Les terres de surséance entre Franche-Comté, Lorraine et Champagne du xvie au xviiie siècle
p. 345-355
Texte intégral
1Un vent de colère souffle sur le village de Martinvelle, aux confins de la Champagne, de la Lorraine et de la Franche-Comté, en cette après-midi du premier dimanche d’août 1616, jour de la fête du village. Tout avait pourtant bien commencé. Le matin, le cri de la fête avait été fait, comme de coutume, au nom du duc de Lorraine. Or, arrive au début de l’après-midi le sire de Vadans, propriétaire – du fait de sa femme – d’un tiers du fief de Martinvelle, qui exige de danser la première danse au nom du roi du France, alléguant que « partout ou le Roy avoit un pouce de terre, il estoit souverain par tout »1. Le maire de Martinvelle fait alors cesser la fête. Le sire de Vadans s’entête, bouscule le maire, dégaine son épée et le frappe au visage. Les passions se déchaînent, la foule gronde, d’autant plus, comme le rapporte le chroniqueur, qu’il « y a apparence que ce desordre qui arriva l’après dîner ne fut point arrivé le matin »2. Vadans doit se retirer. Le receveur du château de Passavant, localité voisine de Martinvelle, rassemble alors les habitants et leur demande s’ils avaient déjà entendu faire le cri de la fête et danser la première danse au nom d’un autre seigneur que le duc de Lorraine. Les villageois répondant que non, la fête reprend son cours. Dans la soirée, le sire de Vadans et quelques-uns de ses invités abordent le receveur du château de Passavant, « … lui demandent s’il sçavoit bien ce qu’il venoit de faire et luy dire qu’ils l’apprendroient à parler et qu’il avoit fait une folie dont ils le feroient repentir »3. L’affaire ne traîne pas : au mois de septembre 1616, un sergent royal placarde à la porte de l’église une ordonnance du roi interdisant à tous ses sujets de porter les armes contre ses officiers. Le duc de Lorraine riposte en envoyant à Martinvelle, le 24 novembre 1616, le lieutenant général et le procureur général de son baillage des Vosges pour entendre soixante témoins, tant du lieu que des environs, afin de prouver que le village est bien de sa souveraineté. Un débat interminable commence alors, l’affaire ne se résolvant qu’avec le découpage des départements au moment de la Révolution française.
2Cet épisode digne de Clochemerle est caractéristique de l’imbroglio politique, administratif et juridique qui règne pendant toute la période moderne aux confins nord du baillage franc-comtois d’Amont – rappelons que la Franche-Comté est alors une possession espagnole –, au sud du duché de Lorraine et au sud-est du comté de Champagne. Toute la question est là : de qui relève le fief de Martinvelle ? Du roi de France comme comte de Champagne ou du duc de Lorraine ?
3Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, alors que les monarchies française et espagnole se veulent absolues et centralisatrices, il est surprenant et intéressant de constater qu’il existe des enclaves, des terres incertaines, des villages en surséance, c’est-à-dire des terres mi-partites ou tri-partites dont, faute de temps, de volonté et surtout faute de preuves écrites suffisantes, on remet régulièrement à plus tard la question de savoir de qui elles sont mouvantes4. Tout aussi intéressant est de comprendre comment et pourquoi on en est arrivé à une telle situation et de voir comment on a essayé de régler le problème.
Physionomie des villages en surséance
4En 1789, quand sont convoqués les États Généraux, plus de 1 800 villages sont réclamés par plusieurs baillages5 et en surséance, cette situation se vérifiant en particulier pour les villages situés sur les confins francs-comtois, lorrains et champenois.
5Cet état de fait est fort ancien : ainsi, au XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, une douzaine de villages sont en surséance entre Franche-Comté et Champagne6, deux autres entre Lorraine et Champagne et une cinquantaine sont indivis entre Franche-Comté et Lorraine7. Enfin, il existe, en plein territoire comtois, des enclaves, qui relèvent directement de la France, parce qu’elles sont soit de Champagne, soit de Bourgogne ducale8. La difficulté n’est pas alors de trouver des limites entre chaque village, car elles existent toujours – dans la mémoire collective des habitants – même si elles ne sont pas simples et évidentes, mais de définir les droits du roi de France ou d’Espagne et du duc de Lorraine et de Bar.
6Si l’on analyse la situation de ces villages, plusieurs constatations s’imposent. Certains sont contestés entre deux parties, d’autres entre trois parties et beaucoup se situent de part et d’autre de la Saône ou d’une bande forestière ou encore d’une ligne de crêtes. En outre, dans la partie la plus occidentale des confins champenois, lorrains et francs-comtois, le maillage du réseau paroissial est extrêmement serré alors que, plus on avance vers le nord et l’est, vers le massif montagneux vosgien et la Lorraine, plus la taille des paroisses s’agrandit et moins la densité de population est importante9. Ce type de villages se rapproche de ces « … déserts-frontières, vides d’hommes, recouverts de forêts, efficaces pour se défendre militairement au XVIIe siècle, (...) zones difficilement habitables »10 évoqués par Roger Dion.
7La bande de villages surséants courant de Fresnes-sur-Apance, à l’ouest, à Ramonchamp, à l’est, pourrait être divisée en trois groupes : à l’ouest, bordant la Saône et le Côney, des villages au finage étroit, peuplés, avec un terroir riche, des bois, des rivières et des dîmes suffisantes, comme Martinvelle, qui est connu pour son aisance car « il s’y fait un grand commerce du vin de Bourgogne vers Langres, la Lorraine et le Luxembourg... »11. Plus à l’est, à une altitude plus élevée, des villages moins peuplés, au finage de plus grandes dimensions, un terroir médiocre, souvent qualifié de « froid et stérile »12, recouvert de forêt et dont les habitants vivent essentiellement de voiturage de bois. Enfin, tout à fait à l’est, sur les contreforts vosgiens, des villages très étendus – et relativement peuplés – forestiers et miniers comme Château-Lambert, dans lesquels, plus que des questions de souveraineté, se posent des problèmes de limites.
Pourquoi la surséance ?
8Plusieurs raisons expliquent les terres incertaines, les procès qui en résultent et les décisions de mettre les terres en surséance en attendant un règlement définitif. Il convient tout d’abord de chercher les origines de l’indivision et de la surséance avant la période moderne. Bernard Guenée13 note que, aux XIVe et XVe siècles, la confusion de plus en plus grande qui s’installe entre public et privé, les pouvoirs construits de plus en plus sur la possession du sol, les liens d’homme à homme ou l’achat d’une terre dans un comté voisin, conduisent immanquablement à rendre hommage au seigneur de ce comté voisin et à ce que ce dernier s’attribue ensuite la totalité du domaine et du fief. Dans certains cas, l’ignorance en matière de souveraineté est involontaire car des superpositions de propriétés peuvent s’être produites accidentellement – parce qu’un clerc s’est égaré dans le dédale des reprises de fiefs ou d’arrière-fiefs – et que, les années passant, la mémoire s’estompant, la complexité de la situation a conduit à mettre une terre en surséance. C’est la raison pour laquelle Fresnes-sur-Apance a été déclaré surséant : en avril 1683, à Bourbonne-les-Bains, lorsque les commissaires envoyés par la Lorraine, la Champagne et la Comté demandent aux habitants du village pourquoi leur terre est en surséance, ceux-ci affirment que, « de temps immémoriaux, ils ne relèvent d’aucune souveraineté, comme village de franc alleux, quoiqu’il y ait trois seigneurs, S.A. de Lorraine, MM. de Chappelaine et de Bourbonne, mais comme ces trois seigneurs rendent hommage à la fois au comte de Bar, comme arrière-fief de la couronne de France, au château de Coiffy et au comte de Bourgogne, la terre de Fresnes-sur-Apance a été mise en surséance »14.
9Mais surtout, il faut chercher l’origine des contestations entre Lorraine et Comté dans la politique expansionniste du Téméraire. Les Lorrains ne manquent pas de le rappeler dans les procès visant à régler les affaires de surséance au XVIIIe siècle :
Les comtes de Bourgougne ayant eu des armées plus nombreuses que celles des ducs de Lorraine, eurent la facilité pendant les guerres quy ont esté entre ces deux couronnes dans le siècle de 1400 de s’emparer des chasteaux, bourgs et pays quy leurs estoient voisins. Les seigneurs particuliers de ces terres ayant par félonnie ou par force commis leurs fiefs, ont eu recours a la protection des comtes de Bourgougne, dans le service desquels ils s’estoient jetter. Les princes de la maison de Bourgougne s’estant mesme trouvés en pocession de quelques unes des terres données pour dot ou apanage a leurs épousés ont trouvé de l’advantage de les dire de la souveraineté des comtes de cette province. Au moyen de quoy, les ducs de Lorraine se virent privés ou troublés en la pocession de la souveraineté de plusieurs lieux sçitués sur les frontières de Bourgougne15.
10Par ailleurs, laisser des villages en surséance, en faire une vaste zone-tampon politique et administrative, est également une bonne manière de se protéger militairement, comme l’explique, en 1613, l’archiduc Albert au Parlement de Dole :
Gruyer, Harsault et la Haye, qui sont trois villages de la terre de Vauvillers laissés en la souveraineté de France par la première délibération des députés, sont peuplés de gens riches. Au territoire desquels est une grande forêt qui sépare leurs villages de la Lorraine, qu’il est nécessaire pour le service de S.A. et pour le bien du comté de Bourgogne que ces trois villages soient réunis audit pays et comté de Bourgogne avec le reste de la terre de Vauvillers. Une autre considération sensible est que ces trois villages se jettent fort avant contre la Lorraine, allongeraient la Bourgogne et la rendraient contiguës des terres d’un bon voisin qu’est le duc de Lorraine. Quant aux grands bois étant au territoire des dits trois villages, s’ils devenaient en France, le Comté deviendrait fort découvert de ce côté là, où un tel rempart n’est pas inutile.16
11La contestation de terres est également révélatrice d’un enjeu économique : si la forêt de Passavant est aussi âprement contestée (dès 1578) entre Lorraine et Franche-Comté, c’est bien parce qu’elle abrite deux verreries, sources de revenus considérables17 et qui existent d’ailleurs toujours. L’argument économique n’est jamais oublié, et Gruey, Harsault et La Haye sont réclamés en 1613 comme faisant partie de la terre de Vauvillers, donc de la Comté, parce que « … ce qui paraît encore plus considérable est que si ces trois villages étaient de France, l’utilité que le trafic et commerce des Lorrains apporte à la Comté serait entièrement enlevé »18.
12L’indivis, le flou dans la souveraineté d’un fief et la surséance qui en découle ont aussi une origine fiscale, car le plus simple pour les habitants d’un lieu est encore de rester dans l’incertitude pour s’adresser, en cas de procès, au parti jugé le plus fort ou, quand il s’agit de payer des impôts, là où c’est le moins cher. Ainsi, au XVIIe siècle, Martinvelle apparaît comme un véritable paradis fiscal puisque les sires de Vadans et de Grignoncourt y sont propriétaires
« d’une vieille tour avec un pavillon et quelques bâtimens joignans (…) qu’ils possèdent en simple fief mouvant du Roy à cause de la Prevosté de Passavant dépendante de la Champagne »19. Or, « … les batiments de ce fief étans tombés, quelques habitans du village de Martinvelle qui depuis 1670 chercherent de se mettre a couvert des charges publiques de la Lorraine, lesquelles depuis la sortie du duc Charles II y etoient devenues très fortes et se trouvoient très modérées en Champagne, ascensèrent des dits sieurs de Grignoncourt et Vadan l’emplacement de leur fief. Et pour se faire reputer habitans de Champagne y construisirent d’abord quelques baraques, dont ils ont depuis converty plusieurs en maisons. La tranquillité dont ils jouissent a attiré d’autres habitans du même lieu qui y ont encor bâti sur des chenevieres ou autres heritages qu’ils ont pretendu appartenir au proprietaire de ce fief, et tous ensemble soûtiennent qu’ils doivent etre considérés comme habitans de Champagne et dans l’indépendance de la Lorraine quoi qu’ils fassent toutes leurs cultures et labourages sur le ban et finage dudit Martinvelle ; qu’ils y prennent le pâturage nécessaire a leurs bestiaux »20.
13Si les terres en surséance sont un havre de paix pour les criminels et trafiquants de toute sorte, voleurs, contrebandiers, faux-sauniers et faux-monneyeurs, qui profitent d’un formidable no man’s land judiciaire (Vauvillers a été réputé, jusqu’au XIXe siècle, comme étant une terre de contrebandiers), vivre dans des terres en surséance n’est pas toujours simple pour les villageois. Bien sûr, certains habitants, comme ceux de Passavant, en profitent pour se déclarer exempts de toutes tailles, aides, gabelles, subsides et de toutes autres charges et impositions vis-à-vis de la Lorraine21, mais d’autres vivent moins bien cette situation, comme les habitants de Lironcourt et d’Ameuvelle, coincés entre les ordres et injonctions contradictoires que leur font les officiers et sergents du Barrois et du comté de Bourgogne22
14En réalité, la surséance et les problèmes de limites n’entraînent souvent que coups et horions, comme dans l’affaire du sire de Vadans évoquée plus haut, et, généralement, les princes cherchent plus à résoudre la question des terres de surséance, qui entravent l’activité économique, qu’à chicaner leurs voisins.
Pour en finir avec les terres de surséance…?
15La première conférence concernant le règlement des terres de surséance se tient en 1501 : à la suite d’un différend frontalier, Philippe, archiduc d’Autriche, et René, duc de Lorraine, décident de nommer des commissaires pour résoudre leur querelle. Finalement, le problème semble à ce point insoluble que les terres contestées sont placées en dépôt entre les mains de leurs seigneurs particuliers23 et le règlement remis à plus tard. Mais les conflits entre habitants se multiplient et Charles-Quint lui-même doit intervenir une première fois en 1547, pour engager le Parlement à s’occuper au plus vite de fixer les limites de la Comté et de la Lorraine24, puis, une seconde fois, sur le même sujet, en 154825. Une deuxième conférence entre Lorrains et Comtois a lieu en 1564 à Fontenoy-le-Château, sans plus de succès que la précédente, puis une troisième, en 1612, à Auxonne et à Fontenoy-le-Château, où l’on décide de se porter dans les villages contestés pour y entendre les habitants et s’en remettre à la mémoire collective de la communauté villageoise. En 1613, les commissaires se retrouvent à Vesoul pour définir quels villages doivent être déclarés de surséance. En 1614, nouvelle assemblée au cours de laquelle s’esquisse une ébauche de règlement. Les bans de Longchamp et de Ramonchamp, le Val d’Ajol et la baronnie de Fontenoy restent à la Lorraine alors que le château et le bourg de Vauvillers et les villages d’Alaincourt, Ambiévillers, Pont-du-Bois, Hautmougey, Grandrupt, Harsault, La Haye, Gruey, Fougerolles, Fontenoy-la-Ville et Fresnes-sur-Apance, plus peuplés et plus riches, sont attribués au comté de Bourgogne26. Enfin, les commissaires s’accordent pour que le comte de Bourgogne échange ses droits à Grignoncourt, Lironcourt, Vougécourt et Blondefontaine contre ceux qui appartiennent au duc de Lorraine à Corre, Bousseraucourt, Ameuvelle et Montdoré. Mais les ducs de Lorraine ne ratifient pas ce partage qu’ils jugent trop favorable à la Franche-Comté. La question reste donc en suspens. Nouvelle tentative en 1666 : le Parlement de Dole envoie à Blondefontaine et Enfonvelle, en duché de Bar, le procureur du baillage de Jonvelle et un notaire pour dresser la liste des maisons dépendantes de la seigneurie de Jonvelle27, donc de la Franche-Comté. Ces deux enquêtes n’ont pas plus de suite que les précédentes.
16La réunion de la Franche-Comté à la France, en 1678, semble résoudre le problème des terres de surséance et, en 1680 et 1681, par plusieurs arrêts du Parlement de Besançon, de nombreux villages contestés par la Lorraine sont réunis d’autorité à la Franche-Comté. Mais cette réunion est annulée par le traité de Riswick et, à la demande du duc de Lorraine, les villages sont remis en surséance et exemptés d’impôts28. En 1700, l’arbitrage de Turgot, intendant de Metz, est sollicité sur la question de Martinvelle29.
17Finalement, en 1704, Louis XIV nomme deux commissaires pour résoudre le problème des terres de surséance : Louis de Bernage, seigneur de Saint-Mauris, conseiller du roi, intendant de justice, de police et des finances du comté de Bourgogne et Charles Sarrazin, seigneur d’Abaucourt et de Saint-Agnan, conseiller du duc de Lorraine30. Ces deux personnages se connaissent et s’estiment et, le 15 septembre 1704, ils parviennent au partage suivant : le duc de Lorraine cède au roi ses prétentions sur Fougerolles et ses dépendances, sur Fresnes-sur-Apance, Alaincourt, Corre, Bousseraucourt, Montdoré, Saint-Loup, Francalmont, Aillevillers, Jasney, Cuve, Plainemont, Bouligney, Mailleroncourt-Saint-Pancras, Magnoncourt, Fontaine, Fleurey, La Basse-Vaivre et Corbenay ; en échange, le roi, en tant que comte de Bourgogne, abandonne au duc de Lorraine ses droits sur Fontenoy-le-Château, Le Mesnil, Tremonzey, Montmôtier, Fontenoy-la-Ville, Monthureux-sur-Saône, Ruaux, Ameuvelle, Lironcourt, Grignoncourt, Vougécourt, Blondefontaine, Longchamp, Ramonchamp et le Val d’Ajol. Mais le problème n’est pas vraiment réglé puisque des enclaves subsistent : Blondefontaine, Melay, Lironcourt et Grignoncourt, en plein comté de Bourgogne, dépendent du Barrois alors que Fresnes-sur-Apance, Godoncourt et Fignévelle, enclavés dans le Barrois, dépendent du comté de Bourgogne. Ces enclaves sont la porte ouverte à tous les trafics et à tous les abus à tel point que, le 15 avril 1738, un arrêt du conseil du roi doit fixer la consommation de vin pour les habitants des villages enclavés en Lorraine et en comté de Bourgogne31 car les habitants « … commettent des fraudes considérables, & tirent, sous pretexte de leur consommation, de fortes quantitez de vin qu’ils font passer à l’estranger sans payer les droits de sortie ; ce qui porte à la ferme un préjudice d’autant plus grand que la situation des lieu qui sont moitié France & Lorraine, les met à l’abri des plus exactes recherches, puisqu’en mettant une barrique de vin sur leur porte, ils peuvent la faire rouler à l’estranger »32.
18Seule la Révolution française règle la question des terres de surséance en décidant, assez arbitrairement d’ailleurs, du tracé de la limite entre les départements de la Haute-Saône, des Vosges, de la Haute-Marne et de la Côte-d’Or33. Pourtant, pendant près de trois siècles, ces villages indivis, ces seigneuries en dépôt ont été un défi à l’absolutisme royal français ainsi qu’à la souveraineté des ducs de Lorraine et des comtes de Bourgogne sur leurs terres. Et que dire du sire de Vadans dont il est question au début de cette étude ? Qu’il s’agit d’un Champenois quand il déclare que le fief qu’il tient à Martinvelle du fait de sa femme relève du roi de France et non du duc de Lorraine ? Même pas. A notre connaissance, en 1616, il ne peut y avoir que deux seigneuries de Vadans, l’une près de Pesmes, l’autre près de Poligny, donc dans les deux cas en Franche-Comté !34 Le sire de Vadans est bel et bien un Franc-Comtois, donc à l’époque, un sujet du roi d’Espagne, qui, au nom de sa femme, sans doute une Champenoise, revendique le roi de France comme suzerain. Deux conclusions s’imposent alors : aux XVIe et XVIIe siècles, dans les confins francs-comtois, lorrains et champenois, les vieux liens féodaux d’homme à homme perdurent ; quant à vouloir gratifier la noblesse franc-comtoise locale d’un quelconque sentiment national « espagnol », cela relève de l’utopie.
Notes de bas de page
1 – « Pour démontrer que Martinvelle est en Lorraine », 15 juillet 1715, Bibl. nat., Coll. Lorraine 60, f° 128 et suivants. Précisons que trois seigneurs se partageaient Martinvelle : deux relevaient de Lorraine et le troisième, le sire de Vadans, de Champagne, donc du roi de France.
2 – Ibid.
3 – Ibid.
4 – Cf D. Nordmann, « Des limites d’État aux frontières nationales », Les lieux de mémoire. La Nation, t. II, (sous la direction de Pierre Nora), Paris, 1986, p. 35-61.
5 – R. Dion, Les frontières de la France, Paris, 1947, p. 40.
6 – Bibl. nat., Coll. Lorraine 418.
7 – Bibl. nat., Coll. Lorraine 419 et Lorraine 420. Pour la liste des villages en surséance, se reporter à la carte ci-jointe.
8 – Sur cette question voir J. Finot, « La Saône considérée comme frontière naturelle », Société d’Émulation du Doubs, 1877, p. 228-234 ; R. Clémenceau « Une frontière ouverte. Duché de Bourgogne et Franche-Comté sous le règne de François Ier », Annales de Bourgogne, xxvii, 1955 , p. 73-97 ; M. Rey, « Structures paroissiales et monastiques de la Franche-Comté dans le baillage d’Amont à la fin du XVe siècle », Mémoires de la société pour l’Histoire du Droit et des Institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, fascicule 30, 1970-1971, p. 234-257.
9 – On peut considérer qu’entre les XVIe et XVIIIe siècles, les limites actuelles des communes sont identiques à celles des paroisses, à quelques exceptions près.
10 – Roger Dion, op. cit., p. 11-12.
11 – Article « Martinvelle », Bibl. nat., Coll. Lorraine 60, f°4.
12 – « Table instructive concernant les terres de surséance », Bibl. nat., Coll. Lorraine 418, f°278.
13 – B. Guenée, « Des limites féodales aux frontières politiques », Les Lieux de mémoire – La Nation, t. II, (sous la direction de Pierre Nora), Paris, 1986, p. 11-33.
14 – « Traité des limites de la France et de la Comté », 1611-1700 environ, Arch. dép. du Doubs, E. Commune 1010, Besançon.
15 – « Terres de surséance ou prethendues telles entre la Lorraine et le Comté de Bourgogne », Bibl. nat., Coll. Lorraine 449, f°4.
16 – Lettre de l’archiduc Albert au Gouverneur et au Parlement de Dole, Bruxelles, 10 mai 1613, Bibl. nat., Coll. Moreau 901, f° 134 recto.
17 – Article « Passavant », Bib. nat., Coll. Lorraine 60, f°109.
18 – Lettre de l’archiduc Albert..., cf note 16.
19 – « Pour démontrer que Martinvelle est bien de Lorraine... », cf note 1.
20 – Ibid.
21 – Article « Passavant », 10 avril 1683, Bibl. nat., Coll. Lorraine 60, f°29.
22 – « Compte de la Marche », art. « Meuse », 1584, Arch. dép. Haute-Saône, 1J68/1.
23 – « Terres de surséance entre Franche-Comté et Lorraine. Mémoire de députés lorrains », s.d., Bibl. nat., Coll. Lorraine 449, f°5.
24 – Lettre de l’empereur Charles-Quint au Parlement de Dole, Augsbourg, 1er janvier 1547, Bibl. nat., Coll. Moreau 901, f°33 verso.
25 – Lettre de Charles-Quint au Parlement de Dole concernant Lure et la délimitation de la province, Bruxelles, 8 octobre 1548, Bibl. nat., Moreau 901, f°34.
26 – « Terres de surséance entre Franche-Comté et Lorraine », s.d., Bibl. nat., Coll. Lorraine 419, f°19 verso et, sur le même sujet, Bibl. nat., Moreau 915, f°321 ss.
27 – « Rapports de Claude Nicolas Grosjean, procureur du roi d’Espagne à Jonvelle et de Joseph Cornevaux, notaire à Jonvelle », Extraits du registre de la chambre des Comptes de Dole, 13 et 14 décembre 1666, Arch. dép. Doubs, E Commune 431, f°388.
28 – « Mémoire de M. de Bernage sur le village, ban et territoire de Monthureux-sur-Saône », Besançon, 4 novembre 1703, Bibl. nat., Coll. Lorraine 67, f°3.
29 – « Remarques de M. de Turgot sur Martinvelle », Paris, 4 avril 1700, Bibl. nat., Coll. Lorraine 60, f°25. Ce Turgot est grand-père du ministre de Louis XVI.
30 – Cf, Bibl. nat., Coll. Lorraine 419, f°165.
31 – « Arrêt du conseil du roi fixant la consommation de vin dans les paroisses enclavées en comté de Bourgogne et en Lorraine », 15 avril 1738, Bibl. nat., Coll. Lorraine 61, f°435 et suivants.
32 – Ibid.
33 – Cf M.-V. Ozouf-Marignier, La formation des départements, Paris, 1989 ; H. Mettrier, La formation du département de la Haute-Marne en 1790, Chaumont, 1911 ; J. Girardot, « Formation du département de la Haute-Saône », Bulletin de la Fédération des Sociétés Savantes de Franche-Comté, 2, 1955, p. 22-39 ; Anon, « Formation du département des Vosges », Documents rares ou inédits de l’histoire des Vosges publiés par le Comité d’histoire vosgienne, 3, 1873, p. 330-344.
34 – Il pourrait s’agir soit de Humbert-Claude de Fauquier, fils de Claude-François de Fauquier et de Jeanne de Saux, gouverneur de Jonvelle de 1595 à 1625, soit de leur fils, François-Orillard, seigneur d’Aboncourt, Gésincourt, Ouge, La Quarte, Vitrey, Nervezain, Vadans, etc.
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