Chapitre II. Un chef flottant
p. 61-83
Texte intégral
1En Italie l’on croit, parmi les gens de la mer, que la tête de Jean-Baptiste apparaît sur les eaux de la Méditerranée, au moment du lever du soleil, le jour de l’Ascension1. L’association de cette fête à des rites liés à l’eau et au Baptiste se retrouve fréquemment dans ce pays. En Sicile, des baignades rituelles ont lieu alors, immersions qui sont également attestées en Sardaigne pour la célébration de la nativité du Précurseur. Ces croyances, et les rites qui leur sont associés, ne sont pas spécifiques à l’Italie. À Odessa, par exemple, l’usage consistant à se laver les mains lors de l’Ascension avait été transféré à la Saint-Jean. À ces deux dates, la même vertu miraculeuse est attribuée à l’eau2. Cette affinité entre Jean et l’Ascension provient sans doute de croyances populaires ne le considérant pas seulement comme Précurseur mais qui l’associent pleinement au Christ. Cette image du chef de saint Jean flottant sur l’eau nous ramène également à l’ensemble mythique que nous avons envisagé à partir de la légende de son démembrement.
Culte de saint Jean et christianisation
2Nous l’avons dit, l’Église chrétienne a tenté d’éradiquer toute trace de l’ancien paganisme en occupant certaines dates de son calendrier par des célébrations rendues envers ses saints. Saint Jean, fêté à deux dates calendaires parfaitement distinctes, représente de ce point de vue un cas exemplaire. Le 29 août, on commémore son martyre par décollation. Nous réservons à un autre chapitre une étude détaillée de cette question. Le 24 juin célèbre sa naissance. Il a été établi depuis longtemps que cette fête est venue se surimposer à d’anciens rites solsticiaux3. Mais, nous l’avons vu, elle a aussi, en certains lieux, intégré plusieurs éléments qui avaient, jadis, appartenu au culte des divinités démembrées que nous venons d’envisager.
3La parenté qui semble s’établir entre certains usages ou récits relatifs à saint Jean et ces divinités apparaît avec la plus grande netteté quand on examine les anciennes traditions égypto-phéniciennes qui ont été le foyer de ce genre de rituels. Ainsi un témoignage datant du xvie siècle rapporte que, pour la Saint-Jean, on transportait le coffre qui conservait ses reliques depuis un monastère proche de la Babylone d’Égypte, qui était placé sous sa titulature, jusqu’à un bateau. On le menait alors par le Nil, jusqu’à un autre monastère dédié à saint Jean distant de seulement quelques kilomètres de ce lieu. La caisse contenant ces précieux ossements était alors mise à l’eau tandis que tous regardaient, cherchant à constater : cette pièce de bois allait-elle bien retourner directement, à contre-courant, comme chaque année, jusqu’à son point de départ ? Et le miracle se produisait : le coffre, allant à rebours des flots, remontait plus vite, dit-on, que ne le ferait le galop d’un cheval. Barthélemy Salignac précise même que des témoins oculaires pouvaient attester de ce miracle4.
4Ces usages nous ramènent à un thème évoqué au chapitre précédent, et dont j’ai réservé jusqu’ici l’analyse détaillée. Le monde antique a le souvenir du voyage d’un chef d’Osiris sur les flots, se rendant ainsi jusqu’à Byblos. Il avait donné lieu à la confection d’une tête en papyrus le figurant, destinée à aborder chaque année dans cette cité après avoir flotté sur la mer depuis l’Égypte5. D’autres traditions font état d’un voyage analogue effectué chaque année par la tête d’Adonis6, confondant ainsi cette divinité avec Osiris dont les habitants de Byblos prétendaient qu’il avait été enseveli dans leur ville et que c’est lui qui était célébré, en réalité, au travers du culte rendu à Adonis7. Le chef d’Orphée, jeté dans l’Hèbre, a lui aussi vogué jusqu’à Lesbos où, depuis, il rend des oracles. Les reliques de Jean remontant le Nil le rapprochent de nouveau de ces divinités démembrées, auxquelles nous avons vu qu’il avait été associé. Mais ce sont ses ossements qui, par une sorte d’allusion silencieuse à sa décapitation, jouent ici le rôle prêté à la tête de ces divinités. Le rapprochement s’impose encore davantage lorsque l’on songe à la fausse tête oraculaire, dite « de saint Jean-Baptiste », que nous avons évoquée dans l’introduction.
5En dehors de cette assimilation tardive à Adonis, ces usages égyptiens intégrés par le monde gréco-romain nous mènent à l’idée que le transfert de plusieurs thèmes de la geste osirienne aux traditions relatives à saint Jean a pu facilement se mettre en place du fait de la similitude qui existait, à l’origine, entre certaines des pratiques rituelles qui sont associées à chacun d’eux. Ainsi, à Délos, les adeptes de la religion isiaque possédaient de petites cryptes aménagées dans leur temple qui comprenaient une installation hydraulique, élément qui permet de supposer que celles-ci étaient destinées à l’accomplissement de lustrations par immersion, « baptême » qui identifiait l’initié à son dieu, noyé dans le Nil8.
6Partie d’un démembrement de Jean, suivi de la recomposition de son corps, avant une crémation de ses ossements, nous revenons à notre point de départ. Dès le xiiie siècle avant notre ère, les Égyptiens envisagent la mise à feu de chacune des tombes d’Osiris comme l’ultime recours contre une calamité. Cet usage prophylactique de cendres s’atteste également en territoire grec. Dans les villes de Colophon et d’Ilythie, notamment, on pouvait rituellement mettre un homme à mort par crémation, puis envoyer ses cendres à la mer. Ce rite était réputé repousser les dangers encourus par ces cités. À Rome, on agissait ainsi avec les animaux monstrueux. À Leucade, l’on attendait cet effet du saut forcé d’un condamné considéré comme homme-pharmakos dans la mer9.
7Ces gestes, dont Rufin nous dit qu’ils ont été accomplis sur les ossements du Baptiste par « des païens furieux », ne nous apparaissent plus comme la manifestation d’un acte parfaitement impie : ils semblent davantage s’apparenter à un fait légendaire reproduisant une structure caractéristique, constituée à partir de l’enchaînement de plusieurs actes rituels, dont l’usage est largement attesté dans le monde hellénistique afin d’évacuer une souillure.
Le plongeon
8Le lien entre le culte rendu à saint Jean sur le territoire de ce qu’on a appelé la Grande-Grèce et celui qui était pratiqué envers une divinité démembrée attestée sous différents noms dans l’ensemble de cette même zone s’établit même, en définitive, au travers de ce qui demeure son œuvre qualifiante par excellence : le baptême. En effet, nous l’avons dit, le thème de la tête de ces divinités flottant sur les eaux apparaît dans les récits comme un prolongement presque systématique de leur démembrement. Le baptême – vocation évangélique de Jean – a fait plus que donner un nom au Précurseur. Il a, sans aucun doute, contribué au développement des nombreux rites ou croyances qui associent sa tête coupée à l’élément aquatique.
9« Baptiste » est l’épithète qui sert désormais à qualifier Jean, le différenciant ainsi de l’Évangéliste. Ce mot dérive du grec baptô signifiant « être plongé dans », à partir duquel on a formé le déverbatif baptizô, voulant dire à la fois « plonger » et « baptiser ». Un nom d’agent, bapteus, a été également constitué à partir de cette racine et qualifie « les plongeurs »10.
10Ce plongeon, réinséré dans le cadre des religions antiques, n’est en rien incompatible avec l’idée du baptême, considéré par les chrétiens comme l’œuvre principale du ministère de Jean. Ce bain, s’il doit préfigurer le baptême de feu et d’Esprit-Saint du Christ, n’a pas pour autant une simple valeur lustrale ; il est une initiation. Même s’il s’agit d’un lieu commun de l’ethnologie, rappelons toutefois que tout rite initiatique est caractérisé par la mise en scène de la mort, suivie de la résurrection de l’initié. Cette idée est d’ailleurs explicitement formulée par Paul lui-même : « Par le baptême nous avons été mis au tombeau » ; « Offrez-vous à Dieu comme des êtres revenus de la mort à la vie11. »
11Même antérieurement au christianisme, plusieurs groupements religieux de la période hellénistique ont recours au plongeon dans l’eau de leurs postulants pour signifier, justement, le moment de l’initiation qui doit en faire des adeptes. C’est le cas dans des sectes aussi célèbres que celles se réclamant de l’orphisme. Dans les mystères orphiques, le passage de la condition humaine à celle des dieux était symbolisé par la chute d’un chevreau dans du lait, cet animal pouvant personnifier leur dieu, Dionysos Zagreus. Le lait est l’élément devant permettre sa renaissance mystique. Les initiés, s’identifiant à Dionysos, accomplissent un rite reproduisant cette formule orphique. Salomon Reinach a noté, à partir d’inscriptions grecques gravées sur des lames d’or entre le iiie et le ive siècle avant notre ère, et retrouvées dans des tombes antiques de l’Italie méridionale, que la formule utilisée pour qualifier ce bain, « és gal’ épeton » (littéralement : « et j’ai trouvé du lait »), implique l’idée d’un plongeon du postulant et non une simple immersion. Le lait ne signifierait ici qu’une allégorie, le plongeur chutant simplement dans de l’eau. La secte athénienne des Baptai, largement répandue dans cette ville à la fin du ve siècle et qui, comme l’orphisme, était originaire de Thrace, devait son nom aux plongeons dans l’eau de ses initiés12.
12Jérôme Carcopino, dans La Basilique pythagoricienne de la Porte-Majeure, a longuement étudié un motif de stuc représentant une femme en train de plonger. Il identifie cette scène comme une figuration du fameux saut de Sappho à Leucade, accompli non pour se noyer mais pour renaître. Ce plongeon correspondait à une phase rituelle d’un culte à Apollon. En l’honneur du dieu de Leucade, on continuait à célébrer en cet endroit un rite consistant à précipiter du haut d’un rocher élevé une victime humaine destinée soit à s’engloutir avec le poids de ses fautes, soit à en réchapper libérée de son impureté, selon la volonté d’Apollon. Les prêtres d’Apollon cherchaient cependant à réduire les risques encourus par le plongeur en attachant à son corps des plumes et des oiseaux dont l’envol amortirait la chute13.
13Le plongeon initiatique féminin ne se limite ni à Leucade, ni à Sappho. Ino se précipite du haut d’une roche à Corinthe. Elle est reçue par les Néréides, avant d’être métamorphosée en la déesse Leucothéa. Les pythagoriciens ont attribué un tel saut à Pénélope pour racheter les fautes d’Ulysse14...
14Quel qu’en soit l’acteur, de l’héroïne épique au condamné, ce plongeon, comme le baptême, ne poursuit jamais qu’un seul but : procurer la conversion, mieux, la métamorphose du plongeur. De la même façon, il semble que ce soit ce plongeon, proprement baptismal, que subissent les chefs d’Adonis, Orphée, ou encore d’Osiris qui leur offre l’initiation apte à les doter d’une parole à connotation prophétique.
15Ce même thème se retrouve dans les légendes valdôtaines qui disent que la tête de saint Jean-Baptiste se retrouve douée de parole alors qu’elle est plongée dans un puits. Ce récit, qui appartient aux Vies de saint Grat, est loin d’être le seul élément hagiographique à représenter un intérêt pour l’anthropologue. En effet, il convient ici de parler d’une véritable « invention » de ce saint – au sens étymologique – au xiie siècle, placée entièrement sous l’autorité du Précurseur du Christ.
Saint Grat
16Saint Grat est originaire d’Aoste mais sa dévotion s’est répandue bien au-delà de cette vallée. Il est, ou a été, l’objet d’une ferveur particulière notamment en Savoie, dans le Piémont et sur le territoire de l’ancien comté de Nice. Il apparaît comme un saint agraire réputé protéger les cultures contre les intempéries, en sachant éloigner la foudre et la grêle, mais aussi les animaux nuisibles.
Culte et hagiographie d’un évêque d’Aoste
17L’iconographie le représente en évêque, portant crosse et mitre. Son attribut le plus caractéristique reste cependant la tête coupée de saint Jean-Baptiste, qu’il tient en l’une de ses mains, rappelant ainsi qu’il est allé chercher ce saint chef jusqu’en Terre Sainte. Même si sa sainteté est essentiellement basée sur ce miracle, son rôle de protecteur des campagnes est malgré tout fréquemment mis en avant dans l’imagerie religieuse. Il apparaît alors tenant d’une main la tête de Jean et, de l’autre, intimant à la foudre ou à la grêle, voire aux deux, d’épargner les lieux placés sous son patronage.
18Saint Grat possède une hagiographie bien définie qui, évidemment, ne manque pas d’évoquer le miracle de l’invention du chef de saint Jean. Selon celle-ci, il a vécu au viiie siècle et est issu d’une bonne famille d’origine grecque puisqu’il était, dit-on, le fils du duc de Sparte. Il étudie à l’école d’Athènes avant de devenir dignitaire à la cour pontificale. Par la suite, il défend la foi au second concile de Nicée puis est nommé ambassadeur du pape Adrien auprès de Charlemagne.
19Finalement, il devient évêque d’Aoste après avoir reçu un appel de Dieu lui-même dans une église de Rome, au cours d’une extase. Il parvient à extirper le paganisme de son diocèse tout en combattant l’hérésie et, ainsi, y restaure la foi.
20Au même moment, à Sébaste en Asie Mineure, une femme allant tirer de l’eau à un puits a la surprise de voir lui apparaître au-dessus de la margelle la tête de Jean-Baptiste. Le saint chef se présente à elle et lui dit qu’il n’acceptera de quitter ce puits que si Grat, évêque d’Aoste, vient le chercher. Saint Grat, prévenu par le pape, se met alors en route. Arrivé à Sébaste, il se rend près du puits en question où il reste un long moment en prière, accompagné d’une foule de clercs et de nombreux fidèles, jusqu’au moment où le chef du Précurseur saute dans ses mains. Grat va alors à Rome, emmenant avec lui la précieuse tête, qu’il remet au pape. À son arrivée en ville, les cloches des églises se mettent à sonner d’elles-mêmes et deux enfants morts ressuscitent. Il reçoit du pape, en remerciement, la mâchoire du Baptiste, qui est toujours conservée en la cathédrale d’Aoste dans un reliquaire d’argent. Sa vie s’achève sans voir l’accomplissement d’autres faits notables15.
Les données historiques
21Aux yeux de l’histoire, l’image que nous pouvons nous forger de saint Grat est toute différente, voire quasi inexistante. De ce point de vue, il nous est seulement possible de confirmer qu’il fut bien évêque d’Aoste mais au ve, et non au viiie siècle comme le prétend son hagiographie. Ce fait nous est assuré par la signature qu’il apposa au concile de Milan en 451 et par sa pierre tombale, retrouvée à la fin du xiie siècle, dont l’inscription date manifestement de cette époque. Cette dernière nous révèle aussi son dies natalitio : le 7 septembre.
22Le plus spectaculaire demeure cependant la promotion subite, voire à première vue inopinée de Grat qui, jusqu’à la fin du xie siècle, n’apparaît dans aucun sanctoral, pas même dans le diocèse d’Aoste. En bref, entre sa mort au ve siècle et la fin du xie siècle, il n’est quasiment plus question de lui. Mais, dès lors, un mouvement de résurgence progressive se cristallise autour de sa figure jusqu’à le faire accéder, finalement, au rang de saint patron du diocèse d’Aoste puis de nombreuses localités de Savoie, du Piémont et du comté de Nice.
23La première mention qui en est faite après son décès se remarque à peine. Il faut lire la Vita interpolata de saint Maurice, chef de la légion thébaine, pour retrouver au détour d’une phrase une allusion à saint Grat. Il y est précisé, en effet, que le corps de saint Innocent – un des compagnons de Maurice – étant tombé dans le Rhône, on le retira du fleuve puis que les évêques Domitien de Genève, Grat d’Aoste et Protais du Valais l’ensevelirent solennellement avec les autres martyrs de cette légion16.
24Il faut cependant attendre le xie siècle pour qu’un missel de l’église de Saint-Maurice, en l’occurrence celui de la ville de Brusson en Maurienne, inscrive Grat dans son martyrologe à la date du 7 septembre17.
25Au xiie siècle, la tombe de saint Grat est découverte. On estime, bien qu’elle n’ait pas été retrouvée in situ, qu’elle provenait certainement de l’église paléochrétienne de Saint-Laurent alors en cours de transformation. Sa pierre tombale est formée d’un marbre gris provenant d’Aymaville, petite localité voisine. Elle porte l’inscription « HIC REQUIESCIT IN PACE SC M GRATUS EPS DP SUD VII ID SEPTEMB18 ». À la suite de sa découverte, elle est transportée au hameau de Saint-Christophe où elle se trouve encore. La stèle est aujourd’hui exposée sur l’un des murs de l’église. Immédiatement après sa découverte, c’est d’abord à la léproserie de cet endroit, désignée sous le nom de Maladière, qu’elle avait été transportée, tandis que ses reliques échoyaient à la collégiale Saint-Ours d’Aoste. Les nombreux miracles de guérison de lépreux qu’ont leur a attribués ont incité les autorités religieuses d’Aoste à opérer le transfert de ces reliques de la collégiale Saint-Ours à la cathédrale. Cette translation a dû avoir lieu au cours du xiiie siècle, mais aucun document ne permet d’en préciser l’année. L’événement est commémoré au 27 mars. Il est possible de supposer que le rôle joué par saint Grat dans la guérison des lépreux tient à l’homonymie existant entre son nom, désignant une maladie de peau, et son antidote : la « grate », « gratte », ou encore « gratele », qui qualifie en ancien français aussi bien la gale qu’une eau ou un onguent apte à en débarrasser rapidement19.
26Dès 1265, le chanoine Jacques de Cours écrit une vie de saint Grat, la Legenda Magna Sancti Grati. Ce récit est le premier d’une longue lignée à laquelle appartient notamment un texte, datant de 1390, portant le même nom et qui correspond essentiellement à une transcription de la première légende augmentée de quelques-uns des plus fameux miracles opérés par la vertu de ses reliques. Peu après la rédaction de la première Vie de ce saint, deux évêques d’Aoste, Jacques (1214-1219) et Boniface (1220-1243), choisissent pour sceau l’image de saint Grat. Le 17 avril 1284, saint Grat et son disciple, saint Jocond, sont proclamés saints patrons de la vallée d’Aoste. Le culte de saint Grat se diffuse dès lors rapidement car il devient l’objet d’une grande vénération populaire, contrairement à l’évêque Gall, découvert en 1300 dans le même périmètre que celui où était apparue la première tombe, mais dont l’invention ne lui vaudra que le titre de bienheureux20.
La dévotion à saint Grat à Aoste
27Un important culte s’organise donc autour de saint Grat dans la cité d’Aoste, peu après la découverte de sa tombe. Celui-ci a su perdurer jusqu’à nos jours. Grat partage la titulature de la cathédrale avec la Vierge de l’Assomption et saint Jean-Baptiste. Au milieu du xixe siècle, des statues représentant chacun d’eux ont d’ailleurs été édifiées au sommet de la façade21. Mais Grat n’est pas seulement le saint patron d’Aoste et un des saints titulaires de la cathédrale : les cloches de cet édifice lui sont également dédiées. Ses reliques, désormais conservées par la cathédrale, sont évoquées dans l’Office de ce saint depuis 138022. Cet édifice recèle, en outre, de nombreuses représentations iconographiques de ce saint. On peut l’y voir tenant simplement la tête de Jean dans sa main ou bien mettant en échec la foudre qui menace. Il est aussi figuré ressuscitant deux enfants lors de son retour de Terre Sainte avec le chef du Précurseur. Un tableau propose un thème plus rare encore. Il est composé de deux scènes : sur l’une, Grat présente au pape la tête de Jean-Baptiste ; l’autre figure notre saint évêque rapportant à Aoste la précieuse mâchoire accordée par le pontife. Ces scènes, en elles-mêmes, sont déjà assez inaccoutumées au regard de son iconographie traditionnelle, mais la façon dont y est dépeint le chef de saint Jean est, à notre connaissance, unique. Au lieu d’apparaître sous les traits d’une tête humaine encore formée de chair, comme il est d’usage habituellement, il prend l’apparence d’un crâne. La mâchoire de saint Jean, donnée à saint Grat, étant toujours représentée à l’état d’os, sans doute est-ce son image qui s’est surimposée ici. Mais nous pourrions également émettre l’hypothèse que ce type de représentation est issu d’une influence provenant du crâne de saint Jean d’Amiens, qui est bien connu à cette époque.
28À Aoste chaque église, chaque chapelle est susceptible de manifester la présence de saint Grat, et pas seulement au travers de peintures, de fresques ou de statues. La collégiale Saint-Ours en présente ainsi une petite effigie sculptée dans le bois d’un des sièges conventuels.
29Le calendrier valdôtain ne compte pas une mais deux fêtes dédiées à ce saint. La première est fixée au 27 mars et commémore la translation de ses reliques. La seconde correspond à son dits natalitio ; elle est célébrée le 7 septembre, conformément aux indications fournies par sa stèle funéraire.
30Au 27 mars, le coutumier de la cathédrale d’Aoste prévoit une célébration avec sortie du grand bras reliquaire et du chef de saint Grat. On y chante la messe de saint Jean, puis s’ensuit une procession solennelle, accompagnée des capucins et des pénitents. À cette occasion, le chanoine sacristain doit faire préparer de l’eau et de la terre pour les faire bénir en l’honneur de saint Grat et les distribuer ensuite, tant aux habitants d’Aoste qu’aux étrangers qui viennent en procession23.
31Les festivités du 7 septembre sont bien plus importantes. Elles ne se restreignent pas à une journée mais couvrent un triduum : la vigile, le jour en lui-même et le lendemain qui célèbre la nativité de la Vierge. Ces trois jours ont pendant longtemps été chômés dans tout le diocèse. Ces fêtes étaient très solennelles et la population y participait avec un grand empressement24. À présent, seul le 7 septembre est demeuré férié. La liturgie prévoit, en cette occasion, une fête solennelle et pontificale. Dans la cathédrale, les trois saints chefs de Jean, Grat et Jocond doivent être exposés aux fidèles dès la vigile de la célébration. La grand-messe du 7 septembre est suivie d’une procession solennelle des trois chefs et des deux châsses des saints valdôtains qui sortent accompagnés des capucins, des pénitents, des Cordeliers, et du chapitre de Saint-Ours25. Dans le temps, la tradition voulait que la châsse de saint Grat soit portée par quatre hommes originaires du Valais, considérés comme les gardes de cette précieuse cassette. Cette tradition rappelait la légende du vol de cette châsse, emportée à l’étranger, et finalement découverte par des maçons du Valais qui réussirent à la reprendre et la restituèrent à la cathédrale. La veille de la Saint-Grat, on a coutume d’allumer des feux de joie dans la ville, comme pour la Saint-Jean26.
32Traditionnellement, Aoste compte une autre procession pour la Saint-Grat. Celle-ci se rend en direction d’un ermitage dont on dit qu’il était celui du saint, situé à proximité de la cime du mont Pila à 1767 mètres d’altitude. Cette procession ne réunit que deux ou trois paroisses. Le départ a lieu d’Aoste, généralement vers 3 heures du matin. À 8 heures, à l’arrivée à l’ermitage, a lieu une messe solennelle, puis la bénédiction du saint sacrement, et finalement une messe basse. À 14 heures, la procession se met de nouveau en marche et redescend vers Aoste. Ce lieu est, depuis le XIIIe siècle, une source incessante de pèlerinages, particulièrement en vue d’obtenir la pluie27.
Aoste et la maison de Savoie
33Cette naissance subite d’un culte fervent à saint Grat impose de s’interroger sur le milieu qui est à son origine en considérant, notamment, des aspects politiques auxquels elle semble étroitement liée. Joseph-Gabriel Rivolin a déjà estimé que son développement ne peut être que le fruit d’une manipulation politique. Mais, cantonnant son étude au seul territoire d’Aoste, il ne semble pas en mesure d’apercevoir le phénomène sous une juste perspective. Il l’associe à un mouvement de revalorisation de la fonction épiscopale à Aoste, ville qui, entre 1230 et 1375, vit huit évêques provenir du clergé séculier sur les onze qui ont rempli cette charge au cours de cette période28. Que la promotion du culte de saint Grat ait été, à la base, associée à une manipulation du clergé séculier valdôtain, voilà qui est fort possible. Mais cet élan n’expliquerait en rien que cette dévotion ait connu un tel essor en dehors de la vallée d’Aoste et qu’elle ne soit pas demeurée une tradition strictement locale. Or il est une autre puissance politique que le clergé, celle exercée par le pouvoir laïc, représentée à cette période en Val d’Aoste par la maison de Savoie. Et, sans limiter notre attention à la seule région d’Aoste, pour examiner l’ensemble des lieux attestant un culte à saint Grat, nous ne pouvons que remarquer la coïncidence de ces territoires avec ceux de cette maison. Une telle concomitance se dégage avec une netteté plus grande encore si l’on tient compte des données chronologiques. Il apparaît alors clairement que la légende et le culte de saint Grat grandissent à mesure que les seigneurs de Savoie affirment leur pouvoir et étendent leurs territoires.
34C’est sur un milieu complexe que la maison de Savoie va s’édifier, tant sur le plan géographique que sur le plan humain, ses territoires n’ayant jusqu’alors connu aucune véritable stabilité ou même unité politique. Quand elle reçoit le Val d’Aoste, dès 1025, la maison de Savoie n’en est encore qu’à ses prémices. Celui-ci sera la possession que cette Maison conservera le plus longtemps, puisqu’il lui appartiendra jusqu’en 1946. Les liens entre Aoste et la maison de Savoie sont si forts que c’est parmi cette population qu’ils choisissent les membres de leur garde personnelle. À Aoste encore se tiennent des audiences de justice, ou audiences générales, et ce jusqu’au milieu du xive siècle29.
35En se plaçant dès le départ sous l’autorité du Saint Empire romain germanique, Humbert, son fondateur, et après lui ses descendants vont non seulement acquérir une permanence dynastique mais aussi étendre largement leurs possessions. Dès la première moitié du xie siècle, Humbert se retrouve à la tête du Belley, de la Savoie, de la Maurienne, d’Aoste, du Chablais, de Sermorens et du Viennois et jouit de certaines prérogatives sur le Piémont et le Valais. Cette entreprise n’a toutefois pas lieu sans heurts. Entre le xie et le xive siècles, nombreuses sont les résistances que ceux qui ne sont alors que comtes de Savoie doivent affronter pour maintenir et étendre leur assise. Ils sauront toujours trouver des solutions face aux difficultés représentées, notamment, par les multiples tentatives d’émancipation du Piémont, les résistances des évêques et des seigneurs laïcs devant leur autorité, la constitution d’une coalition antisavoyarde et l’affaiblissement, au xiie siècle, de l’Empire germanique. Le xive siècle marque le point d’orgue de ce mouvement avec l’achèvement de la constitution du Piémont savoyard et la prise de possession du comté de Nice en 138830. C’est désormais apaisée que la maison de Savoie peut poursuivre un avenir politique qui devait durer jusqu’au milieu du xxe siècle.
36Comme toute maison jeune, la Savoie a eu besoin, à ses débuts, non seulement d’asseoir sa légitimité, mais aussi de se créer une identité. Cela s’est avéré d’autant plus nécessaire que sa constitution s’est heurtée, au départ, à de nombreuses difficultés politiques et religieuses. Pour ce faire, elle s’est inscrite dans une volonté de légitimation par le religieux, quête qui se note tout au long de son histoire, c’est-à-dire dès le xie siècle. Maurice initie ce processus en devenant le premier protecteur de la dynastie. Rappelons à ce propos que le premier missel intégrant saint Grat dans son martyrologe émane d’une église de Maurienne dédiée justement à saint Maurice et qu’il date du xie siècle, époque coïncidant avec celle où se constitue la dynastie des Savoie. Or, nous l’avons vu, Grat est associé à Maurice et à la légion thébaine dès le vie siècle puisque la vita interpolata de Maurice attribue à Grat le transfert des reliques d’un de ses compagnons. Et nombreux sont les témoignages, légendaires ou historiques, de la vénération particulière que la famille de Savoie a toujours manifestée envers notre saint. La Magna legenda Sancti Grati tout d’abord, dans sa version augmentée de 1390, ne manque pas d’associer cette famille à un des miracles attribués aux reliques de Grat. Bonne de Bourbon, tout d’abord, mère d’Amédée VII, nourrissait, dit-on, une profonde dévotion envers ce saint. S’étant rendue à Aoste, elle demande qu’il lui soit permis de contempler le corps du saint évêque et d’en emporter une relique. On accède à son désir en lui remettant une de ses dents. Quand elle quitte la cité d’Aoste, cette dent se met à saigner abondamment à peine s’est-elle éloignée de ce lieu, et une tempête d’une force exceptionnelle éclate alors, empêchant la comtesse de Savoie de rentrer chez elle. Elle revient donc à Aoste pour rendre la relique. La dent une fois restituée et remise en place, la tourmente cesse. En 1429, Amédée VIII demande également à bénéficier d’une relique de saint Grat. Monseigneur Moriset, alors évêque d’Aoste, lui accorde un os de l’échine et, en remerciement, la cathédrale reçoit une somme conséquente. Puis c’est au tour du duc Philibert II, à la fin du xve siècle, de requérir pour son compte des reliques de saint Grat. L’une d’entre elles était conservée dans sa chapelle à Turin. En 1503, il fait une nouvelle demande et obtient alors une partie des ossements de sa tête. En 1535, Charles III proclame une défense solennelle à toute personne de se rendre en armes à Aoste, ou même d’en porter, à l’occasion de la fête de saint Grat, sans une permission du bailli du duché, de façon à empêcher que la solennité de cette célébration ne puisse être troublée. En 1581, il est mentionné que Charles-Emmanuel Iers’est rendu à Aoste le jour de la fête du saint, pour pouvoir prendre part à la procession organisée en son honneur. En 1657, viennent à Aoste, pour y vénérer les reliques de saint Grat, plusieurs membres de la famille de Savoie qui, en remerciement, offrent à la cathédrale une lampe en argent massif particulièrement destinée à l’exercice de la fête pontificale de la Saint-Grat31.
37Loin de se limiter aux membres de la famille de Savoie, le culte de saint Grat connaît un véritable mouvement de ferveur populaire qui ne se limite pas au Val d’Aoste ou à la Savoie, et s’étend à l’ensemble des territoires appartenant à cette dynastie au fur et à mesure de leur essor. Ainsi, une enquête réalisée entre 1892 et 1897 par Pietro Stefano Duc, auprès de l’ensemble des diocèses piémontais, révèle l’existence sur ce territoire d’une dévotion rendue à saint Grat dont la ferveur, l’importance et la solennité n’avaient rien à envier à celles d’Aoste32. La dévotion rendue à saint Grat était, en effet, fortement présente en Piémont, et l’usage d’en faire un jour chômé était même très fréquent dans ses diocèses. La célébration d’une fête de telle importance à la veille de la nativité de la Vierge a parfois posé problème à certains diocèses, dont celui de Turin, qui était sous le patronage de la Madone. Aussi la date des festivités dédiées à saint Grat a-t-elle quelquefois été déplacée au 9 septembre, mais ce jour est resté de toute façon férié. Dans le seul diocèse de Turin, P.S. Duc a dénombré pas moins de cinquante-quatre paroisses et chapelles dédiées à saint Grat33. À la suite du don, en 1475, d’une relique de saint Grat, le diocèse de Moncalieri a incité ses fidèles à célébrer la fête du saint évêque avec davantage de dévotion en accordant une indulgence de quarante jours à ceux qui auraient suivi dévotement les premières vêpres, la messe chantée et les secondes vêpres, et ce pour chacun de ces exercices. Nombreux sont les témoignages de la population à propos de miracles opérés grâce à la protection de saint Grat en Piémont. Signalons celui de Teresa Rocci, veuve du chevalier Rocci, en 1894. Elle estimait que ses terres, qui toujours avaient été dévastées par la grêle et de fréquents orages, devaient au don d’une relique de saint Grat reçue de monseigneur Jourdain d’être désormais épargnées, tandis que celles de ses voisins continuaient à subir les intempéries34. Le diocèse d’Ivrea était celui qui, après Turin, accordait le plus d’importance au culte de saint Grat. L’église qui lui a été dédiée appartenait initialement à la paroisse de Saint-Maurice, passée sous la titulature de saint Grat après 1695. Or, nous l’avons dit, l’association de ces deux saints doit nous interpeller35.
38Par ailleurs, il semble impossible de trouver des témoignages d’un culte organisé de saint Grat en dehors des territoires ayant appartenu à la maison de Savoie.
39À la fin du xve siècle, la maison de Savoie obtient le saint suaire qu’elle brandira désormais comme objet de sa légitimation. Le contact étroit de la maison de Savoie avec l’image authentique du Sauveur lui procure alors une véritable sacralité. Mais le culte de saint Grat n’en est pas oublié pour autant. Il convient ainsi de noter qu’au chapitre des bénédictions de saint Grat, il en est une qui associe le rite à observer pour la translation de saint Grat au saint suaire36. D’autre part, le jour de sa fête est toujours considéré comme férié au xixe siècle, et même au xxe siècle en ce qui concerne Aoste et le Piémont.
Hypothèses sur l’élaboration du culte de saint Grat
40En définitive, comment et pourquoi le culte de saint Grat s’est-il constitué ? L’invention de ses reliques aurait très bien pu demeurer un phénomène quasiment inaperçu, comme ce fut le cas pour saint Gall. Les pistes permettant d’interpréter la formation et le développement de ce culte sont nombreuses, de nature variée, mais, loin de s’ignorer, elles semblent au contraire se rejoindre de façon à former un ensemble cohérent.
41Tout d’abord Grat a été évêque d’Aoste. À partir du vie siècle, le monde chrétien d’Occident adresse sa vénération citadine non plus aux seuls martyrs mais aussi aux évêques. Ce phénomène se produit dans une relation de continuité par rapport aux fonctions que le pontife a exercées de son vivant. Il est, par définition, le « pater... non dominas37 ». À travers lui, la fonction de tutelle et d’assistance est une puissance dont l’exercice lui est imposé par le précepte même de la charité. Il ne peut s’y soustraire : il est l’intercesseur nécessaire. On retrouve d’ailleurs une insistance constante sur l’idée de continuité du rapport entre l’évêque et son peuple, prolongement garanti, en un certain sens, par la présence de ses reliques. Ce que le peuple chrétien va demander à son saint patron-évêque, ce n’est pas seulement un secours spirituel, mais aussi des garanties civiles face aux modifications des formes de la société dans l’instabilité des équilibres politiques ; il se confie également à lui pour être préservé de tout piège et de tout abus des puissances terrestres38.
42L’élément déterminant, quant au choix de la personne de Grat, demeure à notre avis sa mention dans la Vitu interpolata de saint Maurice, premier protecteur de la maison de Savoie. Associé à son hagiographie dès le vie siècle, il est devenu dès lors un sujet de choix pour servir d’ancrage dévotionnel. Mais surtout, derrière saint Grat, c’est Jean-Baptiste que l’on retrouve. Or, non seulement Aoste, mais également la Savoie, vouaient déjà un culte très développé au Baptiste. Avant l’an mil, la Maurienne en possède même des reliques : deux de ses doigts.
43Il y a plusieurs hypothèses pour l’étymologie du nom de Jean. Suivant Jérôme, il signifie « Dominus gratia ejus », « la grâce de Dieu ». Mais plus tard, saint Pierre Damien modifie cette interprétation en « in quo est Gratia Dei », c’est-à-dire « en qui est la grâce de Dieu39 ». Apparaissant presque comme en miroir du nom de Jean, Grat est celui « qui rend grâce ». Nous sommes presque étonnée de n’avoir jamais vu évoqué, dans les notices relatives à Grat, le rapprochement qui peut s’opérer entre ces deux saints à partir de leur nom. Comme l’attestent la Bible, Platon dans Le Cratyle, Isidore dans Les Étymologies ou encore La Légende dorée de Jacques de Voragine à l’époque médiévale, l’étymologie des noms a longtemps été considérée comme revêtant une importance capitale. Dante n’hésite pas à dire : « Nomina sunt consequentia rerum40. » Est-il besoin de rappeler que les notices de la Légende dorée commencent par donner toutes les étymologies possibles du nom d’un saint pour s’efforcer, aussitôt, de montrer que sa vie a été préfigurée par cette signification ? L’association entre le Précurseur du Christ et l’évêque d’Aoste s’imposait donc par leur nom même.
44On peut signaler d’autre part que, dans le Valais, province appartenant également à la maison de Savoie et dont on a vu le rôle qu’elle jouait dans les légendes et la liturgie attachées à ce saint, on appelle Gratzug les chasses nocturnes, phénomène intimement lié aux morts. Ce nom leur avait été donné car elles imposaient de transporter le trépassé par-dessus la crête de la montagne41. Or le thème de la chasse nocturne est traditionnellement associé à saint Jean-Baptiste dont la fête, au 24 juin, en était une des dates privilégiées. De plus Gratzug résonne étrangement comme la forme latine Gratus.
45On ignorait tout de saint Grat. On pouvait donc, à sa guise, modeler des données hagiographiques et, même, lui attribuer un miracle notable qui, en l’honorant, honorait à travers lui son peuple, puisque le chef de saint Jean, lui-même, aurait demandé que Grat allât le chercher. Sans doute afin de mieux légitimer l’histoire, l’événement est situé à la fin du viiie siècle, date à laquelle l’église Saint-Sylvestre de Rome est entrée en possession d’un chef de saint Jean considéré comme authentique et qui était entier, à l’exception de la mandibule42. On se souvient qu’Aoste possède toujours la mâchoire de saint Jean.
46De plus, nous avons vu qu’un ajout à la légende de saint Grat cherche à établir un lien direct entre ce saint et la maison de Savoie en mettant en avant la profonde dévotion de l’épouse d’Amédée VII, Bonne de Bourbon, envers lui.
47Avec saint Grat, c’est à travers l’autorité du Baptiste, le Précurseur, que la maison de Savoie a cherché, un temps, à assurer sinon la légitimité, du moins l’identité de sa maison.
48Ce lien établi entre saint Grat et un personnage célèbre pour sa décapitation évoque, comme en miroir, son « double » féminin, sainte Grate. Cette matrone, ou veuve de Bergame, sainte d’époque incertaine, représente sans doute deux personnages différents qu’une homonymie a fini par confondre. Ses légendes et son iconographie nous intéressent pourtant. Grate est représentée tenant en main une tête d’homme décapité. Cette fois, il ne s’agit pas de Jean-Baptiste, mais de saint Alexandre de Bergame. L’identité de ce saint est elle-même sujette à caution. Il est parfois identifié à l’Alexandre cité dans la Vie de saint Maurice, c’est-à-dire à un des légionnaires qui réussirent à échapper au massacre de la légion thébaine. Il serait ensuite revenu dans sa ville, Bergame, où finalement il fut décapité. Après sa mort, Grate aurait fait enterrer le saint martyr et fait édifier une basilique sur son tombeau. La lecture de la Vie de saint Maurice est, de ce point de vue, tout à fait instructive. En quelques lignes, nous trouvons rassemblés Maurice, Grat et l’Alexandre de Bergame dont sainte Grate porte la tête décapitée43. Les commentaires sont ici superflus...
Saint Pétrone
49Le cas de saint Grat n’est pas isolé. La volonté d’asseoir une légitimation politique sous l’égide d’une sainte figure peut être mise en évidence à de nombreuses reprises au cours de l’histoire. Nous envisagerons simplement ici le saint patron de Bologne, dont l’invention hagiographique est très proche, chronologiquement, de celle de saint Grat et dont l’exemple vient appuyer notre démonstration de l’influence de cette composante identitaire sur la diffusion d’un culte.
50Ce n’est qu’au xiiie siècle que le saint patron actuel, Pétrone, évêque du ve siècle dont on a tout ignoré pendant des siècles, accède à cette titulature. Déjà, au début du xxe siècle, les historiens mettaient en rapport la naissance et le développement de ce culte avec la nouvelle suprématie des Guelfes à Bologne. Comme pour Grat, le début de la promotion de Pétrone suit de près l’invention de ses reliques en 1141. Mais, à ce moment-là, aucun sentiment citadin de vénération ne se réveille parmi les Bolonais. Il faudra attendre encore quelques dizaines d’années pour que les Guelfes aient l’idée de forger un personnage de défenseur privilégié de la cité au travers de la figure de saint Pétrone44. Le culte de saint Pétrone n’a pas essaimé, restant limité à la ville de Bologne. À l’inverse, et pourtant dans la plus parfaite obédience de ce genre de phénomènes, c’est sur l’ensemble des territoires de la maison de Savoie que Grat a pu voir son culte se propager.
51On voit donc que l’élément déterminant dans la construction et dans la propagation du culte de saint Grat, tel que nous le connaissons, n’est pas lié, contrairement à l’opinion la plus répandue, au clergé séculier d’Aoste, mais bien à la famille de Savoie.
L’exemple du comté de Nice
52Examinons plus particulièrement le cas du comté de Nice, rattaché à la France depuis le plébiscite de 1860, et voyons quelles évolutions a connues le culte de saint Grat sur un territoire qui, par suite d’un changement d’autorité politique, n’appartient plus désormais à la maison de Savoie.
53Le culte de saint Grat s’est développé très rapidement dans le comté de Nice après qu’il soit devenu possession de la maison de Savoie en 1388. Moins d’un siècle plus tard, viennent en témoigner des œuvres picturales commandées à des artistes dont les noms figurent parmi les plus notables des primitifs niçois de l’époque, tel le retable de Jacques Durandi, datant du milieu du xve siècle et destiné à l’église paroissiale de Lucéram. Il représente saint Jean-Baptiste avec, à dextre, sainte Barbe et, à senestre, saint Michel, saint Paul et l’Évangéliste. Au niveau supérieur se trouve le Christ en pitié. À la gauche du Christ se tiennent saint Grat et sainte Agathe et, à sa droite, saint Pierre et sainte Lucie. Lucéram compte également des fresques de Jean Baleison remontant approximativement à 1480, que l’on peut encore admirer à la chapelle Saint-Grat de Lucéram. Grat est figuré sur le mur du chevet, portant la tête nimbée de saint Jean, à côté de saint Denis et à la droite de la Vierge à l’Enfant qui est au centre. À droite, sont placés saint Sébastien, présentant une des flèches de son martyre, et sainte Catherine. Vers la même époque, Jean Baleison a également laissé une représentation de saint Grat dans la chapelle Saint-Sébastien de Venanson. Il est aussi figuré sur le mur du chevet, à droite de la scène principale où l’on peut contempler le martyre de saint Sébastien. Sur la gauche, nous reconnaissons saint Roch45. Au moment où sont composés ces ensembles, nous sommes donc très certainement en présence d’un culte déjà constitué sur ce territoire.
54Une dévotion à ce saint – présente ou passée – est attestée dans au moins vingt localités du comté de Nice, certaines d’entre elles – comme Ilonse et Saint-André – possédant même des reliques de Grat. Nombreuses en sont les représentations sur ce territoire, aussi n’est-il pas rare de se retrouver face à une figuration de saint Grat, même dans une localité qui ne lui a jamais rendu de culte particulier. Il en est ainsi à Bonson, L’Escarène, Èze-Village, La-Roquette-sur-Var, Roure et Venanson.
55Le premier effet du rattachement du comté de Nice à la France a signifié la perte du statut de jour férié pour la Saint-Grat. Cette mesure a sans doute été un élément prépondérant, au cours des ans, de la tendance générale d’affaiblissement, voire de disparition du culte de saint Grat que l’on peut constater à l’heure actuelle sur ce territoire. Sur les vingt communes recensées, cinq seulement continuent à célébrer une messe pour le 7 septembre et uniquement trois d’entre elles – Cantaron, Lucéram et Saint-André – associent office religieux et procession en l’honneur de saint Grat. Lucéram, d’ailleurs, n’organise pas la procession au jour de la fête du saint mais pour l’Ascension. À Saorge, au début du xxe siècle, une procession avait encore lieu en l’honneur de saint Grat le lundi de Pâques. Une telle translation des fêtes patronales sur les grandes dates du festiaire chrétien est assez récente et, somme toute, banale.
56Saint Grat reste, dans l’ancien comté de Nice, le saint patron de seulement deux localités : Ilonse et Saint-André. Or, seule cette dernière commune continue à lui rendre un culte. Le fait vaut d’autant plus d’être relevé qu’Ilonse était, dans ce comté, le village qui, au cours des siècles, a manifesté la plus importante dévotion à saint Grat. Il y eut même ici une confrérie de pénitents regroupés sous sa titulature. Mais celle-ci s’est éteinte au cours du xxe siècle. La chapelle, qui subsiste encore, est ornée de fresques, pourtant de facture récente puisqu’elles sont datées de 1949, qui représentent saint Grat entouré d’angelots, protégeant les cultures devant le village. L’église paroissiale possède un reliquaire et un buste de Grat, buste qui, jusqu’en 1975, était porté en procession à la chapelle du saint où l’on célébrait une messe au jour de sa fête. Un tableau à l’autel de la Vierge le représente dans l’église. Sur cette figuration, il ne tient pas la tête de Jean mais le Baptiste apparaît à son côté, en Précurseur, désignant l’agneau qui est couché aux pieds de Grat. À sa gauche, l’évêque est entouré par « l’autre » Jean, l’Évangéliste. Ainsi donc, même à Ilonse où il a été autrefois l’objet d’une fervente dévotion, il n’y a plus ni pénitents de saint Grat, ni procession pour sa fête. Lors de notre passage, en 1994, traînait au fond de l’église, abandonné par terre, un tableau troué. L’œuvre ne manque pourtant pas d’intérêt. Grat y tient en main la tête de saint Jean et contemple ses attributs épiscopaux chus à terre. Sic transit gloria mundi...
57Dans cette même zone, Saint Grat est encore le saint patron secondaire de quelques localités : Bendejun, Cantaron et Châteauneuf-Villevieille. Jusqu’en 1911, ces trois agglomérations n’en formaient d’ailleurs qu’une seule. Mais, nous l’avons dit, seule Cantaron célèbre encore cette fête en associant messe au 7 septembre et procession devant l’église en vue de bénir les campagnes. Bendejun se contente de la célébration d’un office. Les cloches de son église portent pourtant l’effigie du saint46.
58Au hameau dit de Saint-Grat, à Belvédère, on célèbre parfois dans l’année une messe en l’honneur du saint. Curieusement, celle-ci a généralement lieu vers le 10 août. Cette date et les conditions de célébration de cette messe sont en effet tributaires tant des disponibilités du desservant, qui doit se partager entre de trop nombreuses paroisses, que des périodes de fréquentation estivale des habitants.
59Mais la grande majorité de ces villes ou villages de l’ancien comté de Nice ne voue plus de culte à saint Grat. La Trinité, dont la cotitulature de l’église associe la personne de saint Grat, a seulement préservé à son autel une statue le représentant. Aucun autre signe de dévotion ne lui est associé, pas même une de ces marques discrètes tels un cierge, un bouquet, un modeste chapelet accroché au bras... De la même façon, Châteauneuf-Villevieille et Beaulieu possèdent tous deux un reliquaire de saint Grat mais on ne peut plus y constater le moindre indice d’un culte.
60Des lieux tels Saint-Martin-Vésubie, Tourette-du-Château et La-Tour-sur-Tinée ont compté, autrefois, une chapelle dédiée à Saint-Grat ; ces édifices sont à présent détruits. D’ailleurs, aujourd’hui, rares sont les gens à connaître, sinon l’histoire, du moins le nom de saint Grat dans le comté de Nice. La dévotion rendue à ce saint sur ce territoire n’a résisté qu’à grand-peine à la séparation identitaire d’avec la maison de Savoie.
Notes de bas de page
1 Etnograjia e folclore del mare, Naples, L’Art typographique, 1957, p. 400.
2 M. Hamilton, Greek Saints and their Festivals, Toronto, University of Toronto Press, 1982, p. 154.
3 A. Van Gennep, op. cit., p. 1472.
4 B. Salignac, Itinerarium hierosolamitae, s.l., 1587, p. 87.
5 J. Hani, op. cit., p. 66-68.
6 M. Hamilton, op. cit., p. 162-163.
7 Lucien, La Déesse syrienne, Paris, éditions de la Maisnie, 1980, 7.
8 J. Hani, op. cit., p. 267.
9 Ibid., p. 278-280 et J. Carcopino, De Pythagore aux Apôtres : études sur la conversion du monde romain, Paris, Flammarion éditeur, 1956, p. 47. Les condamnés qui avaient réussi à sortir sains et saufs du saut de la roche de Leucade pouvaient conserver la vie mais devaient rester en exil. Cf. M. Delcourt, Œdipe ou la Légende du conquérant, Paris, Les Belles Lettres, 1944, p. 32-33.
10 P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1968, t. I, p. 164 et G. Kittel (dir.), « Βάπτω », dans Grande lessico del Nuovo Testamento, Bresce, Paideia Éditrice, 1965, t. 1, p. 42.
11 Épître aux Romains, 6, 4 et 6,13.
12 S. Reinach, op. cit., p. 569-577.
13 J. Carcopino, La Basilique pythagoricienne de la Porte-Majeure, Paris, éditions l’Artisan, 1926, p. 371-385, et id., op. cit., 1956, p. 9-12 et p. 36-42.
14 Ibid., p. 70-81, et F. Delpech, « Le plongeon des origines », Revue de l’histoire des religions, Ernest Leroux éditeur, 217 (2000), p. 203-257.
15 P.A. Frutaz, Le fonti per la storia della valle d’Aosta, Aoste, Tipografia Valdostana, 1998, p. 177-198. L’auteur reproduit l’intégralité du texte datant de 1390 intitulé Magna Legenda Sancti Grati.
16 Acta Sanctorum, « De S. Mauritio », Paris et Rome, Victor Palmé éditeur, 1869, t. VI de septembre, p. 348-349.
17 P.A. Frutaz, « Un missel noté du xie siècle », Revue grégorienne, Solesmes, Abbaye St-Pierre, mai-juin 1929, p. 1-8.
18 « Ici repose en paix de sainte mémoire Grat évêque inhumé au jour VII des ides de septembre. » Nous remercions Michel Tardieu de nous avoir indiqué quelle lecture il convenait de donner à cette inscription. La pierre mesure 180 cm de long et 92 cm de large. Les lettres sont hautes de 3 à 3,5 cm.
19 F. Godefroy, « Grate », dans Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du ixe au xive siècle, réimpr. Vaduz, Kraus, 1965, t. IV, p. 338 et A. Tobler et E. Lommatzsch, « Gratëiz », dans Altfranzösisches Wörterbuch, Stuttgart et Wiesbaden, Franz Steiner Verlag G.M.B.H. 1960, t. IV, p. 567.
20 J.-G. Rivolin, « Quelques remarques sur le culte des saints en vallée d’Aoste au Moyen Âge », dans Le culte et ses rites : des témoins manuscrits aux expressions de la dévotion populaire. Actes du colloque international d’Aoste (2-3 avril 1993), Aoste, Imprimerie de la Vallée, 1994, p. 131.
21 E. Brunod et L. Garino, La cattedrale di Aosta, Aoste, Musumeci éditeur, 1996, p. 77.
22 P. Giardelli, Santi e diavoli : le tradizioni popolari valdostane, Gênes, Sagep éditrice, 1997, p. 145.
23 L. Colliard, « Le coutumier de la cathédrale d’Aoste », dans Recherches sur l’ancienne liturgie du Val d’Aoste et les usages religieux et populaires valdôtains, Aoste, Musumeci, 1974, t. V, p. 61-62.
24 A.M. Careggio, La religiosità popolare in valle d’Aosta, Aoste, Tipografia valdostana, 1992, p. 103.
25 L. Colliard, op. cit., p. 74-75 et p. 68.
26 P. Giardelli, op. cit., p. 182.
27 Ibid., p. 144-145.
28 J.-G. Rivolin, op. cit., p. 132.
29 R. Brondy (dir.), La Savoie de l’an mil à la Réforme, Évreux, Ouest-France université, 1984, p. 156.
30 Ibid., p. 322.
31 P.-S. Duc, Le Culte de saint Grat, évêque et patron du diocèse d’Aoste, Turin, 1896, p. 10-12.
32 Id., « Il vescovo san Grato fuori della diocesi d’Aosta », Recherches sur l’ancienne liturgie d’Aoste, Aoste, 1899, t. III, p. 7-43 ; t. IV, p. 133-167 ; t. VI, p. 263-307, pour le détail du culte, diocèse par diocèse.
33 Ibid., p. 24-26.
34 Ibid., p. 26-27.
35 Ibid., p. 144.
36 Id., Bénédictions de saint Grat, Aoste, Imprimerie J.B. Stévenin, 1892, p. 14 : « La veille le chanoine sacristain doit faire parer l’autel du Saint Suaire qui est dans la sacristie des Reliques, pour y chanter la messe le lendemain. Il doit en outre faire préparer un cuvier de la contenance d’environ une charge, rempli d’eau, qu’il doit bénir en se servant de la formule de l’eau et bénir en l’honneur de saint Grat. De même il doit faire remplir de terre la caisse qui est dans ladite sacristie, qu’il doit bénir aussi et distribuer au peuple, et il donne dix sols à l’aquarier pour ses peines. »
37 Jérome, Lettres, Paris, Les Belles Lettres, 1954, LXXXII, n.
38 A.M. Orselli, « Il santo patrono citadino », dans Agiografia altomedievale, Bologne, Éditions Il Mulino, 1976, p. 94-96.
39 Enciclopaedia dantesca, « Giovanni Battista », Rome, Istituto della Enciclopaedia italiana, 1971, t. III, p. 180.
40 Citation de Dante, Vita nova, Milan, 1999, XIII, 4. Cela signifie « les noms sont la conséquence des événements ».
41 C. Lecouteux, « Les chasses nocturnes dans les pays germaniques », Iris, 18 (1999), p. 39.
42 C. du Cange, Traité historique du chef de saint Jean-Baptiste, Paris, Imprimerie royale, 1665, p. 158-170.
43 J. de Voragine, La Légende dorée, Paris, 1998, p. 536 et Bibliotheco Sanctorum, « Grata », Rome, 1913, t. VII, p. 152-153.
44 A.M. Orselli, Immaginario religioso nella città medievale, Ravenne, Éditions du Girasole, 1985, P- 151-159.
45 M. Roques, Les peintures murales du Sud-Est de la France, Paris, Éditions A. et J. Picard, 1961, p. 282.
46 T. Bermond, Mon village : Bendejun, Nice, Éditions de l’ÉcoIe professionnelle, 1931, p. 57 et p. 61-62. Les cloches ont été achetées à Gênes et à Lyon.
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Essai d’anthropologie historique et sociale
Claudine Gauthier
2012
Enfermements. Volume I
Le cloître et la prison (vie-xviiie siècle)
Julie Claustre, Isabelle Heullant-Donat et Élisabeth Lusset (dir.)
2011
Du papier à l’archive, du privé au public
France et îles Britanniques, deux mémoires
Jean-Philippe Genet et François-Joseph Ruggiu (dir.)
2011