Discours d’accueil
p. 25-28
Texte intégral
1Monsieur le Président, messieurs les directeurs, mesdames, messieurs.
2Permettez-moi tout d’abord de vous dire l’immense plaisir que j’ai, aujourd’hui, d’ouvrir ce colloque dans ce lieu prestigieux propre à alimenter un débat que ses organisateurs nous annoncent « libre et ouvert », mais comment pourrait-il en être autrement ici, à, la Sorbonne. Le thème choisi pour ce colloque, « l’avion : le rêve, la puissance et le doute », dois-je vous l’avouer, Monsieur le président du CETCOPRA et cher ami, m’a laissé rêveur lorsqu’on me l’a annoncé. Pourquoi avoir introduit pour l’aviation, le doute après le rêve et la puissance dans le triptyque des thèmes de ce colloque ?
3Nous nous connaissons maintenant depuis longtemps et, vous comme moi, sommes toujours intéressés, chaque fois que nous travaillons ensemble, de la manière si différente mais si intimement complémentaire dont nous abordons les mêmes questions qui touchent à l’aviation, moi représentant une « science dure », celle de l’aéronautique comme ingénieur de formation et fonctionnaire de carrière dans l’administration de l’aviation civile, la DGAC, et vous le philosophe, le sociologue, le fin psychologue, expert de ces sciences dites molles, je n’ai jamais bien compris d’ailleurs pourquoi.
4Je me réjouis du partenariat qui, depuis de nombreuses années, s’est instauré, de fait, et grâce à votre action et au talent de vos collaborateurs, entre votre centre d’étude dépendant de l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et l’administration de l’aviation civile. Je suis certain que ce partenariat, construit sur une base solide, se poursuivra au-delà de l’échéance proche, pour vous comme pour moi, d’une retraite méritée.
5Cette échéance est, comme vous me l’avez dit, l’une des raisons du choix que vous avez fait de nous réunir pendant ces deux jours, occasion, en quelque sorte, de faire un bilan du travail en commun réalisé depuis presque vingt ans. Dois-je vous avouer que j’ai cru au départ que c’était la seule raison de ce colloque ? M’interrogeant, une fois encore, pour tenter de comprendre les raisons qui vous avaient conduit à introduire le doute après le rêve et la puissance dans le triptyque des thèmes de ce colloque.
6L’aviation est relativement jeune : on vient cette année de fêter l’exploit d’Henry Farman qui le 13 janvier 1908 sur le terrain d’Issy-les-Moulineaux a été le premier à effectuer un vol d’un kilomètre en circuit fermé. Les records, les exploits se sont succédés très vite dans les années qui ont suivi, accompagnés par un engouement du public d’une ampleur difficile à imaginer aujourd’hui. L’avion faisait rêver.
7 8 mai 1927, l’avion de Nungesser et Coli, parti du Bourget à 5 heures du matin, devant une foule de plusieurs milliers de personnes, n’atteindra pas New York dans sa tentative de traverser l’Atlantique. Il disparaîtra en plein ciel.
8Quelques jours plus tard, le 27 mai de la même année, on apprend à Paris, ce vendredi, dans la journée, qu’un aviateur américain, seul à bord d’un petit avion le Spirit of Saint Louis, a quitté New York la veille. À 19 heures, Paris vit dans la fièvre. Va-t-il réussir cette traversée de l’Atlantique ? Le nom de Lindberg hier inconnu circule de bouche en bouche. À 20 h 30, les médias de l’époque annoncent que son avion est passé au-dessus de Cherbourg. On se précipite au Bourget pour saluer l’exploit. 300 000 personnes seront là à 22 h 05 lorsque Charles Lindberg atterrit sur cet aérodrome et on évalue au double le nombre de personnes qui sont restées bloquées sur toutes les routes convergentes. C’était à l’évidence une époque du rêve pour l’aviation.
9Lorsque j’ai commencé ma carrière il y a quarante ans l’aviation continuait pour beaucoup, en tout cas c’était vrai pour moi, à incarner le rêve, celui d’Icare bien sûr, ce jeune garçon imprudent dont il convient de se souvenir cependant qu’il était le fils de Dedale, ingénieur athénien mythique. Lui, contrairement à son fils, avait bien compris qu’il fallait garder raison lorsqu’on défie les dieux : certaines limites sont à respecter et ne doivent pas être transgressées sinon la catastrophe transforme le rêve en cauchemar. C’est le rôle des ingénieurs comme Dedale avait su le faire, que de fixer ces limites. Elles donnent aux rêves un peu de raison mais elles ne le font pas disparaître. Un équilibre subtil et difficile doit être trouvé...
10Au début de ma carrière, il y a quarante ans, la puissance, deuxième volet du triptyque de ce colloque, prenait véritablement possession de l’aviation. Le rythme de développement était alors extrêmement soutenu et les progrès technologiques spectaculaires et faciles à percevoir par tous. Cela a été le cas par exemple de la propulsion par réaction ou de l’arrivée des « gros-porteurs », conduisant en quelques années à doubler immédiatement et la taille des avions et leur vitesse. Malgré des accidents dramatiques, et toujours impressionnants, le doute n’arrivait pas à se substituer au rêve toujours très présent dans l’aéronautique.
11Depuis cette époque le développement de l’aviation ne s’est pas ralenti, les nuisances sonores des avions ont été mieux maîtrisées, la sécurité des avions a fait d’immenses progrès, et même la sûreté de ce moyen de transport a priori très vulnérable est maintenant garantie. Les mesures imposées sont bien sûr drastiques mais elles sont finalement bien acceptées car comprises.
12Alors Monsieur le directeur du CETCOPRA pourquoi avoir introduit pour ce colloque le doute après le rêve et la puissance dans le triptyque des thèmes abordés ?
13Un livre vient de paraître. Il s’intitule 2030 : le krach écologique. Réchauffement de la planète, échéances démographiques avec une perspective de 8 milliards d’êtres humains, épuisement des ressources pétrolières, droit légitime au développement pour de nouveaux pays, tout cela va inévitablement conduire dans une échéance de l’ordre de vingt ans à de profonds bouleversements.
14En aéronautique, comme dans d’autres secteurs, les progrès sont gommés par l’effet « croissance » : 3 % de consommation de pétrole en moins par an, mais 10 % de croissance...
15Alors est-il possible de continuer comme par le passé ? Ou bien une rupture se produira-t-elle ? Faut-il la prévoir pour éviter de la subir ?
16L’aviation a connu par le passé de telles ruptures : elle a eu ses dinosaures.
17Les dirigeables, par exemple. Ils ont disparu maintenant mais citons le Zeppelin L.Z. 100 de 245 mètres de long, pouvant se déplacer à 135 km/h et transporter 75 passagers dans des conditions confortables avec salons, salle à manger et fumoirs, et cabines luxueuses. Un accident, on le sait, a mis fin aux perspectives de développement de ce type d’aéronef.
18Autre exemple de dinosaure aéronautique, les hydravions paquebots volants. Ils ont eux aussi disparu après avoir connu des développements spectaculaires. Qui se souvient de l’hydravion à 10 moteurs, le Sanders-ROE SR 45 Princess, que la compagnie BOAC, l’ancêtre de la British Airways, avait acheté pour exploiter la liaison Londres-New York sans escale à 640 km/h avec plus de 100 passagers à bord ? Ces hydravions géants à hélices n’ont pu résister à la concurrence des premiers avions à réaction civils.
19Et dans quelle catégorie placer l’avion civil supersonique ?
20Comme pour les dinosaures, il y a de nombreuses hypothèses pouvant expliquer leur disparition, hypothèses qui pourraient faire l’objet d’un colloque.
21Mais si ces dinosaures ont disparu, l’aviation, elle, a toujours rebondi.
22Le doute introduit par les organisateurs de ce colloque comme thème de discussion est plus profond. Il s’agit d’un doute exprimé non pas sur tel ou tel développement de l’aviation mais sur son avenir tel qu’il est appréhendé aujourd’hui.
23En effet chacun s’accorde à reconnaître maintenant que des bouleversements allant jusqu’à certaines ruptures vont frapper nos sociétés et notre environnement. Ils n’épargneront pas l’aviation dont le développement peut en être affecté profondément.
24Jusqu’à quel point ? La question mérite d’être posée.
25En obligeant les spécialistes de l’aviation à réfléchir sur leur avenir, les organisateurs du colloque dont vous-même, M. le directeur du CETCOPRA, avez finalement eu raison d’ajouter ce troisième volet, le doute, au triptyque des débats de ce colloque.
26Sur un tel sujet, ces débats seront, j’en suis persuadé, riches et ouverts.
27Soyez certains que le ministère que je représente, le MEDAD (ministère de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables) et son conseil dont je suis membre, le CGPC (Conseil général des Ponts et Chaussées) qui va d’ailleurs évoluer pour devenir le CGDDE (Conseil général du développement durable et de l’écologie) en juin prochain, seront très attentif à vos travaux. Les changements d’organisation de notre ministère, l’ancien ministère de l’Équipement, et de son conseil le CGPC dont la création date de plus de deux cents ans, illustrent, en liant l’écologie et le développement durable, la prise de conscience de la nécessité pour l’administration et notre société, de bien intégrer la problématique de certains thèmes liés au développement durable abordés lors de ce colloque.
28Ces thèmes sont, en effet, au cœur des réflexions que tous ensemble nous devons impérativement mener pour faire en sorte que le rêve se poursuive dans notre réalité quotidienne et dans celle que vivront nos enfants. Si doute il y a, il est impératif que, grâce à une bonne anticipation, celui-ci ne transforme pas brutalement le rêve des avions en un cauchemar que nous devrons subir inéluctablement.
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