De la réclusion volontaire
L’enfermement des religieuses entre Moyen Âge et époque moderne
p. 53-69
Résumés
Durant l’époque moderne, dans les pays catholiques, le nombre de religieuses (en majorité issues des classes aisées de la société) est très élevé. Celles-ci vivent pour la plupart à l’intérieur de monastères strictement clos, souvent situés à l’intérieur même des villes. Cet enfermement « massif » des femmes non mariées s’explique pas la convergence de facteurs religieux, sociaux et culturels vers la définition d’une vertu spécifiquement féminine de l’enfermement. Il s’agit en fait de la remise en valeur d’une vertu bien plus ancienne, celle de la virginité. La clôture des monastères féminins, de fait, est assimilée à une barrière protégeant non seulement la pureté des religieuses, mais aussi la moralité de la société les entourant. L’assimilation par les femmes elles-mêmes de cette vertu de l’enfermement attachée à leur sexe rend possible leur réclusion « volontaire » dès la fin du Moyen Age, lorsque les réformes monastiques observantes prônent la stricte clôture des monastères. Le « consentement » féminin s’appuie aussi sur la mise en valeur du statut sacré de la religieuse, et sur l’obéissance universellement due au père de famille dans la société d’Ancien Régime. La contrainte exercée sur les jeunes filles sans vocation est cependant reconnue et dénoncée, jusqu’au xixe siècle, époque qui voit progressivement s’éteindre le phénomène.
During Modern ages in catholic countries the number of religious women (mainly coming from the upper classes) is very high. They mainly live within strictly enclosed monasteries located inside the cities. This “massive” confinement of non-married women can be explained by the convergence of religious, social and cultural factors towards the definition of a specific female virtue of confinement. This is, in fact, a new proposal for a more ancient virtue, that of virginity. The enclosure of female monasteries is indeed considered as a barrier which protects not only the purity of religious women, but also the morality of the nearby society. The assimilation by women themselves of this virtue of confinement attached to their sex makes possible their “voluntary” reclusion since the end of the Middle Ages, when monastic observant reforms promote strict enclosure for the monasteries. The female “consent” rely also on the recognition of the sacred status of nuns and on the obedience universally due to fathers during the Ancien Régime. The pressure put on young girls lacking religious vocation is however acknowledged and denouced, until the XIXth century, during which this phenomenon progressively disappears.
Texte intégral
« Les claustrations ont fait leur temps. Les cloîtres, utiles à la première éducation de la civilisation moderne, ont été gênants pour sa croissance et sont nuisibles à son développement1. »
1Cet avis éclairé nous vient d’un siècle où, déjà, le regard sur la claustration est devenu négatif. Il n’en a pas toujours été ainsi. Victor Hugo nous parle ici d’un temps, encore bien proche du sien, où les cloîtres étaient pleins, où ils faisaient partie de la vie quotidienne des villes de l’Europe et où les grilles et les rideaux des parloirs étaient connus de toutes les familles aisées. Héritier des mouvements révolutionnaires qui ont placé la liberté individuelle au centre de la place publique, l’auteur des Misérables est à même de poser, en 1862, un regard critique sur l’âge d’or, désormais révolu, des monastères féminins, et tout particulièrement sur les normes d’enfermement qui les a caractérisés.
2On peut voir ici en filigrane se dessiner cette grande « transition » dans l’histoire des enfermements, à savoir le passage, dans les sociétés occidentales, d’un enfermement majoritairement monastique et féminin à une réclusion avant tout judiciaire (carcérale) et masculine. L’utilisation par la société de l’enfermement, du confinement ou de la « séparation » spatiale et physique diffère d’un siècle à l’autre et fait apparaître des évolutions profondes dans la perception des rapports entre les sexes comme dans la construction des identités de genre. C’est à l’enfermement monastique et plus largement religieux des femmes que nous allons ici nous intéresser.
3La claustration religieuse est en elle-même paradoxale. Elle associe en effet l’enfermement, c’est-à-dire la privation de la liberté de mouvement, à une décision qui, a priori, relève de la liberté personnelle la plus absolue, celle de la vocation religieuse. Les « enfermées » sont donc, pour une bonne part, volontaires. Au-delà de la question de la liberté individuelle – qui se pose pour les hommes comme pour les femmes –, l’ambiguïté de la claustration religieuse des femmes se trouve liée à un contexte social et culturel spécifique qui a fait coïncider le concept religieux de séparation du monde avec l’« utilité » sociale et morale de l’enfermement des femmes seules. C’est à l’époque moderne dans les pays catholiques que les taux de professions religieuses chez les femmes issues des familles aisées atteignent des sommets2. Les monastères de femmes, dont les normes de clôture ont été renforcées par le concile de Trente, jouent alors le rôle de lieux de placement des jeunes filles non mariées et/ou non « mariables ». La période de l’âge d’or de la réclusion religieuse féminine, qui s’étend approximativement de la fin du xve siècle au début du xixe siècle (avec des variations notables d’une région à une autre), a été rendue possible premièrement par une convergence des valeurs religieuses, culturelles et sociales à propos de la « clôture » et, deuxièmement, par des mécanismes d’acceptation qui ont globalement conduit les femmes à se soumettre à leur destin d’enfermées.
La clôture comme vertu féminine
La clôture monastique
4La clôture n’est pas une caractéristique des monastères féminins : les moines eux aussi y sont soumis. Celle des monastères de femmes acquiert cependant très précocement (dès la règle de saint Césaire, au vie siècle)3 un caractère particulier qui la différencie de celle des établissements masculins, au point que la clôture, « qui n’avait d’abord été qu’une précaution, finit par devenir un but en soi, auquel le reste est sacrifié4 ».
5Nous n’allons pas retracer ici toute l’histoire de la clôture des moniales, mais tenter, schématiquement, de mettre en évidence ce qui la différencie de celle des moines. La clôture, tout d’abord, est symbolique : son expression la plus parfaite se retrouve dans le cloître, fermé sur lui-même et destiné à favoriser la prière et la méditation des religieux, qui est avant tout la délimitation d’un espace sacré. Dans le cas des femmes, cette sacralité prend une importance particulière puisque les religieuses sont considérées comme les épouses du Christ, et que leur virginité et/ou leur chasteté doivent être tout particulièrement gardées.
6Ensuite, elle est matérielle, puisqu’elle prend concrètement forme dans les murs des bâtiments claustraux, ou même plus sommairement dans les limites qui bornent un terrain plus vaste que l’enclos monastique lui-même (comme dans le cas des déserts des chartreuses). Les normes de la clôture féminine telles qu’elles sont définies au xiiie siècle, notamment par les ordres mendiants, insistent tout particulièrement sur cet aspect en prévoyant la taille des murs, l’aspect précis des grilles du parloir, le fonctionnement des serrures et des portes, et l’imposition de voiles sur les fenêtres et les grillages – c’est ce qu’on appelle la « stricte » clôture. Les règles masculines ne contiennent pas, en général, ce type de prescriptions5.
7Enfin, elle est juridique : le non-respect de la clôture (entrée ou sortie) peut entraîner des sanctions graves. La législation concernant la clôture se renforce tout au long du Moyen Âge, et en particulier au xiiie siècle, notamment en ce qui concerne les femmes, dont les communautés se développent considérablement à cette époque6. Le respect de la clôture dans les monastères de femmes est en outre étroitement associé à la juridiction pontificale : dès la fin du xive siècle pour certains monastères, puis de façon généralisée à partir du concile de Trente, le franchissement de la clôture par une personne extérieure non autorisée est puni par l’excommunication7. Ce type de clôture, dite « papale », couronne un dispositif déjà fort complexe, en confirmant la sacralité de l’espace interne des monastères féminins et en complétant efficacement le dispositif matériel de la clôture.
8Quelle que soit la façon dont on l’aborde, il semble donc que la clôture monastique a toujours quelque chose de « plus » dans le cas des femmes. De fait, ces dispositifs matériels ou juridiques supplémentaires recouvrent une fonction et une utilité plus larges que celles qui définissent la clôture masculine.
L’enfermement modelé par le regard masculin
9La clôture monastique a, de fait, une double fonction. Elle doit à la fois empêcher les personnes extérieures au monastère d’y entrer et dissuader les religieux d’en sortir. Les religieux, qui sont au centre du dispositif, se trouvent ainsi à l’abri à la fois des dangers et des tentations du monde. Mais, dans le cas des religieuses, la clôture a en réalité une troisième fonction qui ne les concerne pas directement : elle doit les cacher aux yeux du monde car, en tant que femmes seules (c’est-à-dire non mariées et non protégées par les hommes), elles représentent une occasion de péché. C’est donc pour le bien de tous que la vie des monastères de femmes doit, autant que possible, se dérouler dans le secret.
10Cet enfermement féminin est entièrement défini par le regard des hommes. Ce sont eux qui composent, à partir d’un point de vue strictement genré, les normes de la réclusion des femmes. Or, à leurs yeux (et, plus précisément, aux yeux des clercs), le risque qu’il faut concrètement éviter – si l’on pousse la logique jusqu’au bout –, c’est que les monastères deviennent des lupanars. L’opposition entre le monastère et le lupanar, entre la vierge sacrée et la prostituée, qui exclut l’existence de situations intermédiaires, apparaît comme fondamentale. Dès lors, ceux qui définissent les normes de la stricte clôture des monastères féminins sont obsédés par le vecteur qui se trouve être à l’origine du péché : le regard. C’est ainsi qu’on impose peu à peu aux religieuses de se cacher complètement. Les parloirs, déjà munis de doubles grillages au xiie siècle, se couvrent aussi, dès le xiiie siècle chez les Clarisses, au xve siècle chez les Dominicaines, de rideaux destinés à cacher le visage des religieuses à leurs interlocuteurs :
« Nous ajoutons que, devant la grille où les moniales ont coutume de converser avec les personnes extérieures, un drap devra rester perpétuellement étendu et fixé de tous côtés, afin que les interlocuteurs ne puissent se voir mutuellement [...]8. »
11Les religieuses, on le sait, ont également la tête couverte d’un voile, vêtement riche de significations9, mais dont la fonction première, comme tout voile féminin, est de dissimuler la chevelure, même coupée. La dissimulation du corps des religieuses intervient donc sur deux plans : celui du vêtement individuel et celui des différents dispositifs communautaires de clôture (rideaux, murs) qui les cachent à la vue des laïcs. Plus encore que leur « féminité », c’est en fait la corporalité même des moniales qui est dissimulée : seule leur voix, en théorie, traverse les grilles et les rideaux des parloirs, que ce soit lors des conversations ou des offices. Les religieuses invisibles se rapprochent ainsi, peu à peu, des anges. Cette image se retrouve fréquemment, qu’il s’agisse de qualifier le mode de vie « parfait » des moniales ou bien simplement de donner une idée de la musique « angélique » qui émane de leurs églises :
« Je puis dire néanmoins qu’aucune musique n’égalait celle que j’ai entendue de même à Venise dans une église. Elle était exécutée par des jeunes filles et ces chants si simples, si harmonieux, chantés par des voix si belles et si fraîches, semblaient vraiment célestes ; les jeunes filles étaient placées dans des tribunes élevées et grillées ; on ne pouvait les voir, en sorte que cette musique venait du ciel, chantée par des anges10. »
Le jardin des vierges ou la forteresse imprenable
12Le monastère apparaît ainsi comme un avant-goût du paradis, où les femmes perdent leur caractère sexué. De fait, si l’image du jardin clos, l’hortus condusus, a longtemps été utilisée pour évoquer à la fois le paradis et les cloîtres, elle représente aussi le corps de la Vierge, ainsi que le suggère le Cantique des cantiques11 tel qu’il est interprété à partir du xiie siècle, notamment par Bernard de Clairvaux ou Rupert de Deutz12. Le cloître féminin, jardin clos renfermant des vierges, est donc, par excellence, un hortus condusus13. Cette assimilation du cloître féminin à un jardin clos est diffusée notamment par l’intermédiaire d’un traité fort lu à la fin du Moyen Âge et alors attribué à saint Bernard (alors qu’il date vraisemblablement du xiiie siècle), le Liber de modo bene vivendi ad sororem14. Au xve siècle, l’image de la Vierge associée au jardin clos, voire directement au cloître, devient un thème classique de la peinture religieuse15.
13En cette fin de Moyen Âge, les images servant à définir les cloîtres féminins fleurissent non seulement sous la plume des ecclésiastiques, mais également sous celle des humanistes. S’éloignant de la poésie mystique du jardin, ces derniers adoptent, pour illustrer la nécessité des monastères et la protection qu’ils doivent offrir aux femmes non mariées, l’image de la forteresse. Ainsi, Filarete et plus encore Leon Battista Alberti décrivent-ils les monastères féminins comme des bâtiments sans ouvertures ou presque, où les vierges doivent rester absolument invisibles16.
14Les femmes elles-mêmes reprennent à leur compte cette idée de la clôture, qui semble alors s’imposer à tous. La cité des dames de Christine de Pisan (1405) a pour ambition de défendre l’« honneur » féminin face à la misogynie qui règne en son temps dans le monde de la littérature, tant du fait des auteurs contemporains17 que de la prééminence de certaines autorités comme Aristote18. Ce traité se présente de façon allégorique comme la construction d’une « cité » où « seules habiteront les femmes illustres et de bonne renommée, car les murs de notre Cité – dit dame Raison – seront interdits à toutes celles qui seront dépourvues de vertus19 ». Ainsi, Christine, pour défendre les femmes, choisit-elle de reprendre l’image de la forteresse imprenable. Or, qui dit clôture dit aussi exclusion, c’est-à-dire définition d’une limite entre les femmes « vertueuses » d’un côté et les femmes « perdues » de l’autre.
15Femmes, vertu et clôture : en cette fin de Moyen Âge, ces trois éléments semblent associés au-delà du monde religieux. L’enfermement des femmes, de fait, correspond à une norme qui se décline à l’abri non seulement des murs du cloître, mais également de ceux du foyer, où Bernardin de Sienne, en accord avec ses contemporains laïcs, renvoie les épouses vertueuses, afin qu’elles balaient leur maison et ne la laissent pas se remplir d’ordures et d’araignées20. Aux vierges, et même à toutes les femmes « spirituelles », il impose naturellement le modèle de Marie qui aurait toute sa vie mené une existence recluse que l’on donne en exemple aux femmes :
« Quand [l’Ange Gabriel] vint chez [Marie], elle n’était pas habituée à errer et à se promener sur les places et dans les rues, ni à se rendre chez les uns les autres, elle restait dans sa propre maison, toujours enfermée et en paix. En cela l’Esprit saint nous enseigne que les vierges et les femmes, surtout si elles sont spirituelles, ne doivent pas aller se promener dans d’autres maisons que la leur, ni vagabonder de-ci de-là devant les spectacles du monde, mais demeurer dans des chambres secrètes (secretis thalamis) et dans des monastères, afin de conserver leur virginité21. »
16L’idée selon laquelle la réclusion est bonne pour toutes, religieuses comme laïques, se retrouve aussi dans la majorité des « règles de vie » données par des directeurs de conscience aux femmes du xve siècle22. L’image récurrente de la Vierge Marie recluse chez elle se fonde presque uniquement sur quelques passages des Évangiles apocryphes23. À l’exemple de Marie, est très souvent opposé celui de Dina, la fille de Jacob qui, étant sortie de chez elle, fut violée (Genèse, 34)24. Encore une fois, il n’y a pas ici de « demi-mesure » : ce ne sont pas de petits dangers qui guettent la femme sortant de son cloître ou bien de sa maison.
Convergence de valeurs : la clôture pour toutes
17Le xve siècle apparaît comme un moment de convergence de valeurs entre la société laïque, qui s’est longtemps désintéressée, voire opposée à la clôture des monastères de femmes, et l’Église, qui a toujours promu l’enfermement des femmes consacrées et l’a fait avec une nouvelle vigueur à partir du xiiie siècle. En effet, les laïcs, dans leur grande majorité, ne semblent pas avoir considéré la stricte clôture féminine comme une absolue nécessité avant le xve siècle, voire avant le xvie siècle25. Le grand essor des monastères féminins strictement clos, tel qu’on le connaît pour la période moderne, doit être relié aux grandes transformations des structures économiques et sociales que l’Europe connaît alors. Avec la hausse considérable, dans les familles de l’aristocratie et des classes aisées en général, du nombre de jeunes filles que l’on ne marie pas, principalement pour des raisons de politique patrimoniale (il faut marier le moins d’enfants possible pour ne pas avoir à partager un patrimoine qui, souvent, trouve sa base la plus solide dans les possessions foncières et/ou immobilières), les lieux de réclusion religieuse féminine retrouvent une vocation sociale de première importance26. La figure de la religieuse se superpose ainsi à celle de la femme que l’on ne veut et/ou que l’on ne peut marier. Les contemporains eux-mêmes sont parfaitement au fait de ce mécanisme, mis en place de façon consciente et avec le soutien des autorités laïques27.
18La promotion des monastères strictement clos dans l’Europe chrétienne de la première modernité correspond non seulement à une baisse de la nuptialité des familles aisées mais également à une très forte remise en valeur de la virginité, entendue non pas simplement comme vertu religieuse, mais avant tout comme valeur sociale fondamentale – elle se confond, dans le cas des femmes, avec la notion d’honneur28. Dans les siècles précédents, qui ont été avant tout marqués par la spiritualité de la pénitence, la virginité n’était que l’une des formes de la vertu cardinale de chasteté. Aux xiie-xiiie siècles, même les prostituées se voyaient proposer une possibilité de salut à l’intérieur des cloîtres, pourvu qu’elles renoncent définitivement à leurs pratiques et se repentent. Avec la restriction du marché matrimonial et l’exclusion de nombreuses jeunes filles de la vie d’épouse et de mère, la virginité physique se superpose à la virginité spirituelle et semble même la surpasser.
19La baisse de la nuptialité et la mise en valeur de la virginité vont de pair : d’un point de vue anthropologique, l’obsession de la virginité des jeunes filles correspond en effet à un souci aigu de la filiation et, plus précisément, à une forte mise en avant de la paternité et de la « pureté » du lignage29. Dans le cadre d’une société aux structures patriarcales fortes – le Père, c’est aussi l’autre nom de Dieu –, on assiste à une remise en valeur unanime de la virginité consacrée, qui a le mérite de permettre aux pères de donner aux filles qu’ils ne souhaitent pas marier une situation que la société reconnaît comme honorable. Notons d’ailleurs que cette « convergence » des valeurs est telle que, bien souvent, les jeunes filles qui sont destinées au mariage passent également une période de leur vie dans le cloître, celle de leur jeunesse : en les y enfermant avant leurs noces, on s’assure de la conservation de leur virginité physique comme de leur innocence morale.
Les enfermées
20La clôture féminine peut donc être interprétée comme une valeur fondamentale de la société patriarcale d’Ancien Régime, tout au moins dans les classes dominantes. Comment cela se traduit-il concrètement dans les comportements ? Et, surtout, comment les femmes elles-mêmes, premières intéressées, ont-elles interprété et assimilé cette valeur ? Lorsqu’une jeune fille entre dans la clôture, ce n’est pas, en général, par la force. Elle est convaincue, d’une manière ou d’une autre, qu’il s’agit de son devoir, si ce n’est de sa vocation. L’enfermement féminin n’est pas, ou du moins pas directement, un enfermement qui s’opère par la contrainte physique, comme peut l’être celui du prisonnier ; c’est un enfermement qui semble largement accepté, voire revendiqué. Comment les mécanismes de l’acceptation de la privation de liberté se mettent-ils en place ?
Les mulieres religiosae et l’enfermement volontaire
21Les xiie-xve siècles sont le théâtre d’une ferveur féminine exceptionnelle, qui donne lieu à toutes sortes d’expérimentations dans le domaine de la vie religieuse. On croise alors dans les villes des béguines, des pénitentes (mantellate, pinzochere, etc.), rattachées de façon plus ou moins officielle aux ordres mendiants, des recluses, et de nombreux petits monastères de moniales installés dans les faubourgs et dont les occupantes, faute d’un encadrement adapté et/ou d’une réelle volonté de respecter la règle, n’observent pas les normes de la clôture induites par leur statut. On a beaucoup souligné la liberté de mouvement dont jouissent alors ces femmes : les pénitentes vivent seules ou en communauté, sans être le moins du monde assujetties à la clôture ; les béguines peuvent aller et venir librement ; leur indépendance est en outre renforcée par le fait que certaines d’entre elles travaillent pour vivre. Indéniablement, les xiie et xive siècles représentent un moment à tout point de vue exceptionnel pour la religiosité féminine : le développement de la mystique, la floraison du culte des saintes, la fondation d’ordres religieux féminins sont autant de facettes d’un incontestable essor de la présence des femmes dans le champ religieux et même, plus largement, dans le champ de la vie publique. Cette relative liberté, toutefois, est éphémère, et se développe au sein d’une société dont les fondements patriarcaux n’ont pas changé. En effet, si les mulieres religiosae parviennent à imposer leur présence, voire leur autorité spirituelle dans les villes européennes, elles suscitent toutefois la défiance de leurs concitoyens et la réprobation de l’Église, qui peut parfois se muer en véritable condamnation. Cette période est également celle qui voit naître les règles de la stricte clôture moderne. Elles apparaissent en premier lieu au sein des ordres acceptant d’encadrer, tant bien que mal, les nombreuses femmes qui veulent se vouer à Dieu : ordres cistercien, gilbertin, prémontré, puis, à partir des années 1220, les ordres mendiants30. En 1298, le pape Boniface VIII publie la fameuse décrétale Periculoso qui oblige à la clôture toutes les moniales31. Il ne faut pas s’étonner de ce que la stricte clôture moderne telle qu’elle sera reprise par le concile de Trente soit née à un moment où, justement, les femmes religieuses non cloîtrées sont très nombreuses : il s’agit d’une réaction des autorités de l’Église devant une situation qu’elles jugent incontrôlée et dangereuse. Avec la décrétale Periculoso, instrument juridique servant à distinguer les « bonnes » religieuses des autres, la consécration religieuse des femmes devient synonyme de claustration :
« Nous prescrivons que toutes les moniales présentes et futures, quel que soit leur mode de vie (religionis) ou leur ordre religieux, et quelle que soit la région du monde où elles résident, soient désormais tenues de vivre dans la clôture perpétuelle à l’intérieur de leurs monastères32. »
22Il ne faut pas imaginer, cependant, que l’on trouve alors, d’un côté, des femmes « libres » et conscientes de cette liberté et, de l’autre, des clercs oppresseurs qui ne cherchent qu’à les renvoyer dans les cloîtres. La réalité est plus complexe. Et elle l’est notamment parce que la « vertu » féminine de l’enfermement, telle que nous avons tenté de la définir dans la première partie de cet article, est de plus en plus prégnante dans toute la société, et pas seulement au sein de l’Église. Dans un premier temps, en effet, les mulieres religiosae s’enferment elles-mêmes parce que l’enfermement est perçu comme un excellent moyen de parvenir à la « perfection ».
23Examinons tout d’abord le cas des recluses qui apparaissent dès le xie siècle33. Malgré la présence de quelques hommes dans leurs rangs, il s’agit d’une forme de consécration à Dieu très majoritairement féminine, jamais officiellement approuvée par l’Église. L’apparition des recluses dans les villes doit être reliée à deux phénomènes majeurs : le développement de l’urbanisation tout d’abord, qui s’accompagne d’un déplacement progressif des centralités culturelles, économiques et religieuses vers les villes ; le succès du mode de vie érémitique ensuite. Or, l’érémitisme « pur et dur », dans les forêts, les déserts, est perçu d’emblée comme un mode de vie exclusivement masculin, aux dangers duquel il ne convient pas que les femmes s’exposent. Celles-ci choisissent donc la solitude au cœur des villes, une solitude procurée non par l’isolement, mais par les murs des reclusoirs. Les recluses combinent ainsi l’exigence de solitude typique de la spiritualité des xie et xiie siècles avec l’obligation d’enfermement tacite qu’impose la société aux femmes seules et « sans défense ».
24Peu à peu, au cours du xve siècle, les recluses s’effacent mais les murs enfermant les religieuses, eux, demeurent. Ils abritent désormais des communautés de moniales qui choisissent de s’emmurer. L’exemple florentin du monastère des Murate est de ce point de vue emblématique34. Les mouvements observants féminins qui naissent à la fin du xive siècle font souvent de la clôture leur principal point de réforme : cette norme permet en effet aux observantes de se distinguer clairement des autres religieuses. Comme dans le cas des recluses, les moniales qui choisissent de vivre strictement cloîtrées revendiquent haut et fort leur enfermement : les hauts murs, les rideaux, les grillages sont autant de messages adressés au monde extérieur, qui proclament que ces religieuses ont choisi la voie de la perfection, sans concession. Au début du xve siècle, les observantes, Clarisses et Dominicaines strictement cloîtrées, jouissent d’ailleurs d’une autorité spirituelle très forte : les rideaux qui les cachent de leurs interlocuteurs démontrent à eux seuls la validité et la plénitude de leur engagement religieux, sans oublier la fascination qu’exercent déjà ces voix féminines « désincarnées ». Il est intéressant de noter que, dans le cas des moniales dominicaines, cette revendication de la clôture va dans le sens d’une exclusion des hommes du monastère : tandis que les constitutions écrites pour elles par Humbert de Romans en 1259 punissaient d’excommunication uniquement les sœurs qui sortiraient du monastère35, les moniales observantes, elles, exigent l’excommunication de tout homme, clerc ou laïc, qui entrerait dans leur monastère sans autorisation :
« Nous ordonnons que, dorénavant, aucun homme, qu’il s’agisse d’un laïc ou d’un clerc [ecdesiastica persona], régulier ou séculier, n’ait l’audace d’entrer à l’intérieur de l’enceinte et des clôtures du monastère [de San Domenico] sous peine d’une excommunication encourue automatiquement [ipso facto]36. »
25Les premières observantes dominicaines, qui fondent leurs monastères dans les années 1380-1420, sont des femmes d’expérience qui ont pour la plupart été mariées et mères de famille, et qui trouvent dans le monastère strictement cloîtré le lieu d’un accomplissement personnel37. Il semble que la plupart d’entre elles aient été en mesure de choisir librement de faire profession religieuse dans un monastère strictement cloîtré. Il nous faut donc conclure que ce sont des femmes qui ont été à l’origine, du moins en partie, du durcissement des normes de clôture à l’aube de l’époque moderne. Cette norme représente pour elles un moyen non seulement d’afficher publiquement la pureté de leur vocation, mais aussi de s’assurer un espace de liberté, à l’écart des hommes auxquels elles sont soumises dans la vie laïque, souvent durement, ne l’oublions pas. La forteresse des dames vertueuses que Christine de Pisan invente dans les mêmes années n’est-elle pas, en un sens, un monastère ? Nous touchons là à l’un des mécanismes expliquant l’enfermement massif des femmes à l’époque moderne : l’acceptation par les femmes elles-mêmes de l’enfermement comme une vertu attachée à leur sexe, comme un moyen idéal de se faire respecter au sein d’une société profondément misogyne et, finalement, de mener une vie peut-être, paradoxalement, plus libre.
S’enfermer, pourquoi ? Les raisons d’une « vocation »
26De fait, les motifs qui peuvent pousser les femmes à s’enfermer « volontairement » sont nombreux. La protection qu’offre le cloître aux femmes seules est le premier et le principal de ces motifs. Si les femmes peuvent se considérer comme plus « libres » alors qu’elles sont enfermées, c’est que les murs et les dispositifs divers de la clôture les éloignent définitivement des agressions et de la violence de la vie extérieure, qu’il s’agisse de l’insécurité publique ou de la violence familiale et conjugale. Cette protection peut aussi être comprise comme un moyen d’éviter les dangers et les inconvénients d’une vie maritale que beaucoup de femmes ne souhaitent point mener. Il faut se garder de faire des religieuses de simples victimes ; cela est particulièrement vrai au xve siècle, à une époque où, en raison des risques liés aux maternités, l’espérance de vie des femmes mariées est très inférieure à celle des moniales, et où seules ces dernières sont systématiquement alphabétisées38.
27La protection peut être en soi une raison suffisante pour s’enfermer, mais d’autres motifs, plus subtils, plus profonds, peuvent conduire les femmes à rechercher ou simplement à accepter l’enfermement religieux. Parmi ceux-ci, il ne faut pas nier l’existence d’un certain esprit de sacrifice39. Par leur entrée au monastère, leur « mort au monde », les femmes renoncent à leur liberté de mouvement et à leur potentielle fertilité : ce sacrifice se fait, du point de vue social comme du point de vue religieux, au profit de la société tout entière qui, en retour, les considère comme des êtres sacrés. Les monastères féminins deviennent donc dans les villes des pays catholiques (en particulier dans la péninsule Ibérique et en Italie) les lieux privilégiés de l’intercession entre la cité et la divinité40. Tout dans les cérémonies qui scandent l’entrée progressive d’une femme dans la vie religieuse, du début du noviciat jusqu’à la profession définitive, souligne l’aspect sacré que la religieuse assume peu à peu. C’est à l’époque moderne, moment de la « convergence » de valeurs mentionnée précédemment, que ces cérémonies acquièrent une dimension à la fois festive et pathétique exceptionnelle, assimilant l’entrée en religion des postulantes tout à la fois à un mariage et à un enterrement41. Le faste des cérémonies et l’élitisme, voire le luxe de certains couvents flattent aussi sans aucun doute l’amour-propre de certaines postulantes, favorisant ainsi l’acceptation de leur condition.
S’enfermer, comment ? De l’obéissance à la contrainte
28La protection et la contrainte sont les « deux faces d’une même médaille42 ». Les contours d’une dynamique « douce » de l’enfermement passent par l’obéissance (vertu cardinale du monachisme, mais également de la famille organisée autour du pater familias) et, au-delà, par le consentement, c’est-à-dire par la reprise à son compte, par la future religieuse, des raisons qui poussent ses proches à l’enfermer et, plus généralement, par l’assimilation par les jeunes filles des valeurs de soumission et de passivité féminines sur lesquelles se fondent les sociétés patriarcales. Qui ne dit mot consent. Ce mécanisme de la psychologie collective, qui n’est pas sans rappeler la « servitude volontaire » qu’Étienne de La Boétie a décrite dès le milieu du xvie siècle à propos de la soumission des peuples à leur gouvernement43, me semble particulièrement fécond pour l’histoire des femmes, et notamment pour le sujet qui nous occupe. Le consentement trouve ses racines dans l’éducation et, pour suivre La Boétie, dans la « coutume ». Les jeunes filles destinées au cloître reçoivent en effet dès leur plus tendre enfance une éducation orientée vers leur future « vocation »44. De plus, elles sont très vite accoutumées à l’idée que la vocation religieuse fait partie du destin des femmes, puisqu’elles connaissent nécessairement une tante ou une cousine qui est entrée en religion. La clôture, il faut le rappeler, sépare les femmes du monde, mais elle ne rompt pas les liens sociaux : elle les transforme. C’est ainsi que les monastères féminins, depuis toujours, mais plus encore à l’époque moderne, sont des établissements intimement liés à certaines grandes familles qui les soutiennent et leur envoient régulièrement des postulantes.
29L’obéissance et le consentement même peuvent être considérés comme des formes douces de la contrainte. Il est en réalité bien difficile de tracer une ligne claire entre enfermement « volontaire » et enfermement contraint. L’âge des postulantes, en général, à peine sorties de l’enfance lorsqu’elles prononcent leurs vœux définitifs, facilite l’obtention de leur accord, nécessaire à la validité de leur engagement45. Parmi celles que l’on appelle déjà, à l’époque moderne, les « moniales forcées », il faut citer Arcangela Tarabotti, moniale vénitienne du xviie siècle. Arcangela (de son nom de baptême Elena) est entrée dans le monastère bénédictin de Sant’Anna en 1615, à l’âge de onze ans. Après avoir prononcé, sans vocation, sa profession définitive, elle compose des œuvres littéraires dont le thème est l’enfermement monastique contraint. Dans ses ouvrages, sa réprobation s’adresse tout particulièrement aux pères de famille qui ne respectent pas la liberté de leurs filles. Parmi ses œuvres les plus célèbres, l’Inferno monacale (non publié de son vivant) est sans doute celle dont le style est le plus incisif et le plus direct46. Elle y décrit l’enfermement des religieuses comme un non-sens, aussi bien du point de vue de la morale que de celui de la religion, et y dénonce la cruauté des mécanismes sociaux qui conduisent tant de jeunes filles à mener une vie insupportable, dominée par l’éternel regret d’un monde qu’elles n’auraient jamais voulu quitter. La « religieuse », source de dénonciation mais aussi de fantasmes, devient d’ailleurs un personnage littéraire à part entière du xviie au xixe siècle. S’appuyant sur un cas véridique, celui de la religieuse milanaise Marianna de Leyva47, Manzoni décrit dans I promessi sposi (Les fiancés) le cas de Gertrude, la « moniale de Monza », poussée au crime par la réclusion forcée. Trente ans environ avant Les Misérables, le grand auteur italien, fervent catholique, dénonce à travers cet exemple l’inhumanité de l’enfermement des jeunes filles ; or ce ne sont pas les crimes de Gertrude qu’il décrit au cours du long chapitre qu’il lui consacre, mais bien la contrainte/persuasion exercée par un père sur sa fille.
30Obéissance, contrainte, consentement : l’enfermement des religieuses et plus largement des femmes seules dans l’Europe moderne est rendu possible par plusieurs formes complémentaires de sujétion. Les grands couvents féminins peuvent-ils, toutefois, être comparés à des prisons ? À première vue, ils y ressemblent, par leurs murs, leurs grilles et leurs dispositifs complexes d’ouverture sur l’extérieur. Cachant les « épouses du Christ » au regard des passants, les grilles rappellent peut-être plus les moucharabiehs des maisons musulmanes que celles des prisons. En effet, les monastères disposent en général de jardins et de pièces confortables, et non pas, comme les prisons, de cellules humides et inhospitalières. Les parloirs eux-mêmes deviennent, à l’époque moderne, de véritables salons, où se conjuguent l’art de recevoir et le respect de la clôture48. Contrairement aux prisons, les monastères clos disposent souvent de tout le confort de l’époque et ne sont pas, sauf exception, d’obscurs reclusoirs. Cette différence de « confort » dans l’enfermement est loin de n’être qu’un élément superficiel pour notre réflexion : elle révèle en effet que la fonction des deux types d’établissement, la prison et le monastère, est profondément différente. Le prisonnier subit un enfermement qui doit le punir, lui faire expier une faute et qui, en définitive, est infâmant. La religieuse, elle, n’a commis aucune faute et accède à un statut socialement reconnu comme positif, qui la place aux confins du sacré. Reste que la prison moderne comme le monastère de l’Ancien Régime sont des lieux de mise à l’écart de ceux qui n’ont pas leur place dans la société et qui doivent non seulement être séparés des autres, mais aussi dissimulés à leur regard.
Notes de bas de page
1 Victor Hugo, Les Misérables, Paris, Poche, tome 1, 1998, p. 706, 2e partie, livre septième, II, « Le couvent, un fait historique ».
2 À Florence, en 1427, 6,5 % des femmes âgées de plus de quatorze ans appartiennent à un monastère. Au cours du xvie siècle, cette proportion fait plus que doubler, si bien que, au début du xviie siècle, 16 % de la population féminine florentine se trouve cloîtrée et plus de la moitié des femmes sont issues des familles patriciennes, voir Judith Brown, « Monache a Firenze all’inizio dell’età moderna. Un’analisi demografica », Quaderni Storici, 85/1,1994, p. 117-152.
3 Julia Hillner, « L’enfermement monastique au vie siècle », dans Isabelle Heullant-Donat, Julie Claustre et Élisabeth Lusset (dir.), Enfermements. Le cloître et la prison (vie-xviiie siècle), op. cit, p. 39-56.
4 Jean Leclercq, « Clausura in Oriente e in Occidente », dans Guerrino Pelliccia et Giancarlo Rocca (dir.), Dizionario degli istituti di perfezione, Rome, Edizioni Paoline, vol. 2,1975, col. 1166- 1174, ici 1170 : La clausura, che era stata dapprima soltanto una precauzione, tende a divenire un bene in se stessa.
5 Une exception célèbre à cet état de fait est constituée par le monastère bénédictin de Valladolid, fondé en 1390 par le roi de Castille Jean Ier, qui donna à la communauté des statuts spécifiques de clôture, très proches de ceux des moniales. Voir Garcia M. Colombás, « Valladolid », dans Dizionario degli istituti di perfezione, op. cit, vol. 9, col. 1683-1688.
6 Voir infra, p. 12-13.
7 Jean Leclercq, « Clausura... », art. cité, col. 1171, et infra, p. 15.
8 Bulle Ut inter eterne, 1387, éditée dans le Buliarium Ordinis Praedicatorum, Thomas Ripoll (éd.), Rome, Mainardi, vol. 7, 1729-1740, p. 65 : Adiicimus quod ante cratem, ubi moniales cum forinsecis loqui soient, pannus extensus et undequaque affixus perpetuo maneatsic quod colloquentes se mutuo videre non possint [...]. Il s’agit des statuts des moniales dominicaines observantes ; la règle des Clarisses (1253) prévoit, elle aussi, un tel dispositif.
9 Sur les problématiques du voile féminin, voir Gabriella Zarri (dir.), Vélo e velatio. Significato e rappresentazione nella cultura figurativa dei secoli xv-xvii, Rome, Edizioni di Storia e letteratura (Scritture nel chiostro, Temi e testi, 127), 2014.
10 Élisabeth Vigée-Lebrun, Souvenirs, Paris, 1835, citée par Caroline Giron-Panel, « Des orphelines consacrées à la musique : essai de définition et étude de l’environnement social et familial des “filles du chœur” des ospedali vénitiens au xviiie siècle », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée modernes et contemporaines, 120/1, 2008, p. 189-210, ici p. 194.
11 Ct 4,12.
12 Bernard de Clairvaux, Sermones super Cantica Canticorum, en particulier le sermon 47 (Sancti Bernardi Opéra, éd. par J. Leclercq, H. Talbot et H. Rochais, Rome, Editiones Cistercienses, vol. 2, 1957, p. 63-64). Rupert de Deutz, Commentaria in Canticum Canticorum, en particulier le livre IV (Ruperti Tuitiensis, Commentaria in Canticum Canticorum, éd. H. Haacke, Turnhout, Brepols (Corpus Christianorum, 26), 1974, p. 85 sq.). Les deux ouvrages cités sont disponibles sur la base Brepolis.
13 La référence est encore reprise par Pie XII dans la constitution Sponsa Christi (1950). Surl’hortus condusus comme constitutif de l’« identité féminine entre Moyen Âge et époque moderne », voir Gabriella Zarri, Recinti : Donne, clausura e matrimonio nella prima età moderna, Bologne, Il Mulino, 2000, en particulier l’introduction.
14 Ce fut, notamment, l’un des livres préférés de Brigitte de Suède. Voir Claire L. Sahlin, Birgitta of Sweden and the Voice of Prophecy, Woodbridge, The Boydell Press, 2001, p. 65. Une version anglaise de ce traité vient d’être publiée, The Manere of Good Lyvyng, A.E. Mouron (éd.), Turnhout, Brepols, 2014.
15 On peut penser à deux œuvres célèbres issues de traditions figuratives différentes : l’Annonciation de Fra Angelico au couvent San Marco de Florence (datant des années 1430-1440), et la Vierge au buisson de roses de Stefan Lochner (années 1440), conservée au Wallraf-Richartz Museum de Cologne.
16 Leon Battista Alberti, De Re Aedificatoria, livre 5, chapitre 7 (p. 65 dans l’édition de Jacobus Cammerlander, Strasbourg, 1541 [disponible sur https://archive.org/details/dereaedificato-riooalbe, consulté le 20 décembre 2015]) : [Virginum claustra] tam munita esse legionum castra vallo, Jossaque oportet quorum istarum septa sunt mûris obvallanda altis, integris, nullis uspiam apertionibus relictis, quibus non dico castimoniae expuynatores, sed ne oculorum, aut verborum quidem Jaces, et veneres ad animos labefactandos possint immitti. Cet extrait est cité par Ann Roberts, Dominican Women and Renaissance Art. The Couvent of San Domenico of Pisa, Aldershot, Ashgate, 2008, p. 58.
17 En particulier lors de la querelle du Roman de la rose (1401-1402) qui l’a opposée, notamment, à Jean de Montreuil.
18 « À propos de la nature féminine, l’influence de l’Éthique et de la Politique d’Aristote imposera bientôt un autre discours, communément partagé, sur les défauts qui sont inhérents [à la femme] : l’excès de matière, dira-t-on alors en suivant le Philosophe, fait de la femme un être irrationnel et passionnel, affectif, excessif, et donc en position de subordination et d’obéissance par rapport à l’homme, en qui raison domine. On ne trouve rien de tel dans les sermons aux simples gens des années 1270, et quelquefois même, en passant, le contraire de l’idée d’une nature féminine radicalement viciée », Nicole Bériou, L’avènement des maîtres de la parole. La prédication à Paris au xiiie siècle, Paris, Institut d’études augustiniennes, vol. 1,1998, p. 303.
19 Christine de Pizan, La cité des dames, Thérèse Moreau et Éric Hicks (éd.), Paris, Stock, 2000 [1986], p. 42.
20 Selon Bernardin, en effet, les hommes qui vivent sans épouse sont incapables de tenir leur maison. S. Bernardini Senensis, Opera Omnia, Florence, Quaracchi, vol. 2,1950-1963, p. 107, sermon intitulé De domina honesta : At econtra videas innuxoratorum, non dico cunctorum, sed talium qualium solutorum dissolutorum domos ; raro vel numquam ibi accenditur ignis, parapsides et incisoria vix semel lavantur in mense, ollas et frixoria lavant lingendo canes, numquam scopatur domus, coquina totaque domus araneis et immunditiis plena est.
21 Ibid., vol. 4, p. 474, sermon intitulé De laudibus virginitatis : [Gabriel] inuenit illam [Mariam] non vagam, non discurrentem per plateas et vicos, non circuientem per alienas aedes, sed in domo consistentem clausam et quietam. In hoc virgines et mulieres, et potissime spirituales, Spiritus Sanctus edocens non circum-cursare per alienas domos, non hinc inde ad mundi spectacula circumvagari, sed in secretis thalamis atque monasteriis immorari ad conservandam virginitatem necesse esse.
22 Voir Geneviève Hasenhor, « La vie quotidienne de la femme vue par l’Église. L’enseignement des “journées chrétiennes” à la fin du Moyen Âge », dans Heinrich Appelt (dir.), Frau und spät-mittelalterlicher Alltag, Vienne, Verlag der österreichischen Akademie der Wissenschaften, 1986, p. 19-102, ici p. 70-71 : « L’idéal de réclusion qui, par définition, est celui qu’ont librement choisi les recluses, qui caractérise leur état dans la société médiévale, est aussi celui que toutes les règles imposent en modèle aux trois catégories de femmes – vierges, veuves, mariées – à temps et à contretemps. »
23 Il s’agit principalement des textes du Protévangile de Jacques, de l’Évangile du pseudo-Matthieu et du Livre de la Nativité de Marie (voir Écrits apocryphes chrétiens, Pierre Geoltrain (éd.), Paris, Gallimard, 1997 [Bibliothèque de la Pléiade, 442]). On y voit Marie enfermée au Temple dès ses trois ans, puis confiée à Joseph et occupée chez elle à tisser un voile pour le Temple. Les Évangiles canoniques, qui parlent peu de Marie, ne la montrent chez elle qu’une seule fois, lors de l’Annonciation (Lc 1, 26-38).
24 Sur ce thème, voir Carla Casagrande, « La femme gardée », dans Christiane Klapisch-Zuber (dir.), Histoire des femmes. Le Moyen Âge, Paris, Plon, 1990, p. 98 sq.
25 Sylvie Duval, « Mulieres Religiosae and Sorores Clousae. The Dominican Observant movement and the diffusion of strict enclosure in Italy (xiiith to xvith century) », dans Veerle Fraters et Imke De Gier (dir.), Mulieres Reliyiosae ; Shapiny Female Spiritual Authority in the Médiéval and Early Modem Period, Turnhout, Brepols, 2014, p. 193-218.
26 Sur ce sujet, voir Judith Brown, « Monache a Firenze », art. cité, et Richard C. Trexler, « Le célibat à la fin du Moyen Âge : les religieuses de Florence », Annales ESC, 27/6,1972, p. 1329-1350.
27 Voir notamment Gabriella Zarri, Recinti, op. cit., p. 46-47.
28 Julius Kirshner, Pursuing Honor While Avoiding Sin : The Monte Delle Doti of Florence, Milan, Giuffrè (Quaderni di Studi senesi, 41), 1978.
29 La période moderne (xve-xviiie) correspond en effet à l’« âge d’or des pères », voir Jean Delumeau et Daniel Roche (dir. J, Histoire des pères et de la paternité, Paris, Larousse, 2000 [1990], en particulier partie I, chapitre 3 (par Alain Molinier).
30 Herbert Grundmann, Religiöse Bewegungen im Mittelalter, Berlin, E. Ebering, 1935, ici chap. 5.
31 Elisabeth Makowski, Canon Law and Cloistered Women. Periculoso and its commentators, 1298-1545, Washington, Catholic University of America Press, 1997 ; Ead., « L’enfermement des moniales au Moyen Âge. Débats autour de l’application de la décrétale Periculoso », dans Enfermements, op. rit, p. 107-118.
32 Elisabeth Makowski, Canon Law, op. rit, éd. et trad. anglaise de la décrétale p. 133-136 : Sanrimus universas et singulas moniales, presentes atque juturas, cuiuscunque relugionis sint vel ordinis, in quibuslibet mundi partibus existentes, sub perpetua in suis monasteriis debere de cetera permanere clausura [...].
33 Paulette L’Hermite-Leclercq, « La femme à la fenestrelle du reclusoir », dans Jean Heuclin et Michel Rouche (dit), La femme au Moyen Âge, Maubeuge, Touzot, 1990, p. 49-68.
34 Dans les années 1410, quelques femmes, disciples de Catherine de Sienne, se réunissent sur le pont Rubaconte à Florence et s’enferment dans un reclusoir (d’où leur nom de Murate, les « emmurées »). L’intégration de la communauté à l’ordre bénédictin se fait en 1424 sous l’égide de l’abbé observant de la Badia Fiorentina. Ce monastère devient très rapidement l’un des plus importants de la ville, renfermant plus d’une centaine de moniales issues des plus riches familles florentines. Il est supprimé en 1808 et peu à peu transformé en prison pour hommes dans les années 1840, fonction qu’il remplira jusqu’en 1980.
35 La plus ancienne version connue des constitutions est consultable dans « Constitutiones sororum », P. Mothon (éd.), Analertu Sacri Ordinis Praedicatorum, 3,1897, p. 335-348.
36 Bulle Ut inter eterne, 1387, voir supra n. 8 : Ordinamus quod decetero nullus masculus sive laicus sive ecdesiastica persona secularis vel regularis existant septa et dausuras dicti Monasterii sub excommunicationis pena quam incurrat ipso facto [...] ingredi quoquomodo presumat.
37 Sylvie Duval, « Comme des anges sur terre ». Les moniales dominicaines et les débuts de la réforme observante, 1385-1461, Rome, École française de Rome, 2015.
38 Les moniales de chœur (à l’exclusion des converses, donc) doivent être capables de lire l’office divin. Sylvie Duval, « Usages du livre et de l’écrit chez les moniales dominicaines observantes, Italie, première moitié du xve siècle », dans D. Nebbiai, N. Bériou et M. Morard (dir.), Entre stabilité et itinérante. Livres et culture des ordres mendiants xiiie-xve siècle, Turnhout, Brepols, 2014, p. 215-228.
39 Sur ce thème, voir Gabriella Zarri, Recinti, op. cit., p. 66.
40 Ibid., p. 64 : [...] le istituzioni monastiche femminili si qualificano per la loro funzione intercessoria nei confronti della città.
41 Ibid., chapitre 4.
42 Francesca Medioli, « Lo spazio del chiostro. Clausura, costrizione e protezione nel xvii sec. », dans Silvana Seidel Menchi, Anne Jacobson Schutte et Thomas Kuehn (dir.), Tempi e spazi di vita femminile tra Medioevo ed età moderna, Bologne, Il Mulino, 1999, p. 353 -373, ici p. 355.
43 Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, Paris, Flammarion, 1983 [rééd. 1998], p. 153 : « La première raison pour quoi les hommes servent volontiers, est pour ce qu’ils naissent serfs et sont nourris tels. »
44 Sur l’éducation des filles, voir Christiane Klapisch-Zuber, « Les clefs florentines de Barbe-Bleue. L’apprentissage de la lecture », dans Ead., La maison et le nom : stratégies et rituels dans l’Italie de la Renaissance, Paris, EHESS, 1990, p. 309-330, ici p. 326.
45 Les religieuses peuvent faire reconnaître l’invalidité de leurs vœux par le tribunal ecclésiastique si elles peuvent prouver qu’elles les ont prononcés sous la contrainte. Voir Gabriella Zarri, « Dalla profezia alla disciplina », dans Ead. et Lucetta Scaraffia, Donne e fede. Santità et vita religiosa in Italia, Bari, Laterza, 1994, p. 177-227, ici p. 210-211.
46 Francesca Medioli, L’inferno monacale di ArcangelaTarabotti, Turin, Rosenberg et Sellier, 1990.
47 Vita e processo di suor Virginia Maria de Leyva monaca di Monza, Milan, Garzanti, 1985.
48 Une belle illustration d’un parloir devenu salon est donnée par le tableau de Francesco Guardi, Il parlatorio delle tnonache di San Zaccaria (1745-1750), conservé au Museo del Settecento veneziano Ca’ Rezzonico de Venise.
Auteur
Membre associé du Ciham, UMR 5648
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