Familles d’évêques au début de la Renaissance
Les Briçonnet et les autres
p. 271-275
Texte intégral
1A la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle, on trouve cinq Briçonnet évêques : Robert, Guillaume père, Guillaume fils, Denis, Michel. Est-ce pur hasard ? Non. Est-ce en raison d’une compétence particulière ? Pas uniquement. Le milieu familial a eu une grande importance à cette époque et il convient de le rappeler.
2Il y a près de cinquante ans, Lucien Febvre, traitant avec brio « le cas Briçonnet » (l’évêque de Meaux), attirait l’attention sur les origines familiales, les appartenances, les alliances : connaissance « aussi essentielle que négligée ». Et il se lançait dans une énumération suggestive. Guillaume, fils de Guillaume, n’était-il pas « neveu de Robert, archevêque de Reims et chancelier du royaume ; neveu de Pierre, général de Languedoïl ; frère de Jean, général de Dauphiné et de Provence, président de la Chambre des comptes ; frère de Nicolas, contrôleur de Bretagne et beau-père de Jean Grolier ; frère de Catherine qui épousera le puissant Bohier ; et de Denis, l’évêque de Toulon. Il était en sus, cousin d’une vingtaine au moins de Briçonnets et de Beaunes qui peuplaient le Parlement, la Chambre des comptes, les administrations financières etc. – et l’allié de toutes les grandes familles d’argent : Berthelot, Bohier, Beaune, Robertet, Museau, Poncher, Ruzé… – Tout ceci est à dire » (Au coeur religieux du XVIesiècle, p. 147, note 2).
3Dans sa grande étude sur Tours, ville royale, 1356-1520, Bernard Chevalier a mis en relief, d’une manière détaillée, « les grandes familles » tourangelles qui sont « passées, en l’espace d’une génération, d’une honnête médiocrité bourgeoise aux suprêmes honneurs de l’administration des finances » (p. 472) et qui briguent les hautes charges de l’État sans négliger celles de l’Église, et non des moindres (abbayes et évêchés) : « Parmi les garçons, certains aussi sont d’Église et prennent part à la chasse aux bénéfices » (p. 505). Le curriculum vitae personnel ne peut pas être isolé du contexte familial.
4Tout récemment, Robert-Henri Bautier s’est engagé dans le même sens en portant son attention sur « Guillaume Briçonnet évêque de Meaux et la haute administration du royaume ». Ses tableaux généalogiques sur les alliances matrimoniales des familles Briçonnet, Berthelot, Ruzé, Gaillard, Burdelot, sur les diverses parentés de l’évêque de Meaux, sont très éclairantes et complètent utilement les travaux de ses deux prédécesseurs. Il n’hésite pas à voir, en toutes ces familles, « un extraordinaire clan-pieuvre, d’origine tourangelle, qui, grâce à ses compétences financières, s’était emparé des leviers de l’État et qui tenta de mettre la main sur l’Église, au début, grâce à la faveur continue de Louis XI et ensuite à celle de tous ses successeurs » (p. 81-82).
5Dans la ligne de ces trois contributions importantes pour ce sujet, centrons-nous sur Guillaume Briçonnet père, le cardinal, sur ses deux fils évêques, Guillaume et Denis, et voyons comment s’exercent, dans ce cas exemplaire, les solidarités familiales.
6On sait que depuis le XVe siècle la famille Briçonnet était bien implantée en Touraine. Le premier de nos deux Guillaume était fils de Jean Briçonnet l’aîné, premier maire de Tours, et de Jeanne Berthelot. Bourgeois tourangeau, enrichi par le commerce, il fréquenta Louis XI à Plessis-lès-Tours. En septembre 1483 il devint général des finances du Languedoc. Il fut bientôt un conseiller écouté du jeune roi Charles VIII. Marié à Raoulette de Beaune, il eut cinq enfants. Après la mort de sa femme, il entra dans les ordres, plus par ambition que par vocation, et devint, grâce au roi, évêque de Saint-Malo le 10 octobre 1493. Le choix de la Bretagne n’était sans doute pas innocent, politiquement, deux ans après son rattachement à la France. Un siège épiscopal n’était pas suffisant et le nouvel évêque convoitait le chapeau de cardinal. Il l’obtint du pape, peu après 1495, ayant encouragé assidûment Charles VIII à entreprendre l’expédition d’Italie. Ce n’était pas terminé. A la mort de Jacques de Caulers, évêque de Nîmes (1496), il obtint l’administration de ce diocèse dans une région où il avait exercé les fonctions de général des finances. L’année suivante, le 26 juin 1497, mourait son frère, Robert Briçonnet, archevêque de Reims. N’était-ce pas à Reims que l’on sacrait les rois, et ce privilège allait-il échapper à la famille ? Le cardinal se lança alors à la conquête de ce nouveau siège épiscopal et l’emporta de haute lutte, en dépit des chanoines qui faisaient valoir leur droit d’élection. Effectivement, le cardinal sacrera Louis XII. En 1507, il se démit de Reims pour l’archevêché de Narbonne, dans ce Midi qui lui était cher. C’est là qu’il mourut, le 14 décembre 1514.
7Cette course aux honneurs et aux gros bénéfices ecclésiastiques cumulés ne nous édifie pas, mais ne nous étonne pas chez un prélat sans vraie vocation, demeuré homme d’affaires habile et ambitieux. Il illustre bien une ascension favorisée par des relations de famille et de parenté alors puissantes. Cela dit, nous n’avons pas tout exprimé des ambitions du cardinal de Saint-Malo. Ne nous attardons pas ici sur d’autres bénéfices ecclésiastiques acquis (notamment l’abbaye parisienne de Saint-Germain-des-Prés). Voyons plutôt comment il s’employa à prolonger son action en ce domaine, au bénéfice de deux de ses fils, Guillaume et Denis, dès leur jeunesse.
8A 19 ans, en 1489, Guillaume fut nommé évêque de Lodève, dans le Midi. A 18 ans, en 1497, Denis devint évêque de Toulon, mais c’est son père qui semble avoir été l’administrateur de cet évêché jusqu’en 1511. Un autre évêché du Midi.
9La solidarité des deux fils avec leur père a été manifeste en plusieurs circonstances. Ils lui ont apporté une aide appréciable pour la conquête du siège archiépiscopal de Reims en 1497. Ils ont été ses fidèles lieutenants lors du conciliabule gallican de Pise-Milan en 1511-1512, fomenté par Louis XII à l’encontre du pape Jules II. Et cette solidarité habituelle eut à plusieurs reprises une expression liturgique : celle du cardinal, célébrant pontificalement, entouré de ses deux fils Guillaume et Denis, comme diacre et sous-diacre. Ainsi pour le mariage de Catherine Briçonnet, comme en témoigne un tableau conservé au château du Bouchet (Maine-et-Loire).
10Les évêchés acquis devenaient une sorte de bien de famille et il fallait s’employer à ne pas les laisser partir vers des étrangers, dans toute la mesure du possible. Donnons quelques exemples. En 1513, à la fin de sa vie, c’est à son fils Denis que le cardinal céda son évêché de Saint-Malo. Quelques jours après son décès, l’évêché de Nîmes passa aux mains de son neveu, Michel Briçonnet. De la même manière que son père, l’évêque de Lodève, Guillaume, devenu évêque de Meaux à la fin de 1515, conserva quelque temps son premier évêché et c’est à son frère Denis qu’il le transmit, le 23 septembre 1519. De même également, quinze ans plus tard, Denis obtiendra comme coadjuteur pour Saint-Malo son neveu, François Bohier, fils de sa soeur Catherine, le 6 août 1534, et c’est François qui lui succédera.
11Mais cette rétention familiale ne put pas être pratiquée dans tous les cas. L’archevêché de Reims échut, en 1507, au cardinal Charles-Dominique de Carretto et celui de Narbonne, au début de 1515, au cardinal Jules de Médicis, le futur Clément VII. Après Denis (1511- 1516) l’évêché de Toulon passa aux mains de Philos Roverella, sans que l’on sache bien pour quelles raisons. Ce qui est plus clair, toutefois, c’est ce qui advint pour l’évêché de Lodève que Denis avait reçu de son frère Guillaume, en septembre 1519. Dès le 2 janvier suivant il n’hésita pas à échanger ce bénéfice contre l’abbaye bénédictine de Cormery, en Touraine, qui lui convenait mieux et où il aima séjourner.
12Si l’on s’en tient à cette description, on peut penser que les deux frères Briçonnet ont adopté pleinement la politique bénéficiale vigoureusement mise en oeuvre par leur père. Ils ont su l’imiter, c’est vrai. Mais ce n’est vrai qu’en partie car tous deux ont été évêques par vocation plus que par ambition. Bien sûr, ils ont été parties prenantes de la famille, de la parenté, du système. Mais ils se sont efforcés de ne pas y être emprisonnés, ayant de réelles aspirations spirituelles et pastorales, partagées par d’autres évêques en France, au début du XVIe siècle. Ce n’est pas le lieu de le développer ici, mais il ne faut pas l’oublier, sous peine de rétrécir les perspectives.
13Revenons à notre propos : une famille d’évêques. Le cardinal et ses deux fils étaient insérés dans tout un réseau de parentés, présenté dans les tableaux généalogiques de R.-H. Bautier. Celui-ci montre bien que les évêchés ont été investis par les grandes familles, tout comme le domaine des hautes finances. Le tableau 2 (Parentés épiscopales) permet de le saisir d’un coup d’oeil : chez les Beaune, on trouve Jacques, évêque de Vannes, et Martin, archevêque de Tours, et aussi, par alliance avec Marie de Beaune, Jacques Hurault, évêque d’Autun ; chez les Bohier, Jean, évêque de Nevers, et Antoine, archevêque de Bourges, cardinal, puis François, déjà nommé (Saint-Malo) et son frère Gilles, évêque d’Agde un peu plus tard ; chez les Poncher (par suite du mariage de Nicolas Briçonnet avec Charlotte Poncher), deux évêques de Paris, Étienne (1503-1519), puis François (1519-1532) ; sans parler des générations suivantes. Oui, la famille Briçonnet était bien insérée dans tout un réseau.
14Ce réseau n’a pas été unique. Il y a eu d’autres familles d’évêques à la même époque, avec de nombreux liens de parenté et d’alliances. Ainsi de la famille d’Amboise. Pierre d’Amboise, seigneur de Chaumont-sur-Loire, fut le père de cinq évêques (mais n’entra pas dans les ordres) : Georges, le cardinal, archevêque de Rouen et légat du pape ; Louis, évêque d’Albi ; Pierre, évêque de Poitiers ; Jean, évêque de Maillezais, puis de Langres ; Jacques, évêque de Clermont, cardinal. Les sièges épiscopaux sont-ils restés dans la famille ? Le cardinal Georges d’Amboise eut pour successeur à Rouen Georges II d’Amboise. Louis laissa le siège d’Albi à Louis II d’Amboise qui l’occupa jusqu’en 1517. En revanche, l’évêché de Maillezais passa au cardinal Frédéric (1481), celui de Poitiers à Jean de la Trémoille (1505), celui de Langres à Michel Boudet (1512), celui de Clermont à Thomas Du Prat (1517). On trouve encore des Amboise à Aire (Bernard, 1500-1508), à Autun (Louis, cardinal, 1501-1503).
15Un népotisme épiscopal de moindre envergure semble avoir été courant, dans l’ensemble de la France, au début de la Renaissance. A Cambrai, pendant un demi-siècle (1504-1556), des Croÿ ont occupé le siège épiscopal : Jacques, Guillaume, Robert. Ailleurs, le plus souvent, l’évêché est passé à quelqu’un de la famille une seule fois. La longue énumération qui suit est suggestive : les Brillac (Aix), Robertet, Gouffier (Albi), Babou (Angoulême), Dinteville (Auxerre), Grammont (Bordeaux), Carretto (Cahors), Martigny (Castres), Passert (Cavaillon), La Marthonie (Dax), Guiramand (Digne), Le Veneur (Evreux), Fieschi (Fréjus), Terrail (Glandèves), Grimaldi (Grasse), Barton (Lectoure), Luxembourg (Le Mans), Villiers, Ornesan (Lombès), Longwy (Mâcon), Cibo (Marseille), La Rovere (Mende), Pélicier (Orange), Castelnau (Périgueux), Husson (Poitiers), Guibé (Rennes), Joyeuse (Saint-Flour), Bar (Saint-Papoul), Luxembourg (Saint-Pons), Doderini (Saintes), Saint-Gelais (Uzès), Narbonne (Vabres), Saint-Séverin (Vienne). C’est alors pratique courante de transmettre un bénéfice ecclésiastique à quelqu’un de la famille, en priorité.
16Le mouvement qui a poussé certaines familles aisées (et pas seulement nobles) à rechercher les évêchés (et les abbayes), voire à les cumuler, semble être de même nature que celui qui a fait briguer les hautes charges civiles. Ces deux mouvements se sont associés bien souvent en une même personne : le cardinal Briçonnet n’a-t-il pas obtenu pour son fils Guillaume, évêque de Lodève et comte de Montbrun, qu’il fût, dès l’âge de vingt-cinq ans, président de la Chambre des comptes à Paris ?
17Voilà la description externe, globale, d’un état de fait. Il faudrait voir de plus près, cas par cas, quel rôle chacun a joué. Tous ont été tributaires et bénéficiaires d’un système, le système bénéficiai, et d’un milieu, famille et alliés. Dans quelle mesure ont-ils su s’en dégager, au moins en partie, pour assumer leurs responsabilités pastorales d’évêques, avant la tenue du Concile de Trente ? Il vaudrait la peine de s’en enquérir.
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C. Eubel, Sériés episcoporum Ecclesiae catholicae, Leipzig, 1931.
L. Febvre, « Le cas Briçonnet », Au coeur religieux du XVIe siècle, Paris, 1957, notamment p. 146-147 (note 2).
B. Chevalier, Tours, ville royale, 1356-1520, Paris-Louvain, 1975.
R.-H. Bauthier, "Guillaume Briçonnet, évêque de Meaux, et la haute administration du royaume", Journal des Savants, Paris, 1987, p. 79-87, avec huit tableaux généalogiques. Reproduit dans Chartes, sceaux et chancelleries (Mémoires et documents de l’Ecole des chartes, 34), Genève-Paris, 1990, t. II, p. 911-921.
10.3406/jds.1987.1503 :M. Veissière, L’évêque Guillaume Briçonnet (1470-1534), Provins, 1986. id., "Denis Briçonnet, évêque de Saint-Malo (1513-1535)", Annales 1992 de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Saint-Malo, 1993, p. 105-114.
id.. Autour de Guillaume Briçonnet (1470-1534), recueil d’articles, Provins, 1993.
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