Introduction
Texte intégral
1C’est un grand plaisir d’introduire ici ce volume de publication de la 10e Journée doctorale (Archéo.doct) de l’École doctorale d’archéologie de l’Université de Paris I, placée en 2015 sous le thème fédérateur de « évolutions / révolutions » ou, autrement et subtilement écrit, de « (r)évolutions ». L’institution de ces journées annuelles est désormais bien établie et illustre le dynamisme et l’esprit d’initiative des jeunes chercheuses et chercheurs de l’université ; de même que leur publication régulière, grâce à la vigilante compétence des responsables, cette année en l’occurrence toutes des éditrices, en assure la diffusion et fait que leurs contributions sont maintenant régulièrement citées dans les publications scientifiques.
2On trouvera précisément en conclusion la contribution des éditrices qui précisent avec méthode et pertinence les problématiques que recouvrent les deux termes imbriqués du titre général, dans leurs différentes acceptions, de même qu’elles démontrent comment chacune des dix contributions vient s’y insérer de manière à chaque fois diverse, mais toujours convaincante.
3Si l’on définit classiquement l’archéologie comme l’étude des sociétés humaines, quelle que soit leur ancienneté, à travers leurs vestiges matériels, c’est donc bien ainsi que l’on doit reconstituer évolutions ou révolutions, permanences ou ruptures. On mesurera ici la variété des vestiges abordés, touchant aux artefacts (poteries, outils de silex et de métal, gravures rupestres, architecture, etc.), mais aussi aux écofacts (macrorestes végétaux, faunes, bitumes, etc.). On mesurera tout autant l’éventail des temps et des lieux, puisque les périodes étudiées s’étendent du néolithique proche-oriental à la Révolution française en passant par Byzance, le Moyen âge italien et le commerce précolonial sur les côtes africaines (seul manque cette fois le paléolithique), et que les régions concernées vont de l’Europe atlantique à l’Afrique, avec une forte présence du Proche et Moyen Orient. On mesurera également la variété des échelles d’observation, depuis le site isolé (un château médiéval italien) jusqu’à des parties entières de continents. On mesurera enfin la variété des approches et des points de vue, y compris celui de l’historiographie de la discipline envers le rôle de l’archéologie dans la construction de l’identité nationale.
4L’opposition, dans l’explication des changements culturels, entre évolutions sur place et transformations venues de l’extérieur, voire migrations constituées, est aussi ancienne que l’archéologie. On a pu même pendant longtemps opposer deux traditions scientifiques, celle migrationniste, sinon invasionniste, de l’archéologie allemande d’une part et, en contraste sinon en réaction, l’ « évolutionnisme » (mais pas au sens biologique usuel), sinon l’« immobilisme » de tradition anglo-saxonne. Ces clivages ne se sont pas entièrement effacés, et certains archéologues anglais ont tenté, pratiquement jusqu’à aujourd’hui, d’argumenter pour une invention sur place du néolithique dans les îles britanniques, qui aurait été sans liens avec le continent. Mais du moins a-t-on progressivement abandonné la recherche de causes uniques, au profit de modèles beaucoup plus complexes.
5De même, au moins depuis Claude Lévi-Strauss, pouvait-on classiquement opposer deux types de sociétés, les « sociétés chaudes », comme les nôtres, soumises à des transformations incessantes et rapides, et les « sociétés froides », c’est-à-dire une grande partie des sociétés traditionnelles étudiées par les ethnologues, qui se perpétuaient sans grand changement. On le sait, les premières ont progressivement absorbé ou détruit les secondes, un phénomène en accélération continue avec l’actuelle mondialisation. Toutefois, les ethnologues n’ont bénéficié la plupart du temps que d’une fenêtre temporelle d’observation très réduite, qui remontait au mieux aux premiers récits des voyageurs ou des soldats à partir du xviiie siècle, de véritables enquêtes de terrain n’ayant pas été entreprises avant le début du xxe siècle. L’archéologie, en remontant le fil des millénaires, vient montrer que cette « immobilité » des sociétés anciennes n’est que relative. Il est rare, où que ce soit dans le monde, qu’une entité culturelle et historique définie, ce qu’on appelle usuellement une « culture », au moins à partir des périodes protohistoriques, se maintienne inchangée au-delà de quelques siècles. Évolution ou révolution, ces entités sont historiquement travaillées de l’intérieur, parfois aussi de l’extérieur, jusqu’à atteindre un point de basculement, ce qu’on nomme parfois une « catastrophe » selon la théorie du même nom, équivalent grec possible du terme d’origine latine de « révolution ».
6Comme les responsables du volume le montrent bien en conclusion, il est rare que les causes de transformations, même multiples, ne soient que matérielles, de l’ordre de la technique ou de l’économique. Au matériel se mêle toujours inextricablement l’idéel. Il fallait des conditions de possibilité techniques et environnementales pour pouvoir inventer agriculture et élevage ; mais il fallait aussi « en avoir envie », ou plus exactement que l’idéologie l’accepte ou le suggère. De ce point de vue, l’archéologie, à partir du seul matériel, peut atteindre l’idéel. Ainsi, par exemple, des contradictions entre ce qui est représenté de l’armement – et donc l’image que l’on veut en donner - sur les pétroglyphes de la péninsule arabique et la réalité effective, archéologique et historique, de ce même armement.
7De fait, une majorité de contributions montrent le rôle des dominants (des « élites ») dans le fonctionnement social et économique et ses transformations. De ce point de vue, la question de l’émergence et de la perpétuation du pouvoir et des inégalités dans les sociétés anciennes est assurément l’une des grandes questions de l’archéologie – ce pour quoi elle est aussi, au-delà de son rôle d’outil de connaissance et d’information, un instrument de compréhension historique sur le long terme, présent compris. Et c’est bien aussi sur la fonction et la responsabilité citoyenne de l’archéologie qu’insistent avec raison en conclusion les éditrices de ce beau volume.
Auteur
Archéologue et protohistorien Professeur émérite de Protohistoire européenne à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de l’Institut Universitaire de France Ancien président de l’INRAP, UMR 8215 Trajectoires
Archéologue et protohistorien
Professeur émérite de Protohistoire européenne à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de l’Institut Universitaire de France
Ancien président de l’INRAP, UMR 8215 Trajectoires
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Appréhension et qualification des espaces au sein du site archéologique
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2016
Des vestiges aux sociétés
Regards croisés sur le passage des données archéologiques à la société sous-jacente
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2015
Matières premières et gestion des ressources
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2014
Les images : regards sur les sociétés
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2011
Objets et symboles
De la culture matérielle à l’espace culturel
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2009
Révolutions
L’archéologie face aux renouvellements des sociétés
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2017
Biais, hiatus et absences en archéologie
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2019