons au renouvellement de nos véhicules et matériel de pistes. Pour ce faire, nous investissons 10 millions d’euros afin de détenir un équipement 60 % électrique d’ici 2020. Pour autant, ce n’est pas seulement un problème d’investissements car certains matériels de piste électriques n’existent pas. Ainsi, nous travaillons sur la conception d’escaliers roulants électriques, plus viables.
19Par ailleurs, en ce qui concerne l’énergie sonore, il apparaît évidemment que le renouvellement de la flotte induit de meilleures performances du point de vue des nuisances. Bien que le nombre d’avions augmente, l’énergie sonore est en diminution. De plus, nous avons proposé de supprimer tous les vols de nuit, suite à la pression des riverains, et nous n’avons plus de vols entre minuit et 5 heures (soumis par ailleurs à une taxe de 20000 euros) ce qui a impliqué de renoncer à 750 créneaux entre 2003 et 2006.
20Tous ces paramètres participent à une meilleure gestion des contraintes environnementales et économiques, mais il en est d’autres encore. Ainsi, sachant que sur la flotte Air France, 1 kg en moins équivaut à 15 000 euros d’économie en carburant (à 70 US$ le baril, donc ce chiffre est à réajuster), soit 100 tonnes de CO2, nous faisons donc quotidiennement une véritable chasse « au poids ». C’est pourquoi les trolleys, pesant actuellement 29 kg vont passer à 23, et la moitié passera de 18 à 14, permettant une économie de carburant appréciable, et donc de CO2.
21Pour mémoire aussi, un détail qui n’en est pas un, qui me permet de lancer une petite provocation aux pilotes qui demandent des humidificateurs dans les appareils, « détail » sur lequel nous avons développé une étude : un passager exsude 10 cl d’eau. Donc, dans un Airbus A330/200 avec une moyenne de 5 000 heures de vol et un facteur de charge de 90 %, cela représente 300 kg, soit 165 tonnes de CO2 sur l’année. D’où la sensibilité du débat sur ces fameux humidificateurs. L’économie chez Air France est une économie de poids.
22Les réponses que nous pouvons apporter, liées à ce qui se fait au niveau européen via le programme SESAR, reposent sur une facilitation des procédures qui sont très lourdes, sur les survols (ainsi nous travaillons également sur la question des vols transatlantiques), et sur le programme « CLEAN SKY » (une partie de la volonté émise par la programme « ICARE »), et qui définit les objectifs suivants d’ici à 2020 : moins 50 % de CO2, moins 85 % de NOx et moins 50 % de bruit (sur ce dernier point on sait pouvoir garantir l’objectif).
23Comment faire ces économies ? Elles sont réparties, pour le CO2, en :
20 % sur l’avion, ce qui implique une forte contribution des constructeurs ;
15 à 20 % sur les moteurs ;
5 à 10 % sur l’ATC (Air Traffic Control).
24Air France a également l’intention d’afficher – 20 % entre 2005 et 2012 sur les DOM-TOM, objectif quasiment réalisé en raison de la suppression des appareils 747/400 sur cette liaison, remplacés par le nouvel avion 777 qui est le plus viable en matière d’environnement.
25Sur le domestique, notre objectif est de moins 5 %. La concurrence du TGV étant un facteur appréciable, son intérêt reposant sur la charge. Car il faut savoir qu’au-delà de 320 km/h, un TGV génère la même quantité de CO2 qu’un Airbus 320, et ceci avec la répartition de l’électricité consommée par la SNCF (60 % EDF, 16 % SNET, 6 % SUEZ, 18 % autres). Profitons-en d’ailleurs pour donner la répartition de l’électricité européenne :
charbon : 18 %
lignite : 5 %
pétrole : 10 %
gaz naturel : 15 %
autres gaz : 2 %
hydraulique : 15 %
nucléaire : 35 %
26En revanche, le nombre de passagers dans le train est nettement supérieur. Il nous faut donc trouver une collaboration efficace, sachant que notre souci concerne surtout l’international et une partie de l’aménagement du territoire.
27Ajoutons que nous sommes pour les permis d’émission – nous ne pouvons qu’en acheter – à condition qu’ils soient ouverts à tous les secteurs, et sur le plan mondial, que les concurrents soient sur un plan d’égalité. Lors de notre participation au Grenelle de l’Environnement, nous avons pris cet engagement qui fait foi de notre démarche volontariste.
28Nous souhaitons également soutenir des programmes de recherche aéronautique environnementaux, et surtout essayer de ne pas tricher avec nos clients. À cet effet, nous avons mis en place un éco-comparateur, validé par l’ADEME (Department of Environmental Management) et qui, sur le site Air France, proposera des compensations en matière de développement durable.
29Il convient également d’évoquer l’accélération de l’aérien pour les économies locales et nationales : d’ici 2010, la croissance de l’activité aérienne devrait créer près de 20000 emplois. En laissant de côté la croissance de l’économie française qui se lit facilement, l’aérien reste le lien fondamental qui permet aux régions françaises d’être connectées aux marchés mondiaux.
30Ainsi, comme on ne peut aller partout en TGV, nous avons un problème avec le « hub » (plateforme aéroportuaire) de Clermont-Ferrand dont nous avons « hérité » et que nous sommes obligés de maintenir principalement pour répondre aux impératifs de Michelin, qui sans lui, serait confronté à de vraies difficultés.
31De même, la desserte Lyon-Orly que nous nous sommes engagés à supprimer lors des entretiens de Grenelle conservera toutefois une liaison le matin pour assurer la correspondance avec les Antilles. Par conséquent, on peut voir que les « calages » à faire s’avèrent délicats.
32D’ici 2010, la croissance devrait créer près de 20 000 emplois. À Roissy – cela a été comptabilisé – 1 million de passagers ou 10 000 tonnes de fret génèrent 4 500 emplois au total, directs, indirects, induits et catalysés, dont 1 500 emplois directs.
33Les riverains de Roissy qui participent aux associations, même s’ils sont un levier pour défendre l’environnement, sont des interlocuteurs avec lesquels nous trouvons des solutions satisfaisantes pour à peu près tous les protagonistes.
34Pour répondre à la question d’un déplacement hors de CDG, la réponse est que nous ne savons pas aller à Vatry, nous ne pouvons pas aller « ailleurs », nous avons déjà notre « hub ». Il faut savoir que 56 % de nos passagers ne viennent pas en France, et que nous avons besoin d’un apport de passagers de province ou d’Europe pour vivre avec le « hub » de Paris-CDG qui génère la quasi-totalité de nos recettes.
35Parmi tous les facteurs à prendre en compte, il faut évidemment évoquer le problème du pic de production du pétrole. Les experts individuels donnant des prévisions variables, il apparaît néanmoins, quand on fait le bilan, que les difficultés sont à prévoir dans les années 2020/2030.
36Air France consomme annuellement 6,5 millions de tonnes, chiffre équivalent à celui de production totale de l’Allemagne en 1944 via les procédés FISHER-TROPSH et BERJIUS. Les procédés de transformation sont émetteurs de gaz carbonique, mais on assure que dans l’avenir ces émissions de gaz seront piégées, la transformation devant se faire sous terre.
37Par ailleurs, selon l’ONERA (the French Aerospace Lab), on peut techniquement remplacer le kérosène traditionnel par un carburant synthétique. Mais à quel prix ?
38De même, les estimations portant sur les potentialités du gaz naturel annoncent un coût de 90 US$ le baril, ce qui nous intéresse maintenant, au même titre que l’IFP.
39Mais il ne faut pas oublier une chose : c’est que les investissements pour fabriquer les installations sont colossaux. Ainsi, l’US Air Force a dépensé 860 US$ par baril pour la mise au point de 380 0000 litres de carburant. On voit donc que nous n’en sommes qu’aux balbutiements.
40Enfin, à titre de récréation sur la question des carburants, j’évoquerai la fameuse photo de Sir Richard Branson posant devant son avion, sirotant une noix de coco. Nous avons regardé cela de près, et nous basant sur les chiffres publiés par le Guardian, nous apprenons que l’avion de Virgin a utilisé du JET (JET FUEL, à haute capacité antigel) dans trois de ses réservoirs, le quatrième contenant 80 % de JET et 20 % de biocarburant. Si ces avions sont comme les nôtres, 5 % des réservoirs sont remplis avec cette mixture noix de coco et noix de babassu, ce qui veut dire qu’il faut 3 millions de noix de coco pour remplir les réservoirs. En extrapolant, on calcule qu’il faudrait 3 milliards de noix de coco pour les besoins d’Heathrow pendant une journée. Après consultation des spécialistes de la noix de coco, le Coconut Institute Reserve of Sri Lanka, il s’avère que la production annuelle mondiale approvisionnerait le trafic d’Heathrow pour dix-huit jours seulement !
41En conclusion de mon exposé, je souhaite exprimer la volonté qu’a Air France d’être exemplaire en matière de développement durable, volonté diffusée dans l’entreprise et bien intégrée. C’est le créneau de notre président : développement durable et sécurité du travail, et j’ajoute bien entendu, sécurité des vols.
42En 2006, le groupe Air France-KLM a adopté une déclaration de responsabilité sociale, et dans le triptyque usuel de l’environnement durable People, Planet, Profit, la compagnie se donne trois objectifs :
progresser sur l’ensemble des composants du contrat social ;
limiter l’impact de toutes nos activités sur l’environnement ;
contribuer au développement économique des territoires où nous opérons.
43Air France et chacune des directions générales du groupe investiront dans ces domaines.
Annexes
Auteur
Docteur en sciences physiques.
A débuté sa carrière comme assistant de recherche en physique générale.
A été président d’un Comité d’expansion économique d’une région en reconversion minière.
Ingénieur navigant de l’aviation civile et pilote de ligne.
Il a été plusieurs fois conseiller technique du ministre des Transports et conseiller auprès du président d’Air France.
Après avoir été directeur général de l’Aéropostale, il est depuis 1999 directeur général adjoint d’Air France en charge des Opérations aériennes.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Enfermements. Volume II
Règles et dérèglements en milieu clos (ive-xixe siècle)
Heullant-Donat Isabelle, Claustre Julie, Bretschneider Falk et al. (dir.)
2015
Une histoire environnementale de la nation
Regards croisés sur les parcs nationaux du Canada, d’Éthiopie et de France
Blanc Guillaume
2015
Enfermements. Volume III
Le genre enfermé. Hommes et femmes en milieux clos (xiiie-xxe siècle)
Isabelle Heullant-Donat, Julie Claustre, Élisabeth Lusset et al. (dir.)
2017
Se faire contemporain
Les danseurs africains à l’épreuve de la mondialisation culturelle
Altaïr Despres
2016
La décapitation de Saint Jean en marge des Évangiles
Essai d’anthropologie historique et sociale
Claudine Gauthier
2012
Enfermements. Volume I
Le cloître et la prison (vie-xviiie siècle)
Julie Claustre, Isabelle Heullant-Donat et Élisabeth Lusset (dir.)
2011
Du papier à l’archive, du privé au public
France et îles Britanniques, deux mémoires
Jean-Philippe Genet et François-Joseph Ruggiu (dir.)
2011