Les archives d’associations en France : se faire connaître ou se protéger ?
p. 59-70
Résumés
La France compte aujourd’hui plus de 800000 associations, de droit privé, qui représentent autant de situations différentes quand il s’agit de leurs archives. Deux attitudes opposées se révèlent : faut-il diffuser largement les archives ou protéger leur contenu en restreignant leur communication ? À chaque étape de leur existence les associations se trouvent confrontées à ces deux choix : selon qu’elles sont non déclarées (protection) ou reconnues d’utilité publique (diffusion) ; et selon leur nom : cercle (protection) ou ligue (diffusion). Cette opposition est particulièrement vive au moment de la collecte des archives, c’est-à-dire au moment où elles sont sollicitées pour être conservées dans un centre d’archives. Enfin, les conditions de communication, autrement dit les conditions d’accès permettant une exploitation scientifique des archives, sont un moment crucial entre le choix de l’ouverture ou celui de la restriction.
There are now more than 800 000 societies managed under private law, which represent as many different cases wben it comes to managing their archives. There are two opposed attitudes: must free access be given to the archives or should their contents be protected by restricted access? Societies are faced at each stage of their existence by two possible choices: either they are not declared (protection), or are deemed of use to the State (diffusion); this depends also of their name: circle (protection) or league (diffusion). This opposition is particularly sharp at the time of the collection of the archives, i.e. the moment when they are asked to gather them in a record centre. Finally, the conditions of communication, in other words the conditions of access permitting a scientific exploitation of the archives, are a crucial moment for the choice between opening access or restricting it.
Texte intégral
1En France, on compte aujourd’hui plus de 800000 associations déclarées, qui comptent 22 millions d’adhérents, emploient plus d’un million de salariés et mobilisent plus de 700 000 bénévoles ; de même, 40 % des Français se disent membres d’au moins une association. Pourtant, cette unanimité et ce succès ne doivent pas faire illusion : rien ne ressemble moins à une association qu’une autre association. Ces différences s’observent en particulier dans l’attitude de l’association vis-à-vis de ses archives : faut-il les « faire connaître » ou les « protéger » ? À chaque étape importante de leur existence (choix du statut, choix du nom, règles de communication des archives, lieu de conservation), les associations se trouvent à la croisée des chemins, ayant toujours le choix entre ces deux attitudes aussi contradictoires que lourdes de conséquences. Les 50 fonds d’archives d’associations conservés au Centre historique des Archives nationales à Paris dans la série AS (Archives d’associations) qui leur est réservée offrent de ce point de vue un vivier d’exemples représentatifs de ces comportements paradoxaux.
Choix du statut
2« Se faire connaître » ou « se protéger » : ces deux situations se présentent dès le stade du choix du statut des associations. En France, les associations relèvent du statut de droit privé et se fondent sur la loi du 1er juillet 1901 ; toutefois, les modalités de création et de fonctionnement dessinent un spectre assez large, allant du mouvement non déclaré quasi clandestin à l’association parapublique subventionnée et animée par l’État.
Association non déclarée : se protéger
3L’association non déclarée est a priori licite ; simplement, elle ne bénéficie pas de la reconnaissance juridique qui lui permettrait, par exemple, d’ester en justice. Le choix de ne pas déclarer une association répond à deux attitudes contradictoires : d’une part, il peut s’agir d’une association tellement informelle ou confidentielle que ses membres jugent inutile de lancer une procédure de déclaration ; d’autre part, il peut s’agir de mouvements comme les sectes, les mouvements politiques extrêmes et les mouvements religieux intégristes, qui cherchent à éviter à la fois une intervention de l’État et la publicité liées à la déclaration. Les groupes non déclarés d’extrême droite peuvent malgré tout être dissous, en application de la loi du 10 janvier 1936 modifiée sur les groupes de combat et les ligues : c’est le cas d’Unité radicale, dissous le 6 août 2002 (suite à la tentative d’assassinat du président de la République par un de ses membres, le 14 juillet 2002), et d’Elsass Korps, dissous le 19 mai 2005. L’attitude générale est dans ce cas de se protéger pour ces deux raisons opposées : désintérêt du monde extérieur ou recherche de la clandestinité.
Association déclarée : se faire connaître
4Ce cas est le plus courant, même si la déclaration n’est pas obligatoire : elle accorde à l’association la personnalité morale de droit privé, c’est-à-dire le droit d’ester en justice, d’ouvrir un compte en banque, de passer un contrat, de recevoir des dons et des subventions. Dans cette catégorie, l’association recherche en effet à se faire connaître, puisque la déclaration de création se traduit par une publication dans le Journal officiel : on y indique le titre, l’adresse et le but de l’association (c’est en quelque sorte son faire-part de naissance).
Association reconnue déclarée d’utilité publique : se faire reconnaître
5À l’issue d’un délai de trois ans, une association déclarée peut solliciter la reconnaissance d’utilité publique ; la demande de reconnaissance d’utilité publique doit être adressée au ministère de l’intérieur (bureau des groupements et associations), puis transmise pour avis au Conseil d’État. L’avantage est avant tout financier, car l’association reconnue d’utilité publique peut recevoir des donations et des legs, en plus des dons manuels. Toutefois, les associations sont avant tout sensibles à la puissance des termes utilisés : « reconnaissance » et « utilité » ; il ne s’agit pas seulement de se faire connaître, mais plus encore de se faire « reconnaître ». Le critère d’obtention de la reconnaissance d’utilité publique est de « poursuivre un but d’intérêt général » : cette notion peut être étendue dans un sens très large et englobe l’action sociale, le développement littéraire, scientifique, artistique, technique, éducatif, etc. Les domaines de prédilection des associations conservées au Centre historique des Archives nationales sont les suivants : bienfaisance et érudition historique.
6Pour la bienfaisance, citons l’Association paternelle des chevaliers de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis et du mérite militaire1 ; cette association fut créée le 6 décembre 1814 et reconnue comme institution de bienfaisance et d’utilité publique par ordonnance royale du 19 février 1823. Elle était destinée à secourir les familles pauvres des chevaliers de l’ordre de Saint-Louis, c’est-à-dire issus de la noblesse ; elle gérait également deux maisons d’éducation, une pour les filles (à Versailles) et l’autre pour les garçons (à Senlis), ainsi que trois maisons de veuves. Autre exemple de bienfaisance : l’Union des arts2, créée en 1913 et reconnue d’utilité publique par décret du 23 avril 1914. Elle avait pour but de secourir et protéger des artistes nécessiteux, ainsi que leurs familles ; elle gérait également un orphelinat pour les enfants d’artistes. Citons également la Société de protection des engagés volontaires élevés dans les maisons de correction3, fondée en mai 1878 et reconnue d’utilité publique par décret du 8 août 1881 ; elle avait pour but d’encourager l’engagement volontaire dans l’armée des jeunes délinquants, afin de faciliter leur réinsertion ultérieure dans la vie civile. Cette société a été dissoute assez tardivement en 1965, car l’armée a longtemps été considérée comme un lieu de redressement (la Marine, en particulier).
7Dans le domaine de l’érudition historique, je citerai trois exemples : tout d’abord, la Société de l’École des chartes4, fondée le 24 mars 1839 et reconnue d’utilité publique par décret du 29 août 1854. Elle réunit les anciens élèves de l’École nationale des chartes, organise des manifestations culturelles et encourage la publication de travaux d’archivistes-paléographes. Ensuite, la Société des études historiques5, créée le 24 décembre 1833 sous le nom d’Institut historique et reconnue d’utilité publique par décret du 3 mai 1872. Son but est d’« encourager et propager les études historiques en France et à l’étranger ». La Société est constituée de quatre classes : histoire générale et histoire de France (première classe), histoire des langues et des littératures (deuxième classe), histoire des sciences physiques, mathématiques, sociales et philosophiques (troisième classe), histoire des beaux-arts (quatrième classe). Toutes les activités de la Société cessent en 1940. Enfin, la Société historique de France6, fondée le 21 décembre 1833 par Guizot et reconnue d’utilité publique par décret du 31 juillet 1851. Son but est de publier les « documents originaux relatifs à l’Histoire de France pour les temps antérieurs aux états généraux de 1789 ».
8Ces derniers exemples de reconnaissance d’utilité publique soulignent la conjonction des centres d’intérêt entre les associations et l’État : l’obtention de la reconnaissance d’utilité publique par les sociétés d’érudition historique, au xixe siècle, coïncide ainsi avec le souci des gouvernements successifs de développer le sentiment national.
Association agréée : suppléer l’Etat
9Il s’agit d’une association, déjà déclarée ou déjà reconnue d’utilité publique, qui bénéficie, en outre, de l’agrément de l’autorité publique. L’agrément concerne deux situations : soit l’association constitue un monopole de ses activités, soit l’État lui délègue des tâches de service public ou d’intérêt général. La décision est prise par le préfet de région (si l’association agit dans un cadre régional), le département (si l’association agit dans un cadre départemental) ou le ministre (autres cas). Les fonds d’archives agréées sont encore rares, mais pourront à l’avenir devenir plus nombreux, au vu de leur domaine de compétence : associations de tourisme de voyage, associations de protection de la nature et de l’environnement, associations de défense des consommateurs, associations professionnelles des professions libérales.
10Ces associations agréées sont les représentantes les plus évidentes de la volonté de se faire connaître, du fait de leur double rôle : d’une part, représenter l’État, d’autre part, mener une action d’utilité publique ou citoyenne. Les bénéfices recherchés sont la légitimité et l’autorité qui en découlent. D’autres bénéfices sont plus concrets : les associations agréées sont en effet subventionnées par l’État. De plus, des fonctionnaires peuvent être également mis à disposition ou détachés auprès des associations : ainsi le personnel de la Fédération des parcs naturels régionaux compte vingt-six agents, dont quatre fonctionnaires d’État mis à disposition par le ministère de l’Agriculture et un fonctionnaire de la Fonction publique territoriale. De même, les subventions de l’État ont représenté 48 % de ses recettes en 2003, dont 24 % attribuées par le ministère de l’Écologie et du Développement durable.
Choix du nom
11Comme le disait Victor Hugo : « Au fond de ces deux mots, Société, Association, qu’y a-t-il ? La même idée : Fraternité. » Dans la plupart des cas, la fraternité est en effet la base de l’association, d’où l’emploi de nombreux synonymes : réunion, union, fédération, amicale, société, groupe, comité, mutuelle, entraide, etc.
12Cependant, deux termes ont une valeur particulière et leur choix n’est pas anodin : « cercle », utilisé pour se protéger, et « ligue », utilisé pour se faire connaître.
Cercle
13Le terme de cercle est le plus souvent choisi par des associations qui souhaitent se protéger de l’extérieur : car si la notion de cercle symbolise l’égalité entre ses membres, elle traduit également le secret, le repli (voire l’exclusion) et l’élitisme du recrutement social ou religieux. On se s’étonnera donc pas de voir cercle employé par les chefs d’entreprise et les intellectuels, dans les domaines de l’entreprise et de la réflexion intellectuelle, religieuse ou politique : Cercle catholique, Cercle libre-entreprise, Cercle Saint-Simon, Cercle Jacques-Cartier. De même, le terme de cercle est particulièrement prisé par les royalistes, qui sont en France doublement soucieux de se démarquer, comme minorité numérique et comme classe sociale : Cercle légitimiste, Cercle Louis XVII, Cercle royal.
Ligue
14Au contraire, le choix d’un mot comme ligue renvoie à la volonté de se faire connaître : la ligue revendique sans ambiguïté son objet et se déclare ouvertement « pour » ou « contre » ; ses domaines de prédilection sont la politique et la défense de la religion. Politiquement, le mot est majoritairement employé par les associations conservatrices et catholiques (souvenir de la Sainte Ligue du xvie siècle ?) : Ligue catholique pour la constitution d’une monarchie chrétienne, Ligue de la moralité publique, Ligue des patriotes, Ligue française antimaçonnique, Ligue française pour le relèvement de la moralité publique7, Ligue nationale antisémitique. Cependant, la notion de conservatisme politique induite par le mot « ligue » a été discréditée par les actions antirépublicaines des ligues d’extrême droite. Le terme se maintient actuellement dans deux domaines principaux : la santé publique (Ligue contre le cancer, Ligue nationale contre l’alcoolisme, Ligue nationale contre le péril vénérien, Ligue contre la violence routière) et les droits de l’homme (Ligue des droits de l’homme, Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme).
Collecte
15Les associations relèvent du statut privé et cette situation juridique a des conséquences directes sur la collecte, c’est-à-dire le moyen de faire entrer des archives dans un service d’archives.
Principe du libre arbitre du propriétaire
16En effet, le statut juridique privé donne entière liberté au propriétaire des archives sur leur sort, à tous les niveaux : il peut ainsi les conserver ou les détruire. S’il conserve ses archives, le propriétaire a de nombreuses possibilités pour déterminer le lieu de leur conservation : centre d’archives, mais aussi musée ou bibliothèque ; s’il opte pour un centre d’archives, il a le choix entre un centre privé (fondation) ou public. Parmi les services d’archives publics, il peut enfin choisir des archives municipales, départementales ou nationales. Autre critère, les modalités d’entrée offrent également le choix entre dépôt révocable ou don. Dans ces conditions, au stade de la collecte, l’archiviste public ne dispose d’aucune prise réelle sur la décision finale.
Méfiance vis-à-vis de l’État
17Cette méfiance est surtout développée chez les partis politiques, les syndicats et des mouvements altermondialistes pour qui l’État est forcément perçu comme l’État policier : « La Bibliothèque nationale et les Archives nationales et départementales ont souvent été considérées comme une émanation policière du ministère de l’intérieur8. » Confier ou ne pas confier ses archives à un service d’archives public reste donc un choix véritablement « politique ». Paradoxalement, l’autre reproche fait au service public est sa neutralité ! En effet, certaines organisations revendiquent une exploitation militante de leurs archives et souhaitent bénéficier d’une valorisation particulière : or, l’État n’a pas le droit de favoriser un organisme privé au détriment d’un autre.
18Parallèlement, les grands partis politiques français et les principaux syndicats cherchent à conserver leurs propres archives, pour avoir sur place leurs « archives courantes » et pouvoir valoriser les « archives historiques » dans une démarche de mémoire militante. Les archives des partis politiques sont ainsi conservées et exploitées dans le cadre de fondations qui se développent sur les modèles allemand et suédois9, et sous l’influence de la Communauté européenne : la Fondation Jean-Jaurès est ainsi détentrice, au sein du Parti socialiste, des archives du courant Pierre Maurois.
Collecte par ricochet
19Certains fonds d’archives privées transitent par des instituts de recherche et parviennent donc au Centre historique des Archives nationales par ricochet : la Fondation nationale des sciences politiques a ainsi déposé les fonds de partis politiques, comme le Mouvement républicain populaire10 (MRP) et l’Union démocratique et socialiste de la Résistance11 (UDSR). Un autre moyen de collecte indirecte passe par la collecte auprès des militants : c’est ainsi que le fonds du Parti socialiste unifié12 (PSU) a été reconstitué à partir de plusieurs dons. Le plus souvent, ce sont les chercheurs, au premier rang desquels les universitaires, qui mettent en contact propriétaires d’archives et services d’archives.
Choix des conditions de communication et du mode d’entrée
20Lorsque les archives des associations sont déposées ou données à un service d’archives, l’association doit déterminer et choisir elle-même, et elle seule, les conditions de communication de ses archives : en tant qu’organisme privé, elle est en effet la seule habilitée à prendre cette décision. Le service d’archives n’a aucune liberté et est tenu de respecter à la lettre les conditions de communication et de reproduction fixées dans le contrat de dépôt ou la lettre de don.
Libre communication
21Au Centre historique des Archives nationales, 50 % des fonds d’associations sont librement communicables. La raison la plus évidente de la libre communication est la dissolution de l’association (73 % des cas de libre communication). La dissolution entraîne deux conséquences qui favorisent la libre communication : d’une part, plus personne ne peut représenter une association dissoute, ce qui supprime le système de l’autorisation, d’autre part, la cessation d’activité conduit l’association à penser que la communication de documents du passé ne pose aucun problème. Le corollaire est le choix du don comme mode d’entrée (80 % des cas) : le don d’archives est en effet souvent associé à la libre communication (alors que le don peut précisément être assorti de restrictions). À titre d’exemples, citons l’ordre moderne du Temple13, crée en 1705 par le duc Philippe d’Orléans et présenté comme le successeur de l’ordre du Temple du Moyen Âge, ou bien le Parti féministe unifié14, créé en 1975 et dissous en 1977.
Communication sur autorisation
22Les associations qui désirent se protéger optent pour la communication sur autorisation. Le mode d’entrée est un dépôt révocable dans 60 % des cas. Quels critères sont retenus pour justifier les restrictions de communication ?
23Tout d’abord, la protection de la vie privée, illustrée par celle des convictions politiques et religieuses. Concernant la politique, deux cas se présentent : soit un parti politique, soit une association orientée politiquement. Du côté des partis politiques, les fonds d’associations du Centre historique des Archives nationales concernent essentiellement des mouvements gaullistes, telle l’Union pour la nouvelle République15. Quant aux associations politiquement orientées, elles sont illustrées par l’Association pour le réexamen de l’affaire Rosenberg16, créée en 1953, afin d’obtenir la grâce des Rosenberg, puis leur réhabilitation. D’après les déposants, les éléments sensibles qui justifient une autorisation préalable sont les suivants : d’une part, l’interdiction de révéler des noms et des coordonnées individuelles (fiches individuelles de renseignement, listes des adhérents, pétitions, lettres de soutien d’hommes politiques, d’artistes, etc.) ; d’autre part, la crainte de voir détourné par des ennemis politiques le message de l’association. À côté de la politique, l’autre domaine sensible est celui des convictions religieuses : le Centre historique des Archives nationales conserve à la fois des archives de mouvements catholiques (Société de Saint-Vincent-de-Paul17), protestants (Église réformée de France18) et juifs (Commission des archives juives19). La crainte de divulguer des coordonnées personnelles figure également en tête des arguments pour restreindre la communicabilité, mais, dans ce cas, c’est afin de protéger l’anonymat des bénéficiaires des secours de la bienfaisance ; en ce sens, la situation n’a pas changé depuis la culpabilité éprouvée par les « pauvres honteux » du xviie siècle.
24Autre critère de restriction de la communication des archives, la protection du secret bancaire et financier : l’Association pour l’union monétaire de l’Europe20, créée en 1987 pour convertir les entreprises européennes à l’euro et bien que dissoute depuis 2002, a interdit jusqu’en 2020 la communication de ses documents financiers et comptables (états financiers, ventes et achats de devises, subventions reçues).
25Troisième critère de restriction, la protection de la propriété industrielle et artistique : c’est le cas de la Réunion des fabricants de bronzes21, créée le 16 novembre 1818 par les artisans des métiers du bronze, afin de lutter contre la contrefaçon. Le fonds contient ainsi bon nombre de revues spécialisées, ce qui reflète l’importance du problème, telles les « Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire ». Les membres de la Réunion étaient également adhérents d’associations de défense et de protection : Association française pour la protection de la propriété industrielle, Association internationale pour la protection de la propriété industrielle, Union internationale pour la protection des œuvres littéraires et artistiques.
26Enfin, dans certains cas, rares mais réels, les motivations à la restriction ne sont pas tant le souci de se protéger que celui de contrôler : contrôler, en amont, le choix des historiens et contrôler, en aval, le résultat de leurs recherches ; le risque réside dès lors dans l’élaboration d’une histoire officielle.
Exploitation des sources : les spécificités des associations
Les obstacles inhérents aux associations
27Ne pas être connue ou valorisée n’est pas forcément la conséquence d’une action délibérée de la part d’une association.
28Les lacunes : les fonds d’associations sont rarement complets ; le Centre historique des Archives nationales compte un seul fonds, l’Association pour l’union monétaire de l’Europe (AUME), pour lequel le liquidateur a veillé à ce que la totalité des archives soient données, y compris les derniers dossiers liés à la liquidation. Cette heureuse situation a bénéficié de circonstances très favorables, et, avouons-le, exceptionnelles : l’association siégeait à Paris, elle avait prévu sa liquidation suffisamment à l’avance pour organiser le sort de ses archives, était donc dissoute au moment du don, son liquidateur se trouvait être à la fois le dernier président de l’association et le donateur aux Archives nationales. Le reste du temps, les fonds sont fragmentaires, et ce pour diverses raisons. Une première raison est que les archives ne sont pas celles de l’association proprement dite, mais celles d’un des membres de l’association (le président, le secrétaire, le trésorier, un militant) : le fonds d’archives se révèle être partiel. Une autre raison réside dans le tri préalable, responsable de destruction de documents jugés soit inintéressants, soit trop « sensibles » pour être communiqués (dossiers individuels, affaires juridiques, contentieux). Une troisième raison est que l’association déposante est toujours en activité et conserve ses archives courantes, c’est-à-dire les plus récentes : la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF) a ainsi choisi de déposer ses archives antérieures à un délai de dix ans. Une dernière raison tient aux circonstances de la récupération de certaines archives : les cas de « sauvetages » à la suite de l’abandon ou d’un danger de destruction des archives permettent rarement de rapporter des fonds complets ou en bon état.
29Les difficultés spécifiques aux archives d’associations : contrairement à d’autres archives, mieux connues ou plus « traditionnelles » (archives personnelles ou familiales, archives d’entreprise), les archives d’associations nécessitent des connaissances spécifiques et techniques préalables. Les deux principaux obstacles à l’exploitation et à la valorisation des archives d’association sont illustrés par les exemples de la comptabilité et des procès-verbaux de séances. La comptabilité exige de connaître la base de la technique et du vocabulaire : le « journal » de la comptabilité ne désigne évidemment pas un quotidien ! Les procès-verbaux et les comptes rendus de séances semblent a priori plus accessibles. Les écueils sont pourtant doubles : le premier est de restituer trop à la lettre les paroles échangées et, dans ce cas, d’escamoter la réalité des véritables enjeux. L’autre écueil est l’ellipse, réservant les sous-entendus aux seuls initiés ; ce style de rédaction impavide oblige à lire entre les lignes : on peut ainsi lire cette phrase anodine dans la séance du conseil administration de la Société des éditions Lutétia du 4 septembre 1944 : un administrateur-séquestre est demandé, « étant donné le départ de France de son directeur général pour une période indéterminée22 » : or, ce directeur général anonyme n’est autre que Jean Luchaire, collaborationniste notoire, en fuite depuis le 17 août 1944.
La valorisation spécifique auprès des associations
30La question posée en titre reflète la situation actuelle des associations en France. C’est le centenaire de la loi du 1er juillet 1901 qui a mis en lumière le nombre et l’importance des associations dans notre société, et a ainsi révélé le paradoxe des associations.
31Le conseil scientifique se développe parallèlement au désir grandissant de certaines associations de conserver leurs archives et gérer leur propre salle de lecture ; cependant, elles se heurtent à l’ignorance des règles archivistiques (conservation, classement et communication) ou bien à un manque d’effectifs. La plupart font alors appel à l’expertise d’un archiviste. Après avoir effectué l’examen des problèmes, celui-ci propose des solutions ou donne des conseils, très variables et toujours très concrets : expliquer la différence entre archives et documentation, créer un système de cotation (dissuader par exemple de prendre en compte la localisation dans la cotation), établir des tableaux de gestion, etc. Le conseil scientifique permet d’éviter des accidents archivistiques, comme détruire des documents historiques jugés trop vieux pour être utiles et conserver la documentation. Par ailleurs, le conseil repose sur des principes et des devoirs réciproques : il doit être ponctuel, il est sans engagement, l’organisme solliciteur doit privilégier l’embauche d’un archiviste attitré. En 2003, les organismes suivants ont fait appel au conseil scientifique du responsable des fonds d’associations au Centre historique des Archives nationales : ATD Quart-monde, association Les Comptoirs de l’Inde, association Rhin-et-Danube, Institut français d’histoire sociale (IFHS), ordre souverain de Malte, Fédération nationale des parcs naturels, Fondation de France.
32La complexité des archives privées a suscité une forte demande d’aide et de conseils, tant de la part des propriétaires que des archivistes chargés de classer les fonds : c’est pourquoi, depuis 2001, se multiplient les publications de guides pratiques : Les archives des associations. Approche descriptive et conseils pratiques (Direction des Archives de France) en 2001, Archives privées : un patrimoine méconnu (petit guide à l’usage des propriétaires) (Association des archivistes français) en 2005 et, en 2008, Les archives privées. Manuel privé et juridique23 (Direction des Archives de France).
33Le Centre historique des Archives nationales participe enfin à des entreprises de partenariat, œuvres de travail scientifique en commun avec des organismes qui ont pour vocation de centraliser et gérer des archives (ou les leurs). Les types de partenariat sont variés : guides des sources (CODHOS24), édition de la correspondance de Napoléon Ier (Fondation Napoléon). Les avantages sont nombreux : permettre à certains fonds, jusque-là méconnus, de connaître un regain d’intérêt ; pour un même sujet, connaître l’existence et la localisation de fonds dispersés ; enfin, mettre en place un réseau professionnel et amical très diversifié.
Archives d’associations et chercheurs
34Face au développement exponentiel de la recherche dans les fonds d’archives d’associations, il est nécessaire de fournir aux chercheurs des moyens d’accès aux fonds simples et rapides.
35Le premier moyen est l’état sommaire : il s’agit d’un instrument de recherche présentant chaque fonds sous forme d’une fiche synthétique, précise et en application de la norme de référence ISAD-G. Les fiches indiquent les éléments suivants : dates extrêmes du fonds, importance matérielle, modalités d’entrée, conditions d’accès, instruments de recherche, notices biographiques (pour les personnes) ou historiques (pour les organismes), présentation du contenu, sources complémentaires, bibliographie, nom du rédacteur et date de la rédaction. Les fiches d’état sommaire et les inventaires détaillés des fonds sont mis en ligne dès que possible : ils permettent un accès plus large et plus rapide aux informations et facilitent ainsi l’organisation de leur travail par les chercheurs, ceux-ci étant désormais en mesure de repérer les fonds pertinents avec précision, à distance et par avance. Les états sommaires sont également publiés : le Centre historique des Archives nationales a ainsi fait paraître l’État sommaire des fonds d’archives privées, séries AP et AB XIX en 2004 et il prévoit la publication du second volume consacré aux fonds d’entreprises, de presse et d’associations.
36Par ailleurs, les archives alimentent les divers guides des sources, qu’ils soient publiés, comme le Guide des sources des congrès du monde ouvrier, 1870- 1840 (Centre de documentation en histoire ouvrière et sociale) en 2001 et le Guide des sources des étrangers en France (Direction des Archives de France/ Archives nationales/association Génériques) en 2005, ou sous forme de base de données, comme l’État signalétique des militants politiques (Centre de documentation en histoire ouvrière et sociale) en 2005. D’autres guides des sources sont actuellement en cours d’élaboration : Histoire de la Commune (1870-1871), Féminisme, For privé.
Le grand public et les fonds associatifs
37Grâce à la polyvalence et à la diversité de leurs archives, les fonds d’associations sont sollicités pour fournir des documents à toutes les manifestations culturelles et historiques : expositions (« Artistes et écrivains dans les archives d’associations : témoignages et engagement », « Napoléon(s) : de la propagande à la légende »), colloques, journées d’études, etc. À l’occasion des Journées du patrimoine, qui voient la visite gratuite des centres d’archives, de nombreuses plaquettes de présentation des archives sont régulièrement mises à disposition du public, tant pour lui faire découvrir des informations inédites que pour répondre aux questions des donateurs ou déposants potentiels.
38En conclusion, le choix entre « se faire connaître » et « se protéger » repose sur trois intervenants : les associations, les archivistes et les chercheurs. Les associations gagneraient à prendre conscience de la richesse historique, sociologique et culturelle de leurs archives ; les archivistes doivent convaincre les associations que leur rôle d’archiviste consiste à respecter la volonté des associations, réticence ou désir de valorisation ; les chercheurs peuvent se tourner davantage vers ces fonds trop peu connus, sources d’études et gisements d’archives encore inédits.
Notes de bas de page
1 2 AS.
2 16 AS.
3 25 AS.
4 11 AS.
5 86 AS.
6 90 AS.
7 362 AP (Archives personnelles et familiales).
8 Perrine Canavaggio, Les archives historiques des partis politiques français, dans La Gazette des Archives, n° 176, 1997, p. 60.
9 En Allemagne, chaque parti possède sa fondation (Stiftung) : Friedrich Ebert Stiftung (sociaux-démocrates), Konrad Adenauer Stiftung (démocrates-chrétiens), Heinrich Boll Stiftung (les Verts), etc. En Suède, Fondation Jarl Hjalmarson (Parti suédois modéré), Centre international Olof Palme (Parti suédois social-démocrate).
10 350 AP.
11 412 AP.
12 581 AP.
13 3 AS.
14 96 AS.
15 103 AS.
16 111 AS.
17 35 AS.
18 107 AS.
19 26 AS.
20 109 AS.
21 106 AS.
22 Fonds des Nouveaux Temps, 2 AR (Archives de presse).
23 Les archives privées. Manuel pratique et juridique, Paris (Direction des Archives de France-La Documentation française), 2008.
24 Collectif des centres de documentation en histoire ouvrière et sociale (CODHOS) : il s’agit d’une association regroupant des syndicats, partis politiques, musées, bibliothèques, centres d’archives nationales (Centre historique des Archives nationales et CAMT), centres d’archives municipales et instituts de recherches.
Auteur
Conservateur au Centre historique des Archives nationales,
Section des archives privées
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