Biométrie dans les aéroports : la fausse alternative de la liberté et de la sécurité
p. 39-46
Résumés
Pour justifier l’implémentation de nouveaux dispositifs techniques destinés à rendre au moins partiellement automatique le contrôle documentaire dans les aéroports, les autorités invoquent systématiquement la lutte contre le terrorisme. À ceux qui dénoncent le caractère liberticide de ces nouveaux automates (accès informatisé en temps réel à plusieurs bases de données comme le Fichier des personnes recherchées, biométrie notamment), on objecte en substance que le déploiement de ces nouveaux dispositifs est au bénéfice de notre sécurité. La liberté contre la sécurité donc, telle semble être l’alternative proposée qui sera présentée ici comme une fausse alternative dans la mesure où s’il n’est pas sûr que l’argument liberticide soit totalement justifié, et que, en tout cas il est presque sûr que ces nouveaux dispositifs se traduiront non par un gain mais plutôt par une perte de sécurité. C’est au demeurant ce qu’expriment les policiers aux frontières dont seront évoquées ici les réactions face à l’arrivée des nouveaux automates.
To justify the implementation of new technical devices designed to make the documentary control at airports partially automated, authorities routinely invoke the fight against terrorism polemic. To those who denounce the civil liberties and rights nature of these new automatons (computerized access in real time to multiple databases such as the file of wanted persons and notably biometrics), one essentially contends that the deployment of these new devices is for the benefit of our security. Freedom against security therefore, really seems to be the alternative proposal to be presented here as a false alternative insofar as it is not sure that the civil liberties argument is totally justified, and that in any case it is almost certain that these new devices will result in a loss in security rather than a gain. Besides, it is the view expressed by border police whose reactions to the arrival of new automats will be referred to here.
Texte intégral
1Au premier semestre de l’année 2005 a débuté une expérimentation franco-belge portant sur l’installation aux postes frontières des aéroports de Roissy-CDG, Orly, Bruxelles, Lyon, Marseille et du port de Marseille, d’un dispositif de contrôle biométrique des visas Schengen délivrés dans des consulats tests français et belges1 (par les empreintes digitales).
2Pour procéder au contrôle des documents d’identité, les policiers aux frontières français pouvaient déjà s’appuyer sur des logiciels leur permettant de se connecter automatiquement à des fichiers (fichier des personnes recherchées, fichier des permis de conduire volés, etc.). Dans le cadre de l’expérimentation Biodev, la biométrie est venue s’ajouter à ce dispositif déjà existant de contrôle automatisé des titres. Le dispositif expérimental prévoit une « capture » des empreintes digitales du demandeur de visa au consulat où il fait sa demande. Les données biométriques sont ensuite envoyées par voie électronique en France pour y être stockées dans une base de données centralisée. Lorsque le porteur du document visé se présente à un poste frontière, à la descente de l’avion, sa biométrie est à nouveau « capturée » et comparée aux données enregistrées dans la base. Il n’est autorisé à entrer sur le territoire que si l’authentification a lieu.
3Cette automatisation au moins partielle du contrôle documentaire et des visas est motivée à l’époque par la lutte contre le terrorisme et surtout par la lutte contre l’immigration clandestine. Le constat est le suivant : les faussaires ont des techniques toujours plus sophistiquées dont on pense qu’elles déjoueront de plus en plus la sagacité des policiers aux frontières ; ceux-ci, prédit-on, devront à l’avenir faire face à la multiplication de fraudes documentaires indétectables à l’œil nu, même pour les plus chevronnés qui ont une grande expérience et une grande connaissance des documents d’identité.
4L’automatisation est la réponse à ce problème : automatiser le contrôle des documents visés, c’est donner aux policiers des outils leur permettant de déjouer plus sûrement les techniques des faussaires. On fait faire aux automates ce que les êtres humains de chair et de sang, s’appuyant sur leurs savoir-faire et leurs cinq sens, sont de moins en moins capables de faire. On délègue. La biométrie, c’est sans doute un peu plus de contrainte pesant sur la liberté de circuler des migrants dans l’espace Schengen ; mais c’est aussi davantage de sécurité pour tous. Liberté contre sécurité : telle est l’alternative à laquelle semble nous confronter l’implémentation dans les aéroports de ces dispositifs de contrôle automatisé des documents d’identité, dont la biométrie n’est qu’un élément et peut-être pas le plus important.
5Il est cependant possible de passer sous cette alternative de la liberté et de la sécurité, tournant autour du problème de la surveillance policière, du fichage de la population, du traçage des individus, etc., pour s’interroger sur un phénomène très largement occulté, y compris par ceux qui s’inquiètent des dérives « totalitaires » de nos sociétés dont ces dispositifs sont supposés porter témoignage.
6Ce phénomène est le suivant : les premiers usagers de ces dispositifs, c’est-à-dire les demandeurs de visa, ne posent que très rarement des questions sur leur fonctionnement et sur la façon dont les données biométriques sont stockées et utilisées (où ? comment ? par qui ?) ; en outre, ils ne semblent pas s’inquiéter outre mesure de leur fichage par la police et n’expriment pas vraiment leur crainte de devenir moins libres. En vérité, la biométrie ne les intéresse pas. Les usagers n’ont pas grand-chose à en dire, sinon que c’est « pratique », « confortable » et éventuellement « ludique », autant de termes qui reviennent de façon récurrente dans les témoignages des usagers, au-delà même du contexte aéroportuaire. L’étude d’autres usages de la biométrie, comme le contrôle d’accès au self dans les cantines scolaires de certains collèges et lycées, aboutit en effet à la même conclusion : une sorte « d’atonie » sociale semble frapper les usagers de ces dispositifs de contrôle, les rendant incapables de produire à leur sujet le moindre discours critique, la moindre analyse un peu distante, même sommaire, comme s’ils étaient englués dans une sorte d’adhésivité à eux. Par-delà donc l’alternative de la liberté et de la sécurité, il convient de pointer ce phénomène qui mêle paradoxalement de la fascination et un profond désintérêt pour ces nouveaux dispositifs de contrôle qui tendent malheureusement à se banaliser dans une indifférence quasi générale.
7C’est à la philosophe H. Arendt que l’on demandera quelques éclaircissements sur ce point, sur les raisons possibles de ce profond désintérêt que les usagers manifestent à l’encontre de ces dispositifs de contrôle automatisé des titres.
8Dans un ouvrage daté de la fin des années 1950, Condition de l’homme moderne2, H. Arendt s’inquiète du danger majeur que le « machinisme industriel », selon l’expression consacrée à l’époque, fait subir aux conditions de possibilité d’une existence humaine sur terre. Sans entrer dans les détails de la distinction qu’elle fait entre vita contemplativa et vita activa, on peut s’en tenir à sa tripartition des « modalités de base » de la condition humaine dans la vita activa, la première de ces modalités étant une activité expressément dédiée à l’entretien et à la reproduction de la vie biologique (zoè ; il s’agit de l’activité de travail qui fournit des biens de consommation au métabolisme), la deuxième étant une activité dédiée à l’édification d’un monde de l’artifice qu’il faut protéger contre le pouvoir d’érosion de la nature (il s’agit de l’activité de l’œuvre consistant à fabriquer des objets qui ne sont pas destinés à être consommés mais au contraire à durer ; la durabilité de ces objets d’usage fait la solidité du monde), la troisième enfin étant une activité par laquelle quelque chose comme la liberté peut se manifester dans l’espace public, la liberté étant définie par H. Arendt comme un « pouvoir des commencements », c’est-à-dire comme la possibilité qu’a chacun d’entre nous d’introduire, par ses actes et ses paroles, quelque chose de radicalement nouveau dans le monde. Ces actes et paroles sont destinés à être immortalisés dans des récits qui se transmettent de génération en génération, ce qui suppose la permanence d’un monde plus durable que chaque existence individuelle.
9Pour qu’une existence humaine libre et créatrice puisse se manifester, il faut donc que le monde puisse l’accueillir et l’abriter ; un monde d’objets qui font la solidité du monde humain, qui rattachent les générations entre elles, qui lient les hommes tout en les maintenant à bonne distance pour les empêcher de tomber les uns sur les autres (telle est en somme la fonction de la culture : maintenir ensemble dans la distance, créer les conditions d’un attachement qui ne soit pas une adhésivité). Le monde ne se maintient que par l’intérêt que nous lui portons. L’intérêt, l’inter-esse, l’être-entre : le monde n’est pas ce qui nous environne, il n’est pas autour de nous, il est entre nous ; il nous tient ensemble, il nous lie sans annuler la distance entre nous. Le délabrement du monde ainsi que son corollaire, le désintérêt pour les objets du monde, apparaissent ainsi conjointement comme un danger majeur pour l’existence humaine et la liberté : le délitement du monde est synonyme d’engloutissement de toute activité humaine dans le travail, c’est-à-dire dans la succession ininterrompue des cycles de la production et de la consommation. Selon H. Arendt, le machinisme industriel a précisément pour conséquence de niveler toutes les activités humaines en les rendant assimilables à des processus susceptibles d’être automatisés, c’est-à-dire à des processus de travail. Le machinisme industriel délabre le monde, il ruine sa durabilité ; il compromet par conséquent la possibilité d’une existence libre et jusqu’à l’idée même que la liberté puisse être recherchée.
10C’est au demeurant ce que met en scène 1984 d’Orwell3. Orwell est une référence incontournable dès lors qu’il est question de biométrie et plus généralement de dispositifs de contrôle ; on trouvera difficilement un article dans la presse ou un reportage de télévision qui n’associe pas explicitement le déploiement de ces nouveaux dispositifs au danger d’un quadrillage de nos existences par Big Brother. Or force est de constater que le plus important chez Orwell est précisément, comme chez H. Arendt, la description d’un monde complètement délabré. L’état de guerre permanent entretenu par Big Brother n’est pas seulement une façon de maintenir la population dans un état de terreur et d’assujettissement continuel, il est aussi et surtout une manière de maintenir l’état de délabrement du monde. Impossible ici de trouver des objets durables au sens de H. Arendt, assurant cette fonction de médiation, de communication entre les générations. Un dispositif de contrôle généralisé des individus comme celui de 1984 n’est possible que dans la mesure où le monde s’est délité, a perdu toute objectivité et toute durabilité. Le héros du livre, Winston Smith, en prend conscience lorsqu’il découvre chez un antiquaire un objet venant du passé, une chose dont il ignore la fonction mais qui a traversé le temps et qui le rattache au passé par un lien de continuité. Cet objet durable fait monde. W. Smith découvre alors, à travers lui, cette différence capitale dont H. Arendt déplorait la disparition à l’époque contemporaine, essentiellement sous les coups de boutoir du « machinisme industriel » : la différence entre l’histoire et un processus.
11L’histoire est le théâtre de l’action libre, les hommes sont dans l’histoire au sens où ils ont quelque chose à y faire ; c’est dans l’histoire qu’ils manifestent leur « pouvoir des commencements ». Un processus est anonyme, il apparaît naturel, sans signification, sans dimension symbolique, régi par des automatismes sur lesquels nous n’avons aucune prise. Orwell suggère très clairement cet engloutissement de l’histoire dans une pure processualité anonyme en décrivant l’activité frénétique de réécriture de l’histoire à laquelle se livrent les employés du Miniver, le ministère de la Vérité. Orwell veut dire que Big Brother n’est possible qu’à partir du moment où l’histoire est complètement engloutie dans le cycle infernal de la production et de la consommation de faits officiellement avérés (l’histoire étant en permanence réécrite en fonction des stratégies du moment : tel personnage des manuels d’histoire peut-être « effacé », et les manuels réécrits frénétiquement, si la propagande l’exige). L’histoire apparaît alors comme un pur processus qui engloutit la durabilité des objets du monde.
12Le paradoxe de la vision d’Orwell est qu’il s’agit d’un monde à la fois sur-encadré et sur-technicisé mais en même temps complètement délabré ; un monde dans lequel l’objet technique a disparu comme objet d’inter-êt (interesse). On ne trouve aucune véritable description d’objet technique, de machine dans le livre d’Orwell ; même les dispositifs de contrôle ne font l’objet d’aucune attention particulière (de ce point de vue, le monde orwellien est très différent du monde décrit par Zamiatine dans Nous autres : le monde de Zamiatine est encore un monde d’ingénieurs, on y a la fierté de la machine ; pas dans celui d’Orwell). Il se trouve que le sens de médiation, de communication entre les hommes assurée par les objets se manifeste précisément lorsque W. Smith découvre chez l’antiquaire ce qui apparaît comme un objet technique. Là où H. Arendt explique que c’est la machine industrielle qui ruine le monde, Orwell suggère au contraire que l’objet technique, et pourquoi pas la machine industrielle, est de nature à ouvrir cette dimension de stabilité et de pérennité constitutive du monde. C’est l’absence d’inter-êt pour les objets techniques et notamment pour les machines qui est chez Orwell le signe du délabrement du monde et de l’engloutissement de toute activité humaine dans une pure processualité, anonyme et sans histoire.
13Simondon ne dira rien de très différent et soutiendra lui aussi, à la fin des années 19504, que la machine est riche de contenu et de signification humains, qu’elle est « support et symbole » pour les groupes humains en transmettant de génération en génération l’effort d’invention déposé dans ses schèmes de fonctionnement ; bref, que la machine fait monde. La question de la liberté humaine est ainsi suspendue chez lui à la description du « mode d’existence des objets techniques ». Négliger la machine, c’est négliger le monde.
14Il est possible, à partir de là, de revenir aux dispositifs d’identification biométrique et de donner une interprétation du désintérêt que les premiers usagers témoignent à leur sujet, au sujet de leur fonctionnement et au sujet des modalités de stockage et d’utilisation des données. On peut faire l’hypothèse en effet que ces dispositifs n’ont plus du tout le statut d’objets techniques que l’on fait fonctionner et qui viennent prendre place dans le monde en lui assurant sa solidité, sa durabilité : ils apparaissent plutôt comme les supports de processus échappant dans une très large mesure à toute maîtrise, y compris par ceux qui sont supposés les faire fonctionner (dans le cas des aéroports, les policiers aux frontières). Nous sommes donc dans la situation décrite par Orwell et H. Arendt, celle d’un monde dont la durabilité se trouve engloutie dans une pure processualité.
15On argumentera en ce sens en faisant remarquer tout d’abord que ce qui perd sa stabilité et se trouve englouti dans des processus, c’est avant tout l’identité elle-même. Les dispositifs d’identification biométrique délabrent et « instabilisent » en effet l’identité telle qu’elle se construit socialement et culturellement, pour la requalifier de manière purement opératoire selon les normes du dispositif technique. Il faut toutefois souligner immédiatement que là n’est pas le plus grave dans la mesure où cette requalification opératoire de l’identité n’a aucune prétention ontologique : le dispositif ne prétend pas dire ce qu’est l’identité « en soi » d’un individu, il prétend établir les conditions d’une identification possible des individus dès lors qu’ils sont pris dans des flux (il faut préciser en effet que les dispositifs biométriques d’identification des individus sont avant tout des dispositifs de gestion de flux ; il ne s’agit pas de qualifier l’identité intrinsèque d’un individu, il s’agit toujours de se rendre capable de l’identifier, ou de vérifier son identité, lorsqu’il est branché sur des flux : flux de personnes, comme dans les aéroports ou les cantines scolaires ; flux de signes et d’informations, lorsqu’il s’agit de sécuriser le contrôle d’accès à des systèmes informatiques, etc.). La biométrie se préoccupe non de l’identité proprement dite, mais de l’identification et de la traçabilité des individus, ce qui n’est pas du tout la même chose.
16C’est par conséquent d’un tout autre point de vue que ces dispositifs comportent ce danger suprême pointé par Orwell et H. Arendt d’un délabrement du monde. En effet, ils n’apparaissent pas du tout comme les points d’appui possibles d’une médiation entre les individus et ne peuvent pas, du moins à ce qu’il semble, jouer le rôle de truchements porteurs de valeur et de signification humaines, rattachant les hommes du présent à ceux du passé, que W. Smith découvre dans l’objet incongru qu’il déniche chez l’antiquaire. Ces dispositifs semblent en effet caractérisés par un « mode d’existence », comme disait Simondon, très éloigné de celui que nous associons spontanément aux objets techniques qui nous sont familiers. En ce qui concerne ces objets familiers en effet, on peut se représenter, même sommairement, le rapport qui existe entre l’action que nous exerçons sur eux et leur fonctionnement. Je peux être très ignorant des lois physiques et de la technologie impliquées dans la radioélectricité, cependant je sais au minimum que si je tourne le bouton de ma radio, il se produira quelque chose de parfaitement prévisible (si mon poste est en bon état, si le courant n’est pas coupé, etc.). Je peux au demeurant décider à tout moment d’ouvrir ce qui pour moi est une boîte noire et apprendre comment fonctionne effectivement mon poste de radio.
17Or, ce n’est plus le cas avec ces nouveaux dispositifs de contrôle : il n’y a en effet pas de boîte noire à ouvrir, pas d’objet à connaître dans son fonctionnement interne et pas non plus, du moins pas toujours, de possibilité de se représenter, même de façon sommaire, un rapport de causalité entre l’action humaine et le fonctionnement du dispositif. Lorsque l’usager pose le doigt sur le capteur lors d’un contrôle policier, il ne fait pas à proprement parler fonctionner un objet (son geste n’est en ce sens pas de même nature que celui consistant à tourner le bouton d’un poste de radio) ; il déclenche plutôt un processus dont on a l’impression, parfois, que personne n’a la maîtrise, pas plus le contrôlé que le contrôleur. On voit apparaître ainsi des situations d’indécidabilité. Le dispositif n’authentifie pas l’individu, que s’est-il passé ? Y a-t-il effectivement usurpation d’identité ? Y a-t-il un bug du logiciel ? Les données biométriques ne sont-elles pas encore, pour des raisons inconnues, arrivées à Lognes (Seine-et-Marne) où la base de données centralisée est gérée ? Le capteur est-il défectueux ? Les empreintes digitales sont-elles de « mauvaise qualité » c’est-à-dire illisibles par le capteur ? Placé devant ces situations indécidables, le policier aux frontières doit réactiver ses vieux savoir-faire et procéder au contrôle documentaire « à l’ancienne » (entretien avec la personne, coups de téléphone pour vérification, etc.).
18Non plus faire fonctionner des objets mais déclencher des processus qu’on ne maîtrise que très imparfaitement : telle semble être la transformation majeure survenue récemment dans la nature même de l’activité technique, bien au-delà de la biométrie puisque certains ont pu soutenir que cette transformation est aussi au cœur des bio- et nanotechnologies par exemple. Cette transformation, cette évolution du sens même de l’activité technique, non plus fabrication et mise en fonctionnement d’objets mais déclenchement de processus, rappelle ainsi la description de H. Arendt évoquant l’engloutissement du monde durable dans les processus automatisés et l’assimilation de toute activité humaine à un travail. On peut ici évoquer à titre d’illustration le propos d’un haut fonctionnaire en charge de l’expérimentation Biodev : il s’agit à terme de transformer les postes de contrôle aux frontières en « unités de production industrielle ».
19En prenant le contre-pied des discours officiels qui accompagnent l’implémentation de ces dispositifs, insistant sur la plus grande sécurité que ces dispositifs ne manqueront pas de produire, on peut donc souligner que les premiers usagers de ces dispositifs doivent plutôt faire face à une situation de plus grande insécurité provoquée par le délabrement des médiations humaines, englouties dans l’automaticité et l’anonymat de processus peu maîtrisables.
20La frontière, c’est ce qui est supposé délimiter un monde et donc dire ce qu’est le monde. Est-ce toujours le cas lorsque le premier contact que le migrant a avec le pays passe par ces dispositifs qui ne font pas monde justement, qui n’apparaissent pas du tout comme des objets du monde que l’on fait fonctionner, mais comme les supports de processus échappant à toute représentation possible ?
Notes de bas de page
1 Consulats français d’Annaba, Bamako, Colombo, Minsk, San Francisco ; consulats belges de Kinshasa, Lumumbashi et Washington.
2 H. Arendt, Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1961 (1re édition aux États-Unis 1958).
3 G. Orwell. 1984, Paris. Gallimard, 1950.
4 G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1989 (1ére édition 1958).
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