Cadastre de la Constituante et connaissance des réalités rurales
L’exemple de la commune de Corancy
p. 27-36
Texte intégral
1L’utilisation des matrices cadastrales, des états de sections et des plans parcellaires n’est certes pas une nouveauté pour la recherche locale et régionale. Dès la naissance des Annales d’Histoire Économique et Sociale, Marc Bloch lançait en 1929 une grande enquête sur les plans parcellaires, enquête étendue aux cadastres successifs comme aux terriers1. Dans le vaste ensemble des contributions obtenues, le cadastre demandé par la Constituante tient une place bien modeste. Marc Bloch relève la faible réalisation de plans parcellaires en cette occasion2 et, plus récemment, Michel Vovelle insiste sur l’insuffisante conservation des documents réalisés3. Il a donc paru intéressant de prendre l’exemple d’un document relativement bien conservé dans les archives communales, celui de Corancy4.
A l’origine du cadastre de la Constituante, la fiscalité nouvelle5
2C’est le 23 novembre 1790 que la Constituante arrête le principe de la contribution foncière, en s’inspirant de l’idée lancée et vulgarisée par les physiocrates, la Subvention territoriale, l’impôt unique sur les produits de la terre. A cette nuance près que l’assemblée refuse l’impôt unique pour ne pas laisser échapper les revenus d’origine non agricole, d’où la contribution régulière et la patente. Pour garantir à l’Etat un niveau de revenu convenable, la Constituante donne à la contribution foncière la forme d’un impôt de répartition, la somme globale fixée par elle étant répartie équitablement entre les départements, puis les districts et les communes, et finalement les citoyens, en proportion des revenus de chaque contribuable. La détermination d’une assiette véritablement équitable suppose la connaissance des biens fonciers et des revenus, d’où l’idée d’une matrice communale établie à partir des déclarations des citoyens. Dès le 1er décembre 1790, les communes sont donc invitées à dresser un tableau indicatif des différentes divisions ou sections de leur territoire. Après quoi le Conseil de la commune et les commissions choisies à cet effet dresseront l’état des diverses parcelles dans chaque section, les propriétaires faisant déclaration des biens qu’ils possèdent. Si les décrets de l’assemblée prévoient la réalisation d’un état parcellaire de section, les plans ne sont pas obligatoires, et les instructions interprétatives envisagent l’utilisation de plans déjà existants, particulièrement les plans terriers. Certes les décrets des 21 et 23 septembre 1791 autorisent les Directoires des départements et des districts à prescrire la levée de plans parcellaires, mais si les communes le demandent, à charge pour elles d’en supporter la dépense : une possibilité qui ne paraît guère avoir été utilisée.
3Il fallait faire vite, puisque la loi du 17 mars 1791 précise que la contribution foncière sera payée dès cette année 1791, les anciens impôts disparaissant au 1er janvier. Remarquable dans son principe, la contribution foncière souffre donc à l’origine de cette précipitation, car on fixe le montant exigé des départements en fonction du montant des impôts abolis, c’est-à-dire des bases bien approximatives qu’une décentralisation totale confie aux bons soins des municipalités élues, à la fois juges et parties. Qu’en est-il de la réalisation effective ? L’exemple de la commune de Corancy illustre concrètement la nature du document et son intérêt pour la connaissance de la situation à la fin de l’Ancien Régime et dans les premières années de la Révolution.
Présentation du cadastre de Corancy
1. L’état du document
4Oublié dans les archives communales, le cadastre de Corancy reste en bon état et utilisable en dépit de l’usure de la partie supérieure droite des premières pages. Le document se compose de cinq volumes, cinq cahiers de 25 sur 35 centimètres, non reliés, sans couverture forte, constitués de feuilles de cinquante sur trente cinq centimètres, pliées et cousues. Quatre de ces cahiers sont des états de section, le cinquième une matrice récapitulative des contributions, parcelle par parcelle, avec total, pour chaque propriétaire.
5Pour les états de sections, les pages de couverture et la partie supérieure des pages intérieures sont imprimées et il suffisait de compléter. Pour chaque section, pas de pagination mais une numérotation continue des parcelles, à raison de dix par page. Pour chaque parcelle, une série de colonnes prévoient le numéro, le nom, profession et demeure du propriétaire, le lieu-dit, la contenance et l’évaluation du revenu imposable. A gauche, une colonne a été réservée pour les mutations à venir. A l’extrémité droite, après une colonne en blanc, la place est prévue pour le montant de la contribution. La section A, dite de Griveau, compte 1 383 parcelles décrites. A la section B, dite de Tauron, qui compte 499 parcelles, manque la couverture avec au dos la moitié gauche de la première double page descriptive, soit les noms des dix premiers propriétaires. La section C, de la Morelle, réunit 1 541 parcelles, la section D, de l’Hiver puis de Faubouloin, seulement 272, souvent de grande taille.
6La matrice récapitulative est établie sur du matériel de même nature et de même format, également préimprimé. On a prévu pour chaque propriétaire, dans cette récapitulation, le nom, la profession et la demeure. Mais le rédacteur n’a retenu couramment que le nom, avec parfois un surnom, très exceptionnellement une résidence. Pour chaque propriétaire, section par section, on note l’évaluation des revenus parcelle par parcelle, mais sans rappel des contenances. Une colonne particulière reprend le total de l’évaluation, une autre le chiffre des contributions, par parcelle et au total. Ici les pages ont été numérotées au moment de la rédaction. Au total 109 pages ont été remplies. Mais plusieurs sont disparues, 37, 38, 39 et 40, ainsi qu’au début les huit premiers propriétaires. Curieusement manque le dossier du ci-devant seigneur, Foulon Doué. Ce registre, incontestablement le plus soigneusement réalisé, d’une écriture ferme et lisible, tient de la matrice cadastrale, par la notation détaillée des parcelles, et de la matrice fiscale, par l’indication des revenus et des contributions.
2. Les problèmes posés par le document.
7L’intérêt du document dépend de sa qualité. Un tel travail demandait des compétences, de la méthode et du soin. L’existence de feuillets imprimés suppose une coordination au sein du district ou du département. L’écriture des numérotations et de la récapitulation, décèle un professionnel. Peu de personnes dans la commune étaient capables de venir à bout de cette tâche, surtout dans un délai très court, car on ne compte même pas 5 % de personnes instruites dans cette population, curé et notables compris. Durant ces années, les autorités et d’abord le Directoire de district ne cessent de constater l’impuissance des municipalités dans toute la région, en dépit de leur bonne volonté ou de leur patriotisme et à cause de l’ignorance quasi-générale6. La situation impose la nomination de commissaires par le district de Château-Chinon pour aider les municipalités à mener à bien ces opérations cadastrales. C’est d’abord vrai du chef-lieu, la ville de Château-Chinon, qui bénéficiait cependant de cadres solides.
8Pour Corancy, nous connaissons ce commissaire, Louis Galopin, nommé par le Directoire de district le 17 novembre 1791, pour aider les municipalités de Chaumard et de Corancy à établir leurs rôles « attendu que les municipalités de Chaumard et de Corancy présentent un travail de longue haleine, eu égard à leur étendue territoriale et à la division des propriétés ». Galopin devait aussi intervenir dans les communes d’Arleuf, Château-Chinon-Campagne et Aunay-en-Bazois. D’abord commis, puis chef du bureau des contributions du district, il est élu à l’automne 1792, après le 10 août, administrateur du district et membre de son Directoire. En octobre 1793, il devient procureur syndic du district, en remplacement de Jean-Marie Duvernoy, destitué par Fouché pour cumul de fonctions. Il s’agit bien d’un professionnel mais aussi d’un politique, d’ailleurs décédé de maladie à Château-Chinon, le 19 avril 1795, à l’âge de 33 ans. Il est fort probable que le travail se soit appuyé sur l’existence du terrier du marquisat de La Tournelle, malheureusement disparu, matrice et plans.
9Notre cadastre n’est pas directement daté, même si à un moment indéterminé on a ajouté au crayon la mention « 1791 » sur la couverture des sections A et C. On ne peut en effet retenir sans examen cette date de 1791, imprimée dans la colonne de la première page, section A, colonne destinée à recevoir les mutations. Compte tenu de la nomination de Galopin, il est raisonnable de penser que la rédaction, sans doute ébauchée fin 1791, se réalise courant 1792, avant la poussée révolutionnaire de l’été. En effet, les rubriques des contribuables d’origine noble traduisent l’égalité civile nouvelle avec les appellations de sieur ou de dame, réservées aux notables, mais sans trace de mention d’émigré, alors que l’émigration est enregistrée pour Foulon Doué ou Chabannes en juillet 17927-
La société et les réalités rurales à Corancy, à travers le cadastre
1. Les structures agraires8
10Pour un même lieu-dit, des termes bien précis désignent les différentes qualités de sol et les possibilités d’exploitation dans les conditions techniques de l’époque. Les différents propriétaires sur un même lieu-dit se partagent les diverses qualités. Pour les labours et terres de culture, on distingue :
l’ouche, que l’on sait par ailleurs proche des habitations et des jardins, parcelle plus petite et mieux fumée, en culture chaque année, pour les plantes les plus exigeantes ;
le champ, plus éloigné, soumis à l’assolement régulier, ici indéterminé ; mais on sait par les enquêtes agricoles de 1856 que le biennal côtoyait encore parfois le triennal ;
la cheintre ou chaintre, dite aussi écheintre, cintre, cinte. Le terme, ambigu, désigne un endroit clos – ce qui n’est pas la caractéristique dans un bocage – plus éloigné, sans doute conquis à la culture à une date plus récente (peut-être jusqu’au XVIIe siècle), sans doute moins régulièrement en culture.
11Même richesse et précision pour les pâturages, avec le pré, au voisinage d’une rivière ou d’un ruisseau, plus ou moins irrigué ; le soulin ou solin, partie élevée du pré, plus sèche et moins bonne sauf exception ; la méloise considérée comme la meilleure part du pré ; la mouille enfin, particulièrement humide, difficile pour la sortie du foin, pouvant passer au mauvais sol, non utilisé dans les vernois envahis par les varnes ou aulnes. La chaume ou saume, en périphérie du terroir, en altitude avant la forêt, n’est qu’un terrain de peu de valeur, en genêts et fougères, livré au pacage des moutons, mis en culture à long terme, partiellement tous les 7, 9, voire 12 ans.
12En zone boisée se distingue la forêt, grand massif de centaines d’arpents, le bois de quelques arpents, le buisson enfin, parfois d’un quart ou d’un huitième d’arpent.
13Toute cette précision traduit la division zonale du terroir, une clairière autour du hameau, avec au fond les prés, à mi-pente les habitations avec bâtiments, jardins et ouches, au-dessus champs et chaintres, enfin les terres vagues parfois cultivées. Une situation qui recoupe la description de Vauban pour le Morvan ou le témoignage de la commune voisine de Montigny par son cahier de doléances.
14Selon Vauban, dans la description de la généralité de Vézelay : « … C’est un territoire aréneux et pierreux, en partie couvert de bois, genêts, ronces, fougères et autres méchantes épines, où on ne laboure les terres que 6 ou 7 fois l’une… ». Selon le cahier de doléances de Montigny-en-Morvan : « Mettra-t-on en comparaison un terrain qui produit de beau froment, avec un terrain qui produit que de mauvaise avoine ? Enfin un terrain qui est ce que nous appelons la tournure régulière avec un terrain qui ne s’emblave que tous les dix à douze ans, et qui ne produit du seigle que par artifice… On laisse croître le balais jusqu’à dix ou douze ans, et puis ensuite on le brûle sur place. Il faut encore deux chariots de fumier meslé avec ces cendres de balais pour exciter la végétation de 60 livres pesant de seigle… »9
2. Les mesures agraires utilisées10
15Les états de sections font coexister des unités géométriques avec des unités pratiques. Pour les forêts et exceptionnellement pour quelques pièces on utilise l’arpent, l’arpent des Eaux et Forêts de 22 pieds pour perche et valant 51 ares 07, introduit sur les grands domaines par le commerce des bois pour la provision de Paris. Champs, chaintres et ouches sont évalués en boisselées. La boisselée correspond à la surface ensemencée avec le contenu d’un boisseau, ici le boisseau de Château-Chinon. Elle correspond sensiblement à 12 ares 77, soit l’estimation grossière de 4 boisselées à l’arpent et 8 à l’hectare. Les prés se jaugent selon la qualité de foin produite en année commune, en milliers, c’est-à-dire en milliers de livres, parfois en centaines d’une livre équivalente à 0,49 kg. Mais on utilise aussi la voiture- la charrette à 2 roues – ou le chariot, plus vaste, à 4 roues. De la même façon les petites surfaces boisées sont exprimées en cordes, selon la récolte moyenne susceptible d’être donnée dans le délai normal d’exploitation. La corde équivaut sensiblement à cinq stères actuels. Avec une grande variété des conditions de production et de rendement, ces unités pratiques ne nous permettent pas de chiffrer exactement les surfaces des propriétés et laissent la place à de simples approximations. Une approximation que nous rapprocherons des précautions conservées dans les actes des notaires de Château-Chinon jusqu’au début de notre siècle : « … sans aucune garantie de la contenance susindiquée, le plus ou le moins excéda-t-il un vingtième devant faire le profit ou la perte de l’acquéreur ».
3. Une estimation de la répartition des propriétés
16Si l’inconvertibilité de certaines mesures locales nous interdit le calcul exact des surfaces, l’évaluation des propriétés demeure possible en prenant en compte l’évaluation des revenus. Pratiquement le récolement des parcelles à l’aide des états de sections nous a permis de retrouver la situation des propriétaires pour les pages manquantes, à l’exception du sieur Millin de Dommartin, acquéreur d’un bien national de première origine en 179111, et de retrouver l’estimation globale des revenus à 51 000 livres. Derrière la massivité des forêts et l’émiettement des parcelles cultivées, nous découvrons la modestie de la part paysanne, réduite à environ 36 % du total. La ci-devant noblesse réunit à elle seule 44 % du revenu, avec la part prépondérante (29 %) de Foulon de Doué, ex-intendant de Moulins, seigneur du marquisat de la Tournelle, Maison Comte et dépendances, qui détient la meilleure part des bois et forêts avec 1 446 arpents non compris 390 cordes, outre les deux domaines de Corancy et Maison Comte avec 495 boisselées de labours, soit 62 ha. Savoir12 :
François de Champ de Salorges avec 2 790 livres, habitant sur la commune, qui fut membre de l’administration du district de 1790 à 1792. Outre sa réserve il possède les domaines de Rhonon et du pont Bertrand et le moulin de Rhonon, avec 200 cordes de bois.
La dame de Chabannes, de Clamecy, avec 1 558 livres et uniquement du bois – 460 cordes –
Le sieur de Chabannes, à Paris rue de Varenne, émigré en juillet 1792, avec 1 222 livres et 950 cordes de bois.
La dame La Ferté de Meun avec 934 livres, personne non identifiée faute d’une preuve suffisante parmi quatre personnes possibles et parentes à Château-Chinon.
Le sieur Septier de Rigny avec 964 livres, officier d’infanterie, lieutenant aux gardes royaux d’Ile-de-France, domicilié à Château-Chinon.
17En opposition avec la prépondérance de la noblesse, nous sommes frappés par l’indigence du clergé avec la seule cure de Corancy pour une maison et une demi-boisselée…. Nous ne retrouvons pas le prieuré de Châtillon, acquis le 30 mai 1791 par le sieur Millin de Dommartin, maire de Château-Chinon et trésorier du district.
18La bourgoisie, tout particulièrement les gens de robe de Château-Chinon, détient pratiquement les 20 % du revenu avec :
Charles Devallery Beauvernois, seul et en indivis pour 2 777 livres, ci- devant greffier de la justice et receveur de la seigneurie de Maison Comte avant 1788, devenu premier maire de Corancy en 1790 et président du Directoire de district en novembre 1792. Avec les domaines de Vouchot et de l’Huis-Labbé il détient une soixantaine d’hectares de labours (457 boisselées) et 146 arpents de bois, sans compter les prés.
Philippe Goguelat, Lorien, pour 2 005 livres, avocat et président du grenier à sel de Château-Chinon, avoué au temps de la Révolution, suspect en octobre 1793.
Jean-Baptiste Petitier, avocat et notaire, puis avoué avec la Révolution, suspect en octobre 1793, pour 1 492 livres. On a noté l’extrême discrétion avec laquelle il présente son petit château de Nouvelle comme maison.
Le sieur Létouffé pour 1261 Livres. Non identifié dans la famille faute de précision : s’agit-il de Jean-Jacques Louis, officier municipal à Château-Chinon ?
Le sieur Marotte pour 804 Livres.
Le sieur Millin Champsauveur, exempt de maréchaussée, cousin du maire de Château-Chinon, pour 792 Livres.
La dame Baudreuil pour 496 Livres, soit 25 ha de labours (123 boisselées) 19 milliers de foin et 9 arpents et 85 cordes de bois. S’il s’agit bien de la femme de Pierre Gabriel Vyau de Baudreuil, lieutenant général du bailliage de Saint-Pierre-le-Moutier puis président du district du même Saint-Pierre, elle est petite-fille de François Quesnay le physiocrate, établi en Nivernais à Saint-Germain.
Le Sieur Devoucoux, huissier à Château-Chinon pour 312 Livres avec 38 arpents de bois.
La dame Tépénier, également pour 312 Livres, non identifiée dans la famille.
19Dans la paysannerie locale, quelques noms complètent en quelque sorte la rubrique bourgeoise par leur importance et les signes d’ascension sociale. Ainsi :
Le sieur Buteau à Vouchot avec 2 050 Livres pour 70 hectares de labours (559 boisselées), 67 milliers de prés et 61 arpents et 213 cordes de bois. S’agit-il de Jean Buteau dit bourgeois de Vouchot, où il demeure, décédé en Mars 1791, ou de son neveu François, bourgeois de Château – Chinon, administrateur du département en l’an VII ?
François Chocas, de Lorien, pour 583 Livres, garde général de la seigneurie de la Tournelle, puis fermier du domaine avant 1788, faisant fonction d’agent national en Messidor an VI, puis adjoint municipal en Thermidor an VI, avec 96 boissellées de labours (12 hectares), 12 milliers de foin et 305 cordes de bois, outre des chaumes et vemois.
Les Laproye atteignent 923 Livres en indivis, les Martin Jacques, des Moulins, 1 061 Livres en indivis.
Avec seulement 129 Livres, Lazare Desmoulins, fils d’aubergiste, facteur des marchands de bois pour la provision de Paris, négociant lui-même, maire de Corancy, en novembre 1793, puis de 1799 à 1813.
20Ce cadastre de 1791-92 confirme l’extrême importance des biens communaux, ou plutôt des biens sectionaux des différents hameaux, parfois partagés avec un particulier. Au total un ensemble d’environ 300 hectares, soit le dixième du terroir communal, pour 2 407 boisselées de terres médiocres et quelques cordes de bois.
21On a résumé ces possessions en un tableau (dans lequel B signifie boisselée et C corde) :
22Avant la Révolution ces biens sectionnaux étaient concédés par le seigneur comme le rappelle la plainte, d’ailleurs rejetée par le district, des derniers adjudicataires du terrier « … qu’ils n’ont pas joui du terrier de Maison Comte, des montagnes de Grosmont et Fremont, quoique faisant partie de leur ferme, parce que les droits féodaux ont été supprimés et que les habitants se sont emparés des montagnes » et la décision du district énumère « les montagnes de Grosmont, Fremont, Larouère et autres situées sur la municipalité de Corancy » (11 Floréal an III)13.
23Dans la propriété paysanne, il convient de mettre en valeur l’importance des propriétés collectives, les indivis d’abord, à plusieurs, par héritage ou achat, mais surtout la survivance de communautés familiales ou taisibles, « à feu et à pot » selon l’ancienne dénomination, régies par la coutume nivernaise, une douzaine de propriétaires étant désignés avec leur parsonniers ou associés.
4. Une confirmation sur l’éclatement de domaines nobles par la vente de biens nationaux de seconde origine.
24Les états de sections enregistrent les mutations de parcelles vendues nationalement et confirment le partage des deux domaines de Foulon Doué, le ci-devant seigneur, à Corancy Bourg et à Maison Comte. Si quelques biens sont ensuite revendus et vite enregistrés, d’autres demeurent dans les mains des familles, parfois jusqu’en 1993, à la suite d’achats collectifs du genre « Lazare Paclin et ses frères ». Effectivement les dossiers de vente du district révèlent la cession de soixante petits lots entre le 14 floréal an II (3 mai 1794) et le 27 thermidor an II (14 août 1794)14. Le changement de mains a pu être suivi parcelle par parcelle.
25En conclusion, au terme de cet examen, nous pouvons constater que le cadastre de 1791-92 de Corancy constitue un document à la fois précieux et insuffisant pour la connaissance du milieu local au début de la Révolution. D’une part, il souffre de l’insuffisante précision sur les propriétaires (identité complète, profession et résidence) mais, d’autre part, il recoupe la documentation locale et, par éclairage réciproque, nous informe sur les structures sociales et sur les réalités agraires comme sur la conséquence de la vente de biens nationaux de deuxième origine, avec le partage de domaines nobles, phénomènes très localisés en Nivernais.
26Il représente une étape importante avant le cadastre d’origine napoléonienne, réalisé ici en 1839 seulement, avec heureusement, dans les archives communales, le relais de deux matrices beaucoup plus sommaires : en 1818-19 uniquement fiscale et en 1829 avec une estimation des superficies, toujours en unités locales. Ce type de document, trop oublié, existe surtout dans les archives communales – 17 cas plus ou moins complets dans la Nièvre15. Comment ne pas suivre l’exemple de Georges Lefebvre qui, selon Michel Vovelle, « à 80 ans passés courait encore les communes du Loiret avec l’archiviste départemental à la recherche de tels documents »16.
Notes de bas de page
1 – M. Bloch, « Les plans parcellaires », Annales d’Histoire Economique et Sociale, t. I, 1929, p. 60-70. Voir particulièrement, dans le développement de l’enquête, P. Gras et J. Rigault, « Ce qu’on peut trouver dans un terrier : La seigneurie et le village d’Hauterive à la veille de la Révolution », t. X, (1938), p. 302-309. Il s’ agit du résultat des recherches sur les sources de l’histoire rurale française en 1936- 1937, à l’École Normale Supérieure, sous la direction de Marc Bloch : « Les plans cadastraux de l’Ancien Régime », Mélanges, t. III, 1943, p. 55-70.
2 – M. Bloch cité par R. Dauvergne, Caractères originaux de l’Histoire rurale française, t. II, établi d’après les travaux de F auteur, Paris, 1956.
3 – M. Vovelle, « La révolution au village », Guide de l’ Histoire locale, sous la direction de Alain Croix et Didier Guyvarc’h, Paris, 1990, p. 206-207.
4 – Corancy, département de la Nièvre, canton et arrondissement de Château-Chinon. Sous l’Ancien Régime : généralité de Moulins et Election de Château-Chinon, comprise sensiblement dans le marquisat de la Tournelle avec les paroisses voisines d’Arleuf, Chaumard et très particuliellement Planchez. Au début de la Révolution : district de Château-Chinon et canton d’Ouroux. Etendue aujourd’hui sur 2 944 hectares, Corancy comptait 110 feux en 1764 et 803 habitants en l’An II, selon Philippe Canu, Paroisses et communes de France, Dictionnaire d’histoire administrative et démographique, Nièvre, Paris, 1979. La commune était régie par la coutume du Nivernais.
5 – Sur la question générale du cadastre et de la contribution foncière, outre les histoires usuelles : J. Godechot, Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, 1951, particulièrement p. 133-134 ; R. Herbin et A. Pebereau, Le cadastre français, Paris, 1953 ; Recueil méthodique des lois, décrets et règlements, instructions et décisions sur le cadastre en France, Paris, 1911 ; R. Schnerb, « L’impôt foncier en France depuis la Révolution », Annales d’Histoire Economique et sociale, t. X, 1938, p. 116-137.
6 – Sur toute cette question : Registres des délibérations du Directoire et du conseil du district de Château-Chinon, Arch. dép. Nièvre, particulièrement 3L 1,2, 3 et 4.
7 – cf note 6 et liste nationale des Émigrés.
8 – À propos des structures agraires et des termes spécifiques : E. de Chambure, Glossaire du Morvan, Paris-Autun, 1878, réédition Marseille, 1978 ; C. Regnier, Les parlers du Morvan, Château-Chinon, 1979 ; M. Vigreux, « Place et rôle de la forêt traditionnelle dans les forêts morvandelles », Courrier du Parc, n° 25, juin 1981 ; M. Vigreux, Paysans et notables du Morvan au XIXe siècle, Château-Chinon, 1987 ; J. Levainville, Le Morvan, Étude de géographie humaine, Paris, 1909.
9 – Vauban, Description géographique de l’Élection de Vézelay, 1696, réimpression de Boislile, 1881 ; A. Paris, « Cahiers de doléances des paroisses du Morvan Nivernais », Bulletin Académie du Morvan, n° 28-29, 1989.
10 – A. Soulages et A. Suard, Manuel métrique, Nevers, 1833, p. 312.
11 – Arch. dép. Nièvre, vente du n° 7 du 30 mai 1791, biens du ci- devant prieuré de Châtillon pour 15 200 livres. Vérification de détail inachevée.
12 – Pour l’identification des personnes, utilisation d’une enquête en cours sur la ville et le district de Château-Chinon, dont articles parus Du Nivernais à la Nièvre, Etudes révolutionnaires, Nevers, 1985 – 1992, et Société Académique du Nivernais, tome LXX, 1988- 1989.
13 – Arch. nat., DIII 177, texte aimablement communiqué par M.S. Aberdam.
14 – Arch. dép. Nièvre.
15 – M. Chabrolin et F. Gravelet, « Les archives révolutionnaires des communes », Du Nivernais à la Nièvre… Etudes révolutionnaires, tome 1, 1985, Nevers.
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Paris et ses campagnes sous l’Ancien Régime
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