Secret d’État ou patrimoine familial ?
Les papiers des diplomates anglais et français dans la seconde moitié du xviie siècle
p. 99-113
Résumés
Dans un souci d’affirmer leur pleine et entière souveraineté sur la politique extérieure, les monarques en France et en Angleterre ont encouragé, dans la période moderne, une collecte plus systématique des papiers laissés par leurs ambassadeurs et leur regroupement dans un dépôt d’État. Cette politique se fait à l’encontre des particuliers et de leurs familles qui considéraient les correspondances diplomatiques comme élément de leur patrimoine, et à l’encontre de dépôts d’archives anciens des chancelleries comme le Trésor royal de Paris ou encore celui de la Tour de Londres. En revanche, elle renforce la position des secrétaires d’État dont la fonction est de recevoir les correspondances diplomatiques et de conseiller le monarque dans sa politique extérieure. Ainsi, dans la seconde moitié du xviie siècle, se distinguent sir Joseph Williamson auprès de Charles II, Colbert de Croissy et le marquis de Torcy auprès de Louis XIV. Gardiens de la mémoire diplomatique du royaume, ils travaillent à imposer un dépôt systématique des papiers des ambassadeurs mais élaborent aussi une réflexion sur les méthodes de classement de ces archives. C’est sur ce point que les monarchies anglaise et française divergent. Alors que les secrétaires d’État aux Affaires étrangères de Louis XIV ont réussi à présenter leur dépôt d’archives comme un sanctuaire de la Raison d’État, les ministres de Charles II n’y sont pas parvenus. Plusieurs enquêtes au début du xviiie siècle ont confirmé le délabrement, la désorganisation et les lacunes des state papers. Pour expliquer ces différences, il faut prendre en compte les multiples ingérences du parlement de Londres dans la politique extérieure. Contrairement à la France où Louis XIV ne tolère aucun commentaire public sur sa diplomatie, l’Angleterre des derniers Stuart est divisée sur le choix des alliances avec les puissances du continent. Dans ces luttes continuelles, notamment au Parlement et dans la sphère publique londonienne, les extraits de correspondances diplomatiques, de traités sont des armes efficaces et, dans ces conditions, les diplomates, dont beaucoup ont un siège au Parlement, refusent de s’en séparer. Préservées par les familles, elles nourrissent la postérité des élites parlementaires.
Wishing to assert their full sovereignty in the field of foreign policy, in modern times, French and English monarchs did encourage a more systematic collection of the papers left by their ambassadors, and their gathering in a State deposit. This policy was very much against the wishes of individuals and their families, who viewed diplomatic papers as part of their inheritance; this was to the detriment of more long-standing archive collections of chanceries such as the Paris Royal Treasury or that of the Tower of London. On the other hand, it reinforced the status of the State secretaries whose job was to receive diplomatic letters and to advise the king as to his foreign policy. Thus, in the second half of the 17th century, the personalities of Sir Joseph Williamson by Charles II’s side, of Colbert de Croissy and the marquis de Torcy at Louis XIV’s, really stood out. As keepers of the diplomatic memory of the kingdom, those ministers strove to impose the systematic filing of ambassadors’ papers, and they also considered the various possible methods of classifying and sorting those papers. It was in this field that the two monarchies diverged. Where Louis XIV’s foreign secretaries succeeded in imposing the filing of archives as a sanctuary of the Reason of State, Charles II’s ministers failed. Several investigations at the beginning of the 18th century confirmed the disastrous condition of dilapidation, disorganization as well as the many gaps in the State Papers. It is essential to take into account the numerous interventions of the London Parliament to explain those differences between both sides of the Channel. Unlike France where Louis XIV did not put up with any public comment on his foreign policy, the England of the last Stuart king was deeply divided on the choice of alliances with continental great powers. In this continual wrangling, especially in Parliament and in the London public sphere, extracts of diplomatic correspondence were efficacious weapons and thus, diplomats who often had a seat in Parliament, refused to give them up. Preserved by families, they were a key element of the posterity of parliamentary elite.
Texte intégral
1La manière dont la mémoire des ambassades françaises et anglaises s’est transmise jusqu’à nous diverge profondément selon les deux pays. Pour le siècle de Louis XIV, bien des ambassades françaises furent essentiellement documentées à partir des dépôts des archives du Quai d’Orsay. Les séries bien numérotées de correspondances diplomatiques que l’on y trouve nous conduisent à imaginer des négociateurs disciplinés et soucieux de reverser aux archives royales une grande partie des lettres échangées avec les ministres et le monarque. Dans le cas des archives anglaises, on est amené d’emblée à constater la dispersion des documents. Les outils de recherche sur Internet, et notamment le site du National Archives (National Register of Archives), renvoient le chercheur à une grande diversité de fonds, qu’il s’agisse de fonds publics (National Archives, les manuscrits de la British Library ou de la Bodleian Library, les archives des comtés) ou privés (retranscrits dans les volumes de l’Historical Manuscripts Commission ou dans les fonds de particuliers)1. À titre d’exemple, la reconstitution du travail de médiation des ambassadeurs anglais sir Leoline Jenkins, William Temple et Lawrence Hyde, entre la France et les Provinces-Unies au congrès de Nimègue (1676-1679), conduit le chercheur à envisager de nombreuses pérégrinations à travers les divers fonds précédemment cités. Mais il faut ajouter à cela les nombreux mémoires et correspondances qui furent publiés par les contemporains dans les années ou dans les décennies qui suivirent ce congrès et qui se trouvent dans les collections de pamphlets des grandes bibliothèques2 et des sites en ligne tels que l’Early English Books Online (EEBO)3.
2On peut interpréter ces différences à partir de plusieurs hypothèses. Les ministres de Louis XIV auraient obtenu des diplomates la restitution de leurs archives dès leur retour de mission alors que leurs collègues anglais continueraient de considérer leurs papiers comme leurs biens propres. Deuxièmement, on pourrait envisager la politique archivistique des deux pays sur le long terme. L’État royal puis républicain en France aurait procédé à un regroupement plus systématique des archives des envoyés en considérant qu’elles relevaient du domaine public. Les administrateurs anglais n’auraient pas eu les moyens ou la volonté d’une telle politique. Ils se seraient heurtés à la résistance des élites politiques, renforcée par la relative stabilité d’une monarchie parlementaire. Une autre hypothèse viserait plutôt à nuancer l’opposition entre la France et l’Angleterre. Les fonds publics comme les Archives nationales, le Quai d’Orsay ou les grandes bibliothèques disposeraient d’archives importantes mais sans qu’aucun des deux pays ne puisse prétendre à l’exhaustivité. La différence viendrait de l’accessibilité plus grande des fonds privés en Angleterre sous la forme de publications, ou du fait qu’ils sont mieux répertoriés par les catalogues de recherche. La possession et les usages privés de l’archive diplomatique auraient été d’une certaine manière mieux assumés, alors qu’ils seraient restés en France inacceptables ou contraires à une traduction politique. On voit que le point commun de ces diverses interprétations est qu’elles tournent autour des rapports entre les archives publiques et privées, et des tensions éventuelles entre l’État et les particuliers pour s’assurer la garde des documents diplomatiques. Cette question est envisagée à travers plusieurs angles d’approche.
3À la lecture des divers ouvrages sur l’organisation des dépôts d’archives sur la France et sur l’Angleterre dans la seconde moitié du xviie siècle, on reconstituera le travail de réorganisation mené par les secrétaires d’État de part et d’autre de la Manche.
4Les résultats apparaissent toutefois inégaux. Le rassemblement des correspondances diplomatiques françaises semble être indissociable d’un processus de centralisation conduit par les secrétaires d’État pour faciliter le fonctionnement de la politique extérieure et pour illustrer la gloire de Louis XIV. En Angleterre, les comités d’enquêtes parlementaires soulignent plutôt les lacunes des dépôts publics et une forme de privatisation de la mémoire de la politique extérieure.
5Cette comparaison nous renvoie à d’autres différences, celles notamment qui distinguent l’organisation et le fonctionnement des diplomaties anglaise et française. Alors que la monarchie de Louis XIV aurait obtenu un contrôle étroit de la politique extérieure, les monarques anglais n’auraient pu ou n’auraient pas voulu assumer un tel contrôle. Ils étaient confrontés aux luttes partisanes au parlement de Londres et aux stratégies d’affirmation des élites politiques qui conduisaient à de multiples formes de valorisation des correspondances diplomatiques. Certaines furent occultées, d’autres circulèrent sous la forme d’imprimés ou de manuscrits.
Des politiques archivistiques ambitieuses
6L’expression même d’« archives diplomatiques » pose des difficultés pour la période moderne. Elle traduit mal la réalité des dépôts d’archives qui mêlaient intimement affaires domestiques et correspondances des envoyés. Mais au xviie siècle, on observe dans les deux pays des efforts pour établir des distinctions plus nettes entre les divers départements ministériels et leurs archives4. En Angleterre, les secrétaires d’État obtenaient la création du State Paper Office (1603) qui théoriquement devait avoir le monopole de la correspondance écrite par les ambassadeurs. Les documents concernant les dépenses et les reçus (vouchers) continuaient d’être versés aux archives de l’Échiquier et du Trésor, une administration qui affirmait son autonomie avec de plus larges attributions à la fin du xviie siècle. D’autre part, le lord chancellor, qui détenait le Grand Sceau, revendiquait le dépôt des traités. En France, le Trésor royal sous la protection du procureur du roi au Parlement fut habituellement le lieu de conservation des grands traités, comme le « Recueil de Charles V », créé en 1378.
7Cette dispersion entraînait rivalités et conflits entre les diverses institutions. En France, des copies de traités pouvaient être obtenues à la demande du roi pour les ministres, mais les gardiens du Trésor royal se plaignaient de se voir dépouiller par les autres institutions des archives d’État, notamment à partir du xviie siècle par les secrétaires d’État aux Étrangers. Un arrêt de septembre 1628 rappelait que les traités devaient être confiés à la garde du Trésor royal. Pierre Dupuy, garde de la bibliothèque royale et auteur de la première histoire autorisée du Trésor des chartes, dénonçait la captation de ces archives par des secrétaires avides. Seul Henri-Auguste de Loménie faisait figure de secrétaire d’État exemplaire et soucieux de la prééminence du procureur général5. La rivalité entre les ministres et la magistrature s’aiguisait au cours du xviie siècle, mais c’est à partir du règne personnel de Louis XIV que le rapport de force s’inversait définitivement au profit des secrétaires d’État. Les troubles politiques, la Fronde comme la révolution anglaise, avaient leur importance. En France, la chancellerie se trouvait sur une voie déclinante alors que la dynastie des Colbert se maintenait sur la longue durée au secrétariat d’État (Colbert de Croissy : 1680-1696, puis le marquis de Torcy : 1696-1715). D’après Saint-Simon, Croissy se serait inspiré de l’exemple de Louvois qui avait réprimé les abus auxquels avait souvent donné lieu la conservation des correspondances militaires entre les mains des particuliers :
Ce même défaut était encore plus périlleux dans la partie de la négociation, et la chose était si évidente qu’elle n’a pas besoin d’explication. Croissy, chargé des affaires étrangères, fut réveillé par l’exemple que lui donna Louvois : il l’imita par les recherches du passé, et pour se faire rendre les papiers qui regardoient son département6.
8En Angleterre, de fortes personnalités s’imposaient à cette charge, notamment John Thurloe, sous Cromwell, lord Arlington, Joseph Williamson sous Charles II. Williamson fut par ailleurs responsable du State Paper Office de 1661 à sa mort en 1701. Charles II soutint inconditionnellement ces ministres contre les plaintes des autres départements. Ainsi, en réponse aux récriminations du chancelier de l’Échiquier, Charles II rappelle par un warrant (commission) de 1671 que :
Par notre volonté et notre bon plaisir, vous devez permettre et souffrir que notre fidèle serviteur, gardien des archives d’État ou quiconque de notre choix, puisse étudier tous les mémoires, les papiers et les enregistrements, qui se trouvent sous votre possession, et faire des transcriptions de tous les traités, les ligues et commissions7.
9Parallèlement à cette lutte institutionnelle, on observe dans les deux pays une forte augmentation du volume des archives conservées. Williamson obtenait la restitution des papiers des ambassadeurs dès la fin de leur mission : ce fut le cas de Henry Bennet et de Robert Southwell après leurs retours respectifs de l’Espagne et du Portugal8. Ces efforts entraînaient une réflexion sur les méthodes de classement les plus appropriées. L’une des difficultés était à la fois d’organiser la consultation des documents diplomatiques et de maintenir un contrôle étroit sur leur circulation. Loin d’être une « mémoire morte », les archives des secrétaires d’État devaient apporter une information satisfaisante aux ambassadeurs avant leur mission, mais il importait aussi de répondre aux sollicitations des marchands, des diplomates étrangers et des comités d’enquête parlementaires. Simultanément, les secrétaires devaient faire respecter des exigences de confidentialité pour une partie des négociations que le monarque ne souhaitait pas rendre publiques. Pour concilier ces exigences contradictoires, l’un des projets les plus originaux fut proposé par Robert Southwell qui occupa de 1664 à 1679 la charge de clerc du Privy Council. Il suggéra un nouveau classement dont le premier critère serait l’accessibilité et le degré de confidentialité des archives :
Il serait souhaitable de tenir trois registres : un petit livre pour consigner les moments de la plus haute importance [des négociations] et les chiffres codés désignant les principales personnalités de la cour. Un plus grand livre contenant les secrets de moindre importance et enfin un grand livre pour y rapporter divers événements comme les entretiens avec les ambassadeurs, les débats du cabinet ou d’autres écrits comparables, ils pourraient non seulement servir d’aide-mémoire, mais au cas échéant, fonder pour l’avenir des justifications9.
10En suggérant plusieurs degrés d’accessibilité et plusieurs formats de l’archive, ce projet de réforme insistait sur les diverses fonctionnalités du Paper Office. Au cœur des archives se trouvait le King’s Chest, le « coffre du roi », dans lequel était placée la correspondance de Guillaume III avec ses principaux ministres et les officiers généraux (la présente série SP 8 des archives nationales à Kew). C’était en son sein que reposait la mémoire la plus intime de la monarchie, les arcana imperii. Cette correspondance était sujette à une codification chiffrée et contenue dans un livre de petit format. Elle était en quelque sorte analogue au Trésor royal de France qui reposait dans la Sainte-Chapelle. Une seconde catégorie regroupait des documents d’une « moindre importance », qui pouvaient être communiqués plus librement aux ministres du Privy Council par les secrétaires d’État. Enfin, il existait une troisième catégorie d’archives qui faisait l’objet d’un plus long commentaire. Dans un grand recueil, les clercs devaient transcrire les entretiens des ministres avec les diplomates anglais de retour de mission et avec les diplomates étrangers. Cette étape permettait de filtrer les informations qui avaient été échangées et constituait un corpus à partir duquel la version officielle des événements allait pouvoir être établie, dans un but commémoratif ou de justification.
11La bonne ordonnance des archives contribuait au bon fonctionnement de sa diplomatie. D’après l’un des secrétaires de Torcy, Clairambaud, il s’agissait de réaliser pour chaque pays « un recueil qui soit beau en soy et qui doit ester utile à un ministre qui a souvent à parler dans les conseils des Affaires Estrangères10 ». Les ministres devaient mobiliser un nombre accru d’informations et d’enquêtes sur les divers sujets de la négociation (les questions de titulature, les liens de vassalité pour les territoires de l’Est de la France, les limites des eaux territoriales sur la Manche, les problèmes d’immunités). Il importait de disposer d’une information précise et facilement accessible pour rédiger les instructions aux ambassadeurs, répondre à leurs lettres, ou bien pour intervenir dans les querelles d’imprimés qui opposaient les principaux belligérants. Gabriel Naudé insistait dans sa Bibliographie politique sur le critère de l’utilité pour procéder aux classements des livres comme des manuscrits11. Le point de départ fut la saisie d’une grande partie des papiers de l’ancien secrétaire d’État Hugues de Lionne. Ils furent saisis en 1671 par Colbert à la demande de Louis XIV :
Je souhaite que vous scelliez, conjointement avec lui, le cabinet de son père où il y a des papiers que je ne veux pas que sa mère, ses frères, ni aucun autre puissent voir [...] au surplus vous direz et ferez tout ce que vous jugerez necessaire pour la seureté de mes secrets et celle de ma parenté12.
12Par la suite, Colbert de Croissy et Torcy exigèrent le dépôt systématique des correspondances des diplomates. Un premier inventaire des correspondances diplomatiques reçues par le secrétaire fut réalisé en 1680, et le dépôt des archives des secrétaires d’État fut créé en 1688. En 1705, les fonds de Richelieu et de Mazarin furent intégrés dans les archives tenues par le marquis de Torcy. Clairambaud établissait une distinction entre des papiers d’État que le roi était en droit de saisir et des papiers privés qu’il fallait acheter à la famille :
Je mets cette différence entre les papiers qui sont d’une charge qu’on a exercée, et les manuscrits qu’on a ramassés ou par argent ou par son industrie, que le premiers doivent suivre la charge et sont absolument au Roy [...] mais pour les autres [...] Sa Majesté est obligée de les payer13.
13En France, sous la conduite des secrétaires d’État, des normes précises étaient établies et permettaient de distinguer les papiers liés à l’exercice de la charge de ceux qui appartenaient en propre aux diplomates. Torcy n’était pas peu fier de la qualité de ses archives et il envisageait de les utiliser pour nourrir la formation des jeunes négociateurs qu’il entendait recevoir dans son Académie politique. Il désignait d’ailleurs Yves de Saint-Prest, le gardien du dépôt des archives étrangères, comme directeur de l’Académie en 1711. Ordre français et désordre au-delà ?
14Cet effort de centralisation et de rationalisation fut mené à l’échelle de l’Europe. Les secrétaires d’État avaient une dette considérable à l’égard de plusieurs grandes figures de l’érudition européenne. Parmi les contributions les plus célèbres figuraient celles de Gabriel Naudé, de Robert Cotton et de Leibnitz14. Cette recherche ne se fit pas sans un esprit d’émulation et de concurrence entre les royaumes. En France, de puissantes dynasties ministérielles avaient permis au dépôt des archives étrangères de devenir sous Louis XIV le premier lieu de mémoire de la diplomatie française. Ces efforts permirent de sauver une grande quantité de documents, qui auraient disparu dans le grand incendie de la Cour des comptes en 1737. Il importe cependant de rappeler que cette vision triomphaliste n’était pas partagée par tous les contemporains. À la fin du règne, Henri François d’Aguesseau, procureur général, soulignait en 1711 l’inefficacité et les lacunes des dépôts des archives des secrétaires d’État. Ces fonds « particuliers » ne présentaient pas les mêmes garanties qu’un véritable fonds public sous le contrôle du procureur et du chancelier :
Le roi fut sur le point de soufrir il y a quelques années un préjudice considérable par la mauvaise interpretation qu’on voulait donner contre Sa Majesté à un article du traité de Marsal. On soutenait pour le roi, et avec raison, qu’il y avoit une faute d’impression dans les exemplaires imprimés de ce traité. On voulut avoir recours à l’original ; on ne le trouva ni chés messieurs les secrétaires d’État ni au Trésor des chartes, et si l’on n’avoit eu le bonheur d’en recouvrer un imprimé fait en Lorraine dans le temps mesme de ce traité, la justice de la cause du roi aurait sucombé par une faute d’impression [...]. Quelques soins, quelques précautions que l’on prenne pour l’ordre, l’arrangement et la conservation des dépôts particuliers, rien ne peut jamais égaler la seureté d’un dépôt public, perpétuel, immobile, et c’est ce qui fait qu’il n’y a point de royaume bien réglé où il n’y ait des archives publiques, où l’on ne conserve avec une attention scrupuleuse tous les titres qui concernent le droit public intérieur et extérieur de la monarchie. La seule difficulté qu’on puisse oposer à un ordre si utile regarde les traités de paix et quelques autres actes semblables, qu’il est important et nécessaire à messieurs les secrétaires d’État d’avoir toujours sous leurs mains, parce qu’ils sont obligés d’en faire un usage continuel, mais on ne se sert ordinairement que de copies imprimées ou manuscrites pour l’usage courant15.
15On peut penser qu’il s’agissait là d’une revendication isolée et d’arrière-garde, la bataille pour la préservation de la mémoire diplomatique du pays avait été déjà emportée par le secrétaire d’État aux Étrangers. Par la suite, le ministère des Affaires étrangères a longtemps occulté les nombreuses lacunes que d’Aguesseau évoquait. Il en allait de la crédibilité de la diplomatie française, mais on sait à présent qu’une minorité d’archives étaient effectivement préservées par Torcy et que bon nombre de papiers familiaux abordaient en réalité les négociations des ambassadeurs16. L’importance était de donner les apparences d’un fonds complet et unique, placé dans la main du roi. En France, la création d’un fonds d’archives diplomatiques témoignait d’une personnalisation accrue de la politique extérieure autour de Louis XIV et de ses ministres. Clairambaud, le clerc de Torcy, faisait remarquer :
Ces Mémoires que l’on a pris soin de conserver sont non seulement les sources de la vérité de notre histoire mais les dépositaires des secrets de l’État, et ils seront toujours des témoignages assurés des vives lumières que le Roy répand dans ses conseils et par lesquels il se rend luy-mesme le premier mobile de tous ces événements17.
16Dans ces conditions, il n’était pas question d’admettre l’existence de lacunes. Ce nouveau dépôt d’archives permettait à la fois d’assurer le caractère confidentiel de la prise de décisions au Conseil et de mettre en valeur les documents éclairant la gloire de Louis XIV. Certains étaient présentés aux visiteurs de marque, et les ministres puisaient dans ces fonds pour extraire des documents propres à glorifier et à justifier la diplomatie française. Pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, Louis XIV apporta son soutien à la réalisation par son imprimeur Frédéric Léonard d’un Recueil des traitez de paix, de treve, de neutralité, de confédération, d’alliance et de commerce faits par les rois de France (1693). Dans la préface, le recueil de traité était présenté comme :
Un monument de la sagesse & de la valeur de ses ancêtres [...] en lisant les traitez qui ont été faits depuis cinquante ans, que Votre Majesté règne si glorieusement, tous les souverains de l’Europe & peut-être du monde entier, apprendront par quels degrez vous estes devenus le terreur de vos ennemis et les délices de votre peuple.
17Les liens entre le renforcement de l’autorité royale et la réorganisation des archives s’observaient dans d’autres pays. Renaudot dans sa gazette faisait remarquer que le roi danois en octobre 1660 avait fait :
Enlever, en sa présence, & porter au Chafteau de Coppenhaguen, tous les Papiers de sa Chancelerie, qui estoyent dans la Chambre des Sénateurs, afin de leur ofter la connoiffance des affaires, dont, à préfent Sa Majefté Danoise prend la conduite, avec son conseil, composé des Personnes qui luy font les plus affectionnées18.
18En revanche, il semble qu’en Angleterre les divers projets de réformes ne furent guère suivis de transformation ou d’une apparente centralisation. Le parlement de Londres, qui témoignait d’une curiosité croissante vis-à-vis de la politique extérieure et qui entendait être assez documenté sur le contenu des traités, estimait que les secrétaires n’étaient pas en mesure de rendre des comptes fiables. Dès la mort de Guillaume III en 1702, un comité d’enquête faisait remarquer que le monarque et ses ministres n’avaient pas été en mesure d’établir une distinction entre archives publiques et privées, et qu’un grand nombre de diplomates avaient gardé la totalité de leurs papiers19. Le comité était présidé par un lord diplomate, Charles Montagu, qui fut élevé de retour de son ambassade à Paris au rang de secrétaire d’État en janvier 1702. Il comprenait également lord Manchester et William Nicholson, un ancien protégé de Williamson et membre de la Royal Society. Il fut le promoteur de sociétés historiques dont l’organisation serait calquée sur celle des réseaux italiens et français, et le rédacteur d’un catalogue d’ouvrages sur l’histoire anglaise20. Le comité obtint de John Tucker, le nouveau clerc du Paper Office après la mort de Joseph Williamson, une description précise du State Paper Office :
Une grande confusion et un complet désordre régnaient parmi les papiers si bien qu’il était très difficile de s’y retrouver [...]. Le dépôt se compose de deux pièces, de trois cabinets et de plusieurs tourelles. Dans la première pièce se trouvent entassés tous les papiers répertoriés à partir de la fin du règne de Charles I pour chaque pays (Irlande, Allemagne, Italie...) et dans l’ordre chronologique, avec un feuillet sur chaque liasse indiquant le contenu. Le cabinet à l’intérieur de cette pièce contient d’autres liasses regroupées suivant la nature des documents : commission, traité, lettres envoyées ou reçues par nos rois. La pièce (centrale) contient dans deux grandes armoires les papiers laissés par sir Joseph Williamson et trois petites armoires renferment les papiers de sir Leoline Jenkins [...]. Mais toutes ces collections sont loin aussi d’être complètes et continues qu’elles devraient l’être [...]. Le dépôt se trouvait auparavant à côté de la salle de Banquets à Whitehall qui a brûlé et de nombreuses collections furent endommagées par leur transfert précipité dans les lieux où elles se trouvent à présent. Je peux affirmer de manière crédible que de nombreux papiers ont aussi été emportés par Bradshaw, Thurloe et Milton et ne furent jamais restitués21.
19On observe dans cette description une confusion entre plusieurs types de classement : géographique, nominal – les fonds de deux secrétaires d’État : Joseph Williamson et Leoline Jenkins – ou thématique (pétitions, warrants). Tucker accusait nommément des administrateurs républicains comme Thurloe d’avoir gardé par-devers eux leurs papiers. On suppose qu’ils avaient souhaité échapper aux poursuites pendant la Restauration. Milton fit cacher sa correspondance et John Thurloe quitta Whitehall avec un grand nombre de documents. Ils furent retrouvés plusieurs années après sa mort en 1695 dans sa chambre de Lincoln’s Inn (1695)22. Tucker constatait aussi qu’aucune version originale des principaux traités n’avait été préservée. Une enquête sur les dispositions du traité de Ryswick avait permis de réaliser que ni ce traité, ni celui de Breda n’étaient présents. Des poursuites allaient être engagées contre les héritiers du signataire du traité de Breda, Henry Coventry, afin de pouvoir récupérer le document23. Les fonds Jenkins ou Williamson étaient restés dans la disposition singulière dans laquelle leurs propriétaires les avaient laissés et leur consultation par leur successeur était malaisée.
20Si l’on se fie aux conclusions du comité d’enquête de 1703, les monarques depuis la Restauration n’auraient pas aussi bien réussi à imposer à la documentation diplomatique le caractère de « secret d’État ». On a vu pourtant les efforts des ministres de Charles II pour imposer un meilleur contrôle. De même, Guillaume III s’inscrivit dans le sillage de Louis XIV lorsqu’il fit publier plusieurs recueils sur les trésors de la diplomatie anglaise. On trouve inscrit en 1698 dans les archives du Trésor une dotation budgétaire de 200 livres sterling en faveur de l’historiographe du roi, Thomas Rymer, pour « transcrire et publier à la demande du roi en son conseil, les anciennes ligues et actes publics d’État conclus entre la couronne d’Angleterre et les autres nations24 ». Mais ce projet ne servit pas la gloire du monarque dans la mesure où il ne fut achevé qu’au cours du xviiie siècle. Les autres lacunes signifiaient aussi que les monarques n’avaient pas été obéis par leurs ministres ou que les secrétaires d’État à Whitehall n’avaient pas eu l’autorité suffisante pour s’imposer face au lord chancelier et aux ambassadeurs. D’autres explications permettent de mieux comprendre les raisons pour lesquelles ces diplomates ne se soumettaient pas facilement aux injonctions des ministres et des monarques.
Les usages privés de la mémoire diplomatique
21La montée en puissance du parlement de Westminster, dont les débats et l’activité débordaient le cadre des affaires domestiques, est un élément essentiel pour expliquer la différence entre la France et l’Angleterre. Sous la Restauration, il y avait plus d’un tiers des négociateurs qui possédèrent un siège à la Chambre des communes à un moment quelconque. Les divisions partisanes à Westminster étaient telles qu’elles ne connaissaient aucune limite et gagnaient les questions de politique extérieure. Dès lors, pour se prémunir des attaques, ministres et diplomates jugeaient plus prudent de garder leurs archives. Dans les premières années de la Restauration, on a vu précédemment que les secrétaires républicains avaient emporté avec eux toutes leurs correspondances afin d’échapper aux poursuites des royalistes. Ces mesures de précaution se multipliaient dans les décennies suivantes. Les testaments des ministres et des diplomates homologués à la Cour des prérogatives à Cantorbéry apportent des indications précieuses sur cette question. Le diplomate et secrétaire d’État, William Trumbull, demandait à son exécuteur testamentaire de regrouper :
tous les livres et papiers qui furent écrit de ma main, et notamment ceux relatifs à ma charge de ministre à l’étranger [...] et à l’exception des documents relatifs à mes titres de propriété et à mes dettes, de les détruire, les brûler ou de les placer en lieu sûr, afin que personne ne puisse les examiner ou les recopier25.
22Son ambassade à Paris coïncidait avec la révocation de l’édit de Nantes et il importait que, de son vivant et pour sa postérité, aucun esprit malveillant ne vînt à mettre en cause sa probité et son protestantisme. Ses papiers diplomatiques furent conservés dans des collections privées, publiés partiellement par la Historical Manuscripts Commission puis rachetés par la British Library en 1989. Cette réintégration dans un fonds public fut saluée par la presse ; le Times et le Daily Telegraph célébraient dans plusieurs articles l’arrivée d’un « trésor pour la nation26 ». Parle biais de l’archive, le prestige d’une famille alimentait celui du pays. D’autres, au contraire, prirent le parti de dévoiler les négociations auxquelles ils avaient pris part afin de se dédouaner des critiques. Un exemple connu est celui de Ralph Montagu qui, de retour de son ambassade auprès de Louis XIV en 1678, menaça de dévoiler en septembre 1678 les compromettantes négociations entre le ministre anglican lord Danby et l’ambassadeur français. La tentative maladroite de Danby pour faire saisir les papiers de Montagu ne fit qu’aggraver la situation. Elle confirma les suspicions de l’opposition et entraîna la mise sur pied d’une enquête au terme de laquelle la Chambre exigea la consultation des papiers saisis par Danby27. Montagu pouvait alors exhiber plusieurs lettres dont celle datée du 25 mars 1678 qui impliquait nommément Danby dans un projet d’une alliance secrète de trois ans avec Louis XIV. Elle avait été écrite cinq jours après le vote d’un subside pour entrer en guerre contre la France et le discours de Danby au Parlement qui désignait la France comme l’ennemi prioritaire28. L’archive protégeait le diplomate des censures gouvernementales et lui donnait un premier rôle dans le parti de l’opposition whig qui obtenait l’année suivante la démission de Danby. Selon les circonstances et les stratégies personnelles, ministres et diplomates anglais choisissaient soit d’exposer par le biais de la circulation de manuscrits ou par l’imprimé, soit d’occulter la mémoire de leurs activités. On voit comment, par l’enjeu que ces papiers représentaient dans les violentes rivalités de clans et de partis, la discipline archivistique se trouvait profondément malmenée.
23Mais cette politique individuelle et partisane de l’archive se vérifiait également sur le long terme. La postérité de ces hommes pouvait être aussi servie par le choix de déposer leurs archives dans le Paper Office. On a pu remarquer dans le rapport du comité parlementaire la mention des noms de Jenkins et de Williamson. Ces deux secrétaires d’État ont fait le choix de spécifier dans leur testament leur volonté de servir l’État en déposant l’essentiel de leurs papiers. Jenkins écrivait :
Je laisse tous mes papiers, mes écrits et mes manuscrits à la disposition dudit docteur Owen Wynne et je compte sur ses soins et sur sa fidélité pour classer ceux qui relèvent du service de Sa Majesté ou du Public comme Papier d’État dans le Paper Office29.
24Son exécuteur testamentaire mit à l’abri une série de correspondances diplomatiques écrites lors des négociations de Nimègue qui furent publiées au cours du xviiie siècle afin de démontrer l’excellence de ce négociateur et de souligner les faiblesses de son concurrent et collègue William Temple. Il fut en mesure d’imposer aux Hollandais le respect du salut en mer à son navire alors que les autres ambassadeurs s’étaient vu refuser ce privilège. Dans d’autres circonstances, il se distinguait dans ses lettres par une position plus inflexibles que Temple contre les négociateurs français30. Cette publication répondait aux divers imprimés publiés après la mort de William Temple, qui reproduisait de larges extraits de sa correspondance et qui permit de fonder sa réputation de plus grand diplomate anglais du xviie siècle. Temple affirmait au sujet de Jenkins :
Le chevalier Jenkins, mon collègue, reçut l’ordre en même temps de reprendre la fonction de médiateur : il le fit, mais on peut dire qu’il fit plus dans cette affaire celle de messager que de médiateur31.
25Jenkins était décrit comme un envoyé maladroit et s’étant exclu lui-même du cœur des négociations. Les mêmes remarques peuvent s’appliquer à Matthew Prior qui choisit d’effectuer lui-même le tri entre les archives destinées à rester secrètes et celles qui pourraient rendre service au public et assurer sa postérité. Dans son testament, il écrivait :
Après avoir brûlé tous les documents impropres à une consultation ultérieure, je lègue à mon exécuteur lord Harley tous mes manuscrits, mes négociations, mes commissions et mes papiers de toutes natures, qu’ils soient relatifs à mes emplois publics ou à mes travaux personnels32.
26À partir des papiers sélectionnés par Prior, ces légataires publièrent en 1740 une chronique des guerres et des négociations contre Louis XIV33. À nouveau, l’enjeu était de défendre la mémoire d’un ambassadeur, mais aussi de le proposer en modèle d’écrivain pour l’apprentissage du style épistolaire. William Temple, Abraham Cowley et Matthew Prior figuraient parmi les meilleures plumes que les jeunes aristocrates se devaient d’imiter34. Enfin, la publication par des particuliers de papiers diplomatiques permettait de marquer l’indépendance politique d’un groupe social. La préface d’un recueil de traités était à ce sujet assez explicite :
Les intérêts du prince : & qui est-ce aujourd’hui, qui ne s’en mêle pas ? C’est la science à la mode ; tout le monde en parle mais il y a peu de gens qui sachent ce qu’ils disent. [...]. On verra par divers traitez que les Barons & les autres grands seigneurs d’un État se rendaient autrefois garant des Traites de leur souverains, en sorte que si ces souverains venaient à les rompre sans raison ; les grands seigneurs pouvaient avec leur vassaux combattre pour le parti opposé afin de maintenir les Traitez35.
27En disposant de la mémoire de la diplomatie anglaise, cette aristocratie des communes et des lords marquait sa connaissance des affaires européennes et le bon droit qu’elle avait à s’ingérer dans la politique extérieure. Cette valorisation des archives diplomatiques dans le contexte immédiat des rivalités partisanes ou dans la construction sur le long terme d’une postérité individuelle et familiale permet de souligner la forte imbrication existant en Angleterre entre les affaires domestiques et la politique extérieure. On le voit à travers ces divers exemples, les archives diplomatiques passaient alternativement du statut de bien privé au domaine public. Selon les circonstances et selon leurs intérêts, leurs détenteurs précipitaient ou repoussaient leur circulation et le cas échéant leur publication. Ils disposaient d’une autonomie et d’une marge de manœuvre considérables que les ambassadeurs français ne semblaient pas posséder. En effet, à l’exception des correspondances du maréchal d’Estrades, il n’y eut pas de publications d’archives comparables à celles observées en Angleterre36. Pourtant, on l’a vu précédemment, les ambassadeurs français gardaient un grand nombre de leurs archives malgré les efforts des ministres. Leurs papiers devaient circuler sous la forme de manuscrits dans le cadre familial ou dans le cercle restreint des proches, mais les études manquent sur cette question.
28En définitive, la comparaison entre les archives diplomatiques françaises et anglaises nous conduit à observer plusieurs convergences. Au cours du xviie siècle, les secrétaires d’État, avec le soutien personnel du monarque, ont travaillé à dessaisir les diplomates de leurs correspondances en considérant qu’elles relevaient de papiers d’État. Parallèlement, ils ont entrepris un effort de reclassement et de réorganisation des dépôts d’archives. Ces efforts ont abouti à des résultats très contrastés dans les deux pays. Les ministres Colbert de Croissy et Torcy célébraient la richesse et l’efficacité de leurs fonds d’archives alors que, à Londres, le Parlement déplorait les lacunes du Paper Office. Ces témoignages doivent être considérés avec prudence. On sait que les différences entre les deux pays n’étaient pas si fortes et que les ambassadeurs français continuaient de considérer leur correspondance comme un bien propre. En revanche, ils nous fournissent de précieuses indications sur les usages politiques et familiaux des archives. Louis XIV apparaissait comme le seul acteur et l’unique figure de la diplomatie française, et le contrôle que ses ministres exerçaient sur les archives des ambassadeurs symbolisait et assurait cette forme d’exclusivité. En Angleterre, les trois monarques qui se succédèrent sur la période n’affirmaient pas avec autant d’assurance leurs prérogatives sur la politique extérieure. Ce fut au contraire le Parlement qui souligna les dysfonctionnements du Paper Office et la nécessité d’une réorganisation des archives afin que leur consultation puisse en être facilitée. Paradoxalement, ces mêmes parlementaires, lorsqu’ils effectuaient des missions diplomatiques, refusaient de restituer leurs correspondances et les utilisaient dans les luttes partisanes ou dans la fondation d’une postérité. Dans les deux pays, les archives diplomatiques se trouvaient à la croisée des domaines publics et privés, mais les différences institutionnelles faisaient qu’ils étaient tantôt ou simultanément considérés comme document d’État ou comme élément d’un patrimoine familial.
Notes de bas de page
1 www.nationalarchives.gov.uk/nra : Royal Commission on Historical Manuscripts (1869).
2 William Wynne, The Life of Sir Leoline Jenkins, Judge of the High Court of Admiralty, Ambassador and Plenipotentiary for the General Peace at Cologne and Nimeguen ; and a Compleat Series of Letters, from the Beginning to the End of those Two Important Treaties, Londres, 1742 ; William Temple, Memoirs of what Past in Christendom from the War Begun 1672 (Londres, 1692, 1693, 1693, 1700, 1709) ; The Correspondence of Hyde, Earl of Clarendon and his Brother, Laurence Hyde, Earl of Rochester, Samuel W. Singer (dir.), 2 vol., Londres, 1828.
3 www.eebo.chadwyck.com/home.
4 Une bibliographie sélective est présentée ci-dessous : Louise Atherton, Never Complain, Never Explain : Records of the Foreign Office and State Paper Office 1500-C. 1960, Public Record Office Readers’ Guide, n° 7, 1994 ; Armand Baschet, Histoire des dépôts des archives des Affaires étrangères, Paris, Plon, 1875 ; Elizabeth M. Hallam, 1992, « Nine Centuries of Keeping the Public Records », dans G.H. Martin et P. Spufford (dir.), The Records of the Nation, The Public Record Office (1838- 1988,), Woodbridge, The Boydell Press, p. 23-41 ; Isabelle Nathan, « Les archives anciennes du ministère des Affaires étrangères », dans L’invention de la diplomatie au Moyen Âge-Temps modernes, Lucien Bély (dir.), Paris, PUF, 1998, p. 193-297 ; Yann Potin, « L’État et son Trésor. La science des archives à la fin du Moyen Âge », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 133, juin 2000, p. 48-52 ; Yann Potin et Olivier Guyotjeannin, « La fabrique de la perpétuité », Revue de synthèse, 5e série, 2004, p. 15-44.
5 « Monsieur de Loménie, [...] secrétaire d’Estat, eut le soin de mettre entre les mains de monsieur le procureur général Molé les originaux des actes passez pour le fait du mariage de madame Henriette-Marie de France et Charles Ier roy d’Angleterre ; monsieur le procureur général lui en bailla une décharge. Monsieur le cardinal de Richelieu mesme luy a fait bailler un grand nombre de petits traitez et autres actes faits par le roy avec les princes des Estats voisins, qui estoient en originaux, pour estre déposez audit Trésor et servir à la postérité. Les principaux ministres et les premiers officiers ont bien reconnu ce défaut en des occasions importantes, lorsqu’ils furent obligés de faire rechercher, et avec peine, le contrat de mariage du roy Louis XIII, qui se trouva enfin en un lieu où il ne devoit point estre. Aussi monsieur le garde des sceaux de Marillac, ayant bien considéré le préjudice que le public recevoit en cela, fit donner un arrest du Conseil le 23 septembre 1628 par lequel le roy ordonne que les originaux des traitez, actes de paix, de mariages, alliances et négociations de quelque nature que ce soit, concernant son estat et affaires passées avec les princes, [...] seront portez au Trésor des chartes et adjoustez à l’inventaire d’iceluy [...], ce qui a esté si peu exécuté que les choses sont demeurées comme auparavant et avec un si grand abandonnement » ; Pierre Dupuy, Traites touchant les droits du roy, 1655, p. 1016, cité par Yann Potin et Olivier Guyotjeannin, « La fabrique de la perpétuité », op. cit., p. 28.
6 Mémoires, Chéruel et Regnier (dir.), t. VIII, p. 31.
7 Our will and Pleasure is That you permitt and suffer pour Trusty and Well beloved servant Joseph Williamson Esqr keeper of our Paper of State or whom we shall employ from time to time to peruse all such records, memorialls and papers as now are in your custody, andfrom them to make transcript of whatsoever treaties, leagues, commissions, grants [...] as also to make use of all such indexes, calendars and repertories there, which may be the better further the same without taking any reward or fee for so doing. NA SP 45, fol. 150, le 25 mai 1671.
8 NA SP 45/74, fol. 150-164.
9 It may be adviseable to keep three diarys. One small book to enter things of Highest moments and some kind of Cypherfor the prindpall names in Courts. Next a bigger book for other secretts ofless account. Lastly a large book, to enter as occasion may be either discourses with ambassadors, or debates in coundll or the like which may be serve not only for a more entire memoriall of such things, but for the future justification as the case may happen. BL Add. Ms 38861, fol.46-48.
10 Le sieur de Clairambault à Torcy, le 8 octobre, Armand Baschet, Histoire du dépôt des archives des Affaires étrangères, op. cit., p. 108.
11 Bibliographie politique du Sieur Naudé contenant les livres et la méthode nécessaire à estudier la politique, Paris, 1642.
12 Instruction et mémoires de Colbert, vol. VI, p. 284, cité par Baschet, ibid., p. 65.
13 Baschet, op. cit., p. 114.
14 Bibliographie politique..., op. cit. ; Robert Damien, Bibliothèque et État. Naissance d’une raison politique dans la France du xviie siècle, Paris, PUF, 1995 ; Sir Robert Cotton as Collector : Essays on an Early Stuart Courtier and his Legacy, C.J. Wright (dir.), Londres, British Library, 1997, p. 96-104 ; G.F. Leibnitz, Codex Juris gentiutn diploniaticus, Hanovre, 1693 (rééd. par J. Peck, Berlin, 2 vol., 1962-1964).
15 Copie du xixe siècle : Arch. nat., AB VA 1 C ; cité par Potin et Guyotjeannin, « La fabrique de la perpétuité », op. cit., p. 38.
16 « Il n’y a pas dans le dépôt la sixième partie des lettres ou expéditions faites ou reçues par le secrétaire d’État aux Affaires étrangères » ; Isabelle Nathan, op. cit., p. 196 ; « Personne ne conteste que dans les dépôts de manuscrits de nos grandes bibliothèques publiques et dans bien des dépôts d’archives de France, il existe des documents [...] qui, bien que n’appartenant pas au dépôt des affaires étrangères, intéressent au premier chef et quelque fois exclusivement l’histoire de notre politique extérieure. On sait d’autre part combien les lettres personnelles, qui s’échangent traditionnellement en marge de la correspondance officielle, peuvent accorder d’éclaircissement aux commentaires de cette correspondance. Une grande partie de ces papiers échappe, en fait, à la législation sur les papiers d’État, et bien que le service des archives du Département soit attentif à identifier et récupérer au décès des agents et, le cas échéant à acquérir les documents de cette catégorie, il est trop clair qu’il en subsistera toujours un plus grand nombre dans les archives privées que dans les dépôts publics. Il importe, cependant, que cette précieuse source de documentation puisse être exploitée dans les mêmes conditions que la correspondance officielle dont elle constitue le complément naturel » : rapport d’Amédé Outrey, chef du service des Archives au premier vice-président de la commission des archives diplomatiques, le 21 décembre 1950.
17 Baschet, Histoire.op. cit., p. 77.
18 Stéphane Haffemayer, L’information dans la France du xviie siècle. La « Gazette » de Renaudot de 1647 à 1662, Paris, vol. 1, p. 310.
19 Commitee to Consider of the Method of Keeping Records & Publick Papers in Offices, 1703, HMC Lords, op. cit., VI, 36-8.
20 All the great improvements in learning are carried on in France and Italy by societies of persons properfor such undertakings. I know no reason why history and antiquities should not be this way cultivated : Nicolson à Ralph Thoresby, 7 mai 1694, cité par Clyve Jones et Geoffrey Holmes, The London Diaries of William Nicolson, Bishop of Carliste, 1702-1718, Oxford, 1985, p. 11 ; W. Nicolson, The English Historical Library or a Short View and Character of most of the Writers now Extant Either in Print or Manuscript which May be Serviceable to the Undertaking of a General History of the Kingdom, Londres, 1696.
21 [...] The papers were in such confusion and disorder that it was very difficult to find any paper that was wanted [...]. The office consiste of two rooms, 3 closets & so many turrets. In the first room are presse (d) there all papers to the end of the reign of King Charles 1 [they] are placed under the heads of the particular countrys they related to (as England, Ireland, Germany, Italy) according to order of tinte with a label on each bundle expressing what sort of papers it contains. The closet belonging to that room is filled wth particular papers under their several heads (as commission, treaty, letters front and to our kings). The Inner room has, in two large presses the papers left by Sr Jos. Williamson and in 3 presses of a smaller size those left to ye office by Sr Leoline Jenkins [...]. But all those collections are not so full nor so well continued as they should be [...] the office wch was formerly kept near ye old Banqueting House at Whitehall when that was burn down suffered by the hasty removing of ye papers to ye place they are now in, many no doubt are lost & sonie were burn. Diverse papers (as I am credibly informed) were taken out by Bradshaw, Thurloe, Milton & were never returned, NA, SP 45, 22 décembre 1705, fol. 189.
22 H. Hall, « The Thurloe papers », Contemporary Review, CLIV, 1938.
23 Upon the whole story, it appeared that the Office had been alwaies neglected by its keepers, and by none more than (my old patron) Sir Joseph Williamson : Whose last Bequest (in his Will) of some Trunksfull of papers to this place proves only a restoreing of’em to the Cells from whence they have been borrowed. Mr Tucker told us that here are no Original Treaties though theirproper Lodgeings : And that the Treaty of Breda (sought for occasion of the late Treaty of Ryswick) is no only missing, but that even the Treaty of Ryswick it self is wanting. [...] that of Breda migh be recovered from the Executors of the late Secretary Coventry, The London Diaries, op. cit., 28 décembre 1705, p. 338.
24 Transcribing and publishing, according to the direction of the King in council, the ancient Leagues and Public Acts of State between the Crown of England and other nation (Treasury Book, 19 août 1698 : 200 livres sterling pour Rymer, p. 441). Le travail de Rymer sera poursuivi par ses successeurs jusqu’en 1732 : Thomas Rymer, Robert Sanderson, George Holmes (dir.), Foedera, Conventiones, Litterae, et cujuscunque Generis Acta Publica, inter Reges Angliae et alios quosvis Imperatores, Reges, Pontifices, Principes, vel Communitates... ab anno 1 101, 20 vol., Londres et La Haye, 1704-1732.
25 All the books and papers as are of my own hand writing (except those as related to my estates, debts and private content) and more espedally those [that] belong to my publick minitry and imployment at home and abroad and that they doe effectually destroy them or burning them or otherwise soe that noe person may peruse them or copy them, NA, Court of Prerogatives, Prob/11/555/240.
26 Éditions du 14 décembre et du 15 décembre 1989 : « A Treasure Kept for the Nation » (Daily Telegraph, 15 décembre 1989).
27 Montagu : I believe, that the seizing of my cabinets and papers was to get into their hands some letters of great consequence, that I have to produce of the designs of a Great Minister of State. Harbord : In due time you will see what those papers are. They will open your eyes, and though too late to cure the evil, yet they will tell you who to proceed against, as the author of our misfortunes. I desire that some persons of honour and worth may be present at the opening of these cabinets, lest some of the letters should be there, A. Grey, Parliamentary Journal, vol. VI, p. 345.
28 In case the conditions of Peace shall be accepted, the king expected to have six millions of livres [300000 £] yearly for three years, from the time that this agreement shall be signed between his Majesty and the King of France ; because it will be two or three years before he can hope to find his Parliament in humour to give him supplies, after your having made any Peace with France. Suscribed Danby, A. Grey, ibid., VI, p. 338.
29 [I] leave the disposal of all my papers, writing and manuscripts, to the said Dr O.W [Owen Wynne] and do depend upon his care and fidelity, in placing such of them that shall in any sort relate to his Majesty’s service, or the Publick, as papers of State in the Paper Office : Wynne, I, lviii.
30 Wynne, op. cit., vol. I, p. xxiii, vol. II, p. 353, p. 697.
31 Mémoires du Chevalier Temple, op. cit., p. 148-162.
32 All my manuscripts, negotiations, commissions and all papers whatsoever whether of my public employments or private studies, I leave to my Lord Harley my executor either of them, having first burned such as may not be proper for any future inspection. BL Add. Ms 70362, fol. 67.
33 The History of my Oivn Time, Compiledfront the Original Manuscripts of His late Excellency Matthew Prior Esq., Londres, 1740.
34 The opportunities he had of being well informed concerning others, and the extraordinary talents he possessed for every part of fine literature, could not fail of being very valuable, and of the utmost importance to the Publick : préface de The History of my Own Time, op. cit., p. v.
35 Recueil des Traitez de Paix, de Trêves, de Neutralité de Suspension d’armes, de Confédération, d’Alliance et autres actes publics (1700).
36 Lettres et négociations de MM. le maréchal d’Estrades, Colbert, marquis de Croissy et le comte d’Avaux, ambassadeurs plénipotentiaires du roi de France à la paix de Nimègue, et les réponses et instructions du roi et de M. de Pomponne, La Haye, A. Moetjens, 1710.
Auteur
Université Paris 4
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