Introduction à la première partie
p. 23-25
Texte intégral
1Sur une période d’une trentaine d’années, le marché charbonnier est rythmé par des cycles économiques qui, entre les deux guerres, sont d’une durée presque égale de quatre à cinq ans, mais qui seront après la Seconde Guerre mondiale extrêmement courts, d’une durée d’au plus deux ans. Cette constatation éclaire d’une façon singulière combien le marché charbonnier sera plus sujet aux « perturbations » tant économiques que politiques après 1945. Mais elle permet de rendre compte aussi d’une crise latente qui existait déjà avant 1945, et qui persistera bien au-delà.
2Au cours de l’entre-deux-guerres, le marché charbonnier fonctionne sur les acquis de la reconstruction de la première guerre mondiale. Toutefois, les événements décideront de son avenir. La crise mondiale des années 1930 déstabilisera-t-elle le marché fraîchement reconstruit ? Les politiques d’armement contribueront-elles à un affermissement du marché ? Les années de la Seconde Guerre mondiale peuvent être difficilement considérées car les statistiques couvrant cette période ne sont pas complètes (en particulier au niveau du commerce extérieur).
3Puis, les années d’après la Libération doivent résoudre la question de pénurie de charbon, avec un matériel de production vétuste. Le défi sera-t-il relevé ? Ensuite, d’autres événements décideront de l’orientation du marché énergétique : la guerre de Corée aura-t-elle d’heureuses incidences sur le rythme de production de charbon ? Les années de belle reprise économique de 1955 à 1957 permettront-elles au marché charbonnier de consolider son assise ?
4Ce chapitre étudie l’évolution du marché charbonnier sur une longue durée, permettant de cette manière de dégager les diverses tendances grâce à l’étude des cycles économiques. Il faut encore mentionner que deux politiques parallèles coexistent sur le marché charbonnier, l’une portant sur la houille, et l’autre sur le coke. Le choix s’est porté volontairement sur les quatre pays producteurs de l’Europe de l’Ouest suivants : l’Allemagne, la Belgique, la France et les Pays-Bas. La Grande-Bretagne figure alors dans le camp des pays tiers, comme les Etats-Unis, puisqu’elle deviendra membre de la Communauté Européenne seulement après 1960. L’étude se base principalement sur les graphiques nos 1 et 2, représentant l’évolution des consommations nationales apparentes de houille et de coke sur une longue durée de 1922 à 1960. Le choix de 1922 s’explique du point de vue statistique, car c’est une année qui peut être considérée comme normale et qui se situe après la crise de 1918 et avant la crise de 1925.
5Deux aspects politiques majeurs conditionnent l’activité économique pendant l’entre-deux-guerres : la désorganisation des monnaies et la nécessité de moderniser l’équipement industriel, qui sont les conséquences immédiates des hostilités de la Première Guerre mondiale. Il s’agit ici de faire ressortir le parallélisme existant entre la politique monétaire et la politique de rationalisation menées par les gouvernements, qui se soldent toutes deux par un échec à la veille de la crise mondiale. Au cours de la période de Reconstruction de 1922 à 1926, suivie d’un « boom conjoncturel » euphorique de 1926 à 1929, les gouvernements sont amenés à intervenir afin d’enrayer la débâcle de leur monnaie sur le marché des changes d’une part, et de dynamiser leur industrie de base pour rendre leur économie plus compétitive sur le marché mondial d’autre part, c’est-à-dire principalement l’industrie charbonnière1.
6La période de l’entre-deux-guerres annonce le dérèglement futur du système économique libéral qui avait prévalu avant 1914. Le problème monétaire est d’une telle acuité qu’on peut aisément qualifier cette période « d’ère de l’inflation. » Les moyens pour résorber ce phénomène inflationniste annoncent un changement progressif des structures du système économique, c’est-à-dire le passage du vieux modèle économique (libéral) d’avant 1914 au nouveau modèle économique (dirigiste) qui s’affirmera après 1945. Cette période peut aussi être considérée comme une période transitoire au niveau du marché charbonnier car lui-même reproduit à son échelle cette évolution. De nouvelles sources d’énergie s’affirment sur le marché, le pétrole et l’hydroélectricité, alors que le charbon reste encore la première source d’énergie et la base de toute économie. Pourtant, le marché charbonnier n’offre plus la même homogénéité compacte d’avant 1914. Aux traditionnels fournisseurs en charbon, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, s’ajoutent désormais la Belgique grâce à l’ouverture du Bassin de Campine, et les Pays-Bas qui fournissent les marchés du Bas-Rhin2. Quant à la France, elle mise avant tout sur une augmentation de sa production afin de limiter les importations.
7Ainsi, le nombre croissant de fournisseurs compétitifs, conjugué aux progrès techniques qui tendent à réduire d’une manière non négligeable le volume du charbon à consommer, accentuent la surcharge du marché charbonnier, déjà en proie à une stagnation de la demande. Cette situation reflète à la fois la morosité de l’activité économique et le changement perceptible de l’utilisation des sources d’énergie. L’avenir du marché énergétique se joue en fonction de ce dilemme : maintenir la suprématie du charbon, qui connut son « âge d’or » avant 1914, ou bien permettre une évolution dans l’utilisation des sources d’énergie reflétant l’avancée technologique ? Ce dilemme révèle tout simplement le sort futur du marché énergétique lié aux vicissitudes des politiques nationales. La suite de l’histoire, déjà connue, illustre la courte vue dont ont fait preuve les responsables gouvernementaux et industriels.
Notes de bas de page
1 Bibliographie générale succinte : Fernand Baudhuin, Histoire économique de la Belgique, Tome I, 1914-1939, Bruxelles, 1946 ; Alfred Sauvy, Histoire économique de la France entre-les-deux-guerres, Paris, 1984 ; Johan de Vries, The Netherlands economy in the twentieth century, Assen, 1978 ; R. T. Griffiths, The economy and politics of the Netherlands since 1945, The Hague, 1980 ; John Gilligham, Industry and politics in the Third Reich, New York, 1985.
2 John Gilligham, Industry and..., op. cit.
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