Introduction
p. 13-29
Texte intégral
1Cet ouvrage et la rencontre internationale qui en fut l’origine1 marquent la troisième étape d’un programme de recherche destiné à étudier l’histoire des enfermements monastiques et carcéraux dans une perspective comparative, interdisciplinaire et de longue durée. L’hypothèse centrale de cette recherche est que, pour comprendre les différentes formes de clôture religieuse comme de privation de liberté, il est nécessaire de les étudier et de les penser conjointement, et non séparément. Saisir ce qu’enfermer signifie impose, par conséquent, d’aller au rebours de traditions historiographiques fermement ancrées et assez étanches entre elles, puisqu’elles s’attachent soit aux prisons, soit aux monastères, soit aux asiles, soit aux hôpitaux, pour ne citer que quelques exemples. Dans cette perspective, il convient donc moins de cibler les valeurs associées aux procédures ou aux modalités de clôture dans des lieux précis, quels qu’ils soient, que d’embrasser dans une perspective comparative les dispositifs variés d’enfermement, leurs pratiques et leur agencement matériel et idéel. D’une certaine manière, dans les espaces profondément marqués par le christianisme et les pratiques de gouvernement qu’il a générées2, la prison est incompréhensible sans le cloître, et le cloître sans la prison.
2Cloître et prison. L’association de ces deux termes est une manière lapidaire, et donc nécessairement inexacte, de désigner notre terrain d’observation puisque l’un comme l’autre recouvrent des réalités multiples. Par « cloître », il faut entendre les monastères mais également les couvents, maisons-Dieu et autres hôpitaux dans leur forme médiévale ou moderne ; autrement dit, diverses formes d’établissements à caractère avant tout religieux, soumis à une règle ou un règlement. Par « prison », il faut comprendre des lieux, eux aussi très divers, où l’on enferme des individus considérés comme défaillants, nuisibles, dangereux, coupables, criminels, délinquants, et où la vie des « enfermés », prisonniers et geôliers, est également soumise à des règlements, empreints d’une dimension religieuse plus ou moins forte durant les périodes considérées3.
3Présenter cloître et prison comme deux idéal-types au sens wébérien4 revient à s’abstraire du fait que de nombreuses institutions ont réuni les caractéristiques du cloître et de la prison, notamment aux xviiie et xixe siècles (on songe, par exemple, aux nombreux établissements fermés de la protection de l’enfance et du traitement de la délinquance juvénile5) ; mais force est de constater que les évolutions du christianisme en Occident à partir du haut Moyen Âge ont conduit à assigner progressivement des valeurs censées être propres à la prison (pénitence personnelle) comme au cloître (louange de Dieu), de sorte qu’il est peu fréquent de les considérer dans une approche comparative. Pourtant, des éléments communs existent bel et bien, comme, par exemple, et pour rester dans le registre de la foi chrétienne, celui de la recherche du salut de l’individu et de la société : cette dimension « salutaire » est longtemps demeurée essentielle dans toutes les institutions d’enfermement, pieuses, charitables ou encore répressives. Le volume Enfermements I. Le cloître et la prison (vie-xviiie siècle) a d’abord tenté de considérer à nouveaux frais et ensemble ces lieux emblématiques de l’enfermement, apparemment très différents, leurs usages et leurs significations entre Moyen Âge et époque moderne6. Il a exploré les conceptions, les valeurs et les objectifs associés à ces établissements, les particularités de la vie derrière leurs murs et enfin la sociologie des groupes exposés à ces types d’enfermement. La comparaison a permis de décrire le fonctionnement social de lieux et d’ensembles humains ayant pour caractère commun d’être plus ou moins clos, c’est-à-dire séparés du monde à la fois par des moyens physiques (murs, enceintes, portails, etc.), par un degré plus élevé de contrainte et de spiritualité, et par des règles de vie commune spécifiques qui les distinguent du reste de la société et permettent l’expression de formes de sociabilité propres.
4Nous avons fait le choix de parler de « milieux clos », même si cette expression est bien évidemment réductrice. En effet, l’enfermement, qu’il soit monastique, carcéral, hospitalier ou asilaire, n’est pas réductible au phénomène spatial de la clôture, comme l’ont suggéré des travaux récents de géographes7 : il inclut toujours d’autres effets spatiaux, liés à l’éloignement et à la séparation sociale qu’il ne suffit pas de décrire par l’image du mur. Par ailleurs, la clôture, à quelque époque que ce soit, n’est jamais étanche, y compris dans les grandes institutions carcérales contemporaines. Entre le « dedans » et le « dehors », il existe, au contraire, un jeu complexe d’échanges et de transactions, matériaux et sociaux, qui réduit la distance à première vue importante entre ce qui se passe à l’intérieur du lieu clos et la société qui l’environne8. Ces multiples porosités, si elles mettent sérieusement en doute l’idée d’une « clôture » effective, ne doivent pas non plus aveugler : il s’agit toujours de lieux où sont mis en œuvre des dispositifs, des moyens et des pratiques spécifiques, distincts à bien des égards de ceux observés en d’autres lieux de la vie sociale, mais qui constituent des élaborations sociopolitiques essentielles pour le fonctionnement ou le développement ultérieur des sociétés considérées. Ils organisent le temps et les activités, répartissent spatialement les personnes, conditionnent les rapports avec l’extérieur ou encore sanctionnent les manquements. Or, dans le cas des enfermements monastiques, comme dans celui des enfermements carcéraux, ces dispositifs, moyens et pratiques nous paraissent suffisamment comparables pour être confrontés dans une analyse commune.
5Le volume Enfermements II. Règles et dérèglements en milieu clos (ive-xixe siècle) a prolongé la réflexion en explorant l’une des pratiques communes les plus essentielles aux univers du cloître et de la prison : se doter de règles et de règlements9. Il interroge la nature de la règle et historicise sa mise en texte, compare les manières de produire l’obéissance dans les milieux clos et les dérèglements qui y surgissent, et tente de réévaluer le rôle de la discipline religieuse dans la mise en place des systèmes carcéraux occidentaux. L’étape Enfermements III. Le genre enferme. Hommes et femmes en milieux clos (xiiie-xxe siècle) se saisit de la question du « genre » qui impose d’élargir la chronologie jusqu’au xxe siècle, et l’éventail des institutions considérées, depuis les monastères jusqu’aux prisons, en passant par les asiles, les colonies pénitentiaires, les bagnes ou encore les camps de concentration. Ces derniers ont été exclus des étapes précédentes du programme de recherche en raison du caractère inouï et extrême de l’expérience concentrationnaire10. Néanmoins, le fait que quelques travaux récents traitent plus particulièrement du genre dans cet univers nous a incités, pour cette fois, à les intégrer à notre réflexion11. Une telle décision a été facilitée par le fait que les recherches actuelles sur les camps de concentration entendent de plus en plus sortir de leur particularité absolue, sans la nier, en mettant en perspective leurs résultats avec une histoire des pratiques d’enfermement sur une plus longue durée. Le bagne a également été intégré à cette étape du programme, puisque non seulement il partage certains traits avec le monde des camps comme avec le monde pénitentiaire, mais il constitue également un mode d’enfermement hautement genré dont la recherche commence à étudier de plus près les logiques sociales qui le parcourent12.
6Nous sommes partis d’un constat : en dépit de l’abondance des travaux sur les différents modes d’enfermement (en histoire, mais également en sociologie, en anthropologie, en sciences politiques, en histoire du droit ou encore en philosophie13) et du foisonnement plus récent des recherches sur le genre14, « enfermement » et « genre », en tant que catégories et pratiques du social, sont pour l’heure encore trop rarement pensés ensemble. Cette situation tient au fait que la réflexion autour des enfermements s’est concentrée sur l’étude du contrôle social, et plus particulièrement du champ pénal dont on sait qu’il est marqué, depuis le xixe siècle, par une forte prédominance du sexe masculin, tant du côté des institutions (juges, criminologues, théoriciens et praticiens de la prison, etc.) que du côté des « enfermés ». La sous-représentation des femmes sur les scènes du crime et de la peine est couramment expliquée par la place que la société bourgeoise leur assignait : mères et ménagères, exclues d’une grande partie de la vie sociale, elles sont par conséquent moins exposées aux tentations du crime et plus souvent acquittées en raison de leur prétendue faiblesse comme de leur rôle essentiel pour la vie familiale et la perpétuation de la société. Jusqu’à une date assez récente, cette quasi-absence des femmes a conduit nombre de chercheurs à considérer l’univers du crime et de la peine comme monosexué, ou presque, et à négliger l’étude des rapports que cet univers entretient avec la différence des sexes15. Tout au plus concédait-on au crime féminin et à son traitement pénal et pénitentiaire une place spécifique : celle de l’exception, de l’irrégularité, du hors-norme16. Cette conception se retrouve d’ailleurs aisément dans les ouvrages de synthèse et manuels rédigés à l’attention des personnels des institutions pénales et pénitentiaires au cours du xxe siècle. On y est constamment confrontés au même schéma : à côté de longs chapitres dédiés aux principes d’organisation des prisons masculines, figure parfois une partie consacrée à la prison pour femmes. Elle est évoquée exclusivement à travers ses particularités par rapport à la prison pour hommes, conçue comme la forme universelle et donc « normale » de la prison. Ces passages consacrés aux femmes furent longtemps le seul lieu où la catégorie de « sexe » était envisagée, de sorte qu’être femme dans une prison voulait dire avoir un sexe, alors que l’ensemble des autres acteurs, que ce soit les gardiens et autres personnels ou les détenus de sexe masculin, semblaient ne pas en avoir17.
7Les événements de 1968 et les mouvements féministes ayant sorti les femmes de l’ombre dans laquelle les avaient jetées les courants dominants de l’historiographie occidentale18, leur place dans l’histoire de la criminalité, de la justice pénale et de l’enfermement carcéral a été réévaluée. Depuis les années 1980, certains historiens – et plus encore certaines historiennes – ont conçu l’enfermement féminin non plus comme une question annexe de l’histoire de l’enfermement en général, mais comme un sujet à part entière. Ce changement de regard a ainsi permis d’introduire la problématique de la différence des sexes dans un domaine de la vie sociale que la recherche considère, depuis longtemps, comme un champ privilégié pour l’étude du fonctionnement de la société dans son ensemble. Par exemple, les travaux de Yannick Ripa sur le monde asilaire en France19 ou ceux de Sandra Leukel sur les prisons pour femmes en Bade et Prusse20 ont montré l’influence de la construction d’une catégorie sociale, le sexe, sur la conception et la réalité d’un monde institutionnel dédié à la gouvernance de la marginalité. Ils n’ont pas moins permis de saisir certains effets récursifs que ce monde a pu exercer sur la société qui l’avait engendré, par exemple dans le domaine du travail féminin, y compris dans les établissements pénitentiaires eux-mêmes21, ou dans celui des réformes sociales.
8À travers ces études, en parallèle avec des travaux dans d’autres champs historiographiques (histoire de la famille, anthropologie historique de la parenté, histoire du corps, histoire de la guerre, etc.), l’histoire sociale et politique des femmes s’est ainsi lentement transformée – non sans rencontrer quelques difficultés particulièrement françaises22 – en une histoire des rapports entre les sexes, puis en une histoire du genre se fondant sur la distinction analytique entre sexe (différence biologique et anatomique) et genre (différence sociale et culturelle)23. Certes, l’histoire du genre en France demeure marquée par des approches différentes et parfois divergentes : histoire comparée des femmes et des hommes, lecture sexuée des grands événements historiques, étude de la construction de la hiérarchie des rapports sociaux à travers la division entre le masculin et le féminin, par exemple24. Et elle se caractérise par quelques retards persistants, notamment en ce qui concerne l’histoire des hommes et des masculinités25. De surcroît, la notion de « genre » est l’objet d’interrogations et de critiques scientifiques depuis quelques années : se concentrant sur les dimensions sociales et culturelles de la différence des sexes, elle escamoterait largement le corps et quelques-unes des expériences humaines fondamentales, a fortiori dans un contexte d’enfermement, comme la corporalité, la sexualité, la souffrance ou le rapport à la mort26 ; elle tendrait par ailleurs à imposer un schéma interprétatif unique alors qu’elle est l’une des catégories structurantes du social, qui ne peut être pensée en dehors d’autres facteurs d’inégalité, par exemple économiques ou ethniques27. Mais tout en ayant ces critiques en tête, on peut considérer que la notion de genre demeure un outil analytique pertinent : d’une part, elle fournit une voie importante pour appréhender, dans leur historicité, les catégories qui conditionnent la hiérarchie du social28 et, d’autre part, elle participe au même mouvement historiographique « constructiviste » qui domine également largement les recherches sur la criminalité et la justice pénale.
9Réfléchir à la manière dont les différents modes d’enfermement dans l’histoire interagissent avec le genre induit une réflexion à la fois sur le masculin, sur le féminin et sur leurs différentes articulations possibles dans des situations sociales précises, en l’occurrence celle de l’enfermement. Dans le contexte de ce que nous appelons les milieux clos – à savoir un large éventail d’institutions qui vont des prisons, camps ou bagnes jusqu’aux monastères, couvents, maisons-Dieu, hôpitaux, etc. –, il s’agit de comprendre tant les effets que la clôture produit sur les conceptions du genre que, en sens inverse, les effets que le genre produit sur la clôture. Notre objectif n’est pas d’interroger la seule problématique des institutions féminines, déjà abordée dans de multiples publications29, mais aussi de comprendre si et, le cas échéant, comment les dispositifs de clôture permettent d’affirmer les différences entre hommes et femmes dans leur variabilité historique. À cet effet, nous nous appuyons également sur une riche tradition de recherches dans le domaine de l’histoire de la vie monastique, pour laquelle la question du masculin-féminin a joué un rôle plus prépondérant.
10D’un point de vue historiographique, les moniales ne sont devenues un véritable objet de recherche qu’à partir du feminine turn des années 1970, prolongé ensuite, à partir des années 1990, par des réflexions sur l’histoire des sexes et du genre qui ont surgi aux États-Unis, avant de trouver des échos plus ou moins forts ou enthousiastes en Europe30. L’historiographie française, quant à elle, s’est développée selon des voies différentes. D’une part, à partir des années 1980, plusieurs études ont concerné les communautés religieuses féminines, voire les moniales elles-mêmes, en groupes ou de manière plus individuelle31, dans une perspective qui prenait en considération au moins autant leur état de religieuses que leur condition de femmes ; d’autre part, les études de genre ont délaissé les institutions religieuses au sein desquelles les femmes et leur histoire s’étaient longtemps cantonnées32. Les études ancrées dans le haut Moyen Âge et les siècles centraux de celui-ci ont été nombreuses, pour leur part, à utiliser le concept de « genre » pour analyser la différence des sexes au sein du monachisme occidental. Les monachismes, tant masculins que féminins, auraient offert des modes de vie relativement « non genrés », puisque fondés sur des principes identiques – l’ascèse, la chasteté, la prière, la charité –, et sur des textes fondateurs, souvent communs, au sein de sociétés par ailleurs profondément travaillées par la différence des sexes. Certains auteurs, tels que Gisela Muschiol, Jo-Ann McNamara et d’autres encore, ont pu aller jusqu’à affirmer l’existence d’un « troisième genre », propre aux réguliers, au-delà de leur sexe : égaux en Jésus-Christ et proches des anges par leur entrée au monastère, femmes et hommes religieux auraient formé un groupe asexué et « spirituel », distinct avant tout de celui des « charnels » vivant dans le monde33. Quant à l’historiographie consacrée aux religieuses de l’époque moderne, elle a d’abord insisté, dans les années 1990, sur le caractère répressif de la clôture féminine, en lien avec les prescriptions du concile de Trente34, avant que certaines recherches ne soulignent ses potentialités émancipatrices pour certaines moniales – les couvents devenant parfois des lieux d’activité et de production intellectuelles35.
11Pourtant, si le christianisme véhicule des discours contradictoires sur la place respective des hommes et des femmes, celui qui fonde ou promeut la supériorité masculine l’emporte bien souvent36. En outre, certains Pères ont pu considérer que la consécration d’une femme au Christ pouvait neutraliser son sexe, tel Jérôme, dans son commentaire de l’Épître aux Éphésiens, qui tenait que la femme consacrée « cesse d’être une femme et peut être appelée homme37 » ; et c’est la même idée que l’on retrouve dans certains textes hagiographiques exaltant les figures d’abbesses « viriles38 », qui détiennent un pouvoir sur la communauté, même si la métaphore maternelle a pu être utilisée au sujet de Jésus, de Bernard de Clairvaux ou encore de François d’Assise39. En outre, l’étude des règles monastiques atteste une spécialisation différente des tâches dévolues aux moines et aux moniales qui semble bien reproduire l’ordre social40. Et, comme le notait déjà Jacques Dalarun en 2002, « c’est dans le discours des clercs qu’il convient de rechercher en priorité les traces d’une construction historique du gender41 », pour ne rien dire des prérogatives réservées aux hommes, comme dire la messe, écouter les confessions ou encore prêcher, qui rappellent aux religieuses leur condition de dépendance, à quelques rares et transgressives exceptions près42. Jusqu’à une époque très récente, le prisme du « genre » a donc été essentiellement utilisé pour étudier les institutions féminines, bien moins, sinon très récemment, pour analyser leurs homologues masculines43.
12Ces quelques considérations révèlent un lourd déséquilibre historiographique dans l’analyse des milieux clos : d’un côté, dans les études concernant les milieux carcéraux au sens large, les femmes sont marginalisées au motif qu’elles y sont statistiquement moins présentes ; et, de l’autre, dans l’historiographie consacrée aux milieux monastiques ou réguliers, les femmes sont omniprésentes, notamment parce que ces institutions féminines ont été parfois considérées comme l’un des lieux possibles d’une certaine émancipation par rapport à la domination masculine44. Mais on peut également constater que les deux historiographies, rarement croisées, ont d’abord pensé les rapports entre genre et enfermement(s) à l’aune féminine plus que masculine – de sorte que, dans les prisons comme dans les monastères, les hommes considérés dans leur « condition masculine » semblent plus absents que leurs alter ego féminins.
13À l’instar du programme de recherche Enfermements dans son ensemble, cet ouvrage vise à articuler approches historiques, sociologiques et anthropologiques, avec pour horizon une comparaison sur le long terme d’objets qui – s’ils sont « moralement totalement disparates45 »– mettent en œuvre des dispositifs et des moyens en partie similaires comme les rapports de genre et s’inscrivent dans les mêmes structures sociales globales. Notre approche ne privilégie cependant pas une perspective chronologique, peu adaptée au caractère non linéaire de l’histoire des enfermements, qui est lourde de rémanences et de retours, d’imbrications et d’interférences. Elle suit l’entrelacs complexe des relations entre genre et enfermements, en distinguant trois moments, en amont, au fil et en aval de l’expérience de la clôture.
Femmes enfermées
14Monastères féminins, monastères masculins, prisons pour femmes, prisons pour hommes... Pourquoi a-t-on conçu et conçoit-on encore des lieux fermés pour les hommes et d’autres pour les femmes, et selon quelles modalités ? Un double caractère de faiblesse et de dangerosité est attribué à la femme au gré de discours discontinus du point de vue de la nature des explications qu’ils fournissent, mais cohérents quant à leurs effets d’exclusion ou de confinement46. Ce double caractère semble avoir justifié une protection/clôture et l’existence d’un continuum de pratiques de confinement des femmes, dont certaines sont d’ailleurs antérieures au christianisme. Mais ce constat ne répond que partiellement à la question du pourquoi. Ainsi, s’il est souvent affirmé que l’expérience de la clôture est à la fois plus diverse et plus diffuse pour les femmes (réclusion dans la sphère domestique, recluses médiévales...), il est non moins évident que de nombreux lieux clos sont des milieux à forte dominante masculine : la sous-représentation des femmes dans les prisons médiévales et dans les établissements pénitentiaires contemporains, qui renferment de nombreux condamnés pour des actes violents assimilés à des comportements présentés comme spécifiquement « masculins », est frappante. Il n’est sans doute pas indifférent que la littérature de captivité, qui prend son envol dans les espaces anglais et français au cours du second Moyen Âge, entre les xiiie et xve siècles, ne compte aucune oeuvre attribuée à une femme et ne livre donc aucun récit féminin d’amélioration personnelle par la captivité47. Si la captivité féminine légale est, sur la longue durée, nettement moins fréquente que la captivité masculine48, la captivité féminine extrajudiciaire est loin d’être rare : par exemple, dans la haute aristocratie médiévale notamment, elle a pu être un moyen de régulation des alliances et des successions49, ce qui nous rappelle que, dans bien des contextes, l’observateur ne doit pas trop vite limiter la captivité forcée à la captivité légale. Au xixe siècle, une institution comme l’asile passait pour un lieu réservé aux femmes, à cause de la supposée propension féminine à la folie ; mais des recherches récentes ont démontré que, en réalité, l’asile était souvent autant peuplé d’hommes que de femmes50. Et s’il existe des moniales depuis le très haut Moyen Âge, l’enfermement au monastère des femmes religieuses (mulieres religiosae) aux profils très divers – pénitentes, béguines, tertiaires, etc. – s’affirme surtout aux xve et xvie siècles à travers les mouvements dits de l’« Observance », en lien avec les changements économiques et sociaux. La « disciplinarisation » (Disziplinierung) des religieuses, pensée et soutenue par les grands réformateurs – quelques femmes, beaucoup d’hommes –, s’inscrit dans un processus ample, où se mêlent réforme de la vie monastique, exigence spirituelle et nouvelles normes de comportement social.
15Réexaminer le cas des femmes enfermées au prisme du genre dans les prisons contemporaines (Corinne Rostaing) comme dans les monastères médiévaux et modernes (Sylvie Duval, Xenia von Tippelskirch, Bernard Heyberger) permet de saisir, au-delà de l’extrême diversité des situations et des contextes étudiés, non moins que des approches (sociologique ou historique en l’espèce), en quoi les discours sociaux autour du genre et la construction sociale des identités « genrées » ont pu influencer et influencent encore aujourd’hui l’émergence, la perpétuation et la reproduction de certains dispositifs ayant recours à la clôture pour affirmer, à un moment donné et selon les règles sociales et culturelles en vigueur – explicites et implicites –, les différences sociales entre hommes et femmes.
Rapports de genre en milieu clos
16Comment la clôture agence-t-elle et influence-t-elle les rapports de genre ? À l’intérieur des milieux clos, les relations entre les sexes s’organisent de manière évidemment plus contrainte que dans la société environnante. Mais sont-elles l’inverse, le reflet ou bien le condensé de ce qui se passe à l’extérieur ? Dans cette perspective, il convient de s’interroger d’abord sur la répartition des tâches entre les sexes dans les « milieux clos », en restant attentifs à des recoupements avec d’autres catégories d’analyse, comme le statut social : familiers et serviteurs d’un autre sexe que la communauté au sein des institutions monastiques, rôle des clercs, en particulier des confesseurs dans les communautés religieuses féminines, répartition des travaux ménagers et productifs dans les institutions de discipline, présence des femmes détenues au service du personnel, rapports entre détenu(e) s et intervenant(e) s d’un autre sexe au sein des lieux carcéraux (figure de la visiteuse de prison, par exemple). Il faut également envisager la sexualité dans les établissements séculiers et parfois réguliers51...
17Pour aborder les rapports de genre en milieu clos, il est donc nécessaire de s’interroger sur les formes spécifiques que prennent, ou pas, ces rapports à l’intérieur de la clôture. Mais il convient également d’examiner l’hypothèse selon laquelle cette dernière transformerait les genres. Par exemple, dans le monde monastique, la fuite du monde et la clôture, comme préfiguration de la Cité céleste, visent à effacer l’humaine condition et, par conséquent, la conscience du sexe. Des processus semblables de métamorphose du genre semblent aussi à l’œuvre dans certains univers carcéraux, puisque la clôture carcérale contribue, comme l’ont montré des travaux sociologiques, à la construction d’une masculinité spécifique52.
18Les rapports de genre en milieu clos sont ici explorés dans des contextes à dessein très divers. Marine Coquet les évoque dans la colonie pénitentiaire du Maroni aux xixe et xxe siècles ; Claire Garnier dans des hôpitaux d’Ancien Régime ; Veerle Massin dans les institutions pour jeunes délinquantes des années 1920-1970 (établissements d’éducation, d’observation ou disciplinaire) ; Christian Knudsen dans les monastères médiévaux anglais et Régis Schlagdenhauffen dans les camps de concentration nazis.
19Lors de l’élaboration du questionnaire préparatoire au colloque « Enfermements et genre », l’une de nos interrogations visait à comprendre en quoi le phénomène de la clôture peut aboutir à la production de savoirs spécifiques sur le genre. Nous étions conscients du fait que cette question reste difficile à explorer pour toute époque antérieure à l’avènement de l’« expert » – figure de proue d’une modernité qui, à en croire les travaux de Foucault, est notamment née dans les prisons et autres lieux clos d’où émergent, autour de 1800, les nouvelles sciences de l’homme53. Mais elle est cruciale pour des périodes plus anciennes durant lesquelles s’installe déjà un rapport spécifique entre ceux qui savent et ceux qui confessent, bien avant que ce rapport ne devienne un modèle pour la gestion des déviances dans la société tout entière. La production des connaissances dans les « milieux clos » touche tout particulièrement les imbrications et transferts entre savoirs religieux, savoirs sociaux et savoirs scientifiques. Peut-on donc voir, dans cette relation sociale sui generis qu’installe la clôture depuis les monastères les plus anciens, le lieu matriciel d’élaboration de « savoirs » spécifiques, évoluant au gré des temps, autour de la femme comme autour de l’homme ? Telle était donc l’une des questions qui présidèrent à notre réflexion.
20Il existe des exemples éclatants et bien connus pour la deuxième moitié du xixe siècle : Charcot examinant les femmes hystériques devant un public masculin à la Salpêtrière, ou encore Lacassagne rassemblant, à Lyon, des écrits de prisonniers pour construire une typologie de l’« homme criminel54 ». Mais on peut également penser aux écrits religieux sur les femmes produits dans les communautés monastiques, aux rapports rédigés (par les administrations, mais aussi par les médecins ou pasteurs des établissements) dans les Zuchthäuser allemandes de l’époque moderne, où se construisent les premiers savoirs autour du déviant et de ses formes « genrées » (le brigand, la prostituée, l’empoisonneuse, etc.)55, bien avant l’apparition, au xixe siècle, d’une police intéressée par les sciences, ou encore aux expérimentations médicales, autopsies et autres interventions chirurgicales pratiquées sur les corps des détenus non seulement dans les prisons, mais également dans les hôpitaux et autres établissements délimités par une clôture « charitable » depuis la fin du Moyen Âge56. Enfin, à la lisière entre savoirs religieux et savoirs scientifiques, nous avions pensé aux interventions des pasteurs et confesseurs extérieurs dans le milieu carcéral, et à leurs théories « genrées » de l’homme ou de la femme déchus. Ces quelques réflexions, ici résumées, avaient également conduit à s’interroger sur les formes qu’avait pu prendre cette production de savoirs de la clôture, autrement dit envisager l’élaboration de certaines formes textuelles ou littéraires caractéristiques des milieux clos : visions, « livres de prison » médiévaux et modernes, traités biographiques publiés par des pasteurs de prison et construisant la « subculture » des criminels et criminelles57, par exemple.
21Le thème de la production de savoirs spécifiques sur le genre58 et les discussions qu’il a suscités au cours du colloque irriguent plusieurs contributions du volume. Les débats ont fait apparaître la comparaison des genres en situation d’enfermement permet d’examiner de manière potentiellement stimulante la construction du genre masculin/féminin, voire la reconduction des stéréotypes liés au genre dans de tels contextes. C’est ainsi que Christian Knudsen envisage le genre et la différence des sexes au prisme des pénitences imposées aux moines et moniales des monastères médiévaux anglais en cas de manquement à leur vœu de chasteté. Dans une perspective radicalement différente, Régis Schlagdenhauffen s’intéresse à l’homosexualité dans les camps de concentration nazis, en comparant les camps d’hommes et ceux de femmes. Pour être incomparables en termes de contexte et d’enjeux, ces deux interventions insistent sur la disjonction entre discours, pratique et représentation.
22La rencontre dont ce volume est le résultat fut programmée en 2012 et se tint en novembre 2013, au collège des Bernardins. Durant cet automne-là, les polémiques liées au vote de la loi autorisant le mariage entre personnes de même sexe, quelques mois auparavant, furent ravivées à l’occasion des ABCD de l’égalité, un programme d’enseignement destiné à lutter contre le sexisme et les stéréotypes de genre. Leurs détracteurs y décelaient la promotion d’une supposée « théorie du genre » dans les enceintes scolaires. Dans ce contexte, organiser une rencontre sur le « genre enfermé » dans ce lieu si emblématique de notre programme de recherche – le collège des Bernardins, dépendant aujourd’hui du diocèse de Paris, fut fondé par l’abbé de Clairvaux au milieu du xiiie siècle pour que les moines puissent suivre les cours de l’université de Paris – avait quelque chose de cocasse... Pour reprendre les propos d’Éric Fassin, le genre « n’est ni une théorie ni une idéologie, mais un outil qui aide à penser59 », et c’est dans cette perspective que nous avons tenté de l’utiliser. L’inégale répartition des textes publiés ici en trois parties reflète l’état de la documentation et plus encore celui de l’historiographie, où l’identité sexuée des acteurs en situation d’enfermement demeure un élément d’analyse plus significatif que la différence des sexes ; preuve, sans doute, que l’étude du fonctionnement des milieux clos au prisme du genre est encore un champ d’investigation à défricher.
Notes de bas de page
1 « Enfermements et genre », rencontre internationale organisée les 15 et 16 novembre 2013 au collège des Bernardins à Paris. La rencontre a rassemblé une quinzaine d’intervenants et de discutants (pour le programme détaillé, voir www.enfermements.fr), dont la plupart ont accepté notre invitation de publier une version écrite et retravaillée de leur contribution dans cet ouvrage.
2 Dominique Iogna-Prat, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris, Seuil, 2006.
3 Olivier Faure et Bernard Delpal, Religion et enfermements (xviie-xxe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.
4 Max Weber, Essais sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965, p. 181 : « On obtient un idéal-type en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en enchaînant une multitude de phénomènes isolés, diffus et discrets, que l’on trouve tantôt en grand nombre, tantôt en petit nombre, par endroits pas du tout, qu’on ordonne selon les précédents points de vue choisis unilatéralement pour former un tableau de pensée homogène. »
5 Voir, par exemple, Marie-Sylvie Dupont-Bouchat et Éric Pierre (dir.), Enfance et justice au xixe siècle. Essais d’histoire comparée de la protection de l’enfance 1820-1914. France, Belgique, Pays-Bas, Canada, Paris, PUF, 2001. Et, dans ce volume, l’article de Veerle Massin, « De l’usage de l’enfermement comme outil d’intervention et de savoir sur le sexe. L’enfermement des jeunes délinquantes (Belgique, 1920-1970) », p. 145-163.
6 Isabelle Heullant-Donat, Julie Claustre et Élisabeth Lusset (dir.), Enfermements. Le cloître et la prison (vie-xviiie siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2011.
7 Olivier Milhaud, Séparer et punir. Les prisons françaises : mise à distance et punition par l’espace, thèse de doctorat de géographie, sous la direction de Guy Di Méo, université Bordeaux 3 Michel-de-Montaigne, 2009.
8 Falk Bretschneider, Gefangene Gesellschajt. Eine Geschichte der Einsperrunp in Sachsen itn 18. und 19. Jahrhundert, Constance, UVK, 2008.
9 Pour une description plus détaillée des enjeux scientifiques de cette étape du programme, voir Isabelle Heullant-Donat, Julie Claustre, Élisabeth Lusset et Falk Bretschneider, « Introduction », dans Id. (dir.), Enfermements II. Règles et dérèglements en milieu clos (ive-xixe siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2015, p. 9-28.
10 Michael Pollak, L’expérience concentrationnaire. Essai sur le maintien de l’identité sociale, Paris, Métailié, 1990 ; Giorgio Agamben, Homo sacer, I, Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Seuil, 1997.
11 Voir par exemple Elissa Mailänder-Koslov, Geivalt im Dienstalltag. Die SS-Aufseherinnen des Konzentrations- und Vernichtungslagers Majdanek 1942-1944, Hambourg, Hamburger Edition, 200g.
12 Voir la contribution de Marine Coquet, « Coloniser par la voie pénale : de l’idéal familial à la réalité coloniale des rapports entre les sexes dans la colonie pénitentiaire du Maroni, Guyane française (xixe-xxe siècle) », p. 105-125.
13 Dans le champ des études sur le carcéral, cet intérêt a véritablement commencé dans les années 1960 et 1970, avec les travaux pionniers de Michel Foucault et Michelle Perrot en France ou d’Erving Goffman, Michael Ignatieff et David Rothmann dans l’espace anglo-saxon. Cet intérêt ne s’est pas démenti depuis. Citons, à titre d’exemple récent, l’ouvrage de Didier Fassin, L’ombre du monde. Une anthropologie de la condition carcérale, Paris, Seuil, 2015.
14 Ce foisonnement remonte aux années 1960 aux États-Unis, mais seulement aux années 1990-2000 dans les pays européens et en France, dans le sillage de l’histoire des femmes. Ainsi, les Cahiers du GEDISST naissent en 1991 et deviennent Cahiers du genre en 1997, la revue Clio, Histoire, femmes et sociétés est créée en 1995, la revue Travail, genre et sociétés en 1999.
15 Voir, à titre d’exemple, l’ouvrage de référence sur les prisons françaises du xixe siècle, Jacques-Guy Petit, Ces peines obscures. La prison pénale en France, 1780-1875, Paris, Fayard, 1990, qui réserve une page à cette question, abordée sous l’angle statistique, ibid., p. 301-302. De même l’importante analyse que Thomas Nutz a consacrée au discours scientifique sur la prison au xixe siècle (Strafanstalt als Besserungsmaschine. Reformdiskurs und Gefängniswissenschajt, 1775-1848, Munich, Oldenbourg, 2001) n’évoque jamais la question de la différence des sexes ou celle du genre.
16 Voir Lucia Zedner, « Wayward Sisters : The Prison for Women », dans Norval Morris et David J. Rothman (dir.), The Oxford History of the Prison. The Practice of Punishment in Western Society, New York/Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 295-324 ; LoïcCadiet, Frédéric Chauvaud, Claude Gauvard et alii (dir.), Figures de femmes criminelles de l’Antiquité à nos jours, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010.
17 Sandra Leukel, Strafanstalt und Geschlecht. Geschichte des Frauenstrafvollzugs im 19. Jahrhundert (Baden und Preuβen), Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 2010, p. 15.
18 Rappelons seulement la grande Histoire des femmes en Occident, sous la direction de Michelle Perrot et Georges Duby, 5 vol., Paris, Plon, 1991-1992, ou l’ouvrage collectif dirigé par Anne-Marie Sohn et Françoise Thélamon, L’histoire sans les femmes est-elle possible ?, Paris, Perrin, 1998. Voir également le bilan historiographique concis de Michelle Zancarini-Fournel, « Histoire des femmes, histoire du genre », dans Christian Delacroix, François Dosse, Patrick Garcia et Nicolas Offenstadt (dir.), Historiographies. Concepts et débats, 2 voL, Paris, Gallimard, 2010, vol. 1, p. 208-219.
19 Yannick Ripa, La ronde des folles. Femme, folie et enfermement au xixe siècle, Paris, Aubier, 1986.
20 Sandra Leukel, Strafanstalt und Geschlecht, op. cit.
21 En Allemagne, les années 1860 voient non seulement apparaître les premiers établissements pénitentiaires réservés uniquement à une population féminine, mais aussi le début de l’embauche de femmes (gardiennes, secrétaires, enseignantes et même directrices) dans ces institutions. Ibid., p. 155-172.
22 Michèle Riot-Sarcey, « L’historiographie française et le concept de “genre” », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 47, 2000, p. 805-814.
23 Voir par exemple la définition de la sociologue américaine Ann Oakly, Sex, Gender and Society, New York, Maurice Temple Smith, 1972, p. 16 : “Sex” is a mord that refers to the bioloyical difference between male and female [...] “gender” however, is a matter of culture : it refers to the social classification into “masculine” and ‘feminine’’. The constancy of sex must be admitted, but also must the variability of gender.
24 M. Zancarini-Fournel, « Histoire des femmes, histoire du genre », art. cité, p. 216.
25 Pour l’histoire des masculinités, qui ne commence qu’à prendre pied en France, voir par exemple Anne-Marie Sohn (dir.), Une histoire sans les hommes est-elle possible ? Genre et masculinité, Lyon, ENS Éditions, 2014, après Sean Brady et John Arnold (dir.), What is Masculinity ? Historical Arguments and Perspectives, Basingstoke, Palgrave, 2011, et Jean-Jacques Courtine, Histoire de la virilité’, t. 3, La virilité en crise ? xxe-xxie siècle, Paris, Seuil, 2011. Ces études n’ont pour l’instant pas eu beaucoup de répercussions dans le domaine des recherches sur les enfermements.
26 Contrairement aux premières définitions qui ont été données de gender et de « genre », il est important de réfuter l’idée d’un genre social, historiquement variable, qui se grefferait sur un sexe biologique, constant à travers les temps. Voir Judith Butler, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La Découverte, 2005 (trad. fr. de Gender Trouble, 1990), p. 67-71. Au contraire, le corps et ses perceptions sont soumis à des évolutions historiques. Voir notamment Christine Détrez, La construction sociale du corps, Paris, Seuil, 2002.
27 De telles réflexions sont aux fondements du concept d’intersectionnalité, qui se propose d’étudier la complexité produite par le croisement et la confrontation de plusieurs catégories (par exemple la race, la classe sociale et le sexe), notamment dans des contextes de discrimination. Voir le dossier thématique « Féminisme(s) : penser la pluralité », Cahiers du genre, 39, 2005. Dans les sociétés de l’époque médiévale et moderne, la catégorie du sexe n’avait ainsi pas la même force structurante que dans la société bourgeoise du xixe siècle, l’impact de l’appartenance à un sexe y étant davantage fonction de l’âge ou d’une hiérarchie sociale s’exprimant dans le capital de l’honneur, voir Heide Wunder, “Er ist die Sonn’, sie ist der Mond.” Frauen in der Frühen Neuzeit, Munich, C.H. Beck, 1992.
28 La notion de « régime de genre » proposée par Didier Lett permet de réfléchir à l’historicité des rapports de genre, voir Didier Lett, « Les régimes de genre dans les sociétés occidentales de l’Antiquité au xviie siècle », Annales. Histoire, sciences sociales, 67, 2012, p. 563-572.
29 Outre les travaux déjà cités, on peut également renvoyer à « La femme dans la ville : clôtures choisies, clôtures imposées », dossier dirigé par Anne Bonzon et Philippe Guignet, Histoire, économie et société, 24, 2005, ou au dossier thématique « Clôtures » de la revue Clio. Histoire, femmes et sociétés, 26, 2007.
30 Barbara Rosenwein, « Views from Afar : North American Perspectives on Médiéval Monasticism », dans Giancarlo Andenna (dir.), Doue va la storiografia monastica in Europa ? Temi e metodi di ricerca per lo studio della vita monastica e regolare in età medievale alle soglie del terzo millennio, Milan, Vita e Pensiero, 2001, p. 67-84, et Frances Andrews, « Monastic Historiography in England : the Late Middle Ages », dans ibid., p. 85-100.
31 Michel Parisse, Les nonnes au Moyen Âge, Le Puy, Christine Bonneton éditeur, 1983 ; Les religieuses dans le cloître et dans le monde, Saint-Étienne, Pose, 1994 ; Paulette L’Hermite-Leclercq, L’Église et les femmes dans l’Occident chrétien. Des origines à la fïn du Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 1997.
32 Jacques Dalarun, Danielle Bohler et Christiane Klapisch-Zuber, « Pour une histoire des femmes », Jean-Claude Schmitt et Otto Gerhard Oexle (dir.), Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 561-594 ; Michèle Riot-Sarcey, De la différence des sexes. Le genre en histoire, Paris, Larousse, 2010.
33 Gisela Muschiol, « Men, Women and Liturgical Practice in the Early Medieval West », dans Leslie Brubaker et Julia M.H. Smith (dir. J, Gender in the Early Medieval World. East and West, 300- 900, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 198-216 ; Nira Pancer, « Au-delà du sexe et du genre. L’indifférenciation des sexes en milieu monastique (vie-viie siècles) », Revue de l’histoire des religions, 219, 2002, p. 299-323 ; J.A. McNamara, « Chastity as a Third Gender in the History and Hagiography of Gregory of Tours », dans The World of Gregory of Tours, Leyde, Brill, 2002, p. 199-210 ; Jacqueline Murray, « One Flesh, Two Sees, Three Genders ? », dans Lisa M. Bitel et Felice Lifshitz (dir.), Gender and Christianity in Medieval Europe : New Perspectives, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2008, p. 34-51 ; Albrecht Diem, « The Gender of the Religious : Wo/Men and the Invention of Monasticism », dans Judith M. Bennett et Ruth Mazo Karras (dir.), The Oxford Handbook of Women and Gender in Médiéval Europe, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 432-446.
34 Voir par exemple Gabriella Zarri, « La clôture des religieuses et les rapports de genre dans les couvents italiens (fin xvie-début xviie siècle) », Clio. Femmes, genre, histoire, 26, 2007, p. 37-60 [consulté le 10 mars 2016, URL : https://clio.revues.org/5492].
35 Pour une synthèse concernant la péninsule Ibérique, voir l’article d’Isabelle Poutrin, « Les religieuses espagnoles au siècle d’or », Cahiers du Centre de recherches historiques, 40, 2007, p. 51-65 [consulté le 10 mars 2016, URL : http://ccrh.revues.org/3339].
36 Michel Lauwers, « L’institution et le genre. À propos de l’accès des femmes au sacré dans l’Occident médiéval », Clio. Histoire, femmes et sociétés, 2,1995, p. 279-313 [consulté le 10 mars 2016, URL : http://clio.revues.org/497]. Voir également Jacques Dalarun, « Dieu changea de sexe, pour ainsi dire », op. cit.
37 « Tant que la femme est faite pour la naissance et les enfants, elle est différente des hommes comme le corps l’est de l’âme. Mais lorsqu’elle fait vœu de servir le Christ plus que le monde, elle cessera d’être une femme et sera appelée un homme », cité par Didier Lett, Hommes et femmes au Moyen Âge : histoire du genre, xiie-xve siècle, Paris, Armand Colin, 2013, p. 99.
38 Anne-Marie Helvétius, « Virgo et virago : réflexions sur le pouvoir du voile consacré d’après les sources hagiographiques de la Gaule du Nord », dans S. Lebecq, A. Dierkens, R. Le Jan et alii (dir.), Femmes et pouvoirs des femmes à Byzance et en Occident (vie-xie siècle), Villeneuve-d’Ascq, Centre de recherche sur l’histoire de l’Europe du Nord-Ouest, 1999, p. 189-202.
39 Caroline W. Bynum, Jesus as Mother : Studies in the Spirituality of the High Middle Ages, Berkeley University of California Press, 1982 ; Jacques Dalarun, « Sicut mater. Une relecture du billet de François d’Assise à frère Léon », Le Moyen Âge, 113, 2007, p. 639-668.
40 Isabelle Réal, « Nuns and Monks at Work : Equality or Distinction between the Sexes ? A Study of Frankish Monasteries from the Sixth to the Tenth Centuries », dans I. Cochelin et A. Beach (dir.), Cambridge History of Latin Western Monasticism (à paraître).
41 Jacques Dalarun et alii, « Pour une histoire des femmes », art. cité, p. 566.
42 Michel Lauwers, « L’institution et le genre », art. cité. Pour un exemple de transgression, voir Ana Rodriguez, « Entre des conflits internes et des agents externes : clôture et monastères féminins au Moyen Âge dans le royaume de Castille-et-León », dans I. Heullant-Donat, J. Claustre, É. Lusset et F. Bretschneider (dir.), Enfermements II. Règles et dérèglements en milieux clos (ive-xixe siècle), op. cit., p. 331.
43 Patricia H. Cullum et Katherine J. Lewis (dir.), Religious Men and Masculine Identity in the Middle Ages, Woodbridge, The Boydell Press, 2013.
44 Voir la contribution dans ce volume de Xenia von Tippelskirch, « Spiritualités en captivité et circulation d’écrits sur le cloître à l’époque moderne », p. 71-85.
45 Howard S. Becker, « La politique de la présentation : Goffman et les institutions totales », dans Charles Amourous et Alain Blanc (dir.), Erving Goffman et les institutions totales, Paris, L’Harmattan, collection Logiques sociales, 2001, p. 59-77, ici p. 72.
46 Karsten Uhl, Das « verbrecherische Weib ». Geschlecht, Verbrechen und Strofen im kriminoloyischen Diskurs 1800-1945, Münster, Lit, 2003.
47 L’un des premiers récits autobiographiques rédigés en castillan est celui d’une femme de l’aristocratie castillane, Leonor López de Córdoba, qui a vécu une captivité pendant près de dix ans. Toutefois, ces pieux mémoires s’attachent plutôt à dépeindre l’injustice de cette captivité, les efforts menés ensuite pour recouvrer le patrimoine et l’honneur familiaux, puis la manière dont elle parvint à entrer au service de la reine dans les premières années du xve siècle, Leonor López de Córdoba, Vida y tragedias de Leonor López de Córdoba. Memorias. Dirtadas en Córdoba entre 1401 y 1404, éd. de María-Milagros Rivera Garretas [http://www.ub.edu/duoda/bvid/obras/Duoda.text.2011.02.0003.html#c3]. Merci à Marcella Lopes Guimarães (Universidade Federal do Paraná) de nous avoir signalé ce texte étonnant. Voir Juan Félix Bellido Bello, La primera autobiografía femenima en Castellano. Las memorias de Leonor López de Córdoba, Séville, 2007, thèse sous la direction de M. Arriaga Flórez [http://fondosdigitales.us.es/tesis/tesis/488/la-primera-autobiografia-femenima-en-castellano-las-memorias-de-leonor-lopez-de-cordoba/].
48 Pour le Moyen Âge, voir par exemple Guy Geltner, « A Cell of Their Own : The Incarceration of Women in Late Medieval Italy », Signs, 39/1, Wornen, Gender, and Prison : National and Global Perspectives, 2013, p. 27-51. La disparité entre captivité féminine et captivité masculine doit être cependant nuancée, comme les débats tenus lors du colloque Enfermements III l’ont rappelé : il existe des nuances nationales (France/Angleterre), pénales (pensons au groupe des détenues politiques basques), temporelles (avant et après 1880 en France), etc.
49 Gwen Seabourne, Imprisoninc/ Medieval Wornen. The Non-Judicial Confinement and Abduction of Wornen in England, c. 1170-1509, Farnham, Ashgate, 2011. Une étude comparable n’existe pas pour le royaume de France.
50 Comme l’avait bien souligné lors de la rencontre l’intervention d’Aude Fauvel (Institut romand d’histoire de la médecine et de la santé de Lausanne), « Le sexe de la folie. Les premières femmes psychiatres et la question du genre (France, Grande-Bretagne) ».
51 Falk Bretschneider, « “Unzucht im Zuchthaus.” Sexualité, violence et comportements sociaux dans les institutions d’enfermement au xviiie siècle », Francia. Forschungen zur westeuro-päischen Geschichte, 38, 2011, p. 77-92.
52 Arnaud Gaillard, Sexualité et prison. Désir affectif et désirs sous contrainte, Paris, Max Milo, 2009.
53 Michel Foucault, Surveiller et punir : naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, rééd. collection Tel, 1993, p. 356-357. Voir, par exemple, Frédéric Chauvaud et Laurence Dumoulin (dir.), Experts et expertise judiciaire. France, xixe et xxe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003 ; Sabine Freitag et Désirée Schauz (dir.), Verbrecher im Visiser der Experten. Kriminalpolitik zwischen Wissenschaft und Praxis im 19. undjrühen 20. Jahrhundert, Stuttgart, Steiner, 2007.
54 Philippe Artières, Le livre des vies coupables. Autobiographies de criminels (1896-1909), Paris, Albin Michel, 2000.
55 Lebrecht Christian Gottlob Schmid, Nachrichten von den Lebensumständen einger merkwürdigen Zuchthausgefangenen, Leipzig, Beer, 1797.
56 Carlos Watzka, Vom Hospital zum Krankenhaus. Zum Umyany mit psychisch und somatisch Kranken im frühneuzeitlichen Europa, Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, 2005.
57 Peter Becker, Verderbnis und Entartuny. Eine Geschichte der Kriminologie des 19. Jahrhunderts als Diskurs und Praxis, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2002.
58 Voir supra note 50.
59 Voir l’article du journal Le Monde, publié le 25 mars 2013 [consulté le 10 mars 2016, URL :http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/05/25/masculin-feminin-cinq-idees-recues-sur-les-etudes-de-genre_3174157_3224.html#oQ3lewurxCvyHfGY.99]. Et également, Éric Fassin, « L’empire du genre. L’histoire politique ambiguë d’un outil conceptuel », L’Homme, 187-188, 2008/3-4, p. 375-392.
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