Chapitre premier. La syndicalisation, fait de structures
p. 159-172
Texte intégral
1Un point commun aux deux analyses des caractères sociologiques et de syndicalisation, dans le cadre départemental et dans le cadre fédéral, est leur meilleure cohérence que celle des analyses des caractères idéologiques. Syndicalisation et données sociologiques sont donc étroitement liées malgré l’ampleur des mouvements d’effectifs dans la période que nous étudions.
I. – La syndicalisation de l’ensemble de la c.g. t. et son évolution
2Rappelons1, ici, que la seule source cohérente permettant une étude comparative valable, est le nombre de timbres pris et payés à la trésorerie confédérale, et que ce nombre n’a de signification que sur la durée d’un exercice de la C.G.T., soit un ou deux ans.
3Nous pouvons, alors, dresser le tableau suivant :
Nombre de timbres annuels (divisé par 10)
Unions | Fédérations | |
1er juillet 1910, 30 juin 19122. . | 319.449 | 390.298 |
1913 | 238.477 | 355.466 |
1914 | 237.145 | 256.761 |
1915 | 32.068 | 49.549 |
1916 | 82.958 | 100.549 |
1917 | 263.678 | 295.862 |
1918 | 576.828 | 598.528 |
1919 | 1.204.829 | 1.229.532 |
1er juin 1919 ; 31 mai 1920 | 1.658.217 | 1.613.078 |
1920 | 1.322.741 | 1.333.103 |
1er juin 1920, 31 mai 1921 | 817.766 | 902.332 |
1921 | 663.125 | 699.248 |
4Notons, d’emblée, que les fédérations apparaissent comme des organisations plus fortes que les U.D., puisque celles-là payent plus de timbres que celles-ci, ce qui signifie que des syndicats n’ont payé que le timbre de la fédération, contrairement aux statuts confédéraux3. Mais les fédérations apparaissent aussi plus stables ; les creux y sont un peu atténués et les progrès moins sensibles. Le seul exercice où les U.D. payent plus de timbres que les fédérations est celui de 1919-1920, au maximum de la croissance confédérale.
5Les résultats des fédérations nous semblent, donc, légèrement plus significatifs et c’est de ceux-ci que nous avons tiré la courbe suivante :
6Nous pouvons alors rapidement dégager quelques grandes phases.
I A) L’avant-guerre (1911-1914).
7Elle est marquée par une régression sensible des effectifs confédéraux qui tombent environ d’un tiers en trois ans, chute qui accompagne la crise du « syndicalisme-révolutionnaire » après l’essor du début du siècle4.
8Dans tous les cas, le syndicalisme reste extrêmement minoritaire, on compte en effet environ 10 millions d’actifs salariés dans le champ de syndicalisation des fédérations5, ce qui indiquerait un taux de syndicalisation de l’ordre de 3,9 % en 1911. Si l’on enlève les salariés de l’agriculture, infimement syndicalisés6, le taux de syndicalisation est de l’ordre de 5,2 % en 1911. A peine un travailleur sur vingt paye, à peu près régulièrement, sa cotisation au moment de l’apogée du syndicalisme de l’avant-guerre ! A la veille de la guerre, en 1914, la situation est plus médiocre, 2,5 % de cotisants sur l’ensemble des salariés, 3,5 % de cotisants sur les seuls salariés non agricoles.
9Ce caractère très minoritaire du syndicalisme, qui s’accompagne d’un déclin prononcé des effectifs, pèsera lourd sur l’attitude confédérale au déclenchement de la guerre, d’autant plus qu’un courant plus favorable aux réformes s’affirme, dans la Fédération des métaux notamment7.
I B) La guerre (1914-1918), effondrement et renouveau.
10En quelques semaines, l’échec de l’action syndicale contre la guerre et plus encore la mobilisation et la fermeture des ateliers amènent à la quasi-totale disparition de la Confédération : la moitié des U.D. ne paient plus aucune cotisation en 1915, la première fédération en effectifs à la veille de la guerre, la Fédération du bâtiment, non plus.
11Puis, dès 1916, s’amorce une phase d’essor très rapide, les effectifs doublent en 1916, triplent en 1917 rejoignant déjà ceux de 1914, doublent encore en 1918. Dès cette date, la C.G.T. est plus puissante que jamais.
I C) L’apogée (1919-mai 1920).
12La fin de la guerre n’arrête pas l’essor qui ne se ralentit qu’à la fin de 1919 et au début de 1920, où la C.G.T. va atteindre des effectifs très importants : plus de 1,6 millions de cotisants réguliers du 1er juin 1919 au 31 mai 1920, sans doute plus, si l’on pouvait affiner l’étude, au début de 1920. Le taux de syndicalisation atteint alors 15,9 % de l’ensemble des salariés, et près de 22 °/o des seuls salariés non agricoles. Près d’un travailleur sur quatre cotise donc à la C.G.T.
13La progression sur les plus forts chiffres de l’avant-guerre est énorme, les cotisants réguliers ont été multipliés par quatre8, la C.G.T. compte 1.200.000 adhérents supplémentaires.
I D) Le recul jusqu’à la scission (mai 1920-décembre 1921).
14L’échec des grèves de 1920 aboutit à une nouvelle forte baisse des cotisations : près d’un million de cotisants réguliers en moins en quelques mois.
15Il reste qu’avec 600.000 à 700.000 cotisants, la C.G.T. demeure, à la veille de la scission, beaucoup plus puissante qu’elle ne l’avait jamais été avant la guerre.
16Une période donc de formidables bouleversements dans le mouvement de la syndicalisation.
II. – La syndicalisation – ses constantes
17Au travers de cette période de profonds bouleversements, ce qui est le plus marquant est l’étonnante stabilité de la hiérarchie fédérale ou départementale de la syndicalisation et des caractères sociologiques qui peuvent déterminer cette hiérarchie.
18Sur le premier axe des deux analyses (U.D. et fédérations), tous les points représentant la syndicalisation à telle ou telle période annuelle seront projetés très près les uns des autres. A l’exception de la syndicalisation pendant la guerre (TA) dans le seul cadre départemental, les structures de la syndicalisation n’ont donc guère été affectées par l’intensité des mouvements de celle-ci.
II A) Le cadre fédéral.
19La hiérarchie des fédérations9 est essentiellement liée à la hiérarchie de la concentration du travail. Entre la Fédération des allumettes-tabacs (taux de syndicalisation moyen d’environ 60 % – taux de concentration de 563 salariés par établissement) et celle de l’Agriculture (taux de syndicalisation moyen de 0,3 % – taux de concentration de 1,1 salariés par établissement), les fédérations s’ordonnent avec une belle régularité10 en fonction de ces deux caractères, syndicalisation et concentration.
20Il s’agit là, indiquons-le, de résultats d’ensemble, ce qui ne signifie nullement que l’on ne retrouvera pas des cas de grandes entreprises où la syndicalisation est faible, mais la corrélation est trop forte pour ne pas avoir valeur de loi, elle est d’ailleurs confirmée pour les années du Front populaire par les travaux de A. Prost11.
II B) Le cadre départemental.
21La hiérarchie des U.D. ressort d’une causalité plus complexe et son étude va nous permettre d’affiner les résultats obtenus à partir des fédérations.
22Cette hiérarchie de la syndicalisation par départements12 est liée à un faisceau d’éléments qui se cumulent le plus souvent mais peuvent également s’opposer. La concentration du travail, de nouveau, l’importance de la population active dans le champ de syndicalisation et l’importance du caractère ouvrier du travail jouent un rôle d’importance égale. Ces trois caractères sont ceux des départements des régions développées et industrialisées (Nord, Lorraine, région parisienne – sauf Paris, région lyonnaise – sauf le Rhône –, Doubs...). Ainsi, dans le cadre départemental, la concentration du travail seule ne saurait expliquer l’importance de la syndicalisation.
23Avec le rôle de l’importance de la population active absolue, nous concevons l’impact d’une concentration territoriale du travail, d’une sorte de densité13 de la population syndicalisable. Si le cadre fédéral nous amenait à la conclusion que l’on se syndique plus à l’usine qu’à l’atelier, au centre de tri qu’au salon de coiffure, le cadre départemental nous permet de comprendre que l’on se syndique plus lorsque les usines ou les ateliers sont nombreux dans un même département, dans une même ville sans doute. Ainsi l’impact de la forte concentration des entreprises de la Haute-Marne est contrariée par le faible nombre de travailleurs dans le département. Au contraire la moyenne concentration des entreprises en Gironde est compensée par le grand nombre de travailleurs du département. Ces deux exemples ne doivent pas masquer que, le plus souvent, concentration du travail et importance de la population active (concentration territoriale) se complètent, comme le montre la comparaison des deux cartes où sont figurés ces deux caractères14.
24Enfin le cadre départemental nous permet de saisir l’impact, sur l’importance de la syndicalisation, du caractère ouvrier du travail. Presque toutes les U.D. du pourtour du Massif Central en sont un exemple frappant : le Cher ou l’Indre, la Creuse ou la Corrèze, l’Aveyron ou le Tarn où la concentration est médiocre, où la population active dans le champ de syndicalisation est peu nombreuse mais presque exclusivement ouvrière, ont un taux très élevé de syndicalisation. D’autres U.D., comme le Var ou les Alpes-Maritimes, à champ de syndicalisation relativement peu ouvrier, ont une syndicalisation médiocre, malgré une assez forte concentration.
25On voit, ainsi, toute l’utilité, pour notre étude, de l’utilisation de deux types d’individus dont les résultats se complètent. L’étude de la syndicalisation, dans le seul cadre fédéral nous aurait masqué toute une série de réalités vécues par le travailleur.
26Nous l’avons dit15, dans les branches d’activité ayant une forte concentration, il y a nécessité de l’emploi d’une main-d’œuvre tertiaire (organisation du travail, distribution...), ce qui fait que ces branches ont le plus souvent un taux d’employés plus élevé que celui des branches peu concentrées où il n’y a souvent aucun employé (agriculture par exemple). Ceci entraîne que les branches où il y a un certain taux d’employés ont souvent une forte syndicalisation puisqu’elles sont concentrées, alors que les branches exclusivement ouvrières ont une faible syndicalisation car le travail y est dispersé. En apparence, donc, dans le cadre fédéral le caractère ouvrier du travail n’est pas favorable et c’est seulement le cadre départemental qui nous a révélé l’importance de ce facteur.
II C) Rupture et traditions.
27L’historien a assurément le goût des traditions ; ne sont-elles pas ses enfants chéris parce qu’en elles il se reconnaît une valeur d’usage pour ses contemporains ! La continuité l’emporte très certainement, pour notre étude, sur la rupture. Que ce soit dans l’analyse du cadre départemental ou dans celle du cadre fédéral, la syndicalisation de l’après-guerre a une structure très proche de la syndicalisation de l’avant-guerre.
28Sur les onze fédérations fortement syndicalisées, sept l’étaient déjà avant guerre, trois se plaçaient dans les fédérations moyennement syndicalisées (Chemins de fer, Sous-sol, Verrerie), une seulement était médiocrement syndicalisée (Spectacle)16. Sur les dix fédérations faiblement syndicalisées, huit l’étaient déjà avant guerre, deux seulement avaient une syndicalisation moyenne (Bijou, Coiffure).
29C’est donc une impression de très forte stabilité qui prévaut et qui s’exprime par la proximité des projections sur l’axe 1 des points représentant la syndicalisation en 1914 et dans l’après-guerre.
30Il en va de même pour les U.D. où la comparaison des cartes de la syndicalisation en 1914 et de la syndicalisation moyenne17 est significative.
31Mais cette continuité dans la syndicalisation n’est pas nécessairement l’expression d’une tradition, elle est autant l’expression de la continuité du support sociologique de la syndicalisation. A la stabilité des hiérarchies des caractères sociologiques18 correspond une stabilité des hiérarchies de la syndicalisation.
32Il n’est néanmoins pas erroné d’envisager le poids d’une certaine tradition de syndicalisation.
33L’étude des distorsions entre syndicalisation et support sociologique est alors un bon révélateur.
34Dans le cadre départemental, d’abord ; en observant la carte19 des écarts entre syndicalisation et conditions de celle-ci, on constate l’existence d’un vaste bloc au Nord, à l’Ouest et au Sud du Massif Central où la syndicalisation est forte malgré un support sociologique médiocre (sauf le travail ouvrier). Il est certain que l’on a, là, une zone de tradition de forte syndicalisation comme l’atteste la carte de la syndicalisation en 191420. Il en va de même pour des départements épars, comme l’Ille-et-Vilaine et le Morbihan, le Jura ou les Hautes-Pyrénées.
35Au contraire, dans la vaste zone du Nord-Est de la France, la syndicalisation est inférieure à ce que pourraient laisser augurer des conditions sociologiques très favorables. La syndicalisation en 1914 y est très faible et il y a là certainement une tradition réticente au syndicalisme qui se fait sentir sensiblement.
36Ces deux exemples montrent l’impact certain des traditions.
37Dans le cadre fédéral un même type de phénomène apparaît : les fédérations médiocrement syndicalisées21, relativement à la concentration, ont souvent une place en 1914 inférieure à celle de l’après-guerre dans la hiérarchie fédérale de la syndicalisation (Chemins de fer, Sous-sol, Verrerie, Chimie, Métaux) et les fédérations bien syndicalisées, relativement à la concentration, ont souvent une place en 1914 supérieure ou égale à celle de l’après-guerre dans la hiérarchie fédérale de la syndicalisation (Allumettes, État, Éclairage, Poste, Manutention, Coiffure, Services Publics, Bois).
38Dans les deux cadres de notre étude, l’héritage de la situation syndicale d’avant 1914 pèse donc encore sensiblement sur la C.G.T. de l’après-guerre, mais il s’insère dans le cadre contraignant d’un support sociologique et ne peut qu’infléchir et non déterminer – sauf exception – une structure de syndicalisation que ne marquent d’ailleurs pas des différences sensibles entre l’avant et l’après-guerre.
III. – La syndicalisation pendant la guerre
39Nous l’avons indiqué, une seule donnée, la syndicalisation en 1918, apparaît comme dissemblable de la syndicalisation d’ensemble et ce dans le seul cadre départemental. De plus, dans les deux cadres, les axes suivant le premier (2 et 3 pour les U.D., 3 et 4 pour les fédérations) étaient très fortement déterminés par cette donnée dont l’importance et la spécificité apparaissent ainsi.
40Là encore les deux cadres organisationnels de la Confédération ne donnent pas des résultats similaires et se complètent mutuellement.
III A) Stabilité fédérale, instabilité départementale.
41La plus forte stabilité du cadre fédéral était ressortie de la simple analyse de l’ensemble des timbres payés.
42Nous pouvons maintenant préciser ce point.
43Sur l’axe 1, la syndicalisation en 1918, dans le cadre fédéral, a un emplacement proche de ceux des autres caractères de syndicalisation. La guerre n’a donc pas modifié la hiérarchie de la syndicalisation, elle l’a même accentuée puisque le point représentant la syndicalisation en 1918 a la coordonnée la plus élevée sur l’axe 1. Les fédérations les plus fortes résistent mieux à l’épreuve de la guerre (Allumettes-Tabacs, État, Éclairage, Sous-sol, Chemins de fer, Transports à fort taux de syndicalisation relatif en 1918) que les plus faibles dont le taux de syndicalisation relatif en 1918 est faible22.
44Au contraire, dans le cadre départemental sur l’axe 1, la syndicalisation en 1918 se dissocie totalement de la syndicalisation d’ensemble. La guerre a totalement bouleversé les structures départementales de la syndicalisation, comme l’atteste la carte de la syndicalisation en 191823.
45Ainsi, dans le cas des fédérations les structures de la syndicalisation se sont maintenues et même renforcées alors qu’elles étaient bouleversées dans le cas des U.D. Le cadre fédéral a donc atténué les effets de la guerre, le cadre départemental les a accentués.
46Mais ces effets de la guerre sont également différents pour les U.D. et les fédérations.
III B) La syndicalisation dans le cadre fédéral en 1918, l’impact de la stabilité de l’emploi.
47Les troisième et quatrième axes de l’analyse du cadre fédéral dégagent un lien entre la syndicalisation relative en 1918 et la faiblesse du chômage24. La syndicalisation pendant la guerre s’est donc avérée particulièrement forte dans les branches où l’activité est maintenue à un niveau élevé dans des périodes de crise – guerre ou crise économique – : chimie, chemins de fer, éclairage, État, santé, sous-sol, services publics, métaux, transports, postes, allumettes-tabacs. Au contraire la syndicalisation a été particulièrement faible dans les branches où l’activité subit le plus fortement le contrecoup des crises : bois, bijou, blanchisserie, manutention, chapellerie, alimentation, employé, livre, pharmacie, tonneau, spectacle, marine, textile et verrerie (ces quatre dernières fédérations sont des fédérations à forte syndicalisation d’ensemble).
48Les rares exceptions se réduisent facilement : l’agriculture a un faible chômage en 1921 et pourtant une syndicalisation relativement très faible en 1918. Mais la guerre a vidé les campagnes, plus encore que les villes, et de fait l’activité agricole a été sensiblement réduite. Les cuirs et peaux et l’habillement ont un fort chômage en 1921 et une syndicalisation relativement forte en 1918, mais pendant la guerre, ces activités ont été fortement développées pour faire face à la demande massive en habits et chaussures militaires25.
49Le principal effet de la guerre est donc le renforcement des fédérations correspondant aux branches d’activités indispensables à la vie de la nation, renforcement qui ne modifie pas sensiblement les structures fédérales de la Confédération.
III C) La syndicalisation dans le cadre départemental en 1918, l’impact de l’événement.
50La guerre a bouleversé la répartition des activités économiques sur le territoire national. Aussi ne s’étonnera-t-on pas du maigre impact de caractère sociologique établis en 1921 sur les structures départementales de la syndicalisation pendant la guerre. Ainsi le chômage, par exemple, n’a plus aucun rapport avec celle-ci26.
51Un seul caractère sociologique, la féminisation du travail joue un certain rôle ; les départements à forte part de travail féminin ont une syndicalisation relative en 1918 souvent meilleure que les départements à forte part de travail masculin. La mobilisation a eu, sans doute, moins de répercussions sur l’action syndicale dans les départements à fort travail féminin. Mais le facteur décisif de la répartition de la syndicalisation départementale en 1918 est l’histoire : l’emplacement du front, d’abord ; les zones occupées par les Allemands (Nord, Ardennes, et partie nord du Pas-de-Calais, de l’Aisne et de la Meuse), les zones traversées par le front ou proches de lui (Pas-de-Calais, Somme, Oise, Seine-et-Mame, Aube, Marne, Meuse, Meurthe-et-Moselle, Vosges) forment un vaste bloc de 13 départements où la syndicalisation, parfois très forte, s’effondre.
52Au contraire la consolidation rapide de la syndicalisation dans des U.D. du centre ou du sud de la France est liée à la réorientation des activités indispensables vers les départements éloignés du front, les axes de communication ferroviaire (Paris-Tours-Bordeaux, Paris-Toulouse, Paris-Lyon...), les centres portuaires à vocation militaire (Manche, Finistère, Var...). La carte de la syndicalisation départementale pendant la guerre27 n’a donc plus guère de rapport avec la carte de la syndicalisation moyenne28.
53Ainsi fédérations et Unions Départementales n’ont pas connu un même type de syndicalisation pendant la guerre.
54Les fédérations forment un cadre plus stable sur lequel la guerre a moins d’impact que le fait structurel de la stabilité de l’activité, les U.D. forment, au contraire, un cadre où l’événement, le fait historique se répercutent beaucoup plus profondément.
IV. – Syndicats et vie syndicale
IV A) Présence syndicale et syndiqués.
55A tous les Congrès, dans les cadres départementaux et fédéraux, un cadre immuable apparaît sur le premier axe fondant un rapport constant entre les différents types d’approche des forces du syndicalisme.
56Les points représentant les données en syndicats se projettent, dans l’ensemble, assez près des points représentant la syndicalisation, ce qui indique un lien d’ensemble assez normal entre nombre de syndiqués et nombre de syndicats. Les points représentant les données en syndicats se projettent toujours un peu plus du côté opposé à la syndicalisation que les points représentant les données de syndicalisation, ce qui indique que la taille moyenne des syndicats est plus petite dans les fédérations ou U.D. moins bien syndicalisées qui sont souvent celles où le travail est le plus dispersé.
57Enfin, les points représentant la présence syndicale – en syndicats – aux Congrès se projettent toujours plus du côté de la syndicalisation que les points représentant le nombre total de syndicats répertoriés, il en va de même pour les points représentant la présence syndicale – en syndiqués – vis-à-vis des points représentant le nombre total de timbres payés. Ceci indique que la présence syndicale – relative à un même nombre de syndiqués ou de syndicats – est, dans l’ensemble, plus forte dans les fédérations à forte syndicalisation, ce qui signifie que les grands syndicats sont plus rarement absents des Congrès que les petits.
58Ainsi les fédérations à forte syndicalisation ont relativement peu de syndicats, mais ceux-ci sont rarement absents des Congrès, les fédérations à faible syndicalisation ont relativement beaucoup de syndicats, mais leur présence est plus irrégulière.
59Ces phénomènes structurels n’empêchent pas des variations sensibles, selon les Congrès, du rapport de la présence syndicale à la syndicalisation.
IV B) Mouvement de la syndicalisation et mouvement de la présence – syndicale – en syndicats.
60Ces mouvements sont également liés, comme l’atteste le parallélisme de l’évolution des points représentant la présence syndicale et des points représentant la syndicalisation sur les nuages indicateurs de l’évolution de celle-ci29. Une première indication, néanmoins, apparaît dans les deux cadres : l’ampleur des mouvements de la syndicalisation est supérieure à celle des mouvements de la présence syndicale – en syndicats. Le syndicat est donc un régulateur de la vie syndicale, il résiste à la baisse du nombre des adhérents dans les périodes de déclin et ne se subdivise pas nécessairement dans les périodes de croissance des effectifs.
61Le phénomène est encore plus net pour la seule présence syndicale – en syndicats – dont l’évolution globale ne suit pas celle de la syndicalisation, comme l’atteste le tableau suivant :
62Le nombre de syndicats présents croît de 1912 à 1920 moins vite que le nombre de timbres, ce qui relève du phénomène dont nous avons déjà parlé. Mais nous constations qu’en 1921, il y a une véritable dissociation entre le recul des effectifs de la Confédération, et la progression sensible de la présence syndicale – en syndicats. Ceci montre que l’importance de la présence syndicale aux Congrès n’est pas seulement liée à des caractères structurels, mais à d’autres caractères ; dans ce cas l’intérêt des syndicats pour un vote décisif – chaque tendance veut faire le plein – pour la vie de la Confédération est indéniable.
63L’apparente concordance des autres chiffres peut dissimuler des différences entre fédérations et U.D. pour leur participation à la vie confédérale au travers des Congrès.
1. Le cadre fédéral.
64Dans l’ensemble les analyses ont montré que le mouvement de la présence syndicale suit, avec plus de lenteur, celui de la syndicalisation. Ainsi en 1919 la structure fédérale de la présence syndicale – en syndicats – reste proche de celle de 1918. Il faut attendre 1920 et 1921 pour que la présence syndicale – en syndicats – change sensiblement de bases fédérales.
65Dans tous les cas, les mouvements restent d’une ampleur moindre, les fédérations étant un cadre plus stable que les U.D.
66Mais il nous faut noter, là, un phénomène essentiel.
67En 1918, la syndicalisation est liée à la stabilité de l’activité économique. Au Congrès de 1918, l’importance de la présence syndicale – en syndicats – n’a que peu de lien avec ce caractère sociologique. Des fédérations30 à faible ou médiocre syndicalisation relative en 1918 comme le Bijou, la Blanchisserie et le Bâtiment ont une très forte présence syndicale relative au Congrès de 1918, au contraire des fédérations à forte syndicalisation relative en 1918 comme les Allumettes-Tabacs, l’Éclairage, la Santé, les Services Publics, les Transports n’ont qu’une présence syndicale relative au Congrès de 1918 médiocre. Il y a donc là un indice d’intérêt pour la vie confédérale, pendant la guerre, qui différencie sensiblement ces fédérations.
68On ne trouve plus de telles distorsions lors des années suivantes, ce qui indique bien l’importance de ce phénomène.
2. Le cadre départemental.
69Les écarts sont, là, plus importants et vont en s’accentuant. Si en 1918 présence syndicale et syndicalisation ont des bases proches, très spécifiques puisque nous avons vu que les bouleversements de la syndicalisation avaient été très profonds dans le cadre départemental, dès 1919 la présence syndicale et la syndicalisation perdent les caractères liés à la guerre mais en même temps se différencient sensiblement.
70Au travers d’une présence syndicale bien évidemment liée à la syndicalisation et même accentuée par celle-ci, on dégage bien des motivations qui distinguent l’une de l’autre : motivation d’ensemble en 1921 de participer à un Congrès décisif, motivation particulière31 à certaines fédérations en 1918 vis-à-vis de la participation au Congrès de 1918.
IV C) Syndicalisation, présence syndicale et action syndicale.
71Il nous était, malheureusement, impossible de faire figurer dans nos données un autre indice essentiel de la vie et de l’action syndicale, la grève, les sources étant trop imprécises et incohérentes surtout à notre période.
72Certes on sait que la grève est extrêmement liée à l’existence du syndicat. Le mouvement est amorcé dès les années 1871-1890 : le pourcentage de grèves conduites par un syndicat passe de quelques pour cent en 1870-1875 à 30 pour cent dans les années 1880-189032. L’étude des grèves par l’historiographie américaine entre 1890 et 1968 a conclu à la force de ce lien33. Mais ceci ne signifie pas que ce lien soit systématique comme le montre le tableau suivant :
Grévistes34 | Timbres divisés | |
1914 | 160.566 | 256.761 |
1915 | 9.361 | 49.549 |
1916 | 41.409 | 100.549 |
1917 | 293.810 | 295.862 |
1918 | 176.187 | 598.528 |
1919 | 1.150.718 | 1.229.532 |
1920 : | 1.316.559 | 1.333.103 |
1921 | 402.377 | 699.248 |
73Les mouvements des grévistes et celui des syndiqués sont très proches et recul et progrès vont de pair chaque année. Une exception cependant, en 1918 la syndicalisation progresse, le nombre de grévistes régresse.
74Les grèves de 1917 ont été bien étudiées35, à Paris elles ont touché la quasi-totalité des corporations (alimentation, bois, bâtiment, bijou, blanchisserie, chimie, cuirs et peaux, chemins de fer, éclairage, employés, état, habillement, livre-papier, métaux, postes, pharmacie, textile, transports...).
75Les grèves de 1918 ont été plus négligées, sans doute ont-elles été plus restreintes géographiquement et sociologiquement. En 1918, donc – impact de la répression ? du sentiment de la victoire proche ? – l’action syndicale s’est ralentie dans certaines branches, dans certaines régions. De même la participation à la vie confédérale, par le biais du Congrès, est faible, nous l’avons vu, dans certaines fédérations ou U.D. pourtant bien syndicalisées.
76L’année 1918 fait donc bien problème, une cassure certaine s’y introduit, après l’élan unanime de 1917, entre branches et départements où l’activité syndicale s’est maintenue à un haut niveau et branches et départements où l’activité syndicale – et non la syndicalisation – a baissé36.
77Syndicalisation, action syndicale, deux caractères liés et différents, le premier est étroitement hiérarchisé par des conditions sociologiques qui perdurent après la guerre. Seule la guerre modifie quelque peu cette hiérarchie, surtout dans le cadre départemental et l’on sent percer dans cette terrible crise le nouveau que l’après-guerre recouvre.
78L’action syndicale, bien difficile à cerner quantitativement, suit et précède la syndicalisation, mais semble s’en dissocier parfois comme en 1918.
Notes de bas de page
1 Voir pp. 54-55.
2 Nombre de timbres divisé par 20 dans ce cas là, puisque, au Congrès du Havre (16-23 Septembre 1912), l’exercice porte sur deux années.
3 Un tel phénomène est confirmé par le fait que la C.G.T. confie aux seules fédérations le soin de délivrer la carte confédérale.
4 Cependant la baisse de 1914 est sans doute exagérée, du fait d’une probable mauvaise rentrée des timbres après août 1914.
5 10.094.172 exactement – sans les fonctionnaires, les domestiques... d’après le recensement de 1921, mais nous avons vu que ces résultats sont proches de ceux de l’avant-guerre.
6 Il reste alors 7.279.204 travailleurs dans le champ de syndicalisation.
7 Voir l’article de C. Gras, La Fédération des Métaux 1913-1914, dans le Mouvement Social, octobre-décembre 1971, pp. 85-111, C. Gras écrit « ... que pèsent quelques dizaines de révolutionnaires face à des milliers de modérés ? Que péseront ces milliers de modérés face à des centaines de milliers d’inorganisés » ? p. 111.
8 Notons que A. Kriegel indique un progrès de 365.769 adhérents, soit une progression de 53 % seulement et conclut : « l’enflure de la vague syndicale d’après-guerre ne doit pas, du point de vue de sa hauteur absolue, être exagérée. L’énorme hauteur qu’elle prit dans l’imagination des contemporains ne fut en fait qu’une illusion d’optique... », dans la croissance de la C.G.T., op. cité, p. 65. Cette conclusion est erronée et s’appuie sur une comparaison de données hétérogènes, voir infra, p. 53 et suiv...
9 Voir p. I et II des annexes.
10 Voir tableau p. III des annexes.
11 A. Prost, la C.G.T. à l’époque du Front Populaire, op. cité, pp. 80-81.
12 La carte et les résultats de la syndicalisation moyenne par U.D. figure p. IV et V des annexes.
13 La superficie des départements étant assez proche.
14 Voir Jean-Louis Robert, thèse citée, p. 180, 182.
15 Cf. notre article dans les Annales E.S.C., op. cité, pp. 1097-1098.
16 Encore faut-il noter qu’en 1914, le nombre de timbres payés par cette fédération est bien faible, de dix fois inférieur à celui de 1911.
17 Voir p. V et p. VI des annexes.
18 Cf. infra, p. 38.
19 Cf. annexe VII.
20 Cf. p. VI, une seule exception sensible, la Corrèze, mais les chiffres de 1914 sont peu significatifs, en 1911 l’U.D. de Corrèze est un des bastions du syndicalisme.
21 Cf. J. L. Robert, Thèse citée, p. 307.
22 Il y a néanmoins des exceptions assez nombreuses qui indiquent que d’autres facteurs jouent dans l’importance de la syndicalisation en 1918 ; voir annexe IX .
23 Cf. Jean-Louis Robert, thèse citée, p. 199 et l’annexe VIII.
24 Chômage mesuré lors du recensement de 1921.
25 Seules ne s’expliquent guère les fédérations de l’Enseignement où le chômage est faible et la syndicalisation relative en 1918 faible, il est vrai que de nombreux maîtres ont dû partir, et la Coiffure où le chômage est fort et la syndicalisation relative en 1918 forte.
26 Notons d’ailleurs que l’importance du chômage, dans le cadre départemental n’a pas la même signification que dans le cadre fédéral. Il n’est pas l’expression de l’instabilité de l’activité économique, mais expression de l’importance de celle-ci. Le chômage est important dans les départements développés, inexistant dans les départements à vocation rurale.
27 J. L. Robert, Thèse citée, p. 199.
28 Voir p. V des annexes.
29 Cf. J. L. Robert, Thèse citée, p. 221 et p. 316.
30 Cf. J. L. robert, Thèse citée, p. 318.
31 Ces motivations existent également dans le cadre départemental en 1918, mais elles apparaissent moins nettement du fait de la très grande spécificité de la syndicalisation en 1918 : on ne peut attendre de présence syndicale de la part d’une U.D. où la syndicalisation est nulle ou presque.
32 Voir Michelle Perrot, les ouvriers en grève, France 1871 – 1890, 2 Tomes, 900 p., in-6°, Paris, la Haye, 1974, Mouton, Tome II, pp. 412-413.
33 Par exemple l’article de Ch. Tilly et E. L. Shorter, les vagues de grèves en France 1890-1968, dans Annales E.S.C., Juillet-Août 1973, pp. 857-887. Mêmes les grèves des carriers du Var si réticents à l’organisation, sont conduites par la C.G.T. après 1918, dans J. Masse, les grèves des mineurs et carriers du Var 1871-1921, Annales du Midi, 1967, fasc. 2, pp. 195-219.
34 D’après Annuaire statistique de la France, 1966, résumé rétrospectif, op. cité, pp. 120-121.
35 Voir A. Kriegel, Histoire du mouvement ouvrier français 1914-1920, op. cité, Tome I, pp. 157-162, et surtout Christiane Morel, le mouvement socialiste et syndicaliste en 1917 dans la région parisienne, mémoire de maîtrise, Paris, 226 p., non daté.
36 Il faut, cependant, souligner que nous avons pu montrer depuis notre soutenance que la statistique des grèves est fausse pour l’année 1918 ; cf. Jean-Louis Robert, Chronique et réflexions : les luttes ouvrières pendant la Première Guerre Mondiale, Cahiers d’histoire de l’institut Maurice Thorez, n° 23, 4e semestre 1977, pp. 28-65.
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