Résumés
p. 203-206
Texte intégral
1Corinne Rostaing – La non-mixité des établissements pénitentiaires et ses effets sur les conceptions de genre : une approche sociologique
2Contrairement à la plupart des institutions comme l’école ou l’hôpital, la prison est encore de nos jours l’une des rares institutions monosexuées, avec des quartiers ou des établissements réservés à l’un ou l’autre sexe. Sous l’Ancien Régime, les détenus étaient mélangés quel que soit leur âge ou leur sexe, et c’est au xixe siècle que le processus de séparation a été entrepris. On cherchera d’abord à comprendre le double processus par lequel, tant du côté des personnels que du côté des détenus, un entre-soi féminin se crée au sein des détentions féminines. La séparation des sexes contribue à produire des « organisations genrées », c’est-à-dire non neutres du point de vue des identités sexuées, s’appuyant sur des conceptions codifiées du masculin et du féminin, qu’elles contribuent à reproduire. Seront ainsi analysés les effets de la non-mixité des prisons sur les structures carcérales. Si certaines spécificités, comme l’existence de petits quartiers au sein de prisons d’hommes, peuvent s’expliquer par la sous-représentation des femmes en prison, puisqu’elles représentent l’exception parmi une majorité masculine, d’autres sont liées aux stéréotypes genrés. On s’intéressera en particulier aux effets des conceptions de genre sur l’enfermement féminin à partir des formations, des activités ou du type de travail proposés aux femmes. L’enfermement n’est donc pas conçu de la même manière par l’administration qui gère les établissements pour femmes et pour hommes.
3Sylvie Duval – De la réclusion volontaire. L’enfermement des religieuses entre Moyen Âge et époque moderne
4Durant l’époque moderne, dans les pays catholiques, le nombre de religieuses (en majorité issues des classes aisées de la société) est très élevé. Celles-ci vivent pour la plupart à l’intérieur de monastères strictement clos, souvent situés à l’intérieur même des villes. Cet enfermement « massif » des femmes non mariées s’explique pas la convergence de facteurs religieux, sociaux et culturels vers la définition d’une vertu spécifiquement féminine de l’enfermement. Il s’agit en fait de la remise en valeur d’une vertu bien plus ancienne, celle de la virginité. La clôture des monastères féminins, de fait, est assimilée à une barrière protégeant non seulement la pureté des religieuses, mais aussi la moralité de la société les entourant. L’assimilation par les femmes elles-mêmes de cette vertu de l’enfermement attachée à leur sexe rend possible leur réclusion « volontaire » dès la fin du Moyen Age, lorsque les réformes monastiques observantes prônent la stricte clôture des monastères. Le « consentement » féminin s’appuie aussi sur la mise en valeur du statut sacré de la religieuse, et sur l’obéissance universellement due au père de famille dans la société d’Ancien Régime. La contrainte exercée sur les jeunes filles sans vocation est cependant reconnue et dénoncée, jusqu’au xixe siècle, époque qui voit progressivement s’éteindre le phénomène.
5Xenia von Tippelskirch – Spiritualités en captivité et circulation d’écrits sur le cloître à l’époque moderne
6On peut concevoir les couvents comme des endroits où, à l’époque moderne, des femmes ont bénéficié d’un accès privilégié à la culture et à des savoirs. Mais s’agissait-il aussi de savoirs spécifiques sur les rapports de genre, donc sur le rôle des femmes en tant que femmes, sur les rapports des femmes entre elles et sur les rapports entre hommes et femmes ?
7Des recherches récentes émergent trois axes possibles d’une réponse à cette question. Tout en tenant compte du fait que les murs étaient perméables, on peut distinguer : des savoirs qui circulaient à l’intérieur des couvents et qui servaient à la création d’un comportement de moniale idéal ; des projections qui étaient activées dans la controverse religieuse qui attaquait la moniale en tant que femme ; et, enfin, des savoirs accumulés par des femmes qui ne passaient que très peu de temps à l’intérieur des couvents, mais contribuaient activement à la construction d’un imaginaire selon lequel le couvent ne pouvait pas servir à la perfection spirituelle.
8Bernard Heyberger – Clôture féminine, violences, rapports de genre et crise de l’autorité. La congrégation des religieuses du Sacré-Cœur (Mont Liban, 1750-1786)
9Des cas de dérive sectaire et de violence extrême dans un monastère féminin, comme la tragédie qui s’est déroulée dans le monastère du Sacré-Cœur de Jésus au Mont Liban (1750-1786), bien documentée, nous permettent de réfléchir sur le fonctionnement (et le dysfonctionnement) de la clôture féminine.
10Un monastère féminin reste toujours en interaction avec l’extérieur, à travers les attaches familiales et la reproduction des hiérarchies sociales dans le cloître, à travers aussi le rôle attribué aux instances de contrôle masculines, l’évêque ordinaire et les confesseurs. Les conflits qui déchirent l’Église et la société hors du couvent ont alors des répercussions directes sur la vie de la communauté.
11Un monastère féminin est une tentative de recréer une société à part, échappant aux liens, aux règles et aux querelles mondains. Mais cet idéal n’est pas toujours atteint. Lorsqu’il est sous la conduite d’une mystique visionnaire, dont la communication directe avec le Christ est reconnue par son entourage, les religieuses tombent sous la coupe du pouvoir absolu de cette dernière. Lorsque les hommes chargés de contrôler et d’encadrer la vie religieuse des femmes révèrent l’inspiration mystique de la « sainte », ils deviennent eux-mêmes dépendants de celle-ci et incapables d’exercer leur autorité. La confession devient alors un instrument de domination totale et de manipulation des consciences aux mains de la « sainte ». Celles qui s’opposent à elle sont diabolisées et deviennent les victimes d’une fuite en avant sectaire qui peut conduire jusqu’à l’assassinat, justifié par l’inspiration divine.
12Marine Coquet – Coloniser par la voie pénale : de l’idéal familial à la réalité coloniale des rapports entre les sexes dans la colonie pénitentiaire du Maroni (Guyane française, xixe-xxe siècle)
13À dater de la seconde moitié du xixe siècle, le territoire pénitentiaire du Maroni, situé à l’ouest de la Guyane française, est alloué à la gestion de la transportation des condamnés aux travaux forcés. L’administration du bagne est chargée d’y expérimenter les préceptes de la colonisation par la voie pénale, posés par la loi du 8 mai 1854. Parmi ses outils, les rapports entre les sexes sont organisés afin de construire ex nihilo un foyer de peuplement, à même de répondre aux attentes des parlementaires. Le foyer doit non seulement être le moyen de moraliser les bagnards et les bagnardes, mais il est également le nécessaire dispositif économique et démographique sans lequel la colonisation pénale ne peut espérer d’avenir. Manipulée par l’administration du bagne, l’organisation des rapports de pouvoir de sexe, comme ceux de classe et de « race », ne se comprend qu’à la lumière du caractère pénal et colonial de l’implantation française au Maroni. Ce territoire est à la fois ouvert et fermé, il est soumis à des temporalités qui, sur près d’un siècle, contraignent sa raison d’être : la colonisation pénale. Les rapports entre les sexes se meuvent et s’articulent à d’autres rapports de pouvoir qui, même s’ils sont parfois mis à mal et souvent remaniés, assurent à la domination administrative sa maîtrise du territoire et de ses habitants.
14Claire Garnier – Comment une religieuse soigne-t-elle le corps d’un homme ? Clôture religieuse et action hospitalière dans l’espace français aux xviie-xviiie siècles
15La clôture des Hospitalières constitue une forme d’enfermement présente dans les hôpitaux d’Ancien Régime. Alors que la clôture masculine peut être contournée pour les hommes, en choisissant la voie du clergé séculier, l’Église impose, par la décrétale Periculoso en 1298, puis par le concile de Trente en 1563, la nécessité pour les femmes religieuses de vivre cloîtrées.
16L’adaptation de cette clôture à l’activité hospitalière, à laquelle se consacrent de nombreuses femmes dans le courant de la Réforme catholique, est l’objet de cette contribution. À partir des écrits de Vincent de Paul et de sources issues d’hôpitaux parisiens, auvergnat et canadiens, il s’agit de montrer de quelles manières la clôture féminine s’adapte à l’action hospitalière et comment ces adaptations rendent possible, pour des femmes, de soigner des corps d’hommes malades.
17Veerle Massin – De l’usage de l’enfermement comme outil d’intervention et de savoir sur le sexe. L’enfermement des jeunes délinquantes (Belgique, 1920-1970)
18L’enfermement semble être plus légitime pour les filles de justice que pour les garçons. Pourquoi ? Cette contribution s’intéresse à la manière dont un discours orienté sur le sexe et la sexualité des filles a pu être mobilisé pour légitimer l’enfermement des jeunes délinquantes en Belgique et justifier certaines de ses pratiques. Le sexe et la sexualité verbalisés seraient des « outils » permettant d’agir sur une certaine catégorie de population, les filles de justice. L’article repose sur une recherche portant sur les parcours et l’expérience des filles enfermées, le contexte judiciaire et social dans lequel ces parcours se sont insérés et les pratiques institutionnelles intra-muros mobilisées. Nous souhaitons mieux comprendre comment la « fille délinquante » peut être une création discursive, quel rapport le discours entretient avec le sexe et la sexualité des filles, et comment ce discours s’articule avec les pratiques. Cette étude est donc l’occasion de s’interroger sur la construction de l’identité de la fille délinquante à travers la mesure d’enfermement.
19Christian Knudsen, Élisabeth Lusset et Julie Claustre – Genre, sexe et pénitences dans les monastères anglais à la fin du Moyen Âge
20L’obligation du célibat était tout aussi importante pour les moniales que pour les moines. Ce sont pourtant les premières qui ont focalisé l’attention des autorités ecclésiastiques. En effet, la fornication avec une religieuse était classée parmi les maiora crimina et était durement sanctionnée par l’Église médiévale. Si la législation épiscopale insiste sur la culpabilité des partenaires sexuels des religieuses, elle en dit peu sur les religieuses elles-mêmes et sur leur punition. En outre, bien que les écrits monastiques de la fin du Moyen Âge insistent moins sur la chasteté des moines, ces derniers n’y sont pas moins astreints. Dans cet article, je montrerai que, bien que la fornication, et en particulier celle avec une moniale, soit condamnée par l’Église, les inconduites sexuelles des moines et des moniales ne sont pas punies particulièrement sévèrement. En outre, malgré l’insistance de la législation sur la préservation de la chasteté féminine, les pénitences imposées aux religieux, qu’ils soient hommes ou femmes, sont tout à fait similaires. Cependant, alors que les moniales sont moins souvent accusées d’incontinence que les moines, elles sont plus facilement reconnues coupables et soumises à une pénitence. Ce paradoxe semble résulter d’une plus grande difficulté pour les femmes à se disculper par le biais de la purgation canonique, en raison notamment de la preuve accablante que pouvait constituer une grossesse.
21Regis Schlagdenhaujffen – Genre et sexualité dans l’univers concentrationnaire nazi
22S’appuyant sur des témoignages d’hommes et de femmes déportés en camps de concentration nazis, cet article porte sur la manière dont le genre est institué en tant que catégorie classificatoire à l’intérieur d’un groupe de même sexe. Pour ce faire, nous analyserons successivement la façon dont les relations intimes et affectives sont évoquées dans les camps d’hommes puis de femmes. Les différences qu’il est possible d’établir entre les façons de penser les relations entre personnes de même sexe nous permettent de mieux comprendre comment le genre et le sexe (selon l’opposition masculin/féminin) participent d’une coconstruction des représentations de l’univers concentrationnaire et des sociabilités recluses en situation extrême.
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