Le ravisseur et la femme ravie au haut Moyen Âge
Un couple devant la justice ?
p. 19-40
Résumés
Bien souvent, les couples issus d’un rapt ne passent pas devant un tribunal à la fin de l’Antiquité et au haut Moyen Âge en Occident, car un compromis est accepté socialement, alors que la loi y voit toujours quelque chose de répréhensible. C’est dans une Constitution de Constantin que naît le « crime de rapt » proprement dit : alors que jusque-là le rapt débouchait naturellement sur la formation d’un couple par le mariage réparateur, l’introduction d’une nouvelle définition juridique vise justement à empêcher toute reconnaissance d’un couple né du rapt. Le déshonneur ressenti par la parentèle de la femme, plus social que sexuel, pousse l’entourage à reconnaître le couple en dissimulant le rapt ou en obtenant que le ravisseur reconnaisse sa faute et fasse amende honorable devant la communauté. Le couple devient alors un couple de plein droit, comme ceux nés d’un mariage conclu selon les règles. Les lois barbares sont d’ailleurs en général assez permissives en ce domaine, tant que le ravisseur et la jeune fille ne sont pas de statut trop dissemblable, ce qui recoupe les préoccupations des parents. L’intérêt des ecclésiastiques, quasi nul à la fin de l’Antiquité, devient primordial à partir du ixe siècle, à propos du mariage et donc du rapt. Mais ceux-ci n’envisagent pas réellement les choses d’une façon différente : même si le couple est fondé sur l’amour ou du moins le consentement partagé (la réalité du consentement de la femme étant bien difficile à déterminer), la législation canonique sur le rapt montre un regain d’intérêt et de rigueur qui n’empêche pas la plupart des couples issus d’un rapt de perdurer : les traces du passage de l’homme (plutôt que du couple) devant un tribunal signent en général l’impossibilité de l’union.
Very often, the couples made up through abduction or elopement don’t come in front of a court during Late Antiquity and early Middle Ages because a compromise is socially accepted, while the law always consider it as reprehensible. In the 320’, the emperor Constantine made a constitution which trully created the abduction as a specific crime, and distinguish it from rape. Until then, a couple would quite “naturally” be formed, and subsequently marriage would be settled, whereas the new legal definition aimed exactly at preventing any recognition of a couple after an abduction or an elopement. The dishounour-more of a social than a sexual nature-felt by the woman’s relatives, urges them to acknowledge the couple, as far as they can hide the facts or make the abductor admit his faults and the father’s authority in front of the community. The couple was then acknowledged as a true couple, just as if it would have been made up through a normal marriage. Moreover, barbarian laws were rather tolerant, as far as there was no huge discrepancy between the abducted girl’s social status and her abductor’s: that point is also the families’ great concern. The clergy shows no interest in marriage or abduction at first: it changes during the 8 and 9th century. Nevertheless, the ecclesiastical point of view doesn’t differ much from the lay one. Even if the couple is united by love or a mutual consent (whose reality is always difficult to determine from the sources), canon law is very strict about the prohibition of any subsequent marriage. But this doesn’t prevent most couples to perdure after an abduction or an elopement. Scarce sources evoke the abductor (rarely the couple) coming to court: when it happens, it seems that it is the end of it, whereas compromises allow often the survival of their couple.
Texte intégral
1Le rapt et le haut Moyen Âge1 : le thème comme la période envisagée entretiennent une relation complexe avec les notions de couple et de justice. Bien souvent les couples impliqués dans ces affaires ne passent pas devant un tribunal car on considère que l’affaire est acceptée socialement, alors que la loi y voit toujours quelque chose de répréhensible, bien que les arrangements soient parfois prévus explicitement. Plus encore que la question d’une intimité qui s’exprimerait face à la justice, se pose un véritable problème d’opposition et d’intrication du privé et du public. La législation tardo-antique met en compétition l’autorité du père et celle du souverain dans une lutte dont les enjeux dépassent en fait le couple. Alors ce ne sont ni les protagonistes, ni les parents, ni le juge qui permettent à l’affaire de surgir en justice : tout le monde, même un esclave, peut agir.
2Il faut saluer aussi les organisateurs du colloque pour avoir choisi de parler de justices au pluriel. Au-delà de la dichotomie justice laïque/justice ecclésiastique, toutes les instances de compromis qui participent pleinement du processus judiciaire ne doivent pas être oubliées : elles sont souvent le lieu où l’existence du couple se forge et exprime les divers liens qui unissent l’homme et la femme, alors que nous ne voyons souvent que l’homme exprimer sa volonté. Le consentement de la femme est alors en général exhibé, voire inventé a posteriori, ainsi que celui de ses parents. L’intérêt des ecclésiastiques, quasi nul à la fin de l’Antiquité, devient primordial à partir du ixe siècle, à propos du mariage et donc du rapt. Bien souvent l’existence du couple issu du rapt est niée en justice, et il est bien rare de voir apparaître et s’exprimer le couple en tant que tel. Le déshonneur mis en jeu est plus social que sexuel, même si les deux sont fondamentalement liés. Le fait que l’affaire soit rendue publique et passe en justice, d’une façon ou d’une autre, met en jeu essentiellement l’honneur du père de la femme. Et ce déshonneur est un obstacle important au passage en justice, qui pousse l’entourage à reconnaître le couple.
3Nous montrerons tout d’abord comment la notion de couple et le couple lui-même ont été bannis du tribunal dans l’Empire des années 320, alors que la femme en particulier jouait un rôle essentiel tant que viol et rapt n’avaient pas été distingués. Nous verrons ensuite que, au haut Moyen Âge, les lois barbares, tout en réprouvant le rapt, permettent au couple issu du rapt d’exister dans la majorité des cas, et les autorités ecclésiastiques demeurent très hésitantes. La promotion du couple et du consentement des époux reste en réalité très théorique.
La difficulté à définir le couple issu du rapt dans l’Antiquité romaine
Le rapt chez les rhéteurs
4Les écrits des juristes les plus anciens n’évoquent pas à proprement parler le rapt. Le rapt n’est ainsi pris en compte ni par la Lex Iulia de maritandis ordinibus (18 av. J.-C.), ni par la Lex Papia-Poppaea (9 ap. J.-C.) d’Auguste2. Cette différence tient peut-être au fait qu’Auguste s’intéressait davantage, au travers de ses décisions concernant l’adultère et l’encouragement au mariage et à la procréation, au statut des enfants et à leur nombre qu’à la cellule conjugale elle-même. Les manuels rédigés par les rhéteurs du Ier siècle av. J.-C. et des deux premiers siècles de notre ère (les Controverses de Sénèque l’Ancien, les Declamationes du Pseudo-Quintilien et celles de Calpurnius Flaccus), s’ils évoquent tous des cas de raptus, n’établissent pas de distinction claire entre des actes relevant du rapt ou du viol. Les mobiles du ravisseur/violeur ne sont pas mis en valeur : seul le fait qu’une femme ait été agressée sexuellement semble importer. Ils mettent en scène sous la forme d’exercices de style de véritables dilemmes en matière de droit et développent des débats souvent improbables. Les exercices des rhéteurs romains sont sans doute fortement influencés par la tradition rhétorique hellénistique dans leur forme comme dans les thèmes qu’ils abordent3. Malgré toutes les précautions qui doivent être prises avec ce genre très particulier de sources, le témoignage des rhéteurs est cependant précieux dans la mesure où il nous éclaire aussi sur les pratiques qui devaient être de mise dans des cas plus classiques, où violeur et victime, ravisseur et ravie étaient des protagonistes de la vie ordinaire4. Sans être forcément la fille du pirate5, toute femme violée semble avoir eu le droit de décider du sort de son assaillant.
5Le règlement du rapt suit quasiment toujours la même logique dans les controverses et les déclamations : la fille ravie ou violée doit choisir elle-même le sort de son agresseur. Soit elle décide de l’épouser sans que son père ait à verser de dot, soit elle demande sa condamnation à mort. La chose est à ce point claire et établie que Calpurnius Flaccus ne rappelle pas le principe qui régit les cas de viols/rapts, mais mentionne seulement la Raptarum lex6. Une controverse au moins évoque clairement le mariage comme but du raptus : la controversia 16 de Calpurnius Flaccus. Un partisan du raptor avance que le jeune homme serait un prétendant de longue date de la jeune fille, qui se serait impatienté... Le mariage pouvait donc être conçu comme un réel but du rapt et/ou du viol. Il n’empêche que cette controverse n’est pas explicite, car la jeune fille n’a pas choisi d’épouser son agresseur, mais s’est contentée de se taire et de pleurer devant le tribunal. A-t-elle subi des pressions de sa famille qui refuse le mariage à tout prix et a les moyens de la faire renoncer, même si elle était consentante lorsqu’elle a été enlevée ? L’espoir que pouvait avoir le violeur d’épouser sa victime apparaît plus nettement dans la controversia 25 du même Calpurnius Flaccus. La jeune fille a choisi de demander la mort de son agresseur. Le frère de celui-ci, qui avait le droit de réclamer deux grâces à cause d’une action héroïque qu’il avait accomplie, demande de sauver sa tête et que la fille soit tuée à sa place. Le violeur est déçu et s’y oppose : il pensait que son frère demanderait pour lui la main de sa victime !
6C’est la jeune fille qui paraît à première vue avoir eu seule le choix de la peine à infliger au raptor, en tant que victime d’une agression qui la touche personnellement. Le père est en réalité concerné, et au minimum cherche à peser sur la décision de sa fille. Celle-ci n’est d’ailleurs pas seule à compter : le ravisseur doit obtenir l’aval de son propre père et de celui de la jeune fille dans les trente jours qui suivent l’agression s’il veut pouvoir être sauvé7. Le père peut retenir chez lui sa fille pour qu’elle ne puisse se présenter devant le tribunal8 ou user de son pouvoir de persuasion. La declamatio 270 du Pseudo-Quintilien raconte l’histoire d’un père qui pousse sa fille à remplacer sa jumelle afin qu’elle se fasse passer pour elle au tribunal et demande la mort du violeur de sa sœur après qu’elle s’est suicidée. Dans ce cas, le père de la victime semble craindre que l’absence de celle-ci ne rende le juge plus clément. Le père a cependant le droit d’attaquer en justice l’agresseur de sa fille9. La volonté du père semble tout de même ne pas être prépondérante : le Pseudo-Quintilien10 raconte l’histoire d’un pauvre qui rachète une fille captive, alors qu’un riche décide de la violer. La fille choisit d’épouser son violeur alors que le père avait promis de donner sa fille à celui qui la rachèterait. Le violeur compte bien que son agression lui permettra de récupérer la fille sans ouvrir sa bourse. Le raptus peut bien correspondre à un moyen de contourner les projets de mariage dressés pour une jeune fille en particulier. Par des voies détournées et en tournant à son avantage le principe qui régit le règlement des affaires de rapt, un homme ou une femme peut arriver à ses fins. Un couple peut être créé par la seule volonté de l’un ou de l’autre, énoncée au tribunal. Parfois, il ne s’agit cependant pas tant de créer ou d’officialiser par la ruse un couple que de récupérer des biens. Il en va ainsi des mariages réparateurs entre une victime et son ravisseur décédé.
7Après le rapt et plus souvent le viol, deux peines peuvent donc être appliquées à l’agresseur : la mort ou le mariage, sans paiement de la dot bien évidemment. Pourquoi la victime pouvait-elle être amenée à choisir le mariage plutôt que la mort de son agresseur ? Plusieurs possibilités transparaissent au travers des textes. On peut évoquer tout d’abord la possibilité de se marier avec plus riche que soi pour la jeune fille. La paire riche/pauvre revient en effet souvent dans les controverses. Le riche peut obtenir par le viol une jeune fille pauvre que son père lui refusait. Cela est d’autant plus vrai que la jeune fille voyait sans doute dans l’union avec son ravisseur sa seule chance de se marier. Il ne devait pas être facile de trouver un mari pour une jeune fille pauvre et de plus violée, avec le risque de grossesse que cela impliquait. Il n’est dit explicitement que la jeune fille doive recevoir les biens du ravisseur que lorsque le ravisseur est mort avant que l’affaire ne soit passée devant le tribunal. La victime pouvait-elle choisir après coup le mariage afin d’être considérée comme une veuve et d’hériter, selon le principe voulant que la femme reçoive les biens de son mari11 ? Les rhéteurs se préoccupent peu des cas où la jeune fille et le raptor auraient préparé ensemble l’agression : comment était-elle prouvée, dénoncée ? Grâce aux cris dont nous parlent si souvent les sources plus tardives ou les textes bibliques ? Quelques controverses évoquent cependant une éventuelle collusion entre la « victime » et son ravisseur. Pour Sénèque, il est possible que la deuxième jeune fille violée durant la même nuit par un homme soit en fait une complice qui cherche à lui éviter la mort en demandant à le prendre pour mari12. Quant au Pseudo-Quintilien, il évoque un cas où une jeune fille fait croire à la consommation d’un rapt pour épouser un homme plus pauvre qu’elle13. Son père, qui s’était résolu à accepter le mariage, est furieux lorsqu’il apprend qu’aucun viol n’avait eu lieu et il déshérite sa fille. Celui qui demande à pouvoir répudier sa femme pour épouser celle qu’il a ravie/violée a peut-être lui aussi bénéficié d’un faux témoignage de sa prétendue victime. Ne chercherait-il pas à se débarrasser dans les conditions les plus avantageuses de son épouse afin de pouvoir épouser sa complice14 ?
8Un effort certain est tenté pour définir le raptus à l’époque sévérienne, mais il ne vise apparemment pas à le distinguer du viol. Les juristes d’alors s’attachent davantage au moment où s’est exercée la violence physique et au rapport de force qui a alors été mis en jeu. Paul définit la force nécessaire pour qualifier un acte de raptus comme un assaut qui ne peut être repoussé15. Ulpien s’intéresse quant à lui à la peur qui est ressentie par la victime16. Mais pour l’instant, aussi bien l’enlèvement ou la fuite, le viol que la combinaison de ces deux éléments peuvent être qualifiés de raptus. Si elles se rapportent à la force physique de l’homme, qui vient à bout de la résistance de la femme, ces mentions font apparaître pour la première fois en arrière-plan le problème de la réaction de la femme. Une Constitution datant de 293 rapporte le cas d’un homme dont la future belle-fille avait été enlevée et le fils séquestré17. Cependant, là encore, la violence est la caractéristique qui intéresse le législateur, et c’est la Lex de vi qui est invoquée. Or, la Lex de vi publica prévoyait des peines qui excluaient totalement la possibilité pour l’agresseur d’épouser sa victime18. La mort s’appliquait en effet à tous les contrevenants, quoi qu’en pense la jeune fille agressée, et les Institutiones (14) de Marcien précisent même que la prescription quinquennale ne pouvait être invoquée. Marcien (ou les compilateurs qui le firent entrer dans le Digeste) avait en effet explicitement affirmé que la Lex de adulteriis, qui prévoyait le recours à la prescription quinquennale, n’était pas assez dure et que le rapt dépassait de loin le crime d’adulterium19.
La Constitution de Constantin sur le rapt
9C’est dans une Constitution de Constantin que naît le « crime de rapt » proprement dit : tentative d’épouser une femme par la force, crime contre le père et la parentèle, et non agression sexuelle dont la femme elle-même apparaissait jusque-là comme la principale victime20. La Constitution édictée en 320 ou 32621 contre le rapt par cet empereur (Code théodosien 9, 24, 1) apparaît comme le premier texte juridique romain qui cherche à réprimer le seul rapt à but de mariage22. L’homme et la femme sont présentés comme deux acteurs à part entière du crime, mais il est cependant impossible d’après cette Constitution que le couple se présente en tant que tel face au tribunal. La culpabilité commune de l’homme et de la femme ne pouvait déboucher que sur la négation de tout lien légitime entre le ravisseur et sa victime plus ou moins consentante. Il était totalement interdit à la femme enlevée de paraître au tribunal alors qu’auparavant cette comparution était absolument nécessaire pour que soit réglé le destin du raptor.
10La notion de raptus, dont le contenu était assez vague jusqu’à l’avènement de Constantin, prend alors un sens bien précis en droit. Le rapt consiste en une tentative violente de se saisir de la fille d’autrui pour en faire sa femme, avec la complicité de celle-ci ou contre son gré. Cette définition qui met en avant l’offense faite aux parents, censés être à l’origine des tractations matrimoniales, vise en fait sans doute à éradiquer la pratique des mariages dits « réparateurs ». L’atteinte portée à l’autorité parentale était désormais au centre de la définition du rapt. La volonté de l’État de défendre cette autorité ne conférait cependant pas aux parents de la victime le droit de régler l’affaire à l’amiable si cela leur convenait. En s’en prenant à l’autorité des parents, le ravisseur commettait un acte générateur de trouble à l’ordre public : les conséquences du rapt dépassaient dès lors le cadre des intérêts des parents de la victime. L’intrusion du législateur dans les pratiques matrimoniales et sexuelles à l’époque de Constantin ne relève pas tant d’une « moralisation » du droit que de la volonté du souverain de se poser comme le protecteur naturel des transferts de biens, matériels et symboliques, qui s’effectuaient au moment du mariage.
11Dans ce cadre, l’absence ou la présence du consentement de la fille n’avait aucune importance dans la définition du rapt. La femme est même présentée systématiquement comme une complice potentielle du ravisseur, qui se laisse convaincre facilement de sacrifier les intérêts des siens en adoptant une attitude qui remet en cause leurs stratégies matrimoniales. La Constitution sur le rapt met en avant une totale incapacité juridique de la femme en même temps que son infériorité de nature, se référant à un ancien droit qui semble bien différent en réalité des mesures précédentes, et en particulier de celles sur le rapt23. L’incapacité de la femme à parler devant un tribunal fait partie intégrante de la définition du rapt pour Constantin. Il semble donc impossible au couple d’exister devant la justice, alors même que la femme est considérée comme la complice de son ravisseur, quelles que puissent être les preuves de la résistance de la femme au rapt.
12Constantin considérant toute fille enlevée comme a priori consentante, la Constitution de 320/326 ne s’attarde guère sur cette question. Le consentement de la jeune fille lui-même reste pour Justinien un élément secondaire, comme il l’était déjà aux yeux de Constantin. Dans la Constitution de 533, même si la « victime » est consentante, la peine du ravisseur n’en est pas réduite pour autant, et aucun mariage n’est possible par la suite24. L’empereur byzantin apporte tout de même un correctif important à la Constitution de 320/326 en ce qui concerne le cas de la jeune fille consentante elle-même. La fille enlevée n’est pas considérée a priori comme coupable et n’est donc pas frappée d’exhérédation. Son statut de victime est pleinement reconnu, puisque c’est à la jeune fille qui a été enlevée sans son consentement que reviennent les biens du ravisseur.
13Cette nouveauté ne correspond pas à une vision totalement renouvelée de la femme. Justinien revient sur la faiblesse féminine25, tout comme l’avait fait Constantin en 320/32626 : les femmes sont sensibles aux avances et aux artifices des hommes. Il n’en tire cependant pas les mêmes conséquences. La femme est faible et se laisse gagner par les arguments de l’homme. Pour Constantin, cela implique que la plupart des cas de rapt correspondent en fait à des fuites auxquelles les femmes ont consenti, d’autant que leurs serviteurs ou leur propre famille pouvaient favoriser les avances du ravisseur. La femme est donc punie, consentante ou non. Du point de vue de Justinien, cette faiblesse féminine sert à justifier le fait que la même peine soit appliquée au ravisseur, que la fille soit considérée comme consentante ou non. Le ravisseur est un roué, capable d’emporter l’assentiment de sa proie par de nombreux artifices...
14Les parents de la fille sont de temps à autre stigmatisés par la loi parce qu’ils ont accepté un mariage subséquent. Dans la plupart des cas, les parents évitent en effet le recours à la justice afin d’éviter les peines qui auraient dû s’abattre sur leur fille. La conclusion de l’affaire par un arrangement direct entre les parties permettait également de ne pas exposer l’honneur de la famille. Dans certaines circonstances, il est également possible que les parents aient non seulement accepté un mariage subséquent, mais aient pleinement participé à la conception du projet de rapt et donc à la formation du couple, dont ils protègent ensuite le statut. La complicité des géniteurs de la jeune fille avec le ravisseur paraît surtout plausible dans le cadre du droit romain. Des parents ne peuvent en effet marier honorablement leur fille sans lui apporter une dot plus ou moins conséquente. S’ils se trouvent dans l’impossibilité de s’acquitter d’une telle somme, ils peuvent être tentés de faire organiser un simulacre de rapt par le garçon qui aurait accepté d’épouser la fille sans dot. C’est un moyen d’accepter un gendre qui n’était peut-être pas tout à fait de leur rang, mais dont ils peuvent se contenter à condition que tout le monde soit prêt à penser qu’ils en étaient fort contrariés. Les sources ne sont hélas pas explicites sur l’existence de tels rapts.
15Avec Constantin, le rapt devient un crime en soi et connaît un traitement législatif spécifique. Ainsi, de crime privé, frappant au cœur la cellule familiale, il devient crime public, comme une atteinte à l’ordre de la société27. Il est bien difficile d’apprécier la manière dont ces lois ont été appliquées mais, outre que l’empereur se donne clairement les moyens d’intervenir en précisant les modalités détaillées de son action, l’organisation de la justice du Bas-Empire semble avoir été capable de lui assurer une efficacité au moins partielle28. L’un des objectifs de Constantin est donc de renforcer toutes les mesures qui permettent de faire remonter les affaires de rapt devant le juge. Une autre de ses préoccupations consiste à s’assurer que le juge en question soit à même de résister à toutes les pressions qui pourraient peser sur lui. Les clarissimes n’ont notamment pas le droit de for lorsqu’ils se sont rendus coupables de rapt, et ils doivent être recherchés et punis par le juge dont dépend la circonscription où s’est déroulé le rapt29. Constance affirme avoir pour but de renforcer l’autorité des juges et de faciliter leur action alors même qu’il allège les peines infligées au ravisseur, puisque la sévérité de la peine qui lui était réservée retardait son application30. Justinien a également pour but d’accroître l’efficacité et la rapidité de la répression lorsqu’il prescrit que les proches de la femme tuent sur-le-champ le ravisseur et ses complices s’ils sont pris sur le fait31. Le rapt est explicitement exclu de toutes les mesures de grâce : il fait partie des crimes dont l’atrocité empêche qu’ils fassent l’objet de la grâce pascale32. Dès la Constitution de Constantin sur le rapt33, il est interdit au ravisseur de faire appel, disposition qui s’applique aux forfaits les plus fortement réprouvés. Honorius prescrit que le coupable de rapt, comme ceux de quelques autres crimes capitaux, soit immédiatement déféré au tribunal34. Le but est donc de briser le couple le plus rapidement possible et de systématiser le recours à la justice, même par l’usage de délateurs esclaves35. Le couple à peine issu du rapt n’a pas même à être considéré comme tel.
16En revanche, si l’union perdure sans être dévoilée pendant plusieurs années, la stabilité du couple et le statut des enfants qui en sont issus priment. Une Constitution de Valentinien, Valens et Gratien de 374 (CTh. 9, 24, 3) limite à une durée de cinq ans la possibilité de dénoncer une union conclue à la suite d’un rapt. Cette mesure ne traduit pas un changement de regard porté sur le rapt. Si à première vue elle paraît assouplir la Constitution de Constantin, elle a très bien pu être rédigée dans le même esprit et viser la mise en valeur de l’institution matrimoniale, en assurant la stabilité d’unions considérées par leur entourage comme viables depuis de longues années et sans doute fertiles. La marque d’infamie ne poursuit pas le couple indéfiniment, et le texte affirme la légitimité des héritiers qui ont été procréés dans le cadre de ces unions36. Les éventuels problèmes de succession sont réglés définitivement par la loi qui tire les enfants nés du rapt d’une situation fausse. Ils sont désormais à l’abri d’une dénonciation : les enfants pouvaient auparavant perdre et leur statut social et leur héritage, et ce des dizaines d’années après le déroulement plus ou moins chaotique du mariage de leurs parents, alors même qu’il était difficile de trouver des témoins pour soutenir leur cause.
17L’attitude de Constantin correspond à une conception du rôle du droit dans la société et le pouvoir politique qui s’est profondément modifiée. Le droit matrimonial des Constitutions ne fait pas que s’immiscer dans le privé mais en énonce les règles : le mariage par rapt n’entraîne pas seulement des sanctions pénales, mais aussi civiles. Les princes tentent d’affirmer leur autorité en se posant en protecteurs de la stabilité familiale37 contre les éventuelles velléités des couples, ou plus souvent du ravisseur seul, de venir s’imposer hors des stratégies matrimoniales établies par les chefs de famille. De là vient la gravité propre du crime de rapt, qui entre à l’époque de Constance dans la liste des cinq crimes capitaux38. La loi constantinienne est avant tout le reflet du désir de l’empereur d’imposer son contrôle dans des affaires qui semblaient jusque-là concerner en priorité les pères de famille. Même si les rois barbares ne prétendent pas intervenir aussi directement et n’en ont sans aucun doute pas les moyens, ces mesures trouvent un écho évident dans leurs législations.
Des couples reconnus ou brisés par les justices au très haut Moyen Âge
18Les traces laissées par les procès de rapt au haut Moyen Âge sont très rares. Comme souvent à cette époque, l’espace italien est le plus richement fourni et, finalement, le seul à transmettre des actes concernant ce genre d’affaires. La rareté des sources de la pratique qui sont consacrées à des rapts ne tient pas qu’à des problèmes de transmission. Certes ces affaires concernaient essentiellement des laïques, et les moines, principaux acteurs de la copie des actes, n’avaient pas de raison d’en conserver la trace. Et encore eût-il fallu que ces actes existent. Comme, d’une façon générale, les conflits concernant les laïques se réglaient plutôt par le biais d’une procédure purement orale, et que le rapt, en particulier, faisait souvent l’objet de compromis plus ou moins illicites, le nombre d’actes écrits susceptibles d’avoir été rédigés est forcément réduit39. Par ailleurs, les législateurs barbares, même s’ils se posaient comme les défenseurs des droits du père de famille, reconnaissaient être dans l’incapacité d’appliquer une politique aussi stricte que celle choisie par Constantin. Pour Justinien, la meilleure façon de faire cesser les rapts était de prohiber leur finalité première, le mariage. Les législateurs barbares n’adoptent pas la même stratégie, soit par choix, soit parce qu’ils s’en reconnaissent incapables. En cas d’égalité de statut juridique sinon social, le mariage réparateur n’est donc généralement pas interdit par les lois barbares, même si la plupart le réprouvent et le présentent comme un pis-aller. Les législateurs barbares, le cas wisigoth mis à part, ont renoncé à utiliser l’interdiction de mariage comme un moyen de mettre fin à la pratique du rapt. Le recours au mariage subséquent n’est certes pas automatique40 : en fait, la plus grande partie des lois barbares ne s’y opposent pas, mais tentent de mettre en avant la possibilité pour les familles de trouver une autre compensation que la vengeance ou le mariage réparateur.
19Même si les sources narratives sont très elliptiques sur le règlement des affaires évoquées, il est permis de constater qu’elles se terminaient souvent par un mariage, même lorsqu’il était théoriquement interdit. Le souci affiché par Grégoire de Tours de présenter la façon dont le conflit pouvait se résoudre est exceptionnel. Il évoque ainsi l’existence de diplômes, c’est-à-dire d’actes délivrés par le roi à des particuliers, protégeant le ravisseur de toute représaille41. Le seul acte de ce genre qui nous ait été transmis se trouve cependant dans les Variae de Cassiodore, et date du début du vie siècle, en Italie. Il s’agit d’un acte rédigé par Cassiodore au nom du souverain ostrogoth Théodoric le Grand, commutant la peine d’un ravisseur en un exil temporaire42. Il ne concerne d’ailleurs pas un véritable couple : le prétendu ravisseur est apparemment victime d’une rumeur malveillante qui vise à l’éliminer, et la femme en est d’autant moins présente dans le texte de l’acte. Le ravisseur, lorsqu’il est noble et fait appel au roi, cherche davantage une protection contre la faide et une espèce d’impunité due à l’appui royal qu’une véritable reconnaissance du statut légitime de son mariage. Celui-ci s’obtient par des compromis formalisés qui sont conclus entre le ravisseur et la famille. On en a gardé plusieurs exemples dans des recueils de formules, qui mettent en scène la légitimation du couple, mais aussi les liens d’affection, réels ou convenus, qui unissent le ravisseur et celle qui devient de plein droit sa femme.
Le couple dans les formulaires
20Josiane Barbier a exploité dans un article récent ces formulaires (vingt-trois considérés jusqu’au début du ixe siècle), établissant les transferts patrimoniaux, ou dotes, effectués par l’époux à l’attention de l’épouse lors du mariage, sous des formes différentes suivant les formules43. On compte ainsi six donations du mari à sa femme, après qu’il l’a enlevée, qui proviennent toutes des formules tardives, rédigées au cours du viiie siècle dans les régions entre Loire, Seine et Escaut. Les formules de composcionales, terme utilisé pour désigner ces donations après rapt44, semblent bien transmises et connues, voire utilisées, jusqu’en pleine époque carolingienne. Elles visaient à donner une légitimité à ce mariage peu orthodoxe, en constituant un douaire a posteriori, mais aussi à calmer le courroux de la famille de la future épouse enlevée. Les biens donnés sont les mêmes que pour la dos traditionnelle, mais la donation entraîne la pleine propriété, probablement pour dédommager correctement et visiblement la femme enlevée et sa famille. Et à la mort de l’épouse, les biens donnés vont aux enfants de celle-ci.
21Dans l’établissement des arrangements à l’amiable, les deux parties en présence ne sont pas les seules à intervenir. Le rôle d’intermédiaires joué par les boni homines et des prêtres est primordial dans l’apaisement du conflit provoqué par l’enlèvement. Le recours à des notables locaux permettait aussi l’individualisation du droit pénal, prenant en compte les circonstances atténuantes. Surtout, le recours aux boni homines correspond à un droit fondé sur la solidarité, qui considère le crime comme un différend qui doit conduire non à une peine imposée par un maître, mais à une réconciliation entre « amis », un consensus qui met fin à la faide. Les procédures qui impliquent le recours à de tels « paiseurs » vont plus loin que le simple paiement d’une compensation et s’accompagnent de gestes et de paroles de pacification qui rétablissent l’« amitié45 ». Ces compromis ne pouvaient s’appliquer qu’à ceux qui pouvaient espérer que le père de la jeune fille reconnaisse le mariage, comme la lecture des lois romaines et barbares laisse entendre que c’était souvent le cas. La femme libre qui se donne à un esclave perd la capacité de se faire défendre par son père. C’est un des rares cas où les lois s’intéressent au consentement de la femme en général, ce consentement amenant sa condamnation46. Les formules sont des textes qui soulignent bien souvent l’absence du consentement de la femme. Les acteurs semblent donc plus sensibles que les textes juridiques sur ce point. Cette mention de l’absence de consentement renforce la nécessité de se racheter pour le ravisseur : dans les formules, il doit admettre tous les torts, vrais ou faux peut-être, pour en être déchargé grâce à l’accord qui est conclu. La forme prise par le texte vise dès l’adresse à montrer que la femme bénéficie cependant de l’affectio maritalis et que l’union est donc bien scellée malgré sa violence originelle : la femme ravie est ainsi la dulcissima coniux47. Ceci dit, plusieurs formules proposent les deux intitulés, avec et sans consentement de la femme, sans que cela modifie le reste des décisions et du texte48.
22Il y a des cas où le ravisseur ne cherche pas ce type d’arrangements, parce que cela est impossible, parce que cela ferait scandale, parce qu’il ne peut rien espérer de la famille de la femme. Et ce même si la femme peut être consentante. L’affaire se termine ainsi très mal pour le couple formé par un clerc libidineux et celle qu’il a emmenée avec lui hors du Mans en la travestissant en homme. La famille retrouve le couple et décide de les châtier. La femme finit brûlée et le clerc vendu comme esclave pour 20 sous49. Si le châtiment appliqué à la femme rappelle le droit romain, Grégoire de Tours ne dit pas quelle instance a décidé de ce châtiment appliqué pour « venger l’humiliation de la famille ». La vente du clerc est attribuée par Grégoire à la soif de l’or : il réprouve cette peine et aurait préféré sans doute la mort. La famille semble décider des peines elle-même, aucune instance judiciaire n’est mentionnée. La mention de l’humiliation et de la violence peut par ailleurs renvoyer à la faide mais aussi au droit romain. La peine appliquée à la femme rappelle le supplice infligé à une épouse accusée d’adultère, qui avait pourtant été disculpée par Grégoire lui-même. La famille de son mari l’avait apparemment retrouvée et avait appliqué la sentence qui lui semblait appropriée. Les instances auxquelles pouvait se rapporter le ravisseur ou la famille lésée étaient ainsi variées. Et quand une sentence était prononcée, elle n’était pas forcément respectée.
23Le recours à l’intercession épiscopale pour le règlement d’une affaire d’emprisonnement ou d’enlèvement d’une jeune fille est également attesté. Nous en possédons davantage de témoignages directs grâce à la conservation de plusieurs lettres, émanant des évêques eux-mêmes ou leur étant adressées dans ce but. On les trouve pour la Gaule de la fin du Ve et du début du vie siècle, dans les recueils compilant la correspondance de Sidoine Apollinaire, d’Avit de Vienne50 ou celle de Venance Fortunat51. Les lettres de Grégoire le Grand, pape de 590 à 604, fournissent également plusieurs missives se rapportant au rapt ou à la fuite de moniales, essentiellement en Italie du Sud et en Sicile52. Ces documents demeurent malgré tout fort rares.
Le couple, microcosme de la société carolingienne, et le mirage du consentement des époux
24À l’époque carolingienne, la dilectio qui règne entre les époux doit être le modèle des rapports sociaux53. Hincmar de Reims reprend dans son traité De raptu54 la métaphore paulinienne de l’organisme et se plaît à rappeler que le couple est une société en réduction, où le mari est le chef de la femme. Mais c’est bien le père qui demeure cependant, chez Hincmar comme dans les autres sources, l’image centrale, celle qui est la garante de l’ordre. L’amour, la dilectio, n’appartient pas qu’au champ lexical du couple : l’évocation du père est associée à l’idée d’amour familial, de façon croissante du règne de Charlemagne à celui de Louis le Pieux55. Le père chez Hincmar doit exercer un réel ministère pastoral, comme l’affirme aussi Jonas d’Orléans dans son miroir à l’usage des laïcs. Et le roi est comme un père pour le royaume : il est placé au sommet d’une hiérarchie où il est à la fois un équivalent et un supérieur pour le père de famille56. L’image de l’organisme n’est pas étonnante à une époque de recomposition difficile des relations sociopolitiques. Les dissensions attisent le besoin de concorde. Le couple conjugal est désormais présenté comme la cellule qui fonde la stabilité de l’ordre social. Il est indissoluble et fondé sur un amour raisonnable : pour toutes ces raisons, le rapt apparaît comme une véritable antithèse du mariage. Sa conclusion dans des conditions rocambolesques et sans le consentement des parents remet en cause l’indissolubilité de l’union.
25C’est surtout à partir de la période carolingienne que le consentement des époux est évoqué comme critère de validité de l’union, même s’il ne faut absolument pas croire qu’il en devienne alors le critère principal. Au xe siècle, sous la plume de Thietmar de Mersebourg, il semble important pour la conclusion des unions matrimoniales57. L’ancienne attitude pastorale qui consistait à instruire, bénir, exhorter et éventuellement excommunier ne convient plus. La réflexion des ecclésiastiques se porte de plus en plus sur l’étude du mariage et des conditions convenables pour sa conclusion58. Cet accent porté sur le consentement des époux est lié au changement considérable qui survient à la fin du Ier millénaire, dans la façon dont l’Église considère le mariage en Occident.
26Il serait sans aucun doute anachronique de voir dans les cas de rapt qui s’achèvent par un mariage un signe de la primauté de ce consentement, comme si un rapt réussissait si la femme ravie finissait par s’accorder avec son ravisseur. Au contraire, seul le consentement des parents est évoqué par les capitulaires et par les conciles. Les documents qui ne sont pas de nature législative ne sont pas plus prolixes à ce sujet. Certes, le fait que la fille accorde son consentement à son ravisseur peut faciliter le règlement à l’amiable des affaires de rapt, lorsque le ravisseur dispose d’appuis extérieurs qui sont assez influents pour obtenir le consentement du père de sa compagne. Cependant, une fois de plus, on parle de consentement multiple ici : aussi bien celui de la femme enlevée que celui de ses parents59.
27Les textes laïques autant que les documents d’origine ecclésiastique montrent d’ailleurs que l’évocation du consentement des époux ne signifie en rien que celui des parents soit minoré et que les transferts de biens qui sont réalisés au moment du mariage leur échappent. L’Église ne met pas en évidence, dans un premier temps, le seul consentement mutuel des époux pour valoriser le couple : peu de traces de cela, ni au travers de la législation sur le rapt, ni dans les affaires traitées devant un tribunal synodal, ni dans des compromis dans lesquels serait intervenu un ecclésiastique. Tous les textes conciliaires insistent sur la nécessité du consentement parental, et il en va de même pour les rédacteurs du De raptu, qui ont une position tout à fait intransigeante sur le sujet. Ainsi, dans sa lettre aux Bulgares, en 866, le pape Nicolas Ier stipule qu’en Occident les mariages se font avec le consentement des deux époux et celui des personnes sous la puissance desquelles ils se trouvent60.
28Le consentement ne joue alors qu’un rôle très occasionnel, et en tout cas secondaire, dans les règlements de rapt. Ce consentement, même présenté comme spontané, ne l’est jamais vraiment. La femme qui accepte le rapt se voit contrainte de soumettre son intimité et son honneur au regard du public. Bien souvent, la part d’autonomie de la femme consentante est niée : pour les auteurs anciens comme pour les chercheurs modernes, consentir équivaut en fait à céder. Nicole-Claude Mathieu61 en particulier a cherché à montrer combien l’utilisation du terme « consentement » est trompeuse dans ce genre de situation, dans la mesure où la femme ne « consent » pas à proprement parler puisqu’elle ne dispose pas de la « conscience pleine, libre du sujet et au moins [de] la connaissance des termes du contrat, sinon de toutes ses conséquences62 ». Si Nicole-Claude Mathieu développe son raisonnement dans le cadre général des relations de domination qui peuvent s’exprimer dans le rapport homme/femme, son appel à la prudence dans l’usage du terme « consentement » doit être considéré avec sérieux lorsqu’il s’agit du rapt. Le « consentement » évoqué par les sources peut viser à annuler la responsabilité du ravisseur et à suggérer que la victime a agi non seulement de son plein gré, mais avec une « conscience libre ». Il faut distinguer un usage technique du terme « consentement », qui implique en droit telle et telle conséquences sur les plans judiciaire et matrimonial. En ayant présent à l’esprit que pèse sur la femme ravie la certitude qu’elle ne peut échapper à la fatalité, à l’honneur ou à la tradition, on se rend bien compte que, dans les faits, son assentiment ne correspond pas à la rencontre de deux volontés égales63. Même quand l’accord de la femme semble donné spontanément au ravisseur – et les sources nous permettent rarement de le déterminer à coup sûr –, lorsque nous lisons qu’une femme enlevée a consenti à son rapt, il faut comprendre le plus souvent qu’elle y a cédé.
Une justice ecclésiastique incertaine au sujet des couples issus du rapt
29La position de Hincmar, qui voit dans le rapt une faute réclamant une pénitence sans fin, n’est pas la plus représentative au final. La transformation du rapt de crime en péché, sur laquelle il insiste lourdement, est cependant fondamentale. Ce changement qui touche la nature du rapt doit être rapproché de l’évolution que connaissent également les interdits de parenté. La justice ecclésiastique s’y investit toujours davantage. Cependant, comme dans le cas des interdits de parenté, la position de l’Église du haut Moyen Âge demeure fort contrastée : des mesures contradictoires coexistent et permettent un traitement très varié des différents cas64. De plus en plus, le mariage semble passer sous la juridiction de l’évêque, mais ils sont loin d’en avoir la juridiction exclusive à la fin du haut Moyen Âge65. Le traitement des cas de rapt montre une parfaite collaboration des institutions laïques et ecclésiastiques en la matière. Si une grande souplesse est de règle, certains critères, mêlant religieux et économique, empêchent, de façon très stricte, la viabilité d’un certain nombre d’unions. Les couples eux-mêmes ne sont cependant guère mis en scène dans ces actes. C’est davantage la perte de statut qu’entraîne la condamnation du rapt que la dissolution du couple elle-même qui intéresse le rédacteur de l’acte, comme peut-être les membres du couple lui-même. L’homme et la femme sont unis dans leur déchéance s’ils ne sont plus liés ni par le mariage ni par leurs intérêts communs.
30C’est dans le grand nombre de notices de plaids conservées pour l’Italie du haut Moyen Âge que se trouvent quelques témoignages de ces phénomènes66. Ces notices ne fournissent cependant que de très rares informations sur le rapt. Un acte (873) traite du cas d’une veuve voilée qui s’était remariée. Deux actes (803 et 813) seulement, émis par un tribunal présidé par l’évêque de Lucques, rapportent les sanctions infligées à un ravisseur ainsi que les tentatives de celui-ci pour y échapper en faisant appel au souverain. La transmission de ces actes est due au caractère particulier de ce rapt : non seulement la femme ravie était une moniale, mais le ravisseur était prêtre.
31Commençons par le rapt perpétré par le prêtre Alpulus sur la personne d’une moniale. Il illustre bien le fait que les affaires qui concernent des clercs, qui relèvent bien évidemment toujours d’un jugement ecclésiastique, sont parfois portées à la connaissance du roi qui demeure l’instance suprême dans les arbitrages concernant les affaires de rapt. En 803, alors qu’il est desservant de l’église Saint-Juste de Lucques, Alpulus est accusé du rapt d’une religieuse de Saint-Pierre de Pise, Gumperga67. Alpulus a profité de la nuit pour récupérer la jeune fille, consentante, au pied du mur du monastère. Il a alors tenté de rendre son opération acceptable en faisant suivre immédiatement son forfait d’un simulacre de fiançailles : il donne un baiser et deux sous d’arrhes à sa compagne avant de l’emmener. Outre que cet épisode est un témoin rare de l’expansion en Italie d’une pratique qui est davantage répandue en terre franque68, il démontre à quel point la force des fiançailles et de ses aspects formels est grande en ce début de ixe siècle. Le renforcement des noces publiques passe en effet essentiellement par celui de la procédure des fiançailles. Alpulus espère que ce geste puisse donner un tour légal à son union, malgré les vœux prononcés par lui et, surtout, par celle qu’il a enlevée. Si le mariage des prêtres est toujours chose répandue au début du ixe siècle, le retour des moniales à la vie du siècle est plus durement réprimé que jamais. Alpulus est dégradé et la femme remise au couvent. Hormis cette indication, nous ne savons plus rien d’elle. Gumperga n’apparaît pas au tribunal. Sa punition advient dans le cadre de son monastère. Ce n’est pas la dissolution de son couple mais sa dégradation qu’Alpulus va contester avec vigueur dans les années qui suivent.
32À la demande de l’évêque de Pise, qui représente la partie lésée, puisque la religieuse avait été enlevée d’un monastère de son diocèse, Jacques, évêque de Lucques, a en effet prononcé à l’encontre du prêtre la sentence de dégradation et de relégation sur l’île de la Gorgone. Par deux fois, Alpulus fait appel de cette décision auprès du roi Pépin. Le recours à la justice royale est vain : dans les deux cas, Jacques, qui fait toujours partie du tribunal devant lequel est traduit le prêtre, demande l’excommunication de celui-ci, car il a chanté la messe malgré sa destitution. Le deuxième appel, effectué dix ans plus tard auprès du missus impérial69, ne fait que confirmer ces peines canoniques. L’autorité carolingienne ne pouvait que confirmer une sentence contre un ravisseur de moniale, déjà condamné par un jugement canonique, qui plus est. Alpulus lui-même ne nourrissait apparemment aucun espoir de récupérer sa « fiancée » : les notices se désintéressent de la question pour se concentrer sur celle de sa destitution en tant que desservant de l’église Saint-Juste. La sentence concernant la moniale et le mariage lui-même relevaient d’ailleurs de l’évêque de Pise, dont dépendait le monastère de celle-ci. Ces actes ont cependant une saveur particulière en ce qui concerne le rapt lui-même, puisqu’ils sont les seuls où affleure la parole d’un ravisseur. Même si la mise par écrit du témoignage est fort codifiée et répond à la nécessité d’une certaine « légitimité grammaticale », les besoins d’efficacité de l’expression orale sont sensibles, ainsi que l’interaction langagière entre le tribunal et le prêtre, qui utilise un italien bien peu canonique, comme l’a bien souligné récemment Michel Banniard70.
33La seconde affaire, qui ne fournit pas de récit aussi particulier, a en revanche l’avantage de montrer l’intervention face au tribunal de l’homme et de la femme. Elle intervient en 87371 (et 87772). Les procès ont lieu devant le comte Heribald puis le comte Guido. En accord avec les trois fils de Gundi, veuve du gastald Juston, Sisenand a épousé celle-ci, bien qu’elle ait reçu le voile, ce qui lui interdisait théoriquement de se remarier. Cette pratique était assimilée au rapt. Ce mariage participe de la volonté de briser toute relation avec la famille de l’époux, vivant ou mort. Le système lombard de la Morgengabe, différent de celui de la tertia franque73, lie plus fortement la femme à la famille de son époux. Les terres données au matin des noces constituaient sa principale source de revenu après la mort de son époux. Vendre ces biens (ce qui était impossible si le couple avait eu des enfants) revenait donc à se défaire de la protection d’un allié pour se placer sous celle d’un patron, l’acheteur du bien74. Entre 860 et 873, le Franc Sisenand s’est justement fait le spécialiste de cette fonction75. Comme l’a bien montré Laurent Feller, la tactique adoptée par Sisenand, qui obtient ainsi un pouvoir sur la parentèle de ces femmes, vise à assurer son ascension sociale en Italie76. Toutes ces opérations nous sont cependant connues grâce à l’échec cuisant que va connaître Sisenand lorsqu’il va tenter de se rapprocher plus encore de la noblesse italienne par son mariage avec Gundi : tous ses biens passent alors au monastère de Casauria qui a donc récupéré tous les actes concernant ces transactions en 877. Sisenand et Gundi sont tous deux jugés et socialement dégradés, jusqu’à tomber dans la dépendance. Cependant, Gundi apparaît toujours avec ses fils, et non Sisenand. Comme le couple de Gundi et Sisenand n’est pas reconnu comme tel, Gundi est sous la tutelle d’un de ses fils, et non de Sisenand. Les fils de Gundi et Juston sont d’ailleurs largement punis eux aussi : la formation du couple allait de pair avec la formation d’un réseau familial et économique qui s’effondre en même temps que le mariage de Sisenand.
34L’accord entre Sisenand, Gundi et ses fils ne suffit pas à le sauver77 et, en décembre 873, Sisenand est condamné à verser 600 sous, ce qui signifie sa ruine, alors que la famille de Gundi, qui perd sa liberté, doit verser 150 sous78. Sisenand, qui avait bâti son ascension sociale et son réseau de clientèle sur la rupture des liens entre les veuves et leurs alliés, se voit lui-même brisé par l’incapacité de la solidarité familiale à s’affranchir des foudres des juridictions laïque et ecclésiastique, qui ne tolèrent plus que les membres d’une famille passent outre les règles ecclésiastiques du mariage pour assurer leur promotion économique et sociale.
35À l’époque ottonienne, si nous ne disposons pas de tels actes, Thietmar de Mersebourg met en scène la confrontation du tribunal impérial d’Henri II avec un ravisseur. Ce dernier étant le cousin germain du chroniqueur, l’information est détaillé et met en scène à la fois la volonté de faire un exemple et les divers types de peines envisagés, ce qui nous donne une image des conclusions juridiques possibles pour un rapt à une époque où quasiment aucune législation ne nous a été conservée. La forte cohésion de la justice de l’empereur et de celle des évêques est encore une fois remarquable, mais il faut préciser que l’investissement d’Henri II dans la répression des affaires matrimoniales fut sans égal à l’époque ni chez d’autres souverains de sa dynastie.
36Le mariage occupe une large place dans la Chronique de Thietmar de Mersebourg79, rédigée entre 1012 et 1018, même si sa réflexion porte davantage sur la place de la mort et du salut dans la société que sur celle du mariage80. Les questions de parenté et de sa propre parentèle qui y sont traitées sont exceptionnelles pour une chronique de l’époque81. Thietmar rapporte deux exemples de rapt commis dans la plus haute aristocratie. Ces deux rapts sont le fait du même homme, Werner de Walbeck, et se déroulent en 998 et 1014. Thietmar s’étend assez longuement sur ces affaires, leurs prémices, leur déroulement et leur conclusion judiciaire et matrimoniale. Il est, il faut le dire, lui-même touché de près par ces événements, puisque Werner est son parent. C’est même Thietmar qui récupère son corps après que la tentative de rapt de 1014 a échoué. Au cours de la première affaire, Werner cherche à récupérer la fiancée que les parents avaient finalement refusé de lui donner en mariage. Un couple déjà pressenti, sinon établi, est uni grâce au rapt. Le rapt réalisé par un fiancé éconduit est très commun à toutes les époques, il faut le préciser. D’après Thietmar, Werner et Liutgarde sont unis par une grande affection et ils sont réunis également dans la tombe. Cependant, Liutgarde exprime son désaccord, et même sa crainte, lors du rapt, qui n’est pas concerté entre elle et Werner82. Les étapes de constitution du couple et de son entente répondent à des stratégies affectives, institutionnelles et narratives qui nous échappent largement. Même dans un cas aussi bien documenté, il est difficile de percevoir les différentes dimensions du couple et les aspects construits répondant aux accusations de l’empereur ou aux nécessités d’un récit familial acceptable pour Thietmar. La seconde affaire semble engagée sur des bases morales et matérielles beaucoup moins assurées, d’après Thietmar, puisque aucun arrangement préalable n’avait jamais été conclu entre Werner et Reinhild. La justice impériale se saisit immédiatement de la situation, mais on voit intervenir également le clergé et les amis de Werner, qui finissent par obtenir, au moins dans le premier cas, que le mariage se fasse, mais quelques années plus tard. Ces exemples sont à la fois très complets et contradictoires : ils illustrent à merveille l’intérêt concret que prenaient les institutions laïques et ecclésiastiques aux affaires de rapt, ce qui n’empêchait pas une issue avantageuse pour le ravisseur. Thietmar est un témoin privilégié, mais la vision qu’il offre est déformée, non tant du fait de sa parenté avec le coupable que du fait du statut exceptionnel de celui-ci. Son appartenance à la plus haute noblesse entraîne l’intervention de l’empereur, d’autant plus concerné que ces rapts avaient pour victime des femmes placées sous sa protection.
37Tant que le rapt a été confondu avec le viol, l’action de la femme devant le tribunal a été essentielle pour former un mariage réparateur. Mais la distinction opérée dans les années 320 entre rapt et viol vise justement à empêcher ce type de mariage. De ce fait, le rapt insiste sur l’impossibilité du couple de se présenter en tant que tel face à la justice. La femme en est même exclue. Durant le haut Moyen Âge, les lois barbares, tout en réprouvant le rapt, sont très permissives. La grande majorité permet au couple issu du rapt d’exister, si un arrangement est trouvé avec la famille de la femme. Rien n’est possible cependant sans qu’un compromis existe entre le ravisseur et la famille de la femme enlevée. Les textes qui mettent en scène ces compromis montrent volontiers des couples qui expriment leur union et même leur affection face à la communauté pour pouvoir exister. Même si le consentement de la femme est dans bien des cas construit après coup, ces documents lui font une assez large place, alors que ce n’est pas le cas dans les lois. La justice ecclésiastique est de plus en plus investie dans les affaires matrimoniales à partir du milieu du viiie siècle et, à l’époque carolingienne, le discours religieux présente même le couple comme un modèle organique pour la société entière. L’Église demeure cependant fort incertaine quant aux couples issus du rapt, entre sévérité extrême et soutien face à l’opposition familiale.
Notes de bas de page
1 Nous nous permettons de renvoyer à S. Joye, La femme ravie. Le mariage par rapt dans les sociétés occidentales du haut Moyen Âge, Turnhout, 2012.
2 R. Astolfi, La Lex Iulia et Papia, Padoue, 1986.
3 De ce fait, certains auteurs sont allés jusqu’à nier la légitimité à utiliser ces textes dans le contexte romain : U. E. Paoli, « Droit attique et droit romain dans les rhéteurs romains », Revue historique, 4e sér., 30,1953, p. 175-199.
4 P. Rasi, Consensus facit nuptias, Milan, 1946, p. 99.
5 Comme par exemple dans : Sénèque l’Ancien, Controversiae, I, 6 (The Elder Seneca, Controversiae, M. Waterbottom [éd. et trad.], Harvard/Londres, 1974, 2 vol.).
6 Calpurnius Flaccus, Declamationes, 16 ; 25 ; 41 ; 43 ; 46 (The Declamationes of Calpurnius Flaccus, L. A. sussman [éd. et trad.], La Haye/New York/Cologne, 1994).
7 Sénèque l’Ancien, Controversiae, II, 3 ; Calpurnius Flaccus, Declamationes, 25.
8 Sénèque l’Ancien, Controversiae, III, 5.
9 Pseudo-Quintilien, Declamationes, 280 (M. Fabii Quintiliani, Declamationes Minores, D. R. Shackleton Bailey [éd.], Stuttgart, 1989). J. Evans Grubbs, « Abduction Marriage in Antiquity : a Law of Constantine and its Social Context », Journal of Roman Studies, 79, 1989, p. 69. Elle pense que les textes du Pseudo-Quintilien, plus tardifs que ceux de Sénèque l’Ancien, s’écartent de la réalité en recherchant des situations plus complexes, ce qui réduit plus souvent le raptor à la simple fonction de violeur (qui agit parfois pour une tierce personne cherchant à déshonorer une jeune fille. Voir Declamationes 252 et 270 en particulier).
10 Pseudo-Quintilien, Declamationes, 343.
11 Ibid., 247 (Mariti bona uxor accipiat).
12 Sénèque l’Ancien, Controversiae, I, 5.
13 Pseudo-Quintilien, Declamationes, 259.
14 Ibid., 262.
15 Digeste 4, 2, 2 (Vis autem est maioris rei impetus, qui repelli non potest).
16 Digeste 4, 1, 2 (Metus instantis vel futuri pericula causa mentis trepidatio...).
17 Code justinien 9, 12, 3.
18 Digeste 48, 6, 5 (Qui vacantem mulierem rapuit, vel nuptam, ultimo supplicio punitur).
19 Digeste 48, 6, 5 (Et si pater iniuriam suam precibus exoratus remiserit, tamen extraneus sine quiquennii praescriptione reum postulare poterit : cum raptus crimen legis Iuliae de adulteriis potestatem excedat).
20 Pasquale Voci pense que la peine prévue pour la fille consentante est due au fait qu’elle a empêché qu’aient lieu des noces préparées par ses parents : P. Voci, « Storia della patria potestas da Costantino a Giustiniano », Studia et Documenta Historiae Iuris, 51, 1985, p. 14.
21 Les chercheurs placent la datation de cette Constitution dans une fourchette qui va de 318 à 326. Bruun avait proposé 318 : P. Bruun, Studies in Constantinian Chronology, New York, 1961, p. 42. La date de 326 semble la plus probable, bien que Théodore Mommsen dans son édition ait proposé celle de 320 : L. Desanti, « Costantino, il ratto e il matrimonio riparatore », Studia e Documenta Historiae Iuris, 52,1986, p. 195-217, part. note 1, p. 196. Cette proposition avait déjà été avancée à la fin du xixe siècle par Otto Seeck (O. Seeck, Regesten der Kaiser und Päpste für die Jahre 311 bis 476 N. Chr., Francfort-sur-le-Main, 1964 [1919], p. 61, 63 et 176). Judith Evans Grubbs reste prudente au sujet de cette modification de la datation indiquée par le manuscrit : J. Evans Grubbs, Law and Family in Late Antiquity. The Emperor Constantine’s Marriage Legislation, Oxford/New York, 1999, p. 350-351.
22 D. Grodzynski, « Ravies et coupables. Un essai d’interprétation de la loi IX, 24,1 du Code théodosien », Mélanges de l’École française de Rome. Antiquité, 96,1984, p. 697-726, part. p. 708 ; L. Desanti, « Costantino... », art. cité ; S. Puliatti, « La dicotomia “vir-mulier” e la disciplina del ratto nelle fonti legislative tardo-imperiali », Studia et Documenta Historiae Iuris, 61,1995, p. 485-529. Sur la Méditerranée actuelle : J. Evans Grubbs, « Abduction marriage... », art. cité, p. 59-83 ; id., Law and Family..., op. cit, p. 185.
23 A. Arjava, Womenand Lawin Late Antiquity, Oxford, 1996, p. 235-236 : [...] puellae [...] quam propter vitium levitatis et sexus mobilitatem atque consili a postulationibus et testimoniis omnibusque rebus iudicariis antiqui penitus arcuerunt (CTh. 9, 24,1). D’après d’autres Constitutions de la même époque et à la pratique, il est pourtant clair que les femmes pouvaient apparaître au tribunal, même si c’était sans doute mal considéré. Le terme postulatio pose par ailleurs des problèmes de traduction. Mais le rédacteur de la loi semble bien ici exclure la femme du tribunal.
24 Contrairement au Code théodosien, le Code justinien classe cependant le rapt dans la législation de vi. Ceci est dû autant à la tendance justinienne à insérer de nombreux cas particuliers dans les mesures dépendant de la Lex de vi qu’aux liens réels entre violence et rapt. Ces derniers n’étaient d’ailleurs pas niés par Constantin, même s’il les avait volontairement mis au second plan par rapport aux visées matrimoniales du ravisseur. R. Bonini, Ricerche di diritto giusitinianeo, Milan, 1990, p. 69, note 23.
25 Propter vitium levitatis et sexus mobilitatem. Voir J. Beaucamp, « Le vocabulaire de la faiblesse féminine dans les textes juridiques romains du iiie au vie siècle », Revue d’histoire du droit français et étranger, 54, 1976, p. 485-508 ; id., Le statut de la femme à Byzance (4e-7e siècle), I, Le droit impérial, Paris, 1990, p. 107 ; R. G. Fernández, Las estructuras ideólogicas del Código de Justiniano, université de Murcie, 1997, p. 253-257, part. p. 256.
26 Nisi etenim eam sollicitaverit, nisi odiosis artibus circumvenerit.
27 Sur la « publicisation » et l’imbrication complexe du privé et du public dans le mariage à l’Antiquité tardive : M. Foucault, Histoire de la sexualité, 3, Le souci de soi, Paris, 1984, p. 99-111, part. p. 102.
28 Ammien Marcellin évoque des parents qui réclament à un juge l’application des peines préconisées par Constantin pour un rapt : Histoire, XVI, 5,12, É. Galletier, J. Fontaine (éd. et trad.), Paris, 1968, p. 154-155.
29 CTh. 9, 1,1 (Constantin, 316). J. Evans Grubbs, Law and Family..., op. cit., p. 188.
30 CTh. 9,24,2.
31 J. Beaucamp, Le statut de la femme à Byzance..., op. cit., p. 115.
32 Tout comme les crimes de majesté, empoisonnement, adultère et homicide : Constitution de Constance II datée de 353 sur les crimes punis capitalement (CTh. 9, 38, 2) ; Constitutions de Valentinien Ier datées de 367 et 370 (CTh. 9, 38, 3 ; CTh. 9, 38, 4) ; Constitutions de Gratien datées de 381, 384 et 385 (CTh. 9, 38, 6 ; CTh. 9, 38, 7 ; CTh. 9, 38, 8 = CJ. 1,4, 3).
33 Cette mesure est reprise en 348 par Constance II : CTh. 11, 36, 7 ; J. Gaudemet, « Constitutions constantiniennes relatives à l’appel », Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte. Romanistische Abteilung, 98, 1981, p. 51.
34 CTh. 9,2, 5 (CJ. 1,55, 7).
35 Y. Rivière, Les délateurs sous l’Empire romain, Rome, 2002, p. 333 ; J. Evans Grubbs, Law and Family..., op. cit., p. 192.
36 J. Evans Grubbs, Law and Family..., op. cit., p. 193.
37 K. Cooper, « Closely Watched Households : Visibility, Exposure and Private Power in the Roman Household », Past & Present, 197, 2007, p. 3-33.
38 Homicide, poison, sortilège, adultère et rapt : CTh 11, 36, 7 = CJ 7, 65, 2 (datation : 344/348). S. Puliatti, « La dicotomia vir-mulier e la disciplina del ratto nelle fonti legislative tardo-imperiali », Studia et Documenta Historiae Iuris, 61, 1995, p. 472-473.
39 P. Classen (éd.), Recht und Schrift im Mittelalter, Sigmaringen, 1977.
40 On nuancera sur ce point les affirmations de R. V. Colman, « The Abduction of Women in Barbaric Law », Florilegium. Carleton University Annual Papers on Classical Antiquity and the Middle Ages, 5, 1983, p. 66.
41 Grégoire de Tours, Decem Libri Historiarum, VI, 16.
42 Cassiodore, Magni Aurelii Cassiodori Senatoris Opera, Variae, III. 46, J. W. Halporn (éd.), Turnhout, C.C.S.L. 96,1973, p. 128-129.
43 Dans ces formules, Josiane Barbier (« Dotes, donations après rapt et donations mutuelles », dans F. Boucard et al. [éd.], Dots et douaires dans le haut Moyen Âge, Rome, 2002, p. 375-383) envisage aussi un grand nombre de donations mutuelles entre époux (mentionnées dans un tiers des formules), passées afin de garantir l’avenir de l’époux survivant.
44 J. Barbier, « Dotes... », art. cité, p. 373.
45 R. C. Van Caenegem, « La peine. Exposé introductif », dans La Peine/Punishment, Recueils de la société Jean Bodin pour l’histoire comparative des institutions, t. 55, Bruxelles, 1987, p. 13.
46 Marculf, II, 29.
47 Tours, 16 ; Marculf, II, 16 ; Formulae Salicae Lindenbrogianae, 16.
48 Ainsi Marculf, II, 16 ; Marculf, II, 29.
49 DLH, VI, 36.
50 Avit de Vienne, Epistolae ad diversos, R. Peiper (éd.), Monument a Germaniae Historiae AA (VI/2), Hanovre, 1883 ; trad. angl. : Avitus of Vienne. Letters and Selected Prose, D. Shanzer, I. N. Wood (trad.), Liverpool, 2002.
51 Sidoine Apollinaire, Lettres (Lettres I-V), A. Loyen (éd. et trad.), Paris, 1970 ; Venance Fortunat, Poèmes (Livres I-IV), M. Reydellet (éd.), Paris, 1994 ; Poèmes (Livres V- VIII), id., Paris, 1998 ; Poèmes (Livres IX-XI. Appendice. In laudem Sanctae Mariae), id., Paris, 2004.
52 Grégoire le Grand, Registrum, D. Norberg (éd.), Turnhout, 1982, 2 vol. Sur l’intérêt que Grégoire porta aux moniales et le peu d’intérêt qu’y portèrent jusqu’ici les historiens : J. Martyn, Pope Gregory and the Brides of Christ, Cambridge, 2009, en particulier p. xxx.
53 P. Toubert, « La théorie du mariage chez les moralistes carolingiens », Il Matrimonio nella società altomedievale, Settimana di studi sull’alto medioevo, 24/1,1976, p. 233-281 ; id., « L’institution du mariage chrétien de l’Antiquité tardive à l’an mil », Morfologie sociali e culturali in Europa fra tarda antichità e alto medioevo, Settimana di studi sull’alto medioevo, 45/2,1997, p. 503-549.
54 De coercendo et exstirpando raptu viduarum, puellarum ac sanctimonialium (Patrologie latine 125, col. 1017-1036).
55 Se reporter à ce sujet à la communication à paraître de Régine Le Jan, « Amitié, haine, famille et politique à l’époque de Louis le Pieux » lors du colloque La productivité d’une crise. Le règne de Louis le Pieux (814-840) et la transformation de l’Empire carolingien (Limoges, 17-19 mars 2011).
56 PL 125, col. 1019 (cap. III) : Hujus gloriosae domus Dei decorem, et locum habitationis gloriae ejus fidelissime diligere et zelari debent non solum Episcopi et Sacerdotes in sedibus, sed etiam Reges in regnis et palatiis suis, et Regum Comites in civitatibus suis, et Comitum Vicarii in plebibus suis, et quicunque patres familias in domibus suis, in unum dives ac pauper, in mente et actibus suis.
57 P. Corbet, « Le mariage en Germanie ottonienne d’après Thietmar de Mersebourg », dans M. Rouche, J. Heuclin (éd.), La femme au Moyen Âge, Maubeuge, 1990, p. 197 ; L. Lelf. u, Semper patrui in Iratrum filios seviunt. Les oncles se déchaînent toujours contre les fils de leurs frères. Autour de Thietmar de Mersebourg et de sa chronique. Représentations de la famille aristocratique en Germanie vers l’an mil, thèse de doctorat d’histoire, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, R. Le Jan (dit.), juin 2010, p. 545-547.
58 M. M. Sheehan, « Choice of Marriage Partner in the Middle Ages : Development and Mode of Application of a Theory of Marriage », dans id., Marriage, Family and Law in Medieval Europe, Toronto, 1996, p. 91 (son étude commence véritablement avec Gratien) ; K. Ritzer, Le mariage dans les Églises chrétiennes du ier au xie siècle, Paris, 1970, p. 327-360.
59 I. Weber, « Consensus facit nuptias ! Überlegungen zum ehelichen Konsens in normativen Texten des Frühmittelalters », Zeitschrift der Savigny-Shiftung für Rechtsgeschichte : Kanonnistische Abteilung, 118/87, 2001, p. 38-39.
60 Repris dans Gratien, Décret, II, 30 q. 5 c. 3. Voir I. Weber, « Consensus facit nuptias !... », art. cité, passim, mais aussi la notice de F. Bougard, « Niccolo I, dans Enciclopedia dei papi, Rome, 2000, t. 2, p. 1-22.
61 N.-C. Mathieu, « Quand céder n’est pas consentir », dans id., L’arraisonnement des femmes, Paris, 1985, p. 169-245. Nicole-Claude Mathieu s’oppose (p. 234-236) aux positions de Maurice Godelier, qui suppose une réelle symétrie entre dominant et dominé dans leur conscience de la domination (M. Godelier, « Les rapports hommes-femmes : le problème de la domination masculine », dans id. La condition féminine, Paris, 1978, p. 23-44).
62 N.-C. Mathieu, « Quand céder... », art. cité, p. 240. Sur la notion de consentement, par une spécialiste de la différence des sexes : G. Fraisse, Du consentement, Paris, 2007.
63 La définition du consentement, notamment dans le cadre de la réflexion sur le « sacrement » de mariage, est l’objet d’importantes discussions à partir du xie siècle : I. Rosier-Catach, La parole efficace, Paris, 2004, p. 324-339.
64 P. Corbet, Autour de Burchard de Worms : l’Église allemande et les interdits de parenté, Ixe-xiie siècle, Francfort-sur-le-Main, 2001 ; K. Ubl, Inzestverbot und Gesetzgebung, Berlin, 2008.
65 P. Daudet, Études sur l’histoire de la juridiction matrimoniale. Les origines carolingiennes de la compétence exclusive de l’Église, Paris, 1933 ; L. Jégou, L’évêque. juge de paix. L’autorité épiscopale et le règlement des conflits (viiie-xie siècle), Turnhout, 2011, p. 435-443.
66 I Placiti del « Regnum Italiae », C. Manaresi (éd.), Rome, 1955, 3 t. ; F. Boucard, La justice dans le royaume d’Italie de la fin du viiie siècle au début du xie siècle, Rome, 1995, part, p. 109-137 ; R. Volpini, « Placiti del “Regnum Italiae” (sec. ix-xi), primi contributi per un nuovo censimento », dans Contributo dell’Istituto di storia medioevale. Milan, 1975, t. 3, p. 245-520 ; H. Keller, « I placiti nella storiografia degli ultimi cento anni », dans Fonti Medioevali e problematica storiografica, Rome, 1976, t. 1, p. 41-68.
67 I Placiti del « Regnum Italiae », op. cit., p. 44-48 (acte 16, juillet 803, Lucques). On peut remarquer que même dans ces textes de la pratique judiciaire on n’utilise pas de vocabulaire spécifique au crime de rapt : c’est le verbe tulere qui traduit simplement l’action.
68 F. Boucard, « Dot et douaire en Italie centro-septentrionale, viiie-xie s. Un parcours documentaire », dans F. Boucard et al. (éd.), Dots et douaires dans le haut Moyen Âge, op. cit., p. 65-66.
69 I Placiti del « Regnum Italiae », op. cit., p. 80-84 (acte 26, avril 813, Lucques) : Jacques évêque de Lucques, selon l’ordre donné par l’abbé Adalard missus de l’empereur Charles, reprend l’examen de l’affaire du prêtre Alpulus avec Petronius évêque de Corse et avec le scabinus Alais, missus du comte Boniface.
70 M. Banniard, « Niveau de compétence langagière chez les élites », dans F. Bougard, R. Le Jan, R. Mckitterick (éd.), La culture du haut Moyen Âge. Une question d’élites ?, Turnhout, 2009, p. 45-47.
71 I Placiti del « Regnum Italiae », op. cit., p. 274-277 (n° 76).
72 Ibid., p. 296-301 (n° 82).
73 L. Feller, « Introduction », dans F. Boucard et al., Dots et douaires dans le haut Moyen Âge, op. cit., p. 1-25.
74 L. Feller, Les Abruzzes médiévales. Territoire, économie et société en Italie centrale du ixe au xiie siècle, Rome, 1998, p. 466-496.
75 C. Wickham, « Land Disputes and their Social Frameworks in Lombard-Carolingian Italy, 700-900 », W. Davies, P. Fouracre (dir.), dans The Seulement of Disputes in Early Medieval Europe, Cambridge, 1986, p. 105-124 ; L. Feller, Les Abruzzes médiévales..., op. cit., p. 669-674.
76 L. Feller, A. Gramain, F. Weber, La fortune de Karol. Marché de la terre et liens personnels dans les Abruzzes au haut Moyen Âge, Rome, 2005, p. 111.
77 Pourtant, Amelfredus, le fils aîné de Gundi, vient au tribunal affirmer avec Sisenand qu’il s’agissait bien d’un mariage légitime. Mais un représentant de l’empereur lui-même proteste contre l’irrégularité de ce mariage. Amelfredus, qui est le mundoald de Gundi, est contraint à payer une lourde amende pour avoir donné sa mère en mariage après qu’elle a pris le voile.
78 I Placiti italiani del « Regnum Italiae », op. cit., p. 274-277 (n° 76).
79 Thietmar de Mersebourg, Chronicon (976-1018), MGH SSRG NS. 9, Berlin, 1955. Voir H. Lippelt, Thietmar von Merseburg, Reichsbishof und Cbronist, Cologne/Vienne, 1973.
80 P. Corbet, « Le mariage en Germanie ottonienne... », art. cité, p. 188.
81 L. Leleu, « Semper patrui in fratrum filios seviunt... », art. cité, p. 545-547 sur les rapts.
82 Thietmar de Mersebourg, Chronicon, IV, 41.
Auteur
Maître de conférences à l’université de Reims Champagne-Ardenne (CERHIC, EA 2616) et membre junior de l’Institut universitaire de France. Ses études portent sur l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge, en particulier sur la parenté, les lois barbares et les transformations de l’autorité paternelle. Elle a publié : La femme ravie. Le mariage par rapt dans les sociétés occidentales du haut Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2012.
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