Les compagnies aériennes dans la société de 2020 : quels dangers, quelles chances ?
p. 101-112
Résumés
Le transport aérien existe et se développe de façon régulière car il répond à deux besoins principaux : le besoin qu’ont les entreprises d’échanger et de commercer dans une économie de marché qui se globalise et l’aspiration qu’ont les individus à se déplacer aussi bien pour visiter leurs amis et familles que pour découvrir d’autres cultures et continents. On estime que « l’élasticité » de la demande au PIB est environ égale à 2. Le développement du transport aérien est donc directement dépendant du développement économique dont il est en retour un des vecteurs principaux. Le transport aérien participe ainsi à la mondialisation par les échanges qu’il permet et se nourrit de cette mondialisation ; et cet état de fait a peu de chance d’être remis en cause à court terme.
Le transport aérien de 2020 ressemblera donc dans les grandes lignes à celui d’aujourd’hui, mais dans le détail il aura été modifié pour bien des aspects et quelquefois en profondeur : le phénomène low cost, la révolution de l’internet, la prise de conscience de ce que le réchauffement de la planète aura des conséquences très importantes sur le futur de l’homme, la fin du cycle de la libéralisation du secteur de l’aérien constituent quelques-unes des grandes tendances qu’il faut prendre en compte pour comprendre les transformations du système de contrainte auquel est soumis le transport aérien.
Air transport exists and develops systematically because he meets two principal needs: the need to exchange and trade in a market economy which globalise and the aspiration individuals have to move as well to visit their friends and families and to discover other cultures and continents. It is estimated that “the elasticity" of the request with the GDP is approximately equal to 2. The development of air transportation is thus directly depending of the economic development of which it is, in return, one of the principal vectors. Air transportation takes part thus in universalization by the exchanges. It allows and nourishes itself of this universalization, and this irrefutable fact has little chance to be called into question in the short term. Air transport of 2020 will thus resemble in the broad outlines that of today, but in detail it will have been modified for many aspects and sometimes in-depth: the phenomenon low cost, the revolution of the Internet, the awakening of the warming of planet will have very important consequences on the future of the man. Moreover the end of the cycle of the liberalization of the air sector is a main tendency and it is necessary to take it into account to understand the transformations of the system of constraint to which air transport is subjected.
Texte intégral
1Le transport aérien existe et se développe de façon régulière car il répond à deux besoins principaux : le besoin qu’ont les entreprises d’échanger et de commercer dans une économie de marché qui se globalise, et l’aspiration qu’ont les individus à se déplacer aussi bien pour visiter leurs amis et familles que pour découvrir d’autres cultures et continents.
2Le besoin de mobilité est un besoin qui s’exprime comme une priorité dès que les besoins vitaux sont satisfaits (se nourrir, se loger). Aussi l’aspiration au voyage s’exprime-t-elle très tôt dans les préférences affichées par les individus, dès que le pouvoir d’achat augmente. Ce lien entre l’évolution du PIB d’un pays et l’évolution de la demande en transport aérien est un lien bien connu et analysé depuis le début de l’aviation commerciale. On estime que « l’élasticité » de la demande au PIB est environ égale à 2. En clair, si le PIB augmente de 3 %, la demande en transport aérien augmentera de 6 %. Bien évidemment ce coefficient 2 représente une moyenne ; il est inférieur dans les pays où les PIB par tête sont insuffisants (ex. Afrique) et supérieur là où l’avion est utilisé comme une commodité (ex. les États-Unis). Et l’on ne doit pas craindre une saturation prochaine de ce marché qui est loin d’être mature car même dans un pays très consommateur de voyages aériens comme la Grande-Bretagne, seulement 28 % des adultes ont pris l’avion deux fois ou plus dans l’année.
3Le développement du transport aérien est donc directement dépendant du développement économique dont il est en retour un des vecteurs principaux. On estime ainsi que le transport aérien constitue 6 à 8 % du PIB mondial !
4Le transport aérien participe ainsi à la mondialisation par les échanges qu’il permet et se nourrit de cette mondialisation ; et cet état de fait a peu de chance d’être remis en cause à court terme. Depuis bientôt soixante ans, la croissance de ce secteur est en moyenne de 6 % par an. Sauf accidents locaux ou conjoncturels, cette valeur moyenne ne devrait guère évoluer d’ici à 2020 car la baisse des taux de croissance sur les continents les plus développés est en général compensée par l’augmentation de ceux des pays émergents.
5À très long terme, on peut imaginer des ruptures technologiques fortes qui permettraient de se passer des propulsions classiques utilisées aujourd’hui, mais pour les quinze à vingt ans à venir ces ruptures ne sont pas envisageables. Le transport aérien de 2020 ressemblera donc dans les grandes lignes à celui d’aujourd’hui, mais dans le détail il aura été modifié pour bien des aspects et quelquefois en profondeur.
Dans les modifications de fond, on notera l’évolution du référentiel de prix dans la tête du client.
6Le phénomène low cost ne concerne pas que le business model proprement dit, il relève d’un changement plus général dans le comportement du consommateur. Dans la tête du client, le prix désormais considéré comme normal pour un vol domestique est proche de 35 €. Tant pis si cette somme n’a aucune réalité économique ; tant pis si dans le même temps un trajet Orly-Asnières coûte 49 € ; tant pis si deux jours de stationnement à l’aéroport se solderont par une facture de 42 €. La confusion entre prix d’appel et prix moyen, l’opacité tarifaire générée par des affichages incluant ou pas les taxes et suppléments divers font que le consommateur vit au rythme des promotions low cost, persuadé – surtout s’il ne prend pas fréquemment l’avion ou s’il dispose de temps pour choisir à l’avance ses dates de voyages – que payer plus de 35 € pour faire Paris-Cracovie, c’est se faire avoir.
7La deuxième grande évolution dans le comportement client est liée à la révolution de l’internet. Aujourd’hui, les internautes sont éduqués pour surfer et pour, armés de leur seule souris, s’affranchir de toutes les couches d’intermédiation.
8Le but premier, bien sûr, rejoint l’état d’esprit low cost : supprimer les intermédiaires c’est se donner une chance de payer moins cher. Mais la suppression des couches d’intermédiation c’est aussi davantage de choix, de rapidité et de simplicité. En clair, les clients surfent, cherchent, comparent, réservent, payent, s’enregistrent et impriment leurs cartes d’embarquement de façon autonome. À la clef, quelques euros économisés pour les clients et quelques milliers d’emplois à reclasser pour les compagnies aériennes.
Le troisième grand changement est lié à la prise de conscience de ce que le réchauffement de la planète aura des conséquences très importantes sur le futur de l’homme.
9Sans nécessairement bien différencier ce qui relève de constats objectifs, de faits avérés ou d’intoxications partisanes, les citoyens du monde s’ouvrent au développement durable. Le concept gagne du terrain même s’il est manipulé d’un côté par les éco-intégristes qui privilégient le seul axe écologique de ce système alors que ce concept ne peut exister qu’en respectant un équilibre difficile entre ses trois composantes (écologie, économie, social-sociétal), et de l’autre côté par les industriels qui font de la récupération sans vergogne. À en croire les publicités qui envahissent nos écrans, on a beaucoup de chance d’avoir autant de pétroliers et de constructeurs automobiles qui défendent si bien la nature !
Le quatrième et grand changement constitue la conclusion d’un cycle, celui de la libéralisation du secteur de l’aérien.
10Il se solde, comme dans tous les secteurs industriels qui l’ont précédé dans ce mouvement, par une inévitable consolidation. Les états ayant perdu le contrôle de leurs compagnies, la réalité des marchés et l’atomisation des acteurs obligent à la consolidation. À terme, on peut parier sur trois méga compagnies en Europe qui auront à peu près le même nombre d’homologues aux États-Unis. Bref, une perspective de trois méga alliances au niveau mondial dans un monde où la déréglementation continuera à s’étendre vers l’Asie. L’exemple de l’Open Sky Europe/États-Unis sera ainsi probablement suivi par l’Asie.
11Ces quatre grandes tendances étant posées, il faut maintenant considérer les facteurs qui mettent déjà directement sous contrainte le transport aérien et pourraient en modifier l’aspect si leur pression s’accentuait.
12On citera parmi ces facteurs que l’on peut considérer comme exogènes, la dépendance vis-à-vis de l’énergie d’origine pétrolière avec la volatilité des prix du kérosène, l’impact grandissant des mesures de sécurité qui, en plus du coût exorbitant qu’elles représentent rapporté à chaque billet d’avion, pèsent lourdement sur la fluidité des embarquements et représentent de plus en plus un parcours dégradant pour des passagers transformés en strip-teaseurs qui en viennent à regretter de ne pas avoir pris le train où de telles mesures n’existent pas.
13On citera aussi parmi ces facteurs, la sacralisation du CO2 comme symbole du tsunami vert et la disproportion médiatique des procès menés contre le transport aérien.
14Si l’on en croit l’importance du nombre d’articles de presse consacrés au CO2 émis par l’aérien versus celui émis par le transport routier, l’aérien rejette infiniment plus de CO2 que l’automobile, alors que le CO2 émis réellement par les avions représente 2,5 % du CO2 planétaire d’origine humaine à comparer aux 20 à 25 % émis par les voitures et camions. Ainsi, le routier contribue dix fois plus aux gaz à effet de serre que l’aérien, mais la pression médiatique inverse les facteurs...
15Comme autre facteur, il faut bien sûr parler du bruit. Le bruit est présent autour de chaque plate-forme et même si les avions sont – progrès techniques obligent – de plus en plus silencieux, le nombre d’avions augmente presque aussi vite que celui des habitants dans les zones de bruit.
16Les infrastructures aéroportuaires font aussi partie des facteurs déterminants pour le futur car dans l’Europe entière les rythmes actuels de croissance conduisent à un avenir très contraint en 2020. En clair, les pistes et les terminaux prévus sur les principales plates-formes européennes seront saturés à cet horizon et le poids des facteurs exogènes cités précédemment (carburant, CO2, bruit, sûreté...) font hésiter les politiques et les investisseurs quant à de nouvelles capacités supplémentaires. Une sorte de politique de l’autruche pousse à ne pas prendre de décision de développement au-delà de 2015 alors que l’on sait bien que les délais de mise en œuvre de ces projets dépassent souvent dix ans !…
17Reste un dernier facteur qui est celui du recours à la taxe facile. Quel que soit le sujet à aborder quand il faut de l’argent, on trouve toujours plus facile de le prélever sur ce mode de transport que sur tout autre.
18Aujourd’hui, 1 € est prélevé sur un Paris-Marseille fait en avion (mais rien sur le train) au titre de la taxe « Chirac » destinée à lutter contre les grandes pandémies. On aurait pu taxer les pétroliers, les assureurs, les spéculateurs... on a préféré taxer les passagers du transport aérien moins aptes à se défendre et moins nombreux que les automobilistes pour les élections suivantes.
192020 devrait donc se présenter pour les compagnies avec trois grandes interrogations :
201. Sur court-courrier, une double question portant sur le rail : les États continueront-ils à subventionner aussi fortement ce moyen de transport (32 milliards d’euros par an en Europe dont 12 rien que pour la France) ?
21L’Europe acceptera-t-elle que la France repousse l’application de ses directives en matière de libéralisation du rail sur le domestique au-delà de 2017 ?
222. Sur moyen-courrier l’avènement de l’aérien en tant que commodité sera-t-il confirmé en Europe et continuera-t-on à assister à une convergence entre les business models des majors qui écrasent leurs coûts et simplifient leur service, et les low cost qui voient les leurs augmenter avec le besoin de se différencier entre elles par la qualité qu’elles améliorent ?
23Quels arbitrages seront portés par les citoyens nourris sous perfusion au développement durable entre le transport utile et le transport futile ? Trouvera-t-on une issue à ce paradoxe qui incite à la prolifération de low cost aux marges bénéficiaires outrancières car fonctionnant avec des business models très spéculatifs qui prônent le transport « futile », tandis que le bruit de fond désignant l’aérien comme symbole du réchauffement climatique s’amplifie et pousse à en limiter l’usage au strict nécessaire, c’est-à-dire au transport « utile » ?
24Enfin les États assumeront-ils les conséquences de leurs décisions en matière de surtaxation galopante du transport aérien et de leur non-décision en matière de développement des infrastructures au-delà de 2015/2020 ? Conséquences qui déboucheront sur une gestion de la pénurie qui ne profitera qu’aux clients les plus riches juste au moment où l’on prétend que le low cost est un levier pour le pouvoir d’achat...
25Quelle cohérence sera trouvée par les États pour justifier que d’une part ils distribuent via les régions des subventions1 aux aéroports secondaires pour y stimuler le trafic, si dans le même temps ces États mettent en place des écotaxes pour dissuader les passagers de prendre l’avion afin de freiner le développement du transport aérien ?
263. Sur long-courrier, quelle sera la conséquence de la concentration à venir autour de trois méga-alliances planétaires ?
27Comment s’exprimeront les différences d’intervention des États dans les business models des compagnies ? Le soutien actuel sans limite des États du Golfe à leurs compagnies via les infrastructures perdurera-t-il ? Le dumping social praticable aujourd’hui par des États qui ont des SMIC quarante fois moindre qu’en Europe (ex. Chine vs France) sera-t-il encore possible ?
28Le sacrifice des compagnies européennes par la braderie des droits de trafic que font les États comme la France au profit d’États sans marché naturel en échange d’achats d’avions (exemple d’Emirates) sera-t-il toujours de mise ?
29Oui, 2020 est une échéance qui promet de riches et intéressants débats. Et la boîte de Pandore est autant pleine d’épines que de paillettes...
Notes de bas de page
1 Rien que sur le territoire français, c’est plus de 100 millions d’euros que Ryanair a ainsi perçu en aides publiques diverses depuis 2002.
Auteur
Directeur du développement Air France (Intelligence économique et planification stratégique du groupe Air France-KLM).
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