Chapitre IV. Saint Jean et la bonne mort du condamné
p. 103-140
Texte intégral
1À la fin du Moyen Âge, apparaissent des confréries de laïcs, les pénitents noirs, qui font de l’accompagnement du condamné au supplice leur vocation première, dans le but de procurer à celui-ci un bon passage dans l’au-delà. Elles se placent sous la titulature de saint Jean décollé, qui est un des saints patrons des prisonniers1, et adoptent rapidement comme emblème la tête du Baptiste dans un plat, image à laquelle elles attribuent un rôle fonctionnel au cours de leurs rituels. Ces associations pieuses vont connaître un essor remarquable dans l’ensemble des sociétés du nord de la Méditerranée2.
Les confréries de pénitents
2L’habit est la première marque distinctive des pénitents. À l’origine, il caractérisait des confréries composées uniquement d’hommes mais, depuis assez longtemps, des pénitentes ont désormais rejoint les rangs de ces associations.
3Le vêtement du pénitent constitue véritablement un élément essentiel. Le confrère le porte lors de chaque cérémonie religieuse et, notamment, lors des processions publiques. Dans l’usage, on peut noter une tendance à désigner les différentes confréries de pénitents suivant la couleur de leur habit et non selon la dénomination spécifique qui témoigne de leur vocation religieuse. Cet habit se compose d’une longue robe serrée à la taille par une cordelette, appelée « sac », dont la couleur3 varie d’une confrérie à l’autre. La tête du pénitent était autrefois rigoureusement masquée par une cagoule ne comportant que deux trous pour les yeux, qui faisait partie intégrante de leur costume et dont la forme variait suivant les pays et les confréries. Depuis le xxe siècle, l’État français a interdit le port de la cagoule aux pénitents4, mais sa signification est si importante que, même s’ils ne peuvent plus l’utiliser, ils la conservent sur eux. Elle demeure attachée au dos du col de leur sac. Les dames pénitentes, quand elles ont été admises dans ces confréries, n’ont pas reçu le même costume que leurs homologues masculins. Le sac et la cagoule restent exclusivement attachés aux hommes5.
4Au Moyen Âge, de tous les types de confréries, ce sont les pénitents qui viennent former le lot le plus important. Ce grand essor tient tout d’abord à leur nature même. En théorie, du moins, leur recrutement n’est pas restreint à une classe sociale ou à un métier spécifique – bien que dans les faits, nous le verrons bientôt, ce genre de correspondance soit souvent attesté. Ce type de compagnie est donc le seul à pouvoir, dans l’absolu, recruter en grand nombre des gens venant de milieux sociaux variés. Cependant, la taille d’une confrérie de pénitents peut varier considérablement et ne concerner que quelques dizaines de personnes ou, au contraire, bien plus d’une centaine.
5L’étude de l’origine sociale des confrères-pénitents laisse apparaître que, malgré l’universalité théorique du recrutement, la distribution des classes sociales est loin d’y être aléatoire : chaque confrérie tend à privilégier un milieu social qui peut varier selon les localités. À Nice, par exemple, il est connu que les pénitents noirs appartiennent à la grande bourgeoisie, voire à la noblesse. Cette caractéristique sociale des pénitents dits « de la Miséricorde » se vérifie d’ailleurs tant en France qu’en Italie. Mais, à Aix-en-Provence, les pénitents provenant des plus hautes classes sociales appartiennent à la confrérie des pénitents gris, dits « Bourras », qui, ailleurs, représentent généralement la catégorie la plus humble de pénitents. Pour en terminer avec les exemples, signalons que les pêcheurs niçois, eux, vont plutôt adhérer à la confrérie des pénitents bleus. Dans les communautés villageoises, le nombre plus restreint d’habitants ne permettant pas de compter plus d’une ou deux confréries par localité, une telle distinction sociale ne pouvait s’y affirmer.
6Maurice Agulhon a inscrit l’engouement pour ces confréries dans une réflexion générale sur la société en cherchant à établir un lien entre leurs recrutements massifs, à certaines époques, et un goût pour l’exercice d’un certain type de dévotion. Il est un fait que la distribution de ces compagnies sur le territoire français n’a pas été uniforme : elles se sont essentiellement concentrées sur le pourtour méditerranéen. Un temps, les confréries de pénitents se sont malgré tout étendues sur l’ensemble du territoire français. Pourtant à la fin de la période baroque, considérée comme « la belle époque » de ces confréries, elles disparaissent du nord, de l’est et de l’ouest du pays. Aussi, selon Maurice Agulhon, manifestent-elles véritablement une expression de la « sociabilité méridionale6 ».
7Leur formidable développement est donc historiquement situé. Si elles apparaissent au Moyen Âge, elles ne connaîtront un essor spectaculaire qu’à l’époque baroque. Mettant en parallèle ces deux mouvements, Maurice Agulhon argue que ces groupements sont caractérisés par un goût pour la dévotion ostentatoire, une piété baroque en quelque sorte, qui s’accordait particulièrement bien avec cette période7.
Les sources judéo-chrétiennes
8Ces confréries sont issues de mouvements de pénitence individuelle, pratiquée à la maison, qui ont fini par s’agencer en congrégations. Si la pénitence individuelle, comme mouvement institutionnalisé, ne s’organise pas avant le vie siècle, une réflexion sur ce sujet va pourtant s’engager dès les premiers temps du christianisme.
Église primitive et pénitence
9Tertullien, dès la fin du iie siècle, consacre tout un ouvrage à la pénitence. Le thème, en lui-même, n’est pourtant pas novateur et s’articule autour d’une argumentation déjà constituée. Tous les hommes sont pécheurs et, de ce fait, devraient faire pénitence. Celle-ci opère le salut de l’homme en détruisant tout ce qui, en lui, constitue le péché. Elle réalise, de la sorte, les conditions préalables à la venue de l’Esprit-Saint. Faire pénitence signifie donc s’arracher aux puissances de la mort. Il s’agit d’un processus qui nécessite tant une attitude intérieure qu’une conduite extérieure. La pénitence doit intervenir en cas de faute commise après le baptême, mais on ne peut y recourir qu’une seule fois. Le nom donné à la pénitence postbaptismale est « exomologèse ». Tertullien la décrit comme suit :
« L’exomologèse est donc la discipline qui enjoint à l’homme de se prosterner et de s’humilier, en lui imposant, jusque dans sa manière de se vêtir et de se nourrir, une conduite de nature à attirer sur lui la miséricorde. Elle ordonne de coucher sur le sac et la cendre, de laisser son corps se noircir de crasse, d’abîmer son âme dans la tristesse, de punir par un traitement sévère tout ce qui est cause de péché ; en outre de ne plus connaître qu’une nourriture et une boisson toutes simples, pour le bien, non du ventre, bien sûr, mais de l’âme ; en revanche de nourrir sa prière de jeûnes fréquents, de gémir, pleurer, crier de douleur, jour et nuit, vers le Seigneur ton Dieu, de se prosterner aux pieds des prêtres, de s’agenouiller devant les autels de Dieu, de recommander à tous les frères de se faire les ambassadeurs de sa requête en grâce8. »
10Ces lignes de Tertullien démontrent fort explicitement que l’acte de pénitence n’est pas, en soi, chose aisée à accomplir pour retrouver la pureté baptismale. Retenons-en deux détails particulièrement importants : l’usage du sac et de la cendre au cours des procédures rituelles. Ces deux éléments, en effet, se révèlent extrêmement significatifs dans un contexte pénitentiel puisqu’ils sont attestés depuis l’Ancien Testament jusqu’à nos jours.
Le sac et la cendre
11Ce n’est pas le christianisme qui institue la nécessité pour l’homme de recourir à la pénitence. Dès les écrits vétérotestamentaires, on évoque le besoin impératif d’y procéder en utilisant, conjointement, sac et cendre. Ainsi, quand Jonas annonce aux habitants de Ninive que, d’ici quarante jours, leur ville sera renversée, ceux-ci proclament un jeûne et se revêtent de sacs. Leur roi déchire son manteau, se couvre également d’un sac et s’asseoit dans la cendre. Le Seigneur, voyant leur repentance, décide alors de les épargner9. Le prophète Daniel ayant calculé, d’après les paroles que le Seigneur avait adressées à Jérémie, le nombre d’années qui restaient d’ici la destruction de Jérusalem, invoque son Dieu par la prière, les supplications, le jeûne, le sac et la cendre10.
12Dès que les confréries de pénitents s’organisent, l’usage rituel de ces deux éléments est attesté. La cérémonie de prise d’habit fait explicitement référence aux Ninivites. Le sac désigne le costume qui suffit à lui seul à les représenter. En le revêtant, le novice marque son accession à son nouveau statut. Selon un rituel de réception, le prieur, après que le candidat à la pénitence lui a fait part de son souhait de recevoir la Miséricorde de Dieu et d’entrer dans cette compagnie, lui répondra :
« Ce fut par leur pénitence, prompte et sincère, que les Ninivites, dont vous voulez aujourd’hui imiter l’extérieur humilié, en vous revêtant parmi nous d’un sac de pénitent, méritèrent autrefois grâce devant le Seigneur. Vous l’obtiendrez comme eux si vous les imitez dans leur componction11. »
13On prétend généralement que la valeur symbolique de cet habit se limite à effacer toute distinction sociale ou individuelle et permet uniquement aux confrères d’apparaître tous égaux dans la pénitence. En fait, ce vêtement manifeste surtout que faire pénitence, c’est d’abord se recouvrir d’un sac. Voilà le signe concret de la conversion spirituelle du pénitent. C’est lui qui matérialise pleinement la dimension initiatique représentée par l’adhésion à une telle confrérie et marque l’accession définitive à un nouveau statut : pénitent. Arnold Van Gennep a noté que les exercices ascétiques rituels accomplis pour pouvoir l’obtenir impliquent une séparation d’avec le monde profane encore plus grande que celle du catéchumène12.
14La cendre, quant à elle, est également associée à certains usages rituels des pénitents. Au vie siècle, on traçait une croix de cendre sur le front des pénitents individuels pour marquer le début de leur engagement. D’autre part c’est au premier jour du carême, dit « mercredi des Cendres », qu’ils devaient commencer leurs exercices de réparation. Ce jour doit d’ailleurs son nom à un usage, attesté même après le concile de Vatican II, intimant au prêtre de tracer à cette date une croix de cendre sur le front de tous les fidèles en disant : « Tu es poussière et tu retourneras poussière », devant ainsi rappeler à chacun « la condition misérable et mortelle de tous les pécheurs13 ». Évoquons aussi le saint carnaval, ou triduum des Quarante heures, commençant deux jours avant le mercredi des Cendres et se clôturant à cette date, qui comprenait essentiellement des processions solennelles de pénitents14.
Une dévotion particulière
15On ne note pas l’existence de confrères-pénitents avant la fin du xiie siècle. Originaires d’Italie, ces confréries vont rapidement se propager dans l’ensemble des pays d’Oc et de la Méditerranée occidentale. Leur importance est telle que la prééminence leur a très vite été accordée dans les défilés, les processions ou les pèlerinages15. Elles doivent certaines de leurs caractéristiques aux compagnies de flagellants, et d’autres aux tiers-ordres franciscains. En effet, les prédications de François et de ses compagnons, au début du xiiie siècle, dans les régions de Toscane, d’Ombrie et de Lombardie, ont pour effet une augmentation significative du nombre de laïcs désireux de se dédier à la vie pénitentielle dans leur propre maison. Les plus anciennes légendes franciscaines attribuent d’ailleurs à saint François la rénovation des trois ordres ecclésiastiques. Seulement, s’il apparaît véritablement que François et les frères mineurs ont contribué à diffuser parmi les laïcs l’idéal de l’état pénitentiel volontaire, ce statut, nous l’avons vu, existe déjà antérieurement et jouit même d’une reconnaissance canonique. Quant aux confréries, quelques-unes se sont d’ailleurs déjà constituées avant même la prédication franciscaine. Ainsi, Vicenza en compte une dès 1188. À cette époque, en effet, les pénitents individuels, dans chaque localité où ils sont en nombre suffisant, commencent à se regrouper en confréries à l’exemple des autres congrégations locales dont elles imitent le statut. En 1221, l’ensemble des confréries de pénitents de la Romagne adopte le même statut, lequel est remanié en 1228 et appliqué à toutes les régions d’Italie16. Cette même année, une première bulle papale traite des pénitents réunis en confrérie. Elle demande aux évêques de les protéger contre le pouvoir civil qui refuse de leur reconnaître l’ancien privilège d’exemption du service militaire. Les confrères-pénitents ont le sentiment de faire partie d’une élite. Émules des moines, aspirant à leur façon à la perfection chrétienne, l’adhésion d’hommes à ces compagnies traduit, au Moyen Âge, la volonté de laïcs fervents de se porter à un niveau spirituel supérieur à celui des autres laïcs17.
16L’élément le plus caractéristique de ces confréries demeure, sans conteste, leur type de dévotion, qui s’exprime de façon véritablement spécifique. Les obligations du pénitent vis-à-vis des valeurs traditionnelles du catholicisme ne constituent qu’une base. Le pénitent, en effet, plus que tout autre catholique, s’astreint à assister à tous les offices dominicaux, à ceux de la semaine sainte, et prend également part aux processions organisées dans sa localité. Il doit mener une vie totalement conforme à l’idéal chrétien, règle qui le contraint jusque dans sa vie sociale, certaines activités et professions lui étant, par voie de conséquence, interdites18. Il n’a pas le droit d’assister aux spectacles ou de se rendre à des banquets. Il ne doit pas non plus s’être enrichi fortement par le commerce car il serait alors tenu pour pécheur par la communauté. Il doit aussi renoncer à la carrière militaire et il lui est interdit de porter des armes. L’exercice de fonctions administratives est également prohibé. Toutes les catégories de pénitents, qu’ils soient membres d’une confrérie, qu’ils s’astreignent individuellement et volontairement à la pénitence ou, au contraire, qu’ils y soient contraints par l’autorité ecclésiastique sont, de fait, exemptés par l’Église des fonctions publiques et, nous l’avons dit, du service militaire. Cette faveur ne tarde pas à irriter les pouvoirs publics, qui prennent des mesures en vue de les sanctionner19.
17À cette époque, toute personne endossant l’habit pénitentiel sans être mariée est aussitôt astreinte au célibat perpétuel. Les autres doivent observer des périodes de continence plus longues que les autres fidèles. Leurs temps de jeûne sont aussi supérieurs à ceux des autres laïcs20.
18Le pénitent doit avant tout accomplir un devoir de charité envers son prochain à travers la fondation et la gestion d’une œuvre d’assistance dont le but est de pourvoir tant aux éventuelles difficultés d’un de ses confrères, qu’à celles d’indigents n’appartenant pas à la confrérie21.
Le pénitent et la mort
19L’image à laquelle les confrères sont inextricablement associés est celle de la mort. En effet, en dépit d’une bulle de Grégoire IX, datant de 1237, qui leur interdit l’assistance du mourant et l’organisation des funérailles afin d’en garantir le droit exclusif à la Romana Fraternitas, association cléricale très puissante et hostile aux mouvements confrériques laïques, de nombreuses associations passent rapidement outre l’interdit papal22. Le pénitent devient alors indissociable des cérémonies funéraires, aspect de sa dévotion qui va constituer son essence même. Ce lien des confréries de pénitents à la mort provient sans doute des épidémies de peste auxquelles leur développement est lié de manière récurrente. Les confrères se chargent en effet d’inhumer les cadavres qui ne cessent alors, chaque jour, de s’ajouter en nombre.
20La principale obligation du pénitent envers la société réside dès lors dans le rôle qu’il doit jouer au cours des obsèques, son but étant la dévotion et la piété à travers la pénitence et la mort en ayant pour devoir et fonction d’accompagner et d’ensevelir les personnes décédées23. Les confrères ont aussi l’obligation de porter en terre leurs confrères après leur décès. Quant aux indigents, ils les font bénéficier de leurs offices gratuitement. En revanche, les pénitents réclament le paiement de leur participation aux cortèges funéraires des citoyens qui souhaitent s’assurer leur service lors de la cérémonie de façon à ce qu’elle puisse revêtir plus de lustre24.
21Au Moyen Âge, les détails de l’accompagnement d’une personne décédée jusqu’à la sépulture pouvaient varier légèrement selon la confrérie, mais il est quand même possible de dresser un tableau général du rituel traditionnellement accompli par tout groupement de pénitents. Ce n’est pas une fois la mort survenue, mais dès l’agonie que les pénitents entouraient le moribond, lui apportant réconfort moral et spirituel pour le préparer au passage du monde des vivants à celui des morts. Le but de leur présence était d’assurer une bonne mort à celui qui s’apprêtait à passer dans l’au-delà.
22Le décès survenu, les confrères se rendaient en costume de leur chapelle jusqu’à la maison du défunt, avec croix et torche. Le mort était alors revêtu du sac de la confrérie. À partir de cet instant personne, hormis les pénitents, ne pouvait plus revendiquer aucun droit sur lui ; le défunt leur appartenait. Le corps était levé et conduit en procession solennelle à travers les rues de la cité jusqu’à la chapelle. Tous les gestes se devaient de signifier l’entière agrégation du mort à la confrérie et le détachement total de ce qui constituait antérieurement son existence.
23C’est au travers de ces rites d’accompagnement du mort que se manifestaient le mieux le rôle et l’importance des confréries de pénitents au sein de leur cité. C’est alors que transparaissaient à la fois la force de la cohésion des confrères et l’affirmation de la position prééminente qui était la leur25.
24La spécificité des activités de ces confréries donnait à ses membres une place profondément ambiguë, pour ne pas dire en marge de la société. Par leur statut de pénitent, ils se situaient quelque part entre l’immense foule des laïcs, dont ils souhaitaient se distinguer par une vocation plus particulière aux œuvres chrétiennes, et le clergé, qui les reconnaissait et qui avait pour fonction de contrôler leurs activités, mais auquel ils n’appartenaient pas. En revanche, leurs tâches privilégiées, en les menant à assumer un contact avec les malades et les défunts, les plaçaient à l’autre limite extrême de la société du fait de la profonde souillure que, selon une conception largement répandue dans les sociétés humaines, le contact avec la maladie, mais surtout avec la mort, est réputé engendrer.
Pénitents et dévotion à saint Jean décollé
25Parmi la multitude des confréries de pénitents, de spécialités et de couleurs diverses et variées, il était une catégorie qui entretenait un lien tout particulier avec la mort et son accompagnement : les confréries de pénitents noirs, souvent dites « de saint Jean décollé » ou « de la Miséricorde ». Elles ne limitaient pas leur charité à l’accompagnement des agonisants mais l’étendaient à ceux que plus personne ne voulait ni réconforter ni même ensevelir : les condamnés à mort. Au Moyen Âge, en effet, les suppliciés sont considérés comme représentant un péril pour la communauté : ce sont des « mal morts », réputés être particulièrement impurs et dangereux. Si l’on ne s’assure pas de leur bon passage dans l’au-delà, ils peuvent non seulement hanter les vivants, et notamment ceux qui les ont accompagnés au supplice, mais aussi causer des épidémies26.
26La plus célèbre de ces confréries demeure incontestablement l’archiconfrérie romaine de la Miséricorde qui accompagna Giordano Bruno jusqu’au bûcher, le 17 février 160027. Cette compagnie avait été fondée sous le nom de « saint Jean décollé dite des Florentins de Rome » car c’est à Florence que ce genre de confrérie trouve sa lointaine origine.
La compagnie des Noirs de Florence
27En 1336, à Florence, sous le nom de Compagnie du Temple se fonde une confrérie de pénitents en réaction contre les conditions, à son sens bien peu chrétiennes, dans lesquelles les condamnés à mort sont traités dans cette ville, tant avant qu’à la suite de leur supplice. On leur nie non seulement le droit à la sépulture mais également celui à la sainte eucharistie. Ils doivent se rendre à la mort abandonnés de tous et sans aide spirituelle. Les confrères agissent d’abord de manière presque informelle, en s’approchant simplement des hommes menés seuls au supplice, en cherchant à réconforter leur âme et leur corps et surtout à aviver leur sentiment de repentir envers les péchés commis, ce qui seul peut leur permettre d’être sauvés dans l’autre monde. Leur chapelle est alors située en dehors des murs de la ville, près du champ de justice.
28Cette activité est absolument inédite pour des pénitents. Même si, nous venons de le voir, ces associations se sont affranchies de l’interdit papal, le rôle d’assistance des pénitents se limitait jusqu’ici à l’accompagnement du mourant. Jamais ils ne sont encore intervenus dans le champ de la justice28. Mais la ville de Florence se montre favorable au rôle que choisit d’assumer la Compagnie du Temple et, dès 1361, elle lui donne même un terrain situé à proximité du lieu des exécutions, pour qu’elle puisse y faire construire une chapelle et un cimetière afin que les condamnés entendent une messe avant leur supplice, et aient un endroit où être ensevelis après leur mort. L’on justifie ainsi le nom donné à la rue où était située la chapelle, appelée « via dei Malcontenti », ce que nous traduirons, faute de mieux, par « rue des Mécontents29 ». La confrérie se dota rapidement de quelques statuts qui furent approuvés par l’évêque de Florence, en 1366, et confirmés par le pape Urbain V en 1369. Vers 1424, elle changea d’appellation et devint Compagnie de Santa Maria della Croce al Tempio, dite « des Noirs », ainsi nommée parce qu’elle dépendait d’une église portant ce nom et que ses membres avaient choisi de revêtir un sac de couleur noire30. Son culte premier était, de toute évidence, à destination mariale comme il est souvent de mise dans les confréries de pénitents. Mais la Compagnie des Noirs de Florence avait également une dévotion envers saint Jean décollé : nous savons que les rites des confrères chargés d’accompagner les condamnés au supplice s’opéraient déjà alors sous la titulature de saint Jean Décollé31 et que leur chapelle comportait un autel qui lui était dédié et où se trouvait une célèbre représentation de sa décapitation due à Ghirlandaio32.
29Les confrères de cette compagnie étaient scindés en deux groupes. En 1442, il fut décidé que chacun comporterait cinquante hommes chargés de s’occuper d’œuvres distinctes. Le premier était préposé à la gestion des hôpitaux destinés à recevoir des pauvres, de l’aide au mariage des jeunes filles pauvres, de l’accompagnement des mourants, des offices et d’autres pieuses occupations encore. L’autre était chargé de l’office des morts et du réconfort aux personnes condamnées à la peine capitale33.
30On informait la Compagnie des Noirs dès que la sentence avait été prononcée par la justice. Le serviteur de cette compagnie prévenait alors chacun des confrères appartenant à ce second groupe, qui se réunissaient nuitamment dans une chapelle située dans le palais du Barigel, où ils revêtaient leur habit pénitentiel, en n’omettant pas de porter leur cagoule. Après que le prieur s’était informé du supplice arrêté pour le condamné, ces hommes se rendaient dans sa cellule et restaient auprès de lui jusqu’à l’ultime moment, en le poussant à se confesser et en le préparant à sa mort. Ils l’enterraient ensuite34.
31Ces confrères-là, contrairement aux cinquante autres, étaient contraints par une loi inviolable à conserver le secret le plus absolu sur leurs activités. Ils n’avaient même pas le droit de révéler à quiconque qu’ils appartenaient à cette confrérie. Cette mesure était justifiée en vertu du principe que cette compagnie ne relevait de l’approbation d’aucun supérieur mais appartenait à Dieu qui voit tout35. Nous devons rappeler que l’accompagnement d’un condamné à mort est alors une tâche qui revêt une signification toute particulière et dont le mode moderne d’accompagnement des mourants ne peut donner qu’une pâle idée. Il ne s’agit pas seulement de réconforter jusqu’à son supplice un homme mis au ban de la société pour avoir commis envers elle de tels péchés qu’elle en a finalement décrété la mort ; cette œuvre est en ce temps aussi considérée comme source de risque à cause, nous l’avons dit, des nuisances et des dangers que les « mal morts » peuvent faire courir à ceux qui les ont accompagnés au supplice. Ces confrères, en assumant ce poids, se chargaient donc volontairement des dangers encourus, pour les détourner du reste de leurs concitoyens36.
32La bonne mort que les pénitents noirs proposaient ne se limitait donc pas au bon passage du condamné, ou plutôt, en lui permettant un bon transitus, ils assuraient également leurs concitoyens contre les risques qu’une mauvaise mort leur aurait fait courir. Ce rôle ne s’exerçait pas uniquement lors de l’accompagnement rituel du condamné ; il était prolongé après les exécutions au moyen de rites célébrés à des dates clés de leur calendrier. Au jour de la décollation de saint Jean-Baptiste, le 29 août donc, vers 22 heures, ils se rendaient en procession jusqu’au pré où était situé l’échafaud, au-dehors de la porte de la Croix37. Ils y chantaient l’office pour les âmes des condamnés défunts qui, en cet endroit, par la main de la justice, avaient reçu le châtiment de leurs fautes et ils aspergeaient d’eau bénite les bois de justice. Ils reproduisaient ce rituel au matin de la commémoration des fidèles défunts, le 2 novembre. Ils récitaient l’office puis faisaient donner une messe solennelle dans l’église de la Sainte-Croix-au-Temple, suivie d’une procession au cimetière où étaient conservés les os des suppliciés. Le deuxième dimanche de chaque mois, ils se réunissaient dans leur chapelle, puis se rendaient de nouveau processionnellement à leur église pour dire, une fois encore, une messe à l’intention de ces âmes38.
De nouvelles confréries sur ce modèle
33En Toscane, comme en Emilie et en Romagne – provinces situées à une courte distance de Florence – naissent rapidement des confréries qui prennent exemple sur la Compagnie des Noirs de Florence. Bologne a ainsi hébergé la célèbre confrérie de Santa Maria della Morte, créée dans la seconde moitié du xive siècle, et Modène celle de la Buona Morte, placée sous la protection de saint Jean décollé et de la Madone des Mercede, c’est-à-dire de la Madone des Grâces. Cette Vierge, protectrice des condamnés, est réputée les libérer de leurs liens. Elle est représentée tenant dans la main droite les chaînes, aux menottes brisées, des prisonniers.
34Bien que la confrérie florentine ait été la première de ce genre, et même si elle a pu s’enorgueillir du nom de confrères illustres, tel Laurent le Magnifique, ce n’est pas elle mais son homologue romain qui est élevé au rang d’archiconfrérie. En effet, l’accession du Florentin Thomas Parutencelli au Saint-Siège, sous le nom de Nicolas V, entraîne à Rome à sa suite une multitude de Florentins : lettrés, artistes, banquiers, etc. Le 4 mai 1488, quelques-uns de ces Florentins de Rome, comme ils aiment à se nommer, dont la famille du banquier Altoviti, fondent la Compagnie de saint Jean décollé, dite « de la Miséricorde », dans le but de porter assistance aux condamnés à mort en les accompagnant à l’exécution capitale et en donnant à leur corps une sépulture chrétienne. Elle adopte les mêmes statuts que la confrérie florentine, même si elle se place prioritairement sous la titulature de saint Jean décollé, dont l’image de son chef dans un plat devient l’emblème, et non plus sous celle de la Vierge39. Cette confrérie renouvelle, nous le voyons, les principes dévotionnels de la Compagnie des Noirs de Florence en s’adressant de manière spécifique aux condamnés à mort. Ces buts lui sont reconnus par une bulle d’Innocent VIII en 1490, soit seulement deux ans après sa constitution40. Ce type d’institution va alors connaître un remarquable essor en servant de modèle à de nombreuses autres compagnies qui vont s’affilier à elle, en adopter les statuts et ainsi bénéficier des insignes privilèges qui lui sont régulièrement accordés par les saints pontifes, et ce sur un territoire si vaste qu’il s’étend de l’ancien comté de Nice au Mezzogiorno. L’archiconfrérie romaine n’est donc pas seulement la plus fameuse de ces compagnies mais aussi celle qui a exercé une profonde influence sur l’ensemble d’entre elles.
35Même si cette dernière choisit de diriger prioritairement sa dévotion vers saint Jean décollé, elle n’en a pas pour autant oublié tout culte marial, se conformant ainsi à un usage très répandu au sein des groupements de pénitents. La titulature secondaire de l’archiconfrérie romaine est en effet adressée à la Vierge de Miséricorde, la très populaire Vierge au manteau du Moyen Âge, qui étend les pans de son vêtement pour protéger le peuple des fidèles. Cette iconographie s’inspire de la dévotion byzantine au maphorion de la Vierge, basée sur la légende de l’enfant juif sauvé des flammes par ce grand voile, couvrant tête et épaules, que Grégoire de Tours fit connaître en Occident. À partir du xiiie siècle, elle va être associée à la protection contre la peste41. L’importance de la double dévotion de cette confrérie, à saint Jean décollé et à la Vierge de Miséricorde, se manifeste de façon exemplaire dans les noms qui ont été donnés aux rues adjacentes à leur chapelle. En effet, l’une est dite « de saint Jean décollé » et l’autre « de la Miséricorde ».
Le rituel
36Les rites d’accompagnement du condamné à mort pratiqués par la confrérie romaine ne semblent différer que légèrement de ceux de la Compagnie des Noirs de Florence. En revanche, les archives romaines ayant été mieux conservées42, elles permettent de se forger une idée plus précise de cet ensemble rituel, qui est toujours resté entièrement centré autour d’une dévotion à saint Jean décollé. En effet bien que, sous l’influence des carmélites et des jésuites, saint Joseph finisse par devenir le saint patron de la bonne mort, son patronage s’adresse exclusivement au moribond et non au condamné par voie de justice43. Cette dévotion nouvelle ne vient donc jamais affecter les confréries de pénitents de saint Jean décollé. L’importance de la dévotion à leur saint patron se devine, de prime abord, par la présence d’une iconographie récurrente sur leurs lieux de culte. Les pénitents ont parfois multiplié les représentations de la décapitation de Jean dans une même chapelle au point de figurer son chef dans un plat de manière quasi obsessionnelle. À Modène, la chapelle de la confrérie de la Bonne Mort ne comporte pas moins de trois tableaux représentant la décollation de Jean. Mais que dire de l’archiconfrérie romaine... Bâtons processionnels, lampes, tablettes de dévotion, mascarons, appliques, fresques, tableaux, stucs et sculptures de la chapelle, du cloître, de l’oratoire, mais aussi façades des bâtiments appartenant à l’archiconfrérie portent tous la marque du chef de saint Jean décollé. Les pénitents romains ont poussé si loin cette dévotion qu’une représentation de sa tête décapitée figurait également, à l’origine, sur leur cagoule et sur la médaille de leur chapelet44. Cette iconographie n’avait pas une fonction purement décorative mais jouait, au contraire, un rôle particulièrement important dans le rituel de ces confréries. Une étude de Jean Weisz a démontré comment l’organisation picturale de l’oratoire de la chapelle des confrères romains venait soutenir leur dévotion. Il s’agit d’un ensemble de fresques figurant la vie de Jean-Baptiste, posé en strict parallèle à des scènes de la vie du Christ. Le point d’orgue de cet arrangement pictural se joue autour de saint André – disciple de Jean avant de devenir celui du Christ –, figuré entre la décollation de Jean et la descente de Croix. L’auteur remarque avec quel art cet ordonnancement iconographique a tendu à faire du martyre du Précurseur une préfiguration de la Passion du Christ45. Un objet à valeur figurative a même tenu un rôle clé dans l’œuvre d’accompagnement du condamné à une bonne mort. Il s’agit de petits panneaux de bois peints, munis d’une poignée, nommés tablettes. Une des deux faces représente le Christ en Croix et l’autre la décollation de Jean. En détaillant le rituel d’accompagnement du condamné nous nous attarderons sur l’usage précis qui en était fait.
37En étudiant les journaux tenus au cours des siècles par les pénitents de l’archiconférie romaine de saint Jean décollé46, force est de constater que le secret entourant l’identité des confrères qui assument la charge d’accompagner le condamné au supplice n’est pas maintenu moins rigoureusement, à l’origine, que dans la Compagnie des Noirs de Florence. Il faut attendre le 30 août 1619 pour qu’apparaisse le nom des pénitents qui ont accompli cet office, bien que ces documents soient internes à l’institution et que nul, hormis les confrères, ne puisse alors y avoir accès. Cette mention est alors tout à fait exceptionnelle. Par la suite, celle-ci va être fournie de plus en plus fréquemment. Ce fait laisse clairement transparaître un changement des mentalités au regard de la mort. À ce propos, on notera que Vasari, pénitent de l’archiconfrérie romaine, ne révèle jamais dans ses écrits son appartenance à cette confrérie. Il y évoque pourtant le tableau représentant la décollation de saint Jean-Baptiste qu’il a peint pour cette institution, et qui est placé au maître-autel de leur église, mais s’il précise que cette œuvre est assez différente de celles qui se font communément pour ces confréries, il n’explicite en rien les raisons de cette singularité qui, ainsi, demeure assez sibylline47. L’œuvre achevée, Vasari explique qu’il aurait souhaité retourner à Florence mais qu’il ne put refuser à Bindo Altoviti de rester pour réaliser les fresques qu’il lui demandait d’exécuter48. Pourquoi Altoviti exerce-t-il un tel ascendant sur Vasari ? Ne convient-il pas de nous rappeler que la famille Altoviti a été à l’origine de la fondation de l’archiconfrérie romaine et que cette demande s’exerçait de confrère à confrère, et qu’elle émanait sans doute d’un confrère qui assumait dans la confrérie des responsabilités plus grandes que les siennes. Mais, encore une fois, Vasari préfère rester énigmatique plutôt que de révéler son appartenance à l’archiconfrérie de saint Jean décollé. De la même façon, dans sa Vie de Michel-Ange, Vasari ne fait jamais allusion à l’appartenance du peintre de la chapelle Sixtine à l’archiconfrérie dite « de saint Jean Décollé49 », alors que celui-ci est pourtant un des plus illustres membres de cette institution, si bien que sa demande d’agrégation à la confrérie a été acceptée à l’unanimité50.
Les séquences rituelles
38À la veille de l’exécution, on prévenait la compagnie des Florentins de Rome. Leur œuvre d’accompagnement du condamné à l’exécution, qui paraît si admirable d’un point de vue moderne, s’opérait donc pourtant, nous l’avons dit, avec une extrême discrétion vis-à-vis de la société civile, et c’est en secret que les pénitents étaient avertis d’une prochaine exécution. Les confrères se réunissaient alors dans leur chapelle, en habit. Après s’être recueillis avec dévotion, en silence, quatre confrères étaient désignés pour accomplir le rôle de consolateur auprès du condamné et se voyaient remettre les tablettes dévotionnelles qui tiennent une place si importante au cours de ce rituel. Ils devaient alors se rendre à la prison afin d’y passer la nuit auprès du prisonnier. Vêtus du sac, la cagoule rabattue sur le visage, les vouant ainsi à un parfait anonymat, ils n’allaient plus le quitter jusqu’à son dernier souffle51.
39Pour les confrères, il n’y avait pas de condamné. La personne prise en charge, accompagnée jusqu’à son dernier instant, était un « patient » dont il fallait opérer la guérison. Les pénitents se considéraient d’ailleurs comme ses « médecins spirituels ». La perte spirituelle d’un patient était une affaire extrêmement grave. Il était donc demandé aux confrères de refuser un tel rôle plutôt que de mettre en danger le salut de celui qui leur était confié, s’ils ne se sentaient pas capables d’assumer cet office52.
40Les pénitents devaient réconforter leur patient et l’exhorter à se repentir de ses péchés, tout en l’assurant qu’il serait pardonné et accueilli par le Christ au Paradis. Il importait de le persuader que son exécution allait être le véhicule même de sa rédemption. On devait l’encourager à se sentir reconnaissant car, ainsi, il avait l’opportunité de mourir pleinement préparé en étant assuré d’être sauvé. Si le condamné proclamait son innocence, on lui expliquait qu’il s’agissait là de la volonté divine et que son sort n’était pas plus injuste que celui des chrétiens martyrs, de saint Jean-Baptiste ou du Christ lui-même. On lui demandait, en fait, d’envisager son exécution comme un martyre, une imitatio Christi53. S’il acceptait de se convertir, le patient, après s’être confessé et avoir entendu une messe, recevait l’eucharistie. Or, celui qui est considéré comme mort à cause de son péché ne peut recevoir le plus auguste des sacrements54. La communion du condamné était donc la preuve qu’il était libéré de son péché vis-à-vis de Dieu.
41L’usage des tablettes dévotionnelles, que nous avons déjà brièvement évoquées, occupait une place prépondérante dans cet exercice de préparation à une bonne mort, depuis le moment de l’entrée des pénitents dans la cellule du condamné jusqu’à celui où l’on était enfin assuré de son décès. Cet objet, en effet, devait rester constamment devant les yeux du condamné, non seulement tout au long de la nuit précédant son exécution mais jusqu’à l’extrême fin de son supplice. On l’encourageait également à l’embrasser. Jusqu’à son arrivée sur le lieu du supplice, on présentait la face figurant le martyre de saint Jean. Mais à l’heure de l’exécution, le pénitent qui tenait la tablette la retournait, présentant alors le Christ en Croix55.
42À l’aube, les pénitents qui avaient entouré le condamné tout au long de la nuit étaient rejoints par d’autres confrères qui, chantant des litanies, portant des torches et un crucifix, s’étaient rendus en procession solennelle dans les rues de Rome jusqu’à la prison. Là, ils associaient le supplicié et les pénitents qui l’avaient réconforté à leur marche processionnelle. Ils se rendaient ainsi jusqu’au lieu de l’exécution, la tablette dévotionnelle toujours maintenue devant les yeux de celui qui allait mourir. Le crucifix, quant à lui, était placé face à l’échafaud. Le condamné était encouragé à s’agenouiller devant lui et à embrasser les pieds du Christ. Il montait alors sur l’échafaud, accompagné du pénitent chargé de la tablette. Car celle-ci avait un rôle à jouer, nous l’avons dit, jusqu’à la dernière extrémité de la vie du condamné. Tant que le supplicié n’avait pas rendu son dernier souffle, le pénitent devait s’assurer qu’elle restait continuellement devant les yeux du condamné. Dès qu’il était assuré de la mort de son patient, le pénitent cessait de lui présenter la tablette.
43Le cadavre était ensuite exposé au public toute la journée56.
44L’acte de justice accompli, la mort de leur patient consommée, les confrères reprenaient ce cadavre qui, désormais, leur appartenait et qu’ils recomposaient soigneusement, en cas de besoin. La cure administrée ne pouvait connaître d’autre fin ultime que la mort du corps physique. Leur œuvre avait réussi s’ils étaient parvenus à une conversion ; autrement elle avait échoué. La guérison ne permettait en aucun cas d’éviter au corps l’issue fatale. En cas de conversion, à la nuit tombée, les confrères, revenus sur le lieu du supplice, prenaient en charge le corps et, chantant des hymnes, le mettaient dans un cercueil couvert d’un drap noir qu’ils portaient en procession jusqu’à la chapelle de saint Jean décollé, où ils célébraient une messe pour le mort avant de l’enterrer dans leur cloître. Ils prenaient soin de conserver soigneusement les cordes utilisées pour la pendaison. Mais ils ne se contentaient pas de conserver l’instrument du supplice ; ils prenaient minutieusement soin de recueillir, pour ensuite le détruire, tout matériel ayant appartenu au supplicié. Ce souci s’étendait jusqu’aux images pieuses et aux objets de dévotion donnés au condamné comme support dans les derniers instants57. Chaque année, pour la fête de la décollation de saint Jean, les confrères se réunissaient en costume de pénitent et brûlaient les cordes des suppliciés qui avaient été pendus depuis le 29 août de l’année précédente58. Ils en dispersaient ensuite les cendres sur les fosses du cloître.
45Plus encore que les objets ayant été en contact avec le condamné, il convenait d’apporter un soin tout particulier à sa dépouille mortelle et, plus particulièrement, à son sang. Adriano Prosperi a noté que l’importance accordée au sang du condamné et à son devenir se reflétait dans certaines pratiques rituelles, parmi lesquelles une dévotion marquée au sang du Christ, l’organisation d’une fête solennelle au jour de la Fête-Dieu et le don, suivi de la consommation entre confrères, de grenades et de pastèques, fruits au symbolisme funéraire évident, attesté au moins pour la Compagnie des Noirs de Florence au jour de la décollation de saint Jean-Baptiste. Il faut dire que nul mieux que les pénitents noirs ne connaissait, à la fois, la fascination et les risques des morts violentes, surtout quand elles comportaient l’effusion de sang59.
46Seuls les suppliciés pour lesquels la « cure » avait opéré étaient enterrés dans le cloître attenant à la chapelle de la confrérie. Aujourd’hui, les pénitents conservent toujours ces fosses communes, au nombre de sept60, intactes depuis l’ensevelissement de leurs anciens patients c’est-à-dire, pour certains, voilà bien des siècles. Ils continuent à les bénir deux fois l’an : pour la Saint-Jean et le 30 novembre, en clôture du mois consacré aux morts. Sur ces fosses, toutes de facture identique, nul nom ne vient rappeler l’identité civile de celui qui s’est ainsi converti in extremis ; une inscription, répétée sur chacune d’elles, indique seulement : DOMINE CUM VENERIS IUDICARE NOLI NOS CONDEMNARE61. On appelle ainsi le Seigneur à juger avec clémence, sans condamner, celui pour lequel ils ont fait œuvre de médecin, pas de juge, et qui désormais ne dépend plus de la société humaine mais divine.
47Les condamnés ne s’étant pas repentis étaient ensevelis en terre non consacrée (a muro torto) selon deux catégories distinctes. Ceux dont on estimait qu’ils auraient pu finir par se convertir si la cure s’était prolongée étaient enterrés hors des murs de la ville, en un lieu profane. Mais les cas d’obstination les plus sévères ne permettaient pas cette solution, jugée injuste pour les autres au cas où l’un de ceux-ci se serait tourné vers Dieu au moment même de sa mort. Ceux-là étaient pris en charge non par les pénitents mais par le bourreau, qui les ensevelissait hors de la Porte du Peuple, sur la rive du Tibre62.
48Le compte rendu de l’accompagnement de chaque patient, que la cure ait ou non opéré, était retranscrit par les confrères dans leurs journaux ; ils sont actuellement conservés aux archives de la ville de Rome.
La préparation au rituel
49Nous l’avons dit, les pénitents n’improvisaient pas l’accompagnement du condamné. Des ouvrages à l’usage des confrères ont très vite été rédigés à ce propos, prescrivant les paroles, attitudes et actes à tenir tout au long de leur office, de façon à ce que le supplicié puisse connaître la meilleure mort qui soit. Plusieurs de ces traités ont été rédigés par des membres de l’archiconfrérie romaine de saint Jean décollé. Citons celui de Francesco Riccardi, qui précise même l’attitude à tenir le jour suivant l’exécution capitale, notamment lors du rite de dépendaison du cadavre63. Saint Robert Bellarmin, cardinal qui a été membre de cette confrérie, rédigea en 1620 un De arte bene moriendi. Son livre, contrairement aux autres ouvrages sur l’art de bien mourir rédigés à l’époque, intègre le cas des condamnations à mort. Il y met en avant la chance du condamné, par rapport au malade, qui non seulement a moins à souffrir et qui, ayant le plein usage de ses sens, peut se recommander à Dieu plus aisément que si son esprit était affaibli par un mal, mais qui, surtout, peut bénéficier de l’assistance des pénitents, véritables spécialistes de la bonne mort, dont le savoir peut lui enseigner comment mériter, au prix d’un bref supplice, la vie éternelle, et ce, qu’il ait ou non mérité son châtiment. Au coupable, celui-ci sera un moyen de satisfaire à Dieu pour ses crimes à condition qu’il les déteste désormais et accepte sa punition avec un sentiment véritable de pénitence ; à l’innocent, il donnera l’occasion d’imiter le Christ en Croix, s’il pardonne de tout son cœur à celui qui l’a conduit là. Car « une bonne mort est toujours une mort heureuse et ce bonheur est extrême aussi bien que le malheur de ceux qui meurent en mauvais état64 ». Bellarmin explique alors longuement quelle fin malheureuse est réservée à ceux qui ont refusé d’accueillir une bonne mort, qui seule garantit d’échapper aux tourments éternels et de gagner une vie tout aussi immarcescible65.
50Un célèbre manuel bolonais à l’usage de la confrérie de Santa Maria della Morte, à présent conservé à la Morgan Library (manuscrit 188), compte au nombre de ces traités techniques. La première partie explique au pénitent la posture morale à tenir face au condamné et les exhortations qu’il doit lui adresser de façon à ce qu’il meure sans révolte, en ayant accepté la sentence. La seconde présente un aspect plus pratique. Elle fournit au confrère des exemples concrets sur l’attitude à observer tout au long de sa mission d’accompagnement. L’usage des tablettes dévotionnelles y est explicitement mentionné. Ce manuel insiste beaucoup sur la manière dont le pénitent doit la présenter au condamné, à savoir juste en face de lui, de telle façon qu’il ne puisse voir autre chose que cet objet et l’iconographie dont il est porteur. À l’écoute de la sentence, le pénitent devait s’assurer que l’esprit du condamné n’était pas fixé ailleurs que sur la contemplation de cette tablette. Sinon, il devait s’empresser de ramener l’attention sur elle. Après l’énoncé de la sentence, les confrères devaient amener le condamné jusqu’à la chapelle dédiée à saint Jean-Baptiste où l’homme resterait en prière, puis se confesserait. Le manuel n’en a pas pour autant terminé avec les prescriptions concernant l’usage de la fameuse tablette. Celle-ci ayant un rôle à jouer jusqu’au dernier instant, cet ouvrage poursuit donc sur la façon dont le pénitent doit la tenir une fois sur l’échafaud, selon le type de supplice infligé : décapitation ou pendaison. Pour les décollations, il devait être très attentif à se placer de façon à ne pas se trouver sur le chemin des instruments du bourreau, tout en assurant au condamné la contemplation exclusive de la tablette. Lors des pendaisons, le confrère devait assumer une situation encore plus périlleuse. Une fois que l’homme se balançait au bout de sa corde, le pénitent, juché sur une échelle accolée au gibet, gardant toujours une main à un barreau pour plus de sécurité, devait suivre les mouvements du corps du pendu de façon à ce que cet objet soit continûment maintenu devant les yeux du supplicié66. Il est bien précisé que la tablette devait être tenue véritablement face au visage du pendu, jusqu’à ce que sa mort soit consommée, tout en lui enjoignant de se répéter à lui-même : « Seigneur, je remets mon esprit entre tes mains67. »
51Cet objet rituel, dont le rôle avoué est de procurer une bonne mort au condamné à travers sa contemplation, n’agissait-il pas également comme un substitut du bandeau du supplicié, dont le but n’était pas tant d’empêcher la victime de voir le spectacle qui l’entourait que de préserver la population assistant au supplice du regard de celui qui allait mourir et qui avait en cet instant « la mort dans les yeux68 » ?
52Les représentations de mystères étaient souvent jouées dans ces villes au lieu même où se tenaient les exécutions. Ces manifestations étaient très populaires à cette époque, notamment à Florence. On rapporte que, le 29 août 1451, eut lieu à Florence une représentation intitulée « San Giovanni Battista quando fu decollato69 », justement au champ de la porte de la Justice, et qu’elle attira plus de cinquante mille personnes. Un examen du texte de la pièce sur le martyre de saint Jean a suggéré à Kathleen Falvey un parallèle entre le déroulement du récit de l’emprisonnement de Jean, réconforté par le Christ qui vient le visiter dans sa prison, histoire qui était connue de tous les Florentins, et l’attitude rituelle du pénitent vis-à-vis du condamné qui cherchait, par ce moyen, à renforcer l’union mystique qui devait s’établir entre le condamné et le Précurseur70. De fait, dans ce mystère, les injonctions adressées par le Christ à Jean-Baptiste semblent calquer celles des pénitents noirs aux condamnés71. Une telle identification entre le supplicié et Jean-Baptiste n’est pas à exclure, bien au contraire. Toutefois, les pénitents de saint Jean décollé ne limitaient pas le rôle du Baptiste à assurer un bon passage dans l’au-delà au condamné.
La libération du condamné
53Parmi les insignes privilèges qui leur avaient été accordés, il en était un qui les autorisait à libérer un condamné, à mort ou aux galères, au jour de la décollation de saint Jean-Baptiste. La liste des privilèges accordés à l’archiconfrérie romaine précise que cette grâce ne provenait pas des hommes mais de saint Jean décollé lui-même72. Ce droit avait été obtenu par l’archiconfrérie romaine en 1542. Il les caractérisait à tel point qu’au début du xixe siècle, quand Pie VII retira ce privilège à d’autres confréries de pénitents qui, avec le temps, avaient fini par l’obtenir également, il le maintint pour l’archiconfrérie romaine de la Miséricorde et celles qui lui étaient affiliées73.
54Les pénitents romains procédaient à de véritables enquêtes pour choisir le condamné qui allait bénéficier de leur grâce. Les renseignements souhaités, ils devaient les obtenir rapidement car la peine capitale était souvent administrée peu après la sentence74. La consultation des journaux dressés par l’archiconfrérie permet de se rendre compte que c’est généralement au dimanche le plus proche du 20 juillet que la confrérie chargeait deux de ses membres de s’enquérir d’un prisonnier susceptible de bénéficier de leur droit de grâce. Des suppliques, écrites par les familles, parvenaient également aux membres de la confrérie avant la date de leur fête annuelle. Ces lettres pouvaient demander explicitement que la grâce soit accordée à l’être qui leur était cher, soit se contenter d’exposer le cas de cette personne en précisant le délit et les circonstances qui l’avaient conduite en prison. Les pénitents se réunissaient pour évaluer ces requêtes et estimer si un condamné présentait des qualités particulières, le rendant digne de bénéficier de leur grâce. S’il ne s’en trouvait pas, on ne procédait pas pour autant à une libération. Leur choix était pris à l’issue d’un vote prenant modèle sur un ancien rituel judiciaire, évoqué notamment par Ovide, consistant à déposer une fève blanche ou noire dans une urne75. Les confrères en avaient cependant inversé l’usage, les fèves noires déterminant la libération du condamné. S’agissait-il là d’un rappel symbolique de la couleur de leur sac ? Leur décision arrêtée, ils en informaient le saint-père, qui autorisait lui-même la libération à la veille du 29 août. Le gracié était alors libéré, selon un ordre rituel bien établi, pour la fête de saint Jean décollé au cours d’une grande manifestation publique organisée par les pénitents en son honneur. L’instant de la libération était d’une importance toute particulière. C’est alors que se manifestait aux yeux de la communauté le privilège insigne dont jouissait la confrérie. Aussi importait-il que l’acte soit visible. La première procession, effectuée par les confrères de leur chapelle jusqu’à la prison, ne différait en rien de celle qu’ils accomplissaient en allant chercher un condamné pour le mener à son supplice. Vers midi, les confrères s’habillaient dans leur chapelle et, une fois leur habit endossé, ils se rendaient en procession jusqu’à la prison, se disposant en ordre suivant la dignité exercée au sein de la confrérie. Le sacristain guidait le mouvement, portant la croix, et ayant à ses côtés deux servants qui tenaient des torches allumées. Le chapelain fermait le cortège. Le rituel ne se modifiait, indiquant qu’il ne s’agissait pas là d’une prochaine mise à mort mais d’une grâce, qu’une fois à la prison76. Le chapelain et le prieur de l’archiconfrérie, appelé « governatore », y entraient et visitaient les prisonniers. Le governatore, ayant endossé par-dessus son sac une autre robe, similaire à celui-ci à ce détail près qu’elle était non pas de coton noir mais de soie rouge, jetait alors cet habit rouge sur les épaules du prisonnier choisi dès qu’il se trouvait face à lui, lui signifiant ainsi sa grâce. Ce dernier était alors conduit hors de la prison, encore dans ses fers, présentant toujours l’apparence d’un condamné. Tous se mettaient à la suite de la procession qui repartait vers la chapelle de la confrérie. Arrivés à proximité de cet endroit, le chef de la police enlevait ses fers au condamné et le confiait au governatore, qui le conduisait jusqu’à l’autel, où il devait s’agenouiller devant l’image de saint Jean décollé77 puisque, rappelons-le, c’est de lui que provenait cette grâce. Le chapelain faisait alors complètement revêtir l’aube de soie rouge à l’ancien prisonnier puis déposait sur sa tête une couronne de laurier à feuilles dorées. Il mettait ensuite entre ses mains un crucifix que le condamné devait présenter à saint Jean. On célébrait une messe au cours de laquelle la communion était administrée à toutes les personnes présentes. Puis la procession repartait jusqu’à la place adjacente à la chapelle. Les pénitents relevaient alors leur cagoule et, à visage découvert, chantaient le Te Deum Laudamus. Ils accomplissaient le tour de la place puis se rendaient de nouveau dans leur chapelle, dont les cloches sonnaient allégrement. Dans l’oratoire, le governatore procédait à un discours de correction et d’amendement destiné au condamné gracié, qui devait l’écouter à genoux. Il était ensuite dépouillé de son aube rouge et repartait après avoir remercié les confrères78. Les journaux de l’archiconfrérie romaine évoquent la rédaction d’une patente, parfois reproduite in situ, remise à cet instant au condamné. Le document retraçait le parcours de l’homme et les raisons qui avaient incité la confrérie à le faire bénéficier de son droit de grâce.
55Pie V, en 1568, posa une restriction à ce privilège en excluant de ce droit de grâce les personnes coupables d’assassinat. Mais cette injonction ne fut pas toujours suivie, comme en témoigne la libération de Lisbetta da Casale en 1577 dans la cité de Faenza en Romagne, alors qu’elle avait été condamnée pour infanticide79. Souvent les villes cherchaient d’elles-mêmes à poser des restrictions au droit de grâce des pénitents noirs, voire à le supprimer. Ces remises en question répétées de leur privilège, comme les nombreuses restrictions qui leur étaient imposées de la part des autorités laïques, ne manquèrent pas d’inquiéter les pénitents. Les confrères durent alors demander à l’archiconfrérie de leur envoyer copie des documents notifiant leur agrégation, voire s’en remettre au pape pour requérir de lui la confirmation de ce privilège80.
56Les critères présidant au choix du prisonnier gracié ne sont jamais clairement explicités. Par contre, il apparaît clairement que les normes édictées à cet égard par les autorités civiles et religieuses n’étaient presque jamais respectées, de nombreuses personnes condamnées pour homicide ayant été libérées même à la suite de la bulle papale que nous avons évoquée81. Cette attitude suggère que les pénitents ne choisissaient pas selon le délit qui avait amené la condamnation, mais plutôt selon des traits relatifs à la personnalité du détenu. Dans les faits, presque toutes les personnes graciées avaient été condamnées pour vol ou assassinat. Une extrême pauvreté semble être une caractéristique récurrente des individus ayant obtenu la grâce des pénitents noirs. En cas d’homicide, les confrères sont particulièrement attentifs aux cas d’assassinat commis pendant l’extrême jeunesse et aux uxoricides consécutifs à un adultère. Viennent ensuite les personnes exilées ou condamnées pour des faits qu’elles n’ont pas commis, ou pour de petits larcins, parfois accompagnés d’une fusillade, mais où personne n’a été blessé ou tué. On note aussi des gens accusés par le fisc82. Il se dégage ainsi un profil du condamné idéal pour recevoir cette grâce : il est jeune, très pauvre, avec des charges de famille, n’a eu recours qu’exceptionnellement à la violence et, depuis son crime, il se consacre à des pratiques pieuses. Parfois, il est victime d’une erreur judiciaire.
57La capacité de grâce qui les caractérisait se devait d’être clairement manifestée aux yeux de la société au moyen d’une véritable dramaturgie. Il s’agissait d’un acte de libération public, matérialisant pour la communauté la rédemption dont le condamné avait été l’objet. L’importance du rite apparaît nettement au travers d’une lettre adressée aux pénitents de cette confrérie, au xviiie siècle, par un certain Paolo Paganelli, condamné pour homicide involontaire. L’homme, dans sa missive, supplie les confrères de ne pas le faire participer à la cérémonie publique de libération de condamné. Il justifie sa requête par le sentiment d’intense déshonneur qu’il en ressentirait du fait des attentes de ses concitoyens envers sa profession d’orateur. Il n’aurait plus alors, écrit-il, le courage de se présenter devant eux. Après avoir reçu cette lettre, les pénitents, réunis en assemblée, décidèrent qu’il devait quand même être soumis au rituel public de libération83. Car, de toute évidence, le caractère théâtral de ce rituel en était un des éléments constitutifs. L’homme avait été condamné par la société. Sa grâce ne pouvait intervenir sans la mise en application d’un certain nombre de rites permettant de le réintégrer dans ladite société. D’ailleurs l’autre grand rituel de ces confréries, celui de l’accompagnement du condamné jusqu’à sa mise à mort, impliquait lui aussi une mise en scène selon un scénario précis. Il s’agissait, dans les deux cas, de véritables spectacles dont la littérature dramatique et l’art de l’époque, mystères et passions des saints, mais aussi retables, se sont inspirés à l’évidence.
58Grâce et mise à mort représentaient donc deux rituels parfaitement symétriques et inverses. L’un opérait la réinsertion du condamné dans le corps social ; l’autre excluait définitivement toute possibilité d’une nouvelle agrégation du supplicié à la société à laquelle il appartenait. Pour ces confréries, le rituel de libération du condamné au 29 août représentait l’instant calendaire où s’affirmait leur prestige, mieux, leur pouvoir de vie et de mort, par l’entremise de saint Jean décollé, pouvoir qui n’appartient qu’à Dieu, à ses saints et à leurs représentants sur terre, les puissants, les rois... ou encore le souverain pontife.
Saint Jean et la bonne mort
59L’ensemble des rites mis en jeu dans ces rituels sont adressés à saint Jean, qui préside à la fois au bon passage dans l’au-delà du condamné et à sa grâce. Comprendre les fonctions qui ont été attribuées à ce saint par ces confréries impose donc d’interroger tant son rôle dans le christianisme que les sens dont il a été investi dans la société médiévale, et particulièrement à Florence, point d’origine de ces institutions.
Le Baptiste
60Jean est, dès le Nouveau Testament, à la fois celui par lequel s’opère la pénitence et le garant d’un bon passage dans l’au-delà. Par le baptême de pénitence auquel il appelle, le chrétien n’a-t-il pas laissé, dans le « tombeau des eaux baptismales », « le vieil homme », c’est-à-dire tout ce qu’il y avait en lui de pécheur ? Rite d’initiation par excellence, le baptême par immersion est perçu comme un ensevelissement suivi de la résurrection du chrétien qui, lui, est mort au péché84. À ce sacrement unique, l’on peut suppléer par le martyre ou la charité parfaite : la pénitence est le sacrement des pécheurs.
61Un instant suffit... Comme le rappelle Athanase, les martyrs, souvent, ont atteint la perfection en un seul moment de combat. La conversion qu’espèrent les pénitents pour leur patient tient elle-même de l’ultime et de l’éphémère vis-à-vis de ce monde.
62Le baptême est la condition absolue du bon passage dans l’au-delà. Ce pouvoir du sacrement auquel il préside, Jean-Baptiste le transmet à toute personne qui y est associée. Dans l’Europe chrétienne, parrains et marraines ont un rôle rituel essentiel à jouer en cas de mort de leur filleul, en lui permettant de guérir ou au contraire d’abréger sa souffrance. L’usage germanique de placer dans le cercueil du filleul défunt « la lettre du parrain » correspond à un véritable « visa pour le ciel », selon l’expression rapportée par l’anthropologue Agnès Fine dans son ouvrage sur le compérage85. Les filleuls, eux aussi, peuvent à l’inverse jouer ce rôle d’intercesseur dans l’au-delà pour leur parrain. Jean est l’intercesseur par excellence.
Jean-Baptiste et Florence
63Cette dévotion spécifique trouve son origine à Florence, dans les pratiques cultuelles de la compagnie de Sainte-Marie-de-la-Croix-au-Temple. Les liens que le Baptiste a entretenus avec cette ville – dont il est le saint patron – ont-ils pu également, à cette époque, favoriser l’éclosion, puis le développement de ces pratiques rituelles ?
64Jean-Baptiste et Florence, en effet, s’associent de manière ambiguë. Qui mieux que Dante saurait résumer l’attachement si profond qui, à l’aube de la fondation de la compagnie de Sainte-Marie-de-la-Croix-au-Temple, unissait le Précurseur à cette ville ?
65Florence est, pour le poète visionnaire, « l’ovil di San Giovanni86 ». Dès sa christianisation, cette ville l’a en effet choisi comme saint patron, délaissant pour lui un ancien patronage païen dédié à Mars. Du temps de l’auteur de La commedia, les limites nord et sud de la ville portaient encore la trace du balancement qui s’était opéré entre ces deux personnages : d’un côté le baptistère ; de l’autre, la statue de Mars sur le Ponte Vecchio. Depuis que Florence a délaissé Mars, ne dit-on pas que celui-ci, pour se venger, a maudit la ville qui, par son art, sera toujours rendue malheureuse87 ?
66La tête de saint Jean est figurée sur la monnaie de Florence, le florin, qualifiée par Dante de « maledetto fiore c’ha disvïate le pecore e li agni88 ».
67La dévotion des Florentins pour saint Jean est telle qu’en 1415, du temps du pontificat de Jean XXII, ils avaient cherché à se procurer pour la somme exorbitante de cinquante mille ducats le chef de Jean-Baptiste conservé en l’église Saint-Sylvestre de Rome, tentative de transaction qui fut vivement reprochée au saint-père89. Saint patron tant aimé, Jean est pourtant associé à l’idée d’une malédiction de Florence et, en figurant sur sa monnaie, au symbole de sa dépravation. Cette ambiguïté fondamentale de la personnification du Baptiste pour les Florentins, nous la retrouvons aussi dans la caractérisation qui nous en est donnée par Dante. Il est le grand saint Jean, considéré comme toujours saint. Mais s’il a désormais pris place dans la Rose Céleste, il dut auparavant résider en enfer pendant deux ans90. On garde donc ici le souvenir de son séjour aux Limbes avant d’accéder au Paradis. En outre, ce n’est pas en tant que Précurseur ou Baptiste, mais comme martyr décapité qu’il a été institué garant du passage réussi des condamnés dans l’au-delà, considérant sans doute que son destin même le prédisposait à assumer un tel rôle. En témoigne le titre d’un panégyrique, composé et récité solennellement au jour de sa fête dans la chapelle de la Mort le 29 août 1726 à Ferrare, intitulé l’Angelo di gran potere, orazione paneyerica in lode di son Gio. Battista decolato91.
Des vertus psychopompes*
68S’il est dévolu à saint Jean décollé le rôle d’assurer un bon passage de l’âme du condamné dans l’au-delà, venant garantir la tranquillité de son repos funèbre et aussi celle de ses concitoyens, sans doute est-ce parce qu’on lui attribue des vertus psychopompes.
69Il est inexact de parler d’un retour aux thèmes traditionnels de l’Antiquité seulement à partir de la Renaissance. Jean Seznec a parfaitement montré comment le paganisme antique survivait déjà dans la culture et l’art médiévaux92. Du point de vue qui nous intéresse, c’est-à-dire le culte des saints, nombreuses ont été les études qui ont établi une identité entre des divinités païennes et certains saints de l’Église chrétienne93.
70Or, la divinité psychopompe par excellence du paganisme est Hermès. C’est à lui que les pythagoriciens confient le soin d’acheminer les âmes vers l’immortalité céleste. Ce rôle, Homère l’avait déjà octroyé à l’Hermès de Cyllène entre tous les autres dieux. À sa baguette d’or, signifiant le départ des âmes des prétendants défunts vers la prairie d’asphodèles, les gnostiques avaient conféré le pouvoir d’endormir ou d’éveiller à son gré les morts94.
71Toutefois, si Hermès assume une fonction qui est analogue à celle de saint Jean décollé au sein des confréries de pénitents noirs, rien d’autre ne viendrait jusqu’ici établir une identification formelle entre les deux personnages si ce n’est l’iconographie qui, une nouvelle fois au cours de ce chapitre, vient soutenir les textes, voire y suppléer. En 1507, l’humaniste allemand Conrad Celtes, ayant entendu parler des Trinités païennes qui étaient très populaires en Italie à cette époque, en grave sur bois un modèle de sa composition où il substitue les personnages antiques à leur équivalent chrétien. Il adopte le style iconographique traditionnel de ce genre de figuration. À la place de Dieu le Père bénissant le Christ, apparaît Jupiter planant au-dessus de son fils Phébus. La Vierge Marie est Minerve et le Précurseur... Mercure95. Or c’est bien à une sorte d’Hermès chrétien que s’adressent les pénitents noirs en accomplissant leurs rituels destinés à procurer une bonne mort au condamné sous les auspices de saint Jean décollé. Cet aspect du Baptiste se manifeste le mieux au travers d’un paradoxe particulièrement criant : l’absence de toute dévotion à saint Jean décollé chez les actuels pénitents de la Miséricorde de Florence. Ainsi apparaît de manière incontestable le rôle du culte à saint Jean décollé pour les pénitents noirs. Expliquons-nous...
Le paradoxe florentin des confréries de Miséricorde
72Aujourd’hui, les confréries italiennes de pénitents de la Miséricorde sont groupées en une confédération. Ce pays en compte actuellement plus de quatre cent cinquante96. Leur importante vocation hospitalière leur permet de jouer un très grand rôle sur le plan social, alors qu’en France la Révolution a porté le coup de grâce à l’ensemble des confréries de pénitents. Les quelques confréries qui y subsistent n’exercent qu’un rôle assez marginal par rapport au milieu social dans lequel elles s’intègrent et leur œuvre est essentiellement dévotionnelle97.
73La présidence de la Confédération italienne des confréries de Miséricorde a son siège à Florence, dans les locaux de la confrérie située place Saint-Jean, en face du somptueux baptistère de cette ville. Mais le lien entre la confrérie de Miséricorde florentine et le Précurseur du Christ s’arrête ici. Si les autres confréries italiennes affiliées à l’archiconfrérie des Florentins de Rome en ont hérité tant les privilèges qu’une dévotion toute particulière à saint Jean décollé, la Miséricorde florentine ne les a pas suivies sur cette voie : elle ne rend aucun culte au Précurseur du Christ. À priori, cette compagnie étant la seule, à Florence, qui soit affiliée à l’archiconfrérie romaine de saint Jean décollé, nous aurions pu supposer malgré tout qu’elle était issue de l’ancienne confrérie de la Sainte-Croix-au-Temple, qui est à son origine. Il n’en est rien. La Compagnie de la Sainte-Croix-au-Temple cesse d’exister en 1755, quelques années avant l’abolition de la peine de mort à Florence98. L’origine de l’actuelle confrérie de la Miséricorde de Florence est, en fait, fort éloignée de celle de l’ancienne Compagnie des Noirs de cette même ville, puisqu’elle est issue de la Société de la Foi, fondée le jour de l’Ascension 1244 à l’initiative de saint Pierre-Martyr, frère dominicain surnommé « le Marteau des Hérétiques ». En 1361, de cette souche unique naquirent trois confréries différentes : la Grande Société de Sainte-Marie, dite « du Bigallo », la Société nouvelle de Sainte-Marie, dite « de la Miséricorde », et la Société des Laudesi. À la suite de cette scission, les pénitents de la Miséricorde revêtirent un sac et une cagoule de couleur rouge et portèrent à leur cou un médaillon où étaient inscrites les lettres « FM » pour Fratres Misericordiae. Ce n’est qu’à la fin du xve siècle que les membres de cette confrérie troquent leur sac rouge pour se vêtir de noir99.
74La Miséricorde de Florence s’est toujours dédiée aux soins des malades les plus nécessiteux. L’image de ces pénitents demeure, à travers les siècles, étroitement associée à celle de la zana, grand panier d’osier se fixant sur les épaules et qui permettait le transport des personnes soignées par les confrères. Outre le soin des malades, et notamment des lépreux, ils se chargeaient également de l’ensevelissement des morts, rôle d’une importance cruciale au cours des périodes d’épidémies de peste et de choléra. Ils accomplissaient leur tâche avec un zèle qui a toujours soulevé l’admiration de leurs concitoyens100. Leur saint patron est Sébastien, dont la fête, située au 20 janvier, est également celle de la Miséricorde florentine. Leur dévotion pour saint Sébastien est telle que le bulletin trimestriel de cette confrérie porte son nom. L’affiliation à l’archiconfrérie de la Miséricorde romaine n’a lieu qu’en 1820, dans le but avoué d’obtenir ainsi les insignes privilèges qui avaient été accordés à celle-ci au cours des siècles par les différents pontifes. L’abolition de la peine de mort étant promulguée à Florence à une date relativement précoce, en 1782, elle n’a donc jamais eu l’occasion de bénéficier du droit de libération d’un condamné à mort101. Or nous l’avons dit, en dépit du lien si étroit qui unit le Précurseur à Florence et de son affiliation à l’archiconfrérie romaine de saint Jean décollé, dite « de la Miséricorde », cette compagnie florentine ne s’est pas tournée dès lors vers une dévotion à saint Jean. La mise en place d’un tel culte n’avait aucune raison d’être dans une confrérie dont les oeuvres dévotionnelles sont toujours restées centrées sur l’assistance aux malades et qui n’a jamais eu l’occasion d’accompagner un condamné à la mort. De plus, désormais, sous l’impulsion de la confrérie de la Miséricorde de Florence qui, depuis 1899, est à la tête de la Confédération des confréries italiennes de ce nom, ces compagnies ont fini par acquérir une importante vocation hospitalière, alors que cette caractéristique dévotionnelle leur faisait jusque-là totalement défaut. Actuellement, en Italie, ces confréries assurent le transport sanitaire et social, un service de don du sang et d’organes, une assistance médicale à domicile tant aux malades qu’aux personnes âgées, des centres de dialyses autogérés, des dispensaires et des maisons de repos, etc. Ce sont autant d’œuvres qui rappellent la vocation première de la confrérie de la Miséricorde florentine.
75La dévotion des confréries de pénitents noirs à saint Jean Décollé semble donc avoir été déterminée moins par une affiliation à l’archiconfrérie romaine de saint Jean décollé, dite « de la Miséricorde », que par l’exercice d’un rôle social précis – l’accompagnement des condamnés à mort – en raison de la fonction majeure attribuée à ce saint personnage dans le processus rituel. De manière à affiner cette analyse, envisageons le cas d’une autre confrérie, ne s’étant elle-même affiliée à l’archiconfrérie romaine que plusieurs siècles après sa fondation, et ayant été vouée également, à l’origine, à de tout autres œuvres.
Les pénitents noirs de Nice : entre saint Jean décollé et Vierge de Miséricorde
76La confrérie niçoise a été fondée en 1329 à la suite de la famine issue des longues guerres qui avaient désolé la région. Des notables niçois décident alors de s’associer, dans le but de venir en aide aux plus indigents, sous le nom d’Almoyna de Nostra Dona de Misericordia (Aumônerie de Notre-Dame de la Miséricorde). Quelques années plus tard, en 1347, la peste sévit dans la cité et ces mêmes confrères se chargent alors d’ensevelir les nombreux cadavres, abandonnés sans sépulture, qui menacent d’aggraver le fléau. Ils organisent également une assistance à domicile aux malades pestiférés. En 1422, la confrérie acquiert des terrains contigus à la chapelle Sainte-Réparate et érige un lieu de culte qui lui est propre, dans lequel elle se maintiendra jusqu’en 1828. Elle ne s’affilie à l’archiconfrérie romaine de saint Jean décollé que le jour de Pâques 1588. Elle obtient ainsi tous ses privilèges102 et assure, dès lors, également l’accompagnement des condamnés à mort, tâche qui, rappelons-le, constitue le rôle premier de l’institution tutélaire à laquelle elle vient de se rattacher103. Elle bénéficie également du privilège de libérer, chaque année, un condamné de son choix au jour de la décollation de saint Jean-Baptiste. Le regretté Pierre Bodard, pénitent de la Miséricorde de Nice, avait encore pu dénombrer quelques cas de personnes graciées ainsi peu avant le xxe siècle, en étudiant les archives de cette confrérie. Ce rituel se déroulait selon un schéma assez similaire à celui que nous avons déjà décrit. On rapporte, en effet, que la veille de cette fête, après délibération, les membres de la confrérie se rendaient à la prison pour annoncer leur choix. Le 29 août, ils allaient chercher le condamné auquel on avait annoncé sa grâce au petit matin. À sa sortie de prison, le gracié, accompagné des membres de la confrérie, se rendait à leur chapelle et, devant l’autel de saint Jean, après le chant d’actions de grâces et le salut, ses liens étaient coupés. On lui rendait sa liberté devant la population réunie104. Une dévotion à saint Jean décollé s’est donc rapidement mise en place dans cette confrérie, comme le prouve également le tableau représentant le martyre du Précurseur, commandé au peintre Jean Mirhaletti en 1622. Son emplacement, au premier autel de la chapelle, indique qu’il en est devenu le patron secondaire, après la Vierge de Miséricorde, placée au maître-autel.
77Cette confrérie n’en a pourtant pas moins continué à fonctionner selon le premier règlement qu’elle s’était donné, comme l’atteste un manuscrit du Règlement de la confrérie des pénitents dits de la Miséricorde de Nice, conservé au musée Masséna. Celui-ci stipule en outre que l’élection des prieurs et des « regidores » (recteurs) doit avoir lieu chaque année le 8 décembre, jour de la principale fête de la confrérie, qui correspond à l’Immaculée Conception et où est également célébrée la Vierge de Miséricorde105. C’est en ce même jour qu’a toujours lieu la réception des novices et la cérémonie de la prise d’habit. Il est également établi par ce texte que les œuvres de la confrérie sont le secours et les visites aux malades, ainsi que la sépulture des défunts. En 1708, treize chapitres sont ajoutés à ce règlement. Le sixième concerne l’obligation d’accompagner les condamnés au supplice avant de se charger de leur ensevelissement106. Nous le voyons bien, les œuvres de la confrérie niçoise de la Miséricorde sont, à l’origine, bien proches de celles de la Miséricorde de Florence. Pourtant, à la suite de son affiliation à l’archiconfrérie romaine, en appliquant les rôles et privilèges de cette dernière elle a, par-là même, intégré tout un processus dévotionnel envers saint Jean décollé.
78Ce fait se constate également dans les autres confréries de pénitents noirs de l’ancien comté de Nice, affiliées à l’archiconfrérie romaine depuis des dates allant du xvie siècle à la fin de l’époque baroque. Toutes présentent, en effet, le signe d’une importante dévotion à saint Jean décollé107 bien que, comme la Miséricorde florentine, celles-ci aient été constituées auparavant et aient déjà opté également pour un autre patronage que celui de saint Jean décollé. Les pénitents considérant l’iconographie de leurs chapelles comme une prière permanente108, il est de ce point de vue intéressant d’envisager brièvement les représentations picturales du martyre du Précurseur dans les chapelles de ces confréries. Or, sans aucune exception, toutes attestent cette figuration109. Sur les vingt-cinq confréries de ce type ayant existé sur le territoire de l’ancien comté de Nice, et bien que leur dévotion principale s’adresse à la Vierge de Miséricorde, dont elles tirent leur nom, dans trois localités la décapitation du Précurseur est même figurée au maître-autel (Peille ; Saint-Étienne-de-Tinée ; Saint-Martin-Vésubie), œuvres datant toutes du xviiie siècle110. À Utelle, Lantosque et Levens le tableau du maître-autel, représentant la Vierge, est associé au personnage du Baptiste111. Les chapelles de cinq autres confréries attestent un culte secondaire à saint Jean décollé, puisque le premier autel latéral de l’édifice lui est dédié112.
79La dévotion à saint Jean décollé, dans ces confréries, a donc été intimement liée à l’exercice du rituel d’accompagnement du condamné à la mort, qui investit ce saint du rôle de garant du bon passage dans l’au-delà. Il assume en cela les qualités de l’Hermès païen. Mais celui que la confrérie de Ferrare qualifie d’« Ange au grand pouvoir » ne se limite pas à assurer ce transit. Il peut aussi offrir une rédemption terrestre en graciant le condamné. Cette fonction de saint Jean, mettant en exergue le martyr décapité, est parfaitement illustrée sur la page de garde du bréviaire des pénitents de la Miséricorde d’Aoste, figurant deux confrères vêtus de leur sac et de leur cagoule, agenouillés en prière devant le chef décollé de saint Jean. Pour les populations du nord de la Méditerranée, c’est un symbole de mort terrestre tout autant qu’un signe salvateur – au ciel et sur terre – que la tête décapitée de Jean-Baptiste a représenté pendant de nombreux siècles.
Notes de bas de page
1 A. Fine, op. cit., p. 215.
2 M. Agulhon, Pénitents et Francs-Maçons de l’ancienne Provence, Paris, Fayard, 1984, p. 23-24. Les pénitents ne représentent qu’un type particulier de groupement associatif, parmi d’autres illustrés essentiellement par les confréries de métier. Ils manifestent des caractères communs avec ces différents mouvements, notamment par l’appellation même de confrérie, leur but à caractère religieux, un fonctionnement indépendant vis-à-vis du clergé, la possession d’un patrimoine constitué principalement d’une chapelle privée et de son mobilier, des revenus fonciers, ainsi que le droit de procéder à des collectes publiques. Les pénitents ont toutefois des spécificités qui les distinguent des autres compagnies. Ainsi, nul n’est tenu d’appartenir à une confrérie de pénitents, caractéristique qui marque justement la profonde originalité de ce type de confrérie : ce sont des sociétés dont on peut ne pas être membre. Aucun critère social apparent ne vient justifier, non plus, l’adhésion à un de ces groupements. En théorie, on ne devient pénitent ni par l’appartenance à une certaine classe d’âge, ni par l’exercice d’une certaine fonction au sein de la société, ni par son métier. Idéalement, seul le libre souhait d’être confrère-pénitent est la condition première à l’engagement dans le mouvement pénitentiel des laïcs.
3 La couleur la plus fréquemment choisie était le blanc ; le noir venait ensuite.
4 C’est un fait notoire, les pénitents corses continuent à porter la cagoule en dépit de cette interdiction. Sans doute, mais nous ne pouvons l’affirmer, cette interdiction de l’État français remonte-t-elle à l’époque de « La Cagoule », société secrète d’extrême droite qui organisa des groupes armés dans le but de s’attaquer aux communistes.
5 Le problème du costume féminin n’a pas trouvé de solution générale. Parfois, on a conçu pour les dames un vêtement dont l’apparence se rapproche du sac porté par les hommes, et qui ne comporte pas de cagoule. C’est, notamment, le cas des pénitents blancs de Nice, toujours présents dans cette ville. Mais, à l’inverse, les confréries peuvent ne prévoir aucun élément de costume spécifique, leurs membres féminins devant se contenter de revêtir des habits civils austères, de la couleur de leur groupement d’appartenance, et de couvrir leur tête d’une mantille. À Nice toujours, cette solution a été choisie par les pénitents noirs de la Miséricorde, qui n’ont accepté des sœurs de la Miséricorde qu’à partir de 1825.
6 M. Agulhon, op. cit., p. 16-17.
7 Ibid., p. 325-342.
8 Tertullien, La Pénitence, Paris, éditions du Cerf, 1984, IX, 3-4 : Itaque exomologesis prosternendi et humilificandi homonis disciplina est, conversationem injungens misericordiae inlicem, de ipso quoque habitu atque victu. Mandat sacco et cineri incubate, corpus sordibus obscurare, animum maeroribus deicere, ilia quae peccant tristi tractatione multare, ceterum pastum et potum pura nosse, non ventris scilicet, sed animae causa ; plerumque veto jejuniis preces alere, ingemiscere, lacrimari et mugire dies noctesque ad Dominum Deum tuum, presbyteris aduolui, aris Dei adgeniculari, omnibus fratribus legationem deprecationis suae injunqere. La traduction est celle de Charles Munier, dans la même édition.
9 Jonas, 3, 4-10. Dans la Genèse, seul le sac est utilisé pour marquer le deuil quand les fils de Jacob laissent croire à ce dernier que leur frère, Joseph, a été tué par une bête féroce. Jacob déchire alors ses tuniques et pose un sac sur les hanches (cf. Genèse, XXXVII, 34).
10 Daniel, 9,1-3.
11 Manuel des offices et des prières à l’usage des confréries de pénitents, Digne, Repos imprimeur-librairie et lithographe, 1846, p. 35.
12 A. Van Gennep, Les Rites de passage, Paris, Éditions Picard, 1908, p. 137-138 et p. 241.
13 Merci à Dominique Casajus de m’avoir si aimablement informée de cet usage.
14 A. Derville, P. Lamarche et A. Solignac (dir.), « Quarante heures », t. XII, 2, p. 2702- 2708 et « Cendres », t. II, p. 403-404, dans Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, Paris, Beauchesne, 1937-1991.
15 L. Thévenon, Pénitents des Alpes-Maritimes, Nice, Serre, 1981, p. 9.
16 G.G. Meersseman, Ordo fraternitatis, Rome, Herder editrice, 1977, t. I, p. 359-363. Très vite il a été possible d’assister à des mouvements de confédération des confréries de pénitents. À cette époque ces confréries se réunissaient en fonction de l’appartenance à une même région et non, comme c’est le cas des confréries de Miséricorde, par la réunion dans une unité de dévotion et de statuts.
17 Ibid., p. 242. En ce qui concerne le détail des origines du mouvement pénitentiel et son organisation, étude qui dépasserait le cadre de notre recherche, on consultera le travail « définitif » de G.G. Meersseman, op. cit., 3 tomes, passim.
18 M. Agulhon, op. cit., p. 91.
19 G.G. Meersseman, op. cit., t. I, p. 286-290.
20 Ibid., p. 301.
21 M. Agulhon, op. cit., p. 104-107.
22 M. Di sivo, « Il fondo della Confraternita di S. Giovanni decollato nell’Archivio di Stato di Roma », Rivista storica del Lazio, 2000, p. 181.
23 M. Agulhon, op.cit., p. 86 et p. 88-89.
24 Ibid., p. 107 à 112. Citons pour mémoire les confréries de charité du Nord de la France qui remplissent un office équivalent. Cf. M. Segalen, Les Confréries dans la France contemporaine, Paris, Flammarion, 1975, passim.
25 V. Paglia, « Le confraternite e i problemi della morte », dans Ricerche di storia sociale e religiosa, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 5 (1990), p. 200-203.
26 C. Lecouteux, op. cit., 1986, p. 19-21.
27 B. Levergeois, dans G. Bruno, L’Infini, l’Univers et les Mondes, Paris, Berg International, 1987, p. 17.
28 M. Di Sivo, op. cit., p. 181.
29 G. Richa, Notizie istoriche delle chiese fiorentine, Florence, Pierre Gaëtant Viviani éditeur, 1754, t. 1, p. 127-132.
30 Ibid., p. 127. Il faut faire attention de ne pas confondre cette église, aujourd’hui disparue du paysage florentin, avec celle de Santa Croce qui, elle, est toujours bien présente dans cette ville. Santa Maria della Croce al Tempio n’en était pas très loin située, la rue des Malcontenti se trouvant à l’équerre de la place de Santa Croce accueillant l’autre église.
31 G. Rondoni, « I giustiziati a Firenze », dans Archivio storico italiano, XXVIII (1901), p. 214.
32 G. Richa, op. cit., p. 132.
33 Ibid., p. 128.
34 Ibid., p. 124-129.
35 Ibid., p. 129.
36 A. Prosperi, « Il sangue e l’anima », Quaderni storici, 17 (1982), p. 961-962.
37 Cette porte florentine n’existait déjà plus du temps de G. Richa, c’est-à-dire au xviiie siècle. Elle avait porté de nombreux noms. Elle était parfois dite « de saint François », « porte Royale » ou encore « de la Justice ». Parfois, elle était encore nommée « au Temple ».
38 G. Richa, op. cit., p. 129.
39 G. Moroni (dir.), « Arciconfraternita », Dizionario di erudizione storico-ecclesiastica, Venise, 1843, t. II, p. 300. De nos jours encore, il faut être florentin, c’est-à-dire né à Florence, pour pouvoir devenir membre de l’archiconfrérie. On permet toutefois aux personnes ayant un père lui-même né à Florence, ou aux descendants d’anciens confrères, jusqu’à la troisième génération, d’intégrer cette compagnie. Un confrère nous confia en 2005 que le respect de ce critère rendait le recrutement de nouveaux confrères difficile : l’archiconfrérie ne comptait plus alors que vingt-quatre membres. Pourtant, dès 1551, Jules III leur avait accordé le droit de recevoir des confrères qui ne soient pas florentins, si ceux-ci venaient à manquer (ms. de la liste des Privilèges accordés par les Saints Pontifes à l’Archiconfrérie de saint Jean-Baptiste dite des Florentins dans la ville de Rome, cap. XVI, Nice, 1596-1742). Dans les faits, les pénitents restent manifestement réfractaires à la mise en application de cette mesure.
40 Arciconfraternita di San Giovanni Decollato detta della Misericordia della Nazione Fiorentina in Roma 1488-1988, Rome, Fratelli Palombi, s1988, p. 11-12.
41 L. Réau, Iconographie de l’art chrétien, Paris, P.U.F., t. II, p. 113-118, et A. Derville, P. Lamarche et A. Solignac (dir.), « Miséricorde », op. cit., p. 1325-1326.
42 F. Niccolai, Opere di carità a Firenze, Florence, La Miséricorde de Florence, 1985, p. 57-63.
43 L. Réau, op. cit., t. III, p. 753-754.
44 G. Moroni (dir.), op. cit., p. 300.
45 J. Weisz, « Salvation through death : Jacopino del Conte’s altarpiece in the oratory of San Giovanni Decollato in Rome », Art History, 4 (1983), p. 395-405.
46 Archivio storico di Roma, Archivio di san Giovanni Decollato, buste 1-13.
47 G. Vasari, Opéré, Florence, David Passigli e Soci, 1832-1838, t. II, p. 1134.
48 Ibid., p. 1134.
49 Ibid., p. 976-1044.
50 Dans l’archiconfrérie romaine, l’acceptation d’un nouveau membre était soumise au vote de tous les confrères.
51 Arciconfraternità di San Giovanni Decollato detta della Misericordia della Nazione Fiorentina in Roma 1488-1988, op. cit., p. 14-15.
52 Ibid.
53 K. Eisenbichler (dir.), Crossing the Boundaries : Christian Piety and the Arts in Italian Medieveal and Renaissance Confraternités, Kalamazoo, Konrad Einsenbichler éditeur, 1991, p. 221-223.
54 R. Bellarmin, De la bonne mort ou Règles pour se préparer à bien mourir, Avignon, Seguin aîné éditeur, 1835, p. 87-88.
55 J. Weisz, op. cit., p. 396.
56 Arciconfraternità di San Giovanni Decollato detta della Misericordia della Nazione Fiorentina in Roma 1488-1988, op. cit., p. 15-16.
57 A. Prosperi, op. cit., p. 963. Ils avaient ce soin sans doute pour éviter tout usage superstitieux de ces objets : nous connaissons encore la « chance » attribuée à un morceau de corde du pendu.
58 G. Moroni (dir.), « Toscana », op. cit., t. LXXVIII, 1840, p. 66.
59 A. Prosperi, op. cit., p. 963-964.
60 Les femmes n’ont pas été ensevelies avec les hommes. La mémoire du nombre de fosses réservées aux femmes s’est mal conservée. Certains disent qu’il n’y en a qu’une seule, d’autres deux.
61 « Seigneur, quand tu en viendras à nous juger, veuille ne pas nous condamner. »
62 M. Di Sivo, op. cit., p. 187.
63 Arciconfraternità di San Giovanni Decollato detta della Misericordia della Nazione Fiorentina in Roma 1488-1988, op. cit., p. 16-17.
64 R. Bellarmin, op. cit., p. 199-200.
65 Ibid., p. 199-200 et p. 204-210.
66 S. Edgerton, « A little-known purpose of art in the Italian Renaissance », Art History, 2 (1979), p. 48-49.
67 K. Eisenbichler (dir.), op. cit., p. 34-43.
68 Nous nous sommes permis d’emprunter le titre que J.-P. Vernant a donné à un de ses ouvrages qui traite longuement de Méduse.
69 C’est-à-dire : saint Jean-Baptiste quand il fut décollé. Dans le calendrier florentin, la fête de saint Jean décollé correspond aux principales manifestations dramatiques à caractère de spectacle, même s’il ne s’agissait pas forcément chaque année d’une mise en scène de la mort du Précurseur. Cf. N. Newbigin, Nuovo corpus di sacre rappresentazioni fiorentine del Quattrocento, Bologne, Casa Carducci, 1983, p. XI et p. 109-133.
70 K. Eisenbichler (dir.), op. cit., p. 52-54.
71 Ibid., p. 45 et p. 49-53.
72 Ms. des Privilèges accordés par les Saints Pontifes à l’Archiconfrérie de saint Jean-Baptiste dite des Florentins dans la ville de Rome, cap. XXIX, Nice, 1596.
73 G. Moroni (dir.), op. cit., 1843, p. 300.
74 Arciconfraternità di San Giovanni Decollato dette della Misericordia della Nazione Fiorentina in Roma 1488-1988, op. cit., p. 17.
75 Ovide, Les Métamorphoses, Paris, Les Belles Lettres, XV, 40-45.
76 Parfois, la libération intervenait à la prison au moment où le prieur présentait l’ordre de consigne du prisonnier.
77 S. Edgerton, op. cit., p. 46.
78 A. Parisini, « Pratiche extragiudiziali di amministrazione della giustizia », Quaderni Storici, Bologne, Il Mulino, 23 (1988), p. 161-162.
79 Ibid., p. 150-152. En posant ces restrictions, les papes revenaient manifestement sur un droit qui, à l’origine, laissait les confrères seuls juges du choix de leur libération. Le texte de la liste des privilèges accordés par les Saints Pontifes à l’archiconfrérie de saint Jean décollé stipule en effet qu’ils peuvent libérer toute personne, quel que soit son crime.
80 Ibid., p. 151.
81 Ibid., p. 153-156.
82 Ibid., p. 157-158.
83 Ibid., p. 164.
84 Épître aux Romains, 6, I-II.
85 A. Fine, op. cit., p. 230.
86 Dante, Paradis, Paris, 1992, XVI, 24 : « le bercail de saint Jean ».
87 Ibid., XVI, 47 et Id., Enfer, XIII, 141-147.
88 Id., Paradis, IX, 131 : « la fleur maudite qui a dévoyé agneaux et brebis ».
89 C. du Cange, op. cit., p. 163.
90 Ibid., XXXII, 30-33.
91 « L’ange au grand pouvoir : oraison panégyrique en louange de saint Jean décollé. » (Il n’y a pas de faute d’orthographe dans le texte italien, la retranscription cf. l’original). G.C. Risari, l’Angelo di gran potere, orazione panegerica in Iode di san Gio. Battista decolato, Ferrare, 1726, 67 p.
92 J. Seznec, La Survivance des dieux antiques, Paris, Flammarion, 1993, p. 11-13. Cf. également E. Panofsky et F. Saxl, La Mythologie classique dans l’art médiéval, Saint-Pierre-de-Salerne, Gérard Montfort éditeur, 1990, p. 7-8.
93 C. Gaignebet, « Les saints successeurs des dieux à la Renaissance », dans L’Autre et l’Ailleurs : Mélangés Roger Bastide, Paris, Seuil, 1976, p. 301-305.
94 J. Carcopino, op. cit., 1956, p. 180.
95 E. Wind, Pagans Mysteries in the Renaissance, Londres, Faber and Faber Limited, 1958, P- 252-253.
96 Confederazione nazionale delle Misericordie d’Italia, Le Misericordie d’Italia, Florence, 1992, p. 27.
97 M. Agulhon, op. cit., p. 88.
98 F. Niccolai, op.cit., 1985, p. 57-63.
99 Id., Le più antiche Misericordie, Florence, Confederazione nazionale delle Misericordie d’Italia, 1993, p. 49.
100 Id., op. cit., 1985, p. 30-34 et p. 42.
101 Ibid., p. 58, et id., op. cit., 1993, p. 7.
102 P. Michaud de Beauretour, Notice historique de la Vénérable Archiconfrérie de la Miséricorde de Nice, Nice, Imprimerie Malvano-Mignon, 1881, p. 9-16.
103 M. de Alberti, « Une page religieuse de notre ville : la Vénérable Archiconfrérie de la Miséricorde », Bulletin médical des Alpes-Maritimes, 203 (1961), p. 5.
104 Ibid.
105 Ms. du Règlement de la confrérie des pénitents dits de la Miséricorde de Nice, Nice, 1494-1708.
106 Ibid.
107 L. Thévenon, op. cit., p. 147 et p. 156
108 A. Baillet, Les tableaux des chapelles de pénitents du comté de Nice, Nice, 1988, p. 17.
109 Ibid., p. 103. Il est question ici uniquement des tableaux qui sont toujours connus. En effet, ceux de quatre confréries de pénitents noirs de l’ancien comté de Nice aujourd’hui disparues n’ont pas été conservés et on ne peut donc savoir s’ils figuraient ou non, et en quelle place, la décollation de Jean-Baptiste. Il s’agit des confréries de Breil, Lucéram, Massoins et Ville-franche ; cf. p. 14.
110 Ibid., p. 101.
111 Ibid., p. 100.
112 Ce sont les chapelles de Moulinet (fin xixe siècle), Nice (1612), Saorge (1re moitié du xixe siècle), Venanson (xviiie siècle) et Tende.
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