Le désenchantement de l’air
p. 47-50
Résumés
L’histoire de l’aviation et de la conquête spatiale est très brève. À peine soixante ans entre l’exploit de Blériot et le premier vol de Concorde et le premier pas de l’homme sur la Lune ! La France tient une place exceptionnelle dans cette histoire fulgurante et l’aéronautique y est encore un pôle d’excellence. Mais il semble bien que l’opinion publique et les médias français s’en désintéressent ou ne retiennent que les aspects négatifs (difficultés industrielles, accidents…). La question est de comprendre pourquoi et en particulier de discerner quelle est la part de responsabilité du monde aéronautique lui-même.
Aerospace story is very short. Just 60 years between Chanel crossing by Blériot and Concord maiden flight or Armstrong walking on the moon ! France place in this story is outstanding and aeronautics are still among main skills of this country. But for some reasons public opinion and medias do not feel really concerned or are only interested in bad news (industrial troubles, accidents...). The question is why and what is the responsability of the "aviators" themselves in this situation.
Texte intégral
1Belle lurette que les hommes essayaient de voler... lorsque la chose devint possible, c’est-à-dire lorsque l’on parvint à construire des moteurs dont le rapport poids/puissance permettait de caresser l’espoir du vol.
2Les passionnés d’aérostation vont être très mécontents, et à juste titre car les ballons et les montgolfières permettaient déjà de connaître l’ivresse suprême, mais lorsque je parle de « voler » je pense à un type de vol où l’on décide du moment et du lieu de décollage ainsi que de l’endroit où l’on veut aller.
3C’était il y a un peu plus d’un siècle, au tout début du xxe siècle et tout, ou presque tout se passait en France et même à Paris et autour de Paris. Il y avait bien deux bricoleurs de génie qui au fond de leur atelier de marchand de bicyclettes, dans un petit bled de Floride, préparaient le Flyer. Ils s’appelaient Wilbur et Orville Wright et il semble bien qu’un certain jour de l’an de grâce 1903 ils aient réussi à faire voler un plus lourd que l’air.
4Ce n’est pas le propos, ici, de débattre du caractère de « première historique » de cet évènement. La discussion reste ouverte et j’en connais que cette question ne laisse pas en repos...
5En ce qui me concerne je préfère me borner à constater que très vite les frères Wright débarquèrent en France avec armes et bagages, parmi lesquels le Flyer. L’Aéroclub de France leur délivra des licences de pilotes et ils allèrent poursuivre leurs expériences au Mans d’abord et plus tard à Pau.
6Ils n’étaient pas et ne furent pas les seuls à faire de la France leur patrie aéronautique...
7Depuis et jusqu’à aujourd’hui cette relation forte entre l’Hexagone et le monde de l’air s’est maintenue de façon constante. Il suffit de parcourir l’histoire de la conquête du ciel pour constater que la liste des femmes, des hommes, des machines volantes, des entreprises... qui constituent la contribution française à l’épopée aérospatiale est impressionnante et place notre pays, dans ce domaine spécifique, au tout premier rang. C’est sans doute ce qu’il convient d’appeler un pôle d’excellence ?
8Une autre réflexion vient à l’esprit lorsque l’on évoque cette épopée, c’est son caractère fulgurant. Aucune aventure humaine n’a connu un progrès aussi prodigieux sur une durée aussi courte. Que l’on m’en permette une seule illustration :
9Blériot traverse la Manche à bord de son petit monoplan, le Blériot XI, en juillet 1909. Cette traversée est alors un immense exploit salué comme tel dans toute l’Europe. « L’Angleterre n’est plus une île ! »
10Soixante ans plus tard, presque jour pour jour, Armstrong pose le pied sur la Lune. Soixante ans ce n’est même pas la durée de vie d’un être humain... Et en cette même année 1969 Concorde effectuait son premier vol...
11Histoire fulgurante donc et dans laquelle la France a joué et continue de jouer un rôle essentiel, même si c’est au travers de structures industrielles européennes parfois complexes.
12Oui mais... il me semble que la France n’aime plus vraiment cette aviation qu’elle a en partie inventée et qui reste peut-être l’un de ses derniers atouts pour un futur incertain.
13Ceux qui ne partageraient pas cette impression n’ont qu’à se pencher sur les programmes de radio et de télévision et parcourir la presse généraliste pour constater que le regard que les médias portent sur les choses de l’air n’est plus ce qu’il fut...
14Il y a bien sûr quelques arbres pour masquer la forêt. Le premier vol de l’A380 créa de l’émotion et de l’enthousiasme mais certainement moins d’agitation que le « scandale » que constituèrent la révélation de son retard et l’attitude de quelques dirigeants. Les accidents aériens ont aussi la faveur du « 20 heures ». Rappelons-nous l’été 2005 endeuillé par une improbable série noire... Bien sûr les accidents, qui sont rares (le transport aérien est très sûr !), sont malheureusement spectaculaires et provoquent chez les passagers que nous sommes, et de plus en plus nombreux, une émotion compréhensible.
15Et puis voilà que certains désignent du doigt le transport aérien comme un des grands pollueurs de notre planète. En citant en général des chiffres inexacts mais qu’il est presque impossible de rectifier ou même de commenter sous peine d’être taxé de « touche pas à mon pote ! ».
16Pour tout dire je suis jaloux de Thalassa ! Tous les vendredis soir les Français communient dans le culte de la mer et rêvent de croisières au large en partageant presque en temps réel les émotions des grands skippers… et c’est très bien ainsi. Mais ils sont loin de faire preuve du même intérêt attendri pour ce qui vole !
17Alors pourquoi ?
18– Est-ce que l’aéronautique est un milieu trop fermé, moins accueillant et où régnerait un certain élitisme ? Et donc une tendance bien naturelle pour les autres, les rampants, les péquins, à se dire : « Ce n’est pas pour moi ! »
19– Dans le même ordre d’idée, il y a peut-être un peu d’arrogance chez les chevaliers du ciel. Pilotes de chasse ou commandants de bord sur avions de ligne, on en a sans doute trop fait des héros. Le temps des blousons de cuir et des grandes écharpes blanches est révolu...
20– Mais paradoxalement, l’aviation manque de ces héros contemporains et populaires que le grand public aime s’approprier et dont il suit les exploits dans les médias. Comme les grands skippers.
21– D’un autre côté il faut bien admettre que voler n’est pas naturel alors que marcher, rouler ou naviguer le sont. On dit même que l’homme vient de l’eau... mais certainement pas de l’air et encore moins du vide. Donc là-haut on n’est pas chez soi.
22– Voler fait d’ailleurs souvent appel à des techniques et des technologies apparemment complexes, voire un peu rebutantes. « Trop compliqué... » et réservé à certains.
23– Et puis il y a eu le 11-Septembre qui est passé par là et de gentils gros avions sont soudain devenus des armes redoutables... Est-ce que dans l’inconscient collectif il s’est alors passé quelque chose ?
24– Enfin il y a le développement durable et là les choses se compliquent encore ! Les avions sont bruyants, c’est bien connu mais c’est de moins en moins vrai. Les avions sont polluants, c’est vrai, mais ils le sont beaucoup moins que pas mal d’autres activités humaines et cela va s’améliorer. Peu importe, semble-t-il, et on oublie bien vite que certaines de ces horribles machines à faire du bruit et à cracher toutes sortes d’oxydes sont parfois les amies de l’homme et pas simplement pour aller se dorer au soleil des Caraïbes…
25Alors que faire ? Le monde de l’aérien serait-il une sorte de dinosaure (déjà !) installé dans son confort et ses certitudes ? Il y a encore tellement de capacité d’émerveillement chez chacun d’entre nous... Ce serait dommage.
Auteur
Président de l’Aéroclub de France.
Ingénieur civil de l’aéronautique (Sup-aéro) de la promotion 64, il a fait toute sa carrière chez Dassault, société qu’il a quittée à la fin de 2003.
Ingénieur d’essais pour le programme Falcon, et carrière dans les essais durant quarante ans. Directeur général des avions civils de la société Falcon en 1992.
Expert dans les domaines de la sécurité des systèmes complexes et des interfaces homme-machine. Pratiquant assidu de l’aviation générale sous toutes ses formes, sans oublier le vol en montagne pour lequel il a une tendresse particulière.
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