Introduction
p. 35-38
Résumés
Gérard Feldzer, dans son allocution introductive à la première table ronde de ce colloque, dresse un tableau, émaillé d’anecdotes, d’un siècle d’aviation traversé de forces contradictoires. L’idéalisme et l’utopie viennent en effet se heurter à la réalité de la puissance guerrière ou économique, l’une et l’autre force concourant à l’innovation. Dans cette perspective, la question écologique apparaît comme un nouveau défi pour la communauté aéronautique.
Gerard Feldzer, in his introductory address at the first roundtable of the conference, provides a table, accentuated with anecdotes of a century of aviation crossed by contradictory forces. /dealism and utopianism come up against the reality of war or economic power, both forces working together towards innovation. In this perspective, the environmental issue emerges as a new challenge for the aviation community.
Texte intégral
1La dernière fois que je me suis retrouvé ici, dans ces locaux, c’était presque jour pour jour il y a quarante ans. J’ai débattu la semaine dernière avec Daniel Cohn-Bendit et Nicolas Hulot sur un thème qui nous rapproche aujourd’hui, l’environnement, et je leur ai parlé de ce colloque en leur disant : « Je deviens dyslexique ou paradoxal entre ma passion pour l’aviation et mon intérêt pour le respect de l’environnement. » Ces questions me font douter, d’où le terme de « doute » dans ce colloque qui paraît particulièrement approprié, et ici nous parlons d’aviation, mais on peut appliquer ce terme à tous les modèles de notre société. D’ailleurs, si le CGPC (Conseil général des Ponts et Chaussées), une des plus vieilles institutions de France, s’est réformé aujourd’hui, c’est pour éviter de devenir sectaire, voire une « secte » tout simplement. Il faut en effet évoluer en fonction de cette société, et c’est ce que fait concrètement cette institution ainsi que d’autres, telle l’université ici, en se posant de vraies questions et prenant de la distance par rapport à ce qui nous environne.
2Pour en revenir à l’aviation, nous avons tous vécu un xxe siècle extraordinaire, ayant eu la chance d’assister à la conquête de l’air et de l’espace. Dans ce même siècle, on a décollé de quelques centimètres et on s’est posé sur la lune ! Pour cela il a fallu des hommes épris de liberté qui ont manié l’utopie. Alors, je ne vais pas revenir à Icare, mais c’est un peu ça...
3Ensuite, l’Aéroclub de France – et son président Jean-François Georges en parlera certainement – a commencé à fixer des règles, car s’il n’y a pas de règles, il n’y a peut-être plus de libertés et sans doute plus de rêves non plus. De surcroît, l’affaire est compliquée car, comme vous le savez : « Qui aura la maîtrise du ciel, aura la maîtrise du monde. »
4Nous sommes passés dans une époque militaire, de conquête militaire avant tout, et le domaine spatial lui-même a été soutenu par les blocs militaires et politiques, la bataille soviéto-américaine sur la conquête de l’espace illustrant bien le poids de cet enjeu : beaucoup de propagande, beaucoup de recherches qui ont fait progresser les technologies, mais pour autant si peu de questions fondamentales : à qui appartient l’espace ? Où est la liberté, et où s’arrête-t-elle ? Ce seront les thèmes abordés dans ce premier débat.
5Dans la salle se trouve la communauté aéronautique dans son ensemble : des académiciens de l’Académie de l’air et de l’espace, des pilotes de ligne que représente le SNPL (Syndicat national des pilotes de ligne), des militaires (armée de l’air), des pratiquants membres de diverses fédérations. Se trouvent également le BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile) pour les questions de sécurité, des fonctionnaires de la DGAC (Direction générale de l’aviation civile) aux fonctions régaliennes, et d’autres représentants d’associations, telle par exemple l’APNA (Association des professionnels navigants de l’aviation). En bref, si nous sommes tous ici réunis à la Sorbonne, ce n’est pas tant pour faire la promotion de l’aviation comme cela se faisait il y a cent ans au sein de l’Aéroclub de France, mais pour réfléchir au sens du développement aéronautique d’aujourd’hui et de demain, et se demander : mais pourquoi ?
6Les héros comme Santos-Dumont ont donné un sens à ce qu’ils faisaient, à travers l’aviation, afin de transmettre autre chose, en l’occurrence des métaux, des boulons, des bouts de moteur. Et maintenant, nous ne sommes pas là pour vendre de la mécanique ou de la technologie, mais pour transmettre ou véhiculer autre chose. Après tout, la plus belle compagnie du monde est l’imagination.
7Voyez-vous, au musée de l’Air (250 000 visiteurs dont 100 000 enfants), pour montrer la Seconde Guerre mondiale, j’ai scénarisé un DC3 qui a fait le débarquement. Les jeunes se promènent au milieu des avions qui leur paraissent dater de l’Antiquité et se demandent à quoi ça sert, et la guerre c’est quoi ? Nous avons reconstitué un film dans ce DC3 : nous avons retrouvé les pilotes et les parachutistes qui ont sauté de cet avion, grâce à un gros travail de recherches, historiques et documentaires. Nous avons donc mis les personnes en situation, assis dans l’appareil, trois minutes avant le parachutage c’est assez impressionnant : il y a des éclairs, ça secoue – on a fait ce qu’il fallait pour –, et les gens sortent presque en larmes. Alors nous pouvons leur expliquer que des peuples étaient en guerre, que l’avion était un des véhicules de cette guerre, et pas n’importe lequel puisqu’il était la carte maîtresse du débarquement. Nous pouvons leur expliquer que des gens se sont battus contre une idéologie : l’aviation du Normandie-Niemen et tous les autres, partis pour l’Angleterre, condamnés à mort, ont fait un choix, un choix de société, et se sont servis de ce qu’ils savaient faire, c’est-à-dire piloter un avion.
8Normandie-Niemen : bref historique, par Luc Quintaine
C’est le général Martial Valin qui a engagé sur le front en Russie un groupe de chasse des Forces aériennes françaises libres et l’a baptisé « Normandie ». C’est lui qui a eu l’idée de donner aux unités aériennes devant être créées des noms de provinces que les Français aimeront mieux entendre (sic) que les numéros des Squadrons de la RAF.
Ainsi, il nomme le « Lorraine » qui a déjà combattu en Éthiopie, ce sera alors un escadron de bombardement. Puis l’« Alsace », qui sera le groupe de chasse suivant à rassembler. Ensuite l’« Île de France » et un deuxième groupe de bombardement, le « Bretagne ». Valin prévoit le « Normandie » pour le futur.
Plusieurs mois passent qui voient Valin, des officiers français et russes réfléchir sur un projet d’envoyer des aviateurs français combattre en Russie. Pour deux raisons. La première, d’ordre général, car de Gaulle pense à envoyer une division mais le projet se heurte à des difficultés à la fois pratiques et politiques, les Anglais ne mettant guère de bonne volonté. La seconde raison, d’ordre particulier, est que nos pilotes qui combattent avec la RAF doivent parler l’anglais suffisamment, ou du moins le comprendre. Et certains ne sont guère doués pour les langues. En Russie, dans une unité entièrement française, le problème de langage pourrait se résoudre avec quelques officiers de liaison.
Il faut toute l’autorité du général de Gaulle, fort de l’appui de l’ambassadeur Bogomolo, pour que « Normandie » sorte enfin des dossiers et devienne une réalité. Quelques dates :
22.11.42 : les premiers éléments de la première escadrille arrivent à Ivanovo, près de Moscou
15.03.43 : l’unité est déclarée apte au combat
22.03.43 : le commandant Tulasne à la tête de 13 Yak part pour le front
24.03.43 : premières opérations
05.03.43 : premiers Focke Wulf abattus
04.11.43 : le groupe termine sa première campagne et part au repos après avoir reçu la croix de la Libération
26.05.44 : « Normandie » reconstitué et complété se retrouve de nouveau sur le front qu’il ne quittera plus jusqu’à la fin des hostilités
Avril 1945 : le « Normandie-Niemen » se trouve en opérations dans la région de Koeningsberg, et le 12, il remporte ses deux dernières victoires et perd son dernier pilote, l’aspirant Henry.
9Il y a aussi quantités d’histoires, d’aventures extraordinaires.
10En 1919, première ligne Le Bourget-Londres en Fairman Goliath, les sièges sont en osier, le passager est un héros, un expérimentateur, le billet coûte très cher. Il arrivait une fois sur deux que l’on tombe en panne, un moteur ayant à peu près une durée de vie de vingt heures, et l’on se posait pour réparer. Un jour, à Croydon, un passager – on disait un sportman à l’époque – dit : « Pendant que vous réparez l’avion, je vais me baigner » ; les autres réparent le moteur, redémarrent et l’oublient. Il se serait retrouvé nu, tout seul sur la plage.
11Une autre fois, en raison de turbulences, la tête d’un passager passe à travers le toit qui était en bois – il n’y avait pas de ceintures de sécurité –, se retrouve la tête dehors, et pour ne pas prendre le risque de l’esquinter davantage en forçant sur les lattes pour le réintégrer en cabine, il fut décidé de le laisser finir le voyage la tête à l’air.
12Ils étaient des héros !
13Ensuite est arrivée l’aviation de masse, commerciale, avec Le Bourget en 1937, aérogare le plus moderne du monde, puis l’arrivée des « super-constellations » suivis par les 707. C’était une époque où le voyage était très cher mais aussi toujours très luxueux, et nous voilà à présent dans la configuration du « transport de masse » avec les charters, les gros-porteurs. Le luxe est dorénavant une affaire de « classes » et de compagnies. On transportait des « passagers », puis des « usagers », le but étant d’aller d’un point à un autre, et maintenant des « clients », ce qui peut favoriser la qualité de service, le marché étant concurrentiel.
14Cette brève évocation de quelques faits de l’histoire aéronautique me permet de dire que partant de l’aventure jusqu’à l’exploitation intensive, quels que soient les enjeux, militaires ou commerciaux, notre réflexion collective, ici, est de considérer l’avion sous l’angle suivant : pour quoi faire, et quelle aviation ? Ça comprend la liberté de voler, les émotions, le courage. Ça comprend l’environnement.
15À cet égard, il existe des personnes qui s’interrogent : ce sont nos extraterrestres, la communauté des astronautes. Ils sont 544 à être partis dans l’espace – c’est peu – et à observer notre boule bleue, fragile. Ils sont comme des représentants de l’homme terrien, et ils constatent l’avancée des progrès techniques mais également qu’un danger menace cette planète, et qu’il faut se poser des questions. Alors il est grand temps aujourd’hui, y compris pour l’aviation, de mettre ces technologies au service de l’homme et qu’on le replace au centre de nos préoccupations.
Auteur
Pilote, directeur du musée de l’Air, président d’associations. Sports : parapente, voltige, ULM, avions anciens, ballon, dirigeable. Auteur-réalisateur de séries pour la télévision : le Barde l’escadrille (France 2,1985), d’émissions de radio et de documentaires fiction.
E-mail : gerard@feldzer.org
Ouvrage : Je serai pilote, Gallimard Jeunesse, 1999.
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