Vérité et autorité : y a-t-il un moment grégorien ?
p. 323-348
Texte intégral
1Dans une formule fameuse attribuée au pape Grégoire VII (1073-1085), celui-ci aurait déclaré, en glosant l’Évangile de Jean (Jn 14, 6) et pour justifier la nécessité qu’il y avait d’abolir un ancien usage : « Jésus n’a pas dit : “Je suis la coutume”, mais “Je suis la vérité1” ». On a généralement retenu de cette formule l’idée d’une hostilité de la papauté réformatrice envers les pratiques sociales traditionnelles du clergé et de l’aristocratie laïque ou de manière plus générale les usages séculiers. Certains y ont également vu une forme de légitimation de la capacité du pape à promulguer de nouvelles lois, en écho à la célèbre affirmation des Dictatus papae2. On a moins pris garde au fait qu’en reprenant à son compte l’autodéfinition ontologique du Christ, le pape se posait avant tout en détenteur privilégié d’une capacité à discerner le vrai du faux, le juste de l’injuste, et fondait sur ce discernement sa légitimité à intervenir urbi et orbi dans les affaires ecclésiales et à y faire prévaloir ses conceptions. Il y aurait ainsi un moment grégorien, au sens strict du terme, qui aurait articulé de manière explicite et apparemment inédite vérité et autorité au bénéfice de la papauté.
2Avant de se prononcer sur la validité de cette hypothèse, il convient de la soumettre à un plus ample examen. Cela paraît d’autant plus nécessaire que curieusement, alors que les idées et les stratégies discursives des « grégoriens » et de leurs adversaires ont bénéficié depuis longtemps de nombreux travaux, la notion de veritas n’a fait l’objet d’aucune étude particulière. Les notions de libertas, de justicia, de societas christiana, d’obedientia, de fidelitas et même d’utilitas ont par exemple été l’objet, dans le cadre de la réforme, d’analyses plus ou moins approfondies3, mais non la vérité, à l’exception de la très belle étude que Gerhart Ladner a consacrée en 1956 à cette fameuse formule opposant la vérité et la coutume4. Sans doute cela tient-il à la prépondérance de l’équivalence entre vérité et divinité dans la tradition hagiographique, exégétique et pastorale, qui semble vider le terme de toute substance propre et même le priver d’historicité. Pourtant, le détour par d’autres types de sources, notamment judiciaires, et d’autres terrains, notamment la production de la norme canonique5, ainsi qu’une extension de l’enquête, au-delà du seul pontificat de Grégoire VII, à l’ensemble de la séquence grégorienne stricto sensu, des années 1050 aux années 11206, montrent qu’il n’en est rien et ouvrent d’autres horizons, à partir desquels l’opposition entre vérité et coutume pourra être reconsidérée.
Conflits de l’âge grégorien et vérité judiciaire
3Peu avant la fin de son épiscopat, l’archevêque de Narbonne Richard (1106-1121), ancien abbé de Saint-Victor de Marseille (1079-1106) et légat sous les pontificats de Grégoire VII et Urbain II7, fit dresser à l’intention de ses chanoines une sorte de mémorandum des nombreux griefs qu’il avait à l’encontre du vicomte de Narbonne Aimeric II (1105-†1134)8. Ce texte, connu par l’historiographie depuis l’Histoire générale de Languedoc sous le nom de « plainte de Richard archevêque de Narbonne contre le vicomte Aimeric II9 », était peut-être destiné à être utilisé en justice : Richard encourage en tout cas ses chanoines à s’engager dans cette voie où lui-même reconnaît à demi-mot avoir échoué10. Pour autant, l’acte s’apparente plus à une notice récapitulative qu’à une charte de calumnia : il vise à informer les chanoines et les successeurs de Richard, non à saisir une juridiction (pas même le pape, curieusement), et les différentes figures ecclésiastiques et laïques évoquées à la fin du texte, parmi lesquelles figurent notamment deux archidiacres de Narbonne, ne sont pas des témoins de l’acte, mais des garants de la vérité des faits rapportés par Richard, que celui-ci mentionne à l’appui de ses dires et recommande à ses chanoines11. Le propos de Richard n’en est pas moins révélateur de l’argumentation d’un ardent grégorien dans le cadre d’un conflit qui l’oppose à la principale autorité laïque de la cité où il exerce l’épiscopat.
4Richard porte quatre accusations à l’encontre du vicomte Aimeric. Celui-ci continuerait d’abord d’exercer, en période de vacance du siège, des droits de gardien et de patron de l’honor épiscopal et percevrait notamment des spolia : on reconnaît là le classique combat grégorien contre le droit de dépouille qui, au-delà de son intérêt économique, constituait le symbole même de la tutelle laïque sur un episcopatus ou une abbatia. Le vicomte aurait par ailleurs contesté le partage par moitié des droits publics (le comitatus) de la cité de Narbonne avec l’évêque – un partage dont nous savons qu’il a été confirmé par le pape Pascal II en 110712. Le vicomte refuserait encore de reconnaître que les leudes et les taxes pesant sur les marchés ou les foires appartenaient à l’archevêque depuis le temps de Guifred (1019-1079), selon une charte que Richard prétend avoir trouvée dans les archives de son église. Aucune trace de cette charte ou de ces droits n’est parvenue jusqu’à nous et il est fort probable que, si jamais charte il y eut, il se soit agi d’une forgerie ou d’un acte fortement interpolé dans l’entourage de Richard. C’était en tout cas, de l’aveu même de Richard, la plus litigieuse de ses revendications et elle fut clairement rejetée par la cour vicomtale. Enfin, Richard dénonçait les empiétements de la justice vicomtale sur les hommes et les terres de l’église de Narbonne et ne reconnaissait au pouvoir vicomtal que la répression de deux crimes, sans doute le meurtre et l’adultère13. Tout en égrenant ces revendications, le mémorandum fait allusion à une série d’épisodes conflictuels, dont certains se déroulèrent sur le terrain judiciaire, sans doute devant la cour vicomtale même si la chose n’est curieusement pas précisée. Quoi qu’il en soit, l’archevêque n’en sortit jamais satisfait, en particulier sur la question des leudes et des marchés.
5Cependant, à travers ces revendications concrètes, le discours de Richard dénonce de manière beaucoup plus ample le déni de justice fait à l’Église par les mauvaises coutumes vicomtales. Dans ce cadre, le propos est sans cesse référé à la vérité. Cette vérité est d’abord celle de la parole même de Richard, opposée à la mauvaise foi de son adversaire comme le droit s’oppose à la fraude et à la violence14. Cette accusation revêt un sens précis : elle doit se lire à la lumière des engagements du serment de fidélité que le vicomte a prêté à Richard, tels que celui-ci les comprend. Pour lui, en effet, le fait que le vicomte soit « l’homme » de l’église-domina (c’est-à-dire son vassal puisqu’il tient des fiefs de l’église de Narbonne et a prêté hommage entre les mains de l’archevêque) implique non seulement de lui devoir fidélité mais aussi de lui dire la vérité15. D’autant que, pour Richard, vérité et pureté (ou impureté) de cœur, c’est-à-dire les intentions des acteurs, sont pleinement perceptibles à Dieu comme aux destinataires du mémorandum, les chanoines de Narbonne, car la vérité circule entre hommes d’Église16.
6La vérité de Richard est bien sûr également celle de la cause qu’il défend, à savoir, au-delà de chacune de ses revendications, la justicia (de l’Église) et la veritas (de Dieu), l’une et l’autre revêtues d’une dimension absolue et universelle et opposées au caractère local et particulier des coutumes. Le réquisitoire de Richard dénonce en effet « la mauvaise coutume de cette terre17 », « la fourberie et la malignité de cette terre18 », et met en scène l’opposition entre d’un côté lui et l’Église, de l’autre l’ensemble des barons « du territoire de Narbonne19 ». Il faut d’ailleurs souligner qu’aux yeux de Richard sa légitimité, qui fonde la vérité de sa parole et de sa cause, repose sur sa désignation par le pape Pascal II, c’est-à-dire par le chef de l’Église catholique romaine. « Je fus promu par le seigneur apostolique Pascal II, tout le clergé et le peuple, au gouvernement de cette église », déclare-t-il, faisant précéder la formule canonique traditionnelle clero et populo par le décret pontifical qui inscrit son action, bien au-delà du seul siège de Narbonne, dans le cadre de la chrétienté20.
7Dans cette affaire, la vérité est donc convoquée pour légitimer une série d’actions judiciaires. Associée aux notions de fidélité et de pureté, inscrite dans un horizon universel, elle relève pour l’essentiel d’une argumentation d’ordre politique en faveur de l’établissement et de la reconnaissance d’une hiérarchie entre instance ecclésiastique et instance laïque. En revanche, elle n’entretient aucun lien particulier avec la procédure elle-même, qui n’est d’ailleurs jamais évoquée par la notice autrement que par des allusions à des plaids dont tout suggère qu’ils se sont déroulés dans un cadre coutumier, bien connu par ailleurs21.
8Deux monographies régionales récentes permettent d’élargir et de nuancer ce premier constat. En Gascogne, dans les provinces ecclésiastiques d’Auch et de Bordeaux, la gestion des conflits apparaît marquée, durant la période « grégorienne », par trois évolutions22. La première réside dans l’inflation des interventions pontificales dans les conflits locaux, soit directement à la suite d’un appel en cour de Rome, soit indirectement par l’intermédiaire des légats, en particulier Amat, par ailleurs évêque d’Oloron (1073-1089), siège suffragant d’Auch23, que ces conflits concernent des affaires disciplinaires (au sein du clergé) ou des contentieux seigneuriaux (entre institutions ecclésiastiques ou entre celles-ci et des laïcs). Une deuxième évolution tient à l’apparition dans les actes diplomatiques locaux émanant de communautés canoniales ou monastiques surtout bordelaises (Saint-Seurin, Sainte-Croix) d’un discours général sur la vérité que la procédure est chargée de révéler ou de faire advenir24. La troisième évolution figure justement dans l’introduction de nouvelles procédures inspirées du droit savant, tels l’apparition de juges élus, le développement de l’arbitrage assortis de clauses contraignantes, la valorisation de la preuve écrite et des témoins informés25… Certaines de ces innovations peuvent directement être corrélées à l’intervention du pape ou d’un légat, comme Amat d’Oloron dans le conflit qui l’oppose à l’évêque de Dax dans les années 108026. Toutefois, ces nouvelles procédures ne se diffusent que lentement et surtout à partir des années 1140-115027.
9En Anjou, les évolutions paraissent moins nettes et plus lentes28. L’influence de la papauté ne se fait sentir qu’à partir du début du xiie siècle, à travers l’essor des appels en cour de Rome et la diffusion d’éléments du droit savant par l’intermédiaire des lettres pontificales, de l’action des légats ou des évêques. Les premières innovations procédurales n’apparaissent que vers 1130-1150, sans être d’ailleurs toujours explicitement associées à l’idée d’une recherche de la vérité29. Toutefois, une nouveauté se dégage sous l’épiscopat d’Ulger (1125-1148), à savoir le recours à des éléments de droit savant dès que la cause est d’envergure30. Comme le montre le cas du long conflit entre les abbayes de La Röe et de La Trinité de Vendôme au sujet de la chapelle castrale de Craon, qui ne s’achève qu’avec la dernière intervention d’Innocent II en janvier 1136, ce recours ne bouleverse pas la procédure elle-même, mais vient peu à peu enrichir le répertoire des arguments, toujours combinés à d’autres issus de la coutume, et surtout favoriser l’extension de la compétence juridictionnelle de la papauté31.
10S’agissant de vérité judiciaire, le bilan du moment grégorien apparaît donc contrasté. On sait depuis longtemps que la papauté a favorisé l’abandon de l’ordalie pour les causes impliquant des ecclésiastiques (encore qu’un Yves de Chartres n’en rejette pas aussi systématiquement l’usage qu’on aurait pu le croire)32. On peut également considérer que l’influence croissante du droit savant sur les usages canoniques, elle aussi encouragée par la papauté, est à l’origine de la diffusion du serment de vérité et, de manière plus générale, du renouveau de la recherche de la vérité par l’enquête, même si ces deux phénomènes sont clairement postérieurs au milieu du xiie siècle, en France en tout cas. Mais il reste que la procédure dans son ensemble ne connaît aucune transformation majeure avant la fin du xiie ou le début du xiiie siècle. Sans compter que l’on a pu montrer de manière convaincante, à rebours des analyses inspirées par l’anthropologie juridique, que la recherche de la vérité n’était pas ignorée de la justice féodale traditionnelle et ne devait pas être opposée au rétablissement de la paix entre les parties33.
11Si l’on constate donc peu d’évolutions en matière procédurale, le moment grégorien apparaît cependant comme le moment où se déploie sous la plume des clercs, à l’occasion des conflits qui les opposent entre eux ou au monde laïc, une conception absolue et universelle de la vérité sur laquelle ils fondent la légitimité de leurs actions contentieuses. Cette vérité absolue et universelle, qui engage l’ensemble de l’ecclesia et dont la papauté est souvent présentée comme la suprême garante, se distingue clairement de la « vérité des faits » qui pouvait être recherchée dans les conflits féodaux. Quand bien même les études monographiques révèlent-elles le caractère relatif des effets d’un tel discours sur l’issue des conflits, celui-ci constitue une forme de révolution idéologique apte à légitimer l’extension continue de la juridiction pontificale ainsi que la plupart des évolutions procédurales à venir.
Production de la norme et vérité canonique
12Si le moment grégorien représente un « tournant de l’histoire du droit », pour reprendre le titre d’une ancienne et fameuse étude de Paul Fournier34, c’est moins en raison d’une nouvelle vague de collections canoniques (on en a compté plus de 70 compilées entre 1050 et 115035) que d’une volonté nouvelle de procéder à une véritable unification de la loi ecclésiastique destinée à faciliter à la fois le gouvernement de l’Église et la conversion des chrétiens, c’est-à-dire leur mise en conformité vis-à-vis des idéaux réformateurs.
13Une telle volonté impliquait d’abord de s’entendre sur les auctoritates, de les hiérarchiser et de les harmoniser36. L’originalité du projet ressort nettement de la comparaison que l’on peut effectuer avec l’œuvre d’un Réginon de Prüm qui témoigne en la matière, un siècle et demi auparavant, d’une réserve assumée. En effet, comme le déclare sans ambages Réginon dans le prologue des Livres des causes synodales, composé vers 900, les canons hérités de la tradition se signalent par leur grande diversité. Réginon conçoit dès lors son propre ouvrage comme un travail de collecte et de mise à disposition de ces multiples canons, mais il laisse au lecteur le soin de choisir lui-même les autorités les plus adéquates en fonction de ses propres critères : « J’ai mis en ordre une variété de statuts de différents Pères, laissant au lecteur le soin de juger ce qu’il préférera sélectionner et considérer comme le plus important37. » On sait que l’aspiration à une plus grande unité du corpus canonique et la recherche d’une vérité plus facile à faire reconnaître de manière universelle se font jour au sein de l’épiscopat germanique du début du xie siècle. C’est notamment le sens de la démarche d’un Burchard de Worms lorsqu’il rédige son Décret vers 1012-1023, comme nous l’apprend sa préface38. Mais cette aspiration ne se diffuse à l’ensemble de la chrétienté que dans la seconde moitié du xie siècle, puisque parallèlement à l’élaboration de nouvelles collections, la réforme « grégorienne » favorise une large diffusion de l’œuvre de Burchard39.
14Dans ce nouveau contexte, l’établissement de la vérité canonique revêt deux dimensions. Il s’agit tout d’abord d’expurger les collections des canons tenus pour faux ou frauduleux40. Dès 1049, Pierre Damien dénonce ainsi dans son Liber Gomorrhianus, dédié à Léon IX, les « fables mêlées aux saints canons, dont, par une vaine présomption, des hommes perdus de vices ne craignent pas d’invoquer l’autorité41… ». Le cardinal Atton déclare dans sa préface à sa collection canonique (vers 1075) qu’il n’a retenu comme authentique que les écrits confirmés par le pape (ut non sit scriptum authenticum quod a summo pontifice non fuerit confirmatum), un principe réaffirmé par Deusdedit dans le prologue de sa propre collection, dédiée à Victor III (vers 1083-1087)42. Grégoire VII lui-même aimait souligner le caractère « authentique » des canons conciliaires auxquels il renvoyait et estimait avoir à purifier l’apostolica traditio des coutumes ajoutées durant les siècles de décadence de la tutelle « germanique » sur l’Église43. Cette entreprise de débusquage des faux permettait en outre à ses auteurs de justifier la réalisation d’une nouvelle collection, alors même que l’essentiel de la matière restait repris à la tradition antérieure. Surtout, elle n’empêcha pas la plupart des nouvelles collections d’en valider en réalité un grand nombre, par incompétence ou par choix, à commencer par les faux pseudo-isidoriens très favorables à l’autorité pontificale44. Car derrière l’argument de la chasse aux apocryphes, le travail d’épuration obéissait également à des logiques idéologiques : les textes descriptifs, en particulier les pénitentiels, étaient écartés au profit des textes prescriptifs45 ; les collections les plus radicales rejetaient les textes législatifs laïcs, en particulier les extraits du Code Théodosien et les capitulaires des souverains carolingiens46, mais également les lettres, les statuts ou les traités épiscopaux, au motif que les évêques n’exercent de pouvoir législatif qu’en concile – quand les conciles eux-mêmes n’étaient considérés comme généraux que s’ils avaient été confirmés par le pape47.
15La seconde dimension de l’établissement d’une vérité canonique résidait dans la hiérarchisation des autorités retenues et reconnues comme légitimes, notamment pour parer aux contradictions qui ne pouvaient manquer de surgir entre elles. À ce sujet, on peut schématiquement distinguer trois attitudes parmi les réformateurs. Une première voie, la plus originale mais la plus isolée, figure chez Bernold de Constance, qui propose de confier le soin de hiérarchiser les autorités scripturaires à l’exégèse48. Une deuxième voie, bien plus répandue, accorde la primauté aux Écritures dans leur ensemble et sans hiérarchie interne, tout en complétant les textes bibliques par les canons des quatre premiers conciles œcuméniques et par les écrits des papes. Un tel corpus ne garantissait en rien le consensus, car des contradictions avaient tôt fait d’apparaître aussi bien au sein des Écritures que dans les écrits des papes, jusqu’aux plus récents, comme en témoignent, parmi beaucoup d’autres, les critiques de Grégoire VII envers Alexandre II ou celles du cardinal Deusdedit contre Nicolas II. Les controverses entre partisans du pape et partisans de l’empereur devinrent d’ailleurs, on le sait, le terrain privilégié de tels conflits d’autorité. Il suffit d’évoquer l’exemple bien connu de la rencontre de Gerstungen, en 1085, où tous les participants s’entendirent sur le fait que l’établissement de la vérité devait se fonder, à l’exclusion des décrets des premiers conciles et des lettres des papes, sur les seules Écritures, avant de se déchirer sur l’usage qu’il convenait de faire de celles-ci49.
16Une troisième voie, illustrée notamment par Yves de Chartres, empruntait un chemin plus ecclésiologique. Pour l’évêque français, le principe d’unité ne se trouvait pas dans les autorités elles-mêmes, quelles qu’elles soient, puisque les discordances y sont trop fréquentes, mais dans le discernement des ministres de Dieu entre ces multiples autorités également tenues pour légitimes. L’établissement de la vérité était alors déporté du corpus lui-même à ses interprètes privilégiés que sont les évêques, confesseurs et dispensateurs de sacrements50. La capacité à discerner la vérité devint en quelque sorte la science des pasteurs. Si l’on suit l’argumentaire de la Panormia, ces pasteurs étaient plus précisément appelés à distinguer deux niveaux de vérité. Le premier niveau relève de la justicia transcendante et universelle et renvoie à toutes les questions de foi où le salut est en jeu. Le second niveau relève de la necessitas temporis ou de l’utilitas : la recherche de la vérité est alors contingente et doit s’adapter aux circonstances51. Comme le déclare Yves de Chartres dans une lettre adressée au légat Hugues de Die à propos d’une affaire de respect des interdits de parenté en matière matrimoniale, « il n’est pas dangereux que parfois se relâche la rigueur des canons lorsqu’on satisfait aux besoins d’un grand nombre52 ». Le recours à la notion d’utilitas n’était pas propre à Yves de Chartres : on la retrouve chez d’autres réformateurs, même plus radicaux comme Bernold de Constance ou Geoffroy de Vendôme, ainsi déjà que chez Grégoire VII lui-même53, mais elle était bien plus souvent utilisée, en association avec la notion de ratio54, pour résoudre une contradiction entre deux canons d’autorité équivalente que pour hiérarchiser deux niveaux de vérité55. Chez Yves, cette distinction semble avoir revêtu une portée théologique plus remarquable, en permettant de concilier les deux attributs du Dieu-juge que l’Église – et en particulier l’évêque et le pape – devait reprendre à son compte : la justice, au sens de rigueur, et l’amour, au sens de charité. Lorsqu’il agissait dans le champ de la necessitas temporis, l’évêque était ainsi amené à se fonder sur la loi évangélique et à faire preuve de misericordia.
17À cette volonté d’unifier la loi et de trouver les moyens adéquats d’en résoudre les éventuelles contradictions s’ajoute l’ambition d’utiliser la norme juridique pour transformer les comportements au nom d’une vérité supérieure absolue. On peut à ce propos prendre l’exemple de la norme matrimoniale, qui a récemment fait l’objet d’intéressantes études de la part de Patrick Corbet et Laurent Jégou56. On sait qu’entre 900 et 1050 le monde germanique fut le foyer d’une abondante production canonique sur les interdits de parenté en matière matrimoniale (Réginon de Prüm, Burchard de Worms, la Collection en 12 parties…), qui élargit notamment l’étendue de la parenté illicite du 4e degré, règle qui avait cours à l’époque de Raban Maur et pouvait se revendiquer de l’autorité de Grégoire le Grand, au 7e degré, nouvelle règle défendue par Burchard. Le respect de ces interdits relevait de l’autorité épiscopale. Or l’étude du comportement des évêques dans un certain nombre d’affaires révèle de leur part deux attitudes opposées : certains ont cherché à appliquer rigoureusement la norme, quand d’autres, au contraire, ont préféré l’ignorer ou la relativiser. Le plus remarquable est que ces deux attitudes se sont généralement appuyées l’une et l’autre sur une justification normative : la législation canonique en matière d’interdits, dans toutes ses nuances, pour la première ; l’argument de la défense de la paix pour la seconde. Laurent Jégou analyse cette différence d’attitude des évêques en opposant les « fondamentalistes » aux « réalpoliticiens57 ». Il me semble préférable d’y voir un conflit de normes, car l’idéologie de paix pouvait s’appuyer sur un corpus normatif tout aussi important et plus ancien que celui concernant les interdits de parenté. Toutefois, le plus intéressant pour notre propos réside dans le fait que ces affaires sont l’occasion de l’élaboration d’un argumentaire radical qui prétend de plus en plus incarner l’entière vérité de la cause. On peut en trouver une belle illustration chez Sigefroid, abbé de Gorze (1031-1055), qui condamne fermement les 28 évêques ayant accepté le mariage de l’empereur Henri III avec Agnès, fille de Guillaume V comte de Poitiers, en 1043. Pour cela, Sigefroid s’appuie sur une reconstitution généalogique et sur une réfutation théologique. Celle-ci se déroule en trois temps : tout d’abord, Sigefroid dénonce dans cette union un acte d’impiété mettant en cause le salut des deux époux ; ensuite, dans une véritable surenchère rigoriste, il s’en prend vigoureusement à l’Église épiscopale accusée de « fausse doctrine » et d’une excessive mansuétude à l’égard des « hérétiques » ; enfin, il dénonce l’argument de paix au motif qu’il s’agirait d’une paix des hommes et non de la paix de Dieu58. On le voit, le respect de la norme éthique est ici érigé en véritable doctrine de salut et l’argumentaire juridique s’appuie sur une conception de la vérité théologique. Les réformateurs grégoriens, qui accroissent le corpus normatif en matière d’interdits de parenté de manière notable (extension au champ de l’affinité, élaboration des règles de publication des bans et de dispense canonique), viennent clairement s’inscrire dans le prolongement de cette position, désormais prise en charge officiellement par la papauté et ses représentants.
18Cette question bien connue du respect des interdits de parenté s’inscrit dans le contexte plus large d’une sotériologie qui se déploie de plus en plus dans le champ d’une éthique universelle (à commencer par l’éthique imposée au clergé lui-même) et confère à l’application rigoureuse des mêmes normes comportementales un sens à la fois eschatologique – la mise en conformité du clergé et du peuple chrétien prépare l’avènement de la fin des temps – et ecclésiologique – cette mise en conformité est indispensable à l’unité ou à la communion de l’institution ecclésiale. La norme peut alors être considérée comme doublement absolue : en ses énoncés, qui constituent la seule bonne doctrine, et en ses énonciateurs, la papauté et ceux qui parlent en son nom.
19Entre cette absolutisation de la norme, qui relève d’une tendance de fond de la réforme « grégorienne » et rejoint l’idée d’une vérité absolue et universelle portée par certains argumentaires judiciaires évoqués plus haut, et la prise en considération de la necessitas temporis défendue par Yves de Chartres, l’équilibre n’était pas toujours évident à trouver et une relative diversité pouvait toujours se faire entendre. Mais il ne faudrait pas pour autant considérer cette diversité comme un retour à la situation antérieure à la réforme car, entre-temps, d’une part le niveau d’universalité et d’uniformité de la norme ecclésiale s’est notablement élevé, d’autre part la prérogative juridictionnelle de la papauté s’est considérablement étendue.
Vérité et coutume : retour sur une opposition
Les usages grégoriens d’une formule patristique
20Dans une lettre d’admonition très probablement due à Grégoire VII59 et adressée à Guimond, futur évêque d’Aversa60, le pape aurait donc déclaré, en une formule frappante glosant l’Évangile de Jean (Jn 14, 6) : « Jésus n’a pas dit : “Je suis la coutume”, mais “Je suis la vérité” », justifiant ainsi la nécessaire abolition des coutumes jugées non canoniques. On ignore le contexte précis de cette lettre tout autant que la nature exacte des coutumes incriminées, mais Gerhart Ladner a fait l’hypothèse qu’elle avait pu être envoyée à Guimond à l’occasion de l’assemblée de Forchheim (mars 1077), alors que les légats de Grégoire VII défendaient contre l’empereur Henri IV la supériorité de la vérité sur la coutume61. Le thème circulait en effet dans les milieux grégoriens, comme l’atteste une allusion de Bernold de Constance à propos du concile de Rome de 107462.
21L’opposition entre coutume et vérité est issue de la tradition patristique. La lettre à Guimond cite explicitement Cyprien, évêque de Carthage (249-258)63. Ce dernier attribue la formule à l’évêque Libosus, qui l’aurait prononcé lors du concile de Carthage le 1er septembre 256 : In evangelio Dominus [dixit] : « Ego sum, inquit, veritas ». Non dixit : « Ego sum consuetudo ». Itaque veritate manifestata cedat consuetudo veritati64… Cyprien la reprend ensuite à son compte, sous une forme légèrement différente, dans plusieurs de ses lettres65, de même qu’Augustin dans son traité polémique contre les donatistes à propos du baptême66. Comme l’a montré Gerhart Ladner, le premier à avoir formulé une telle opposition est cependant Tertullien, dans son traité sur Le voile des vierges, dont Libosus et Cyprien semblent bien s’être inspirés67.
22Cette opposition connaît un succès certain auprès des réformateurs grégoriens et chez leurs héritiers. Urbain II l’utilise dans une lettre adressée au comte de Flandre en 1092 pour exhorter ce prince à respecter la libertas ecclesiae, sans que l’on puisse déterminer s’il s’inspire ici de Grégoire VII ou directement d’un Père de l’Église, Cyprien ou Augustin68. Les réformateurs de l’ouest de la France y recourent plus souvent qu’ailleurs69. Geoffroy, abbé de La Trinité de Vendôme, s’en sert pour dénoncer les mauvaises coutumes monastiques ou l’investiture laïque70. Yves de Chartres reprend la lettre de Grégoire VII dans son Décret (après 1093), dans la Panormia (après 1095) et dans la Tripartita (avant 1100)71. Hildebert, évêque du Mans (1097-1125), l’utilise dans deux de ses lettres pour inciter clercs réguliers et clercs séculiers à la discipline et pour dénoncer la transmission héréditaire des offices et prébendes au sein des chapitres cathédraux72. Pierre Abélard l’emploie à trois reprises dans sa correspondance avec Héloïse ou Bernard de Clairvaux pour dénoncer les mauvaises coutumes monastiques73. On retrouve également la formule dans plusieurs collections juridiques de la fin du xie siècle ou de la première moitié du xiie siècle, qu’elles soient canoniques, comme la collection du cardinal Grégoire de Saint-Chrysogone (Polycarpus), vers 1104-111374, ou civiles, comme le Liber Tubingensis, composé dans les années 1130-114075, ou Lo Codi, dont la première compilation date du milieu du xiie siècle76. Mais c’est la reprise de la lettre de Grégoire VII dans le Décret de Gratien, à trois entrées différentes, qui assure définitivement la postérité de la formule dans le droit canonique77. C’est ainsi qu’elle sera notamment reprise dans la seconde moitié du xiie siècle par le pape Alexandre III78 et par les partisans de Thomas Becket79.
23Issue des Sententiae episcoporum du concile de Carthage, la formule est considérée comme une sentencia. Mais comme celle-ci est directement liée à une parole du Christ, elle traduit une conception de la vérité assimilée à Dieu lui-même et opposée à la coutume des hommes et du monde. Dans ce cadre, elle fonctionne comme argument d’autorité à la charnière de la théologie et du droit, de l’énoncé doctrinal et de l’exercice d’une juridiction, que cet exercice soit le fait d’un abbé ou plus souvent d’un évêque, ou plus souvent encore du pape lui-même. Comme tout argument d’autorité fondée sur les Écritures, il s’agit d’une formule légitimante appelée à soutenir un discours. En l’occurrence, ce discours est d’abord moral et disciplinaire et destiné en premier lieu à l’institution ecclésiale elle-même, qu’il s’agisse de lutter contre la simonie ou le concubinage des prêtres. Mais ce discours peut prendre une tournure plus politique à l’égard des laïcs, lorsque sont dénoncées des « mauvaises coutumes » seigneuriales dont la nature exacte n’est pas toujours facile à apprécier ou des coutumes plus régaliennes comme le droit de dépouille80 ou l’investiture laïque81. La formule vise également à légitimer la possibilité du changement dans l’ecclesia ou la societas christiana à l’aune de la vérité. En cela, elle valide la légitimité d’une certaine nouveauté, quand bien même celle-ci ne s’avoue jamais comme telle et préfère se présenter comme une restauration, un retour à une vérité première, originelle, corrompue par l’accumulation des mauvais usages postérieurs, dans le cadre d’une rhétorique classique de la réforme à laquelle les grégoriens recourent largement82. À ce titre, il n’est pas inintéressant de constater que cette formule patristique réapparaît avec Grégoire VII, dont les Dictatus pape proclament justement la capacité de la papauté à produire des lois nouvelles en cas de nécessité83.
24Car il y a une véritable rupture concernant l’usage de la formule entre les temps antiques et l’âge grégorien. Chez Tertullien, Cyprien et Augustin, la formule vise à établir clairement l’opposition entre une vérité du monde qui relève de la consuetudo et une vérité de Dieu qui relève de la veritas, seule véritable vérité, si l’on ose dire, puisqu’elle dit à la fois l’identité de Dieu et le salut offert à l’homme. La formule a d’abord une finalité sotériologique ou eschatologique et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle a été utilisée dans le cadre des polémiques doctrinales sur le baptême. Avec Grégoire VII et ses épigones, cette opposition fondamentale demeure, mais elle est précisée et enrichie par son enracinement dans le temps et dans l’espace de la chrétienté. La coutume est dénoncée à la fois comme un héritage du monde, trace d’un passé dont il faut se défaire – en cela elle s’oppose à la traditio, figure du bon legs qu’il faut conserver84 –, et comme un particularisme du monde, renvoyant à la pluralité des usages locaux menaçant l’unité de la chrétienté, que ceux-ci soient le fait des laïcs ou des clercs. Ce nouvel usage de la formule véhicule ainsi une opposition entre des églises locales régulées par des pratiques coutumières porteuses de division et une Église universelle régie par la vérité85, dont les promoteurs sont le pape et ses représentants, considérés, de quelque ordre qu’ils soient, comme supérieurs à toute autorité locale86. Dans ce cadre, même si la perspective eschatologique reste présente, cet horizon est profondément enraciné dans le présent, c’est-à-dire dans la préparation, ici et maintenant, des conditions de son avènement. L’opposition entre coutume et vérité apparaît dès lors comme un instrument de justification de l’Église militante et du rôle supérieur du pape.
Veritas et consuetudo dans les lettres de Grégoire VII
25Pour mieux resituer la lettre de Grégoire VII à Guimond d’Aversa dans son contexte, il n’est pas inutile d’examiner de manière systématique l’usage des termes veritas et consuetudo dans l’ensemble de la correspondance de Grégoire VII. Grâce aux neuf livres du Registrum de Grégoire VII nous avons connaissance de 362 lettres de ce pape87, auxquelles on peut ajouter 65 epistolae vagantes. Grégoire VII utilise le terme veritas dans 54 de ces 427 lettres, soit entre une lettre sur sept et une lettre sur huit, ce qui est assez remarquable. Veritas est par ailleurs aussi employé à plusieurs reprises dans les actes des conciles romains de février et novembre 1078, février 1079 et mars 108088. Consuetudo est plus rare et n’apparaît que dans 15 lettres.
26Les sens et usages de veritas peuvent être répartis en sept catégories (tabl. 1). Deux usages dominent nettement. L’usage le plus fréquent apparaît de manière peu originale à l’occasion d’affaires judiciaires et renvoie à la recherche ou à l’établissement des faits, confié à des arbitres, prélats ou légats, parfois le pape lui-même. Cet usage concerne pour l’essentiel des contentieux institutionnels (nature des relations entre évêques et abbayes, statut archiépiscopal du siège de Dol, installation difficile d’un nouvel évêque), seigneuriaux (disputes au sujet de dîmes, de domaines fonciers), disciplinaires (rupture injustifiée des liens du mariage, affaires de simonie ou de concubinage de prêtres, levées d’excommunication) ou un peu tout cela à la fois (enquête sur les iniquitates commises par tel ou tel). Le deuxième type d’occurrences de veritas le plus fréquent renvoie à un usage beaucoup plus général, idéologique et polémique. La vérité correspond alors à ce que le pape défend ou entend promouvoir en matière de réforme disciplinaire, morale et politique. Cet usage est presque aussi courant que le précédent, mais figure dans moins de lettres (18 seulement), car certaines d’entre elles, comme la lettre du 15 mars 1081 adressée à l’évêque Hermann de Metz89, constituent de véritables petits traités et y font plusieurs fois référence. Cet usage général et idéologique est également celui que font de veritas les actes du concile romain du 7 mars 1080. Un troisième usage, hérité de la tradition, est assez répandu : celui où vérité signifie le Christ lui-même (ou Dieu, ou exceptionnellement un prophète) dans la bouche duquel est mise une parole évangélique, une sententia qui a valeur d’auctoritas90. Les quatre autres usages sont beaucoup plus rares, renvoyant à des expressions toutes faites, à la controverse bérengérienne sur l’eucharistie ou, dans des lettres à destination des princes ibériques, à la religion chrétienne opposée à l’islam.
Sens de veritas | Nombre d’occurrences | Nombre de lettres (ou de recueil d’actes conciliaires) où ces occurrences apparaissent |
Vérité des faits dans un contentieux, vérité à établir à l’occasion d’une enquête ou d’un jugement | 30 | 26a |
Action ou programme de la papauté en matière disciplinaire, morale ou politique | 26 | 19b |
Nom du Christ (ou d’un prophète) | 13 | 12c |
Religion ou foi chrétienne (par opposition au paganisme ou à l’islam) | 3 | 3d |
Expression évangélique « en vérité, je vous le dis » | 1 | 1e |
Expression « dire la vérité » | 1 | 1f |
Vérité de la nature corporelle de l’eucharistie (contexte de la querelle bérengérienne) | 1 | 1g |
a) Reg., op. cit., I, 6, 39, 45, 48, 51, 73, 78, 82 ; II, 4, 9, 10, 17, 30, 53, 63 ; IV, 13, 20 ; V, 7, 14, 14a ; VI, 6, 23 ; VIII, 20 ; IX, 28 ; Ep. Vag., op. cit., 22, 64. b) Reg., op. cit., I, 11 ; II, 11, 12, 60 ; III, 10, 11 ; IV, 28 ; VI, 17 ; VII, 2, 6, 14a ; VIII, 2, 21 ; IX, 2, 10 ; Ep. Vag., op. cit., 14, 31, 34, 48. c) Reg., op. cit., I, 15, 17, 48, 70 ; II, 71, 73 ; V, 5 ; VI, 5b ; VI, 13 ; VII, 14a ; IX, 28 ; Ep. Vag., op. cit., 26. d) Reg., op. cit., I, 23 ; IV, 28 ; IX, 14. e) Ibid., II, 9. f) Ibid., IV, 12. g) Ibid., VI, 17a. |
27Le deuxième usage de veritas est celui qui présente le plus d’intérêt pour notre propos. Il n’est pas inintéressant de remarquer qu’à la différence de l’ensemble du corpus épistolaire de Grégoire VII, dominé par les destinataires ecclésiastiques, les lettres qui emploient veritas en ce sens s’adressent presque autant à des grands laïcs (7 cas sur 1991) qu’à des clercs (9 cas92), deux lettres s’adressant à la fois à des laïcs et des clercs93 : à l’évidence, cet usage prend place dans la pastorale de la réforme à l’intention des puissants laïcs. La plupart du temps, le pape y recourt au sein d’un discours général où sa volonté et l’action de ses légats sont tenues pour l’expression de la vérité et où celle-ci est opposée tantôt à l’erreur, tantôt et plus souvent à l’injustice. De fait, la veritas est étroitement associée à la justicia, cette notion que redéfinit Grégoire VII et qui récapitule l’essentiel de la réforme qu’il promeut94. On ne s’étonnera pas que Grégoire VII manifeste à plusieurs reprises la conviction de la justesse de son combat et sa certitude de détenir la vérité et d’agir à son service. Dans la lettre qu’il adresse à Rodolphe de Souabe, compétiteur d’Henri IV à la royauté, et à ses soutiens en mars-avril 1079, il déclare ainsi sans ambage : « Je peux distinguer, par le jugement du Saint-Esprit, la vraie et la fausse justice, la droite et la feinte obéissance, et, selon l’ordre de la raison, mener l’affaire jusqu’à son terme95. »
28Lorsque veritas est utilisé à propos d’un objet plus précis, celui-ci renvoie toujours aux mots d’ordre de la réforme, qu’il s’agisse de la lutte contre « l’hérésie simoniaque96 » ou dans une moindre mesure le concubinage des prêtres, ou qu’il s’agisse du conflit avec Henri IV au sujet des investitures épiscopales, de l’excommunication de l’empereur ou de la fidélité de ses vassaux. La dimension prescriptive du discours est alors tout à fait nette – agir conformément à la vérité, c’est tout simplement se conformer aux injonctions pontificales –, de même que sa dimension polémique, comme l’attestent deux formules assez rares (respectivement trois et quatre occurrences), mais significatives : celle qui désigne les supporteurs du pape comme les « amoureux », les « défenseurs » ou les « disciples » de la vérité97 », une formule qui fait écho à la traditionnelle dénonciation des « méchants » comme « ennemis de la vérité » reprise par les chroniqueurs grégoriens98 ; et celle qui oppose la « voie de la vérité » conduisant au salut à la voie de l’iniquité et de l’injustice conduisant à la damnation99. Dans une lettre qu’il adresse à l’archevêque de Tours Raoul en mars 1082, Grégoire VII oppose explicitement la vérité qui vient du ciel à la réalité du monde et recourt pour cela aux Moralia in Job de Grégoire le Grand – la seule autorité non biblique qu’il cite lorsqu’il évoque la veritas100 :
En effet, celui qui ne souhaite pas dès maintenant défendre de bon gré la vérité est empli de peur en son cœur et redoute la colère du pouvoir humain ; et comme sur terre il choisit l’homme contre la vérité, il encourra au ciel la colère de la vérité à laquelle il s’est opposé101.
29Cette dramatisation a bien été perçue et relayée par le moine Bruno qui, après avoir recopié la lettre de Grégoire VII à l’évêque Hermann de Metz dans son De Bello Saxonico, ajoute cette admonition de son cru renvoyant au même passage de Grégoire le Grand : Ammonemus vos fratres et coepiscopos nostros, ne faciem principum trepidantes veritatem eis dicere timeatis incurrentes illud Gregorii : « Cum in terra hominem contra veritatem quilibet pavet, eiusdem veritatis iram coelitus sustinet102. » Chez Grégoire VII comme chez Bruno, et par le truchement de l’autorité de Grégoire le Grand, les usages du monde sont clairement opposés à la vérité divine, les uns relèvent de Satan, les autres du Christ103.
30Ces usages relèvent clairement de la consuetudo. En effet, même si, hormis la lettre à Guimond, il n’y a guère que deux autres lettres de Grégoire VII où la coutume, néfaste et associée au péché ou au monde, est explicitement opposée à la vérité104, la coutume est globalement perçue sous sa plume comme négative (tabl. 2). Seules quatre lettres l’emploient dans un sens positif et dans trois cas pour évoquer un usage liturgique ou pastoral de la « sainte Église romaine ». Les onze autres lettres qui y font référence associent la ou les coutume(s) à des usages « séculiers » et les opposent, sinon à la veritas, du moins à la libertas sancte ecclesie105, aux statuta sanctorum patrum106 ou à la vera fides107. Dans sa lettre-testament, Grégoire VII dénonce ainsi à deux reprises la « détestable » et « mauvaise coutume », qu’il oppose à la « loi divine108 ». La dénonciation est parfois plus précise et vise la vente des dignités ecclésiastiques et des prébendes canoniales, le crimen fornicationis ou la symoniaca heresis ou encore l’investiture laïque109. Dans la célèbre lettre adressée en 1077 au clergé et au peuple d’Aquilée, Grégoire VII affirme clairement la supériorité de la loi et de la vérité sur la coutume. C’est en effet sur la veritatis sententia, c’est-à-dire sur le Christ lui-même, que doit se fonder l’élection canonique de l’évêque, et non sur les hommes, dont la « néfaste » coutume a « corrompu » l’Église et l’a plongée dans le péché110.
Sens de consuetudo | Nombre d’occurrences | Nombre de lettres où ces occurrences apparaissent |
Mauvaise coutume (mala, execranda, nefanda, pestifera, prava, pessima, detestabila)Dont nouvelle coutume (nova, noves) | 12(2) | 11a(2) |
Bonne coutumeDont coutume de l’Église romaine | 6(3) | 4b(3) |
a) Reg., op. cit., I, 81 ; II, 5, 45, 61 ; III, 10 ; IV, 3, 13 ; V, 5 ; VII, 19, 21 ; Ep. Vag., op. cit., 54. b) Reg., op. cit., I, 54, 73 ; II, 75 ; V, 17. |
Conclusion
31À l’issue de ce rapide parcours, il apparaît que s’agissant de la conception et des usages de la vérité le moment grégorien constitue bien un moment singulier et cela à deux titres. D’une part, parce qu’il promeut une forme d’absolutisation de la vérité. Pour Grégoire VII, Deusdedit, Geoffroy de Vendôme, Richard de Saint-Victor et bien d’autres, la vérité n’a de sens que de manière absolue et universelle : elle doit habiter l’ecclesia ou la societas christiana dans sa totalité111. D’autre part, parce que ce moment favorise l’affirmation d’une nouvelle vérité que je désignerais faute de mieux, au regard de la formalisation de ses affirmations, comme idéologique. Jusque-là, le terme veritas pouvait schématiquement signifier deux choses : soit il s’agissait d’une simple hypostase du Christ (la Vérité) ou de la religion chrétienne (la vera fides), soit il s’agissait de la mise au jour de la « vérité des faits » (ce que l’on tenait pour tel), notamment dans les contextes judiciaires. Désormais, dans la bouche des grégoriens, la veritas renvoie avant tout, de manière à la fois plus explicite et plus circonscrite, aux principes, aux lois ou à la doctrina de la papauté réformatrice et de la « sainte Église romaine », lesquels peuvent s’incarner dans des prescriptions particulières (la lutte contre l’« hérésie simoniaque » ou en faveur de la chasteté du clergé) ou viser un idéal ecclésial et social (la justicia, la libertas)112. Cette redéfinition de la vérité qui en fait un instrument de l’autorité de l’institution ecclésiale en général et du pape en particulier figure au cœur du combat grégorien pour l’établissement d’une nouvelle « hégémonie culturelle » aux dépens des coutumes seigneuriales et de l’idéologie impériale.
32Cette double inflexion (absolutisation et idéologisation) explique la détermination des grégoriens à faire en sorte que tout processus conflictuel, qu’il s’agisse de conflits seigneuriaux locaux ou des grands affrontements avec les rois et les princes, soit l’occasion d’une manifestation de la vérité. Le conflit est clairement conçu comme vecteur de vérité. À ce titre, il n’est pas considéré comme entièrement destructeur, même lorsqu’il déchire l’Église : à l’image de la controverse bérengérienne sur la doctrine eucharistique, il apparaît comme l’occasion à la fois d’un affûtage des arguments et de l’établissement de la vérité. Comme l’affirme Anselme de Lucques dans sa Collection canonique, en renvoyant à une lettre d’Innocent Ier, « la vérité est souvent rendue plus claire et plus évidente à travers le conflit113 ».
33Il reste que l’hégémonie culturelle grégorienne ne s’impose pas facilement et que coexistent plutôt plusieurs « régimes de vérité114 ». Un premier régime continue de renvoyer à des vérités singulières rapportées à chaque configuration conflictuelle particulière. Il s’agit en somme de la vérité des droits revendiqués par chacun ou d’une vérité manifestée a posteriori par la résolution du conflit – quand bien même celle-ci serait rejetée par l’une des parties – et dont l’objet est avant tout le maintien de la paix. Un second régime renvoie à la vérité absolue et universelle, la vérité du salut, la vérité de la justicia, qui entend imposer sa nécessaire antériorité. Cette vérité sert l’affirmation idéologique – les clercs en sont les dépositaires exclusifs – et ecclésiologique – c’est seulement à travers la médiation cléricale que l’on accède à la vérité – d’une institution qui entend s’extraire de la société pour mieux la dominer. Cette affirmation n’a pas pour terrain privilégié le champ judiciaire – le moment grégorien ne connaît nulle révolution de procédure –, mais le champ politique et canonique, c’est-à-dire le gouvernement de la chrétienté. Cette affirmation, enfin, se cristallise sur l’exaltation de l’autorité du pape qui, en tant que « docteur de la vérité » (doctor veritatis) – une appellation reprise des décrétales Pseudo-Isidoriennes115 – se voit revêtu de la majesté de Dieu lui-même, comme le souligne de nouveau Anselme de Lucques en une formule lapidaire reprise d’une décrétale du Pseudo-Clément : « Celui qui offense le docteur de la vérité, le pape, offense aussi Dieu le Père et en faisant cela il perd la vie116. »
34L’histoire n’en est pas pour autant finie, car on sait qu’aux xiie et xiiie siècles, en dépit de l’essor des idées hiérocratiques, cette confusion entre Dieu, le pape et la vérité sera questionnée par la scolastique et qu’il se trouvera des théologiens et des canonistes pour tenter d’imposer l’idée que la papauté, toute puissante soit-elle, devait nécessairement recourir à la scientia ou à la ratio des docteurs117.
Notes de bas de page
1 G. Ladner, « Two Gregorian Letters. On the Sources and Nature of Gregory VII’s Reform Ideology », Studi Gregoriani, 5, 1956, p. 225-242. Cf. infra.
2 Cf. note 83.
3 1) Libertas : G. Tellenbach, Libertas : Kirche und Weltordnung im Zeitalter des Investiturstreites, Stuttgart, Kohlhammer, 1936 ; B. Szabo-Bechstein, Libertas Ecclesiae : ein Schlüsselbegriff des Investiturstreits und seine Vorgeschichte, 4-11 Jahrhundert, Rome, Ateneo Salesiano, 1985 ; 2) Justitia : W. Ulmann, The Growth of Papal Government in the Middle Ages. A Study in the Ideological Relation of Clerical to Lay Power, Londres, Methuen, 1955, p. 273-289 (la justitia comme norme éthique, comme « idée nomologique » et comme horizon eschatologique) ; I. S. Robinson, Authority and Resistance in the Investiture Contest. The Polemical Literature of the Late Eleventh Century, Manchester, Manchester University Press, 1978, p. 18 ; H. E. J. Cowdrey, Pope Gregory VII, 1073-1085, Oxford, Clarendon Press, 1998, p. 559-560 et 570-572 ; 3) Societas christiana : W. Ulmann, The Growth of Papal Government…, op. cit., p. 271-273 et 276-289 ; 4) Obedientia : ibid., p. 274 ; I. S. Robinson, Authority and Resistance…, op. cit., p. 22-24 ; H. E. J. Cowdrey, Pope Gregory VII…, op. cit., p. 555-558 ; 5) Fidelitas : P. Zerbi, « Il termine “fidelitas” nelle lettere di Gregorio VII », Studi Gregoriani, 3, 1948, p. 129-148 ; H. E. J. Cowdrey, Pope Gregory VII…, op. cit., p. 563-564 ; 6) Utilitas : O. Capitani, « Ecclesia Romana e riforma : “utilitas” in Gregorio VII », dans Chiesa, diritto e ordinamento della societas christiana nei secoli XI e XII. Atti della nona Settimana internazionale di studio (Mendola, 28 agosto-2 settembre 1983), Milan, Vita e pensiero, 1986, p. 26-66.
4 G. Ladner, « Two Gregorian Letters… », art. cité.
5 D’autres terrains auraient pu être explorés, en particulier celui de la controverse doctrinale sur l’eucharistie suscitée par les positions de Bérenger de Tours, au cours de laquelle la position réaliste est définitivement reconnue comme la « vérité » du sacrement. Voir J. de Montclos, Lanfranc et Bérenger. La controverse eucharistique du xie siècle, Louvain, Université catholique de Louvain, 1971 ; Auctoritas und Ratio. Studien zu Berengar von Tours, Wiesbaden, Harrassowitz, 1990 ; ainsi que les analyses synthétiques de D. Iogna-Prat, La Maison-Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris, Seuil, 2006, p. 450-453, et H. E. J. Cowdrey, Pope Gregory VII…, op cit., p. 496-502.
6 Sur la définition chronologique de la réforme ou du moment grégorien, je me permets de renvoyer à F. Mazel, « Pour une redéfinition de la réforme “grégorienne” », dans M. Fournié, D. Le Blévec, F. Mazel, La réforme « grégorienne » dans le Midi (milieu xie-début xiiie siècle), Toulouse, Privat (Cahiers de Fanjeaux, 48), 2013, p. 9-39.
7 Richard est légat dès avant son accession à l’abbatiat de Saint-Victor de Marseille, en 1078, et le reste jusqu’à la mort de Grégoire VII en 1085. Après une brève suspension sous Victor III, il redevient légat à l’avènement d’Urbain II en 1088. Voir E. Magnani Soares-Christen, Monastères et aristocratie en Provence, milieu xe-début xiie siècle, Münster, Lit, 1999, p. 270-276, et F. Mazel, La noblesse et l’Église en Provence, fin xe-début xive siècle. L’exemple des familles d’Agoult-Simiane, de Baux et de Marseille, Paris, CTHS, 2002, p. 169-194.
8 BNF, Baluze, vol. 392, Languedoc, no 579 (2), original, v. 1120 : éd. dans la base des Chartes originales antérieures à 1121, no 2470 (http://www.cn-telma.fr/originaux/charte2470) : Haec itaque scribo vobis qui post me ad servitium Dei et ecclesie loco meo venturi estis, ut cognoscatis quam male et quam injuste quamque violenter Aimericus predictus ecclesiam et me dominum suum oppresserit, et quomodo illo auferente ecclesia justiciam suam perdiderit, et precor atque obsecro ut quod mea neglegentia vel mollitie de honore perditum est ecclesie, quia mala que mihi inferebantur sustinere non poteram, vestra probitate et rigore recuperetur. Istam enim justiciam habet ecclesia contra Aimericum vel successores ejus quam auditis, et si quis vobis contradixerit, pro certis et veris rationibus ista que hic scripta sunt firmare et defendere, sicut juste vobis judicatum fuerit sine dubio potestis.
9 Dom Devic et Dom Vaissette, Histoire générale de Languedoc, Toulouse, Privat, 1876-1892 [désormais abrégé HGL], t. 5, no 461, c. 860-865 (daté vers l’an 1117). Une traduction française, malheureusement parfois fautive, a été proposée par É. Magnou-Nortier, La société laïque et l’Église dans la province ecclésiastique de Narbonne de la fin du viiie à la fin du xie siècle, Toulouse, Association des publications de l’université de Toulouse – Le Mirail, 1974, p. 639-642.
10 Istam enim justiciam habet ecclesia contra Aimericum vel successores ejus quam auditis, et si quis vobis contradixerit, pro certis et veris rationibus ista que hic scripta sunt firmare et defendere, sicut juste vobis judicatum fuerit sine dubio potestis.
11 De his autem omnibus multos vobis testes enumerare possumus, sicut Arelatensem archiepiscopum Atonem [Aton, archevêque d’Arles, 1115-1128/1129] et Nemausensem episcopum Johannem [Jean, évêque de Nîmes, 1113-1134] et Bernardum Rainardi et Ademarum Narbonenses archidiacones et abbatem Sancti Pauli Ugonem [Hugues, abbé de Saint-Paul de Narbonne, vers 1096] et Gerundensem sacristam Petrum de Saltu et Mironem de Capudstagno et Gaucerannum fratrem ejus et Berengarium Guilelmi et Raimundum Guifredi multosque alios tam clericos quam laicos qui haec omnia videntes et audientes plenissime ac certissime noverunt.
12 HGL, op. cit., t. 5, no 430.
13 Sur ce point, voir É. Magnou-Nortier, La société laïque…, op. cit., p. 558.
14 Richard se présente comme fraudumque et malignitatum terrae ignarus et dénonce la tanta malitia, infamia atque infidelitate d’Aimeric II.
15 …sed confidebam in eo qui fidelis esse debebat aecclesie domine sue, ut veritatem mihi diceret, sicut qui diu omnia fere tenendo et possidendo bene cognoscere poterat. […] Quibus ego respondi, sicut verum erat, me omnino nescire, set si ipse multum vellet, super animam et credentiam illius ponerem qui homo erat aecclesie et meus, et fidelitatem portare mihi debebat et veritatem dicere…
16 Deus namque scit quod ex veritate et pura cordis intentione ista proferimus, et vobis ut in veritate credatis remota omni ambiguitate mendacii fide firma mandamus.
17 …secundum malam consuetudinem terrae…
18 …fraudumque et malignitatum terre…
19 …addens nullum esse in Narbonensi territorio qui partem meam et ecclesiae nec verbis nec factis defendere auderet…
20 …in ejusdem aecclesia regimen a domno apostolico illius temporis Paschali II° communi totius cleri et populi consilio ac peticione promotus sum…
21 H. Débax, La féodalité languedocienne, xie-xiie siècles. Serments, hommages et fiefs dans le Languedoc des Trencavel, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2003, chap. 5 et notamment p. 266-267.
22 H. Couderc-Barraud, La violence, l’ordre et la paix. Résoudre les conflits en Gascogne du xie au début du xiiie siècle, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2008, p. 125-128.
23 Sur l’action d’Amat, voir désormais B. Cursente, « L’action des légats. Le cas d’Amat d’Oloron (vers 1073-1101) », dans La réforme « grégorienne » dans le Midi…, op. cit., p. 181-207.
24 Cf. les actes de l’abbaye canoniale Saint-Seurin de Bordeaux (par exemple Cartulaire de l’église collégiale Saint-Seurin de Bordeaux, éd. par J.-A. Brutails, Bordeaux, Gounouilhou, 1897, no 14, v. 1073-1085) ou de l’abbaye Sainte-Croix de Bordeaux (Cartulaire de l’abbaye Sainte-Croix de Bordeaux, éd. par A. Ducaunes-Duval, Bordeaux, Gounouilhou, 1892, no 48, v. 1104).
25 H. Couderc-Barraud, La violence, l’ordre et la paix…, op. cit., p. 297-314.
26 Cartulaire de la cathédrale de Dax. Liber rubeus (xie-xiie siècles), éd. et trad. par G. Pon et J. Cabanot, Dax, Comité d’études sur l’histoire et l’art de la Gascogne, 2004, no 152, qui évoque notamment les testibus legitimis, cum electis et sufficientibus testibus, le serment de vérité et les preuves écrites (qui n’empêchent pas les Dacquois de dénoncer la falsissima Amati querimonia que vere nulla erat). Sur ce conflit, voir F. Mazel, « Cujus dominus, ejus episcopatus ? Pouvoirs seigneuriaux et territoires diocésains (xe-xiiie siècle) », dans F. Mazel (dir.), L’espace du diocèse. Genèse d’un territoire dans l’Occident médiéval (ve-xiiie siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 213-252.
27 Le premier serment de vérité est attesté vers 1107-1118 (mais ne se répand qu’après 1150), la première procédure par enquête date des environs de 1140. Cf. H. Couderc-Barraud, La violence, l’ordre et la paix…, op. cit., p. 302-303.
28 B. Lemesle, Conflits et justice au Moyen Âge. Normes, loi et résolution des conflits en Anjou aux xie et xiie siècles, Paris, Presses universitaires de France, 2008.
29 Les premiers témoins « idoines… dignes de foi » sont attestées en 1139, les premiers serments promissoires en 1129 et 1143, les premières enquêtes vers 1130-1132. Ces innovations ne sont pas toujours explicitement corrélées à la recherche de vérité (B. Lemesle, Conflits et justice…, op. cit., p. 202). La première référence à la procédure romano-canonique date de 1156, mais celle-ci reste exceptionnelle avant le xiiie siècle (ibid., p. 275).
30 Ulger recourt clairement à des arguments issus du droit romain, vraisemblablement sous l’influence de juristes italiens (ibid., p. 266).
31 Ibid., p. 248-267.
32 En dernier lieu : ibid., p. 157-181.
33 B. Lemesle, Conflits et justice…, op. cit., p. 166-167.
34 P. Fournier, « Un tournant de l’histoire du droit, 1060-1140 », Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 40, 1917, p. 129-180. Dans le même sens, voir également J. Gilchrist, « Gregory VII and the Juristic Sources of his Ideology », Studia Gratiana, 12, 1967, p. 1-37, et R. Knox, « Finding the Law : Developments in Canon Law during the Gregorian Reform », Studi Gregoriani, 9, p. 421-466.
35 G. Giordanengo, « Auctoritates et auctores dans les collections canoniques (1050-1140) », dans M. Zimmermann (dir.), Auctor et auctoritas : invention et conformisme dans l’écriture médiévale, Paris, École des chartes, 2001, p. 99-129, ici p. 100-101 et 126-129. Voir également le catalogue de L. Kéry, Canonical Collections of the Early Middle Ages (Ca. 400-1140). A Bibliographical Guide to the Manuscripts and Literature, Washington, Carholic University of America Press, 1999, p. 203-294 (qui en recense 70).
36 Voir la mise en perspective de W. Hartmann, « Autoritäten im Kirchenrecht und Autorität des Kirchenrechts in der Salierzeit », dans S. Weinfurter (dir.), Die Salier und das Reich, Sigmaringen, Thorbecke, 1991, p. 425-446.
37 Das Sendhandbuch des Regino von Prüm unter Benutzung der Edition von F. W. H. Wasserschleben, éd. et trad. all. par W. Hartmann, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2004, p. 22 : […] diuersorum patrum diuersa statuta in ordine digessi, lectoris iudicio derelinquens, quid potissimum eligere ac approbare malit. Une traduction anglaise est proposée par R. Somerville, B. C. Brasington, Prefaces to Canon Law Books in Latin Christianity. Selected Translations, 500-1245, New Haven/Londres, Yale University Press, 1998, p. 92.
38 Burchard de Worms, Decretum, éd. par PL, t. 140, c. 499-500 : Inde aestimo evenire maxime, quia mensuram temporis et modum delicti in agenda poenitentia non satis attente, et aperte, et perfecte praefigunt canones pro unoquoque crimine, ut de singulis dicant qualiter unumquodque emendandum sit ; sed magis in arbitrio sacerdotis intelligentis relinquendum statuunt. Quapropter, quia hoc nisi a sapientibus et legis divinae eruditis fieri nequit, rogavit me dilectio tua, ut hunc librum breviter collectum, nunc demum pueris discendum traderem : ut quod nostri cooperatores in maturiore aetate positi nostris diebus, et antecessorum nostrorum tarditate neglexerant, modo aetate teneris, et aliis discere volentibus traderetur (R. Somerville, B. C. Brasington, Prefaces to Canon Law Books…, op. cit., p. 499).
39 D. Jasper, « Burchards Dekret in der Sicht der Gregorianer », dans H. Hartmann (dir.), Bischof Burchard von Worms, 1000-1025, Mayence, Selbsverlag der Gesellschaft für Mittelrheinische Kirchengschichte, 2000, p. 167-198. Une des raisons du succès du Décret de Burchard tient aussi à sa commodité d’usage, puisqu’il organisait la matière canonique de manière thématique ou systématique et non chronologique, contrairement à la plupart des collections du haut Moyen Âge (à commencer par la collection Dyoniso-Hadriana). Cette organisation fut d’ailleurs reprise par la plupart des collections grégoriennes : cf. G. Giordanengo, « Auctoritates et auctores dans les collections canoniques… », art. cité, p. 104-105.
40 H.-W. Goetz, « Fälschung und Verfälschung der Vergangenheit : zum Geschichtsbild der Streitschriften des Investiturstreits », dans Fälschungen im Mittelalter, Hanovre, Hahn, 1988, t. 1, p. 165-188.
41 Pierre Damien, Liber Gomorrhianus, éd. par PL, t. 145, c. 169 : Sed quoniam quaedam naeniae sacris canonibus reperiuntur admistae, in quibus perditi homines vana praesumptione confidunt, ex ipsis aliquas hic apponimus, ut non solum eas, sed et omnes alias sibi similes scriptas, ubicunque repertae fuerint, falsas et omnino apocryphas liquido demonstremus. Traduction française de P. Fournier, « Un tournant de l’histoire du droit… », art. cité, p. 13-14.
42 Atton, Breviarium, dans Attonis cardinalis presbyteri Capitulare seu Breviarium, éd. par A. Mai, Rome, s. n., 1832, p. 60. Deusdedit, Collectio canonum, dans Die Kanonessammlung des Kardinals Deusdedit, éd. par V. Wolf von Glanwell, Paderborn, Schöningh, 1905, p. 1-5. Sur l’écart entre cette affirmation et le contenu de la collection de Deusdedit, cf. P. Fournier, « Un tournant de l’histoire du droit… », art. cité, p. 11-12.
43 Cf., par exemple, la lettre adressée au clercs et aux laïcs de l’évêché de Constance (fin 1075) : The Epistolae Vagantes of Pope Gregory VII, éd. et trad. angl. par H. E. J. Cowdrey, Oxford, Clarendon Press, 1972 [désormais abrégé Ep. Vag.], no 10, p. 22 : nam sic eam nobis evangelice et apostolice littere, autenticarum synodorum decreta et eximiorum doctorum precepta insinuant… Plus globalement : I. S. Robinson, Authority and Resistance…, op. cit., p. 18-19.
44 G. Giordanengo, « Auctoritates et auctores dans les collections canoniques… », art. cité, p. 108-109. L’émulation avec les anti-grégoriens a aussi pu jouer.
45 À l’image du cardinal Atton rejetant un prétendu pénitentiel romain : Atton, Breviarium, op. cit., p. 60-61.
46 Un phénomène encore à peine compensé par la fascination croissante pour le nouveau droit justinien. Voir G. Giordanengo, « Auctoritates et auctores dans les collections canoniques… », art. cité, p. 112-114.
47 Selon un principe énoncé dans les Dictatus Papae : cf. G. Giordanengo, « Auctoritates et auctores dans les collections canoniques… », art. cité, p. 119.
48 P. Fournier, « Un tournant de l’histoire du droit… », art. cité, p. 35-37 ; M. Brett, « Finding the Law : the Sources of Canonical Authority before Gratian », dans Law before Gratian. Law in Western Europe c. 500-1100, Copenhague, DJØF, 2007, p. 51-72, ici p. 59-60. Certains canonistes soulignent la primauté de « la vérité de l’Évangile », ainsi Bonizon de Sutri dans son Liber ad amicum : voir J. Leclercq, « Usages et abus de la Bible au temps de la réforme grégorienne », dans The Bible and Medieval Culture, Louvain, Leuven University Press, 1979, p. 89-108, ici p. 98.
49 M. Brett, « Finding the Law… », art. cité, p. 57-58.
50 M. Brett, « Finding the Law… », art. cité, p. 69-70.
51 D. Bauer, « From Ivo of Chartres to Decretum Gratiani : the Legal Nature of a Political Theology Revolution », dans Law before Gratian…, op. cit., p. 123-139, ici p. 125-132.
52 Yves de Chartres, Correspondance, éd. et trad. fr. par J. Leclercq, Paris, Les Belles Lettres, 1949, no 55, p. 222-227 : Damnose aliquando rigor canonum remittitur ubi multorum utilitati providetur.
53 O. Capitani, « Ecclesia Romana e riforma… », art. cité.
54 Sur cette notion, cf. P. Fournier, « Un tournant de l’histoire du droit… », art. cité, p. 39-40.
55 P. Liesching, « Consuetudo und ratio in Dekret und Panormia des Bischofs Ivo von Chartres », Zeitschrift der Savigny-Stiftung, Kanonistische Abteilung, 74, 1988, p. 535-542.
56 P. Corbet, Autour de Burchard de Worms. L’Église allemande et les interdits de parenté (ixe-xiie siècle), Francfort-sur-le-Main, Klostermann, 2001 ; L. Jégou, L’évêque, juge de paix. L’autorité épiscopale et le règlement des conflits (viiie-xie siècle), Turnhout, Brepols, 2011, p. 435-443 ; id., « Les “règles de l’exception”. Les réactions de l’épiscopat face aux interdits de parenté aux xe et xie siècles », dans M. Nassiet, B. Lemesle (dir.), Valeurs et justice. Écarts et proximités entre société et monde judiciaire du Moyen Âge au xviiie siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 19-36.
57 Ibid., p. 34.
58 M. Parisse, « Sigefroid de Gorze et le mariage du roi Henri II avec Agnès de Poitou (1043) », Revue du Nord, 86, 2004, p. 543-566 (avec l’édition de la lettre de Sigefroid), ici p. 561 : Veram autem ideo diximus, quia et falsam esse pacem non ignoramus.
59 Les plus anciens témoignages de cette lettre figurent dans les collections canoniques d’Yves de Chartres (notamment dans le Decretum, IV, 213, éd. par PL, t. 161, c. 311). Le fait que Guimond ne soit devenu évêque d’Aversa que sous le pontificat d’Urbain II (1088-1099) a conduit certains à la tenir pour une lettre de ce pape faussement attribuée à Grégoire VII. La plupart des historiens s’accordent cependant pour ne voir dans cette erreur de titulature qu’une interpolation d’Yves actualisant le statut du destinataire de la lettre (cf. G. Ladner, « Two Gregorian Letters… », art. cité, qui reprend le point de vue de P. Kehr et C. S. Berardi ; cf. également, dans le même sens, Ep. Vag., op. cit., appendix A, no 67, p. 151, et H. E. J. Cowdrey, Pope Gregory VII…, op. cit., p. 518 ; ainsi que R. Somerville, S. Kuttner, Pope Urban II, the Collectio Britannica and the Council of Melfi [1089], Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 53-55 et 300).
60 Guimond, alias Christianus, ancien moine de La Croix-Saint-Leufroi, en Normandie, était un disciple de Lanfranc du Bec. Il rédigea un De corporis et sanguinis Christi veritate in eucharistia dénonçant la doctrine eucharistique de Bérenger de Tours, qui est sans doute la cause de l’intérêt de Grégoire VII à son endroit. En 1077, il participa au synode de Forchheim aux côtés des légats de Grégoire VII, puis fut capturé avec l’un d’entre eux, Bernard abbé de Saint-Victor de Marseille, par le comte de Lenzburg. Après leur libération, Guimond et Bernard demeurèrent à l’abbaye d’Hirsau plusieurs mois, au cours desquels Bernard réforma les coutumes monastiques de l’abbaye, appelée à devenir l’un des foyers de la réforme grégorienne dans les pays germaniques. Guimond semble être revenu à Rome vers 1078-1079. Cf. G. Ladner, « Two Gregorian Letters… », art. cité, p. 226-231.
61 Ibid., art. cité, p. 230. Sur cette assemblée, cf. en dernier lieu : H. E. J. Cowdrey, Pope Gregory VII…, op. cit., p. 167-175.
62 Bernold de Constance, Apologeticus, 20, dans MGH, SS, Libelli de lite imperatorum et pontificum, éd. par F. Thaner, Hanovre, Hahn, 1892, t. 2, p. 84 : Fortassis autem aliquis dicit cur noster Gregorius tam contraria nostrae consuetudini statuta observari praeceperit, cur non potius nostram consuetudinem quasi misericordi dissimulatione tolerarit…
63 Yves de Chartres, Decretum, IV, 213, éd. par PL, t. 161, c. 311 : Et certe ut beati Cypriani utamur sententia quaelibet consuetudo, quantumvis vetusta, quantumvis vulgata, veritati est omnino postponenda et usus qui veritati est contrarius abolendus. On sait qu’une grande partie des citations de Grégoire VII, des Écritures comme des Pères, n’étaient pas faites verbatim mais constituaient plutôt des réminiscences (cf. H. E. J. Cowdrey, Pope Gregory VII…, op. cit., p. 516), ce qui rend délicate l’appréciation de la source exacte du propos du pape.
64 Cyprien, Opera, dans Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum [désormais abrégé CSEL], éd. par W. Hartel, t. 3/1, Vienne, Tempsky, 1868, p. 433-461, ici p. 448.
65 Cyprien, lettres 71, 73 et 74 (éd. CSEL, op. cit., t. 3/1, p. 742, 772, 787, 796, 801, 802, 806 et 808).
66 Augustin, De baptismo contra Donatistas, 3, 6, dans CSEL, éd. par M. Petschenig, t. 51, Vienne, Tempksy, 1908, p. 203. Comme l’a montré G. Ladner, Augustin cite tantôt Cyprien, tantôt directement Libosus.
67 G. Ladner, « Two Gregorian Letters… », art. cité, p. 233. Tertullien, De virginibus velandis, 1, éd. par PL, t. 2, c. 936 : […] virgines nostras velari oportere […] hoc exigere veritatem cui nemo praescribere potest. Non spatium temporum, non patrocinium personarum, non privilegium regionum. Ex his enim fere consuetudo initium ab aliqua ignorantia vel simplicitate sortita in usum per successionem corroboratur et ita adversus veritatem vindicatur.
68 Giovan Domenico Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, Venise, s. n., 1775, t. 20, p. 745.
69 Sans que l’on puisse toujours déterminer, de nouveau, s’ils l’empruntent à Cyprien, à Augustin, à Tertullien, à un florilège patristique ou à la lettre de Grégoire VII. J. Dalarun a émis l’hypothèse d’une influence prépondérante d’Urbain II (préface à J.-H. Foulon, Église et réforme au Moyen Âge. Papauté, milieux réformateurs et ecclésiologie dans les pays de la Loire au tournant des xie-xiie siècles, Bruxelles, De Boeck, 2008, p. V).
70 Geoffroy de Vendôme, lettres 160, à Yves de Chartres (vers 1097-1115), et 169, à Calixte II (vers 1119-1124), qui constitue un véritable petit traité ; éd. et trad. fr. par G. Giordanengo, Les œuvres de Geoffroy de Vendôme, Paris, CNRS Éditions, 1996, p. 354 et 464.
71 Yves de Chartres, Decretum, IV, 213 et 234, éd. par PL, t. 161, c. 311 et 315 ; Panormia, II, 166, éd. par PL, t. 161, c. 1121. Pour la Tripartita, cf. Ep. Vag., op. cit., appendix A, no 67, p. 151.
72 Hildebert de Lavardin, lettres 15, à un moine-prieur (s. d.), et 29, à Aimery, évêque de Clermont (vers 1119-1125), éd. par PL, t. 171, c. 223 et 251.
73 Pierre Abélard, lettres 5 et 8 (à Héloïse) et 10 (à Bernard de Clairvaux), éd. par PL, t. 178, c. 203, 284 et 338.
74 U. Hosrt, Die Kanonessammlung Polycarpus des Gregor von S. Grisogono, Munich, Monumenta Germaniae Historica, 1980, p. 33, n. 22.
75 Liber Tubingensis, ch. 123 (dénonciation de la consuetudo juris nescia, errore nata, parce qu’elle repugnat multociens veritati), cité par A. Gouron, « Non dixit : Ego sum consuetudo », Zeitschrift der Savigny-Stiftung, Kanonistische Abteilung, 105, 1988, p. 133-140.
76 Ibid.
77 Décret, I, dist. 8, c. 5, 8 et 9, éd. par E. Friedberg, Corpus Iuris Canonici, t. I, Decretum Magistri Gratiani, Leipzig, Tauchnitz, 1879, p. 14 et 15.
78 A. Gouron, « Non dixit : Ego sum consuetudo », art. cité.
79 Summa causae inter regem et Thomam, dans Materials for the History of Thomas Becket, éd. par J. C. Robertson, Londres, Longman, 1879, t. 4, p. 211 ; William FitzStephen, Vita s. Thomae, 35, dans Materials for the History of Thomas Becket, éd. par J. C. Robertson, Londres, Longman, 1877, t. 3, p. 48).
80 C’est la coutume dénoncée dans la lettre d’Urbain II au comte de Flandre : cf. note 68.
81 C’est la coutume dénoncée par Geoffroy de Vendôme : cf. note 70.
82 G. Ladner, « Two Gregorian Letters… », art. cité, p. 236-239.
83 Dictatus papae, VII = Grégoire VII, Registrum, II, 55a, éd. par E. Caspar, Das Register Gregors VII, MGH, Ep. Sel., Berlin, Weidmannsche Buchhandlung, 1920 [désormais abrégé Reg.], t. 1, p. 203 : Quod illi solo licet pro temporis necessitate novas leges condere. La notion de « nécessité du temps » montre que Grégoire VII prétendait agir par souci d’adaptation plus que d’innovation, qu’il entendait rénover la tradition plus que l’abolir (cf. I. S. Robinson, Authority and Resistance…, op. cit., p. 19 ; H. E. J. Cowdrey, Pope Gregory VII…, op. cit., p. 518), ce qui ne l’empêcha pas d’innover vraiment : ibid., p. 519-520.
84 L’autre formule grégorienne est en effet celle du pape Étienne Ier : nihil innovetur nisi quod traditum est. Cf. G. Ladner, « Two Gregorian Letters… », art. cité, p. 234, notes 45 et 46.
85 Cf., par exemple, Bonizon de Sutri : R. Knox, « Finding the Law… », art. cité, p. 463-464.
86 C’est l’argument qui fonde la supériorité de l’office sur l’ordre et donc celle du diacre légat sur l’évêque ou l’archevêque. Cf. ibid., p. 452 (selon Anselme de Lucques et Bonizon de Sutri).
87 Le registre de Grégoire VII comporte quelques autres textes, notamment les décrets des conciles romains de 1078, 1079 et 1080, ainsi que la profession de foi de Bérenger de Tours de 1079. Sur le Registrum de Grégoire VII, cf. O. Blaul, « Studien zum Register Gregors VII », Archiv für Urkundenforschung, 4, 1912, p. 113-228, et R. Morghen, « Ricerche sulla formazione del Registro di Gregorio VII », Bollettino dell’Istituto Storico Italiano, 73, 1962, p. 1-40.
88 Reg., op. cit., V, 14a ; VI, 5b, 17a ; VII, 14a.
89 Ibid., VIII, 21, t. 2, p. 544-562. Sur cette lettre, cf. I. S. Robinson, Authority and Resistance…, op. cit., p. 39.
90 Cet usage traditionnel est aussi fréquent chez Pierre Damien : cf., par exemple, P. Damien, Vita beati Romualdi, éd. par G. Tabacco, Rome, Istituto Storico Italiano per il Medio Evo, 1957, p. 11-12.
91 Henri IV, Béatrice et Mathilde, comtesses de Canossa, Robert, comte de Flandre, les rois, ducs et comtes d’Espagne ou d’Europe centrale et septentrionale.
92 Six évêques (Halberstadt, Constance, Metz, Passau, Padoue, Tours), deux abbés (Hugues de Cluny, Anselme du Bec).
93 Reg., op. cit., VII, 2 (au clergé et au peuple de Lucques) ; Ep. Vag., op. cit., 14 (à tous les évêques, ducs, comtes et fidèles du royaume de Germanie). Une dernière occurrence concerne les actes du concile de mars 1080 (Reg., op. cit., VII, 14a).
94 Ibid., I, 15 (…veritatem et iustitiam annuntiare…) ; II, 12 (…Deo placere cupientes veritatem et libertatem illius…) ; IV, 28 (…de veritate et equitate… opposées à la concupiscentiam in iniusticia) ; VI, 17 (…pro iusticia et veritate…) ; VII, 6 (…ut veritatem Dei et iustitiam…) ; Ep. Vag., op. cit., 64 (…rescribere veritatem et iusticiam…). Sur la justicia chez Grégoire VII, cf. note 3.
95 Ep. Vag., op. cit., 27 : …quomodo veram a falsam iusticiam, perfectam a ficta oboedientiam iudicio sancti Spiritus valeam discernere et ratio ordine ad finem usque perducere. Sur le lien entre continuité de l’autorité des papes depuis les temps apostoliques et inspiration du Saint-Esprit, cf. H. E. J. Cowdrey, Pope Gregory VII…, op. cit., p. 515.
96 Sur la simonie comme hérésie chez Grégoire VII : M. L. Arduini, « “Interventu precii” : Gregorio VII e il problema della simonia come eresia », Studi Gregoriani, 14, 1991, p. 103-119 ; H. E. J. Cowdrey, Pope Gregory VII…, op. cit., p. 543-546.
97 Reg., op. cit., II, 60 (…amicos et sapientes viros veritatis amatores iustitie…) ; IV, 11 (…cum aliis veritatis amatoribus…), ;VII, 14a (…Quia veritatis estis discipuli et amatores..)
98 Voir par exemple Hugues de Flavigny, Chronicon, éd. par MGH, SS, t. 8, p. 4 (évocation de l’action du légat Hugues de Die dans l’ouest de la France).
99 Reg., op. cit., II, 11 (…verbo et exemplo viam veritatis docere deberent… contra vos immo contra iustitiam garriant et pro defendenda nequitia sua vobis…) ; VII, 14a ; VIII, 2 ; Ep. Vag., op. cit., 34.
100 Sur le rôle des écrits de Grégoire le Grand dans la pensée de Grégoire VII, cf. I. S. Robinson, Authority and Resistance…, op. cit., p. 31-39.
101 Ep. Vag., op. cit., 48 : …beatus Gregorius in septimo libro Moralium de veritate loquens id quod iustitia nihilominus intelligi conveniat his verbis ostendit : « Iste namque veritatem iam libenter defendere appetit, sed tamen in ipso suo appetitu trepidus indignationem potestatis humanae pertimescit, cumque in terra homniem contra veritatem pavet, eiusdem veritatis iram coelitus sustinet. » (cf. Moralia in Job, VII, 26, éd. par PL, t. 75, c. 783).
102 Reg., op. cit., VII, 21 (cf. note précédente).
103 H. E. J. Cowdrey, Pope Gregory VII…, op. cit., p. 536-537.
104 Reg., op. cit., IV, 13 et V, 5.
105 Ibid., IV, 3 : Non inflatus spiritu elationis consuetudines contra libertatem sancte ecclesie inventas defendet, sedobservet sanctorum patrum doctrinam…
106 Ibid., IV, 13 : opposition de l’antiqua et pessima consuetudo de l’investiture laïque et de la simonie aux statuta sanctorum patrum.
107 Ep. Vag., op. cit., 54 : …sanctae vero ecclesiae…non licet, secundum impiorum votum et destestabilem consuetudinem, divina lege propriaque voluntate suo sponso legaliter in terris adhaerere… ; …christiana religio et vera fides, quam filius Dei de coelo veniens per patres nostros nos docuit, in secularem versa pravam consuetudinem, heu proh dolor, ad nichilum devenit et immutato antiquo colore cecidit…in…derisionem.
108 Ibid., 54.
109 Reg., op. cit., II, 45, 61 ; IV, 13.
110 Ibid., V, 5 : Quapropter quod in ecclesia diu peccatis facientibus neglectum et nefanda consuetudine corruptum fuit et est, nos ad honorem Dei et salutem totius christianitatis innovare et restaurare cupimus, videlicet ut… talis et eo ordine eligatur episcopus qui iuxta veritatis sententiam non fur et latro dici debeat (Jn 10, 1)… Sur cette lettre, cf. également H. E. J. Cowdrey, Pope Gregory VII…, op. cit., p. 518-519.
111 Sur cette universalité, cf. W. Ulmann, The Growth of Papal Government…, op. cit., p. 272. Sur le recouvrement de l’ecclesia universalis et de l’ecclesia romana, cf. I. S. Robinson, Authority and Resistance…, op. cit., p. 21.
112 À ce titre, je ne peux suivre l’analyse de C. Leveleux-Teixeira qui considère que la conception traditionnelle identifiant vérité et divinité, fondée sur la formule ontologique de Jean 14,6, domine tout le champ jusqu’à l’époque de Gratien (v. 1140) : C. Leveleux-Teixeira, « Droit et vérité. Le point de vue de la doctrine médiévale, xiie-xve s. », Bien dire et bien aprandre, Revue de médiévistique, 23, 2005, p. 333-349, ici p. 334-335.
113 Quod veritas saepius exagitata manifestius clarescit. La phrase d’Innocent Ier est légèrement différente : …quia veritas saepius exagitata magis splendescit in luce… Cf. Anselme de Lucques, Collectio canonum, livre II, can. 28, éd. par F. Thaner, Anselmi episcopi Lucensis collectio canonum, Innsbruck, Wagner, 1906-1915, p. 88. Cf. R. Knox, « Finding the Law… », art. cité, p. 449-450.
114 Sur cette notion : M. Foucault, « La vérité et les formes juridiques », dans Dits et écrits, t. 2 : 1976-1988, Paris, Gallimard, 1994, p. 538-588.
115 Ps. Clément, c. 2 (éd. électronique : http://www.pseudoisidor.mgh.de/html/007.htm, consultée le 1er juin 2014).
116 Anselme de Lucques, Collectio canonum, livre I, can. 3, éd. par F. Thaner, op. cit., p. 8 : quicumque contristraverit doctorem veritatis, peccat in Christum et patrem omnium exacerbat Deum, propter quod et vita carebit.
117 E. Marmursztejn, « Autorité et vérité dans les relations entre la papauté et les docteurs parisiens au xiiie siècle », dans G. Potestà (dir.), Autorität und Wahrheit. Kirchliche Vorstellungen, Normen und Verfahren (13.-15. Jahrhundert), Munich, Oldenbourg, 2011, p. 21-44, ici p. 30-31.
Auteur
Université Rennes 2 – CERHIO (UMR 6258)/Institut universitaire de France
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