Précédent Suivant

Les Phélypeaux agronomes novateurs sur leurs terres d’Ile-de-France au xviiie siècle ?

p. 57-64


Texte intégral

1En 1713, la famille Phélypeaux achève sa politique de rassemblement d’un grand domaine en Ile-de-France. A cette date, Louis II Phélypeaux achète la baronnie de Beynes qui complète, au nord, les comtés de Pontchartrain et de Maurepas. L’ensemble implanté sur les « paroisses de Jouars-Pontchartrain, Maurepas, Coignières, Élancourt, Plaisir, Chavenay, Neauphle-le-Chateau […] Vicq, Neauphlele-Viel, Bazoches, Mareil-le-Guyon et Saint-Rémy-l’honoré »1 atteint 7 974 hectares dont 28,5 % de réserve.

2Autour du fastueux château de Pontchartain, la seigneurie compte onze grandes fermes seigneuriales installées dans d’anciennes forteresses médiévales, six plus modestes, des moulins, des pressoirs et 350 hectares de futaies plantés dans le parc, le long des routes, enfin 1 000 hectares de taillis sur des terres infertiles (bois de Sainte-Apolline, de Villiers, de Beynes et de Maurepas). Bref, avec 2 500 hectares de réserve, les Phélypeaux disposent au XVIIIe siècle d’un splendide ensemble foncier. Son étude est rendue possible grâce au fonds Phélypeaux déposé aux archives de l’ancienne Seine-et-Oise et qui comporte 530 registres et deux cartons de plans auxquels s’ajoutent des plans complémentaires conservés aux Archives nationales2. L’ensemble révèle, au fil des pages, de multiples et intéressantes expériences agronomiques qui suggèrent l’engagement des Phélypeaux aux côtés des agronomes en général et des physiocrates en particulier.

3Les terres des Phélypeaux en Ile-de-France ont dû faire l’objet de soins exceptionnels à en juger par la réaction de La Bruyère dans une lettre à Jérôme Phélypeaux : « Les beaux plants et les belles eaux que celles d’une maison que j’ai vue dans un vallon en deçà de la tour de Montfort ! La belle, la noble simplicité qui règne dans ses bâtiments ! […] Il faut l’avouer nettement et sans détour : je suis fou de Pontchartrain de ses tenants et aboutissements, circonstances et dépendances ; si vous ne me faites entrer à Pontchartrain, je romps avec vous, monseigneur […] et qui pis est avec Monseigneur et Madame de Pontchartrain […] C’est une maladie, c’est une fureur »3.

4Il est vrai que les Phélypeaux ont rassemblé, au cours de la fin du XVIIe et du XVIIIe siècle, une multitude d’outils pour améliorer leurs terres, leur parc et leur château. Ainsi ils se sont constitués une bibliothèque agronomique4. Bien que ses dimensions restent modestes – 1 % des 3 911 volumes possédés – on y trouve tous les grands classiques de Duhamel du Monceau : les éléments d’agriculture, la physique des arbres, l’exploitation des bois. Figurent aussi en bonne place le manuel d’agriculture…. avec la réputation de la nouvelle méthode de Monsieur Hull de La Salle de L’Étang et le gentilhomme cultivateur ou cours complet d’agriculture tiré de l’anglais de Dupuy Demportes.

5Sans doute les comtes de Pontchartrain et de Maurepas n’ont-ils pas tout lu mais, en revanche, ils se sont entourés de jardiniers professionnels comme les sieurs Amelot et Redault. Jérôme Phélypeaux veille particulièrement à leur information grâce à la communication de mémoires rédigés par les jardiniers du roi à Versailles. Ils y livrent les secrets de « la composition de la terre d’orangers », de « la composition de l’eau pour arroser les orangers pour les maintenir beaux et verts », de « l’art de bien gouverner les orangers »5. Bref, tous les secrets de l’orangerie de Versailles sont communiqués au parc du château de Pontchartrain : le calfeutrage de la serre à doubles vitres, le stockage de « futailles » d’eau qui restent tièdes en serre pour l’arrosage, le dépôt d’une assiette d’eau près de la porte de l’orangerie pour repérer le début du gel, l’achat de « feu de braize de boulanger » pour réchauffer l’air ambiant, les dates de sortie des caisses d’orangers, entre le 14 et le 20 mai, et de rentrée, le 9 octobre.

6D’autres mémoires livrent le secret de l’ensemencement des renoncules6. Dans un autre document Le Normand, jardinier en chef à Versailles, explique à François Redault, jardinier du Chancelier Phélypeaux à Pontchartrain, comment choisir les meilleurs plants d’asperges – ceux de Belleville ou de Mesnilmontant avec des racines jaunes blanchâtres – comment utiliser les sables propices à cette culture, quelle fumure y adjoindre tous les deux ou trois ans pour obtenir des asperges en abondance pendant vint-cinq à trente ans7. Sollicité par Jérôme Phélypeaux sur la culture des fruitiers, il lui adresse, en juin 1741, un véritable rapport, très respectueux et complet. « Je ne sçaurais exprimer à Monseigneur combien je suis reconnaissant de la confiance qu’il a la bonté de me marquer ; et pour y répondre autant qu’il est en moy, j’aurai l’honneur de lui observer d’abord que pour déterminer une production à peu près juste des espèces de chaque fruit […] il ne suffit pas de sçavoir ce qui l’y a dans ce jardin […] (parce qu’il) y en a de haute tige en plein vent, il y en a en buisson, il y en a en espaliers […]. Or chacune de ces dispositions donne aux arbres plus ou moins de valeurs. J’estime qu’un arbre de haute tige en plein vent en vaut deux en buisson, qu’un en buisson vaut au moins deux en contre espalier et un de ceux-ci en vaut deux en espalier ». Plus loin il suggère, pour le domaine de Pontchartrain, un certain nombre de fruitiers qui ont fait leur preuve. Il préconise pour les pêches « celles de Troyes, la petite mignonne, la Madeleine, la Bellegarde, la violette et la pavy de Pomponne ». Pour les prunes il recommande « la reine-claude, la prune-abricot, la précoce de Tours, la double mirabelle » ; pour les poires « l’épine d’été, l’angleterre, la beuré, la doyenné, la cuisse-madame, la Martin-secq » ; pour les pommes « la reinette grise et la reinette franche, la calvil (sic) d’été, la blanche, la rouge ». Quant aux cerises, il mentionne « la Montmorency, la royale, la griotte, les guignes blanches et les noires »8.

7Voilà de quoi bien conforter les jardiniers du domaine de Pontchartrain dans leur travail, d’autant que les propriétaires veillent à leur fournir en même temps les moyens matériels nécessaires. Ils font aménager puis entretenir en permanence deux grandes pépinières, l’une dans le parc du château, l’autre en bordure de la Mauldre à Chennevières. Elles contiennent à elles deux, selon les années, de 3 000 à 4 000 plans d’arbres bien diversifiés. Se mêlent en effet les bois blancs comme les platanes, les peupliers d’Italie et de Caroline, les fruitiers comme les pommiers, les poiriers, les noyers, et les arbres d’ornement comme les ormes et les acacias9. Ils seront ensuite plantés ici ou là en fonction des besoins.

8Une petite serre chaude a été également aménagée dans le parc du domaine. Elle est « mobile, composée de six panneaux ou chassis de menuiserie garnis de leurs vitres de verre d’Alsace ». Ceci permet aux jardiniers de Monseigneur de faire leurs semis et d’avoir des primeurs10 pour la table du château. Ils possèdent en outre pour leurs travaux tout l’outillage nécessaire. D’ailleurs celui-ci fait l’objet de soins attentifs et d’inventaires réguliers. A cette occasion, l’état et le nombre des « arrosoirs de cuivre rouge » est noté mais aussi celui des ciseaux à tondre, des pots de terre cuite pour les fleurs, des cloches à melons, des assommoirs de bois servant à la destruction des rats et des vermines « et même de la petite marmite de fonte pour détremper de la terre pour greffer »11 Ce matériel surveillé et inventorié régulièrement est renouvelé lorsque de nouveaux modèles apparaissent. C’est ainsi qu’à l’automne 1755 Jean-Frédéric Phélypeaux fait acheter et livrer au domaine trois nouvelles charrues qui devraient améliorer les rendements de la céréaliculture. Et cinq ans plus tard il fait exécuter par Boutroy, un charpentier du comté, la commande « d’une charrue en petit et d’une en grand avec son cilindre (sic) et semoir suivant le plan et l’instruction de d’Avignon »12

9Cette rare et précieuse accumulation de moyens permet aux Phélypeaux de maintenir leur domaine à la pointe de l’expérimentation agronomique. Au début du XVIIIe siècle, ils s’intéressent à l’arrivée de plantes nouvelles, étrangères pour la plupart, dans l’espoir entre autre d’enrichir leur potager et donc leur table. En l’occurence, il s’agit d’essayer des variétés inconnues dans le comté. Pendant quatre ans (1735-1739), Jérôme Phélypeaux envoie à François Redault, son maître jardinier à Pontchartrain, des paquets de graines de choux raves, choux de Naples, de Lombardie, choux – fleurs de Février, de Mars, des tardifs et des blancs. Pour les chicorées ils essayent les « escaroles » de Gênes, celles de l’île de Chypre et les blanches d’Espagne. D’autres tentatives sont entreprises avec les melons de Chypre, ceux « d’eau de l’isle de Candie », ceux de Langeais, de Naples, d’Espagne, de Lugra, mais aussi avec des brocolis, des cardons et des pastèques. Redault ne cache pas sa déception ; il affirme avoir ensemencé toutes ces graines étrangères « tous les ans à mesure qu’elle luy ont été remises et […] que les dites ne feront jamais aucun effet dans le potager attendu sa situation »13.

10Cette vague de « grainomanie » passée, Jean-Frédéric Phélypeaux se tourne alors vers les contraintes agricoles collectives. Faut-il les estomper pour améliorer les rendements ? Ceci explique sans doute la rapidité avec laquelle il fait appliquer dans son comté l’arrêt du Parlement du 2 Janvier 1750 qui aborde le glanage et le pâturage. Il fait interdire à ses censitaires le glanage avant le lever et après le coucher du soleil « à peine de 10 livres d’amende ». Les droits de vaine pâture sont eux aussi restreints lorsque les chaumes sont abandonnés et réservés et ont 18 pouces de haut. Même le pâturage collectif est interdit dans tout pré clos de fossés ou de haies vives.

11Puis, avec les années 1760 et 1770, ce sont de nouvelles pratiques culturales qui sont tentées sous l’impulsion de Jean-Frédéric Phélypeaux. D’abord dans le parc domanial où il suggère, pendant trois ans de suite, d’expérimenter la méthode de Duhamel de Monceau. Les parcelles expérimentales bénéficient de labours réguliers, d’un ensemencement méthodique au semoir, de labours de printemps et d’automne et d’un réemblavage chaque année. La production augmente considérablement sans toutefois que l’opération soit rentable : 71 livres de frais pour 39 livres de produit. Le zèle de Jean-Frédéric ne s’éteint pas pour autant puisqu’il décide, en parallèle, l’application des principes d’Essuiles exposés dans son Traité sur les Communes qui recommande l’essor numérique des petites exploitations. Il part du principe qu’un petit paysan soignera mieux une petite superficie qu’une grande et que « chaque partie sera plus fertile entre les mains du particulier qui n’aura qu’elle à cultiver qu’entre celles du fermier le plus riche »14. Cette réflexion inspire Jean-Frédéric en 1753 lorsqu’il est confronté aux piètres résultats de la ferme de la Garenne et de Frileuse. Il décide de ne pas renouveler le bail de Gaspard Hauré et de confier simultanément 52 % du sol de la ferme au sieur Péron et les 48 % restant à de multiples paysans. Puis, encouragé par le succès de cette tentative, il l’étend à la ferme de Villiers en 1769. Cette fois c’est l’intégralité des terres qui est réaccensée, les cens et rentes étant indexés sur le prix du blé.

12En parallèle, aussi, Jean-Frédéric tente d’expérimenter la méthode de La Salle de L’Étang pour introduire les prairies artificielles. Il s’agit sur 400 arpents de terre de consacrer 100 arpents au sainfoin, 100 au seigle ou au froment, 100 au maïs et les 100 derniers à la jachère. C’est la ferme d’Ergal qui va servir de cadre à ce type d’expérience en 1762. Bien sûr, au préalable, les jardiniers du comté avaient expérimenté la luzerne et même le ray-grass dans le parc. Le nouveau bail de la ferme d’Ergal de 1762 offre enfin une belle ampleur aux prairies artificielles. 240 arpents devront rester cultivés de façon traditionnelle selon l’assolement triennal mais 70 arpents seront en prairie artificielle – soit en sainfoin, soit en trèfle, soit en luzerne – – pour la nourriture des bestiaux nécessaires pour la culture et l’engrais des terres. A charge pour le seigneur de payer une partie de la semence et de fournir à ses frais les attelages nécessaires. L’objectif recherché étant de rendre possible un élevage de qualité puisque « les dits preneurs auront la facilité de faucher journellement en vert pour nourrir les bestiaux depuis les premiers jours de Mai jusqu’à la fin du mois d’Octobre »15

13L’éventail des expériences est multiple et varié : des essais de graines de plantes exotiques aux nouvelles méthodes des physiocrates en passant par la limitation des contraintes agricoles collectives. Tout cela ne passe pas inaperçu dans le microcosme agronomique français du XVIIIe siècle. Aussi la tentative de la ferme de Villiers est-elle citée dans « L’Essai sur les moyens d’améliorer, en France, les conditions du laboureur » de Cliquot Blervache16 : « Encouragé par le succès (démembrement de la ferme de la Garenne et de Frileuse) il (Jean-Frédéric) réitéra la même opération [...] il fit tirer au sort les portions de terre pour éviter toute préférence ». La Gazette d’agriculture évoque également Jean-Frédéric en 1778 car « il a donné l’exemple aux grands propriétaires de réduire leurs exploitations et de procurer des propriétés en inféodant le terrain d’une ferme à un grand nombre de ses vassaux »17.

14Bref Jérôme pendant vingt ans (1727-1747) puis Jean-Frédéric pendant trente quatre ans montrent une passion certaine pour l’agronomie sur leurs terres d’Ile-de-France. Toutefois l’ensemble laisse une singulière impression d’inachèvement.

15Force est de constater, en effet, que toutes ces expériences sont de courte durée ; elles se prolongent tout au plus quelques années. Les essais de nouvelles semences étrangères commencent en 1735 et s’achèvent en 1742 , chaque nouvelle variété n’étant pas expérimentée plus de deux années consécutives. L’orangerie créée en 1735 atteint en 1742 une cinquantaine de gros pieds, une trentaine de moyens et quatre-vingt petits. Le comte fait alors noter scrupuleusement le fruit des ventes de « fleurs d’orange » à Paris. Le solde oscille de 50 à 200 livres selon les années. Ceci explique sans doute pourquoi l’expérience est limitée, au point qu’en 1784 l’orangerie de Pontchartrain ne compte plus que « quarante-trois orangers de différentes grandeurs »18. De même l’essai de blé semé et récolté dans le parc selon la méthode de Duhamel ne fonctionne que trois années consécutives faute de résultats probants. Le critère financier prend le pas sur le goût de l’expérimentation à tout prix.

16Toutes ces tentatives brillent aussi par la faiblesse de leur extension géographique. Pendant les années 1720, 30, 40, elles se déroulent toutes dans le parc seigneurial sur des surfaces infimes. Avec les années 1750, elles quittent ce cadre pour se développer dans les pépinières, les serres et les fermes domaniales. Les surfaces concernées oscillent alors entre 15 et 250 arpents selon qu’il s’agit de luzerne ou de trèfle à semer ou de terres à réaccenser. Mais à aucun moment le seigeur ne crée des situations de non retour. Même dans le cas des fermes de la Garenne et de Frileuse et d’Ergal : l’intégralité de la superficie n’est pas soumise au changement.

17Enfin, ces essais limités dans le temps et l’espace ont peu d’impact et de rayonnement. Ils ne concernent en effet que quelques jardiniers et leurs aides, même s’ils sont admirés ensuite par des visiteurs célèbres comme La Bruyère et Montesquieu. A chaque fois l’enveloppe financière est étroitement contrôlée : 75 livres pour l’achat de huit arrosoirs neufs à Guérin – chaudronnier à Versailles – en 1714, 44 livres pour 20 tombereaux de terreaux de pigeons et de moutons pour les premiers orangers en 1716. Beaucoup plus rares sont les dépenses de plusieurs centaines de livres comme les 287 livres, en 1726, pour la confection de 55 caisses pour les orangers ou 1 393 livres, en 1763, pour refaire le treillage du potager.

18Ainsi donc les expériences agronomiques des Phélypeaux se placent dans un cadrage chronologique et géographique bien maîtrisé. Les investissements qu’elles impliquent sont enregistrés, étalés dans le temps et contrôlés par le régisseur du comté de la façon la plus stricte qui soit. Reste à savoir comment interpréter tous ces choix agronomiques limités mais régulièrement commandités par les Phélypeaux. Sans doute y trouve-t-on la part de l’influence de Versailles. Les comtes de Pontchartrain occupent de trop hautes charges auprès du roi et disposent de trop gros moyens pour ne pas tenir leur rang sur leurs terres. Donc ces expériences font partie du train de vie qu’il faut avoir au XVIIe et au XVIIIe siècle quand on est Chancelier, Secrétaire d’État, voire Ministre d’État et qu’on passe une partie de son année sur son domaine. De même que les appartements de Pontchartrain sont recloisonnés et décorés à la manière du Versailles de Louis XV sous Jérôme, de même le parc subit l’influence versaillaise avec ses pièces d’eau, ses groupes sculptés, son orangerie et ses serres. On retrouve la même attitude chez le Chancelier d’Aguesseau sur ses terres de Fresnes, chez Nicolas Lamoignon à Basville, chez Machault à Arnouville.

19Outre l’influence de Versailles, celle de la mode opère également à Pontchartrain. C’est ce qui pousse Jérôme à se lancer si loin dans la « grainomanie » et « l’arborimanie ». Pendant les vingt ans où il dirige le domaine, on compte jusqu’à cinq pépinières : celles du parc et de Chennevières mais aussi celles d’Ithe, du chapelain et de la montagne. Elles vont fournir 36 000 arbres – 42 % de bois de charpente, 35 % de bois blanc, 22 % de fruitiers – qui vont complètement regarnir les bois, les parcs et les avenues du comté. C’est la mode toujours qui le conduit à essayer des graines étrangères et des implantations de plantes et d’arbres exotiques comme les grenadiers, les jasmins d’Espagne, les lauriers blancs, roses, les citronniers qui, dans des caisses peintes, doivent orner les terrasses du château. De même, on retrouve dans le grand parterre central les plants à la mode à Versailles et les principaux parcs du temps : « des ifs en pyramides, des lilas de Perse, des trifoliums […] toutes espèces de rosiers, des seringats, des genêts d’Espagne sans compter les fleurs à oignon de saison ».

20Mais, au delà de l’influence de Versailles et de la mode, la personnalité des comtes opère différemment. Jérôme par exemple, très méthodique et scupuleux, surveille de très près son domaine, exige mémoires, bilans et rapports. Il tient impérativement à être au courant de tout ; il a ainsi l’impression de tout décider, même si ses idées « personnelles » lui sont suggérées par le régisseur du comté, Charles Boucher. Jean-Frédéric de son côté, à partir de 1747, gère de façon beaucoup plus dilettante. Son exil politique, après avoir égratigné Madame de Pompadour, le conduit de 1750 à 1774 sur ses terres de Pontchartain où, malgré tout, « il a une gaieté et une fécondité qui n’ont point de pareille. [...] Il voit tout, il lit tout, il rit de tout, il est content de tout [...] il s’occupe de tout »19. Ceci explique mieux ses essais de modernisation agronomique ici et là. C’est une façon comme une autre, pour lui, de survivre à son éloignement des affaires de l’État dans une famille où les rouages du Parlement, de la Marine et des Colonies n’ont plus de secret.

21Au delà de la mode, des pratiques sociologiques et des accidents de carrière des Phélypeaux, on peut être séduit par une interprétation plus économique : peut-être seraient-ils entrés dans des pratiques de gestion capitaliste ? Un tel schéma est erroné puisque la plupart de leurs expériences leur coûte de l’argent et se limite à renforcer leur image sociale. Quant à celles qui augmentent la rentabilité de leurs terres, ils en partagent le profit avec les paysans ou les grands fermiers. Mais alors quelle interprétation définitive faut-il retenir devant toutes ces expériences ? Les Phélypeaux, en grands commis de l’Ancien Régime, ont géré leur domaine comme les affaires de l’État : en défendant leur image, en imitant le style royal, mais aussi en recherchant avec rigueur et méthode un équilibre entre l’évolution et la conservation des structures existantes.

Notes de bas de page

1 – Archives dép. de l’ancienne Seine-et-Oise, Fonds Phélypeaux AD 18.

2 – Idem, Fonds Phélypeaux coté de AB1 à B33. Arch. nat., N II Seine-et-Oise 201 et N III Seine-et-Oise 56.

3 – La Bruyère, Oeuvres complètes, Paris, 1951, p. 665.

4 – Arch. dép. Seine-et-Oise, Q66, carton IV.

5 – Idem, Fonds Phélypeaux AF 12, p. 67-69.

6 – Idem, AF 12, p. 50.

7 – Idem, AF 12.

8 – Idem.

9 – Idem, AF 12, p. 51 et AF 14, p. 26.

10 Arch. nat., T*584 31.

11 – Idem.

12 – Idem.

13 – Arch. dép. Seine-et-Oise, Fonds Phélypeaux AF 14, p. 23-24.

14 – J.– F. de Barandiéry-Montmayeur, comte d’Essuile, Traité des communes ou observations sur leur origine et leur état actuel, Paris, 1777.

15 – Arch. dép. Seine-et-Oise, Fonds notarial de Neauphle-le-Château, bail du 28 Juin 1762, non coté.

16 – Cliquot de Blervache, Essai sur les moyens d’améliorer en France les conditions des laboureurs, Chambéry, 1789.

17 – La gazette d’agriculture, 8 décembre 1778.

18 – Arch. Nat., T*584 31.

19 – Montesquieu, Oeuvres complètes, Paris, 1818, t. V, p. 431.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.