Introduction. Claustrum et carcer
Pour une histoire comparée des « enfermements »
p. 15-35
Texte intégral
« Cloître : terme d’architecture, du latin claustrum, et du français “clos” ; sous ce nom on comprend et les galeries ou portiques couverts dans un monastère où se promènent les religieux, et l’espace découvert, nommé préau, que ces portiques entourent ou environnent. On appelle aussi cet espace jardin, parce qu’il est ordinairement garni de verdure, de gazon, de plates-bandes de fleurs, etc., comme on le remarque dans toutes les communautés religieuses. [...] Dans un sens plus général, cloître signifie un monastère de personnes religieuses de l’un et l’autre sexe [...]. » Les cloîtres ont « été [...] décorés de plusieurs privilèges, et principalement du droit d’asile pour ceux qui craignaient la rigueur de la justice. Ils servaient aussi de prisons, et principalement aux princes, soit rebelles soit malheureux, exclus ou déposés du trône ».
« Prison : on appelle ainsi le lieu destiné à enfermer les coupables, ou prévenus de quelque crime. Ces lieux ont probablement toujours été en usage depuis l’origine des villes, pour maintenir le bon ordre, et renfermer ceux qui l’avaient troublé. [...] L’usage d’emprisonner les ecclésiastiques coupables est beaucoup plus récent [...] ; et quand on a commencé à exercer contre eux cette sévérité, ç’a moins été pour les punir que pour leur donner des moyens de faire pénitence. [...] Comme les évêques ont une juridiction contentieuse et une cour de justice qu’on nomme officialité, ils ont aussi des prisons de l’officialité pour renfermer les ecclésiastiques coupables, ou prévenus de crimes. Dans presque toutes les prisons, il y a une espèce de cour ou esplanade, qu’on nomme préau ou préhaut [sic], dans laquelle on laisse les prisonniers prendre l’air sous la conduite de leurs geôliers, guichetiers et autres gardes. »
1C’est en ces termes que les mots « cloître » et « prison » sont définis dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert1. À ces deux premières notices, on pourrait aussi ajouter :
« Clôture : terme d’architecture, mur de maçonnerie ou grille de fer qui enferme un espace tel que l’enceinte d’un monastère, l’étendue d’un parc, d’un jardin de propreté, fruitier, potager. »
2Et encore :
« Reclus : se dit des religieux ou autres personnes enfermées dans une clôture très étroite, dans une cellule, dans un ermitage, éloigné du commerce et même du voisinage du reste des hommes. Ce mot se dit principalement de ceux qui s’enferment ainsi par dévotion pour faire pénitence [...]. »
« Reclouer : rattacher avec des clous. Voyez “clouer”, “clou”, “reclus”. »
3En revanche, on chercherait en vain l’entrée « enfermement », terme sous lequel nous avons souhaité rassembler des formes multiples de contention des corps entre des murs. On postule ordinairement que ces formes sont très diverses dans les valeurs qu’elles recèlent, dans les conditions de vie qu’elles induisent, dans les objectifs et les usages qu’on leur assigne, particulièrement si l’on considère cette diversité sur le temps long. Une approche lexicale liminaire est donc nécessaire et quelques jalons sur cette voie peuvent être posés.
Carcer et claustrum
4Aux hautes époques, le carcer – la « prison »– a précédé le claustrum – le « cloître ». Si cette première évidence ne rend pas caduque l’idée d’inclure les pratiques d’enfermement de l’Antiquité dans une étude chronologiquement ample2, il n’en demeure pas moins que les évolutions du christianisme en Occident à partir du haut Moyen Âge ont conduit à assigner progressivement à la prison comme au cloître une valeur censée être propre. Pour cette raison, le colloque dont ce volume est le fruit s’est concentré sur un millénaire généreux – treize siècles –, durant lequel cloître et prison ont cohabité, souvent en se mêlant, au point qu’il a pu sembler « naturel », du moins en France, de transformer des abbayes en lieu de détention à la fin du xviiie siècle3. Le choix d’ouvrir cette introduction avec les définitions données par les encyclopédistes des années 1750-1770 vise à souligner l’importance qu’il convient d’accorder aux mots et, plus largement, aux expressions permettant de qualifier des situations d’enfermement a priori très différentes. À l’autre extrémité de notre chronologie, les Étymologies d’Isidore de Séville (✝ 636) offrent une bonne porte d’entrée dans la lexicographie médiévale.
5Carcer apparaît dans le livre V, qui examine les peines selon les lois : pour Isidore, le mot « peine » n’acquiert un sens plein que s’il est déterminé par un autre, qui le complète (peine de prison, peine d’exil, peine de mort...)4. Le carter est le lieu où sont les nuisibles, les coupables, les criminels (in quo custodiuntur noxii), selon la traduction que l’on souhaite donner au mot noxii5. Le mot carter, qui vient du verbe arcere (arx et co-ercere) et qui signifie « contenir, enfermer, retenir, tenir éloigné », réapparaît dans le chapitre 2 du livre XV, consacré aux édifices publics : carter est un lieu « dont il est interdit de sortir » (carcer est a quo prohibemur exire)6. C’est finalement au livre XVIII, consacré à la guerre et aux jeux, que l’on trouve un très bref chapitre intitulé De carceribus. Isidore évoque les jeux et les divertissements, le carter étant le lieu où l’on enferme les chevaux avant les courses ; par analogie, c’est un lieu où l’on enferme les hommes condamnés7.
6Quant à claustrum, employé au pluriel – claustra –, il désigne au départ l’instrument qui sert à fermer, c’est-à-dire la serrure ou les verrous. Dans les Étymologies, où le terme est rare, claustra se trouve par exemple dans le chapitre 7 du livre XV, consacré aux entrées (De aditibus) : claustra est utilisé pour désigner ce qui clôt (claustra ab eo quod claudantur dicta)8. Durant le haut Moyen Âge, le terme claustra permet aussi de distinguer l’espace propre aux moines de l’espace extérieur. La Règle de saint Benoît emploie ainsi le terme, toujours au pluriel, pour désigner ce qui ferme le monastère et délimite le périmètre dont on ne peut sortir. Le quatrième chapitre de la Règle, consacré aux bonnes œuvres des moines, précise que celles-ci se déploient dans les claustra monasterii et dans la stabilité de la communauté9. Le chapitre 66, qui évoque les fonctions du portier, indique que le monastère, autant que faire se peut, doit être pourvu de tout ce qui est utile afin qu’il ne soit pas nécessaire aux moines de se répandre à l’extérieur, ce qui ne convient nullement à leur âme10. Le monastère est donc une retraite visant à protéger le moine d’un monde conçu comme périlleux pour son état. La perfection à laquelle les moines aspirent ne devient possible que dans la stabilité, à l’intérieur des claustra qui, au nom du vœu d’obéissance, ne peuvent être franchis que sur ordre de l’abbé, ce que précise le chapitre 6711. En définitive, les claustra et le claustrum peuvent se définir comme une « barrière, réelle ou fictive, séparant les religieux du monde profane auquel ils ne peuvent accéder sans l’autorisation de leur supérieur12 », un mode de vie et un espace fermé en somme.
7L’usage du mot claustrum pour désigner une forme architecturale semble relativement tardif et sa genèse complexe. Le témoignage le plus ancien demeure le plan du monastère idéal de Saint-Gall, établi après le concile d’Aix (817)13. Il semble acquis, en revanche, que le schéma alors défini se généralisa ensuite pleinement dans le monde bénédictin et influença aussi les cloîtres canoniaux. Du point de vue des traces matérielles, les sources évoquant une « forme du cloître » demeurent incertaines, selon Gabrielle Démians d’Archambaud14. Le cloître est peut-être l’« héritier indirect » de l’atrium ou du péristyle antiques, dont les traditions architecturales auraient pu survivre en ces lieux. Mais les témoignages matériels sont quasi inexistants avant le milieu du viiie siècle et ils ne permettent guère de postuler l’existence d’une véritable organisation claustrale. L’absence de témoignages est peut-être due au fait que ces réalisations anciennes furent construites en bois ou en des matériaux relativement légers qui n’ont laissé aucune trace. Quoi qu’il en soit, la « normalisation des lieux réguliers » advint véritablement à la fin du premier millénaire15. Aux xie-xiie siècles, les reconstructions opérées dans les grands monastères (Cluny, Moissac, Silos, etc.) révèlent un effort architectural et décoratif dans l’aménagement des cloîtres qui dit assez leur importance aux yeux des moines et qui provoqua en retour la réaction cistercienne contre les excès de l’ornementation claustrale.
Les monastères transformés en prison : le moment postrévolutionnaire
8Ces quelques jalons étant posés, quels rapports existe-t-il entre claustrum/ claustra et carcer ? Le terme claustrum, au singulier, est fréquemment associé à custodia : le claustrum est un endroit « gardé », tout comme le carcer. Cette caractéristique commune avait déjà été notée par Jean Leclercq dans un article publié en 197116. Carter est en outre fréquemment employé de manière métaphorique, son image permettant une série de comparaison chez les chrétiens : le sépulcre est une prison pour les morts, le cœur pour les sentiments, le corps pour l’âme17, l’enfer pour les damnés. Le siècle est ainsi une prison pour le chrétien qui ne peut en sortir que par la mort ou par le cloître18. L’association problématique cloître-prison est donc très ancienne. Elle ne date assurément pas du xixe siècle et de la transformation de plusieurs abbayes en prisons.
9Cette transformation, récente au regard de l’arc chronologique étudié dans ces pages, mérite que l’on s’y arrête : l’actuel site de Clairvaux, ancienne abbaye cistercienne et aujourd’hui centre pénitentiaire, en est encore un vivant témoignage, assez unique en Europe19. En effet, avec le code pénal de 1791, le législateur fit de l’enfermement la principale manière de punir les délinquants. C’est dans le patrimoine monastique, sur lequel l’État avait mis la main en 1790, que cette nouvelle idéologie pénale trouva l’une de ses traductions architecturales les plus immédiates et constantes. Nombre de couvents, abbayes et séminaires, devenus biens nationaux, furent immédiatement transformés en prisons ou en maisons de détention, tels l’Abbaye-aux-Dames en Saintonge, le Mont-Saint-Michel en Normandie ou encore l’abbaye de La Sauve-Majeure en Gironde. D’autres suivirent au cours du xixe siècle, comme l’abbaye d’Aniane en Languedoc et l’abbaye d’Auberive en Champagne. En 1862, douze des vingt-cinq grandes maisons centrales que comptait le territoire national étaient installées dans des établissements religieux de l’Ancien Régime. Tel fut le cas à Embrun (1803), Eysses (1803), Fontevraud (1804) et Montpellier (1805), à Clairvaux (1808), Melun (1808) et Limoges (1810), au Mont-Saint-Michel (1811), à Riom (1813) et à Loos (1817), ou encore à Aniane (1844) et Auberive (1856)20. En principe, ces maisons étaient destinées à détenir les personnes condamnées pour crimes par les cours d’assises ou celles que les tribunaux correctionnels avaient sanctionnées par des peines de détention de plus d’un an. Si les derniers détenus quittèrent Fontevraud en 1963, Clairvaux symbolise encore ce choix punitif effectué il y a deux siècles21.
10La dévolution de bâtiments religieux à l’administration pénitentiaire ne fut pas une simple rencontre liée au hasard. Certes l’opportunité des prises révolutionnaires et la relative disponibilité des anciens biens nationaux rendirent possible cet usage. Mais d’autres raisons existèrent. Comme le montre bien l’exemple de Fontevraud, les populations locales eurent souvent la volonté de trouver un substitut à la communauté religieuse qui leur avait procuré une certaine aisance économique22. Quant à l’État, il dut aussi entasser à moindre coût, dans des locaux vacants, des prisonniers en nombre croissant23.
11Dans la première moitié du xixe siècle, l’adéquation entre les monastères et leur nouvelle finalité sembla ainsi relever de l’évidence. Certains religieux eux-mêmes proposèrent de prendre en charge de jeunes délinquants dans leurs abbayes, tels les trappistes de Soligny, dans l’Orne (1854). Le contexte spécifique du cloître médiéval et moderne devint, de fait, le lieu d’épanouissement de la nouvelle problématique pénale, consistant à imposer l’enfermement comme peine cardinale. La construction de cette évidence n’a jamais été véritablement examinée. Cet ouvrage se propose donc d’explorer l’histoire commune des deux enfermements, claustral et répressif, afin d’en percevoir les significations.
Une histoire croisée des enfermements est-elle possible ?
12L’historiographie de l’association cloître/prison remonte aux années 1960 et 1970. Ainsi, parmi les types d’« institutions totales » définies par Erving Goffman dans Asiles, on trouve les prisons et établissements pénitentiaires, mais aussi les « abbayes, monastères, couvents et autres communautés religieuses24 ». Michel Foucault, en explorant l’archéologie intellectuelle des prisons contemporaines, rencontre notamment le cloître. Il identifie, dans Surveiller et punir, des « institutions de discipline », voyant par exemple dans l’atelier des femmes de la prison de Clairvaux, au xixe siècle, la « rigueur réglementaire du couvent ». Il considère que l’emploi du temps du prisonnier est un héritage des communautés monastiques. Il pense enfin que l’architecture carcérale reprend un vieux procédé, la cellule des couvents25. Règles de travail, emploi du temps, répartition spatiale des corps faisaient ainsi de la prison un avatar du couvent.
13Souligner ainsi une possible analogie entre enfermement répressif et enfermement volontaire, comme l’ont fait Erving Goffman ou encore Michel Foucault, heurta les contemporains. La « tactique comparative » de Goffman, en rapprochant des objets « totalement disparates moralement », comme l’a écrit Howard S. Becker, a profondément troublé26. Certes, Jean Leclercq, dans son article en forme de réponse, intitulé « Le cloître est-il une prison ? », admet la pertinence de cette analogie et il en rappelle même, après Gregorio Penco, l’ancienneté dans la tradition chrétienne27. Cependant, en tant que religieux, il affirme une différence essentielle : dans la prison librement choisie qu’est le monastère, l’obéissance permet au moine de « garder et faire grandir sa liberté ». Le cloître « libère » et confère une liberté intérieure totale dès lors que les contraintes du monde extérieur ne pèsent pas sur ceux qui en ont fait le choix.
14Le dialogue a donc rapidement tourné court entre historiens du cloître et historiens des prisons, probablement en raison de la prégnance d’une double posture : celle des religieux, qui valorise l’enfermement et en fait un choix personnel où se mêlent liberté et vocation ; et celle des historiens, qui font le récit du lent et inexorable avènement de la peine de prison, considérant l’enfermement comme un moindre mal, comme un progrès univoque de la justice et du droit entre l’an mil et la fin du xviiie siècle28. Cette double posture explique vraisemblablement que l’histoire de la prison monastique ait été très peu étudiée depuis les travaux de Mabillon.
15Pour tenter de dépasser cette aporie et renouer le fil d’un dialogue, il faut revenir en effet à Mabillon et retrouver des accents quelque peu oubliés. Dans ses Réflexions sur les prisons des ordres religieux, il pointe l’« excès de la tristesse » des moines punis par un emprisonnement et leur accablement provoqué par la « confusion » et le « chagrin » :
« Et qu’on ne me dise pas qu’il est bon de les laisser seuls pour leur donner le temps de penser à leur conscience et de faire une sérieuse réflexion sur l’état funeste où ils se sont précipités. Car bien loin qu’une retraite si longue, si violente et si forcée puisse contribuer à les faire rentrer en eux-mêmes, ils sont incapables la plupart de sentir les attraits de la grâce en cet état, rien n’y étant plus opposé que l’excès de la tristesse qui les accable et qui les fait gémir sous le faix de leurs dérèglements passés, et encore plus dans la juste appréhension des suites qu’ils prévoient leur devoir arriver, d’être perdus à jamais sans ressource de réputation dans un corps où ils se trouvent engagés [...]. Et on s’imaginera que de pauvres misérables, accablés de confusion et de chagrin, pourront passer plusieurs années entières dans une prison étroite sans entretien et sans aucune consolation humaine ? Et on verra cependant des juges, c’est-à-dire leurs frères, qui ne peuvent bien souvent garder leur chambre pendant quelques jours, prononcer contre eux une pénitence de plusieurs années [...] ? De là vient aussi qu’on voit si peu de fruit des prisons et des pénitences que les supérieurs imposent à ceux qui tombent et que ces pauvres infortunés perdent bien souvent la tête ou toute sensibilité, en un mot qu’ils deviennent ou fous, ou endurcis, ou désespérés29. [...] »
16Dans ce texte aussi connu qu’extraordinaire, Mabillon souligne ainsi le désespoir engendré par l’enfermement chez le moine convaincu de quelque crime et pourtant habitué à la vie claustrale. Nulle trace ici de la grâce ou de la liberté intérieure. Or le désespoir de celui qui est enfermé et les mots qui l’expriment sont en réalité familiers à l’historien des monastères comme à l’historien des prisons, particulièrement à partir du xiiie siècle. Ainsi, par exemple, Johannes Fredeman, moine cistercien d’Heilsbronn, au diocèse d’Eichstätt, condamné à la prison à perpétuité pour plusieurs crimes, rédige une supplique à la pénitencerie apostolique, le 15 octobre 1459, dans laquelle il explique que, désespéré à l’idée de ne jamais pouvoir être libéré de prison, il a demandé à un convers et au gardien de la prison de lui arracher les yeux30. Les textes rédigés par des prisonniers se multiplient à partir de la fin du xiiie siècle. Ils évoquent tous la tristesse, la « mélancolie » et le « desconfort » qui atteignent l’énergie vitale du reclus. « Ma vie se sent entamée », écrit le prisonnier « desconforté » du château de Loches, en 148831. « À coup me vaudrait mieux mourir / que languir ainsi longuement », affirmait avant lui Jean Régnier, vers 143232. Retrouver l’origine des accents de Mabillon implique donc de s’intéresser avec précision à la manière dont l’enfermement a été conçu, vécu, perçu par ces deux enfants de Saturne qu’étaient le moine et le prisonnier.
Le xiiie siècle comme seuil : une hypothèse de travail
17Cette histoire n’a sans doute rien de linéaire : il n’y a pas plus de progrès continu que de déclin continu dans l’histoire des enfermements. On peut cependant tenter de discerner les évolutions discrètes de la conception de la clôture et de sa valeur chez les religieux réguliers, ou encore celles du rapport entre perception du monde et perfection religieuse. On doit certes souligner qu’en Occident la clôture des moines et leur isolement vis-à-vis du monde ne signifient nullement absence de relations avec l’extérieur ; en effet, celles-ci sont nombreuses et se manifestent tant dans l’oraison (les prières pour les vivants et les morts, par exemple) que dans les relations économiques et l’investissement de certains moines et abbés dans les affaires du siècle, comprises comme celles de l’Église et de la chrétienté. Quelques grandes figures d’abbés nous le rappellent, notamment au xiie siècle : Pierre le Vénérable (✝ 1122) et Bernard de Clairvaux (✝ 1153) passèrent sans doute autant de temps, sinon plus, à sillonner les routes d’Occident qu’à prier et méditer à l’ombre de leurs monastères respectifs. La clôture préserve des maux du siècle, mais elle est aussi une rude ascèse, pénible aux meilleurs – ou à ceux qui prétendent l’être. Dans une lettre adressée à l’évêque de Soissons datée de 1143, Bernard de Clairvaux affirme ainsi s’être condamné lui-même à la prison la plus rigoureuse. Dans une autre, à Pierre le Vénérable, il affirme encore s’être résolu à ne plus sortir désormais de son monastère, sinon une fois par an pour se rendre au chapitre général des abbés de Cîteaux, preuve sans doute qu’il consentait ainsi un effort d’importance33. Enfin, dans le premier sermon pour le jour de la Dédicace de l’Église, l’abbé cistercien loue le choix des moines qu’il voit demeurer captifs, mais sans liens, dans une prison ouverte, où seule la crainte de Dieu les retient34.
18Nécessité de la clôture mais perméabilité du monastère, rigueur de la claustration mais sanctification gagnée par la fuite du monde semblent ainsi immuables. Pourtant, dans la longue histoire des enfermements, il existe sans doute des seuils : l’hypothèse peut être posée que le xiiie siècle en fut un, révélant un changement par rapport à l’héritage paulinien et patristique de la prison pénitentielle, de la claustration sanctificatrice et du martyre d’ascèse monastique. Ce changement global pourrait témoigner d’une évolution dans la perception du monde, comme d’une certaine forme d’inquiétude quant à la valeur définitive ou positive de l’enfermement. Au xiiie siècle, en effet, les ordres religieux militaires, fondés au siècle précédent et peuplés de moines-soldats, se développèrent au moment où apparurent des religieux d’un genre nouveau, les frères mendiants. Deux exemples permettent de percevoir la nouveauté dont ils furent porteurs aux yeux de leurs contemporains comme du point de vue qui est le nôtre. Dans la collection de sermons ad status rédigés par Jacques de Vitry après son retour de Terre sainte, où il avait été évêque d’Acre, il en est un destiné « aux frères des ordres militaires35 ». Ce sermon, écrit par un séculier, fournit des indications assez précises sur les missions et le mode de vie de ces religieux particuliers :
« De tous ceux-ci, le Seigneur dit : “J’entourerai ma demeure de ceux qui combattent pour moi, en allant et en revenant [Zach. 9, 8].” En allant en temps de guerre et en revenant en temps de paix ; en allant par l’action et en revenant par la contemplation ; en allant en guerre pour combattre, en revenant en paix pour vivre dans la quiétude et se consacrer à la prière, tels des guerriers au combat et semblables aux moines en leur demeure. En effet, cet ordre saint et vénérable est biparti, ordre des martyrs et ordre des moines ou cloîtrés36. »
19Selon Jacques de Vitry donc, les ordres militaires concourent, par essence, à la défense de l’Église contre ses ennemis extérieurs. Mais ils permettent surtout à leurs membres de vivre successivement des états ou des situations a priori contradictoires ou incompatibles : la guerre et la paix, la vie active et la vie contemplative, le combat dans le tumulte du siècle et la prière dans le silence du cloître. La fuite du monde n’était donc plus l’alpha et l’oméga de la vie monastique, et la sainteté la plus haute (la sainteté martyre) devenait accessible à ces moines particuliers, en dehors de la clôture. Quelques années auparavant, en 1223-1224, le même auteur évoque, dans son Historia occidentalis, l’« Ordre de perfection » que constitue à ses yeux la religio des frères mineurs, dont la règle vient d’être approuvée par le pape Honorius III, en 1223. Ils n’ont « ni monastère ou église, [...] ni maisons ou autres possessions », écrit-il, leur forma vitae, nouvelle, s’ajoutant aux trois autres formes de vie religieuse que Jacques de Vitry a identifiées auparavant : les ermites, les moines et les chanoines, avec lesquels il ne les confond pas. Il souligne enfin, fait nouveau et tout à fait remarquable à ses yeux, l’« ampleur de ce cloître spacieux » qui est le leur, dont la description qu’il vient de donner indique qu’il se confond avec le monde entier, terrain de leur apostolat37.
20Ce constat renvoie au choix de François d’Assise, fondateur des frères mineurs, qui fit de l’errance et de la précarité le mode de vie franciscain par excellence. Le succès de la fraternité initiale conduisit assez rapidement à une stabilisation institutionnelle et spatiale, les frères admettant dès les années 1220, avec réticence parfois, des maisons, des églises et enfin des couvents, ceints de murs et pourvus de cloîtres38. La « monacalisation » du mode de vie franciscain, manifestée notamment par un encadrement plus strict des sorties des frères et leur réclusion dans des couvents, certes très partielle – la quête, la prédication, les changements de couvent, les missions auprès des grands laïcs ou des institutions urbaines étaient de fréquentes occasions de sortie –, n’empêcha pas certains d’entre eux de continuer à penser que le cloître franciscain s’identifiait au monde. Dans le Commerce sacré du bienheureux François avec Dame Pauvreté, texte allégorique et très atypique dans la littérature franciscaine, rédigé sans doute dans les années 1235-1239, Dame Pauvreté demande aux frères de lui montrer leur cloître. Ils la conduisent alors au sommet d’une colline et, jetant un regard circulaire sur la plaine et sur la « totalité du monde » (totum orbem), ils lui disent : « Voici notre cloître, ô Dame39. » Cet épisode suggère la différence entre les membres des ordres monastiques, qui font vœu de stabilité dans une abbaye et vivent cloîtrés, et les frères mineurs, itinérants, ayant le monde entier pour lieu de vie et d’apostolat. Il révèle aussi la diversification des conceptions du monde terrestre : théâtre du péché, il pouvait devenir celui du rachat pour les chrétiens, réguliers inclus.
21Aux yeux de la hiérarchie ecclésiastique, sous certaines conditions, le choix d’une vie religieuse, rompant avec l’univers claustral et promouvant des formes d’action quotidienne dans le monde, pouvait donc être celui des hommes, pour lesquels le couvent était plus un point d’attache que le lieu exclusif de la perfection spirituelle. En revanche, la faiblesse naturelle des femmes, filles d’Ève, justifiée par la supériorité masculine dès l’Antiquité, imposait que ces dernières fussent enfermées dès lors qu’elles entraient en religion40. Cette tendance se perpétua, en se durcissant, à l’époque moderne, même si des compromis furent parfois trouvés, qui permirent à des nonnes d’accomplir certaines missions en dehors de leurs institutions41. Pourtant, à partir du début du xiiie siècle, des femmes, soutenues localement par quelques clercs, choisirent des formes de réclusion volontaire non claustrale, dans leurs intérieurs domestiques, telle la célèbre béguine Marie d’Oignies (✝ 1213), ou dans de petites cellules construites en des lieux stratégiques des cités italiennes, telles les recluses de Toscane, par exemple42. Ces enfermements singuliers s’accompagnaient généralement de pratiques ascétiques fort sévères – jeûnes récurrents et prolongés43, doublés de veilles excessives –, qui étaient une forme de dépouillement de soi et un moyen privilégié de la rencontre avec le Christ. Ils permettaient en outre à certaines d’échapper aux obligations du mariage et du remariage, ou encore de la maternité.
22Au cours du xiiie siècle, les femmes multiplièrent donc les expériences religieuses originales en dehors du cadre claustral, exprimant sans doute ainsi une contestation sourde de leur état de subordination dans l’Église. Les mulieres religiosae se livraient à des activités caritatives – quelques-unes pouvant aller jusqu’à prêcher –, parfois protégées localement par des frères mendiants. Elles n’aspiraient ni à la clôture, ni à une vie entièrement tournée vers la contemplation. Certaines furent cependant sommées par leur évêque d’adopter une règle, pendant que d’autres furent sanctionnées par le pape au début des années 1240 dès lors qu’elles refusaient leur intégration dans des communautés dûment contrôlées et fermées. On peut se souvenir enfin des démêlés de Claire d’Assise avec la papauté entre 1227 et 1253, date de sa mort : elle tenta d’affirmer l’identité pauvre et évangélique de sa communauté, et d’en maintenir les spécificités, alors que les pontifes, de Grégoire IX à Innocent IV, n’eurent de cesse de lui imposer la pauvreté religieuse du monachisme bénédictin, le renoncement à toute forme d’itinérance et de vie active, l’adoption de la vie contemplative et enfin une clôture bien plus stricte que ce que commandaient les pratiques monastiques traditionnelles44. Cette claustration rigoureuse, à l’opposé de ce qu’était le couvent pour les frères mendiants, ou encore les réticences à l’endroit des pratiques des béguines, formulées clairement par le concile de Vienne en 1311-131245, sont deux indices démontrant que l’enfermement devint un puissant instrument du contrôle masculin au cours du xiiie siècle. La décrétale Pericoloso le formalisa en 1298, en prescrivant la « clôture de façon formelle et absolue » pour les femmes46.
23Le genre de vie des Mendiants ou certaines pratiques féminines furent donc symptomatiques d’un rejet suscité par les formes d’enfermement religieux les plus traditionnelles. La prison éveilla également des réticences. En effet, le dégoût inspiré aux premiers franciscains de Cambridge par leur promiscuité avec les geôliers de la ville, rapporté par la plus ancienne chronique franciscaine provinciale conservée – celle de Thomas d’Eccleston, rédigée à la fin des années 1250, mais qui évoque une situation de la fin des années 1220 –, n’est-il pas également révélateur d’une appréciation négative de l’enfermement contraint ou, à tout le moins, de ceux qui faisaient métier de le faire appliquer47 ? Ce changement de regard fut contemporain de la généralisation des injonctions à construire des prisons dans les monastères au cours du xiiie siècle. Au moment où la correction des religieux délinquants n’était plus le fait du supérieur à l’intérieur de son monastère, mais où elle était prise en charge par les instances centrales des ordres religieux (le chapitre général, essentiellement), l’enfermement apparut comme une voie alternative à l’expulsion et/ou à la remise au bras séculier. Il permettait de contraindre le religieux criminel à la pénitence, tout en préservant la communauté de la contagion, et l’ordre du scandale engendré par une expulsion48.
24Ces glissements perceptibles au sein de l’univers des religieux se produisent au moment où l’usage pénal de la prison apparaît avec une plus grande netteté. Les cas effectifs d’emprisonnement pénal sont en effet de plus en plus nombreux à partir du xiiie siècle. Il pourrait s’agir d’un simple « effet de source ». Si tel était le cas, l’effet mécanique de l’accroissement des documents judiciaires conservés ne permettrait pas de postuler la nouveauté de la peine de prison puisque, auparavant, elle pourrait avoir été simplement cachée au regard de l’historien. Mais ce qui est assurément nouveau au xiiie siècle, c’est la multiplication des cas pour lesquels une peine de prison est prescrite par les lois séculières (roi, villes), comme par les lois ecclésiastiques contre les hérétiques (on songe ici aux prescriptions du concile de Toulouse, en 1229)49 et contre les clercs (la décrétale de Boniface VIII, 1298)50. Mieux encore, au cours du xiiie siècle, cette pratique s’est accompagnée d’un début de conceptualisation de la peine de prison, n’empruntant pas nécessairement à la vision pénitentielle ancienne qui remontait à saint Paul. Pour s’en tenir au domaine français, lorsque le jurisconsulte Philippe de Beaumanoir évoque la peine de prison, vers 1280, il la recommande dans sept cas et livre un exposé, d’apparence décousue mais en réalité fortement cohérent, de la spécificité de l’enfermement des corps par rapport aux autres peines51. On peut y voir une ébauche de théorie de la peine de prison : elle apparaît comme une peine physique, ayant comme point d’application le corps, qui sert de rétribution correcte aux atteintes physiques non mortelles. Cette peine a aussi à ses yeux un caractère de marqueur social : elle est adaptée aux hommes de condition vile qui ont tendance à l’oublier, et elle convient particulièrement bien à la répression des atteintes portées contre l’autorité seigneuriale.
25Autrement dit, l’idée, couramment admise52, que la peine de prison a, au Moyen Âge, un caractère essentiellement accessoire doit être nuancée. La réflexion de Beaumanoir incite au contraire à considérer que, loin d’être fondamentalement inadaptée au monde féodal, elle peut y trouver de solides justifications comme marqueur monumental de la domination sur les hommes53. De surcroît, durant les trois derniers siècles du Moyen Âge, les prisons voient leurs usages coercitifs se développer, qu’il s’agisse d’obtenir l’aveu des prévenus ou la coopération des sujets, de contraindre les endettés à satisfaire leurs créanciers ou encore d’inciter les combattants à payer des rançons. La prison devient un des lieux matérialisant les pouvoirs qui revendiquent une souveraineté sur les corps54, un des lieux polarisant l’espace, au même titre que les châteaux55. Elles ont d’ailleurs trouvé à l’intérieur de ces derniers l’une de leurs premières places, avant que, par un retournement métonymique, certaines de ces forteresses ne s’identifient à leurs geôles – songeons à la Bastille. Si la prison devient ainsi un des lieux polarisant l’espace médiéval puis moderne, n’est-ce pas du fait de la transformation que doivent y subir, comme dans les cloîtres, les corps enfermés56 ?
26Les travaux sur la spatialisation du sacré se sont multipliés au cours de la dernière décennie et ils ont beaucoup contribué au renouvellement de l’histoire religieuse du Moyen Âge central. La paroisse, le cimetière, l’espace clunisien ont en particulier été l’objet d’études novatrices qui ont montré, notamment, l’historicité de ces territoires et de ces espaces, leur rapport aux idéaux de réforme ecclésiastique, leur contribution à la structuration de la société féodale57. Ils n’ont toutefois pas considéré pour elle-même l’articulation entre claustration et sanctification, peut-être parce que les ordres créés à partir de la fin du xie siècle – Cisterciens et Chartreux par exemple –, dont la spiritualité met l’accent sur la solitude et l’isolement, ne constituent pas leur objet58. Prison et cloître ne doivent-ils donc pas aussi être comptés au nombre de ces « lieux » caractéristiques de l’espace européen à partir du xiiie siècle ?
27Ce sont ces lieux de claustration, leurs significations et leurs usages durant les siècles médiévaux et modernes que les actes de ce colloque tentent de reconsidérer à travers une histoire des enfermements, avec l’espoir de renouer les fils d’un dialogue qui a tourné court il y a une trentaine d’années. Depuis, des études ont nourri la recherche historique autour de cette thématique et quelques hypothèses nouvelles ont été formulées, dont celle de l’existence d’un seuil au xiiie siècle, de sorte que les conditions semblent réunies pour dresser un bilan et tenter de porter plus avant les analyses. À cet effet, trois volets thématiques ont été retenus.
28L’examen des conceptions et des valeurs de l’enfermement semble un préalable nécessaire : il est donc le premier d’entre eux. Le traitement réservé au confinement dans la théologie, dans les droits romain et canon, ou encore dans la pensée juridique permet de poser des bases théoriques. La comparaison entre les règles monastiques du haut Moyen Âge et la législation franque et justinienne, l’étude des décrétales, notamment la décrétale Periculoso de Boniface VIII (1298), l’analyse des textes quodlibétiques ou encore l’examen de la législation monastique à propos des fautes graves des religieux à l’époque moderne peuvent permettre de mieux comprendre les élaborations intellectuelles suscitées par la thématique de l’enfermement, et la manière dont juristes et théologiens s’en sont saisis. La perception de l’enfermement et de ses effets à travers des textes littéraires permet de compléter ces approches, comme le montrent l’utilisation du thème de la clôture dans les textes hagiographiques et les exempla du xiiie siècle, de même que la littérature des xive et xve siècles, où le motif de la prison se développe en prenant des accents éloquents.
29La vie en milieu clos est le deuxième thème abordé. Instrument de séparation et de soustraction au monde, la clôture revêt en effet des modalités très variées, que l’on étudie les différentes formes d’enfermement dans les prisons laïques à la fin du Moyen Âge (de la geôle à la fosse), ou que l’on envisage les conditions d’enfermement des religieux criminels au sein des monastères dans une chambre isolée ou un carcer. Prison, monastère, couvent, « enfermerie », léproserie, hôpital, refuge, maison de force ou de correction, asile... sont autant de lieux que les études historiques ont longtemps dissociés – une attitude que la très grande diversité du lexique de l’enfermement (clausura, domus disciplinae, carcer, locus separatus...) n’a pu que conforter. S’il ne fait pas de doute qu’il existe des différences entre ces différents lieux d’enfermement, il n’est pas impossible de déceler, au-delà des mots eux-mêmes, des liens, des continuités ou des filiations. Les notions de prison « ouverte » et « fermée », ou encore celles de clôture « active » et « passive » montrent que la perméabilité, la porosité, voire l’ouverture des milieux dits « fermés » sont un élément important pour leur compréhension. En outre, la diversité des clôtures et des fermetures est en partie liée au genre et au statut des personnes qui s’y trouvent. Il en résulte une relative hétérogénéité des conditions d’existence, des rythmes de vie, des rituels et des événements qui viennent en rompre l’harmonie, la monotonie ou la dureté. Enfin, les durées d’enfermement, qu’il s’agisse du « temps d’emprisonnement » ou de celui de la clôture, sont très variables et sont révélatrices aussi des conceptions des milieux clos ou des vertus qu’on leur prête.
30Ces conceptions conduisent à l’étude des objectifs et des usages sociaux de l’enfermement, troisième et dernier thème abordé. Pendant une très longue période, qui transcende les découpages académiques entre Antiquité, Moyen Âge et époque moderne, l’emprisonnement n’a pas été la clef de voûte du système pénal, ni la principale manière de châtier. Cependant, la peine d’enfermement, on l’a dit, ne saurait être considérée comme une invention de la modernité : bien avant la fin du xviiie siècle, elle fut un élément de l’arsenal des peines dans les justices urbaines et royales comme dans celles de l’Église (officialité, tribunaux d’inquisition). L’analyse historique est donc appelée à préciser non pas tant la diffusion de la peine d’enfermement, réelle même si elle est parfois difficile à saisir, que son contenu notionnel. Qu’attend-on de la peine d’enfermement dans les sociétés précontemporaines ? La notion de « perfection personnelle » et celle d’« expiation » ont vraisemblablement promu l’enfermement pénitentiel ; celle de « coercition » semble adéquate pour rendre compte de larges pans de l’enfermement antique et médiéval. Pour autant, ces deux dimensions – enfermement pénitentiel et enfermement à valeur coercitive – ne s’excluent pas mutuellement : les discours des religieux ont eu une grande influence sur l’imaginaire de la prison urbaine et laïque au Moyen Âge, et inversement, les inquisiteurs utilisèrent la peur de la prison pénale pour susciter la confession des hérétiques. Pour autant, des notions plus contemporaines sont-elles à écarter de l’analyse ? L’idée de « discipline » a guidé une grande partie des études classiques des années 1960-1970. La notion d’« incapacitation », empruntée à la pénologie nord-américaine, qui gagne la pénologie européenne, est-elle susceptible de trouver une profondeur historique et d’éclairer, en retour, tout ou partie des réalités carcérales anciennes ?
31Enfin, dans une perspective de sociologie historique, on peut chercher à définir quelles populations furent particulièrement soumises aux diverses formes d’enfermement. Certains statuts socio-économiques semblent avoir été spécifiquement exposés, par exemple quand s’est développé l’enfermement pour dette59. La question du statut des personnes revêt d’ailleurs un intérêt particulier si on la traite conjointement avec celle du genre. Les femmes, par exemple, parmi lesquelles de telles pratiques, subies ou choisies, furent fréquentes, ont suscité un très grand nombre d’études. Reines et princesses écartées du pouvoir, veuves souhaitant échapper au remariage, recluses des cités italiennes ou béguines en quête de perfection, les exemples médiévaux ne manquent pas et illustrent la diversité des formes de la réclusion. La chronologie n’est pas moins essentielle ici. On a pu souligner, par exemple, qu’à partir des xie-xiie siècles les pratiques de réclusion se sont progressivement féminisées, urbanisées et « laïcisées ». Ou encore noter combien, au xviiie siècle, les éducations féminines dispensées à l’ombre des cloîtres ont suscité la critique60. Les motivations spirituelles et les convictions des individus éclairent assurément une partie du succès des formes de vie enfermées ; mais il convient d’y ajouter d’autres registres d’explications, économiques et sociales, les unes et les autres pouvant concourir à une histoire commune des enfermements : la perspective du temps long, plus que le postulat d’une opposition ontologique entre le cloître et la prison, permet peut-être de l’écrire.
Notes de bas de page
1 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers par une société de gens de Lettres, mis en ordre et publié par M. Diderot [...] et M. D’Alembert [...], Paris, 11 vol., 1751-1772 ; voir Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, éd. D. Diderot et J. Le Rond d’Alembert, University of Chicago, ARTFL Encyclopédie Projet (printemps 2010), éd. Robert Morrissey, http://0-encyclopedie-uchicago-edu.catalogue.libraries.london.ac.uk/ (consulté le 15 octobre 2009).
2 Pour l’Antiquité, voir par exemple A. Lovato, Il carcere nel diritto romano dai Severi a Giustiniano, Bari, éd. Cacucci, 1994, p. 235-238 ; J.-U. Krause, Gefängnisse im Römischen Reich, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 1996 ; et surtout Carcer, 1. Prison et privation de liberté dans l’Antiquité classique. Actes du colloque de Strasbourg (5-6 décembre 1997), éd. C. Bertrand-Dagenbach, A. Chauvot et M. matter, Paris, De Boccard, 1999, et Carcer, 2. Prison et privation de liberté dans l’Empire romain et l’Occident médiéval. Actes du colloque de Strasbourg (décembre 2000), éd. C. Bertrand-Dagenbach, A. Chauvot, J.-M. Salamito et al., Paris, De Boccard, 2004 ; et aussi Y. Rivière, Le cachot et l’es fers. Détention et coercition à Rome, Paris, Belin, 2004.
3 Sur cette question, voir infra, p. 19 et suiv.
4 Isidore de Séville, Etymologiae, 5, 27, 2 : De poenis in legibus constitutis (san Isidoro de Sevilla, Etimologías, éd. et trad. J. Oroz Reta, 2 vol., Madrid, La Editorial Católica, 1982 (Biblioteca de Autores Cristianos, 433-434), t. 1, P. 530 : Poena dicta quod puniat. Est autem epithetum nomen, et sine adiectione non habet plenum sensum : adicis poena carceris, poena exilii, poena mortis, et inples sensum).
5 Ibid., 5, 27, 13, t. 1, p. 532.
6 Ibid., 15, 2, 46, De aedificiis et agris, t. 2, p. 234.
7 De carceribus. In circo unde emittuntur equi carceres dicuntur, ab ea te qua et ille carcer qui est in civitate ; quod, ut ibi hommes damnati atque inclusi, ita hic equi cohercentur, ne exeant antequam signum emittant, ibid., 18, 32, p. 412. Rappelons cependant que ce n’est pas le seul terme latin servant à désigner un lieu d’enfermement dans l’Antiquité. Chez les Romains, l’erqastulum désigna d’abord la détention domestique, puis le lieu dont le maître pouvait se servir pour punir l’esclave, voir R. Grand, « La prison et la notion d’emprisonnement dans l’ancien droit », Revue historique de droit français et étranger, 19-20 (1940-1941), p. 58-87.
8 Isidore de Séville, Etymologiae, 15, 7, 5, op. cit. n. 4, p. 244.
9 Sancti Benedicti Regula, 4, 78 : Officina vero ubi haec omnia diligenter operemur claustra sunt monasterii et stabilitas in congregatione, La Règle de Saint Benoît, éd. et trad. A. de Vogüe (Sources chrétiennes n° 181), Paris, Éd. du Cerf, 1972, vol. 1, p. 464.
10 Sancti Benedicti Regula, 66, 6-7 : Monasterium autem, si possit fieri, ita debet constitui ut omnia necessaria, id est aqua, molendinum, hortum, vel actes diversas intra monasterium exerceantur, ut non sit necessitas monachis vagandi foris, quia omnino non expedit animabus eorum, ibid., vol. 2, p. 660.
11 Sancti Benedicti Regula, 67, 7 : Similiter et qui praesumpserit claustra monasterii egredi vel quocumque ire vel quippiam quamvis parvum sine iussione abbatis facere, ibid., vol. 2, p. 662.
12 P. Meyvaert, « The Medieval monastic “claustrum” », Gesta, 12 (1973), p. 53-59.
13 A. Davril, « Fonctions des cloîtres dans les monastères au Moyen Âge », dir. P. K. Klein, Der mittelalterliche Kreuzgang. The medieval Cloister. Le cloître au Moyen Âge. Architektur, Funktion und Programm, Regensburg, Schnell & Steiner, 2004, p. 22-26.
14 G. Démians d’Archambaud, « Cloître », Dictionnaire du Moyen Âge, dir. Cl. Gauvard, A. de Libéra et M. Zink, Paris, PUF, 2002, p. 303-304.
15 H. bernard, « Cloîtres et salles capitulaires. Remarques sur les origines de la distribution des “lieux réguliers” dans les abbayes de l’ordre de Saint-Benoît », Liber amicorum. Études historiques offertes à Pierre Bougard, Arras, Mémoires de la Commission départementale d’histoire et d’archéologie du Pas-de-Calais, hors-série de la Revue du Nord, collection « Histoire 3 », 1987, P- 35-56.
16 J. Leclercq, « Le cloître est-il une prison ? », Revue d’ascétique et de mystique, 47 (1971), p. 407-420.
17 Notons qu’un renversement total survient au xixe siècle, lorsque la prison est présentée comme une « simple privation de liberté », frappant l’âme et non le corps, à l’inverse des supplices, et qui agit sur l’âme pour obtenir une éventuelle réinsertion. Désormais, c’est l’âme qui est « prison du corps », voir M. foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 38.
18 G. Constable, « Metaphors for religious life in the Middle Ages », Revue Mabillon, 19 (2008), p. 231-242.
19 J.-F. Leroux, « Clairvaux-prison, de 1808 à nos jours. Évolution de la vie pénitentiaire et de la prison politique de Blanqui à Maurras », Histoire de Clairvaux. Actes du colloque de Bar-sur-Aube/ Clairvaux (22 et 23 juin 1990), Bar-sur-Aube, 1991, p. 45-59.
20 J.-G. Petit, Cl. faugeron et M. Pierre, Histoire des prisons en France (1789-2000), Toulouse, Privat, 2002, p. 47.
21 Histoire de Clairvaux. Actes du colloque de Bar-sur-Aube..., op. cit. n. 19.
22 J.-G. Petit, Ces peines obscures. La prison pénale en France (1780-1875), Paris, 1990, p. 157-158 ; J. Chédaille, Fontevraud de toutes les pénitences. Histoire d’une prison de 1804 à 1963, Saintes, 2003.
23 La transformation n’alla d’ailleurs pas toujours de soi : elle passa notamment par le renforcement des murs, par la création de chemins de ronde et par des aménagements qui mutilèrent certains bâtiments. Cependant, plusieurs établissements échappèrent de cette manière à la lente destruction qui affecta certaines grandes abbayes, comme Cluny, voir dir. C. Carlier, Histoire des prisons de Loos, Direction des services pénitentiaires de Lille, 2006, p. 23 et 28.
24 E. goffman, Asylums : Essays on the Condition of the Social Situation of Mental Patients and Other Inmates, New York, Garden City, 1961, trad. L. et Cl. Lainé, Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Éditions de Minuit, 19902, p. 47.
25 M. foucault, Surveiller et punir, Paris, 1975, p. 168,175, 282.
26 H. S. Becker, « La politique de la présentation : Goffman et les institutions totales », Erving Goffman et les institutions totales, dir. Ch. Amourous et A. Blanc, L’Harmattan, 2001, P. 59-77, ici P. 72. Voir aussi J. Lebrun, « Cloîtrer et guérir. La colonie pénitentiaire de la Trappe 1854-1880 », L’impossible prison. Recherches sur le système pénitentiaire au xixe siècle. Débat avec Michel Foucault, dir. M. Perrot, Paris, Seuil, 1980, p. 236-276, qui évoque le monastère comme « institution totalitaire » (p. 250-251), et aussi É. Servais et F. Hambye, « Structure et signification : problème de méthode en sociologie des organisations claustrales », Revue internationale des études socioreligieuses, 18 (1971), p. 27-44, qui appliquent le modèle goffmanien au monastère bénédictin. Pour la période médiévale, voir également N. Gradowicz-Pancer, « Enfermement monastique et privation d’autonomie dans les règles monastiques (ve-vie siècles) », Revue historique, 583 (1992), p. 3-18 ; W. Jezierski, « Monasterium panopticum. On surveillance in a medieval cloister », Frühmittelalterliche Studien, 40 (2006), p. 167-182.
27 J. Leclercq, « Le cloître est-il une prison ? », loc. cit. n. 16 ; G. Penco, « Monasterium-Carcer », Studia Monastica, 8 (1966), p. 133-43. J. leclercq reprend son article de 1971 dans un ouvrage polémique consacré à l’histoire de la prison, Libérez les prisonniers. Du bon larron à Jean XXIII, Paris, Éd. du Cerf, 1976.
28 Jean Dunbabin écrit ainsi : « Quand la confiance dans la justice humaine croît, le besoin d’emprisonnement se développe », dans J. Dunbabin, Captivity and Imprisonment in Medieval Europe, 1000-1300, Basingstoke, MacMillan, 2002, p. 173. E. Pacho écrit : « La prison (souvent perpétuelle ou à vie), l’exil et la condamnation aux galères ont été des moyens grâce auxquels s’imposa, dans une large mesure, la réforme des ordres religieux », E. Pacho, « Carcere e vita religiosa », Dizionario degli Istituti di Perfezione, Rome, t. II, 1975, p. 261-276, ici p. 272.
29 Dom Mabillon, « Réflexions sur les prisons des ordres religieux », Le moine et l’historien. Dom Mabillon. Œuvres choisies, éd. O. Hurel, Paris, R. Laffont, 2007, p. 990-1001, ici p. 995-996.
30 Propter multa crimina per eum commissa per abbatum dicti monasterii perpetuis carceribus condemnetus et excommunicatus fuit, tamquam desperatus videns se a carceribus liberare non posse et, ut ab ipsis carceribus liberaretur, per quendam conversum dicti monasterii et custodem carceris se facit suos oculos exsecari, Archivio Segreto Vaticano, Penitenzieria apostolica Reg. Matrim. et Div., 7, fol. 213r, éd. dans Repertorium Poenitentiariae Germanicum. Verzeichnis der in den Supplikenregistern der Pönitentiarie Pius’II. 1458-1464, Vorkommenden Personen, Kirchen und Orte des Deutschen Reiches, vol. 4, éd. L. Schmugge, P. Hersperger et B. Wiggenhauser, Tübingen, M. Niermeyer, 1996, n° 1003, p. 64. Voir également les suppliques de deux convers et d’un moine qui ont participé à la mutilation du moine emprisonné, ASV, Penitenzieria Ap., Reg. Matrim. et Div. 7, f. 213r et 234v, ibid., nos 1005 et 1050, p. 64 et 67. Voir É. Lusset, « Des religieux en quête de grâce. Les suppliques adressées à la pénitencerie apostolique par des clercs réguliers violents au xve siècle », Médiévales, 55 (2008), P. 115-134.
31 Le prisonnier desconforté du château de Loches, éd. P. Champion, Paris, 1909, v. 180.
32 Jean Régnier, Les fortunes et adversitez, éd. E. Droz, Paris, 1923, v. 1449-1450.
33 Sancti Bernardi opera, éd. J. Leclercq, H. Rochais, Rome, Editiones cistercienses, t. VIII, Epistolae, I-II, 1977, lettre 227 (à l’évêque de Soissons), p. 97, et lettre 228, à Pierre le Vénérable, p. 99. Bernard de Clairvaux recourt à l’image du cloître-prison, tout comme le feront ensuite, au xvie siècle, Jean de La Croix et Thérèse d’Avila, par exemple.
34 Sancti Bernardi opera, Sermones, II, t. V, Rome, 1968, p. 371.
35 Paris, BNF, latin 3284, fol. 95d : Sermo ad fratres ordinis militaris insignitos caractere milicie Christi, thema sumptum ex Zachara IX° capitulo.
36 Ibid., fol. 96b-96c : De quibus omnibus Dominus ait : « Circumdabo domum meam ex hiis qui militant mihi euntes et revertentes » [Zach. 9,8]. Euntes tempore belli et revertentes tempore pacis ; euntes per activant et revertentes per contemplativam ; euntes in guerra ad militandum, revertentes in pace ad quiescendum et orationibus vacandum ut sint sicut milites in prelio et quasi monachi in domo. Hic enim ordo sanctus et venerabilis bipartitus est ex ordine martyrum et ex ordine monachorum vel claustrahum.
37 Jacques de Vitry, Historia occidentalis, éd. J. F. Hinnebusch, Friburg, 1972, p. 163 ; voir aussi M.-A. Polo de Beaulieu, « Jacques de Vitry, Histoire occidentale (vers 1223-1225) », dir. J. Dalarun, François d’Assise. Écrits, Vies, témoignages, Paris, Éditions franciscaines, Éditions du Cerf, 2 vol., 2010, II, p. 3031.
38 Dans sa chronique rédigée en 1262, le franciscain Jourdain de Giano (Chronica fratris Jordani, éd. H. Boehmer, Paris, 1908 (Collection d’études et de documents sur l’histoire religieuse et littéraire du Moyen Âge, 6), p. 39, rapporte ce qu’il dit lui-même, en 1225, à un laïc d’Erfurt qui l’interrogeait « pour savoir s’il voulait construire pour lui une façon de cloître ; ce dernier, comme il n’avait jamais vu de cloître dans l’Ordre, répondit : “Je ne sais pas ce qu’est un cloître ; construisez-nous seulement une maison proche de l’eau afin que nous puissions y descendre pour nous laver les pieds.” Et ainsi fut fait », I. Heullant-Donat, « Jourdain de Giano, Chronique », dans dir. J. Dalarun, François d’Assise. Écrits, Vies, témoignages..., op. cit. n. 37, p. 2066-2067. Cette attitude n’est pas incompatible avec l’idée de « cellule » permettant d’isoler les frères : thomas d’Eccleston (Tractatus fr. Thomae vuljo dicti de Eccleston, De adventu fratrum minorunt in Angliam, éd. A. G. Little, Paris, 1909 (Collection d’études et de documents sur l’histoire religieuse et littéraire du Moyen Âge, 7), rééd. Manchester, 1951, p. 11-12), franciscain anglais du milieu du xiiie siècle, rapporte les débuts des frères mineurs dans une maison, à Londres : « Ensuite ils louèrent pour eux-mêmes une maison à Cornhill et s’y aménagèrent des cellules en tressant des herbes pour faire des cloisons entre les cellules » ; sur la question du cloître, il raconte ensuite l’anecdote suivante : « Mais comme un frère disait à frère Guillaume [...] qu’il l’accuserait devant le ministre général parce que le lieu de Londres n’était pas clos, frère Guillaume, poussé par un zèle très ardent, répondit : “Et moi, je répondrai au général que je ne suis pas entré dans l’Ordre pour construire des murs !” Poussé par ce même zèle, il fit aménager le toit de l’église de Londres et il ordonna de supprimer les encastrements du cloître », I. Heullant-Donat, « Thomas d’Eccleston, Traité sur l’arrivée des frères mineurs en Angleterre », dans dir. J. Dalarun, François d’Assise. Écrits, Vies, témoignages..., op. rit., respectivement p. 1920 et 1960.
39 Sacrum commercium sancti Francisci cum domina paupertate, 30 (Fontes franciscani, dir. E. Menestò, S. Brufani et al., S. Maria degli Angeli, Edizioni Porziuncola, 1995 (Testi, 2), p. 1705-1732, p. 1730) : Illa vero, quietissimo somno ac sobria dormiens, surrexit festinanter, petens sibi claustrum ostendi. Et eux : Adducentes eam in quodam colle ostenderunt ei totum orbem quem respicere poterant, dicentes : « Hoc est claustrum nostrum, domina. »
40 Certaines femmes, rares dans les sources et dont les modalités concrètes d’existence ne sont pas bien connues, firent cependant l’expérience de l’érémitisme aux xie et xiie siècles. Pour l’Italie, voir par exemple G. Penco, « L’eremitismo irregolare in Italia nei secoli XI-XII », Benedictina, 32 (1985), p. 218.
41 C. Klapisch-Zuber et F. Rochefort, « Clôtures », Clio, 26 (2007), mis en ligne le 20 avril 2008. URL : http://clio.revues.org/index5273.html [consulté le 22 décembre 2010].
42 Sur les béguines, voir par exemple M. Lauwers, « Noli me tangere. Marie-Madeleine, Marie d’Oignies et les pénitentes du xiiie siècle », Mélanges de l’’Écol’e française de Rome. Moyen Âge, 104, 1 (1992), p. 209-268 ; id., « L’institution et le genre. À propos de l’accès des femmes au sacré dans l’Occident médiéval », Clio, 2 (1995), Femmes et Religions, mis en ligne le 1er janvier 2005. URL : http://clio.revues.org/index497.html [consulté le 22 décembre 2010]. Sur les recluses italiennes, A. Benvenuti Papi, « Velut in sepulchro. Cellane e recluse nella tradizione agiografica italiana », dans A. Benvenuti Papi, In Castro poenitentiae : santità e sociétà femminile nell’Italia medievale, Rome, 1990, p. 305-402.
43 C. Bynum, Holy Feast and Holy Fast. The Religious Signifiance of Food to Medieval Women, Berkeley, University of California Press, 1987, trad. C. Forestier-Pergnier et E. Utudjian Saint-André, Jeûnes et festins sacrés. Les femmes et la nourriture dans la spiritualité médiévale, Paris, Éditions du Cerf, 1994.
44 En 1251, Claire d’Assise soumit à l’approbation du cardinal protecteur Rinaldo sa propre forma vitae, en l’attribuant à François pour tenter de sauver ses choix essentiels et mieux faire accepter cette règle, la première rédigée par une femme pour sa communauté. Elle fut approuvée deux ans plus tard, non sans difficulté, et promulguée par Innocent IV pour le seul monastère de Saint-Damien. Sur cette question, voir M. Bartoli, Chiara d’Assisi, Rome, Istituto Storico dei Cappucini, 1989, trad. J. Mignon, Claire d’Assise, Paris, Éditions du Cerf, Éditions franciscaines, 2003, et aussi J. Dalarun, « François et Claire. Masculin/féminin dans l’Assise du xiiie siècle », Médiévales, 32 (1997), Voix et signes, p. 83-95.
45 Voir le décret Cum de quibusdam mulieribus de ce concile, pour lequel les sources conservées sont fragmentaires, publié dans une traduction française dans J. Leclerc, Le concile de Vienne, 1311-1312, Histoire des conciles œcuméniques, t. 8, Paris, Fayard, 2005, p. 195-196.
46 J. A. Brundage et E. M. Makowski, « Enclosure of nuns : the decretal Periculoso and its commentators », Journal of Medieval History, 20 (1994), p. 143-155.
47 thomas d’Eccleston, Traité sur l’arrivée des frères mineurs..., op. cit., p. 1935 : « À Cambridge, les frères furent d’abord reçus par les bourgeois de la ville qui leur assignèrent une ancienne synagogue, contiguë à la prison. Comme la proximité de la prison était intolérable aux frères parce que les geôliers et les frères avaient la même entrée, le seigneur roi [Henri III] leur donna dix marcs pour acheter une rente avec quoi payer à l’Échiquier pour la rente d’un terrain ; et c’est ainsi que les frères édifièrent leur chapelle. [...] » À rebours de l’enfermement sanctificateur, l’enfermement carcéral est aussi jugé infamant. Voir cet exemple d’Aelipda Villebayone, bénédictine du diocèse de Soissons, qui adresse une plainte au pape Grégoire XI en 1371 car son abbesse l’a enfermée par haine « dans la prison la plus affreuse avec de lourdes entraves, comme si elle était une femme criminelle (ac si mulier facinorosa extitisset in carcere atrocissimum cum gravibus compedibus) », ASV, RA 173, f. 561, Lettres communes de Grégoire IX, éd. A. M. Hayez, J. Mathieu, M. F. Yvan, base de données en ligne, Ut per litteras apostolicas. Les lettres des papes des xiiie et xive siècles, Turnhout, Brepols, n° 12362.
48 Sur la méfiance des ordres religieux concernant l’errance des religieux, que ce soit sous la forme de la perigrinatio ou de l’apostasie, voir G. Constable, « Opposition to pilgrimage in the Middle Ages », Religious Life and Thought : 11th-12th Centuries, Londres, Variorum Reprints, 1979, p. 125-146 ; L. Mayali, « Du vagabondage à l’apostasie. Le moine fugitif dans la société médiévale », dir. D. Simon, Religiöse Devianz, Untersuchung zu sozialen, rechtlichen und theologischen Reaktionen auf religiöse Abweichung im westlichen undöstlichen Mittelalter, Francfort, Vittorio Klostermann, 1990, p. 121-142.
49 Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio..., éd. J. D. Mansi, t. XXIII (1225-1278), 1779, reprod. Leipzig-Paris, H. Welter, 1903, col. 196, art. II. Voir J. B. Given, Inquisition and Medieval Society. Power, Discipline and Resistance in Languedoc, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 1997 ; J.-L. Biget, « L’Inquisition du Languedoc, entre évêques et mendiants (1229-1329) », dans Les justices d’Église dans le Midi (xie-xve siècle), Cahiers de Fanjeaux, 42 (2007), p. 121-163, et ID., « L’Inquisition et les villes du Languedoc (1229-1329) », Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge, études réunies par J. Chiffoleau, Cl. Gauvard et A. Zorzi, Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 385), 2007, p. 527-551.
50 Décrétale Quamvis : Quamvis ad reorum custodiam, non ad poenam carcer specialiter deputatus esse noscatur : nos tamen non improbamus, si subiectos tibi clericos confessos de criminibus seu convictos, eorum excessibus et personis, ceterisque circumstantiis provida deliberatione pensatis, in perpetuum vel ad tempus, prout videritis expedire, carceri mancipes ad poenitentiam peragendam, Liber Sextus, VI°, 5.9.3, éd. E. Friedberg, Corpus juris canonici, Pars secunda : Decretalium collectiones, Leipzig, 1881, réimp. anast. Graz, Akademische Druck, 1959, vol. 2, col. 1091.
51 Coutumes de Beauvaisis, éd. A. Salmon, Paris, 1899-1900, réed. G. Hubrecht, Paris, 1970- 1974, chap. XXX, § 841-842, 844, 848, 868, 884-885.
52 Voir l’article d’A. Porteau-Bitker, « L’emprisonnement dans le droit laïque au Moyen Âge », Revue historique de droit français et étranger, 46 (1968), p. 211-245 et p. 389-428, qui s’inscrit en faux contre une tradition de l’histoire du droit français niant le fait que la prison ait eu un caractère pénal dans l’ancien droit. Cette idée est aussi admise par bien des historiens de la société médiévale qui, en systématisant le contraste entre société féodale et société moderne, relèguent au second plan les élaborations médiévales de la coercition souveraine, voir J. baschet, La civilisation féodale. De l’an mil à la colonisation de l’Amérique, Paris, Flammarion, 3e éd., 2006, p. 526-527.
53 J. claustre, « La prison de “desconfort”. Remarques sur la prison et la peine à la fin du Moyen Âge », La prison, du temps passé au temps dépassé. Actes du colloque international de Lille, 15-16 mai 2008, dir. S. humbert et J.-P. Royer, à paraître.
54 J. claustre, « Ma vie se sent entamée. Prisons du Moyen Âge, physique du pouvoir », Penser-rêver, 15 (printemps 2009), p. 139-150.
55 Sur le caractère polarisé de l’espace féodal, voir A. Guerreau, « Quelques caractères spécifiques de l’espace féodal européen », L’État ou le roi. Les fondations de la modernité monarchique en France (xive-xviie siècle), dir. N. Bulst, R. Descimon et A. Guerreau, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1996, p. 85-101.
56 Sur la polarisation de l’espace féodal autour de lieux ecclésiaux où s’effectue une transformation des êtres, D. Méhu, « Locus, transitas, pereyrinatio. Remarques sur la spatialité des rapports sociaux dans l’Occident médiéval », Construction de l’espace au Moyen Âge : pratiques et représentations, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 275-293.
57 D. Méhu, Paix et communautés autour de l’abbaye de Cluny (xe-xve siècle), Lyon, Presses universitaires, 2001 ; Formation et transformations des territoires paroissiaux, dir. D. Iogna-Prat, E. Zadora-Rio, Médiévales, 49 (2005) ; M. Lauwers, Naissance du cimetière : lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier, 2005 ; D. Iogna-Prat, La maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge (v. 800-v. 1200), Paris, Éd. du Seuil, 2006.
58 À l’exception de S. Excoffon, « Les chartreuses et leurs limites », Construction de l’espace au Moyen Âge : pratiques et représentations, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 87-101.
59 J. Claustre, Dans les .geôles du roi. L’emprisonnement pour dette à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007.
60 Le roman épistolaire intitulé Lettres d’une Péruvienne en offre un exemple. Publié en 1747 par Françoise de Graffigny, amie de Diderot, d’Alembert et Voltaire, il connut un franc succès. Écrivant à son amant, Zilia affirme : « Je ne sais quelles sont les suites de l’éducation qu’un père donne à son fils : je ne m’en suis pas informée. Mais je sais que du moment que les filles commencent à être capables de recevoir des instructions, on les enferme dans une maison religieuse, pour leur apprendre à vivre dans le monde » et « l’on confie le soin d’éclairer leur esprit à des personnes auxquelles on ferait peut-être un crime d’en avoir, et qui sont incapables de leur former le cœur, qu’elles ne connaissent pas » ; Françoise de Graffigny, Lettres d’une Péruvienne, New York, The Modern Language Association of America, 1993, lettre 34, p. 138.
Auteurs
Université de Reims Champagne-Ardenne, CERHiC – EA 2616
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, LAMOP- UMR 8589
Université Paris Ouest-Nanterre-La Défense, CHiSCO – EA 1587
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