La réalité virtuelle : un lieu où l’on agit
p. 121-124
Résumés
L’homme sera de plus en plus utilisé pour ses capacités à choisir des alternatives, à prendre des décisions, à réagir face à des situations imprévues. Il pourra d’autant mieux le faire qu’il sera déchargé des tâches de routine et qu’il aura une meilleure connaissance de son environnement. Une meilleure prise en compte de ses faiblesses sera incontournable ; les systèmes devront devenir « fault tolérant, fault résistant ». Au fond, l’évolution actuelle, loin de rejeter l’humain, conduit à mettre les automatismes à son service en intégrant sa vision, et non l’inverse. Elle permettra de passer de l’époque des échanges entre humains et opérateurs de systèmes à l’époque du dialogue entre systèmes automatiques avec des hommes décideurs.
Man will be progressively used for his abilities to choose alternatives; to make decisions and to respond to unexpected situations. He may do it even better whereby he will be relieved of routine tasks and will have a better knowledge of his environment. Taking better account of his weaknesses will be unavoidable; the systems will have to become "fault tolerant, fault resistant". Basically, current advancements, far from rejecting man, lead to automatism being put to his service by integrating his vision, and not the opposite. These advancements enable us to advance from an era of exchanges between man and system operators to an era of dialogue between automatic systems and decision-makers.
Texte intégral
1Tout d’abord je souhaiterais apporter quelques précisions sur ce que sous-entend l’expression « réalité virtuelle ».
2La réalité virtuelle n’est pas simplement une image de synthèse générée par ordinateur, même saisissante de réalisme, mais un lieu dans lequel on se déplace.
3Avec le virtuel, l’homme cesse d’être le spectateur d’une image pour en devenir un acteur.
C’est une immersion dans l’image
L’immersion par la surface de l’écran : le gigantisme.
L’immersion par l’attrait naturel à réduire la distance : être dans l’image. Avec le casque de réalité virtuelle, l’immersion est complète.
La navigation dans l’image : impression de se déplacer dans l’espace. L’homme cesse d’être spectateur pour devenir acteur.
L’intervention dans l’image. Action sur le monde virtuel. Avec le « gant de capture » qui reproduit les mouvements de la main, l’homme est entré dans l’univers du virtuel.
La réalité virtuelle est en quelque sorte la capacité d’interactivité dans une image de synthèse
Les jeux vidéo en sont une parfaite illustration.
L’aboutissement de la réalité virtuelle est l’univers virtuel.
C’est la simulation et la stimulation de tous les sens : le niveau de réalisme vers lequel évoluent les simulateurs de vol en est un parfait exemple.
On a l’impression d’être en interaction avec le monde physique.
Mais que devient la place de l’homme ?
4Je ne crois pas que l’univers virtuel conduise au rejet de l’être humain.
Bien au contraire il peut lui élargir le champ du possible
La télé-opération à distance par exemple.
Mais cela se traduira, inévitablement, par des évolutions majeures de son rôle, de sa répartition géographique, et numérique (deux ou un seul pilote à bord, le pilote au sol, plus de pilote...).
Ce sont les conséquences incontournables de la recherche du gain de productivité, d’amélioration de la sécurité et du souci de préservation de l’environnement.
Observons ce qui se passe dans le monde de l’aviation militaire
5Citons l’exemple des drones.
6Leur utilisation améliore l’efficacité des missions tout en évitant l’engagement physique.
7Ils permettent, au cours d’une mission de reconnaissance, un repérage discret, tout en disposant d’une grande autonomie sur zone.
8Ce sont des vecteurs qui autorisent des opérations d’attaque à très haut risque (destruction des radars des batteries de missiles) en évitant des pertes humaines.
9L’homme est remplacé pour les tâches exécutables par des machines, mais son activité est recentrée sur des tâches exigeant des capacités d’analyse et de choix d’alternatives.
Dans le monde de l’aviation civile
10La révolution du transport aérien, dont la mise en place entre dans une phase active, est un changement de paradigme majeur : c’est le passage de l’ère du procédural à l’ère du transactionnel.
11On ne négociera plus un plan de vol comportant des itinéraires, des points préprogrammés et des finales type, mais une trajectoire optimisée pour un certain nombre de critères comme la performance, la réduction des nuisances, les perturbations de sillage de l’avion précédent...
12Ce ne seront plus les êtres humains qui communiqueront pour acquérir une vue très abstraite et locale de l’environnement.
13Ce sont les machines qui communiqueront pour établir une situation « temps réel » consolidée accessible à tous, ce qui facilitera la compréhension et la prise des bonnes décisions.
14Les évolutions envisagées concernent notamment :
contrats de trajectoire 4D gate to gate ;
situation partagée représentée de la manière la plus conforme au monde réel (les symboles sont remplacés par des images). Le support sera une sorte d’Internet du ciel ;
intégration de la météo en temps réel ;
sauf cas extrêmes, il n’y aura plus de différence entre le beau et le mauvais temps.
15Le rôle de l’homme, en l’occurrence le pilote et le contrôleur, va profondément évoluer.
16Comme on l’a déjà vu, il ne sera plus un opérateur de système, mais un superviseur ou un décideur parfaitement intégré dans un système global.
17Il n’est pas prévu de supprimer ou de réduire ses responsabilités.
18Bien au contraire, dans le cas du transport civil, il est envisagé de lui en déléguer des supplémentaires (séparation et « espacement » par exemple).
19On confiera de plus en plus aux automatismes les tâches qui exigent une grande précision d’exécution ou qui présentent de telles dispersions que la sécurité ne peut plus être garantie par l’application de procédures classiques (précision et dispersion des profils de trajectoires d’« approche 4D » satisfaisant un ensemble de contraintes multicritères par exemple).
20L’évolution des performances de service et du niveau de sécurité envisagés auront pour conséquence d’induire un profond changement dans la conception des systèmes. Le facteur humain va devenir un élément déterminant. Sa prise en compte sera de plus en plus imposée par la réglementation. Il ne sera plus suffisant, en cas de problème, de se réfugier derrière l’application de procédures.
21La mise en place d’un automatisme ne devra plus être justifiée par un gain d’efficacité de la machine, mais par une amélioration de l’efficience du système global (homme et machines) dans l’environnement, y compris en cas de panne.
22Aujourd’hui l’homme est superviseur de système et se retrouve opérateur confronté à des difficultés pour lesquelles il n’est plus préparé en cas de défaillance de la machine (perte d’aides au pilotage en cas de défaillance d’un système par exemple).
23Il est également trop considéré comme un élément infaillible. Aussi quand il est perdu, les procédures ne sont plus d’une grande utilité, voire nuisibles, et les automatismes ne sont pas définis pour couvrir cette hypothèse. Cela ne doit plus être le cas demain.
24D’autres solutions sont envisageables : par exemple en cas de panne, diminution des performances des automatismes mais conservation de leur nature intrinsèque. Comme c’est le cas, aujourd’hui pour les commandes de vol électriques d’un Rafale : en cas de panne on ne demande pas au pilote de revenir au pilotage de base des gouvernes.
25L’homme sera de plus en plus utilisé pour ses capacités à choisir des alternatives, à prendre des décisions, à réagir face à des situations imprévues. Il pourra d’autant mieux le faire qu’il sera déchargé des tâches de routine et qu’il aura une meilleure connaissance de son environnement.
26Une meilleure prise en compte de ses faiblesses intrinsèques est incontournable ; les systèmes devront devenir « fault tolérant, fault résistant ». Ils devront lui apporter toute l’aide nécessaire pour éviter sa propension naturelle à s’enfermer dans des erreurs de situation.
27Au fond l’évolution actuelle, loin de rejeter l’homme, conduit à mettre les automatismes à son service en intégrant sa vision et non l’inverse.
28Elle permettra de passer de l’époque des échanges entre hommes qui pilotent des systèmes à l’époque du dialogue entre systèmes et des hommes qui décident. Mais on se doit de reconnaître en conclusion que, quelque part, c’est la disparition du pur plaisir de piloter et l’anéantissement d’une part de rêve.
Auteur
Directeur adjoint à la direction du pôle Système de la direction générale Technique de Dassault Aviation. Formation pilote de chasse à Salon, Tours et Cazaux, puis pilote d’essais et de réception toutes catégories (1979-1998).
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