Chapitre 8. 1954, l’année des doutes : l’intégration économique européenne au service des États-Unis ? Le charbon et le pétrole à armes égales ?
p. 181-225
Texte intégral
11954 représente un tournant dans la politique charbonnière en Europe, dû à la décision du gouvernement américain d’octroyer un prêt à la Haute Autorité pour son programme d’investissements, ainsi qu’à la décision de favoriser l’exportation de 10 millions de tonnes par an de charbon américain. Quel sera son impact ? Elle ne laisse pas indifférents les producteurs-exportateurs américains de charbon qui, eux, s’opposent à toute forme de prêt, comme les producteurs européens qui, de leur côté, s’inquiètent de l’arrivée de ces 10 millions de tonnes. Une attitude commune sera-t-elle possible ? Puis, des négociations laborieuses s’engagent entre les représentants américains et les pays de la ceca pour la réalisation du programme d’exportation, mais leur issue est facilitée par l’application du commerce triangulaire qui s’avère extrêmement profitable aux pays européens. Or le pétrole continue d’affirmer sa position sur le marché européen, contrariant l’avenir du charbon. La politique à court terme des gouvernements et de la Haute Autorité sera-t-elle revue en fonction de cette nouvelle expansion ?
Le lobby charbonnier américain
2Au cours du premier trimestre de 1954, un mouvement de protestation s’organise dans le milieu des producteurs-exportateurs américains de charbon contre la décision du Département d’Etat d’octroyer un prêt à la Haute Autorité. Après des contacts officieux, la Haute Autorité dépose à la fin de 1953 une demande publique d’emprunt auprès des Etats-Unis conformément à l’attente du gouvernement. Le 23 décembre 1953, la presse est avertie de ce projet : « Aujourd’hui, le Secrétaire d’Etat annonce que les Etats-Unis se préparent à prêter à la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier sur une période de deux ans l’équivalent de 100 millions de dollars en provenance des fonds de la Foreign Operations Administration afin d’aider à financer les projets sélectionnés en matières premières de la Communauté du Charbon et de l’Acier.1 »
3Pierre Mélandri qualifie ce prêt « d’essentiellement politique.2 » En effet, mais peut-être pas dans le sens qu’il entend. Il ne semble pas que ce prêt soit l’expression du soutien américain accordé à la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, puisque le Département d’Etat le prévoyait déjà bien avant les démarches de la Haute Autorité dans le cadre de certaines conditions. John Gillingham fait allusion à ce prêt assorti de conditions « généreuses » grâce aux liens d’estime qui unissent Dulles et Monnet depuis de nombreuses années déjà3. Mais ces conditions sont-elles réellement généreuses ?
4Le prêt américain est enfin annoncé officiellement alors que les modalités consistant à financer l’achat du charbon américain restent apparemment occultées, d’autant plus que son montant reste encore inconnu. Au cours de cette période, les conditions du prêt sont davantage définies au sein de l’administration américaine. Le montant de 100 millions de dollars sera pris en charge par la msa puisqu’il lui est désormais possible administrativement d’élargir son champ d’action, pour l’année fiscale de 1954, et probablement encore pour 19554. Par ailleurs, cette mesure implique « un transfert de fonds d’aide militaire à des fonds d’aide économique. » La Trésorerie doit encore décider en fonction de ses disponibilités du mode de remboursement, soit en dollars, soit en monnaies européennes. Néanmoins, son avis est que les monnaies européennes inspirent peu de confiance étant donné qu’elles peuvent être dévaluées. A ce sujet, il semble qu’il y ait divergence de vues entre la Trésorerie, peu encline à leur utilisation, et le foa, qui admet cette éventualité. Il est finalement envisagé que le prêt sera remboursé en devises européennes.
5Les diverses administrations gouvernementales approuvent ces modalités dans leur ensemble sauf le Secrétariat à la Défense, qui, lui, proteste vivement contre ce transfert. « A ce sujet, », déclare-t-il, « il apparait qu’il y ait une tendance de la part du Foreign Operations Administration de demander un détournement des fonds militaires vers l’aide économique au-delà de la limite raisonnable des besoins.5 » On ne peut que remarquer que déjà en 1945-1947, la Défense opte souvent pour une vision différente de celle du Département d’Etat. Toujours est-il que le 8 mars 1954, les travaux de la Mutual Security, lancés presqu’un an auparavant et destinés à élaborer les grandes lignes du programme, sont communiqués par Eisenhower au Congrès. Ils portent notamment sur la demande de prêt de la ceca et présentent une conclusion favorable depuis le début de cette année6.
6Mais les charbonniers et sidérurgistes américains s’opposent à toute forme de prêt à la ceca. L’un d’entre eux, Charles White, sidérurgiste, justifie cette position en déclarant que : « ... La compétition de la part de l’industrie européenne a fort touché l’industrie d’acier à cause des prix que l’industrie américaine ne pouvait atteindre.7 » De même, la National Coal Association s’engage dans une campagne de propagande contre l’attribution du prêt. Ces manifestations traduisent le niveau critique atteint par l’industrie charbonnière et sidérurgique. En effet, la consommation du charbon aux Etats-Unis a fort régressé avec la perte de deux marchés importants : le chauffage domestique, conquis par le gaz naturel, et les chemins de fer par le diesel8. Le phénomène de substitution du pétrole et du gaz naturel au charbon se traduit en 1954 par une chute importante de la production de bitumineux, de l’ordre de 14,4 % par rapport à 1953, qui est la baisse la plus marquée depuis 1949. L’industrie charbonnière connaît alors un fort chômage. Parallèlement à cette chute de la production, les exportations atteignent leur niveau le plus bas depuis 1950. Elles enregistrent une baisse de 8,1 % par rapport à 1953. 1954 est aussi une année fatidique pour la sidérurgie qui voit sa consommation enregistrer la baisse la plus importante : 23,8 % par rapport à l’année précédente.9
7Dans un tel contexte, les producteurs et exportateurs américains acceptent très difficilement que leur gouvernement puisse aider la ceca à améliorer sa productivité alors que sa propre industrie charbonnière croule sous son excédent. Il semble bien que ces milieux ne soient pas au courant du futur programme d’exportations de 10 millions de tonnes. Peut-être le gouvernement américain attend-t-il une occasion propice pour l’annoncer ? Pendant que les négociations se déroulent dans le secret des coulisses du Département d’Etat et de la Haute Autorité, les associations mobilisent les hommes du Congrès, dont l’un, Carl D. Perkins du Kentucky, s’adresse au Secrétaire d’Etat John Foster Dulles en évoquant la situation dramatique des mines qui ferment : « il me semble que votre ministère, dans le cadre des négociations commerciales, pourrait trouver un moyen pour obtenir des marchés étrangers pour notre charbon auprès de nos amis.10 » La cause de la fermeture du marché européen provient selon lui des relations commerciales qu’entretiennent les industriels avec l’Est, c’est-à-dire la Tchécoslovaquie, la Pologne et l’urss. Face à ces arguments, le Département d’Etat fait preuve d’une grande objectivité d’analyse, qui n’inclut pas les récentes stratégies adoptées dans ce domaine, en spécifiant que ces relations sont bien négligeables, et insiste plutôt sur le contexte du déficit en dollars. « Comme la disponibilité en charbon en Europe s’améliore », explique-t-il, « ces pays ont favorisé l’achat de charbon dans d’autres monnaies que le dollar.11 » Par ailleurs, il tente de relativiser la solution des exportations vers l’Ouest comme on peut le voir : « Bien qu’on espère que la situation des exportations en charbon américain s’améliorera au cours des mois suivants, et qu’on atténuera l’apparente discrimination contre notre charbon, il n’est pas certain qu’une grande croissance des exportations en charbon des Etats-Unis vers les pays de l’Ouest, en particulier sur le long terme, surviendra.12 »
8Mais à présent que les réserves financières de l’Europe de l’Ouest se sont tout de même nettement améliorées (la France exceptée), le gouvernement américain intervient dans le domaine précis des quotas sur le charbon américain. De même, la récente déclaration des pays de l’Europe de l’Ouest à la récente réunion du « Coal Trade Subcommittee of the Economic Commission for Europe » permet d’envisager un nouveau courant d’importations de charbon américain pour le second trimestre de l’année grâce à des prix favorables. (Ces prix favorables sont principalement dus à la baisse des taux de frets survenue à la fin de 1953). Ces diverses initiatives permettent de préciser progressivement la mise en place du programme des exportations de charbon américain. Rien n’est dit explicitement sur le projet d’exporter 10 millions de tonnes de charbon américain, sauf que les milieux concernés peuvent « espérer » dans les mois à venir une amélioration de la situation commerciale vers l’Europe de l’Ouest. Mais le déclin de l’industrie charbonnière américaine semble déjà admis au sein du Département d’Etat. On peut dans ce cas présupposer un retrait politique dans ce secteur économique dans la mesure où les conflits sociaux ne semblent plus peser autant dans la politique intérieure que dans les années 1946-1947. Assisterait-on là à un combat d’arrière-garde ?
9La presse américaine, par la voix du New York Times, se fait l’écho des producteurs américains de charbon en signalant leur situation dramatique : « La plus malade des industries mal en point du pays va de plus en plus mal.13 » Une conférence les réunissant tous aura lieu les 21 et 22 mai à Chicago pour élaborer un « plan d’attaque ». Cependant, certains d’entre eux estiment « que la seule façon de résoudre les problèmes de l’industrie charbonnière consiste à dénoncer les conventions passées avec M. John L. Lewis, président du syndicat United Mine Workers14, et de reprendre ensuite l’activité sur une base non syndicale. » Les grandes grèves de 1946-1947 avaient débouché sur une augmentation salariale, et ont considérablement marqué les industriels du charbon. C’est pourquoi cette solution ne suscite pas une adhésion totale car elle impliquerait surtout un trop grand coût pour l’industrie charbonnière qui n’a plus les moyens financiers de faire face à de nouvelles grèves.
10Alors qu’en 1945, l’industrie charbonnière américaine traversait une crise de reconversion à l’économie de paix, ce qui suscitait de nombreuses inquiétudes parmi les mineurs, en 1954 elle fait face au déclin de la consommation de charbon, ce qui provoque des licenciements ou un chômage partiel. Dans ce contexte, que peut envisager le syndicat des mineurs qui voit son action se réduire dans les années 50 ? Les producteurs envisagent de leur côté une intervention plus incisive auprès du gouvernement, « et plus spécialement le Département de l’Intérieur », qui leur semble se retirer de l’affaire malgré les sympathies d’ordre politique (Parti républicain). Les protagonistes cherchent en particulier à lutter contre les importations pétrolières, en amenant le Congrès à se saisir du dossier. « Mais en dépit du soutien accordé par les gouverneurs de 18 Etats producteurs de charbon, cette campagne a reçu peu d’encouragements du côté de l’Administration.15 » Aussi, les producteurs souhaitent voir les Services Publics favoriser la consommation du charbon, tout comme ils demandent une action gouvernementale visant à ouvrir le marché européen. Dans l’ensemble, les producteurs américains envisagent des mesures internes qui pourraient être qualifiées de raisonnables. En effet, ils projettent « de grouper les exploitations à bas prix de revient et de mettre en veilleuse celles à un coût élevé jusqu’à ce que la demande de charbon s’améliore.16 » En conservant le silence sur son projet, le Département d’Etat a-t-il voulu garder sa propre initiative dans cette affaire, c’est-à-dire ne pas avoir à subir des pressions du lobby charbonnier ? Cette hypothèse n’est pas crédible étant donné que le Département d’Etat semble adopter une attitude indépendante, et surtout qu’il négocie ce projet d’exportations en dehors du lobby lui-même.
11A cette même époque, la Haute Autorité négocie avec les Etats-membres une « politique commerciale commune conforme à la politique économique de la ceca.17 » Est-ce dans le cadre du futur programme d’exportations de charbon américain ? En attendant l’aboutissement de ces négociations, « diverses attitudes ont été adoptées par les pays membres vis-à-vis des importations de charbon ; certains pays ont accordé une entière liberté à ces importations, d’autres n’octroient que difficilement des licences, notamment en raison de la pénurie de dollars. » L’Italie et les Pays-Bas sont les pays qui ont accordé une liberté d’importation, tandis que la Belgique et la France les restreignent comme on peut le constater d’après le tableau n° 1. Le cas de l’Allemagne sera considéré plus loin dans l’étude.
12Or pour le gouvernement américain, ces « diverses attitudes » remettent en question ses relations avec les pays membres puisque selon lui, « l’Allemagne et la Belgique qui sont les deux pays ayant actuellement imposé des restrictions aux importations de charbon américain n’ont pas l’argument de la pénurie de dollars. » L’Allemagne aurait-elle changé d’attitude depuis la fin 1953 ? Le Département d’Etat étudie alors le strict cadre juridique de la ceca, pour négocier la levée des restrictions sur le charbon américain : avec la Haute Autorité ou avec chaque pays ? Au cours de la visite de Jean Monnet, en avril 1954 à Washington pour régler les derniers détails du prêt, le Département d’Etat saisit l’occasion de l’interroger à ce propos pour que « les Etats-Unis ne se heurtent pas à des gouvernements rejetant toute responsabilité dans ce domaine sur le compte de la Haute Autorité. » La réponse de Jean Monnet est sans ambiguïté : « elle (la Haute Autorité) ne peut pas ordonner aux pays-membres de supprimer les restrictions à l’importation. Les gouvernements restent responsables pour l’octroi des licences. Les articles 71 et 74 mettent une série de conditions à l’action de la Haute Autorité dans le domaine de la politique commerciale avec les pays tiers... Les gouvernements des pays membres sont seuls responsables en cette matière. » Le 23 avril, les modalités du prêt sont fixées et signées par les deux protagonistes.
13Quant à l’opposition des milieux sidérurgistes et charbonniers américains, elle semble s’assouplir après cet accord. Ils évoluent favorablement à l’égard du prêt à la Haute Autorité, mais « espèrent voir figurer dans le contrat une clause tendant à empêcher les restrictions à l’importation.18 » D’après P. Mélandri, la modicité du prêt (100 millions de dollars au lieu des 500 ou 600 demandés par Jean Monnet,) aurait permis de calmer notamment l’opposition des sidérurgistes, symbolisée par l’American Iron and Steel Institute. Le communiqué du 23 avril du Département d’Etat confirme les démarches entreprises pour lever les quotas européens allant dans le sens souhaité par le milieu charbonnier19. Mais cette information n’est pas nouvelle en soi puisqu’elle leur avait été communiquée auparavant. Contrairement à ce qu’affirme P. Mélandri, ce n’est pas tant John L. Lewis qui obtint satisfaction, car son rôle dans cette mobilisation me semble moindre que celle du patronat. Par ailleurs, il n’était guère difficile pour le gouvernement américain de faire cette annonce, étant donné qu’il avait déjà entrepris les démarches dans ce sens sans subir l’influence du lobby. Pour l’anecdote, le gouvernement américain n’hésite pas à accorder, au cours de la même période, dans le cadre du foa, un montant de 500 millions de dollars pour organiser des visites d’études d’Européens aux Etats-Unis...20
14Ce prêt américain aura des conséquences sur deux plans complémentaires. Tout d’abord, il est l’occasion de tester la politique d’ouverture commerciale de la ceca, face à la condition annexée d’importer 10 millions de tonnes de charbon américain par an. Il favorise de même les transactions directes à l’échelle gouvernementale entre les Etats-Unis et les pays membres en dehors du cadre officiel de l’oece et du gatt. Dans ce cas, que devient l’autosuffisance de la ceca en charbon, proclamée par la Haute Autorité : un rêve ? Toutefois, l’hégémonie américaine dans l’économie européenne est à nouveau discutable car ces pourparlers la mettent rudement à l’épreuve. Tout comme en 1945-1947, les pays de l’Europe de l’Ouest, ici limités géographiquement à la ceca, opposent un front commun dès lors que le rôle des Etats-Unis sur le marché charbonnier est moins légitime en dépit des financements passés du Plan Marshall. Mais les représentants américains disposent à présent d’un argument de force dans la mesure où les pays européens ne peuvent se retrancher derrière la ceca. En ce qui concerne précisément la Belgique, les représentants américains la poussent, par voie de presse, à « rétablir les licences pour les importations directes du charbon américain.21 » Elle dénonce le fait que « l’industrie charbonnière américaine est exclue d’un important marché européen, en partie à cause d’un accord belgo-néerlandais. » Cet accord engage les négociateurs néerlandais, malgré eux semblerait-il, à ne pas expédier le charbon américain des Pays-Bas vers la Belgique, ce que le gouvernement belge a aussitôt démenti. L’accord, s’il existe, irait à rencontre du Traité de Paris puisqu’il permet un assouplissement des mesures restrictives imposées au charbon américain grâce à la libre circulation sans restrictions de ce charbon importé par l’un des pays membres au sein même de la Communauté. Mais le journaliste du New York Times n’est pas dupe sur le fait que : « Si la ceca n’existait pas, les mesures restrictives prises par chaque nation seraient automatiquement effectives.22 » Or les quotas ont été établis avant la création de la ceca en 1948 jusqu’à la guerre de Corée. Cet aspect de la libre circulation de produits importés des pays tiers au sein de la ceca sera d’une grande acuité au cours des mois suivants. Une petite anecdote permet de saisir le travail à long terme entrepris auprès de la Belgique dans cette direction. Le gouvernement belge s’adresse, furieux, à la Haute Autorité au début de l’année pour signaler des fuites dans la presse concernant un accord belgo-russe non encore conclu, et portant sur l’importation de fonte et d’anthracite, et l’exportation de produits métallurgiques. Il s’avère après enquête que c’est le correspondant d’une agence américaine qui aurait divulgué l’affaire...23
15Du côté de l’Allemagne, les représentants américains tablent sur « l’espoir de voir le gouvernement allemand relâcher ses restrictions », sans négliger toutefois que tous les obstacles doivent être considérés et surmontés, comme le transit qui pourrait se retourner contre le charbon américain. « Quand l’intérêt principal des Etats-Unis est de faciliter des exportations directes en charbon vers l’Allemagne, ils n’apprécieraient pas de voir des restrictions se mettre en place sur la ré-exportation du charbon américain vers l’Allemagne des Pays-Bas.24 » Les Pays-Bas sont en effet acquis à la cause du charbon américain, du fait de leur position commerciale internationale et surtout de leur future orientation en termes de production charbonnière. En effet, ils programment, l’année suivante, la diminution progressive de leur production et comptent sur les importations pour satisfaire la différence.
Les réponses de la Haute Autorité et des producteurs européens
16Le 5 août 1954 enfin, Harold Stassen, directeur du foa, annonce officiellement au cours d’une conférence de presse la décision « d’expédier l’excédent de 10 millions de tonnes de charbon américain en Europe, dans le but de soulager l’industrie en crise, et ceci dans le cadre de l’aide à l’étranger pour l’exercice fiscal 1955.25 » De plus amples informations sur cette mesure sont diffusées quelques jours plus tard par le foa dans les ambassades. « La configuration changeante intérieure et la mondialisation de l’économie nous forcent à explorer de nouvelles facettes afin d’ajuster à la fois la situation intérieure et les besoins des Etats-Unis en accord avec nos objectifs d’assistance aux problèmes économiques des pays coopérants, aux besoins des consommateurs et au développement potentiel... Mais le réajustement dans l’économie américaine a par sa nature particulièrement affecté le charbon, connaissant une situation quelque peu semblable à la surproduction en blé, mais avec cet aspect malheureux que cela n’implique pas seulement un problème gouvernemental, comme il se doit, mais un chômage des travailleurs, ce qui provoque une détresse dans les zones minières.26 » Voilà en quelques lignes l’objectif clairement brossé de cette décision qui s’inscrit dans le cadre de la « défense économique », mise au point par la msa.
17Quelle est donc la réaction de la Haute Autorité à cette annonce désormais officielle ? Tout d’abord, sa réaction de glaner davantage d’informations peut surprendre, mais il semble fort qu’elle n’ait pas été informée du résultat des démarches entreprises par le gouvernement américain auprès des gouvernements des pays membres. « En ce qui concerne les articles de journaux récents annonçant que la foa a l’intention de distribuer 10 millions de tonnes de charbon dans le cadre de son programme d’aide à l’étranger, la Haute Autorité désire savoir si de tels chiffres sont destinés aux pays de la Communauté.27 » Cette citation fort étonnante provient de la Division du Marché, et révèle que celle-ci n’a pas été tenue au courant des négociations entreprises précédemment par la Haute Autorité28.
18Il est important de noter dès à présent le rôle que joue cette Division. En effet, jusqu’à présent, on a surtout considéré les décisions provenant de la Haute Autorité elle-même sans davantage se soucier du travail des Divisions qui l’entourent. Or les décisions de la Haute Autorité sont le fruit des rapports et des notes qui lui ont été transmis par ces Divisions. Ensuite, celles-ci font office d’exécutants de ces décisions concrétisées en mesures administratives. Ainsi, s’il y a désaccord entre la Haute Autorité et une de ces Divisions, l’application de ces mesures peut être rendue difficile. C’est pourquoi j’insiste particulièrement sur cet aspect qui n’a pas toujours reçu tout l’intérêt qu’il mérite, afin de mieux comprendre le travail d’ensemble de la ceca. Grâce aux archives de la Communauté Européenne, on discerne la place qu’occupe en particulier la Division du Marché. Elle affiche en plusieurs occasions une position différente de celle des membres de la Haute Autorité, car elle est beaucoup moins pragmatique. Elle met aussi en valeur les points faibles de la ceca, ce qui lui vaut de tempêter parfois contre les décisions gouvernementales par exemple.
19Pour revenir au programme d’exportations enfin annoncé par voie de presse, la Haute Autorité se soucie davantage de l’attitude du Congrès, qui a émis un rapport proposant « que les autres prêts futurs à la Communauté soient interdits.29 » Une partie de bras de fer s’engagerait-elle entre le Congrés, soutenant davantage la cause des producteurs-exportateurs de charbon, et le Département d’Etat, pour que cette question soit encore d’actualité ? Or le Congrès se révèle nettement moins sensible à la politique libérale du gouvernement républicain, et s’attache davantage à un certain protectionnisme, républicain lui aussi. Il aurait plutôt tendance à limiter les ambitions de la politique étrangère du Département d’Etat. La Haute Autorité recueille des premières informations : « il s’agit bien d’expéditions dans le cadre du programme de la foa et des systèmes triangulaires pourraient être envisagés avec les pays en dehors de la compétence de la foa. En principe, de telles expéditions ne devraient pas gêner le trafic normal de charbon américain ni troubler les marchés amis.30 » Néanmoins, la presse italienne est davantage au courant des conditions de ce programme puisque déjà le 20 août 1954, elle signale que : « il existe un problème au sujet des modalités de financement des importations en cause, du fait que l’adoption de l’une ou de l’autre de ces modalités (crédits foa ; dollars libres ; opérations triangulaires) implique une graduation des prix c.i.f. différente suivant les cas, se traduisant par une diminution ou une augmentation des avantages tirés par le consommateur et même par l’utilisateur.31 » D’autres renseignements précisent les services responsables des ventes : « le charbon destiné à des fins militaires sera acheté par l’intermédiaire de l’Office Naval Procurement et celui destiné à des fins civiles par l’intermédiaire de la General Services Administration32. »
20Les exportations américaines de charbon s’effectueront avant le 30 juin 1955, au prix de $ 10 la tonne, cif ports européens, et « l’octroi de bons de dédouanement pour les importations de charbon américain sera maintenu en vigueur uniquement en vue d’un contrôle statistique, et (...) toutes les demandes présentées seront acceptées.33 » Le New York Herald Tribune remarque que la nature du plan « illustre parfaitement, comme H. Stassen l’a fait remarquer, l’insistance que le Président Eisenhower a mise à ajuster les besoins d’outre-mer aux nécessités de la situation économique des usa.34 » Cette dernière remarque soulève l’animosité d’un journaliste de l’Echo de la Bourse, qui dénonce le « caractère interventionniste » du plan et précise que « les fameux besoins d’outre-mer n’existent pas en fait dans les régions européennes dans leur ensemble. En effet, les charbonniers du Plan Schuman s’effraient d’une décision qui vise à écouler en Europe 10 millions de tonnes de charbon américain au moment où les six pays de la ceca ont accumulé 14 millions de houille sur le carreau des mines.35 » La reprise économique s’amorce déjà et les stocks se résorbent.
21Plus tard, le président Eisenhower communique le 24 septembre un mémorandum au foa, spécifiant le rôle de ce programme et ses modalités. Un fonds de 20 millions de dollars est dégagé pour faciliter les achats. Il contribue sans ambiguïté aucune à la réalisation des ambitions d’envergure internationale des Etats-Unis : réaliser d’une part l’intégration des économies du monde libre par le système économique libéral, tout en saisissant d’autre part l’opportunité d’offrir une porte de secours à son industrie charbonnière sinistrée. « On considère l’intégration des besoins économiques hors des Etats-Unis dans le cadre de la coopération des pays amis », déclare-t-il, « associée à une nécessaire protection intérieure pour ajuster l’économie américaine, par exemple le charbon et les surplus agricoles, comme étant une marge habituelle des objectifs intérieurs et extérieurs.36 » Ce financement se présente comme suit : « Le charbon (aura) un fonds de 20 millions de dollars - l’utilisation effective du charbon dans le programme de la Mutual Security nécessite un fonds séparé... » Suivi de : « Est attaché au texte un mémorandum non daté et non signé intitulé « Mémorandum sur le fonds charbon de 20 millions de dollars », dans lequel on proposait d’établir un fonds d’obtention charbon à partir des appropriations pour l’assistance autorisées par la msa. La détermination du Président et son autorisation sont discutées dans la note trois ci-dessus fournie pour l’établissement de ce fonds.37 » Le charbon américain sera principalement acheté aux Etats sinistrés comme la Pennsylvannie, le Kentucky, la Virginie de l’Ouest et l’Illinois.
22Cependant, la Division du Marché de la ceca s’interroge sur les conséquences d’une telle décision. Alors qu’elle reconnaît que cette décision exercera une grande pression sur les prix des charbons communautaires, déjà alignés sur les prix des pays tiers pour la plupart en vertu de l’article 60, et par conséquent qu’elle exercera aussi une pression sur la production elle-même, elle considère que « la Haute Autorité a donc peu ou pas de raisons d’intervenir soit en instituant une réglementation quantitative des importations, soit en autorisant une taxe de protection.38 » Pour cela, elle considère que les prix de charbon américain ne sont pas subventionnés ; néanmoins, s’ils l’étaient au niveau des frets, ce serait une situation très grave. Pourtant, fixer à 10 $ la tonne le prix du charbon américain livré aux ports européens, dans le cadre du programme, alors qu’il est actuellement livré entre 11,60 $ et 15,00 $ au port de Rotterdam d’après la note de Vinck, n’est-il pas arbitraire ? La différence de 3 $ entre les charbons concurrents est là pour se convaincre que le gouvernement américain tente de créer des conditions de marché qui lui soient favorables. Au cours du troisième trimestre 1954, le taux de fret est de 4,93 $, avec un prix du marché de 8,12 $, soit un prix de vente aux ports européens d’environ 13,05 $. Le prix de vente du charbon américain fixé à 10 $, et donc inférieur au prix du marché, comporte en lui-même des subventions indirectes. A quel niveau ces subventions interviennent-elles : au niveau du prix du charbon ou au niveau des taux de frets ? Ceux-ci restent toujours dans des taux inférieurs à ceux pratiqués avant et pendant la guerre de Corée.
23C’est ici l’occasion de s’interroger à nouveau sur la politique charbonnière de la Haute Autorité principalement sur les importations. Si l’on se réfère aux propos de Jean Monnet, tenus au cours de sa visite à Washington : « la Haute Autorité croit aux effets favorables d’un marché de libre concurrence non seulement à l’intérieur de la Communauté mais également dans ses rapports avec les pays tiers.39 » Dans ce cas, les importations américaines ne peuvent en effet être considérées comme importunes.
24Un autre regard sur les activités de la Haute Autorité peut être apporté par Pierre Uri, alors responsable de la Division de l’Economie de la ceca. Au sein de cette Division, il s’interroge et formule des critiques sur le fonctionnement du marché charbonnier, qui sont transmises aux responsables. Sur la question des importations, il signale notamment que : « si on regarde concrètement le problème des importations, on s’aperçoit qu’il n’est actuellement pas posé, mais résolu de manière bâtarde. En théorie, l’importation est tout à fait libre, sans aucune protection, à travers au moins l’un des pays de la Communauté. En fait, une limitation discrète intervient pour éviter des difficultés politiques.40 » Mais elle intervient surtout en fonction de la source d’approvisionnement.
25Toutefois, il fait quelques erreurs d’appréciation dans ce domaine. En effet, il considère nécessaire que la ceca se défende d’une manière quantitative contre la source polonaise, car elle est le symbole du « monopole et de la discrimination ». Quand on connaît la place qu’elle occupe et les conditions de son marché, on ne peut qu’être étonné d’une telle affirmation. Quant au charbon anglais, il reste très discret sur les effets de la nationalisation sur les prix, et parle de « distorsions ». Le charbon américain semble recevoir une analyse plus adaptée : « le problème américain, c’est celui de la variation très violente des prix rendu suivant les quantités », ce qui signifie que les frets y jouent un rôle déterminant. Il critique par ailleurs la mesure de péréquation calculée sur « la différence entre les prix rendus sur des quantités limitées et ce que serait le prix rendu sur des quantités plus fortes.41 » Mais il ne semble pas connaître l’origine d’une telle mesure, qui provient des conditions de prêt pour l’achat de charbon américain posées en 1953. Cependant, son analyse sur les fluctuations des prix en fonction des quantités livrées prévoit la situation future. En effet, selon lui, le prix du charbon américain reste compétitif (à 10 $ la tonne) sur des quantités restreintes à cause du fret, et dans ce cas doit être réparti. C’est bien ainsi que le programme du foa influencera par la suite la capacité de tonnages des bateaux et occasionnera un renchérissement des frets, qui sera pris en charge par la Haute Autorité. Il est tout de même étrange que ces études, informations, notes circulant dans les bureaux de la ceca sur ce programme restent superficielles sur cette question.
26Quelles sont précisément les fluctuations des taux de frets au cours de cette période de l’année 1954 ? D’après le tableau n° 22, les taux de frets maritimes connaissent une augmentation importante jusqu’à atteindre le plus haut niveau de 1952, qui a correspondu au contexte de la guerre de Corée, c’est-à-dire une augmentation de 60 %42. Puis, ils affichent une baisse intéressante à la fin de 1953, c’est-à-dire au moment de la mise en place du programme de la msa. Une nouvelle hausse en 1954 a-t-elle constitué un argument déterminant pour les récalcitrants ? Dans ce cas, on peut raisonnablement douter de l’économie réalisée dans le cadre des contrats quand le niveau des frets est si élevé. On s’aperçoit que les variations subites des frets coïncident d’ailleurs bien souvent avec des événements soit militaires, soit commerciaux. Le prix du charbon américain est grandement déterminé par les variations du fret, ce qui permet d’affirmer, en tenant compte des conditions du programme du foa que son coût ne reflète pas la réalité au niveau des transports par bateau. Les taux de frets sont non seulement spéculatifs, mais bénéficient de subventions indirectes.
27Tout comme la Division du Marché, la Division de l’Economie ne semble pas connaître la nature de ce programme. Les négociations avec les Américains semblent avoir été tenues secrètes à leur égard comme à l’égard des producteurs américains et européens. Mais en ce qui concerne la pénurie charbonnière, Pierre Uri saisit parfaitement son contexte. « La pénurie et la répartition », écrit-il, « ne sont des problèmes qu’en temps de guerre ou d’immédiat après-guerre. En revanche, un changement brusque et violent de la relation des prix d’importation au prix de la Communauté est une réalité avec laquelle il faut compter.43 » Et encore, « au lieu de constituer un élément régulateur, l’importation peut constituer un élément de trouble dans deux cas opposés : soit dans les périodes où, la production de la Communauté étant insuffisante pour couvrir ses besoins, les prix d’importation sont sensiblement plus élevés que ceux de la Communauté, soit dans les périodes où la demande fléchit et où l’importation risque de porter atteinte aux capacités de production dans la Communauté.44 » Pierre Uri saisit l’incidence que peuvent avoir ces variations des taux de frets en fonction des circonstances, au moment où la ceca accroît sa dépendance à l’égard des livraisons américaines. Là se situe le vrai débat sur le marché charbonnier.
28Peu après la conférence de presse de Stassen, le Coal Exporters Association of the United States le remercie personnellement : « Je suis sûr que vous aviez à l’esprit le double effet qu’elle aura à travers cette action, c’est-à-dire de livrer nos charbons aux pays européens actuellement presque entièrement approvisionnés en charbons polonais, et en même temps de soulager, partiellement au moins, la situation désespérée de notre industrie du charbon.45 » Il exprime toutefois sa déception devant l’attitude du Congrès qui n’a que modérément coupé les fonds d’aide étrangère proposés par l’Administration. Le lobby charbonnier a utilisé toutes les méthodes habituelles aux groupes de pression pour faire obstruction au projet de prêt à la ceca et aussi pour signaler bien haut et fort sa volonté de voir s’ouvrir à nouveau le marché européen : propagande par la presse, soutien acquis de certains parlementaires au sein du Congrès, intervention directe auprès du gouvernement (Harold Stassen avait reçu une délégation en septembre 1953).
29On peut très bien imaginer que le Département d’Etat a prévu l’enchaînement des circonstances en laissant le lobby charbonnier manifester son mécontentement. En effet, le lobby intervient auprès du Congrès pour l’amener à interdire tout prêt à la ceca pris sur les fonds d’aide étrangère. Le Congrès se contente alors de réduire le montant. Le résultat est que le Département d’Etat économise indirectement sur ce prêt et utilise peut-être le bénéfice pour son propre programme d’exportations. Le foa l’annonce enfin à la presse à un moment favorable au charbon américain, c’est-à-dire en fonction des engagements probablement pris avec les pays membres de la ceca.
30Mais je ne peux m’empêcher d’être dubitative sur la signification officielle du projet du foa, étant donné le contexte international de guerre froide. Pour tenter de saisir davantage la fonction de ce fonds de 20 millions de dollars pour le charbon, on pourrait établir un lien entre ce fonds et la situation économique de l’Europe d’après la remarque suivante : « la configuration économique de l’Europe s’est considérablement améliorée en comparaison avec l’année 1952, bien que le niveau de croissance économique soit toujours inadéquat pour satisfaire les besoins civils et militaires à long terme.46 » Ces « besoins militaires » de l’Europe constituent une des préoccupations essentielles des Etats-Unis dans un contexte de grande tension entre les deux Blocs. Les Etats-Unis auraient tout intérêt à ce que l’Europe, particulièrement en période de dépression économique, s’assure un potentiel militaire suffisant face au bloc soviétique. La guerre de Corée a eu pour conséquence d’accroître l’aide militaire en dollars aux pays de l’Europe de l’Ouest. Malgré la détente observée à la mort de Staline en 1953, les deux blocs n’en continuent pas moins à maintenir un climat de guerre froide. L’otan se consolide par ailleurs avec l’entrée de l’Allemagne et de l’Italie, et avec la signature de l’Union de l’Europe Occidentale à la Conférence de Paris les 20-23 octobre 1954. Les structures de la défense européenne se renforcent sous l’impulsion du président Eisenhower, qui fait de l’escalade de l’armement nucléaire, sa principale force de dissuasion contre le bloc soviétique47. Cette période coïncidera avec une sophistication de l’arsenal militaire, et on ne peut nier que les populations ont vécu sous la pression d’une menace militaire, et que les débats étaient grandement dominés par les questions de défense.
31Mais en 1954, cette défense atlantique se trouve « en panne » à cause des débats qui se déroulent sur le projet de la ced. L’annonce de Stassen, faite presque trois semaines après le rejet de la ced par le Parlement français le 30 août 1954, se situerait-elle en dehors de ces débats ? Cette « guerre économique » n’est-elle pourtant pas délicate au moment où l’issue des débats concernant la ced est plus qu’incertaine et alors que le soutien des Etats-Unis se révèle peu habile ? Le Département d’Etat spécifie bien auparavant que le sort du projet de la ced n’influencera en rien l’octroi du prêt à la ceca ; alors, doit-on penser que ce programme d’exportations n’est aucunement lié à la ced ? Etant donné que les budgets d’armement européens tendent à se réduire, il me semble qu’il représente un moyen indirect de contrer cette tendance au moment où l’otan tente de trouver un second souffle. Les propos suivants de Lord Ismay, Secrétaire général de l’otan, indiquent que cet argument est à considérer : « La tâche actuelle de l’otan n’est pas seulement de maintenir sa puissance militaire, existante ou en voie de création, mais aussi d’en améliorer constamment la qualité, ceci en dépit du fait que des difficultés économiques subsistent et que le sentiment d’urgence a peut-être diminué.48 » Cette qualité est davantage commandée par l’évolution des armes nouvelles, c’est-à-dire l’arme atomique.
32Le programme foa s’insère assurément dans une stratégie d’ensemble de la politique charbonnière des Etats-Unis. Il s’établit sur deux plans qui ont le mérite d’être complémentaires : il s’agit d’une « guerre économique » menée contre les relations commerciales avec l’Est et contre les quotas européens instaurés sur le charbon américain, et il s’agit de même d’un programme militaire orienté contre le bloc soviétique et contre le désintérêt croissant de l’Europe de l’Ouest manifesté à l’égard de l’otan. Dans les deux cas, la politique concerne deux sphères géographiques intimement liées, l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest. C’est à cette échelle que se situe l’intégration européenne à l’américaine. Cet aspect jette une nouvelle lumière sur les motivations qui animent les responsables américains pour organiser l’intégration européenne.
33Pour revenir à l’annonce même de ce programme, les producteurs de charbon de la ceca se renseignent aussi sur cette nouvelle qui leur semble surprenante. William Courtney, « Program Officer » auprès de l’ambassade des Etats-Unis à Bruxelles, leur fournit les renseignements voulus mais tente visiblement de minimiser l’ampleur de cette décision. D’après lui, cet envoi de 10 millions de tonnes « vise à procurer une aide à certains pays étrangers en leur fournissant des matières premières sous forme d’allocations en dollars », et est « destiné au monde entier : Japon, Inde, Amérique du Sud.49 ». Pour l’Europe, « ce programme d’aide viserait principalement l’Espagne et la Yougoslavie qui recevraient les fournitures à titre de don, moyennant l’établissement de « fonds de contre partie » du type de ceux du Plan Marshall. » Peut-être l’Italie et la Grande-Bretagne seraient-elles intéressées par cette affaire. Un budget de 20 millions de dollars est prévu pour financer ces opérations, qui ne doit pas être considéré comme un fonds de subvention. Il conclut néanmoins que : « l’ensemble de ces mesures pourrait avoir des effets sur les marchés d’exportations européens des producteurs de ce continent. » Mais face à la fermeture du marché européen aux exportations du charbon américain, « il n’y aurait là qu’un déplacement géographique de courants commerciaux que les Etats-Unis estiment se maintenir dans une certaine mesure. » Ces derniers propos illustrent tout à fait l’un des principaux buts du foa.
34Face à cela, les producteurs européens réagissent vivement car : « Sous l’angle des tonnages et des qualités, l’Allemagne, la Belgique et la France ne sont nullement dans l’obligation de recevoir des charbons américains. Pour l’Italie, et dans une certaine mesure pour les Pays-Bas, l’élément « prix » est prédominant.50 » La communauté de vues est en effet plutôt fictive dans ce domaine, essentiellement dominée par la position exportatrice ou importatrice des pays concernés. La position de la France pourrait se révéler double puisqu’elle est aussi largement importatrice de charbon, mais elle exprime davantage une position de pays producteur au sein de cette association. Dans l’ensemble, cela signifie bien que le charbon américain affiche des prix moins élevés, en dépit de la hausse survenue des taux de frets, que ceux des prix de barème de la ceca pour que les uns ne répugnent pas à en recevoir et que les autres maintiennent leurs quotas.
35Pour bien comprendre les réactions de ce milieu, il nous faut analyser la situation du marché charbonnier en Europe en 1954. La consommation nationale apparente de houille chute à un niveau préoccupant dans tous les pays de la ceca. La France, la Belgique, et dans une moindre mesure l’Allemagne accusent toutes la baisse la plus importante depuis la crise de 1949, d’où le changement d’attitude de l’Allemagne en 1953. Elle traduit l’essoufflement du marché au sein de la ceca, essoufflement qui en Allemagne se manifeste par une baisse de ses exportations vers les pays de la ceca, et qui en France et en Belgique laisse les stocks de charbon invendable s’accumuler progressivement avec, à la fin de l’année, 10 653 000 tonnes sur le carreau des mines. La principale cause est que le marché de l’énergie évolue vers l’emploi croissant de nouvelles sources d’énergies propres et moins coûteuses (le pétrole et l’énergie hydraulique). Paradoxalement, la baisse de la consommation de houille n’a pas entraîné une révision à la baisse des productions. En 1954, les pays producteurs continuent à laisser croître la production, qui ne cesse de s’améliorer d’année en année : 145 000 000 tonnes pour l’Allemagne (le meilleur niveau depuis 1945), 30 000 000 tonnes pour la Belgique qui maintient son record par rapport aux années d’avant-guerre, la France avec 54 000 000 tonnes continue aussi d’enregistrer les records. Cette croissance est le résultat des mesures engagées dans la voie du productivisme. Quant aux importations américaines, elles atteignent 6 400 000 tonnes, qui est le niveau le plus bas depuis 1950. L’année 1950 reste néanmoins le record du recul considérable des importations de charbon américain en Europe de l’Ouest avec 0,1 million de tonnes. On peut penser que le niveau de 1954 reste encore assez élevé dans un contexte d’engorgement manifeste du marché. Cet argument sera vérifié par la suite.
36Cet état de fait révèle le déséquilibre entre l’offre et la demande au sein de la ceca, en particulier au niveau des charbons cokéfiables. D’après le graphique n° 2, on s’aperçoit que 1954 enregistre une très grande baisse, largement provoquée par la régression importante de la production en Allemagne depuis un an déjà (une baisse de 12 % par rapport à 1953). Cette situation est-elle liée à une modification d’orientation énergétique, qui accorderait une plus grande place au pétrole ? Cette chute ne traduit pas en effet une baisse de la demande intérieure puisque la sidérurgie affiche une meilleure santé avec une bonne reprise de la production d’acier au cours de cette année. Mais les quotas allemands sur le charbon américain doivent être levés en juillet si on considère les négociations américaines.
37Une grande contradiction persiste à ce sujet : existe-t-il ou non une déficience de la production en coke dans la ceca ? A l’ouverture du marché du charbon en février 1953, le problème se posait déjà. Mais compte tenu des structures lourdes de l’industrie charbonnière, l’application des recommandations de la Haute Autorité nécessite obligatoirement un délai assez long, en particulier dans le cadre de l’amélioration de la capacité des cokeries. Toutefois, cet aspect pose le délicat problème de sélection des qualités les plus demandées, qui impliquerait de mettre en veilleuse ou de fermer les productions non rentables. Cette responsabilité incombe principalement aux gouvernements et producteurs. De telles orientations sont difficiles dès lors qu’elles mettent en cause le plein emploi dans l’industrie charbonnière et les plans élaborés par les gouvernements nationaux. Dès le début du fonctionnement du marché, la ceca est gênée par l’autonomie des politiques nationales qui persistent malgré tout, étant donné que la plupart des mines sont sous contrôle de l’Etat. Ces politiques nationales sont d’autant plus rigides qu’elles considèrent la marche de l’industrie charbonnière comme le baromètre économique. L’évolution des prix du charbon constituent une référence obligatoire pour l’ensemble des prix. Il en découle une situation sociale stable. On peut aussi faire remarquer que jusqu’à la création de la ceca, il n’était guère possible d’avoir une vue d’ensemble des plans charbonniers puisque chaque pays opérait individuellement sur le marché. La consommation nationale en coke de la ceca en 1952-1953 dépasse le niveau de 1938, qui, lui, a coïncidé avec une période d’armement, tout comme les années 1952-1953 correspondent aussi à la formidable demande militaire suscitée par la guerre de Corée51.
38Malgré la très nette progression de la production de coke dans les autres pays, la baisse de celle de l’Allemagne semble difficilement compensée. 1954 est une année de forte régression, qui traduit surtout un retour à une situation normale après la guerre de Corée, c’est-à-dire que la demande se stabilise à un niveau plus représentatif des besoins domestiques réels. En effet, il suffit de se pencher sur l’évolution de la production d’acier pour constater qu’elle ne souffre guère de cette régression. Chaque pays enregistre une hausse notable, sauf en Belgique où elle est toute relative, par rapport à 1953 : 17 434 000 tonnes d’acier pour l’Allemagne en 1954 contre 15 420 000 tonnes en 1953, 4 973 000 tonnes pour la Belgique contre 4 497 000 tonnes, 10 627 000 tonnes pour la France contre 9 997 000 tonnes, 934 000 tonnes pour les Pays-Bas contre 867 000 tonnes. Ce discours à tendance dramatique sur le déficit qualitatif dans la ceca ne viendrait-il pas tout simplement du mythe du déficit charbonnier ?
39Peut-être cette situation est-elle accentuée par le retrait de la Pologne ? Ce pays doit faire face à de nombreuses difficultés, notamment une main-d’œuvre encore insuffisante qui ne permet pas d’atteindre les objectifs du Plan ; l’approvisionnement en charbon est orienté prioritairement vers l’urss et les pays satellites en prévision d’un rude hiver 1954-195552 ; la situation financière est peut-être aussi délicate pour assurer les accords bilatéraux. Ses échanges avec l’Europe septentrionale se réduisent fortement, comme l’illustre le cas danois53. « Les importateurs danois ont été informés en octobre par la Pologne que toutes les expéditions de charbon avaient été suspendues, vraisemblablement en raison du mécontentement causé par le volume des exportations danoises à destination de la Pologne.54 » Je doute fort que ce soit là la véritable raison. Mais déjà en septembre 1954, la délégation polonaise à la Commission Economique pour l’Europe annonce « qu’elle sera contrainte de réduire ses exportations de 50 % », en particulier celles vers les pays Scandinaves. Dans le même ordre d’idées, « le fait que la Pologne ait également augmenté ses prix à l’exportation n’a d’ailleurs rien de surprenant étant donné la réduction quantitative réalisée, mais mérite toutefois d’être noté.55 »
40La situation difficile que connaît la Pologne est accentuée par la stratégie imperturbable de remplacement de son charbon par le charbon américain, qui contribue à l’isoler davantage d’une manière paradoxale. L’exemple du Portugal confirme cette action : « Aussi bien l’Ambassade que la Mission, elles pensent qu’une partie et probablement toutes les importations polonaises pourraient être remplacées par les fournitures américaines.56 » Ou encore l’exemple de l’accord commercial entre les Pays-Bas et l’urss permet de rendre compte des restrictions données cette fois-ci par la Haute Autorité. Le ministère des Affaires Economiques de La Haye conteste cette attitude, dans la mesure où : « presque tous les accords bilatéraux contiennent la notion que les contingents conclus en chiffres concrets, expriment l’obligation de l’octroi de licences correspondantes mais que les parties animées du désir d’accroître les échanges économiques s’efforceront suivant une procédure variable et bienveillante de dépasser les contingents réels.57 » De même, la France se voit critiquée par la Haute Autorité pour un accord commercial avec la Pologne portant sur 400 à 450 000 tonnes de charbon. « La Haute Autorité », écrit-elle, « voudrait néanmoins attirer votre attention sur les difficultés qu’éprouvent les Charbonnages de France, et plus particulièrement les Houillères du Nord-Pas-de-Calais.58 » Que penser alors des importations américaines ? La réponse ne se fait pas attendre. La France annonce une réduction de 300 000 tonnes de charbon polonais, mais spécifie que ces tonnages concernent des qualités non couvertes par les Houillères françaises59. Or la période d’automne 1954 coïncide avec une reprise économique, certes plus tardive en France, mais qui laisse espérer que les difficultés évoquées seront vite résorbées. A travers tous ces exemples, on observe un vaste mouvement de repli du marché occidental à l’égard de la Pologne. L’Europe de l’Ouest se tourne désormais vers l’approvisionnement américain. Dans ce contexte, la Pologne ne peut guère contribuer à réduire la disette en charbon à coke en Europe de l’Ouest.
41Quant à la Grande-Bretagne, ses exportations vers le continent connaissent une reprise, mais elles restent toujours dans des proportions bien inférieures à celles d’avant-guerre. Ainsi, les données politiques en 1945 ont considérablement modifié la configuration traditionnelle du marché charbonnier. Les échanges restent encore bien perturbés en 1954 malgré l’accroissement remarquable de la production. Ce constat permet d’affirmer qu’un marché doit obligatoirement s’équilibrer entre plusieurs éléments (production, exportations, importations, et stocks) ; si l’un d’eux vient à disparaître ou à prendre une dimension démesurée, c’est alors tout l’édifice du marché qui est en crise. Ceci est important à souligner, car c’est ce qui se produira en 1958.
42Dans le détail des discussions au sein de l’organisation des producteurs de charbon, le représentant des Charbonnages de France soulève le problème de la concurrence du charbon américain liée au problème de la qualité. « Les producteurs de la ceca ont un examen de conscience à faire. Ne pas donner entière satisfaction aux consommateurs, c’est ouvrir la voie aux charbons étrangers et aux produits pétroliers.60 » Quant au représentant de l’Allemagne, il fait intervenir un autre aspect qui est le problème du transit. « Les charbons américains pénètrent en Allemagne par transit pour près de 90 % des réceptions totales. » Ces deux considérations sont les principaux points faibles du marché charbonnier organisé par la Haute Autorité, auxquels tous les intéressés tenteront d’apporter une solution au cours des années suivantes. Dans un tel contexte, les producteurs européens constatent sans se pencher davantage sur la question un déficit qualitatif important et admettent que « dans les circonstances actuelles, tout au moins, il reste indispensable d’importer certains tonnages en provenance des pays tiers. Encore faut-il que ceux-ci soient contenus dans des limites raisonnables.61 » Ces « limites raisonnables » sont commandées par « l’importance actuelle des stocks de la Communauté ainsi que les chômages étendus à l’industrie minière européenne. »
43Les producteurs de charbon décident dans ces conditions de définir une action de défense qui consiste à « faire observer au gouvernement américain que le financement des exportations, dans le cadre du foa, alors qu’il y a pléthore de charbon en Europe, constitue une pratique de dumping et de vente forcée, contraire aux lois de concurrence commerciale et en particulier aux règles de la ceca.62 » Il incombe alors à la Haute Autorité de contester une telle politique en engageant des négociations directes avec le gouvernement des Etats-Unis. Recourir aux offices de la Haute Autorité, par l’intermédiaire du Comité Consultatif, telle est l’action concertée par l’organisation des producteurs de charbon.
44De la même façon que les producteurs de charbon américains avaient été tenus à l’écart des négociations de ce programme d’exportations, la Haute Autorité n’en a jamais fait part aux producteurs de charbon européens. Cependant, la marge de manœuvre de la Haute Autorité est très étroite, et la conduit à une certaine paralysie de ses fonctions, comme on peut le voir d’après un témoignage de l’intérieur : « Tout le monde comprend que dans l’état actuel des choses, la Haute Autorité doit être prudente dans ses actions vis-à-vis des gouvernements des Etats membres, et vis-à-vis des organisations désintéressées. Mais chaque action de la Haute Autorité faite en exécutant le Traité la met en contact avec ces gouvernements et organisations. Souvent notre mission est de changer les choses, et cette nécessité se met en opposition avec divers droits acquis. De tout cela, il résulte le danger grave que la Haute Autorité va de plus en plus vers l’inaction. Cette inaction, qui la menace maintenant, ne nuira pas seulement à la réputation de la Communauté mais déjà nuit au moral de la maison. Trop de gens ont l’impression qu’on tourne dans le vide.63 » Cette longue citation montre cruellement les limites de l’action de la Haute Autorité dans un contexte de « guerre économique ».
45La position de l’Allemagne sur le projet du foa reste ambiguë alors que celle des autres pays de la ceca est claire, en fonction de leur politique économique. L’Allemagne se trouve dans une situation intermédiaire entre le groupe des pays producteurs, France et Belgique, et le groupe des pays importateurs, Italie et Pays-Bas. Après avoir connu un état morose, la sidérurgie allemande décolle au cours du dernier trimestre 1954. Ses stocks de coke diminuent depuis le mois d’août. Et les importations en provenance des pays tiers, plus particulièrement des Etats-Unis, s’accroissent ; cela signifie clairement que les quotas allemands ont été élargis conformément à l’engagement de l’Allemagne à l’égard des Etats-Unis. Ses exportations vers les pays tiers prennent un nouvel essor, en particulier vers le marché Scandinave (cela signifie aussi que la place de la Pologne est désormais compromise).
46Après s’être opposée au charbon américain par l’établissement de quotas, l’Allemagne se situe désormais au second rang des importateurs de charbon américain en 1954, après l’Italie, avec 1,8 millions de tonnes. Ce changement de situation économique est probablement lié à son changement de politique commerciale. Y aurait-il un lien à établir entre les concessions commerciales de l’Allemagne et son entrée dans l'otan ? Les relations entre l’Allemagne et les Etats-Uni peuvent être fondées en partie sur l’aspect militaire. Ou bien a-t-elle connu un nouveau rappel à l’ordre de ses engagements multilatéraux au moment où la conjoncture économique s’améliore en fin d’année ?
47La position de l’Allemagne se clarifiera avant l’avertissement que doit donner le Comité Consultatif du cepceo le 4 novembre à la Haute Autorité. La délégation allemande conteste l’utilité d’une telle démarche en déclarant : « Est-il vraiment opportun de suggérer à la Haute Autorité de faire certaines démarches auprès des Etats-Unis ? On ne doit pas oublier qu’au moment de la conclusion d’un récent emprunt, Monnet a pris certains engagements vis-à-vis de Washington.64 » Elle préconise une attitude modérée et insiste sur le fait que « les décisions prises récemment sur le plan européen pourraient donner lieu à un accroissement de la consommation de charbon dans nos pays ». De même, « il a été reconnu que certaines importations peuvent être nécessaires pour l’avenir. » Face à ces arguments, la délégation belge confirme sa position en précisant « que le projet n’est pas une condamnation des importations en provenance des pays tiers, et se borne à manifester l’émotion des producteurs devant un changement d’attitude de la part de l’un de ces pays.65 »
48Pourtant, une note adressée aux membres de la Haute Autorité par le Ministère Fédéral de l’Economie de l’Allemagne en novembre illustre un autre point de vue allemand sur ce sujet. Il vise la pratique du transit de charbon américain, qui s’achemine en Allemagne par les Pays-Bas. Le gouvernement des Pays-Bas riposte aussitôt en objectant que : « le charbon importé dans les Pays-Bas contre paiement en dollars, dédouané en ce pays, peut librement circuler à l’intérieur de la Communauté.66 » Le gouvernement fédéral allemand saisit alors la Haute Autorité pour régler ce différend, en réclamant « l’examen de la régularité de la délivrance des licences par le gouvernement néerlandais », et en invoquant « la légitimité des mesures restrictives d’importations adoptées par le gouvernement allemand.67 » Ce détail semble contredire la position des producteurs allemands exposée ci-dessus. Mais peut-être le gouvernement allemand conçoit-il cette pratique comme venant perturber les accords passés avec les Etats-Unis, dans la mesure où les livraisons sont quantifiées et les prix définis comme compétitifs. Or au cours des mois suivants, l’Allemagne s’avérera être le premier pays importateur de charbon américain en 1955 avec 7 millions de tonnes.
49Du côté des pays producteurs, la France et la Belgique se montrent inflexibles dans leur position de refus de recevoir davantage de charbon américain. La France comprend dans ses institutions l'atic, qui a charge de réguler les échanges extérieurs du pays et qui a le pouvoir d’octroyer des licences d’importations. La politique des importations en France passe obligatoirement par cet organisme, et sa politique économique est liée aux directives gouvernementales étant donné que les Charbonnages de France ont été nationalisés. Mais le problème des stocks a favorisé un renforcement de mesures restrictives à l’égard des produits charbonniers importés. Quant à la Belgique, habituellement présentée comme un tenant de la politique libérale, elle affiche une position tout aussi protectionniste que la France. Le marché charbonnier lui a toujours inspiré quelques manquements à la règle économique libérale... La Belgique persiste d’ailleurs à protéger son marché intérieur même des importations de la ceca. Elle bénéficie d’un régime de faveur concédé au cours des négociations pour la ceca, qui lui permet de subventionner ses prix de vente par un système fiscal particulier. Elle connaît aussi un grave problème de stockage qui alourdit les finances des Charbonnages, et par conséquent a procédé à l’instauration de mesures restrictives contre le charbon importé en dehors de la ceca. On peut constater qu’une scission au sein de l’organisation des producteurs s’opère doucement entre les délégations française et belge d’un côté et les délégations allemande et néerlandaise de l’autre côté.
50En novembre 1954, conformément aux directives du cepceo, les membres français et allemands du Comité Consultatif interviennent auprès de la Haute Autorité pour obtenir de plus amples précisions sur le projet du foa. Face à cette mobilisation, la Haute Autorité, par la voix d’un de ses membres, Vinck, se tourne vers le Département d’Etat pour qu’il lui fournisse les réponses68. Elles arrivent un mois plus tard en ces termes : « On s’est fondé sur l’évaluation de la situation charbonnière partout dans le monde libre préparé par le foa et sur les conclusions dégagées du rapport qu’il y aura une sérieuse pénurie en charbon du mois d’août 1954 au mois d’août 1955. Le Président a incité le foa au moment de la préparation de l’Année Fiscale 1955 du programme de la msa de faire en sorte que l’utilisation du charbon soit considérée d’une manière importante en accord avec l’objectif de la msa et des autres politiques du gouvernement américain. Le but de ce programme est d’assister les pays étrangers amis dans leurs efforts de s’assurer en charbon qui ne sera pas disponible en provenance des sources mondiales libres dans des conditions commerciales normales.69 » Le Département d’Etat adopte la parfaite langue de bois.
51Parallèlement à cette démarche, les producteurs néerlandais s’opposent à toute démarche auprès de la Haute Autorité. Ils soutiennent l’hypothèse que « la décision incriminée serait plus une décision de nature politique en faveur des producteurs de charbon américains, c’est-à-dire en relation avec les élections qui devraient avoir lieu, qu’une perspective réelle d’accroissement important des exportations.70 » En effet, des élections au Congrès doivent avoir lieu au mois de novembre. Mais il est difficile de valider cette hypothèse. Quant à la question du dumping, il leur semble difficile de le qualifier ainsi : « la mise à disposition de devises à titre de dons ou de prêts est, en effet, tout autre chose que l’abaissement artificiel des prix de produits à livrer. » Cependant, le fait de prêter de l’argent exclusivement destiné à l’achat de charbon américain, vendu à des prix en baisse grâce à une révision des taux de fret est en soi un acte de vente non conforme aux règles commerciales. En ce qui concerne la concurrence du charbon américain, les Néerlandais distinguent deux situations en fonction de la politique commerciale adoptée par le pays. « Dans les pays où l’importation de charbon de la zone dollar est libre (comme l’Italie et les Pays-Bas), il n’est pas question en principe d’importations plus élevées... L’importation n’est en effet pas limitée par le manque de dollars. Elle est déterminée par une demande commerciale exprimée librement. » Quant aux pays qui pratiquent des restrictions à l’importation au charbon américain, ils procèdent ainsi pour ne pas aggraver une offre surabondante en charbon. « S’il en était ainsi, on devrait d’autant moins s’attendre à ce que dans les pays en cause, l’importation des charbons américains augmente beaucoup.71 »
52Leurs arguments se fondent sur le régime libéral ou non des importations américaines en ne tenant pas compte des véritables objectifs d’un tel projet. Le problème de la qualité du charbon est occulté et le phénomène du transit est essentiellement déterminé par la demande. Les Pays-Bas défendent là leur position de plaque tournante du charbon américain, puisqu’ils se sont fait les champions du transit dans la ceca. Leur place est d’ailleurs caractérisée par l’importance du commerce spéculatif. En 1954, ce pays a considérablement augmenté ses importations en provenance des Etats-Unis, accompagnées d’une hausse de ses exportations vers la ceca. La position néerlandaise amène à suspendre toute action commune auprès de la Haute Autorité, le 13 décembre 195472. La cohésion des producteurs s’est brisée, laissant place à deux groupes : France/Belgique, et Allemagne/Pays-Bas. Toujours est-il que désormais le silence s’installe sur ce programme.
Les difficiles négociations américaines
53Les démarches entreprises par les Etats-Unis auprès de chaque pays européen ont révélé les limites de l’hégémonie américaine, achevant de semer le désordre dans l’unité de la ceca. Une grande confusion dans le cadre de la politique commerciale règne tant au niveau gouvernemental qu’au niveau des producteurs. Néanmoins, chaque pays de la ceca est amené à tenir compte du programme d’exportations de charbon américain.
54Il faut toutefois admettre que les Etats-Unis ont réalisé un tour de force pour faire valider ce programme d’exportations alors que la ceca connaît un excédent de production. Ils ne lui laissent pas non plus la possibilité de récolter à terme les résultats d’une campagne de cokéfaction plus large de charbons. Quel a été l’élément décisif ? A mon avis, la possibilité d’obtenir des Etats-Unis des devises européennes et la pratique du commerce triangulaire dans le cadre de ce programme ont beaucoup intéressé les gouvernements européens. Le commerce triangulaire est sans doute repris de la période du commerce colonial. Le principe du commerce triangulaire est-il nouveau pour l’époque ? Le fait que les Etats-Unis fournissent des devises locales et non plus des dollars est-il aussi inhabituel ? On voit se dessiner ici un autre système commercial qui n’a pas été considéré jusqu’à présent.
55Le principe consiste à exporter du charbon des Etats-Unis avec prêt du gouvernement américain en devises européennes vers un pays A, qui ensuite financera ses achats de biens dans un pays B, qui enfin s’approvisionnera obligatoirement aux Etats-Unis avec le fonds de financement en monnaie européenne. Stassen propose deux méthodes de transactions, qui sont les suivantes : « (1) Quand le pays B est connu et que ses besoins ont été déterminés, au moment de l’acheminement du charbon par bateau, le prix du charbon sera au crédit budgétaire pour le pays B. (2) Quand le pays B n’est pas connu au moment de l’acheminement par bateau du charbon, le coût du charbon sera pris en charge temporairement par un fonds « tournant » qui doit être établi par le Président73.
56Tout l’intérêt de telles transactions provient du fait que les principaux acteurs, les Etats-Unis, peuvent exporter d’une part une partie de leur surplus de production de charbon et d’autre part des biens industriels ou de consommation à deux pays différents tout en récupérant à la dernière transaction les devises en monnaie européenne prêtées lors de la première transaction. Le pays A considéré, lui, bénéficie d’un apport d’argent en monnaie locale, qui n’alourdit pas la balance des paiements, pour effectuer des achats en biens industriels nécessaires à la reconstruction. En outre, « le programme sera administré de telle façon qu’il évitera d’interférer dans la commercialisation du charbon américain comme dans celui des pays amis.74 » Evidemment, il reste la question encombrante de l’utilisation des tonnages de charbon américain en période de surproduction européenne. Mais il est heureusement prévu que ces tonnages peuvent aisément être dirigés vers la sidérurgie s’ils sont constitués de coke, de charbon à coke, de fines à coke. Se pourrait-il qu’il y ait une relation de cause à effet en ce qui concerne les records de production d’acier au cours des années suivantes ? Le principe du commerce triangulaire permet, à mon avis, d’élargir le marché charbonnier, et donc de limiter le bilatéralisme encore présent sur le marché charbonnier en 1954. Connaître la nature des négociations qui surviennent après l’annonce d’Harold Stassen à la presse permet de mieux appréhender la politique américaine. Les archives américaines concernant la France étant les plus prolixes, je tâcherai de rendre compte des spécificités propres à ces négociations comme celles du pays en question.
57Le cas français ne se révèle pas aisé à traiter pour les délégués américains. Les contacts sont pris dès le 30 août, mais ces derniers se heurtent au refus du gouvernement français d’opérer un déplacement des courants d’échanges charbonniers pour recevoir 1,3 millions de tonnes de charbon américain prévus pour l’année fiscale de 1955. Cette date correspond aussi au rejet de la ced, qui exprime le rejet de la politique américaine sur le chapitre du réarmement allemand. Il faut reconnaître que le moment n’est pas bien choisi.
58La France affirme vouloir conserver ses importations en provenance de l’Europe de l’Est, qui suffisent selon elle à couvrir les besoins du pays : « les Français restent sur la position qu’actuellement ils ne voient aucune possibilité pour les importations des Etats-Unis. Ils disent que leurs besoins en importations (calculés après avoir pris en compte celles des pays de csc ?) sont couverts par celles de la Grande-Bretagne et de l'urss, les dernières étant dans le cadre des accords commerciaux (Il y a de fortes chances que les Français maintiennent les importations russes). Ils ont fait remarquer en passant que les prix russes sont compétitifs.75 » De même, la France préfère s’approvisionner auprès des Charbonnages du Tonkin au Viêt-nam du Nord qui produisent de l’anthracite. On ne peut que constater que le retrait militaire programmé de la France dans cette contrée, après la défaite de l’armée française à Dien Bien Phu le 7 mai 1954, ne s’est pas accompagné d’un retrait économique. Les relations demeurent avec le Viêt-nam du Nord malgré son nouveau profil politique76.
59La position de la France restera constante alors que celle du foa évoluera, dans la mesure où Stassen déclare avoir le soutien des producteurs d’acier français qui souhaitent remplacer la source polonaise par celle des Etats-Unis à cause de l’arrêt des achats de son charbon dû à des prix trop élevés77. Dans cette optique, le principal argument formulé auprès des négociateurs français, dont Paul Delouvrier, est que, grâce aux fournitures américaines, la France ne sera plus dans l’obligation de livrer des produits stratégiques à l'urss dans le but d’obtenir de l’anthracite78.
60La possibilité de pratiquer un commerce triangulaire intéresse vivement le gouvernement français, à qui Stassen accorde la faveur de fournir lui-même les biens en utilisant le fonds d’aide vers le pays intéressé. Et le foa concède aussi au gouvernement français la latitude de fixer les tonnages de charbon américain qu’il accepterait de recevoir. Ces concessions s’inscrivent dans le cadre de discussions plutôt âpres qui sont peut-être le signe avant-coureur de la détérioration des relations franco-américaines à cette époque79. Un mois plus tard, les représentants américains feront appel au Département d’Etat tant les négociations demeurent ardues. « Le foa à Washington a-t-il insisté auprès des représentants français sur l’importance qu’il attachait au programme charbonnier ? Sinon, je pense qu’il serait souhaitable que quelque chose soit fait pour appuyer les discussions que j’ai en ce moment avec les officiels français à Paris.80 » Mais comment négocier dans de telles conditions lorsque le représentant américain reconnaît lui-même que : « le programme d’importations français n’offre aucune place pour une augmentation en charbon américain, et la marge pour changer ce programme, dans les meilleures conditions, est très mince.81 »
61Cependant, le 12 octobre 1954, dans le cadre du programme d’importations de charbon du quatrième trimestre 1954, la France ajoute 10 000 tonnes de fines à coke et 20 000 tonnes de fines d’anthracite pour briquettes, en plus des 20 000 tonnes de fines à coke habituellement fournies par les Etats-Unis à travers le réseau commercial classique82. Les 30 000 tonnes du programme représentent un faible volume, alors que les délégués américains avaient planifié des envois de l’ordre de 1,3 million de tonnes. Le gouvernement français ne manque pas de signaler cet accord à la Haute Autorité conformément aux dispositions du Traité83.
62Ce compromis a pu aboutir grâce aux conditions offertes par le commerce triangulaire : dans le cas où le troisième pays ne serait pas défini, le fonds de contre-valeur en francs est utilisé pour le remboursement du programme Indochine84. Le programme Indochine représente un financement spécial de défense, et l’aide économique américaine est totalement englobée dans ce conflit. Le gouvernement français saisit là soit l’occasion de financer ses troupes militaires encore sur place, soit de rembourser la dette américaine. Toutefois, il assortit la poursuite du programme d’exportations du charbon américain pour le prochain trimestre de conditions qui lui donnent entièrement satisfaction toujours dans le cadre du commerce triangulaire. Le but de la France est d’exporter ainsi vers la zone franc. L’accord est enfin conclu entre les deux parties : la France recevra du charbon américain de toute sorte de qualités, y compris le coke à des prix compétitifs ; le fonds de financement sera déposé dans un compte spécial du gouvernement des Etats-Unis et un montant en francs français équivalent au déboursement en dollars y sera déposé avec un taux de change pour le dollar le plus haut sur le marché libre des échanges à Paris ; ce dépôt de francs sera utilisé pour approvisionner en biens le pays choisi par le gouvernement français (ce qui est une grande faveur), ceci sans discrimination de prix ou autre85. Interdiction est faite toutefois à la France de réexporter le charbon reçu.
63A la suite de ce compromis, le gouvernement français prend quelques précautions, et demande au Département d’Etat que : « ... rien de cette transaction ne doit être considérée comme en autorisant d’autres à venir », et « quand le charbon sera livré, le foa à Washington ne doit donner aucune information à la presse ou faire de déclaration publique.86 » Il justifie cette requête par des licenciements récents dans les mines françaises car il craint que toute référence publique à la participation au programme foa ne soulève un fort mécontentement. Le Département d’Etat accepte cette demande et ne fait donc aucune publicité.
64Malgré cet accord, il subsiste quelques difficultés dans l’interprétation du mode de paiement des tonnages importés. Le gouvernement français semble souhaiter ouvrir un compte à son propre nom, et non pas au nom du gouvernement américain comme il était prévu. Les Américains refusent et menacent les Français de rompre les accords passés pour le commerce triangulaire. Cependant, le programme d’exportations de charbon américain trouve un regain d’intérêt auprès de la France, qui prévoit 50 000 tonnes de fines à coke pour le premier trimestre 195587. Cette nouvelle commande est essentiellement due au fait que le gouvernement français peut dorénavant déposer les francs français sur le compte spécial ouvert en son propre nom.
65Qu’en est-il pour les autres pays ? Malgré le peu d’indices, on peut avoir une idée de la situation à travers le cas de la France. L’Italie et l’Autriche acceptent ce programme d’exportations pour des strictes considérations de politique et d’économie générale et non pas pour l’intérêt de disposer du charbon américain. Quant au Danemark, c’est le pays « où les meilleures conditions commerciales ont pu être obtenues à des prix compétitifs.88 »
66Quant à la Belgique, la situation est peu claire : de nombreuses négociations ont lieu dans les coulisses pour l’amener soit à conserver ses quotas, soit à les lever. Spierenburg, membre de la Haute Autorité, se place dans la seconde perspective, et n’hésite pas à confirmer auprès des représentants américains que : « les Belges en tout cas sont ( ?) obligés d’appliquer des restrictions sur les importations en provenance des pays tiers et non pas seulement sur les importations des Etats-Unis.89 » Or depuis le second trimestre 1954, la Belgique a supprimé les contingents sur les fines à coke américaines, et tolère ce qu’elle appelle « les opérations de travail à façon » qui signifient des importations indirectes90. Malgré cela, le gouvernement américain continue de protester contre les restrictions quantitatives à rencontre du charbon américain en général, et décide de se plaindre au sein du gatt. Ces pressions exercées sur le gouvernement belge permettent d’aboutir à un compromis. « Cet engagement devrait dans leur esprit être de 100 000 tonnes de fines à coke par trimestre étant entendu que ces fines à coke sont destinées exclusivement à la fabrication du coke destiné aux pays tiers.91 » La Belgique recevra donc sur un an 400 000 tonnes de fines à coke américaines pour fabriquer du coke réservé au marché des pays tiers.
67Les Etats-Unis n’auraient-ils pas intérêt à le produire et à le vendre eux-mêmes étant donné la situation de crise de leur industrie ? Dans ce cas, peut-on envisager que ce coke destiné aux pays tiers sera vendu dans le cadre du commerce triangulaire, ce qui signifierait que la Belgique aussi serait impliquée dans le programme du foa ? Il sera intéressant de vérifier le niveau des exportations de coke vers les pays tiers au cours des années suivantes. Mais le gouvernement belge s’inquiète de savoir si cet engagement aura une quelconque influence sur le système de péréquation. En effet, la question des subventions du charbon belge accordées dans le cadre de la ceca est étrangement subordonnée au problème des quotas belges sur le charbon américain. La Division du Marché est catégorique là-dessus et soutient que : « Il ne me (F. Vinck) paraît pas possible d’accepter un engagement quelconque quant à la répercussion que pourraient avoir les importations en provenance des pays tiers sur l’application de la péréquation prévue au paragraphe 26, 2c.92 » Vinck se permet d’ajouter une dernière réflexion sur la position américaine dans la mesure où il lui semble que : « les Américains déforcent singulièrement leur position en acceptant un contingent à l’importation en Belgique, ce qui semble indiquer qu’ils n’ont pas une confiance illimitée dans leur propre thèse.93 » Il est clair que les positions divergent entre les divisions de la ceca, particulièrement entre la Division du Marché et la Division du Commerce extérieur, dirigée par Spierenburg. Dulles intervient alors pour rappeler les engagements de la Haute Autorité au cours des négociations sur le prêt, mais propose une solution « pacifique » : « la meilleure ligne prometteuse est la possibilité de suggérer que les importations américaines seraient exclusivement constituées de fines à coke pour lesquelles la Belgique ne demanderait pas de subventions.94 » Le cas belge se révèle aussi retors que le cas français pour la réalisation du programme du foa.
68L’Italie, quant à elle, publie dès le lendemain de l’annonce par la presse du programme du foa « un arrêté en vertu duquel les importations de charbon américain sont libéralisées avec effet à compter du 10 août 1954. Le gouvernement s’est engagé à mettre à la disposition des intéressés les devises nécessaires pour ces importations.95 » De même, le gouvernement italien se montre très franc sur les bénéfices à tirer du système commercial triangulaire, quoique la presse critique un tel système qui implique « par rapport aux achats de dollars libres une aggravation des charges en fonction des arbitrages »96. Mais elle reconnaît que : « cependant, la mise en œuvre de ce système a procuré des avantages de caractère général également, comme l’amélioration de notre situation de clearing avec l’Egypte et avec d’autres pays. » L’Italie occupe une position de pays strictement importateur dans la ceca, et pratique dans ce sens une politique d’approvisionnement qui soit la plus intéressante au niveau des prix, mais elle cherche aussi à exercer une pression sur les prix du charbon de la ceca en favorisant les importations américaines. « Il semble superflu de rappeler qu’en autorisant ces importations le gouvernement entendait exercer une certaine pression sur les producteurs européens en vue de les amener à aligner les prix de vente du charbon sur le niveau des prix du charbon américain et qu’à la suite des résistances inconsidérées des producteurs eux-mêmes, cette action n’a produit que des résultats partiels.97 » En effet, la hausse du fret intervenue au cours du troisième trimestre 1954 renchérit le prix du charbon de la ceca en particulier aux Pays-Bas et en Allemagne du Nord, et les producteurs de la ceca sont d’autant plus réticents à procéder à un nouvel alignement « que ce n’était le cas il y a encore quelques semaines.98 » A mon avis, cette réticence s’explique aisément par le fait que l’écart des prix c.i.f. entre le charbon américain et le charbon de la ceca se révèle avantageux pour certaines régions, « qui seraient favorablement situées au point de vue des transports maritimes provenant d’Outre-Atlantique.99 » En effet, diverses mesures concernant notamment les taux de change dans les régions côtières rendent le charbon américain plus attractif. Cet aspect sera étudié au cours des années suivantes.
69Le détail des montants prêtés par les Etats-Unis aux pays intéressés se présente comme suit : « Les monnaies locales qui seront disponibles dans les pays pour le financement du programme du troisième pays en ce qui concerne le charbon sont : Danemark 3,7 millions de dollars, France ( ?), Italie 1,7 millions, Autriche 2 millions, Finlande 2,1 millions.100 »
70Pour conclure l’année 1954, le renouveau du marché à l’automne s’accompagne d’une relance de la demande industrielle. La France voit croître d’une manière très rapide ses importations en coke en provenance des fournisseurs traditionnels, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et la Sarre, de l’ordre de 1 001 000 tonnes alors qu’au cours du deuxième trimestre, par exemple, ces importations n’atteignaient que 130 000 tonnes en provenance de l’Allemagne. La sidérurgie traduit exemplairement ce regain d’activité, en absorbant 2 676 000 tonnes de coke contre 710 000 tonnes au deuxième trimestre de 1954. En tenant compte de la production disponible de coke, le total des besoins intérieurs enregistre un déficit de 878 000 tonnes. Or les importations en provenance de la ceca le comblent par l’apport de 1 million de tonnes sans que la France ait eu besoin de recourir aux importations en provenance des pays tiers : elles restent nulles au cours du dernier trimestre de 1954.
71Quant à la Belgique, il n’est possible de se baser que sur ses prévisions qui donnent toutefois une idée de la situation charbonnière au cours du dernier trimestre. Elle prévoit une disponibilité de coke en hausse : 1 684 000 tonnes, qui satisferait pleinement les besoins intérieurs accrus avec 1 100 000 tonnes pour la sidérurgie. Elle compte exporter la plus grande partie de l’excédent de 288 000 tonnes, mais est obligée de prévoir un stockage.
72Aux Pays-Bas, la relance du marché charbonnier se manifeste par un dépassement des prévisions de la production de coke de four, qui procure à ce pays un excédent de 410 000 tonnes. Cet excédent est intégralement exporté ainsi qu’une partie des importations, qui ont aussi augmenté. Du côté de l’Allemagne, la production de coke dégage un excédent de 4 844 000 tonnes sur une production disponible de 10 292 000 tonnes. Or les exportations totales s’élèvent à 3 051 000 tonnes de coke. Reste un montant de 1 793 000 tonnes à stocker, ce qui constitue un progrès par rapport aux prévisions qui envisageaient un stockage de presque 4 millions de tonnes ! Certes, la consommation de la sidérurgie est en hausse mais elle reste encore assez faible (2 642 000 tonnes) si on la compare aux années suivantes. A la lumière des négociations commerciales précédentes, on constate que les importations de charbon en provenance des pays tiers dépassent les prévisions. Seuls les Pays-Bas parviennent à évacuer l’excédent en coke sur le marché de la ceca, mais l’évolution de sa consommation nationale ne s’accompagne pas d’une hausse proportionnelle de la production d’acier, alors que l’Allemagne l’utilise davantage pour sa demande intérieure et le stocke.
73Cette étude détaillée du dernier trimestre permet de conclure que la disette en coke n’est pas cruciale. Mais sera-t-elle remise à l’ordre du jour au cours des années suivantes qui se caractérisent par une haute conjoncture ? La position américaine sur le marché charbonnier en 1954 vise essentiellement à réactiver l’économie européenne, qui pourtant ne sombre pas dans une dépression, et non à lui permettre un renouvellement de son marché énergétique qui prendrait davantage en compte la concurrence des produits pétroliers.
L’émergence tranquille du pétrole
74Il est désormais temps de considérer l’aspect de la concurrence du pétrole dans le contexte plus large du marché énergétique européen des années 1950. Ce n’est qu’en 1954 qu’une discussion sur ce problème de la concurrence entre les sources d’énergie sera véritablement engagée au sein de la ceca, alors que la substitution effective du pétrole au charbon dans la ceca date de 1949. Ainsi, on ne peut que constater l’énorme retard pris dans ce domaine. Quelle sera la réponse de la Haute Autorité face à cette concurrence ?
75Tout d’abord, quelle est la situation de la consommation de pétrole au sein des pays de la ceca ? Son avancée atteint des degrés divers selon les pays en fonction de leur activité industrielle. Elle s’exerce aussi en fonction des qualités de produits pétroliers eux-mêmes, qui se divisent en deux catégories selon le degré de raffinage : produits blancs pour les plus raffinés et produits noirs pour les bruts. Dans cette catégorie-ci la plus répandue à cette époque, est inclus le fuel-oil. Dans toute l’étude qui va suivre, le terme pétrole sera plus souvent dans le contexte des années 1950 le fuel-oil. L’utilisation des combustibles liquides (dans ce cas précis, il s’agit de fuel-oil et de gas-oil) connaît une expansion considérable : en 1938, elle est de 5 millions de tonnes pour l’ensemble de la future ceca, et en 1953, elle atteint presque 20 millions de tonnes, soit un accroissement de 75 % en l’espace de 15 ans. Dans la même période, la consommation de combustibles solides passe d’environ 238 millions de tonnes en 1938 à 234 millions en 1953, soit une baisse de 1,7 %, ce qui signifie une stagnation.
76D’après le tableau n° 23, on peut distinguer la percée des deux produits pétroliers en fonction de la position importatrice ou non des pays concernés. En 1953, la France et l’Italie, pays importateurs, se trouvent en tête de la consommation de fuel qui remplace avantageusement le coke en particulier dans le secteur de la sidérurgie et dans le chauffage domestique. Or cette mutation s’est réalisée facilement en Italie et aussi aux Pays-Bas, où le coke est vendu à un prix bien plus cher par rapport aux produits pétroliers.
77Les Pays-Bas occupent une position intermédiaire, illustrant leur politique énergétique en matière des importations de charbon des pays tiers et de l’exportation de pétrole liée à leur Société Shell. La Belgique et l’Allemagne arrivent en dernière position de par leur statut de pays producteur-exportateur de charbon précisément cokéfiable. Mais en tenant compte d’une progression plus rapide de 1952 à 1953 qui est supérieure à la moyenne de la ceca, de 19 % pour l’Allemagne et de 22 % pour la Belgique, on peut prévoir une expansion rapide du fuel dans le proche futur dans ces deux pays. Néanmoins, ce clivage doit être nuancé pour la consommation du gas-oil. L’Allemagne vient aussi en tête après la France et l’Italie. Les chemins de fer de ces trois pays ont en effet connu une grande mutation rapide d’utilisation de source d’énergie du fait de la diésélisation. Cette évolution a été déterminante pour la France qui a vu s’accroître la consommation du gas-oil de 1952 à 1953 de 27,7 %, à une cadence supérieure à l’ensemble de la ceca.
78Il faut aussi distinguer l’avancée plus ou moins rapide du pétrole dans l’activité économique du pays : elle coïncide avec la vigueur de la production industrielle, et révèle la diversité des situations économiques qui peuvent exister au sein de la ceca (tableau n° 24). La croissance de l’activité industrielle des pays de la ceca, sauf pour la France et la Belgique, est accompagnée d’une croissance plus rapide de l’utilisation du pétrole, suivie d’une baisse parallèle de la consommation de houille. La politique pétrolière des pays de la ceca est à l’image de la politique des importations de charbon des pays tiers.
79En effet, les Pays-Bas et l’Italie voient leur consommation de houille baisser et qui ne se répercute même plus au niveau de l’activité nationale, déjà « convertie » au pétrole. Puis, la Belgique et la France, productrices de charbon avant tout, et suivant leur ligne protectionniste, voient leur baisse de la consommation de houille se répercuter sur la production industrielle, alors que la consommation du fuel-oil en Belgique et celle du gas-oil en France s’accroissent rapidement. Cette situation laisse présager un avenir délicat dans l’équilibre entre le charbon et le pétrole. L’Allemagne se trouve toujours dans une situation intermédiaire : sa production industrielle affiche une belle santé suivie d’une hausse de sa consommation en pétrole. Mais sa consommation d’énergie diminue, traduisant en cela la baisse de la consommation en houille, et l’oscillation de son industrie entre l’intérêt de conserver l’alimentation en coke pour ses hauts fourneaux et l’intérêt d’encourager la consommation en gas-oil pour ses transports, qui constituent une grande part de son activité industrielle du fait de sa position exportatrice... en charbon.
80La place du charbon de la Communauté semble bien compromise par les deux concurrents : le charbon américain et le pétrole. La difficulté qu’a éprouvée la Haute Autorité tout au long de son histoire pour assurer une politique homogène du charbon, et par extension de l’énergie dans la mesure de ses pouvoirs, provient assurément de cette diversité de prises de position des pays membres au niveau de l’approvisionnement énergétique.
81On ne peut conclure qu’à une mutation effective du marché énergétique à cette époque. La vigueur de l’activité industrielle des pays de la ceca, qui a surpris plus d’un par sa longévité, et qui a motivé des études comparatives avec la période de l’après Première Guerre mondiale101, est sans doute en grande partie liée au fait que les économies industrielles ont misé sur une nouveauté technologique énergétique considérable en tout point de vue. En effet, le charbon ne semble plus guère être le moteur efficace de ces économies si l’on considère le cas de la France et de la Belgique, engorgées de charbon, tant et si bien que ce phénomène porte préjudice à la production industrielle. Avant la Seconde Guerre mondiale, l’industrie charbonnière conditionne et est conditionnée par la production industrielle générale, comme l’a démontré la crise des années 30. Mais après 1950, le pétrole est l’élément décisif dans la croissance de la production industrielle. C’est sa diffusion qui permet d’expliquer pourquoi la consommation régressive de charbon ne suit pas la croissance de la production industrielle continue pendant les années 1950.
82Le progrès industriel s’accompagne toujours d’une nouveauté technologique. Ici, le pétrole constitue une progression indubitable dans l’expansion des activités industrielles et dans la fabrication de nouveaux matériaux. Les raisons propres de cette expansion résident dans une manutention rendue plus aisée du fait de produits liquides, dans l’absence de poussières « appréciée non seulement par les usagers domestiques mais également par certaines industries, dans lesquelles la propreté revêt une grande importance, comme pour les laiteries, les teintureries, les blanchisseries ainsi que certaines cimenteries qui doivent obtenir un ciment particulièrement clair »102, dans l’absence de cendres, dans la réduction considérable de la main-d’œuvre grâce à l’automatisation, dans son coût peu élevé du fait de son extraction facile et par conséquent d’une très faible main-d’œuvre. Ce dernier aspect est un facteur décisif. Il s’avère aussi que les sociétés pétrolières disposent d’un service commercial remarquablement dynamique, qui ne recule pas devant les rabais possibles sur les prix.
831949 est la date de substitution du pétrole au charbon dans la ceca. Pour justifier son expansion, il est souvent admis que la pénurie du charbon au lendemain de la Seconde Guerre mondiale a favorisé son utilisation103. Ce sont les secteurs privés industriel et domestique qui auraient permis cette évolution, exploitant son moindre coût pour transformer les installations et prouvant ainsi la rentabilité de ces investissements. Cependant, un rapport de la Haute Autorité sur cette question, transmis au Comité Consultatif en mai 1954, soutient que l’évolution de la consommation du pétrole a été définitive dans les années 1950-1951104. Ce rapport reprend presque intégralement un autre remis par la Division du Marché en septembre 1953105. Certes, ces années ont correspondu à la période de « réquisition » du charbon pour les politiques d’armement liées à la guerre de Corée, et à sa spéculation, ce qui a incité à développer des installations de combustion de pétrole afin de remédier à cette situation de « pénurie » conjoncturelle. Certains secteurs de consommation auraient été définitivement perdus pour le charbon après les événements de Corée, ce qui est un « signe évident que les déplacements de la consommation, favorisés par la conjoncture, ont souvent un caractère non transitoire.106 » C’est en étudiant le long terme du marché pétrolier qu’on peut mettre en valeur l’erreur politique de continuer à miser sur le charbon. Les événements de Corée ont contribué à « revivifier » une consommation de charbon qui baissait et à masquer l’avancée du pétrole et par conséquent à empêcher une mutation beaucoup plus nette dans l’économie nationale.
84La percée du pétrole, plus particulièrement celle du fuel, est particulièrement liée à une politique arrêtée à l'oece afin de favoriser le développement de centres de raffinage du pétrole en Europe de l’Ouest, développement qui remonterait à juillet 1949107. « Ainsi qu’on le sait, ce programme a été dicté à l’époque par la nécessité pour les divers pays de réaliser une économie de dollars dans un secteur d’importations où les dépenses en dollars semblaient non seulement prendre un caractère de continuité mais encore tendaient à s’accroître sans cesse en raison de la très forte demande enregistrée dans tous les pays européens à la fin de la guerre.108 » La situation de 1947 semble surgir à nouveau. Parallèlement à un réajustement de la politique charbonnière en Europe au cours de cette période par les Etats-Unis, une autre politique concernant le pétrole s’est-elle mise en place, tout en sachant que le pétrole est surtout distribué par des sociétés américaines109 ? Les Etats-Unis visent à favoriser l’exportation de leurs deux sources d’énergie principales. L’exportation de l’une, le charbon, en forte régression, permet de limiter l’effondrement de leur industrie charbonnière, tandis que l’exportation de l’autre, le pétrole, en expansion, aide à acquérir de nouvelles parts de marché en Europe de l’Ouest. Le dynamisme des sociétés pétrolières contribue à cette expansion.
85On assiste là à un manque de coordination gouvernementale au niveau européen entre les directives charbonnière et pétrolière, manque accentué par la poursuite de politiques économiques divergentes. Dans ce contexte pétrolier, la concurrence du charbon américain face au charbon européen peut paraître dérisoire. On pourrait penser que le pétrole américain a pu porter préjudice à son concurrent compatriote, le charbon. Il faudrait pour cela disposer davantage d’informations sur les événements antérieurs afin de répondre à cette question. Mais peut-être une entente s’est-elle établie entre les producteurs charbonniers et pétroliers américains sur ce terrain ; cette possibilité n’est pas inimaginable.
86Les estimations du tableau n° 25 montrent que la ceca aura en 1954 un excédent de production en fuel. En effet, en tenant compte de leur faible consommation intérieure de 21 % de la production, les Pays-Bas visent le marché de l’exportation de fuel, avec un excédent de production de l’ordre de 62 %, conséquence d’un vaste programme de capacité de raffinage. L’Italie est le pays qui consomme le plus de fuel avec une prévision de 68 % des besoins intérieurs par rapport à sa production en fuel, et son faible excédent de production confirme la prééminence du pétrole dans l’économie italienne. Dans le même sillage, figure l’Allemagne avec une nette progression dans la réalisation de ses besoins intérieurs en fuel de 68,2 % de sa production, mais qui ne seront pas pleinement satisfaits. Les conséquences des plans d’occupation des Alliés misant sur l’utilisation maximale de son charbon commencent à s’estomper. La France et la Belgique connaissent une situation presque identique avec des besoins intérieurs couverts par un peu plus de la moitié de la production en fuel (respectivement 54,3 % et 51,2 %).
87L’expansion des produits pétroliers s’opère aussi d’une manière différente en fonction du système fiscal instauré. En effet, une taxation douanière frappe davantage les produits raffinés dits blancs alors que les produits noirs, tel le fuel-oil, bénéficient d’une plus grande souplesse fiscale. Cette situation contribue grandement à favoriser l’expansion des produits pétroliers bruts, et à freiner celle de l’essence pour automobile qui fait partie de la catégorie de produits raffinés. La politique pétrolière se base sur une distribution de produits bruts qui offrent l’avantage d’un prix de revient faible et qui peuvent concurrencer directement le charbon grâce à ce système fiscal. Cette taxation laxiste a particulièrement correspondu à une époque « où les raffineries de l’Europe Occidentale étaient sans importance et où les huiles résiduaires (difficiles à transporter) étaient peu abondantes sur le marché.110 »
88Pour conclure d’une manière générale, « les sources d’énergie n’intéressent pas au même titre tous les pays membres de la Communauté : l’Italie et la France sont également intéressées à l’énergie hydraulique, alors que l’Allemagne occupe dans ce secteur la troisième position. Le gaz naturel intéresse essentiellement l’Italie ; seul le fuel-oil, bien qu’à des degrés divers, présente de l’intérêt pour tous les pays.111 » Cette réflexion permet de se rendre compte de la diversité des intérêts liés à l’exploitation de sources d’énergie au sein de la Communauté Européenne, diversité qui ne facilité guère le travail de la Haute Autorité.
89Face à cette évolution, la Haute Autorité redéfinit sa politique en précisant que « la consommation des autres sources d’énergie, tant produites sur place qu’importées, doit être considérée comme complémentaire, soit pour des raisons d’ordre économique, soit pour nécessités techniques.112 » La primauté du charbon dans l’alimentation énergétique des économies est ainsi confirmée tout en validant (ou bien en sauvegardant ?) la signification de la ceca.
90Mais les producteurs européens de charbon ont déjà mis au point une liste de mesures à prendre au cours du deuxième trimestre de 1954 avec le concours du Comité Consultatif. Au cours de leur élaboration, le grand problème constamment soulevé mais aussitôt mis en veilleuse concerne les prix trop élevés du charbon. Il s’agit avant tout d’éviter leur révision à la baisse pour concurrencer les prix du fuel, étant donné qu’il n’est pas possible d’envisager l’effet inverse puisqu’il n’est pas du ressort gouvernemental. Le transport du fuel-oil est très avantageux toujours pour sa commodité d’emploi, et bénéficie d’importants rabais sur les frais, comme aux Pays-Bas, en Allemagne sur les transports fluviaux, en France avec la sncf. Les chemins de fer, alimentés par l’électricité et le diesel, sont désormais perdus pour le charbon, tout comme le secteur de la navigation, plusieurs secteurs industriels, et encore les centrales électriques et les usines à gaz, lesquelles sont de plus en plus alimentées par le fuel « lorsqu’elles se trouvent éloignées des centres d’approvisionnement du charbon. » Faut-il dans un tel contexte accepter une baisse des prix du charbon, concrétisant de cette manière la possibilité de pratiquer des prix minima reconnu à la Haute Autorité ? Cela accélérerait le vaste programme d’amélioration de rentabilité des mines qui a pour objectif l’abaissement du prix de revient du charbon. Mais il conduit aussi à exiger la fermeture des mines non rentables et peu intéressantes à équiper de nouveau en fonction de la qualité du charbon extraite et de la profondeur des puits.
91Le négociant joue aussi un grand rôle dans la mesure où la vente des produits charbonniers ne s’avère pas aussi fructueuse que celle du pétrole à cause de la différence de bénéfice. « Les marges dont bénéficient les réseaux de distribution des produits pétroliers sont beaucoup plus grandes que celles réservées au charbon, ce qui incite les distributeurs à rechercher leur intérêt dans le secteur le plus rémunérateur. » En mars 1954, le négociant en pétrole prend une marge de distribution de 10 000 francs français alors que 3 000 francs français vont au négociant en charbon113. Ce sont les négociants qui sont les meilleurs publicitaires pour l’utilisation d’une source d’énergie. C’est pourquoi les producteurs estiment nécessaire une rénovation du système de vente commercial du charbon, qui est en général géré par les Comptoirs de vente, qui se trouvent justement être dans le collimateur de la Haute Autorité qui, en fonction de sa politique de libre concurrence, exige leur fermeture.
92L’accent est mis sur la politique des gouvernements, consistant à ralentir le développement des raffineries et à se préoccuper davantage de développer et de moderniser l’industrie minière, tout comme revoir les aménagements fiscaux en faveur du fuel. Puis il serait nécessaire que « dans le domaine technique, le charbon soit mieux armé contre le fuel grâce à une publicité adéquate et à la généralisation de conseillers techniques, etc.114 » Et enfin, les producteurs de charbon font valoir la nécessaire complémentarité des sources d’énergie en fonction des réserves totales Tout ceci se présente comme une énumération de vœux pieux à destination des gouvernements des pays membres par l’intermédiaire de la Haute Autorité. Or celle-ci ne dispose d’aucune possibilité d’action concernant les sources d’énergie autres que le charbon. Dans ce contexte, il est difficile d’imaginer qu’elle aura une quelconque efficacité auprès des gouvernements qui mènent indépendamment leur politique commerciale aussi bien en matière de charbon que de pétrole. Etant donné que la plupart des entreprises charbonnières sont sous tutelle d’Etat, il semblerait plus juste que ces producteurs interviennent directement auprès de leurs gouvernements respectifs. Mais il est aussi difficile d’envisager qu’ils ne l’aient pas encore fait.
93Plus précisément au sein du cepceo, les « experts charbonniers belges » dénoncent l’utopie des règles de libre concurrence en se basant sur l’expérience américaine. Aux Etats-Unis, les prix du charbon sont inférieurs à ceux du pétrole, mais cela n’a point empêché sa très rapide progression115. Ils entretiennent surtout leur sentiment d’être une nation « défavorisée » à cause de « l’exiguïté du territoire et la densité des voies de communication par fer, par route, et par eau. » Pour eux, ces facteurs favorisent une concurrence des deux sources d’énergie à l’échelle nationale et non régionale. C’est en se référant à cette échelle que le Comptoir Belge des Charbons estime que « la situation de la Belgique en ce qui concerne la concurrence charbon/mazout diffère de celle des autres pays.116 » La Belgique en réalité tient à ménager sa position transitoire dans le marché de la ceca. Les experts allemands insistent sur la situation concurrentielle très vive qui existe entre le charbon et le fuel, mais particulièrement sur le rôle du consommateur qui, selon eux, ne devrait pas influencer la demande énergétique. « Il n’est pas vrai qu’il serait dans l’intérêt bien compris des économies nationales, et de la Communauté que le développement économique et l’évolution de la structure de l’économie énergétique fussent entièrement déterminés par le consommateur.117 » Les Pays-Bas considèrent l’aspect concurrentiel sous un autre angle en rappelant que « les producteurs de charbon ont joui, jusqu’à la dernière guerre mondiale, d’un monopole de fait en ce qui concerne l’approvisionnement en énergie de l’Europe Occidentale.118 » Ils posent la question essentielle qui est : « de savoir s’il (le système fiscal) ne devrait pas être révisé.119 » La position de la France rejoint totalement celle de la Belgique et se contente de proposer que la Haute Autorité intervienne par le moyen d’une déclaration publique « soulignant les dangers que l’expansion du fuel fait courir à l’établissement du marché commun dans la phase délicate de la période transitoire, et les risques de pénurie d’énergie que ferait courir une régression de la production charbonnière.120 »
94Une voix discordante se fait entendre, qui est celle des utilisateurs et négociants de charbon de la Belgique. « Décréter que la production charbonnière doit être défendue parce qu’elle est concurrencée par le fuel, c’est interdire aux consommateurs de la Communauté l’accès aux formes d’énergie les plus aptes et les plus économiques.121 » Le ton est donné. Le représentant de cette catégorie revendique une baisse des prix de charbon qui serait conforme « à la vocation exportatrice de la Belgique. Celle-ci doit consommer ses matières de base au prix de la concurrence internationale. » De même, « la disparité des charges salariales ne doit pas être opposée au fuel. C’est le propre de l’industrie charbonnière d’avoir une part importante de son coût de production absorbée par les salaires. » La question des prix élevés du charbon est aussi remise en cause du côté des consommateurs néerlandais. Dans ce cas, en vertu de l’article 3 du Traité qui prescrit que « les coûts de l’énergie doivent être aussi réduits que possible », « en raison de la concurrence du fuel, il ne faut donc pas s’efforcer d’obtenir une augmentation du prix du fuel, mais une diminution du prix du marché ; il ne faut pas supprimer le stimulant de la concurrence par une mesure artificielle.122 » Mais ces représentants reconnaissent que « l’attaque la plus dangereuse des producteurs de charbon se place sur le terrain de la fiscalité, qu’ils voudraient « rationaliser ». Il s’agirait, selon eux, de dégrever les produits blancs et l’essence, et de taxer fortement les produits noirs.123 » Il va de soi que les utilisateurs et négociants affichent bien souvent une position diamétralement opposée à celle des producteurs. Sauf en ce qui concerne la nécessité d’améliorations techniques d’utilisation du charbon, leurs divergences reflètent la dualité des intérêts qui anime le même milieu industriel du charbon. Cette attitude est valable pour d’autres secteurs, comme celui de la sidérurgie124.
95Au cours d’une réunion du Comité Consultatif à la fin du mois d’août 1954, la ligne politique de la Haute Autorité est confirmée : « le charbon a été et restera la source principale d’énergie pour l’économie de la Communauté, et que les gisements de charbon qui se trouvent dans la Communauté en quantités suffisantes pour un avenir appréciable représentent un facteur décisif de sécurité économique, (soulignant) la nécessité absolue d’une production régulière et d’un écoulement assuré de la production de charbon.125 » Le programme de croissance de la production charbonnière de la ceca n’est pas remis en cause. La Haute Autorité reste fidèle à sa ligne politique en considérant que l’avenir du charbon dépend de la baisse de ses prix ; il s’agirait dès lors d’augmenter les capacités de production, en particulier celles des charbons cokéfiables126.
96On peut s’interroger sur l’attitude des pétroliers, qui doivent être sûrement au courant de ces démarches. On sait par les utilisateurs et négociants belges de charbon qu’ils ont en effet remis un rapport au gouvernement belge, dans ce cas, mais jugé par ceux-là très faible, car il « se borne à constater que l’industrie pétrolière ne gêne pas les charbonnages.127 » Je pense que ces mesures ne doivent pas effrayer les pétroliers outre mesure étant donné la souplesse des structures de l’industrie pétrolière et la garantie gouvernementale de la progression des capacités de raffinage.
97La Commission Economique pour l’Europe des Nations Unies se préoccupe à son tour de ce débat, après avoir probablement été incitée à y prendre part, et reprend quelques propositions des producteurs de charbon de l’Europe de l’Ouest. Son point fort porte sur la nécessité pour l’industrie pétrolière de développer ses équipements de « cracking », ce qui signifie qu’elle doit porter ses efforts sur le raffinage afin d’offrir sur le marché un équilibre entre produits blancs et produits noirs. De même, elle préconise une répartition des responsabilités entre les deux secteurs industriels face aux fluctuations de la conjoncture, sans pour cela porter préjudice à l’industrie charbonnière qui s’adapte plus difficilement aux circonstances. En conclusion, elle offre une vision optimiste quant à l’évolution de la répartition de ces deux sources d’énergie concurrentes dans la demande globale d’énergie. En effet, d’après ses hypothèses qui excluent toute possibilité de changement conjoncturel, il lui « semble improbable que se produise une forte contraction des débouchés qui s’offriront à la houille.128 » Dans cette optique, la Commission Economique pour l’Europe ne remet pas non plus en cause la croissance de la production charbonnière et n’insiste guère sur une amélioration des qualités de charbon et des moyens techniques. Son rapport minimise la concurrence qui peut exister entre le charbon et le fuel-oil, mais insiste sur la responsabilité des gouvernements au niveau des prix.
98Divers aménagements fiscaux portant sur le fuel-oil ont lieu à la fin de 1954, révélant le résultat des pressions exercées sur les gouvernements. L’Allemagne augmente la taxe douanière sur le fuel, sur une proposition du ministre fédéral des Finances, mesure qui doit être validée par le Conseil des Ministres et le Parlement129. La France, elle, majore le prix du fuel-oil et du gas-oil de 4 %, mais baisse le prix des charbons industriels de 3 %130. Il est vrai que les représentants français ne s’opposaient pas avec la même virulence que les Belges à l’éventualité d’une baisse des prix du charbon. Cependant, le gouvernement français n’opère pas un meilleur ajustement entre les politiques charbonnière et pétrolière, car les mesures accordées sont en fait presque annulées par « les nombreuses exceptions accordées par le gouvernement en faveur de consommateurs privilégiés (en pétrole).131 » Dans l’ensemble, il s’agit de bien distinguer les initiatives prises : soit elles concernent exclusivement les tarifs douaniers, soit elles portent sur la fixation du prix de vente lui-même, comme le montre le tableau n° 26.
99Déjà au début de l’année 1954, les prix des deux sources d’énergie avaient connu une modification qui, pour les producteurs, ne devait pas être répétée pour le charbon mais assurément pour le fuel à la fin de l’année. Dans quel pays observe-t-on l’avantage accordé au fuel au niveau des prix à la fin de 1954 ? C’est en Italie que l’écart entre ces prix est le plus grand traduisant l’orientation affirmée vers le pétrole, puis, aux Pays-Bas, ensuite en Belgique, en Allemagne, et enfin en France où la concurrence semble égale. Ces derniers Etats forment le bataillon des pays producteurs de charbon, et prennent donc garde de ne pas favoriser le fuel au détriment du charbon.
100Malgré cela, l’avenir pétrolier s’annonce d’une manière sereine avec une production-record de produits pétroliers en 1954 dans le monde, de 681 millions de tonnes contre 655 millions de tonnes en 1953. « Quoi qu’il en soit, il est évident que l’industrie pétrolière, qui voit ses débouchés augmenter constamment, notamment dans les pays sous-développés, peut envisager l’avenir avec confiance.132 »
Notes de bas de page
1 N. A. : RG 469, usfaa (Office of the Director). Résumé pour la presse du Département d’Etat, 23 décembre 1953.
2 Pierre Melandri, Les Etats-Unis face à l’unification de l’Europe, 1945-1954, 1980.
3 John Gillingham Coal and steel..., op.cit.
4 N.A. : RG 469, usfaa (Office of the Director), Lettre de William M. Rand (Directeur du foa) aux Secrétaires d’Etat, à la Trésorerie, à la Défense, et au directeur du Bureau du Budget, 13 janvier 1954.
5 N.A. : RG 469, usfaa (Office of the Director), Lettre du Secrétaire à la Défense à Rand, 2 février 1954.
6 JM : AMH 49/1/13. Lettre de Léon Lipson à Jean Monnet, 23 mars 1954.
7 JM : AMH 4/1/14. Lettre de Ball George (Sous-secrétaire de Dulles chargé des questions européennes, proche de Jean Monnet) à Jean Monnet, 24 mars 1954.
8 Article du Iron and Coal du 5 novembre 1955.
9 Article du Coal Age de février 1955.
10 N.A. : RG 469, Deputy Director for Operations. Office of European Operations. Office of the Director (ddo). Lettre de Carl D. Perkins à John Foster Dulles (Secrétaire d’Etat du président Eisenhower), 13 mars 1954.
11 N.A. : RG 469, ddo. Lettre de Thruston B. Norton (Assistant du Secrétaire d’Etat) à Carl D. Perkins, 29 mars 1954.
12 Ibid.
13 Article du New York Times du 10 mai 1954, signé par A. H. Raskin.
14 Lewis John L. : fondateur du Congress for Industrial organisation (cio) de 1935 à 1938.
15 Ibid.
16 Article du New York Times du 4 juillet 1954, signé par J. H. Carmical.
17 JM : AMH 51/2/5. Compte rendu de la réunion du 9 avril 1954 au New State Department à Washington. Les citations suivantes sont issues du même compte-rendu.
18 JM : AMH 51/2/7. Compte rendu de la réunion du 15 avril 1954 au New State Department à Washington.
19 Pierre Melandri, Les Etats-Unis..., op. cit.
20 HA : ceab 05 ; 315. Division des Investissements et de la Productivité, note de Tezenas du Montcel à Jean Monnet, 28 avril 1954.
21 Article du New York Times du 7 août 1954.
22 Ibid.
23 HA : ceab 07 ; 84. Lettre du Ministre du Commerce extérieur belge à Jean Monnet, 30 janvier 1954.
24 N.A. : RG 469, aid, France. Télégramme de Smith au State Department, 3 septembre 1954.
25 Article de La Libre Belgique du 8 août 1954.
26 N.A. : RG 469, ddo. Télégramme du foa, 23 août 1954.
27 N.A. : RG 469, ddo.Télégramme de Bruce au Secrétaire d’Etat, 25 août 1954.
28 HA : ceab 07 ; 296. Division du marché, note sur le programme d’exportation de 10 millions de tonnes de charbon américain sous l’égide de la foa, 1er octobre 1954.
29 N.A. : RG 469, ddo. 25 août 1954, op. cit.
30 HA : ceab 07 ; 296, 1er octobre 1954, op. cit.
31 HA : ceab 07 ; 296. Article du 24 ore, 20 août 1954.
32 Ibid.
33 Articles de L’Agence Economique et Financière des 17-18 et 29 septembre 1954 et HA : ceab 07 ; 296, 1er octobre 1954, op. cit.
34 Article du New York Herald Tribune du 27 septembre 1954.
35 Article de l’Echo de la Bourse du 29 septembre 1954.
36 N.A. : RG 469, ddo. Mémorandum pour le directeur du Foreign Operations Administration (foa) de Dwight D. Eisenhower, Denver, 24 septembre 1954.
37 frus : Mémorandum au Président par le directeur du foa, Washington, 9 décembre 1954 (La note trois signalée ne se trouve pas dans le volume).
38 HA : ceab 07, 296. Note de la Division du marché pour M. Vinck, 10 août 1954.
39 JM : AMH 51/2/7, op. cit.
40 Dossiers Pierre Uri Florence, Dep. 9, 1952-1955, 8/3 (PU) : Note pour Albert Coppe (Ministre des Affaires Economiques de la Belgique, membre de la Haute Autorité de la ceca) sur la politique charbonnière, 6 septembre 1954. (Uri Pierre : collaborateur de Jean Monnet au Commissariat Général au Plan de 1947 à 1942, un des réalisateurs du Traité de la ceca).
41 Ibid.
42 cepceo : Frets n° 638, Agence Europe du 19 octobre 1954 et article du Financial Times du 18 janvier 1955.
43 PU : 8/3, 6 septembre 1954, op. cit.
44 PU : 8/3, Note sur la politique d’importations de charbon, 15 septembre 1954.
45 N.A. : RG 469, ddo. Lettre du Secrétaire du Coal Exporters Association of the United States à Harold Stassen, 25 août 1954.
46 frus : Rapport préparé par le foa, 11 mars 1954.
47 John Lewis Gaddis Strategies of containment, A critical appraisal of postwar American National Security Policy, 1982.
48 Lord Ismay, otan, 1949-1954, les cinq premières années, s. d.
49 cepceo : Com. Mar n° 65, Note d’information de William Courtney à l’ambassade des Etats-Unis à Bruxelles, 18 octobre 1954. Les citations suivantes proviennent du même document.
50 cepceo : Com. Mar n° 65, 26/10/1954.
51 1938 (stocks compris) : Allemagne : 37 126, Belgique : 5 841, France : 9 999, Pays-Bas : 1 187 ; 1953 (stocks non compris) : Allemagne : 34 100, Belgique : 8.143, France : 13 665, Pays-Bas : 2 240.
52 Article Le Soir du 12 octobre 1954.
53 NA : RG 469, ddo, Télégramme de « usro » Paris au foa, Réunion de l’oece, Sous-comité de la distribution et de l’approvisionnement en combustibles solides, 16 septembre 1954.
54 HA : ceab 07 ; 296. Extrait du Coal Age de novembre 1954.
55 HA : ceab 07 ; 296. Note de la Division du marché par Vinck et Dehnen aux membres de la Haute Autorité, 22 septembre 1954.
56 NA : RG 469, ddo. Télégramme de Lisbonne au foa, 14 septembre 1954.
57 HA : ceab 03 ; 302. Lettre de M. S. Terpema à D. P. Spierenburg (Directeur des affaires économiques extérieures des Pays-Bas en 1945, membre de la Haute Autorité, Directeur de la Division Commerce extérieur de la ceca), 9 mars 1954.
58 HA : ceab 07 ; 292. Lettre de Spierenburg à Delouvrier (Inspecteur des Finances, Directeur du Cabinet du Ministère des Finances en 1945 et 1947, Secrétaire général du Comité interministériel chargé des questions de coopération économique européenne, créé en 1948), 6 novembre 1954.
59 HA : ceab 07 ; 292. Lettre du Ministre de l’Industrie de la France au Président de la Haute Autorité, 19 novembre 1954.
60 cepceo : Com. Mar. n° 65, 26/10/1954.
61 cepceo : Com. Mar. n° 27, Aide-mémoire pour les membres producteurs de charbon auprès du Comité Consultatif de la ceca, 30 octobre 1954.
62 Ibid.
63 JM : AMH 6/4/48. Lettre à Jean Monnet de M. Kohntam le 2 octobre 1954.
64 cepceo : ce. n° 10, 28/10/1954.
65 Ibid.
66 cepceo : Com. Mar. n° 65, ceca, HA, Service juridique « Importation indirecte de charbon américain en Allemagne par l’intermédiaire des Pays-Bas », novembre 1954.
67 Ibid.
68 N.A. : RG 469, ddo. Télégramme de Bruce au Secrétaire d’Etat, 16 novembre 1954.
69 N.A. : RG 469, ddo. Télégramme de Hoover, Département d’Etat à la délégation américaine de Luxembourg, 17 décembre 1954.
70 cepceo : Com. Mar. n° 65, Note de la délégation néerlandaise concernant l’exportation de charbon américain dans le cadre de la Mutual Security Act (foa), 29 novembre 1954.
71 Ibid.
72 cepceo : Com. Mar. n° 65, 13/12/1954.
73 N.A. : RG 469, ddo. Télégramme de Stassen, 30 novembre 1954.
74 N.A. : RG 469, aid, France. Télégramme de Stassen à Paris, 15 septembre 1954.
75 N.A. : RG 469, aid, France. Télégramme au Secrétaire d’Etat, 2 septembre 1954.
76 Ceci va dans le sens de la thèse de Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français, histoire d’un divorce, 1984.
77 N.A. : RG 469, aid, France. Télégramme de Stassen à Paris, 15 septembre 1954.
78 N.A. : RG 469, aid, France. Télégramme de Mac Grew (représentant de la Trésorerie américaine, représentant de la Mission de l’eca en France) au Secrétaire d’Etat, 23 septembre 1954.
79 N.A. : RG 469, aid, France. Télégramme de Stassen à Paris, 30 septembre 1954.
80 N.A. : RG 469, aid, France. Télégramme de Benson Timmons (représentant de l’eca en France depuis 1947 puis de la foa-msa) au Secrétaire d’Etat, 6 octobre 1954.
81 N.A. : RG 469, aid, France. Télégramme de Timmons au Secrétaire d’Etat, 7 octobre 1954.
82 N.A. : RG 469, aid, France. Télégramme de Timmons au Secrétaire d’Etat, 12 octobre 1954.
83 HA : ceab 03 ; 242. Télégramme pour Spierenburg de Paris, 21 octobre 1954.
84 N.A. : RG 469, ddo. 12 octobre 1954, op. cit.
85 N.A. : RG 469, ddo. Télégramme de Timmons au Secrétaire d’Etat, 21 octobre 1954.
86 Ibid.
87 N.A. : RG 469, ddo. Télégramme Timmons au Secrétaire d’Etat, 22 décembre 1954.
88 N.A. : RG 469, ddo. Télégramme de Stassen à Paris, 15 novembre 1954.
89 N.A. : RG 469, ddo. Télégramme de Bruce au Secrétaire d’Etat, 11 octobre 1954.
90 HA : ceab 07 ; 296. Lettre de Lonnoy (Conseiller de la Légation belge) à Spierenburg, 27 novembre 1954.
91 Ibid.
92 HA : ceab 07 ; 296. Note de Vinck à Spierenburg, 4 décembre 1954.
93 Ibid.
94 N.A. : RG 469, ddo. Télégramme de Dulles à Paris, 7 décembre 1954.
95 HA : ceab 07 ; 296. Note de la Division du marché, Vinck et Dehnen, aux membres de la Haute Autorité, 22 septembre 1954.
96 HA : ceab 07 ; 296. Article de 24 ore, op. cit.
97 Ibid.
98 HA : ceab 07 ; 296. 22/09/54, op. cit.
99 HA : ceab 07 ; 296. Art. 24 ore, op. cit.
100 N.A. : RG 469, aid, France. Télégramme de Washington, 29 janvier 1955.
101 Alan Milward, The reconstruction of..., op. cit. et Charles Maier, In search of…, op. cit.
102 cepceo : c.c. n° 6. «Le problème de la concurrence du charbon et des produits pétroliers dans la ceca », 13 mai 1954.
103 Ibid.
104 cepceo : Commission de la ceca sur la concurrence du fuel (Com. ceca) n° 972, Haute Autorité, Note pour le Comité Consultatif, « Défense de la production charbonnière contre la concurrence du fuel », 24 mai 1954.
105 HA : ceab 07 ; 321. Division du marché, Note sur la place occupée sur le marché par les produits concurrents du charbon, par L. Corradini, 16 septembre 1953.
106 Ibid.
107 HA : ceab 05 ; 566. oece, rapport du Comité du pétrole, 4 août 56.
108 HA : ceab 07 ; 321, 16/09/1953, op. cit.
109 Ces sociétés pétrolières sont au nombre de sept, plus souvent connues sous l’appellation des « sept sœurs » : Standard Oil New Jersey (Etats-Unis), Royal Dutch Shell (Grande-Bretagne et Pays-Bas), British Petroleum (Grande-Bretagne), Texaco (Etats-Unis), Standard Oil of California (Etats-Unis), Gulf (Etats-Unis), Mobil (Etats-Unis).
110 cepceo : c.c. n° 7, Propositions concernant le rapport du Comité Consultatif (Pays-Bas), 20 juillet 1954.
111 HA : ceab 07 ; 321, 16 septembre 1953, op. cit.
112 cepceo : c.c. n° 7, 20/7/1954, op. cit. Les citations suivantes proviennent du même compte-rendu.
113 cepceo : Com. Mar. n° 25, 12/3/1954.
114 cepceo : Com. ceca n° 972, 9 août 1954, op. cit.
115 cepceo : Com. mar. n° 125, « Observations et suggestions des experts charbonniers belges », 2 août 1954.
116 cepceo : Com. Mar. n° 125, Note du Comptoir Belge des Charbons, 11 août 1954.
117 Ibid.
118 cepceo : c.c. n° 7, 20/7/1954, op. cit.
119 Ibid.
120 cepceo : Com. Mar. n° 130, Note de la délégation française sur les propositions du rapport du Comité Consultatif, 3 novembre 1954.
121 cepceo : c.c. n° 7, Avis présenté par M. Voituron, 3 août 1954.
122 cepceo : c.c. n° 7, Avis présenté par Nijman expert de M. Ingen Housz, s.d.
123 cepceo : c.c. n° 9, Groupe de travail charbon/fuel n° 125 (CH/F), unebece, Procès-verbal de la réunion du lundi 27 septembre 1954.
124 Régine Perron, « Les sidérurgistes français face à la création de la ceca de 1950 à 1954», 1985.
125 cepceo : c.c. n° 7, Comité Consultatif, « Projet de résolution concernant le rapport de la commission spéciale pour l’examen des problèmes relatifs à la protection de la production charbonnière contre la concurrence du fuel-oil », s.d.
126 cepceo : ceca, Haute Autorité, « Mémorandum sur la définition des objectifs généraux », 2 juillet 1954.
127 Ibid.
128 cepceo : Com. Mar. n° 27, Commission Economique pour l’Europe, Communiqué de presse n° ECE/coal/64, 15 septembre 1954.
129 Article du Nord Industriel et commercial du 30 octobre 1954.
130 Article du Monde du 13 novembre 1954, par Gilbert Mathieu.
131 Ibid.
132 Article de L’Economie du 13 janvier 1955.
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L’Europe des Français, 1943-1959
La IVe République aux sources de l’Europe communautaire
Gérard Bossuat
1997
Les identités européennes au XXe siècle
Diversités, convergences et solidarités
Robert Frank (dir.)
2004
Autour des morts de guerre
Maghreb - Moyen-Orient
Raphaëlle Branche, Nadine Picaudou et Pierre Vermeren (dir.)
2013
Capitales culturelles, capitales symboliques
Paris et les expériences européennes (XVIIIe-XXe siècles)
Christophe Charle et Daniel Roche (dir.)
2002
Au service de l’Europe
Crises et transformations sociopolitiques de la fonction publique européenne
Didier Georgakakis
2019
Diplomatie et religion
Au cœur de l’action culturelle de la France au XXe siècle
Gilles Ferragu et Florian Michel (dir.)
2016